CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1En juin 2000, les corps de 58 migrants chinois sont découverts asphyxiés au fond du container d’un camion à Douvres. À la fin de l’année 2002, à Paris, une femme chinoise, visiblement terrorisée, vêtements déchirés, et présentant des traces de coups est retrouvée sur une terrasse au cinquième étage d’un immeuble, fuyant l’appartement où elle travaillait au noir comme nourrice à domicile. Le 5 février 2004, 23 travailleurs chinois se noient alors qu’ils récoltaient des coques sur la côte du Lancashire pour une rémunération dérisoire, compte tenu de la dangerosité de leur travail, de 2 livres par heure.

2Régulièrement les médias se font l’écho d’affaires dramatiques concernant les immigrés chinois. Au-delà de ces cas extrêmes et de l’imaginaire qu’ils peuvent alimenter, il semble important de revenir sur la réalité des conditions d’immigration chinoise et sur les formes d’exploitation dont est victime cette main-d’œuvre en Europe.

3Une des plus importantes concentrations de migrants chinois en Europe est localisée en France et plus particulièrement en région parisienne [1]. La présence des Chinois en France est ancienne, elle date d’un siècle au moins. Pour autant, elle est loin d’être uniforme. D’un point de vue historique, on distingue trois grandes vagues d’immigration, ce qui rend l’immigration chinoise particulièrement hétérogène.

4Le courant le plus ancien est composé de commerçants originaires de la région de Wenzhou, située dans la province méridionale du Zhejiang, venus en Europe dans les années 1930. Longtemps tari, le flux des arrivées a repris depuis les réformes entamées en Chine à partir de 1978 et a connu un pic dans les années 1990. Cette immigration rurale se caractérise par une chaîne familiale et entrepreunariale.

5La deuxième vague migratoire a été organisée par le gouvernement français dans les années 1980. Près de 250 000 réfugiés du Sud-est asiatique venant du Vietnam, du Laos ou du Cambodge, dont plus de la moitié a des ancêtres originaires de Chine, ont été accueillis sur le territoire français.

6La dernière vague migratoire enfin, date de la fin des années 1990, et est composée de citadins originaires du Nord de la Chine, et en particulier l’Ex-Mandchourie (Dongbei), zone sans tradition migratoire jusqu’alors. Elle coïncide avec la crise économique qui frappe la région et qui se caractérise par la fermeture des grandes usines publiques occasionnée par le retrait de l’État dans le secteur de l’industrie lourde.

7Notre article portera sur les migrants originaires de Chine (RPC) – les Dongbei et les Zhejiang – arrivés ces dernières années en France. Si leurs origines géographiques et socioculturelles diffèrent, ils partagent dans le pays d’accueil des points communs et en particulier des conditions de vie et de travail extrêmement pénibles. Plusieurs facteurs se conjuguent pour aggraver la précarité de leur situation : isolement, absence de papiers, non-reconnaissance des qualifications acquises en Chine, surendettement lié à leur arrivée illégale sur le territoire, etc. Ces travailleurs disposent en France de ressources limitées, ne connaissent ni le système institutionnel français, ni la langue. Ils se retrouvent pour la plupart confinés au sein de leur espace communautaire. Ce contexte de migration – l’illégalité – va jouer un rôle déterminant dans les conditions de vie et de travail en France.

8Sachant que les populations migrantes, surtout lorsqu’elles sont clandestines, sont des cibles privilégiées pour toutes sortes d’exactions, le Bureau International du Travail (bit) a alerté sur la situation des personnes « recrutées » à des fins d’exploitation économique dans le monde, qui sont dans 56 % des cas des femmes [2]. Comment se manifeste pour les Chinois en France cette vulnérabilité ?

9Afin de répondre à cette question, nous analyserons d’abord les conditions de passage entre le pays de départ et d’arrivée. Cette étape est cruciale pour appréhender le contexte de vulnérabilité des hommes et des femmes à leur arrivée en France, faiblesse sur laquelle se fonde la délinquance patronale.

10Nous exposerons ensuite plusieurs études de cas illustrant des formes d’exploitation extrême par le travail différentes selon le sexe des travailleurs [3].

11En conclusion, nous nous interrogerons sur les moyens de lutte contre l’exploitation économique des travailleurs migrants en France.

