CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Dans les études féministes, les violences subies par les femmes sont souvent qualifiées d’« ordinaires ». Il s’agit tout d’abord de montrer que des remarques, des gestes, des regards apparemment anodins sont en fait des agressions et des rappels à l’ordre [Hanmer, 1977]. L’usage de cette notion a également un objectif politique, qu’explicitent clairement Emerson R. Dobash et Russell P. Dobash : « Si la violence est une déviance qui peut surgir n’importe où et n’importe quand et non une forme récurrente des relations sociales, alors nous n’avons pas à nous inquiéter du cours de la vie sociale ordinaire, mais seulement de ses déviations […]. Si en revanche la violence est conçue comme un ensemble d’actes intentionnels dont les fins sont profondément encastrées dans les circonstances de la vie quotidienne, cela devient une question pour nous tous, cela peut concerner n’importe qui et relève de la vie quotidienne » [Dobash et Dobash, 1998, p. 141, ma traduction]. La notion d’ordinaire permet alors de questionner la manière dont les violences s’insèrent dans les pratiques et les représentations communes des rapports de genre, et comment ces pratiques et ces représentations participent de leur occultation.

2Cet usage à la fois scientifique et stratégique laisse cependant plusieurs questions ouvertes. Du point de vue de la violence d’abord : on sait que celle-ci est non seulement un ensemble de faits mais aussi une qualification dont l’usage est un enjeu de lutte [Cardi et Pruvost, 2012]. De ce point de vue, qualifier de violence certaines expériences féminines peut relever de ce que Gayatri C. Spivak nomme une violence épistémique, consistant à dire à la place des femmes ce qui doit être considéré comme une agression ou un abus, sans tenir compte des spécificités de la situation ou de la manière dont elle est vécue par les protagonistes [Spivak, 2009]. Ces spécificités rendent également problématique la notion d’ordinaire : celle-ci suppose une expérience commune à toutes les femmes alors que ces dernières sont prises dans d’autres rapports sociaux qui expliquent les formes des violences qu’elles subissent et pèsent sur leur dénonciation [Crenshaw, 2005] [1]. On sait également que certaines cultures professionnelles, certains espaces sociaux favorisent la survenue et l’occultation des violences de genre, en particulier dans les activités qui impliquent des processus de sexuation et de sexualisation importants [Dellinger et Williams, 2002 ; Armstrong, Hamilton et Sweeney, 2006 ; Sanday, 2007 ; Matonti, 2012 ; Alvaga, 2016]. Les études sur ce sujet sont cependant peu nombreuses, sans doute parce que les violences de genre restent souvent invisibles quand elles ne sont pas directement questionnées dans l’enquête.

3Comme l’a montré Veena Das, le quotidien des victimes est finalement ce qui semble échapper à l’analyse parce que les catégories employées pour le décrire après-coup semblent manquer ce qui fait sa singularité : il s’agit alors de « descendre dans l’ordinaire » pour rendre compte d’une situation qui apparaît parfois incroyable et énigmatique d’un point de vue rétrospectif et extérieur, y compris aux yeux des victimes elles-mêmes [Das, 2007]. C’est ce que se propose de faire cet article à partir d’un cas, celui d’une étudiante de musique dont le professeur a été condamné pour atteinte sexuelle sur mineure en 2016 : comment opérer une telle « descente » et qu’est-ce que cela signifie du point de vue de l’analyse des matériaux ? Qu’entend-on alors par ordinaire ?

4Ce cas a plusieurs singularités qui expliquent son intérêt. La première est la rareté et la gravité des violences subies [2]. Celles-ci se caractérisent par leur durée, leur répétition et la diversité des formes d’atteintes subies par la victime. Son contexte, l’apprentissage professionnel d’un instrument de musique, est un second élément remarquable. Les violences ont lieu dans un monde où les rapports de travail sont fortement personnalisés, relèvent pour une part de logiques charismatiques et vocationnelles, où les coûts d’entrée sont particulièrement importants pour les femmes, où l’apprentissage précoce produit des rapports d’âge spécifiques et où les compétences féminines sont souvent naturalisées [Launay, 2008 ; Ravet, 2011]. S’ajoutent ici certains aspects de la relation pédagogique, dans laquelle les rapports hiérarchiques peuvent être érotisés, contribuant à entretenir une porosité entre apprentissage, séduction et harcèlement sexuel [Saguy, 2003 ; Delvaux, Lebrun et Pelletier, 2015]. Enfin, les entretiens réalisés avec la victime ont eu lieu au moment où la qualification de la situation n’était pas encore tout à fait stabilisée et où la décision de justice n’a pas clos le travail de l’interprétation. Assez à distance des événements pour rendre ceux-ci analysables sans pour autant en recouvrir les incertitudes, les entretiens relèvent autant d’une objectivation que d’une coopération entre sociologue et enquêtée [Weber, 2008].

5S’appuyer sur un entretien avec une seule des protagonistes de l’affaire a évidemment des inconvénients et notamment le risque de reconstruction rétrospective, le recueil d’un point de vue biaisé et partial et l’impossibilité de vérifier ce qui est dit. C’est cependant une technique souvent mobilisée dans l’analyse des violences de genre [MacKinnon, 2005 ; Das, 2007 ; Le Caisne, 2014]. Cette stratégie a pour effet d’incarner des violences dont l’existence est mise en doute. Elle a également des intérêts scientifiques. Alors que les méthodes qui agrègent un grand nombre de faits permettent d’objectiver des processus invisibles, l’analyse par cas permet un approfondissement de la description, la prise en compte des singularités qui en éclairent les aspects tout d’abord incompréhensibles. Dans des situations où la qualification des faits est un enjeu, elle permet également de tenir compte de manière fine des façons dont la victime a perçu et vécu ce qui lui arrive. Enfin, parce qu’un cas est perçu comme tel du fait de ses dimensions apparemment exceptionnelles voire aberrantes, il permet de questionner les frontières de l’ordinaire : « Il appelle une solution, c’est-à-dire l’instauration d’un cadre nouveau du raisonnement, où le sens de l’exception puisse être, sinon défini par rapport aux règles établies auxquelles il déroge, du moins mis en relation avec d’autres cas, réels ou fictifs, susceptibles de redéfinir avec lui une autre formulation de la normalité et de ses exceptions. » [Passeron et Revel, 2005, p. 10-11] [3].

Faire retour sur ce qui s’est passé

6Les discours sur la violence se caractérisent souvent par un fétichisme des faits qui fait porter l’attention sur les agressions verbales ou corporelles subies par les victimes et laisse généralement dans l’ombre la violence comme situation et comme qualification. Comme situation, la violence n’est pas un ensemble de faits mais un événement qui excède le temps et l’espace de l’agression, et dans lequel sont notamment inclus les réactions de l’entourage, les manières dont la violence et les rapports de genre sont perçus et définis par les professionnels et les groupes sociaux, leur traitement institutionnel et judiciaire [Dobash et Dobash, 1984]. En tant que qualification, la violence est une catégorie dont les usages varient indépendamment des faits, s’opèrent selon certaines règles et définissent un partage des rôles et des responsabilités. C’est cette seconde piste que nous suivrons en premier lieu, en essayant de préciser les enjeux et les conditions selon lesquels une victime fait retour sur ce qu’elle a subi et les catégories qu’elle mobilise pour le comprendre. Cependant, dans le cas ici présenté, ce retour sur ce qui a été vécu aboutit au moment de l’entretien à une incertitude sur ce qui s’est passé et sur les cadres pertinents de son interprétation : il s’agit de comprendre pourquoi.

