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Devant la multiplicité des appels à la solidarité, on ne peut qu’être frappé par une certaine ambiguïté du terme. Ambiguïté constitutive peut-être, qui pourrait expliquer la forte adhésion qu’il suscite. Être solidaire, c’est d’abord pour tout être humain une réalité incontestable : chacun est dépendant des autres ; en arrivant au monde, il reçoit l’héritage de ses ancêtres et de tous les êtres qui l’ont précédé sur cette terre. Bienfaits, langues, cultures, techniques, mais aussi vieilles querelles, vices ou maladies. L’idée se trouve chez Ézéchiel dans l’Ancien Testament : « Les pères ont mangé des raisins verts, et les dents des enfants en ont été toutes gâtées. » Mais, dans « être solidaire », l’infinitif a également valeur d’impératif : nous avons un devoir de solidarité, parce que nous appartenons tous à une collectivité dont nous devons partager les charges et les obligations. C’est pour comprendre la puissance de cette injonction, tout autant que les réticences qui se font jour ici ou là, qu’il est utile de connaître la genèse de l’idée.
Obligation morale d’entraide, suscitée par la participation à une commune humanité, tel fut le sens du mot solidarité quand il vint en France se substituer à la charité ou à la fraternité. Aujourd’hui, la solidarité est au fondement de certaines lois et des services publics, et elle a même acquis, dans le traité européen, le statut d’un principe politique. Elle est généralement invoquée comme allant de soi, mais l’on peut se demander si nous nous entendons vraiment sur sa signification…

Français

Cet article retrace le processus qui a permis à l’idée de « solidarité », née dans les milieux progressistes de la Restauration, de passer du champ des sciences naturelles et sociales vers la sphère politique. Ce transfert est l’œuvre d’un premier ministre radical de la IIIe République, Léon Bourgeois, qui, en 1896, formula une doctrine politique reposant sur les obligations générées par le fait irrécusable de l’interdépendance entre tous les hommes. Sous le nom de « solidarisme », il inventa ainsi un modèle à la fois social et libéral susceptible de s’opposer au libéralisme sans frein comme aux idées collectivistes montantes. C’est cette synthèse démocratico-libérale qui se cherche encore aujourd’hui à travers les politiques publiques de solidarité, au niveau national comme international.

Mots-clés

  • solidarité
  • solidarisme
  • Léon Bourgeois
Marie-Claude Blais
Philosophe (université de Rouen), Marie-Claude Blais est notamment l’auteur de La solidarité. Histoire d’une idée (Paris, Gallimard, 2007) et de la présentation de Léon Bourgeois, Solidarité (Lormont, Le Bord de l’eau, 2008).
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Mis en ligne sur Cairn.info le 06/02/2020
https://doi.org/10.3917/vsoc.193.0013
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