Présentation de notre échantillon

12Plusieurs enquêtes de terrain ont permis d’étayer nos travaux :

  • la recherche/action commanditée par le sap-fl[4] du bit qui s’est déroulée en 2004 pendant quatre mois à Paris (principalement dans le quartier de Belleville) sur le travail forcé et le trafic humain parmi les migrants chinois en France. Cette étude [5] a porté sur un échantillon de 59 situations ;
  • les travaux de recherche entrepris en 2003 par Florence Lévy dans le cadre de son doctorat en sociologie sur les femmes migrantes chinoises originaires du Nord et du Dongbei à Paris. Ce matériau est composé d’observations participantes et d’entretiens approfondis et répétés auprès d’une trentaine de femmes ;
  • les enquêtes de la Mire (Mission recherche du ministère de l’Emploi, de la Solidarité et de la Cohésion sociale) [6] et de la dpm (Direction des populations et des migrations) [7] de 1999-2000 reposant respectivement sur un échantillon de 987 et 100 personnes (avec une répartition égale entre hommes et femmes).
La population que nous étudions dans cet article est composée de migrants en situation irrégulière (soit parce qu’ils sont venus en France sans visa, soit parce qu’ils sont rentrés avec un visa et sont restés sur le territoire français après l’expiration de leur visa). Il est impossible d’évaluer avec exactitude le nombre de personnes en séjour irrégulier dans la mesure où elles échappent à tout enregistrement administratif. Les statistiques sur lesquelles nous nous sommes appuyées sont donc partielles et concernent les interpellations, les régularisations et les demandes d’asile.

13Les migrants chinois en France se répartissent de la façon suivante (calculs réalisés à partir d’un échantillon de 5 831 demandeurs d’asile d’origine chinoise entre 2003 et 2004 [8]).

Tableau I

Répartition par sexe et par région d’origine des migrants chinois

Tableau I
Province d’origine Femmes Hommes Zhejiang 1 289 (46 %) 1 493 (54 %) Dongbei 589 (71 %) 237 (29 %) Shandong 267 (62 %) 162 (38 %) Fujian 318 (30 %) 728 (70 %) Autres 391 357 Total 2 854 (49 %) 2 977 (51 %) Source : domiciliation des demandeurs d’asile enregistrée par L’ASLC, association franco-chinoise de soutien linguistique et culturel (BIT : 2005)

Répartition par sexe et par région d’origine des migrants chinois

14Plus de 70 % des migrants chinois à Paris appartiennent à la première et plus ancienne vague migratoire originaire de la province méridionale du Zhejiang qui présente une proportion d’hommes et de femmes relativement équilibrée. Seuls 20% des migrants font partie de la dernière vague migratoire en provenance du Nord de la Chine et en particulier du Dongbei [9]. Le taux de fémininsation en est une des caractéristiques majeures : 70,5 de femmes pour 29,5 d’hommes.

15Les origines socioculturelles et les conditions d’arrivée de ces deux vagues migratoires – Dongbei et Zhejiang – ne sont pas identiques et vont contribuer à infléchir différemment les parcours professionnels et personnels en France des uns et des autres. Voici sous la forme d’un tableau synthétique les caractéristiques de chaque groupe régional.

Tableau II

Les caractéristiques socioculturelles des deux groupes régionaux (migrants du Nord et du Dongbei et migrants du Zhejiang)

Tableau II
Composition de l’échantillon Migrants du Nord et du Dongbei Migrants du Zhejiang Vulnérabilité liée à la clandestinité Visa court séjour au moment de l’arrivée en France. Le visa est périmé au bout de quelques semaines et la personne reste en France clandestinement (entrée légale/séjour illégal) Aucun visa pour arriver en France, la personne pénètre clandestinement dans le pays et y reste. (entrée et séjour illégaux) Date d’arrivée en France Ces 5 dernières années Idem Niveau d’endettement par personnes Entre 4 000 et 8 000 euros Entre 18 000 et 27 000 euros Proportion H/F Environ 70 % de femmes Environ 50 % de femmes Âge 35-50 ans 20-30 ans Expérience professionnelle en Chine Employés, cadres d’entreprises d’État, chômeurs Cultivateur et/ou petit entrepreneur et/ou commerçant Activités professionnelles en France Femmes : nourrices, emplois occasionnels dans la confection et la prostitution Hommes : journaliers, manœuvres dans la confection, la restauration et le bâtiment Femmes et hommes (sans différence) : serveurs, mécaniciens dans la confection ; les cuisiniers sont majoritairement des hommes Niveau d’étude Secondaire/universitaire Primaire/secondaire Nombre d’enfants en moyenne 1 2 Origine socioculturelle Citadins, locuteurs mandarin (le langage régional est très proche de la langue officielle, le mandarin) Ruraux, locuteurs mandarin maîtrisant peu l’écrit, certains sont analphabètes, leur langue régionale n’a pas de point commun avec le mandarin. Réseau en France Non (à l’exception des compatriotes de la même ville ou région que l’on rencontre une fois arrivé en France.) Oui (principalement familial et/ou villageois) ; c’est souvent cette relation proche qui a déterminé le départ vers le pays d’installation. Projet de rester en France Pour les Dongbei, projet initial : Installation temporaire, évolue souvent vers le désir de rester en France à moyen terme en particulier pour les femmes. Installation définitive en France (ou en Europe) Vulnérabilité Isolement dans le pays d’installation (les Dongbei émigrent seuls sans avoir de relais familial en Europe) ; surendettement (mais moins important que les Zhejiang) Surendettement (pour assumer les frais de passage entre la Chine et l’Europe)