L’enchaînement des faits

7Avant de préciser ce point, il est nécessaire de donner une première description de ce qui est arrivé. Même si celle-ci est difficilement dissociable des représentations et des contraintes d’énonciation dans lesquelles est prise celle qui témoigne, les entretiens permettent de dégager des expériences saillantes, un enchaînement et des bifurcations.

8Julie [4] est née en 1996 dans le nord de la France, dans une ville moyenne. Ses parents sont tous les deux employés de mairie, sa mère a quitté son travail après la naissance de leur troisième enfant. Julie est l’aînée de ses deux sœurs. À 10 ans, elle commence un tiers-temps musical au collège, en violon. Si elle se passionne pour la musique, sa mère, qui a elle-même été musicienne, la pousse cependant à faire une seconde générale. En première, elle décide pourtant de reprendre des études de musique, ce qui crée avec sa mère un rapport conflictuel persistant. En août 2012, elle la convainc de faire un stage d’été avec un des grands violonistes français, alors âgé de 65 ans. Il lui propose d’intégrer une école privée dans laquelle il enseigne, à Paris. Elle y entre en octobre 2012 et partage alors son temps entre la préparation du baccalauréat dans son lycée et sa formation musicale, un jour par semaine à Paris et le reste du temps dans son conservatoire de région. Avec son professeur, les cours sont souvent individuels. Ils se contactent quotidiennement par texto, elle lui raconte ses difficultés avec sa famille. Rapidement il l’appelle pour lui dire l’importance qu’elle a pour lui. Dès le deuxième cours, il lui passe la main sous son pull. Elle lui écrit qu’il a eu « un geste déplacé » et en parle à ses parents : ils menacent de la retirer de l’école, elle prend peur et n’évoque plus sa situation.

9Au troisième cours, il l’invite à prendre un café, l’emmène dans sa voiture et l’embrasse. Il lui caresse le sexe et la pénètre avec un doigt lors du quatrième cours. En novembre a lieu une convention de violon à Paris, à laquelle le professeur invite ses élèves. Le premier jour, Julie fait une crise d’angoisse, il lui prend une chambre à l’hôtel pour lui éviter le trajet du retour. Dans sa chambre, il se masturbe à ses côtés et lui éjacule sur la cuisse. Le lendemain, elle fait une crise de larmes. En décembre, elle est hébergée chez lui pour assister aux cours qu’il donne dans une autre école. Il l’emmène au restaurant et au retour, dans la voiture, lui impose une fellation avec éjaculation buccale. Jusqu’à la fin de l’année scolaire, Julie subit ce type de fait chaque semaine. Régulièrement, il lui achète de la lingerie, tenue avec laquelle elle se photographie à sa demande, parfois dans les toilettes de l’école. Il l’encourage également à lui envoyer par téléphone des récits pornographiques, ce qu’elle fait presque quotidiennement.

10En février 2013, l’accompagnateur au piano du conservatoire régional de Julie, âgé d’une cinquantaine d’années, lui fait des avances. Elle en parle à son professeur qui l’incite à les accepter. C’est son premier rapport sexuel avec pénétration vaginale. Pendant trois mois elle a chaque semaine un rapport sexuel avec lui, qu’elle enregistre avec son portable à la demande de son professeur. Ce dernier lui raconte sa sexualité avec sa femme, lui propose des rapports sexuels avec d’autres, lui demande de « trouver des filles ».

11En juin 2013, la femme du professeur découvre la situation et dénonce Julie auprès de ses parents, qui la punissent. L’été après qu’elle ait obtenu son bac, après une brève interruption, il reprend contact avec elle par texto, l’incite à nouveau à avoir des rapports sexuels avec d’autres hommes. Elle invente des scènes qu’elle lui raconte par texto. En septembre, elle déménage sur Paris, reste à l’école de musique mais change de professeur. Il l’invite, veut l’embrasser, elle refuse. Elle commence à voir une psychologue pour ses difficultés familiales. En février 2014, elle dit au professeur qu’elle ne veut plus le voir. Au printemps, elle est prise par des crises de larmes. Elle raconte son histoire à un ami musicien qui lui parle d’« abus ». En avril 2014, elle a des insomnies, des cauchemars. Elle va voir un médecin et lui raconte ce qui s’est passé. Il l’encourage à porter plainte.

12Elle porte plainte au commissariat en juillet pour « viol par personne ayant autorité » et est convoquée à la brigade de protection des mineurs quelques mois plus tard. Elle parle de ce qu’elle a vécu à son entourage plus ou moins proche et notamment à une employée de l’école de musique, qui en parle à la directrice. Le professeur est suspendu. En décembre, elle rencontre une psychologue spécialisée dans les violences sexuelles, qui a créé une association. Elle y débute des séances d’escrime thérapeutique avec d’autres victimes. Au début de l’année 2015, elle apprend qu’il y a eu d’autres cas avant elle. Le professeur la contacte en avril pour lui demander comment elle a pu porter plainte contre lui. En août, elle est convoquée une seconde fois à la brigade de protection des mineurs pour identifier les photos trouvées dans le portable du professeur.

13À la rentrée 2015, elle commence une troisième année de licence de musique dans une université parisienne et s’inscrit à un conservatoire en région parisienne. En novembre, elle est convoquée au procès et apprend que les faits ont été requalifiés : non plus un viol mais une « atteinte sexuelle sur un mineur de plus de 15 ans non émancipé par le mariage commise par une personne abusant de l’autorité de sa fonction ». Le procès a lieu en janvier 2016, à huis clos. Le professeur est condamné à 4 mois d’emprisonnement avec sursis. Julie reçoit 4 000 euros et ses parents 800 euros chacun pour préjudice moral. Julie est reconnue par le tribunal comme « consentante à cette relation, l’atteinte sexuelle reprochée ne comportant ni violence, ni contrainte, ni menace, ni surprise ».

14Ma rencontre avec Julie a eu lieu par l’intermédiaire d’un proche : au début de l’année 2016, elle raconte ce qu’elle a vécu à des amis communs, qui sachant que je travaille sur les violences lui conseille de m’en parler. Lors du premier rendez-vous, nous fixons le cadre de l’entretien : celui d’un travail sociologique, qui implique l’exploration de ce qu’elle a vécu, mais aussi d’autres aspects de sa vie. Nous réalisons finalement trois entretiens en juin 2016, d’une durée totale de huit heures.

