1Dans son ouvrage La corruption de la République [1], paru en 1992, Yves Mény dénonçait l’étroitesse du groupe dirigeant, la propension à la concentration du pouvoir, l’ignorance des conflits d’intérêts et la propension des élites politiques et économiques à légitimer les illégalités. Vingt ans après, les enjeux demeurent : l’esprit de corruption [2] innerve les sphères politiques et financières, du local au global. Toujours, des décisions s’achètent, des responsables se vendent, la justice tarde. Et des pratiques se développent, où le conflit d’intérêts peut glisser vers la confusion des intérêts, le lobbyisme vers le trafic d’influence. Une oligarchie experte s’emploie à brouiller les frontières entre le légal et l’illégal.
2Rapports officiels, documents des ONG, enquêtes d’opinion, tout converge vers un constat résumé par Antoine Peillon dans son ouvrage Corruption [3] : jamais, depuis la Libération, notre République n’a été à ce point corrompue.
3Le GRECO (Groupe d’États contre la corruption du Conseil de l’Europe) constatait dans son rapport d’évaluation paru en 2014 l’image négative de la classe politique. Et si l’intégrité de la justice est généralement reconnue, le soupçon demeure sur sa porosité par rapport aux influences politiques. Pour l’OCDE, la France n’a pas encore mobilisé les moyens adéquats pour tenir ses engagements et lutter efficacement contre la corruption d’agents publics étrangers [4]. Le Service central de prévention de la corruption, placé auprès du ministre de la Justice, constate chaque année, dans un rapport largement ignoré par le gouvernement, la faiblesse du nombre des faits constatés et poursuivis en matière de corruption, et l’ampleur des facteurs qui la renforcent.
4 Enfin, la Commission européenne a rendu pour la première fois un rapport sur la corruption en 2014 [5]. Elle en estime le coût à 120 milliards d’euros par an pour l’ensemble des pays de l’Union. Par ailleurs, elle évalue à 1000 milliards d’euros par an le coût de la fraude et de l’évasion fiscales.
5 Les lois de 2013, prises dans la panique du scandale causé par l’affaire Cahuzac, n’ont apporté qu’un faible remède. En effet, aucune disposition ne modifie significativement la pathologie du secret, l’insuffisance du contrôle et la faiblesse des sanctions. Le gouvernement a d’ailleurs ressenti le besoin de commander, moins d’un an après, un nouveau rapport sur la question [6].
La pathologie du secret
6Si le pouvoir ne s’ingère plus dans les dossiers comme il le faisait avant 2012, la justice se heurte toujours à des obstacles dans ses enquêtes. Des dispositions sur le secret des affaires pourraient encore aggraver la situation. Dans un tel contexte, les lanceurs d’alerte demeurent plus que jamais vulnérables.
7Le secret fiscal peut toujours être opposé à la justice. Lors des débats sur la loi relative à la lutte contre la grande délinquance financière et la fraude fiscale, la question était évidente : à quoi bon créer un procureur financier qui ne serait qu’un petit télégraphiste du ministre du Budget, pour porter devant les juges quelques poursuites décidées en haut lieu ? Toutes tendances confondues, les organisations de la société civile demandaient à faire « sauter le verrou de Bercy [7] », c’est-à-dire à mettre fin au monopole du ministre du Budget pour lancer les poursuites en matière de fraude fiscale. Mais le gouvernement s’y est opposé et sa majorité a rejeté la proposition. Pourtant, c’est bien ce verrou qui a retardé de plusieurs années les enquêtes sur les pratiques frauduleuses de la banque UBS et sur les listes de la banque HSBC.