Les caractéristiques socioculturelles des deux groupes régionaux (migrants du Nord et du Dongbei et migrants du Zhejiang)

Passages et organisations criminelles

Le contexte et les raisons du départ

16Le contexte de départ permet de mieux comprendre les conditions et les enjeux de la migration. Il permet en outre d’expliquer le refus d’envisager, parmi les options possibles, un retour en Chine : les migrants veulent rester à tout prix et se retrouvent dans une situation intenable. Privés de toute « issue de secours », ils deviennent l’objet de pressions et sont donc dans l’obligation d’accepter « n’importe quoi à n’importe quelles conditions » pour rester en France et rembourser leur dette.

17Les réformes entreprises depuis les vingt dernières années en Chine sont à l’origine du changement de régime et du décollage économique du pays. Si le taux de croissance du PIB annuel est estimé entre 9 % et 14 %, il ne faut pas oublier que le rythme et l’ampleur du changement ne sont pas homogènes sur l’ensemble du territoire : les régions méridionales et côtières, dont la région de Wenzhou, ont su se saisir des opportunités économiques, alors que de larges secteurs dans les régions du Nord sont en récession. Au sein de chacune de ces régions les disparités sont également extrêmement importantes. Ces réformes s’accompagnent d’une forte déstabilisation que ce soit de la structure économique et du marché de l’emploi, du régime de protection sociale ou des comportements au travail et des modes de socialisation. Les changements ont pu apparaître à la fois comme de formidables « bouffées d’air frais » et de libéralisation, ouvrant sur de réelles opportunités de mobilité sociale (pour les Zhejiang, par exemple). Mais ces évolutions sont aussi à l’origine d’une injonction de réussite, qui peut devenir psychologiquement déstabilisante pour des personnes qui, dans le même temps, voient disparaître leur cadre de référence (comme pour les Dongbei). Les réformes ont créé également une nouvelle pauvreté urbaine.

18Cette restructuration a touché particulièrement durement les femmes surreprésentées dans les secteurs industriels visés, comme par exemple le textile où elles occupaient 70 % des emplois (dpm, 2002). L’émigration est alors une manière de fuir les licenciements – pour les Dongbei en particulier.

19Elle est aussi pour l’ensemble de ces migrants chinois (Dongbei et Zhejiang) une alternative face à la privatisation du système de santé et d’éducation qui, pris dans une logique de rentabilité, sont devenus financièrement inabordables.

20S’expatrier est également pour les ruraux du Zhejiang une possibilité d’échapper à la politique de l’enfant unique. Son application parfois très dure expose les femmes ayant déjà eu un premier enfant (ou deux si le premier est une fille) à des avortements ou à des ligatures des trompes forcés. Or le contrôle des naissances est en contradiction avec la tradition, encore très ancrée dans les campagnes du Zhejiang, qui lie les chances d’enrichissement des familles à l’importance de leur descendance. À noter également, que le système du permis de résidence, destiné à fixer la population et à éviter l’exode rural, rend une immigration vers la ville aussi onéreuse qu’un départ pour la France. En effet, les seuls moyens de contourner ce système sont d’acquérir des biens immobiliers en ville ou des passe-droits.

21En outre, le taux de change de 1 pour 10 entre l’euro et le rmb (renminbi), biaise les calculs de rentabilité de la migration. En effet, en faisant l’impasse sur le coût de la vie en Europe, les migrants potentiels pensent pouvoir gagner et économiser en un mois en France l’équivalent d’un an de salaire en Chine et faire rapidement fortune.

L’organisation du trafic

22Les pratiques gouvernementales en matière de circulation internationale des personnes sont également un des éléments permettant d’expliquer l’importance prise par la migration illégale. Les politiques, qu’elles soient chinoises ou occidentales, en matière d’attribution de passeport ou de visa, concourent à rendre infranchissables ces deux étapes légalement obligatoires et à renforcer la barrière au départ.

23Depuis quelques années, il est envisageable pour un ressortissant chinois de voyager à l’étranger, pour des raisons commerciales ou touristiques. Cependant les conditions requises pour l’obtention d’un passeport et d’un visa ne sont en réalité remplies que par une minorité de privilégiés. Si en principe la loi chinoise assure que « tous les citoyens ont le droit de demander un passeport », en pratique l’application de ce droit varie selon les zones d’origine des postulants. Ce sont en effet les autorités régionales – très exactement le Bureau de la Sécurité publique – qui sont chargées d’évaluer la « nécessité de la demande ». Ainsi, dans les régions à haut risque migratoire, telles que les provinces méridionales de la Chine comme le Zhejiang, le Guangdong et le Fujian, la délivrance des passeports est extrêmement contrôlée. Par ailleurs, tout migrant expulsé d’un pays étranger n’a plus le droit pendant 5 ans de redemander un passeport.