15En juin 2017, après un master de musicologie, elle décide d’arrêter la musique et dénonce son professeur dans un texte publié sur les réseaux sociaux. Elle y écrit qu’au moment des faits, elle a pu considérer qu’il y avait « de l’amour dans tout cela », et qu’elle a pu subir ces violences grâce à un mécanisme « d’amnésie post-traumatique ». Celui-ci explique également une prise de conscience tardive de faits. Elle affirme enfin son engagement dans une association de lutte contre les violences sexuelles et sa volonté d’en faire « une cause centrale dans [s]a vie ».

Le témoignage d’une apprentie musicienne

16Dans le cas de Julie comme dans de nombreux autres, la qualification de violence intervient après les faits, dans un moment de retour sur ce qui s’est passé dans lequel ce qui a été vécu devient insupportable. La manière dont la violence est dite, les formes et les contraintes d’énonciation [Boltanski, 2011 ; Das, 2007] et ce qui suscite le discours sont alors des questions centrales.

17Le récit de Julie répond à deux injonctions : d’un côté, il prend la forme d’un témoignage, affirmée par Julie à plusieurs moments de l’entretien. Celui-ci s’insère dans la suite des prises de paroles qui émergent après les faits, dans un besoin de dire ce qui a été subi. Il s’agit également d’informer sur ce type de situation, de prévenir et d’aider des victimes potentielles. Il s’agit surtout de comprendre. Alors que je lui demande des précisions, je note pour justifier cette demande que « j’essaie de comprendre ». Elle me répond alors : « J’essaie moi-même de me comprendre, mais ce n’est pas toujours évident mais… ». Le témoignage n’est pas le simple recueil d’une expérience, il relève d’un effort pour se reconstruire et établir une permanence de soi [Pollak, 1990].

18Ce témoignage rencontre une seconde injonction, inhérente à l’entretien sociologique, celle de l’explicitation : l’entretien recueille ce que Julie estime devoir être dit, mais aussi ce que j’estime devoir lui faire préciser et qui ne lui semble pas toujours pertinent. À plusieurs reprises, elle rapproche l’entretien sociologique de l’interrogatoire policier, soulignant par-là que cette demande de précision participe du processus de qualification. Ainsi, lorsqu’elle relate sa déposition à la Brigade de protection des mineurs, elle note que les questions qui lui étaient adressées avaient pour but de « chercher s’il y avait forçage ». Elle dit n’en avoir eu conscience que progressivement : « Ça devenait clair, enfin, plus ou moins après… Oui. Si, et puis même en le racontant, enfin, pff, parce qu’après, voilà, quand on le raconte, hein [rires] ça paraît tellement évident que c’est… enfin que c’est, que c’est de sa faute quoi. »

19Si elle insiste sur cette évidence, c’est précisément qu’au moment de l’entretien ce partage des responsabilités n’est pas fixé, pour des raisons liées à la situation spécifique de Julie. En tant qu’apprentie musicienne, elle a noué avec son professeur une relation qui implique des relations affectives, que traduit le vocabulaire de la parenté mobilisé dans ce milieu pour qualifier ce lien. Julie évoque la dimension « paternelle » de la relation pédagogique, elle compare à plusieurs reprises son professeur à son grand-père, par son âge comme par son style vestimentaire.

20Pour son élève, le professeur est également un appui qui lui permettra de faire carrière, ce que Julie explicite au moins rétrospectivement : « Il était non seulement une garantie affective mais aussi une quasi garantie de ma réussite future. » La « quête d’un maître » [Wagner, 2004] suppose ainsi la subordination de l’apprentie mais aussi l’intérêt de celle-ci à sa subordination. Julie note que certains ont pu penser qu’elle avait intérêt à nouer une relation privilégiée avec son professeur. On peut faire l’hypothèse que comme dans le cas des chanteuses de jazz, devenir musicienne classique implique pour celles-ci « la gestion relativement maîtrisée de leur capacité de séduction » [Buscatto, 2008, p. 10] et que cette séduction fait partie du métier autant que les qualités d’instrumentistes. Cela suscite un soupçon de manipulation des élèves sur les professeurs, qui inverse les rapports d’autorité et de pouvoir. Ce soupçon est un des éléments qui contraint Julie à céder aux avances de son professeur : dire non à ses demandes sexuelles lui semblait impossible, parce qu’elle craignait qu’il donne « une fausse image d’[elle] aux autres violonistes de son entourage, membres des jurys » en révélant leur relation. Dans un monde où le talent est une idéologie partagée, avoir une stratégie de carrière et favoriser les relations intimes est une nécessité déniée.

21Julie a également le sentiment que certains de ses gestes font d’elle une amoureuse déçue et non une victime. Un épisode en particulier lui semble accréditer cette lecture. Elle le rapporte tardivement au cours de l’entretien, en notant que c’est un point sur lequel elle n’a pas « insisté » lors de ses auditions auprès de la gendarmerie, un épisode qu’elle « voulait oublier », mais sur lequel elle tient alors à revenir. Cet épisode a lieu quand le professeur lui raconte sa sexualité conjugale, ce qu’elle vit difficilement : « C’était insupportable pour moi. Il… juste, ça n’avait aucun sens quoi, aucun sens ! Donc, du coup, et je lui ai dit : “Voilà. Soit tu fais ça avec elle, soit tu le fais avec moi.”. » Pour elle, cette phrase peut être entendue comme un ultimatum posé par une maîtresse.

22Le procès, et en particulier l’expertise psychiatrique citée dans le jugement, est un dernier élément qui explique le flou sur le partage des responsabilités. L’expertise met en effet en avant les agressions subies par Julie mais la présente aussi comme victime et amante : « Sa plainte se comprend dans le dégoût et la honte qu’elle éprouve aujourd’hui vis-à-vis de ses propres gestes, de son plaisir dans les actes sexuels proposés. […] La procédure judiciaire semble surtout être là pour la dégager de sa faute d’avoir eu ces relations où le plaisir est au cœur de sa problématique. » Comme dans d’autres situations similaires [Le Magueresse, 2014], le jugement écarte finalement la qualification de violence.

23Le témoignage est donc possible et nécessaire parce qu’il y a une incertitude sur ce qu’a vécu Julie. De manière récurrente, elle souligne qu’elle ne se reconnaît pas dans les manières dont elle a réagi à la situation et les sentiments qu’elle a éprouvés : « Je culpabilise beaucoup de ne pas avoir réussi à le recadrer au début quand c’est arrivé et de ne pas avoir ressenti de dégoût tout le temps », note-t-elle dans le récit écrit à la demande de son avocat. Il s’agit donc de comprendre la manière dont son désir a été engagé. Cet objectif explique l’exigence morale qui guide Julie dans son récit : « être super honnête », « pas noircir le tableau », « jouer carte sur table pour au moins être sûre que ce n’était pas de ma faute ». Ce qui est en jeu dans le témoignage, au-delà de son usage judiciaire, c’est l’identité de Julie.

