1Ce nouvel atlas, proposé par les éditions Autrement, offre un panorama international de la situation des femmes, avec pour fil directeur « Les paradoxes de l’émancipation » ainsi que l’annonce son sous-titre. Les auteur·e·s respectent un format contraint : deux pages pour chaque sujet traité, et un équilibre entre textes d’une part, figures et graphiques d’autre part. Pour répondre à l’ambition « mondiale » de l’ouvrage, on retrouve des données « classiques » disponibles dans les publications des grands organismes, pnud, ocde, annuaires démographiques, et ici traduites en planisphères : évolutions de l’espérance de vie selon le sexe, âges moyens d’entrée en union et écarts d’âge au mariage, taux de scolarisation des filles, pratique de la contraception, part des femmes dans la population active, etc., mais l’originalité de cet atlas est de proposer également bien d’autres sujets nouveaux, peu ou mal connus, toujours étayés sur des données d’enquêtes, présentés dans des textes concis et illustrés par des « visuels » très parlants. Cinq parties structurent l’ouvrage : Disposer de son corps, Sphère privée, Socialisation et stéréotypes, Travail et (in)dépendance économique, La lutte contre les inégalités.
2« Disposer de son corps » traite des questions de santé, de survie et de reproduction, des inégalités entre hommes et femmes en ces domaines et en particulier des risques spécifiques que courent les femmes tout au long de leur vie : surmortalité des petites filles dans certaines régions, mortalité maternelle, droits contestés à l’avortement, accès aux droits à la maîtrise de la fécondité, espérance de vie, certes plus favorable pour les femmes, etc., mais avec une plus longue période de mauvaise santé. Et, finalement, trois thèmes illustrent dramatiquement des situations de « non-disposition » par les femmes de leur corps : les violences sexuelles, la pratique de l’excision et les « fémicides », ces crimes à l’encontre des femmes parce qu’elles sont femmes (pp. 22-29).
3Vient ensuite une partie consacrée à la « sphère privée » qui traite de la vie en union et de la vie sexuelle tout au long de la vie. Si on s’intéresse classiquement à l’entrée dans la vie sexuelle et à sa formalisation dans les unions, facteurs essentiels de la fécondité, ce n’est que récemment que l’on s’est penché sur la vie sexuelle à tous les âges (Michel Bozon, pp. 40-41). Pour les deux sexes, l’activité sexuelle des plus de 50 ans a augmenté depuis 1970, mais on est encore loin d’une égalité des pratiques, les hommes ayant une activité sexuelle plus fréquente après 50 ans. Après 75 ans, les femmes sont plus souvent confrontées au veuvage ou au divorce et plus souvent seules que les hommes. Un thème est consacré à l’homosexualité féminine, désormais mieux « reconnue », là où existent des législations égalitaires, mais demeurant dans bien des sociétés « invisible » (Wilfried Rault, p. 34). Autre thème mal connu, sauf dans les pays du Nord, celui de la transmission du nom de famille est ici documenté avec des résultats concernant les pays de l’ocde (Virginie Descoutures, pp. 38-39).
4La partie intitulée « socialisation et stéréotypes » est la plus originale de l’ouvrage parce qu’elle aborde, grâce aux nombreuses recherches qui se sont développées dans les vingt dernières années, la construction des inégalités dans des systèmes de genre. Tout commence par la scolarisation, à l’évidence, et l’on sait que les filles, lorsqu’elles ont la chance d’accéder à des études longues, réussissent mieux que les garçons. Mais les inégalités d’accès à l’éducation restent criantes dans de nombreux pays, et avant tout les inégalités sexuées, même si des efforts importants ont marqué les vingt dernières années. En 2000, sur 170 millions de jeunes analphabètes de 15 à 25 ans, 62 % étaient des filles. À succès égal dans les études secondaires et supérieures, filles et garçons ont de fortes divergences d’orientation et de réussite. Les filles sont moins enclines à s’orienter vers les disciplines scientifiques (Laure Mauguerou et Carole Brugeilles, pp. 46-49) et plus souvent freinées dans leur évolution de carrière.