24L’attitude adoptée par les pays de destination contribue également à rendre quasi inaccessible un départ légal. Par exemple, dans la province du Fujian, principal pôle d’émigration vers les États-Unis, les visas de tourisme sont systématiquement refusés. De même, le consulat de France de Shanghai, compétent pour les demandes provenant de la province du Zhejiang, bloque quasiment toujours la délivrance des visas aux personnes de la région de Wenzhou souhaitant se rendre en France.

25Les politiques étatiques contribuent ainsi fortement à limiter le champ d’action envisageable et à renvoyer les migrants potentiels à des stratégies illégales. Les candidats à l’émigration se tournent alors vers les « têtes de serpent », surnom désignant les passeurs dans la province du Fujian.

26La situation est toutefois quelque peu différente dans la région du Dongbei. Il semble en effet que les autorités voient dans l’émigration une « soupape de sécurité » temporaire acceptable, permettant d’alléger la pression liée au chômage qui touche dans certaines zones plus de 40 % de la population. Une certaine complaisance entoure donc ces départs qui se déroulent dans un contexte semi-légal. Cependant les formalités restent suffisamment compliquées pour décourager les demandes individuelles et favoriser la constitution d’un véritable marché du « passage ». On constate depuis la France, que tous les voyages ont été organisés par des « sociétés intermédiaires » ; il s’agit souvent d’agences de voyages qui se chargent d’accomplir toutes les démarches et obtiennent la délivrance de visas pour des missions commerciales dans certains pays européens dont la France. Le flou entourant la définition du service offert a été dénoncé à plusieurs reprises [10]. Durant les dernières années, ces agences ont fait l’objet de poursuites pénales suite aux plaintes des clients abusés par les offres de travail à l’étranger.

27Ainsi pour les Dongbei l’arrivée en Europe se déroule de manière légale, le plus souvent en avion, par vol direct, avec un assentiment quasi officieux des autorités. Ce n’est qu’après l’expiration de leur visa qu’ils se retrouvent en situation irrégulière sur le territoire français. En revanche, pour les personnes originaires du Zhejiang ou du Fujian, l’ensemble du processus – l’entrée et la résidence sur le territoire français – est illégal. Cela influe fortement sur les coûts – bien supérieurs à ceux des Dongbei – les conditions et les risques du voyage : pour les personnes du Zhejiang, les trajets se font par voies maritime, aérienne, terrestre ou fluviale (certaines étapes se faisant même à pied ou en canot) et peuvent prendre dans certains cas plusieurs mois. Le voyage s’apparente parfois à un transport de marchandises : les personnes sont cachées, enfermées, emballées. Les histoires de migrants morts, abandonnés ou violentés en cours de route sont présentes dans tous les esprits. Les candidats à l’émigration qui, en Chine, ont de leur plein gré fait appel à ces réseaux, se retrouvent une fois l’accord conclu et le voyage débuté, entièrement démunis et soumis aux choix des passeurs tout puissants et donc en position de victimes potentielles de toutes sortes d’abus [11]. S’il est difficile de rendre compte de manière précise des différences de traitement entre les hommes et les femmes, les migrants rapportent cependant des cas de violence sexuelle des passeurs à l’égard des femmes. En revanche, il ne semble pas y avoir de prostitution organisée au cours du voyage.

28Les candidats à l’émigration provenant du Zhejiang sont au courant des différents dangers. Ils pensent pouvoir s’en prémunir en choisissant, dans la mesure du possible, un passeur « honnête » et fiable. Le choix du passeur est donc à leurs yeux une étape capitale dans leur voyage et leur seule garantie. La prise de contact n’est pas directe et se fait par le biais de personnes considérées comme respectables dans le village. À cet échelon de l’organisation du passage, il ne s’agit que d’intermédiaires qui ne gagnent que quelques dizaines d’euros pour introduire « le client » au « vrai passeur » qui se trouve à Pékin, Shanghai ou Hong Kong. Le coût du passage (entre 18 000 et 27 000 euros) n’est pas perçu comme scandaleux par les migrants ; la majorité d’entre eux a plutôt tendance à considérer que les passeurs font un métier risqué pour lequel ils ne sont pas toujours suffisamment rétribués. Pour cette raison et afin de baisser les coûts, les passages se déroulent en « tir groupé » et à chaque étape, les services sont payants. Une fois le prix négocié, le parcours se déroule sous la forme d’un « jeu de relais » où plusieurs personnes de différentes nationalités interviennent dans chaque pays traversé, formant un réseau en toile d’araignée. L’appellation « mafia chinoise », utilisée par les médias pour qualifier cette criminalité organisée, offre une image biaisée de la réalité et ne rend pas compte des relations de coopération entre criminels de nationalités différentes. Le nombre de personnes impliquées dans cette organisation peut s’élever à plusieurs dizaines.