24Cette tension entre la violence comme situation et comme qualification rend le témoignage et donc la situation d’entretien difficile. Julie décrit péniblement ce qui lui est arrivé. Lors d’une scène particulièrement difficile, elle préfère par exemple inscrire le mot « éjaculé » sur un carnet pour ne pas le prononcer. Parce que « mettre des mots », expression qui revient souvent dans les discours sur les violences de genre, ne revient pas seulement à expliciter mais engage les manières dont la situation peut être comprise, ce qu’il était possible de vivre devient impossible à dire. Par ailleurs, la manière de dire peut toujours être soupçonnée de nier la violence. Ainsi, lorsque je lui demande, de manière maladroite, si elle avait alors « l’impression d’être forcée », elle rit de l’expression :

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Oui, non. Tu n’as pas du tout… L’impression que tu es forcée [rires]. Ah non. Enfin, si. Enfin, en fait, je ne sais pas. C’est, c’est compliqué parce que… Là, avec le recul, je peux dire… à l’époque je, je n’y pensais pas, mais là maintenant j’ai… sur ce moment-là, je n’ai pas été forcée, juste il l’a fait sans me demander mon avis.

Une éducation musicale et sentimentale

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– Mais j’y réfléchis, ce n’est pas comme si j’allais résoudre une équation de maths que j’arrivais pas à résoudre. J’y pensais tout le temps. J’essayais de résoudre le problème alors que… Enfin, voilà, il n’y avait pas grand-chose à résoudre mais…
– Pourquoi tu dis qu’il n’y avait pas grand-chose à résoudre ?
– Non, parce que les faits… Enfin, c’était fait, quoi !

27Progressivement, ce qui était vécu jusque-là comme non problématique, ou du moins vécu sans être tout à fait interrogé, devient un problème. En mobilisant l’image d’une équation dont tous les éléments sont présents et qui pourtant paraît insoluble, Julie exprime parfaitement ce point. La question est alors de saisir ce qui « était fait », les dimensions pratiques d’une situation de violence. Dans celles-ci, il ne s’agit pas de savoir si Julie était consentante, mais de la situer dans les socialisations, la culture professionnelle et l’ensemble des contraintes dans lesquelles elle est prise. Cependant, ces contraintes n’expliquent pas à elles seules le maintien des violences. Ces dernières font l’objet d’un travail de normalisation qui a pour enjeu de rendre normal, ou du moins inévitable, ce qui pourrait apparaître comme étrange ou inacceptable.

Les contraintes de la vocation

28Les violences émergent dans un contexte où la jeunesse de Julie la subordonne aux décisions des adultes, la question d’accepter ou de refuser telle ou telle chose étant souvent secondaire au regard de ce qu’elle doit faire et de ce que les adultes lui disent de faire. « Il me faisait pas mal… Enfin… Il était gentil. Du coup, moi j’acceptais de le faire parce que je pensais… Je pensais que c’était une contrainte comme une autre. » En présentant ainsi les actes du professeur, Julie les situe dans un continuum d’interactions dans lesquelles elle n’a pas ou ne pense pas avoir son mot à dire : « C’était comme ma mère qui m’aurait demandé de ranger ma chambre. Souvent les enfants, ils veulent pas. Ça les fait chier mais ils le font quand même. » Les violences étaient pour une part conçues comme un devoir dont la remise en question semble incongrue.

29Les contraintes sont également celles de l’apprentissage de la musique et d’un engagement vocationnel. Dans le cas d’enfants ou d’adolescent·e·s, la vocation ne se caractérise pas tout à fait par une mise à distance des profits économiques que lui procurerait son investissement [Freidson, 1986] ou par un engagement total [Sapiro, 2007]. Elle relève d’un goût mis à l’épreuve des faits, qui se stabilise progressivement au fur et à mesure où les compétences et la valeur de l’élève sont soutenues et renforcées par ses entourages intimes et professionnels [Sorignet, 2010]. Après un tiers-temps musical au collège, Julie intègre une seconde générale. Elle est cependant toujours inscrite au conservatoire de sa région, et c’est entre ces deux activités que son goût pour le violon s’affirme : elle veut en faire son « métier ». Plusieurs signes renforcent cette vocation : des excellents résultats aux examens, des concours réussis à l’unanimité. Lorsqu’elle annonce à sa mère qu’elle veut « faire du violon », celle-ci résiste pourtant, ne voyant pas dans la musique un avenir professionnel pour sa fille. Cela donne lieu à des scènes qualifiées par Julie, lors de l’entretien de violentes : « Elle pouvait me jeter des verres à la figure. » Contrairement à d’autres configurations, le professeur est ici le personnage-clé qui va soutenir la vocation.

30Celle-ci est l’appel d’un ailleurs, une manière de sortir de son milieu, celui d’une famille où la mère ne travaille plus, où le salaire du père doit suffire à subvenir aux besoins des trois filles, et où la culture est peu valorisée. La « montée sur Paris » fait ainsi l’objet d’un fort investissement de la part de Julie, qui la vit comme une ascension sociale. En témoigne la manière dont Julie décrit la salle de cours où ont lieu une partie des faits de violence : « Maintenant, elle me paraît beaucoup plus petite. Mais à l’époque, je me souviens quand je suis arrivée, elle était immense, elle me paraissait immense avec des dorures partout… La grande classe quoi. Toi, tu rentres là-dedans… On dirait Versailles. » Lorsque les violences se sont installées, cette opposition entre milieu familial et milieu musical fait apparaître l’intervention des parents auprès du professeur comme une transgression difficilement acceptable : « J’imaginais mal, mes parents s’en prendre à… à quelqu’un comme ça quoi. Après, je sais pas, je me suis dit : “peut-être que ça va se savoir et les gens qu’est-ce qu’ils vont penser de mes parents ?”. »

31Enfin, l’engagement vocationnel implique un certain rapport au temps déterminant dans la mise en place de la situation de violence. La vie de Julie est guidée par un projet, un rapport au futur qui lui permet d’accepter les sacrifices présents. Comme dans d’autres formations [Darmon, 2013], ce rapport au temps est d’abord celui d’une urgence qu’il faut maîtriser. Si les concours rythment sa vie cette année-là, c’est autant l’exigence de la formation que la multiplicité des activités de Julie qui créent cette urgence, celle-ci passant son bac dans le nord de la France, où elle est également élève au conservatoire de région, tout en faisant un aller-retour hebdomadaire pour suivre les cours de son professeur à Paris. Ce sentiment d’urgence est d’autant plus grand que, peu soutenue par son entourage familial, Julie est en décalage par rapport à la figure du jeune musicien précoce : ayant voulu devenir « professionnelle » en classe de seconde, sa vocation est tardive. Dans ce rythme où une activité chasse l’autre, les violences subies peuvent être vécues comme des parenthèses et s’insérer dans la trame quotidienne sans en devenir un élément saillant. Julie note par exemple qu’elle envoyait les sms pornographiques à la demande de son professeur pendant les cours du lycée, sans regarder son clavier, comme si elle écrivait en braille, dans une pratique qui relève d’une maximisation du temps et d’une mise à distance du rôle auquel le professeur l’assigne.