8Le secret défense peut toujours entraver le cours de la justice. Ainsi, dans l’affaire dite des « frégates de Taïwan », les juges d’instruction souhaitaient avoir accès aux documents confidentiels, classés « secret défense », du service des douanes : cela aurait pu les éclairer sur les commissions éventuellement versées à des intermédiaires chinois et taïwanais, et sur les rétrocommissions versées à des personnalités françaises. Mais trois ministres successifs se sont opposés à la demande des juges. Ces décisions ont fait obstacle à l’avancement de l’enquête pénale, qui s’est achevée par une ordonnance de non-lieu. Par la suite, un arbitrage a été rendu au bénéfice de Taïwan, car le contrat de vente interdisait toute commission et tout recours à un intermédiaire. Un tribunal arbitral a condamné la France à payer 460 millions d’euros.
9Mais aujourd’hui encore, la déclassification résulte d’une décision politique, non soumise à contrôle. Il existe bien un Conseil consultatif du secret de la défense nationale, mais comme son nom l’indique, il n’a qu’un rôle consultatif. La France se distingue de ses principaux voisins qui ont confié à une autorité judiciaire ou dotée de pouvoirs juridictionnels les décisions en ce domaine.
10Enfin le secret des affaires pourrait aussi rendre plus opaque la vie économique. Certes, la transparence comptable a progressé. Le législateur a imposé en 2013 le reporting pays par pays aux banques — mais non aux autres sociétés. Un certain nombre d’informations doivent désormais être publiées : sur les pays dans lesquels une banque a des filiales, sur leurs résultats financiers, le nombre de leurs salariés, leurs résultats avant impôt et les impôts versés. En 2014, la loi de transposition de la directive de transparence comptable a imposé aux entreprises extractives de rendre publics les paiements de plus de 100 000 euros effectués dans des pays tiers. Mais contrairement aux banques, elles ne seront pas tenues de publier d’autres chiffres sur leurs implantations à l’étranger. La loi du 6 décembre 2013 a créé un registre public des trusts, entré en vigueur le 1er janvier 2015. Le Parlement européen a approuvé en mars 2014 la mise en place de registres publics sur le plan européen ; ce texte doit encore être approuvé par le Conseil.
11Cependant, au regard de ces progrès encore modestes, un lobbyisme intense tend à légitimer et à renforcer le secret des affaires. En ce domaine, le droit connaît déjà l’action en concurrence déloyale, les clauses de confidentialité dans les contrats, les obligations de secret professionnel qui s’imposent à de nombreuses professions, le secret de fabrique, et l’abus de confiance qui permet de réprimer la divulgation illicite d’information. Mais le projet de directive ferait du secret la règle, et de la liberté d’information l’exception. Face à ce culte du secret, les lanceurs d’alerte, porteurs d’une vérité qui dérange l’ordre établi, demeurent dans une situation précaire. Certes, le droit d’alerte est reconnu par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et de nombreuses lois internes. Mais celui qui signale des faits répréhensibles ne peut obtenir qu’a posteriori une indemnisation et éventuellement l’annulation de sa révocation ou de son licenciement, s’il parvient à convaincre le juge du lien entre l’alerte et la sanction.
12Une législation reste à construire, qui pourrait s’inspirer d’exemples étrangers, comme le Royaume-Uni ou le Canada. D’abord, en clarifiant la loi. Ensuite, en permettant aux lanceurs d’alerte de s’adresser à un interlocuteur sûr, permettant la confidentialité du signalement et dans les cas les plus graves, d’une protection active. Enfin, en prévoyant la sanction des auteurs d’éventuelles mesures de rétorsion.
Un contrôle défaillant
13Le financement des partis et des campagnes électorales fait l’objet de scandales récurrents, faute de contrôle adéquat. Le contrôle de légalité des actes de l’État et des collectivités locales représente cependant un enjeu financier bien plus important. Enfin, tout reste à faire en ce qui concerne le contrôle du lobbyisme.