Extrait du parcours, durant plusieurs mois, du fils Zhang qui quitta Wenzhou (province du Zhejiang) en 1998 (bit, 2005) pour se rendre en Europe

Au total quatre femmes et trois hommes participent au voyage. Dans une école primaire près de la plage de Fangcheng, chacun n’a pris qu’un sac en plastique avec quelques affaires et de l’argent. Le passeur part avec les dollars et la carte d’identité de Zhang, en lui promettant de les expédier à sa famille. […] Un autre passeur prend le relais et les conduit sur une plage où se trouve un radeau à moteur. […] Une fois de l’autre côté de la rive, c’est le Vietnam. Le passeur saute dans l’eau et disparaît à la nage. […] Un petit bus arrive avec quatre Vietnamiens et une Vietnamienne. Ces gens-là les dépouillent du peu qui leur restent. […] Quelqu’un vient les chercher les uns après les autres en moto dans la nuit. […] Après avoir passé la nuit dans la montagne, ils prennent un bus local. De nouveau, des motos les conduisent à Saigon. Ils arrivent chez une femme qui les force à passer un par un dans des toilettes où ils sont déshabillés, fouillés et volés. […] De nouveau en moto, ils se rendent dans des montagnes. Les rizières sont inondées. Ils enlèvent leurs chaussures pour marcher sur le rebord des rizières inondées en pleine nuit […] Plusieurs fois les femmes glissent et sont frappées. Après quatre heures de marche, ils arrivent à la frontière cambodgienne. […] Dans ce pays, ils sont accueillis par des militaires. Ces derniers, sous la surveillance d’un chef, les accompagnent dans une voiture. […] Des dizaines de domestiques travaillent pour lui. Ils changent de vêtements et prennent une douche. […] Le chef demande que chaque femme change ses vêtements dans sa chambre. Il y a trois femmes dans le groupe, deux femmes âgées de plus de 30 ans et une femme plus jeune qui est malade […]. Les deux plus âgées refusent de se déshabiller devant le chef. La plus jeune, la plus jolie, est rentrée dans la chambre. […]Après environ une demie heure le fils Zhang entend la fille pleurer et crier. Il frappe à la porte, elle continue à pleurer, il ouvre la porte. […] Elle est assise par terre, les vêtements ouverts, le chef n’est plus dans la chambre. Il est sorti par une autre porte. Sur le lit, il y a son arme et sur la table de chevet des tas de billets de dollars. Quand il voit les dollars, Zhang, pris de peur, sort en amenant la fille avec lui.
Le lendemain, ils montent dans une jeep japonaise toujours accompagnés par des militaires armés. Les femmes vont se cacher sous les sièges derrière, le fils Zhang est emballé dans un manteau et mis sur le sol à côté du siège du conducteur, ensuite un militaire s’assied sur le siège en le cachant sous ses jambes […].
Un monsieur de Wenzhou vient les chercher. Il possède un bâtiment à trois étages qui sert de « centre d’accueil » (nommé « une cage à canards » Ya zi lou) réservé à ce genre de passagers. […] Dans chaque chambre, il y a une dizaine de personnes. Plus de 100 personnes attendent en transit dans cet endroit. […] Il y a des gens qui attendent pour se rendre aux États-Unis, en Angleterre, etc. Certains sont là depuis plus de neuf mois. Le passeur tâche de trouver des passeports qui correspondent à leur destination et à leur profil (âge et sexe). Le fils Zhang doit attendre longtemps car il est plus difficile de trouver le passeport d’un jeune (il a 19 ans en 1998) […].
Un jour, un passeur l’informe que son passeport est prêt et qu’il peut partir. Il prend ensuite l’avion pour atteindre l’Europe en plein hiver, vêtu d’une chemise avec dans la poche quelques billets chinois.
Au départ, son père s’était entendu pour payer l’équivalent de 12 500 euros pour les frais de voyage. Après quatre mois d’attente au Cambodge, le passeur lui a demandé de payer 1 000 euros de plus pour les frais supplémentaires.

L’exploitation des migrants

Les conditions de la vulnérabilité

29Alors que les conditions de passage (et par conséquent le montant de la dette) varient selon les Dongbei et les Zhejiang, les uns et les autres se retrouvent cependant dans une situation identique au regard du pays d’accueil : ils sont sans statut juridique légal lorsqu’ils décident d’y résider [12]. Cette situation favorise les abus de la part de tiers et toute sorte d’abus de cette forme de vulnérabilité, en faisant recours à la coercition, doit être considéré comme du travail forcé.