Les contraintes de la sexualité

32Le professeur est celui qui lui transmet un savoir et un savoir-faire, mais aussi l’instance qui a le pouvoir de certifier les capacités musicales de Julie. Il est d’abord un nom, l’auteur d’une de ses méthodes d’apprentissage. C’est aussi un violoniste internationalement reconnu, qui a enseigné dans des écoles réputées. Ce prestige n’a rien à voir avec son corps ou sa beauté : lors du stage d’été, il lui apparaît alors comme un « vieux qui essayait de faire jeune ». L’arrivée de la femme du professeur, d’une quarantaine d’années plus jeune que lui, et de leur enfant en bas âge accentue encore cette impression de vieillesse et ce manque d’attrait érotique. Comme d’autres élèves, Julie tient cet écart d’âge pour « un peu bizarre », sans cependant s’interroger plus avant. Pourtant « le mec, il est musicien quoi » : il impressionne par ses cours et un statut que Julie veut avoir. Conservatoire est un « mot magique », « quand tu es là, tu es un dieu » : le registre charismatique fait retour indépendamment des qualités corporelles du professeur, qui incarne alors l’institution qui transforme une élève en une musicienne.

33Cette dimension explique également les relations électives et affectives qui se jouent entre un professeur de musique et son élève. Julie évoque peu ses relations avec les autres étudiantes suivies par le professeur, qui apparaissent sans doute moins comme des camarades que comme des concurrentes dans un système où celles qui pourront faire de la musique leur métier sont rares. La reconnaissance du professeur ne certifie donc pas seulement de l’excellence des élèves, elles les singularisent et contribuent à les isoler. Julie note la « fierté » d’avoir une relation privilégiée avec son professeur : « J’avais l’impression enfin d’être quelqu’un de bien, d’avoir de l’importance pour quelqu’un », en particulier pour « un violoniste aussi important ».

34La sexualisation progressive de la relation opérée par le professeur peut ainsi être conçue, en particulier au début, comme le prolongement de l’apprentissage musical. Elle est également rendue possible par l’absence d’expérience et de représentations sexuelles de Julie. Les conditions féminines d’entrée dans la sexualité sont ici déterminantes : comme pour les autres filles de son âge, l’espace des possibles sexuels de Julie est plus restreint que celui des garçons [Bozon, 2008]. Il l’est sans doute plus encore que pour d’autres femmes de son âge, la sexualité n’étant jamais abordée dans sa famille ou à l’école. Le professeur peut alors investir un rôle d’initiateur. Lorsqu’à la fin du second cours, il vient s’asseoir à côté de Julie, fait basculer sa tête sur son épaule et met la main sous son pull, elle n’a « pas compris » : « C’est très bête, mais en fait je ne savais pas. » Lorsqu’il lui parle de masturbation, elle consulte un dictionnaire pour savoir de quoi il s’agit.

35Son entrée dans la sexualité est également gouvernée par la figure de la pute [Clair, 2012] qui rend l’accès à la sexualité non seulement difficile mais illégitime : l’ignorance peut être ininterrogée, voire valorisée. De manière récurrente, Julie rapporte le doute qu’elle avait à l’égard de ses propres réactions. Dans une situation que son professeur lui présente comme « ce qu’il faut faire », c’est le sentiment d’étrangeté qui est étrange : « Moi je pensais que c’était normal, enfin normal dans le sens où ma réaction à l’époque, quand je disais : “c’est bizarre”, moi je pensais que c’était normal parce que je connaissais pas. »

36Enfin la sexualisation s’insère dans un ensemble de pratiques gouvernées par des logiques de don de soi et de contre-don qui peuvent de ce fait être vécues comme des pratiques amoureuses [Bozon, 2016]. Dès le début de leur relation, le professeur suscite les confidences de Julie, notamment à propos de ses difficultés familiales ; il se confie également lui-même concernant sa relation conjugale et sexuelle avec sa femme. Les baisers et les caresses impliquent une exigence de réciprocité : ce que Julie nomme les « câlins » lui donnent « un sentiment très positif », mais « il y avait toujours une contrepartie à lui donner », ce qui suscite des demandes sexuelles de plus en plus exorbitantes. Celles-ci sont conçues par Julie comme un « boulot » qui lui permet d’être « tranquille », c’est-à-dire provisoirement libérée d’autres demandes et confirmée dans la teneur de leur relation.

37Dans cette perspective, ce n’est pas malgré mais du fait du caractère déviant aux yeux de Julie des demandes du professeur que celles-ci peuvent faire partie d’une relation amoureuse : elle avait le sentiment que « chaque fois qu’[elle] satisfai[sait] ses désirs de plus en plus tordus, il [l]’aimait davantage ». Il s’agit moins de satisfaction sexuelle (Julie insiste sur la brièveté de leurs rapports) que de dévoiler à l’autre certains aspects les plus intimes de sa vie. Ainsi lorsque le professeur lui demande d’enregistrer ses rapports sexuels avec le professeur du conservatoire de région, il s’agit sans doute d’un voyeurisme mais aussi d’être présent et partie prenante dans toutes les relations de Julie, et finalement de certifier de son pouvoir de lui faire faire ce qu’il désire. Ainsi, reconnaître une part d’amour, du moins chez Julie, dans la relation avec son professeur n’exclut pas la violence. Cela ouvre plutôt la possibilité des usages violents d’une sexualité asservie aux désirs masculins, dans laquelle le don de soi prime sur le sentiment d’anormalité.

La normalisation de la violence

38Les traits spécifiques de l’apprentissage musical permettent de comprendre comment une situation de violence sexuelle émerge, moins comment elle se maintient. Pour cela, les individus et les groupes impliqués mettent en œuvre un travail de normalisation qui consiste à passer sous silence ou fermer les yeux sur les actes qui pourraient être dénoncés [Scheper-Hugues, 1992]. Un des traits frappant du cas de Julie, comme dans d’autres cas de violences sexuelles [Le Caisne, 2014], est en effet que certains aspects de la situation sont plus ou moins connus par un certain nombre de personnes.

39Après les premières avances du professeur, Julie dit à une camarade de classe qu’elle pense que son professeur veut « sortir avec » elle. Dès le début des cours sur Paris, son père trouve les nombreux échanges de textos « louches ». Après les premiers attouchements, elle en parle à ses parents, lors d’un repas dominical, où ses grands-parents sont également présents : elle ne nomme pas les faits, mais « fait des mimiques ».