14La vie politique est malade de son financement. Le dernier rapport du GRECO constate que certains collaborateurs parlementaires sont payés par des lobbyistes. Il relève que députés et sénateurs sont dispensés de justifier de l’usage de leur indemnité représentative de frais de mandat. Et la réserve parlementaire leur permet d’attribuer discrétionnairement des subventions, souvent pour entretenir une clientèle. Enfin, les apports financiers pour les partis politiques restent possibles sans limite et quelle que soit leur origine. Il est relativement facile de contourner les règles fixant des plafonds en matière d’apports ou de dépenses ou interdisant le financement par des personnes morales.
15La Commission des comptes de campagne et de financement de la vie politique exerce un contrôle formel sur les ressources, et aucun sur les dépenses. De plus, les partis peuvent créer des associations et fondations hors du périmètre de leurs comptes consolidés. La Commission ne dispose pas des pièces comptables des partis. Elle ne peut conduire des investigations et doit s’appuyer sur le travail des commissaires aux comptes, liés par le secret professionnel y compris à l’égard de la Commission. Elle ne peut non plus faire appel aux services de la police judiciaire. Ce contrôle ne permet donc que la détection d’infractions flagrantes — sauf si les circonstances appellent une enquête pénale. Et s’agissant des dépenses de campagne, elle n’a pas non plus les moyens d’appréhender la réalité des dépenses des candidats.
16Le contrôle des marchés publics a été affaibli. Le montant de la commande publique en France est compris entre 120 et 150 milliards d’euros. Les marchés publics ont toujours constitué un terrain favorable à la corruption et aux collusions entre entreprises. C’est l’une des activités les plus exposées au gaspillage, à la fraude et à la corruption en raison de la complexité et de l’ampleur des flux financiers.
17Pourtant, la Mission interministérielle d’enquête sur les marchés a été supprimée, après avoir été privée de ses moyens. Les seuils au dessous desquels les marchés peuvent être conclus sans publicité ni concurrence préalable ont été augmentés. Les services de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ont été éclatés dans des entités départementales, placés sous l’autorité des préfets, ce qui rend plus difficile la coordination contre des pratiques illicites. De plus, ces entités n’ont pas pour seule mission de surveiller les marchés publics et les préfets ne font pas du contrôle des marchés publics une priorité. L’obligation de convoquer un fonctionnaire de l’État aux réunions des commissions d’appel d’offres des collectivités locales a été supprimée. Enfin, la consultation de la Mission d’appui à la réalisation des contrats de partenariat public-privé, organisme expert rattaché au ministre chargé de l’Économie et des Finances représente une faible garantie : dans son rapport pour 2015, la Cour des comptes considère qu’elle joue en réalité un rôle de promotion et non de contrôle des opérations. Les scandales se multiplient en ce domaine, qui constituent autant d’indicateurs d’un système en dérive.
18Plus généralement, le contrôle de légalité est devenu une « passoire à géométrie variable [8] ». L’enjeu concerne non seulement les marchés publics mais plus généralement tous les actes des collectivités locales. Les chambres régionales des comptes disposent de pouvoirs, d’effectifs et de moyens de contrôle limités au regard des enjeux. Et les préfets, en charge du contrôle de légalité, sont « en position de faiblesse structurelle par rapport aux élus [9] ». Cette situation est un facteur d’insécurité juridique, propice aux dérives dans les collectivités locales.
19Le contrôle du lobbyisme est un enjeu dont le législateur peine à comprendre l’importance. Les activités de lobbyisme et de représentation d’intérêts comportent des risques évidents, d’autant plus élevés que les intérêts en cause sont puissants. Certes, les lobbyistes exerçant au Parlement doivent s’enregistrer et respecter un code de conduite. Mais le lobbyisme ne se limite pas au parlement et rien n’est prévu en dehors de cette enceinte. Au Canada en revanche, un commissariat au lobbyisme a été créé en juillet 2008. Le commissaire est un agent indépendant nommé par les deux chambres du Parlement pour un mandat de sept ans. La loi a pour objet d’assurer la transparence et l’imputabilité des activités de lobbying auprès des titulaires d’une charge publique. Le commissaire a notamment pour fonction de tenir le registre des lobbyistes qui contient des renseignements détaillés sur les lobbyistes et leurs activités. Ce registre est public et disponible en ligne. Il élabore également des programmes de sensibilisation du public aux exigences de la loi. Il effectue des examens et des enquêtes destinés à assurer l’application de la loi et du code de déontologie des lobbyistes.