5Les recherches des féministes ont conduit à explorer de nouveaux domaines des stéréotypes liés au genre, notamment dans tout ce qui concerne la culture. On a ici de bons exemples, certains se limitant à la France (pour le cinéma, les sports, les normes de minceur, pp. 54-59) mais d’autres permettant des comparaisons entre pays de l’ocde, par exemple. Deux chapitres sont particulièrement intéressants : Sylvie Octobre (p. 51) traite des pratiques culturelles des femmes, les mères étant qualifiées de « puissants agents de transmission » ; plus qualifiées, plus conscientes des inégalités à combattre, on peut penser qu’elles vont être, au fil des générations à venir, les vecteurs de rapports de genre plus égalitaires entre les sexes. Isabelle Attané (p. 52) traite des femmes et de l’info. Une carte mondiale illustrant la diffusion des stéréotypes sexués démontre qu’ils sont diffusés à peu près aussi souvent par les femmes reporters que par leurs homologues masculins. Quant au choix des personnes qu’on interroge sur des sujets d’actualité, il est frappant d’apprendre que l’on interroge plus d’hommes que de femmes, même sur le contrôle des naissances, les codes de la famille et les lois sur l’héritage, la mode et les cosmétiques ! Sur tous les sujets, sauf ceux qui traitent des relations familiales et de la participation des femmes à l’activité économique, ce sont les hommes qui sont majoritairement interviewés.
6On retrouvera dans la section suivante, traitant du travail et de l’indépendance économique, des questions cruciales : accès à l’emploi, problématique de l’articulation entre vie familiale et vie professionnelle (p. 65, Ariane Pailhé), schéma très éclairant (Carole Bonnet, p. 66) sur ce que représenterait le travail domestique s’il était « compté » en termes de valeur monétaire. La question des inégalités de salaires est « prolongée » par celle des inégalités de retraites. Sujet moins évoqué dans les pays du Nord, mais très présent dans les travaux sur les pays du Sud, la question du droit à l’héritage et à la propriété est opportunément traitée ici, puisque, sur cent vingt et un pays (hors union européenne et hors ocde), quatre-vingt-six avaient en 2012 des pratiques et lois successorales discriminatoires envers les femmes (Isabelle Attané, p. 68). Enfin sont évoqués les taux comparés de pauvreté des hommes et des femmes. Citons un résultat frappant. D’après Quazi Ahmad (2013, cité p. 71) la proportion de la population du Bangladesh vivant au-dessous du seuil de pauvreté est passée de deux tiers à un tiers entre 1980 et 2010. Cette réussite extraordinaire est due essentiellement à la participation des femmes à l’activité économique.
7Enfin, une partie conclusive aborde « la lutte contre les inégalités ». On y retrouve une description synthétique du difficile chemin parcouru, essentiellement grâce aux combats des féministes (Christine Verschuur, p. 76), de personnalités éminentes, puis de mouvements pour les droits des femmes. Ceux-ci ont su s’emparer des tribunes des instances internationales, on le voit par l’adoption des conventions internationales sous l’égide des Nations-Unies (Arlette Gautier, pp. 78-79), mais aussi, pays après pays, par la généralisation du suffrage féminin (Christine Théré, pp. 80-81). Les combats sont loin d’être terminés, on le sait, dans de nombreux pays, des phénomènes de « backlash » sont à l’œuvre. Deux bastions emblématiques restent à conquérir, celui des droits du mariage où les progrès sont réels mais différenciés selon les régions, et celui du pouvoir politique où le « plafond de verre » est particulièrement présent pour les femmes qui voudraient participer à la vie de la Cité. Un dernier thème est abordé par Jacques Véron (pp. 86-87), celui de la mesure des inégalités dues au genre, sujet qui a fait l’objet de nombreux essais d’indicateurs, en particulier sous l’impulsion du Programme des Nations unies pour le développement (pnud). Le dernier en date, l’Indicateur des inégalités de genre (iig) synthétise 5 indicateurs illustrant le marché de l’emploi, la capacité d’autonomisation et la santé de la reproduction (p. 86). Comme tout indicateur composite il est sujet à critiques mais permet des comparaisons entre pays et régions.
8Cet atlas, sous une forme aisément consultable, offre une mine de données récentes à la fois sur des sujets incontournables de la situation des femmes et sur des sujets plus mal connus de l’évolution des rapports de sexe. Il faut souligner l’élégance de la rédaction des textes et la qualité des cartes et graphiques. Cela ne dispense pas d’un effort de lecture car illustrations et textes sont denses et, en fonction des données disponibles, confrontent plusieurs approches : comparaisons spatiales, temporelles, comparaisons selon le sexe, l’âge, parfois l’instruction, etc. La problématique annoncée dans l’introduction, celle d’« avancées paradoxales », est bien un fil rouge de cet atlas. Chaque thème y renvoie explicitement.
9La présentation d’enquêtes récentes donne à voir l’efficacité de l’analyse statistique des idées reçues, stéréotypes et nouveaux comportements. Une incitation, d’une part, à approfondir des analyses de données existantes en termes de genre, d’autre part, à concevoir de nouveaux programmes d’enquêtes sur les sujets, toujours à revisiter, des progrès vers l’égalité entre hommes et femmes, et des résistances que les sociétés y opposent.