30La vulnérabilité des migrants chinois se caractérise principalement par trois éléments :

  • le statut juridique de clandestin ;
  • la servitude pour dettes, en particulier dans le cas des personnes du Zhejiang ;
  • l’isolement : la barrière de la langue, le faible niveau d’éducation pour la majorité d’entre eux, la peur des expulsions, le manque d’informations sur la France se cumulent et les empêchent d’établir des relations et d’avoir des contacts avec la société du pays d’accueil.
Ces trois éléments sont fondamentaux car ils vont se conjuguer pour enfermer les migrants dans la sphère communautaire. Dans la mesure où ils sont sans papiers et à la merci à tout moment de contrôles policiers sur un territoire mal connu, ils considèrent comme dangereuse toute sortie « au dehors ». Ces prises de risque sont limitées au strict nécessaire et se déroulent de préférence dans les espaces occupés majoritairement par des asiatiques où les migrants peuvent se repérer. Par ailleurs, comme ils ne parlent ni français ni anglais, les seuls relais qui leur sont accessibles dans un premier temps en France sont limités à des locuteurs chinois. Ce sas communautaire, particulièrement bien organisé en ce qui concerne la communauté chinoise, représente une ressource précieuse auprès de laquelle les migrants vont pouvoir trouver un logement et un emploi. C’est également par l’intermédiaire des compatriotes qu’ils vont avoir accès à l’information et auprès d’eux que va se nouer l’essentiel de leurs relations sociales. Il s’agit de leur principal espace de vie. Ce confinement ne résulte pas d’un libre choix, il s’impose comme unique ressource disponible. À moyen terme, il semble difficile de s’en extraire. Ce constat est particulièrement vrai pour les Chinois du Zhejiang qui disposent de réseaux de socialisation très serrés contrairement aux migrants du Nord.

31Le poids de la dette, et donc l’obligation de travailler quelles que soient les conditions pour la rembourser, vont également participer à ce confinement communautaire. À la différence de ce qui se passe pour les migrants d’autres nationalités, le coût du passage vers la France est particulièrement important. En 2000-2004, il se situe en moyenne entre 4 000 et 8 000 euros pour les gens originaires du Dongbei mais coûte bien plus cher pour les gens provenant du Zhejiang et du Fujian : on note pour cette même période des tarifs variant entre 18 000 et 27 000 euros. Le niveau de surendettement à l’arrivée en France va être la pierre angulaire des relations avec l’employeur.

32Le surendettement, en particulier celui des Zhejiang, va contraindre le travailleur, quel que soit son sexe, à une dépendance économique sur le long terme et l’obliger à travailler dans le secteur de l’économie souterraine et informelle, seul milieu qui lui soit accessible. En outre, la méconnaissance de la langue française vient renforcer la relation de dépendance du travailleur vis-à-vis de la communauté chinoise, puisque lors de son arrivée en France, seuls les employeurs qui parlent le chinois le recruteront. Ces éléments favorisent ainsi un marché du travail entre Chinois dont l’économie ethnique va sortir renforcée.

33Les débouchés sur ce marché de l’emploi communautaire sont très limités et pour l’essentiel non déclarés et précaires. Les migrants n’ont toutefois pas d’autres opportunités puisqu’ils ne parlent pas le français et qu’ils n’ont pas de statut légal, deux critères disqualifiants aux yeux de la majorité des employeurs français. Ils se concentrent dans un nombre restreint de secteurs où les entrepreneurs chinois ou français d’origine chinoise sont présents : la confection (43 %), la restauration (23 %), les services domestiques (17 %) et le bâtiment (7 %) (Pina-Guerassimoff et al., 2002). On retrouve également des Chinois dans le colportage et la vente à la sauvette sur les marchés aux puces.

34Les rémunérations, très en-dessous des « usages nationaux », les horaires et les conditions de travail sont non négociables. Les horaires pratiqués dans le domaine de la confection sont à cet égard éloquents, les durées de travail pouvant aller de 10 à 15 heures quotidiennes et s’effectuer de jour comme de nuit. La charge de travail suit au plus près les fluctuations de la demande. Les employés sont renvoyés chez eux lors des « périodes de chômage technique » ou au contraire sollicités pendant plusieurs jours et nuits d’affilée en haute saison.

35L’espace de travail subit lui aussi les contraintes de l’illégalité. De peur d’être contrôlés, les ateliers clandestins sont calfeutrés, des matelas plaqués contre les fenêtres devant insonoriser les pièces. Les employés travaillent ainsi des journées entières dans une atmosphère irrespirable, saturée de brins d’étoffes, et à la lumière artificielle.

36La précarité de la relation de travail est accentuée par l’absence de contrat de travail [13]. Cette situation place les employeurs dans une exceptionnelle position de force : leur pouvoir est total dans la relation de travail, les travailleurs ne disposant ni du droit ni des moyens de négocier quoi que ce soit.