Des sanctions peu effectives
20Le fait d’interdire aux élus condamnés de se re-présenter est un objectif imparfaitement atteint par les lois sur l’inéligibilité. Par ailleurs, les élus ne sont pas responsables en tant qu’ordonnateurs de dépenses publiques. Enfin, il ne saurait y avoir de sanction effective sans une justice à la hauteur des enjeux.
21S’agissant des élus corrompus, la proposition de faire de l’absence de condamnation pour des atteintes à la probité une condition pour être candidat à une élection n’a pas été retenue lors des débats de 2013 sur la loi relative à la transparence de la vie publique. Cette condition d’aptitude était comparable à celle qui est exigée des candidats à une fonction publique. Elle aurait permis d’interdire de se re-présenter à un petit nombre d’élus condamnés. Mais la loi a simplement porté de cinq à dix ans la durée de l’inéligibilité : elle ne s’appliquera qu’aux élus condamnés pour des faits postérieurs à décembre 2013.
22La Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) est chargée de sanctionner la violation des règles régissant les finances de l’État, des diverses collectivités publiques et des organismes publics et privés financés sur fonds publics. Mais les ministres et les élus sont irresponsables devant elle. Cela explique en partie la faible activité de cette juridiction. Elle a rendu en moyenne trois arrêts par an depuis sa création. Tous les amendements visant à étendre son champ de compétence ont jusqu’à aujourd’hui été repoussés.
23Surtout, la justice demeure en deçà de l’importance des enjeux.
24S’agissant de la corruption d’agents publics étrangers, les rapports de l’OCDE [10] sont critiques. Cinq condamnations ont été prononcées en ce domaine depuis l’entrée en vigueur en 1999 de la convention contre la corruption d’agents publics étrangers. Une seule personne morale a été sanctionnée à 500 000 euros d’amende, pour le versement de pots-de-vin à des fonctionnaires nigérians afin d’obtenir un marché public de 170 millions d’euros. Et même si le nombre des poursuites a augmenté, le groupe de travail de l’OCDE exprimait en 2014 encore « d’importantes préoccupations quant au caractère limité des efforts de la France pour se conformer à la Convention de l’OCDE sur la corruption d’agents publics étrangers ».
25Faute de législation efficace et d’institutions crédibles sur le plan international, la France abdique de fait sa souveraineté judiciaire à des États plus offensifs. Ainsi, il semble que les risques liés aux procédures judiciaires engagées contre Alstom aient joué un rôle important dans la décision de permettre à General Electric de racheter une partie du groupe. De plus en plus, les règles juridiques des États-Unis s’imposent aux entreprises françaises [11]. Technip a payé 338 millions de dollars, Alcatel-Lucent 137 millions de dollars.
26Et comme le constatait le rapport parlementaire sur la justice commerciale en France, « dans un contexte de “guerre économique” mondiale, les systèmes judiciaires sont utilisés comme des leviers de promotion des économies nationales et constituent des armes précieuses aux mains des États ou des organisations régionales en compétition. Sous cet angle, l’organisation française de la justice commerciale, qui est unique en Europe, peut constituer un handicap plus qu’un atout [12] ». Certes, en matière de fraude fiscale et de grande délinquance économique et financière, la loi du 6 décembre 2013 prévoit une infraction de fraude fiscale en bande organisée, l’aggravation des sanctions pour certaines infractions d’atteinte à la probité et la suppression du monopole des poursuites du parquet concernant la corruption d’agents publics à l’étranger. Mais ces progrès n’améliorent la situation qu’à la marge. De même, la création d’un parquet financier a permis d’accélérer les procédures. Mais le statut du parquet demeure le talon d’Achille de l’institution judiciaire.