40

Bon, ils ont compris hein, tu vois, je pense, un minimum. Et du coup, mes parents, ils ont dit : “On va débarquer à Paris, on va aller le voir… On va te ramener à la maison et tu iras plus à l’école de musique…” Et moi, j’ai paniqué… J’ai paniqué. Et je me suis dit : “Mais punaise, s’ils font ça, moi je suis foutue. Je ne veux pas revenir à la maison.” […] Moi j’étais dans cette dynamique où même si c’était bizarre lui, le prof en soi, je l’aimais bien quoi. Donc… voilà, et ça aurait été de revenir à la maison, de plus avoir cours avec et ben voilà. C’était quand même pas n’importe qui. C’était quand même une chance d’être là-bas. Donc, du coup, ben, j’ai dit à mes parents… “Je vais m’en occuper [rires]. Je vais me débrouiller.”

41Le caractère suspect de la situation n’engage pas le travail qui permettrait de qualifier la situation d’anormale ou d’y mettre fin : avertis, les parents ne reviennent pas sur cette déclaration. On peut se demander si la difficulté ne provient pas du fait de voir leur fille comme un objet de désir. Lorsque la conjointe du professeur apprend à ses parents ce qui s’est passé, Julie est punie et son père l’accuse d’être une « pute » qui déshonore la famille. Pour Julie, ce qui est en jeu c’est la pratique d’un métier sans lequel sa vie n’a pas de sens mais aussi, alors que les violences s’aggravent, le maintien d’une réputation dont la perte est perçue comme une mort sociale : selon son propre terme, sa « survie ».

42De son côté, son professeur se comporte comme s’il s’agissait d’une relation comme une autre. Ainsi, lorsqu’il l’embrasse dans un café, alors que Julie est choquée par ce geste, « lui il continuait là, il marchait genre, de rien, comme si c’était hyper normal quoi, c’était banal, tu vois. Et après, il te reparle de sa vie, des élèves, du violon comme un prof lambda ». De la même manière, après l’avoir emmenée entre deux cours dans sa voiture pour lui caresser le sexe, il reprend ses cours après, « normal ». Il peut également utiliser la menace, en particulier sur l’avenir de Julie. Ainsi, au bout de quelques semaines, il lui demande d’effacer les textos qu’il lui envoie : « Ni toi ni moi n’avons envie que tu quittes l’école de musique. »

43En insistant sur la nécessité de survivre ou se « débrouiller », Julie fait preuve d’une capacité d’agir dépendante des possibles qui s’offrent à elle et guidée par le désir d’être musicienne. C’est un élément pour comprendre comment, tout en subissant la situation, elle a cependant déployé une activité qu’elle se reproche au moment de l’entretien. La survie implique tout d’abord de faire passer pour ordinaire aux yeux des autres ce qui est trop suspect. Lorsqu’une de ses camarades de classes juge ses échanges quotidiens avec son professeur « pas normal », Julie change le nom de son professeur dans son répertoire et supprime systématiquement leurs échanges. Elle évite également d’envoyer des messages devant sa famille. Lorsque les demandes lui semblent exorbitantes, elle se les présente comme des « petits dérapages » et s’en extrait parfois en faisant ce qu’elle appelle des « compromis ». Par exemple, la première fois où il lui demande d’enlever son pull, elle décide de garder son soutien-gorge. Lorsqu’il lui demande de filmer ses rapports sexuels avec son accompagnateur, à l’insu de ce dernier, elle se contente d’un enregistrement sonore.

44Surtout, dès le début des faits, Julie décide de « faire comme s’il s’est rien passé », de « faire comme si [elle] avai[t] pas vu », de « faire avec », expressions répétées plusieurs fois au cours de l’entretien. Cette manière d’être « séparée de ce qu’elle accomplit » [Mathieu, 1991, p. 175] relève moins de l’aveuglement que de la dénégation, la situation étant à la fois reconnue et niée, vécue sans être interrogée : « Je me soucie même plus de ce que je pense : je le fais, et c’est tout ». Cet investissement dans la pratique prend des formes concrètes, comme le fait de se constituer en spectatrice extérieure au moment des rapports sexuels avec son professeur. Ce processus s’affirme parallèlement à la gradation des violences et permet à Julie de maintenir jusqu’à un certain point des objectifs devenus contradictoires : devenir musicienne et arrêter de subir des violences.

45Ce travail de normalisation conduit finalement Julie à prévenir les désirs du professeur et envoie les messages et les photos avant qu’il ne lui demande : « Et ça, la police, elle me l’a reproché. Elle a dit : “Ouais, là, il vous a rien demandé”. J’ai dit : “Ouais, effectivement”. Mais bon… Enfin, il y avait plus besoin qu’il me demande, puisque c’était quotidien. Enfin, ça faisait partie du truc. Ça faisait partie de ma vie. » Les demandes de plus en plus pressantes du professeur, comme celle de trouver des partenaires chez les camarades de Julie, font cependant naître un sentiment d’anormalité. Elle se dit alors que « personne va vouloir faire ça » :

46

Et pourtant moi, je l’ai accepté [rires]. Enfin, c’est ça aussi qui, qui m’a fait… Tu vois, j’avais quand même des phrases… Enfin ça montrait quand même que je savais que les filles de mon âge feraient pas ça parce que c’était pas normal, tu vois. Donc là, tu vois, ce genre de réaction, je commençais à me dire : “Merde, il y a un truc qui va pas quoi !”.

47À partir d’un certain niveau de violence, fermer les yeux, réintégrer les faits dans le cours quotidien des choses devient impossible, en particulier quand ce n’est pas le sentiment d’être singulière aux yeux du professeur qui prévaut, et quand l’idée de ce qu’une élève doit faire s’efface pour laisser place à l’évidence de ce que d’autres ne feraient pas.

Les opérateurs de réflexivité et le vacillement de l’ordinaire

48La réflexivité qui émerge progressivement chez Julie permet de distinguer deux rapports à la réalité. Au terme de la situation de violence, un premier mouvement vise à déterminer en quoi consiste une relation ordinaire dans un contexte donné, ce qui permet de qualifier certaines situations d’anormales : ce qui s’est passé est jugé au regard de modèles ou de types qui guident le jugement – ce qu’a fait ce professeur n’est pas ce que doit faire un professeur. Progressivement cependant ce qui s’est passé devient énigmatique et la réalité, au sens d’un agencement stable sur lequel les individus peuvent se reposer, d’un enchaînement ordonné d’actions qui justifie la prévision [Boltanski, 2009, p. 93-94], vacille. C’est alors non seulement ce qui s’est passé, mais les modèles qui deviennent douteux.

49L’émergence de la réflexivité n’est pas tout à fait l’effet d’une maturation intérieure lors de laquelle Julie prendrait conscience d’être victime, mais plutôt des points de vue extérieurs incarnés par des personnes ou des institutions qui vont l’inciter à qualifier ce qu’elle a vécu en mobilisant de nouvelles catégories, et qui fonctionnent ainsi comme des opérateurs de réflexivité. Leur action ne porte que s’ils ont un statut qui donne du poids à ce qu’ils disent, incarnent d’abord un point de vue privilégié ou une institution. Il s’agit également de femmes engagées dans la lutte contre les violences sexuelles.