37Cette relation de domination est renforcée par un système de sous-traitance en cascade. Cette pratique, parade inventée pour faire face à la recrudescence de contrôles policiers dans les secteurs de la confection et de la restauration, diminue la prise de risque et déresponsabilise complètement les employeurs (qui peuvent prétexter de leur ignorance) ; de fait, ce « montage » concourt à aggraver les conditions de travail et d’hébergement des migrants. En effet, les employeurs préfèrent sous-traiter les commandes à des travailleurs ayant installé un atelier chez eux, plutôt que de prendre le risque de recruter un travailleur sans titre de séjour dans un atelier à leur nom. En cas de contrôle, l’entière responsabilité est assumée par l’employé, identifié par le contrôleur comme patron indépendant puisqu’il dispose parfois de plusieurs machines à coudre à son domicile. Par ailleurs, la menace d’une dénonciation auprès de la police ou de représailles sur la famille restée en Chine est monnaie courante pour assagir ceux qui souhaiteraient dénoncer ces faits. Cette peur, liée au sentiment d’illégitimité en France, est fortement intériorisée par les migrants, qui ont renoncé à faire valoir leurs droits auprès de la police ou devant la justice [14]. Ainsi la plupart des conflits, qu’ils soient d’ordre professionnel (licenciement, absence de rémunération, accident du travail…) ou de droit commun voire même pénal (vols, violences, viols et meurtres, etc.) sont réglés à l’intérieur de la communauté souvent par un compromis à l’amiable avec dédommagements monétaires.

38A noter, que toutes ces personnes ont pour références les conditions de travail de leur pays et en particulier celles très mauvaises réservées aux ruraux immigrés en ville, auxquels ils comparent volontiers leur situation en France. Ils ont intégré l’idée qu’en Chine comme en Europe « la main-d’œuvre bon marché doit être prête à tout accepter ».

Comme l’illustre le témoignage sur Madame Ming, « le confinement communautaire » n’est pas un choix mais un rouage économique dont le préalable est la dette morale et financière (bit, 2005)

Avant de quitter la Chine, Madame Ming était ouvrière spécialisée dans une usine de produits alimentaires de la ville de Wenzhou. Elle considérait son niveau de vie « normal » : « pas très riche mais assez pour vivre ». En 1990, des rumeurs circulent sur l’éventuelle fermeture de son usine. Elle décide de quitter la Chine et rejoindre sa sœur en France qui possède un atelier, un magasin de maroquinerie et un appartement à Paris […].
Sa sœur lui promet d’arranger son départ pour la France à condition qu’elle travaille gratuitement pour elle pendant deux ans […]. Arrivée en France avec son fils, comme convenu dans le « contrat oral de travail », Madame Ming se lance tout de suite dans un travail sans rémunération pour deux ans pour rembourser la dette. Elle doit se lever à 7 heures pour amener les enfants de sa sœur à l’école et puis travailler dans l’atelier de sa sœur jusqu’à une heure du matin. Elle travaille 7 jours sur 7 et plus de 17 heures par jour en s’occupant des enfants, du ménage et la préparation des repas pour l’atelier de confection composé de sept personnes. En tant que nourrice, Madame Ming est nourrie, logée et perçoit 500 francs d’argent de poche ; en outre, sa sœur lui fait payer 500 francs par mois pour la nourriture de son fils […].
Sa sœur la menace en lui disant que dans la rue la police pourrait l’arrêter si elle sortait. Elle a peur et elle ne sort que pour conduire les enfants à l’école. Sa sœur lui dit souvent « si tu veux, tu peux partir mais personne ne voudra t’engager. Qui veux engager une femme avec un enfant ? » Après un an et demi, n’en pouvant plus, Madame Ming rompt le contrat à l’occasion d’une dispute et se retrouve à la rue avec son enfant.
C’était difficile de retrouver un autre travail. Elle ne connaissait personne et ne parlait pas du tout français. Finalement c’était une femme de Wenzhou qui les a accueillis. […]
Les violences et l’insécurité sont quotidiennes, insiste Madame Ming. Mais même si elles sont courantes personne n’ose les dénoncer à la police. Les attaquants sont souvent trois, quatre personnes jeunes originaires de Wenzhou et de sa banlieue. Ces jeunes ne supportent pas les conditions de travail de leurs parents. Ils se mettent ensemble pour agresser les sanspapiers et les patrons chinois. Pendant une courte période, Madame Ming a partagé un appartement avec un homme qui dormait pendant la journée et sortait pendant la nuit. Elle a trouvé en faisant le ménage un pistolet qu’il avait dissimulé dans la chambre de Ming. Elle a eu peur et lui a demandé de le reprendre. Cet homme est retourné en Chine quelque temps après et elle a entendu dire que la police le recherchait et qu’il était mort par défenestration […].
Un patron d’atelier à Belleville a accepté de faire travailler Madame Ming quelques jours. Le premier jour d’essai, l’atelier a été contrôlé par la police et elle a été amenée au poste de la police. Elle a expliqué au traducteur que son fils était à l’école et qu’il fallait qu’elle aille le chercher. Le traducteur a discuté avec les policiers qui l’ont laissée sortir l’après-midi pour chercher son fils.
Pour finir, elle a trouvé un atelier […] qui lui a donné du travail de confection mais elle devait le faire chez elle. Donc, elle a trouvé un appartement d’une pièce à partager avec un couple. Elle a commencé à travailler à domicile […] la cuisine de 4 m2 de ce petit appartement servait de chambre à coucher pour deux personnes. Le couple utilisait la pièce et sous-louait la cuisine à Madame Ming et son fils.