27Une commission de modernisation de l’action publique proposait en 2013 un ensemble de propositions ambitieuses visant à donner de la légitimité et de la crédibilité au parquet, notamment par une réforme de son statut [13]. Parmi les plus importantes, elle proposait notamment de confier au Conseil supérieur de la magistrature de nommer les procureurs de la République. Elle demandait aussi de transférer au Conseil le pouvoir disciplinaire à l’égard des magistrats du parquet.
28Une autre proposition importante concernait le statut des officiers de police judiciaire (OPJ). Car les OPJ subissent une double tutelle : celle du ministère de l’Intérieur et celle du parquet ou du juge d’instruction qui les requiert pour les besoins d’une enquête préliminaire ou d’une instruction. Dans la mesure où l’affectation des OPJ aux besoins de l’enquête dépend d’une décision du ministère de l’Intérieur, celui-ci apparaît, de fait, comme le véritable chef de la police judiciaire. Cette situation doit être corrigée. La réforme pourrait s’inspirer de l’exemple italien où, pour chaque substitut, trois officiers de police judiciaire sont détachés auprès de la juridiction. Ces officiers ne dépendent que de l’autorité judiciaire pour leur carrière. Aucune de ces propositions n’a été traduite dans la loi. Une réforme constitutionnelle du statut du parquet, pourtant modeste, a été abandonnée en juillet 2013, eu égard à l’hostilité prévisible du législateur.
29La lutte contre la corruption doit aussi prendre en considération des facteurs qui facilitent les pratiques frauduleuses. La fraude fiscale et les mécanismes d’optimisation sont une question spécifique qui doit être prise en compte dans cette perspective.
30De même, il faut savoir que la corruption — au sens le plus large — a accompagné ou approfondi la crise économique [14]. La pratique des subprimes, à l’origine de la crise de 2008, est aussi la conséquence d’une fraude considérable au crédit hypothécaire. Les répliques européennes de cette crise ont aussi révélé fraude et corruption, que ce soit lors de l’effondrement du système islandais, de la faillite de l’Anglo-Irish Bank en Irlande, de la Bankia en Espagne ou encore de la banque Monte dei Paschi en Italie... La crise grecque trouve aussi son origine dans un maquillage sur la levée de fonds hors bilan par le biais d’instruments financiers mis au point par la banque Goldman Sachs. Et les gouvernements sont largement indifférents à des pratiques qui perdurent, riches de potentialités frauduleuses, comme le trading à haute fréquence.
31Dans ce contexte, la confiance des citoyens dans leurs institutions atteint des taux historiquement bas. Ainsi, selon le dernier Eurobaromètre sur la corruption, qui résulte d’une enquête réalisée de février à mars 2013, 51% des Français pensent que la corruption a augmenté dans les trois dernières années (56% pour les ressortissants de l’Union européenne), 68% disent qu’elle est répandue dans le pays (la moyenne européenne est de 76%), cependant que 70% répondent que les partis politiques sont corrompus (contre 59% des autres Européens). Dans l’indice de perception de la corruption publié par Transparency International en décembre 2014, la France est passée du 22e au 26e rang. Elle est au 15e rang des pays de l’Union européenne. Et le baromètre de la confiance politique du Centre d’études de la vie politique française (CEVIPOF) enregistre des taux historiquement faibles. En janvier 2015, 61% des Français considèrent encore que la démocratie ne fonctionne pas bien et seuls 14% ont confiance dans les partis politiques.