50Près d’un an après les faits, un musicien d’une quarantaine d’années qui connaît le professeur « commence à lui ouvrir les yeux » et lui parle d’« abus », qualification qu’elle refuse tout d’abord : « Tout ce que je savais, c’est que c’était bizarre. Et lui, il a commencé à mettre un mot dessus. » Les recherches de Julie sur internet confirment son intuition : « J’ai cru me reconnaître », « J’ai commencé à me dire que oui, c’était possible que ce soit ça. » À partir de ce moment, elle fait des cauchemars dans lesquels elle revit les scènes avec le professeur, et qui se concluent par des vomissements. Elle en parle à un médecin qui se trouve être spécialiste des violences sexuelles et qui lui dit qu’elle a été victime d’une « agression ». Elle en fait part également à la psychologue qu’elle a commencé à consulter à l’automne 2013, mais à qui elle parlait jusque-là uniquement de ses relations familiales. En avril 2014, elle se rend aux consultations gratuites du Barreau de Paris pour consulter une avocate : « Elle m’a dit : “Mais mademoiselle, ça c’est un viol !” Elle a mis le mot dessus, et je me suis mise à pleurer. »

51Au moment du retour sur les faits, les individus font usage de catégories juridiques ou psychologiques qui ont pour effet de mettre en équivalence la situation avec d’autres et d’agréger des éléments qui n’étaient pas jusque-là mis en rapport : d’autres élèves, des deux sexes, font état d’histoires similaires antérieures dans lesquelles le professeur était impliqué et tracent ainsi un profil ; les affects de Julie, et notamment la honte, la culpabilité et la peur sont présentés comme des indices de son traumatisme. Ces catégories impliquent un changement de cadre : de celui du travail artistique, dans lequel les faits pouvaient être perçus comme ordinaires ou ne devant pas nécessairement être relevés, à celui du droit, dans lequel il s’agit de constituer certains faits en preuves. L’abus, le viol sont alors les types qui fixent le cadre d’interprétation de ce qui s’est passé.

52Au fur et à mesure de la procédure, ce passage n’est cependant pas achevé, les conventions du travail artistique, mais aussi celles de l’amour, pesant sur la qualification des faits. Julie souligne elle-même une « ambiguïté » : « Pourquoi moi, j’avais fait le choix d’accepter ces trucs-là ? Parce que pour moi c’était ça en fait, j’avais pas consenti, mais j’avais accepté. » Les conditions de possibilité matérielles et symboliques du consentement ne sont pas réunies pour que la catégorie soit pertinente [Mathieu, 1991]. Surtout, la situation de violence garde les caractéristiques de l’ordinaire, alors que les relations quotidiennes qui succèdent à la situation de violence sont au contraire difficiles à vivre. Une anecdote rapportée par Julie illustre le premier point. Lorsqu’elle commence à mettre en question leur relation, le professeur lui donne son téléphone portable pour qu’elle se photographie nue. Elle se saisit de l’occasion pour y faire des recherches et ne trouve pourtant rien qui le distinguerait d’un autre homme :

53

Ça m’a un peu fait chier en fait. Je m’attendais à ce qu’on voit un truc qui me prouve que… À ce moment-là au fond je savais qu’il y avait un truc qui allait pas. Tu vois ? Je savais qu’il y avait un truc et je pensais toujours que j’allais trouver quelque chose qui me ramène à la raison, qui me ramène et qui me dise : effectivement, il est pas normal. Je sais pas, d’autres filles ou… enfin, n’importe quoi, un propos qui me paraîtrait complètement aberrant ou je sais pas. Et non, ou même quand je lisais les conversations de sa femme, c’était… mais tellement banal.

54Cette attente déçue de l’anormal est liée à une représentation de la violence comme rupture avec le cours des choses ; elle est également le produit de la normalisation de la violence.

55Par ailleurs, Julie rapporte dans l’entretien sa difficulté à vivre ses relations conjugales et sexuelles ultérieures, et en particulier un rapport coupable à ses désirs, des crises d’angoisse et de larmes pendant l’acte sexuel et un sentiment de souillure après celui-ci. Plus précisément, la frontière entre les violences sexuelles subies et la sexualité actuelle se brouille : Julie parle de la non-maîtrise de ses « pulsions » et se compare explicitement au professeur sur ce point ; lorsqu’elle ressent du plaisir sexuel avec d’autres, elle note que c’est « pire que d’être agressée ». Elle souhaite un amour sans désir et fait finalement preuve d’une grande réserve vis-à-vis de ses relations avec les hommes. Cette expérience est souvent interprétée comme l’impact traumatique des agressions qui aurait défait un rapport « normal » à la sexualité [Hacking, 1998]. On peut également l’interpréter comme une mise en question de la sexualité féminine ordinaire et de son imbrication dans les rapports de genre. Après la traversée des violences, ce n’est pas seulement ce qui a été subi qui devient anormal, ce sont les relations quotidiennes qui deviennent difficiles à vivre parce que c’est dans celles-ci que les violences ont pu survenir et se maintenir.

56* * *

57La tension entre la situation et la qualification de violence explique la difficulté à qualifier une violence d’ordinaire. En supposant que les situations de violences sont vécues comme telles par celles qui les subissent, l’expression superpose deux registres de l’expérience, alors que les catégories pertinentes dans un registre ne le sont pas dans l’autre ; elle ne rend pas compte des incertitudes souvent inhérentes à ces situations. En affirmant que ce qui est socialement conçu comme extraordinaire fait partie de la vie de nombreuses femmes, l’expression laisse également dans l’ombre les périmètres plus ou moins variables des expériences féminines, et en particulier en ce qui concerne les violences sexuelles, la place que la sexualité, l’amour ou la séduction peuvent avoir dans certains mondes du travail, et plus généralement les aspirations et les investissements socialement situés des victimes.

58Le maintien dans la situation de violence comme sa qualification implique un travail dont les conditions et les ressources sont variables. Dans le premier cas, ce travail a pour objectif d’insérer des faits qui peuvent être confusément perçus comme anormaux ou suspects dans le cours quotidien des choses : de ce point de vue, l’ordinaire est le résultat d’un processus et non le sol commun que la violence viendrait ébranler. Dans le second cas, la constitution de Julie en victime montre que ce processus relève moins d’une prise de conscience que de la mobilisation d’outils et de catégories fournis par d’autres qui lui permettent de remettre en question ce qui est présenté par d’autres comme ordinaire, que ce soit les faits qu’elle a subis ou la conjugalité et la sexualité en général. La réflexivité contribue ainsi à disséminer l’incertitude, la traversée des violences agissant si ce n’est comme un révélateur des rapports de pouvoir, du moins comme une remise en question des catégories de l’expérience quotidienne.