32Certes, une petite partie de la société civile se mobilise. Les associations Anticor, Sherpa, Tranparency International France sont reconnues pour leur plaidoyer et leurs actions. La Plateforme Paradis Fiscaux et Judiciaires, forte de dix-huit ONG, constitue une force de proposition. Mais les débats sur les lois qui ont suivi le scandale Cahuzac ont permis de vérifier que si des avancées sont possibles, elles ne peuvent être que modestes dans le cadre institutionnel actuel.
33 C’est pourquoi la réflexion sur la corruption de la République en appelle une autre sur l’architecture des pouvoirs et les modalités de prise de décision publique. La porosité malsaine entre intérêts économiques et politiques, révélée de façon emblématique par l’affaire Tapie, fait de la France un cas singulier. Les mécanismes classiques de la démocratie représentative fonctionnent mal. Pierre Mendès France affirmait déjà que la démocratie ne consiste pas à mettre épisodiquement un bulletin dans l’urne et à déléguer les pouvoirs puis à se taire. La démocratie est action continuelle du citoyen. Ce n’est pas un choix entre des offres : c’est un pouvoir d’agir. Encore faut-il lui donner les moyens d’agir. C’est un enjeu politique et culturel. Il nous faut aujourd’hui repenser les lieux du politique, réapprendre la votation, imaginer comment décider effectivement de notre destin commun de nation. Vivre ensemble, c’est aussi savoir parler, délibérer et décider ensemble. La liberté et la démocratie, cela signifie la participation et la responsabilité de tous.
34Nous savons, depuis Montesquieu, que par la disposition de choses, le pouvoir doit arrêter le pouvoir. Cela vaut pour la justice, dont les gouvernements successifs refusent l’indépendance. Cela vaut aussi pour la sphère financière. La crise n’est pas née de l’excès des droits sociaux, mais des abus de certains pouvoirs financiers. L’égalité devant la loi, la liberté d’expression, le droit pour les citoyens de demander compte aux agents publics de leur administration, l’égale admissibilité aux emplois publics, la séparation des pouvoirs sont inscrits dans la Déclaration des droits de l’homme de 1789. Ce sont autant d’obstacles aux abus du pouvoir. Ces principes fondent la République, comme les droits économiques et sociaux particulièrement nécessaires à notre temps proclamés par la Constitution française de 1946. Lutter contre la corruption impose de les renforcer, leur donner une effectivité pleine et concrète.
35Dans une République crépusculaire, c’est sur le fondement de ces principes qu’il appartient à chacun de nous, même modestement, de changer la donne.
Notes
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[1]
Yves Mény, La corruption de la République, Fayard, 1992.
-
[2]
Éric Alt, Irène Luc, L’esprit de corruption, Le Bord de l’eau, 2012.
-
[3]
Antoine Peillon, Corruption, Seuil, 2014.
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[4]
Rapport de phase 3, octobre 2012 ; Rapport de suivi écrit de phase 3 et recommandations, décembre 2014.
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[5]
COM (2014) 38, 3 février 2014.
-
[6]
Jean-Louis Nadal, Renouer la confiance publique, Haute autorité pour la transparence de la vie publique, 2015.
-
[7]
« Fraude fiscale : faire sauter le “verrou de Bercy” », Libération, 15 juillet 2013.
-
[8]
Rapport d’information du Sénat n°300, 25 janvier 2012.
-
[9]
Rapport du SCPC pour 2013, juillet 2014.
-
[10]
Rapport de phase 3, octobre 2012 ; Rapport de suivi écrit de phase 3 et recommandations, décembre 2014.
-
[11]
Leslie Varenne et Éric Denécé, Le dessous des cartes du rachat d’Alstom par General Electric, Centre français de recherche sur le renseignement, 2014.
-
[12]
Rapport d’information n°1006, 24 avril 2013.
-
[13]
Commission de modernisation de l’action publique, Refonder le ministère public, 2013.
-
[14]
Jean-François Gayraud, La grande fraude. Crime, subprimes et crises financières, Odile Jacob , 2011.