Notes

  • [1]
    C’est plus généralement un problème que pose l’usage de la notion d’ordinaire en sociologie [Paperman, 2006].
  • [2]
    Dans une des dernières enquêtes sur les violences de genre, environ 4,5% des femmes déclarent avoir subi ce type de fait au cours de leur vie [Debauche et al., 2017].
  • [3]
    Cet article s’appuie sur trois entretiens d’une durée totale de huit heures réalisés avec la victime, complétés par plusieurs discussions informelles portant aussi bien sur la situation que sur son analyse. Au cours de ces échanges, j’ai pu recueillir le procès-verbal du jugement et différents textes écrits par la victime au cours de l’affaire. Les retranscriptions respectent la dimension orale des échanges. Cette recherche a eu lieu dans le cadre de l’enquête Virage, Violences et rapports de genre (Ined, 2015) dont un des enjeux est d’analyser le contexte de survenue de ces violences. Je remercie la victime, sans la disponibilité et la confiance de laquelle ce travail aurait été impossible.
  • [4]
    Le prénom a été changé et certains éléments de l’affaire modifiés ou passés sous silence par souci d’anonymat.
Français

L’ordinaire est un thème souvent mobilisé dans les études sur les violences de genre. À partir d’un cas d’atteinte sexuelle sur mineure, cet article a pour objectif d’en préciser les enjeux. Il montre en premier lieu que la notion d’ordinaire, qui signifie souvent ce qui est commun à toutes les femmes, gagne à voir son périmètre précisé : dans le cas analysé, le travail artistique, sa dimension vocationnelle, la personnalisation des relations entre professeur et étudiante, les coûts d’entrée dans le métier pour les femmes sont des éléments déterminants. Dans les études féministes, l’ordinaire désigne également les faits de violence qui caractérisent la vie quotidienne des femmes. En distinguant faits, situation et qualification, l’article montre que la qualification de violence implique un sentiment d’anormalité et une réflexivité largement absents dans les situations de violence de genre. Ce hiatus explique l’incertitude souvent inhérente à la qualification de violence et le caractère rétrospectivement énigmatique des situations de violence. L’ordinaire de la violence désigne ainsi moins une évidence occultée qu’un registre de l’expérience où les abus et les agressions sont intégrés dans le cours des choses et normalisés par les protagonistes.

中文

暴力的平常性。艺术圈内一起性侵未成年人的个案研究

在有关性别暴力的研究中,平常性是一个经常被运用的主题。从一起未成年性侵案出发,本文将具体分析其中利害关系。首先,本文指出平常性这一概念常常用于说明女性的共通点, 这极大地反映了它显著特征 : 在本文案例中,艺术工作以及其职业特征,老师和女学生之间的私人化关系,女性进入职场的代价等都是决定性的元素。在女权主义研究中,平常性也指代女性生活日常中被特征化的暴力行为。本文将事实、情境和合格区别分析, 指出暴力的合格化暗示了一个非正常化的情感, 以及在性别暴力中的反思缺失。这一断裂解释了不确定性常常是暴力合格化的衍生,而这一特征又反过来引起暴力情况。暴力的平常性因此代替了一种隐蔽特征,使得骚扰和侵犯经历被亲身者变成了一个正常过程。

Deutsch

Die Banalisierung von Gewalt. Ein Fall von sexuellem Missbrauch einer Minderjährigen im Künstlermilieu

Die Banalisierung ist ein häufiges Thema von Studien von geschlechtlicher Gewalt. Anhand der Analyse eines Falles von sexuellem Missbrauch einer Minderjährigen behandelt dieser Artikel die Fragen und Hintergründe dieses Vorfalls. Es wird in erster Hinsicht aufgezeigt dass das Konzept vom Alltäglichen oder vom Banalisierten oft das bezeichnet was alle Frauen gemeinsam haben und es ergo notwendig wird herauszustellen was spezifisch an der analysierten Situation ist. Im untersuchten Fall – der künstlerischen Arbeit – wird deutlich dass die Dimension der Berufung, sowie die Personalisierung der Beziehung zwischen Professor und Studentin dazu führt dass der Preis den die Frauen zahlen um zu diesem Beruf Zugang zu bekommen, sehr hoch ist, und somit determinierend wird. Feministischen Studien haben unter Anderem gezeigt, dass die Banalisierung von Gewaltsituationen im Alltagsleben von Frauen häufig ist, und zu ihrer Verbreitung beiträgt. Die genaue Untersuchung der Fakten, Situationen und ihrer Qualifizierung zeigt dass die Identifizierung von Gewalt voraussetzt dass diese als nicht normal angesehen wird, was eine Reflexivität voraussetzt welche in den Fällen von geschlechtlicher Gewalt im Allgemeinen nicht vorhanden ist. Dieser Hiatus kann die häufigen Zweifel über den Bestand, oder die Abwesenheit, von Gewalt erklären, was nachträglich Gewaltsituationen oft als nebulös erscheinen lässt. Die Banalisierung, oder die Alltäglichkeit von Gewalt beschreibt somit weniger das Verbergen eines Gewalttatbestandes als ein Erfahrungsregister das Aggressionen und Missbrauch als Teil der Normalität der Akteure wahrnimmt.

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O ordinário da violência. Um caso de estupro contra menor no meio artístico

O ordinário é um tema frequentemente mobilizado nos estudos sobre violência de gênero. A partir de um caso de estupro contra menor, este artigo tem como objetivo especificar o que esta em jogo. Ele mostra primeiramente que a noção de ordinário, que significa frequentemente o que é comum a todas as mulheres, ganha um perímetro específico: no caso analisado do trabalho artístico, com sua dimensão vocacional, a personalização das relações entre professor e estudante e os custos para entrar na profissão para as mulheres são elementos determinantes.
Nos estudos feministas, o ordinário designa igualmente os casos de violência que caracterizam a vida cotidiana das mulheres. Distinguindo fatos, situação e qualificação, o artigo mostra que a qualificação da violência implica um sentimento de anormalidade e uma reflexividade amplamente ausentes nas situações de violência de gênero. Este hiato explica a incerteza frequentemente inerente à qualificação de violência e o caráter retrospectivamente enigmático das situações de violência. O ordinário da violência designa assim menos uma evidência ocultada que um registro da experiência no qual os abusos e as agressões são integrados no curso da vida e normalizados pelos protagonistas.

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Mathieu Trachman
Mathieu Trachman est sociologue, chargé de recherche à l’Institut national d’études démographiques, chercheur associé à l’Iris/Ehess. Il est membre de l’équipe de l’enquête Virage – Violence et rapports de genre. Ses recherches portent sur la sexualité (trajectoires sexuelles, homosexualités, sexualités minoritaires) et les violences de genre. Il a publié (avec Laure Bereni), Le genre, théories et controverses, Paris, Presses universitaires de France, 2014 ; « Une “planque pour mater des culs” ? Sexualisation et désexualisation dans une enquête sur la pornographie », Terrains & travaux, n° 23, p. 197-215, 2013 ; Le travail pornographique. Enquête sur la production de fantasmes, Paris, La Découverte, 2013.
Adresse postale institutionnelle : Ined – 133 bd Davout – 75020 Paris
Mis en ligne sur Cairn.info le 31/10/2018
https://doi.org/10.3917/tgs.040.0131
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