Les femmes du Nord de la Chine

39La migration provenant des régions du Nord de la Chine n’est pas une migration familiale, contrairement à celle des Zhejiang. Il s’agit de personnes d’âge mûr vivant en ville et pionnières au sein de leur famille dans ce genre de projet (la moyenne d’âge se situant autour de 40 ans, alors que les Zhejiang migrent surtout vers l’âge de 20-25 ans). On constate par ailleurs, un fort taux de féminisation qui ne se retrouve pas dans la migration de provenance méridionale. Bien que les trajectoires professionnelles et les revenus ne soient pas homogènes, la plupart des migrants ont occupé auparavant des emplois stables dans des entreprises d’État. Ces éléments expliquent leur volonté de se démarquer des Zhejiang, qu’ils considèrent comme « des gens sans culture », campagnards et analphabètes. Nous verrons en quoi la réalité de la vie clandestine en France provoque un renversement des hiérarchies et des échelles de valeur et est vécue comme un déclassement social.

40Les citadins du Nord ne disposent pas en France de « diaspora », de réseau de soutien, ce qui conduit à un fort isolement. On retrouve en effet des personnes, parties individuellement, sans avoir de contact en France, « à l’aveuglette » selon les termes des migrantes. À Paris, si les migrants du Zhejiang bénéficient, pour trouver un travail, un logement ou accomplir des démarches administratives, de réseaux d’entraide, les migrants du Nord en sont particulièrement démunis. Dans leur cas, la plupart des services se paient : 30 euros pour une traduction, 100 euros pour la présentation d’un emploi, 200 euros pour un certificat d’hébergement et d’une adresse, de 1 000 à 3 000 euros pour la présentation à un homme français avec mariage à la clé. Ces éléments donnent une indication du niveau de dépendance et de vulnérabilité des primo arrivants.

41Les migrants du Dongbei sont, dès leur arrivée en France, sur des trajectoires de mobilité sociale descendantes et vivent souvent difficilement ce déclin.

42Le cas d’une femme médecin devenue petite main dans un restaurant ou celui d’un cadre dirigeant d’une entreprise de 1 000 personnes employé en France comme femme de ménage, illustrent l’ampleur du déclassement. Ces épreuves psychologiques, qui se cumulent à l’impression inavouable d’avoir fait fausse route, aux conditions de travail pénibles, aux mauvaises conditions de vie et à la peur permanente de se faire arrêter et expulser, sont sans doute à mettre en parallèle avec la rapide dégradation de l’état de santé des migrants que l’on observe fréquemment. Les emplois disponibles sur le marché du travail ethnique sont souvent marqués par la classique distinction : travail de force pour les hommes, de service pour les femmes.

43Les hommes du Nord se concentrent ainsi dans le secteur de la construction, de la confection ou de la restauration où ils sont affectés aux occupations les plus pénibles physiquement, tels que le déchargement de camions ou la manutention dans les entrepôts. Le nombre d’accidentés du travail, renvoyés et laissés sans ressource, laisse à penser que les règles minimums de sécurité ne sont pas toujours respectées. Ces emplois masculins se caractérisent également par une grande instabilité, beaucoup d’entre eux n’étant que journaliers.

44Les femmes originaires de Dongbei mobilisent quant à elles des compétences dites féminines. Le débouché principal est l’emploi de nourrice à domicile chez des Chinois du Zhejiang ou d’Asie du Sud-Est. Les migrantes du Nord sont recherchées pour leur niveau linguistique en mandarin, peu maîtrisé dans les familles des employeurs qui parlent des dialectes. Ces emplois de service aux personnes offrent l’avantage de permettre d’importantes économies : nourries et logées, les migrantes dépensent peu leur salaire qui oscille entre 400 et 900 euros par mois. Ces emplois assurent aussi un haut niveau de « protection » : travaillant toute la journée et souvent 28 jours par mois, leur « enfermement » les soustrait de l’espace public et donc des contrôles policiers [15].

45Mais le risque de dérapage est grand. Outre la disponibilité permanente que l’on attend d’une domestique, la tension est très forte entre l’employeur et l’employée ; dans ce huis clos entre femmes, les hiérarchies se renversent. Les employées Dongbei – qui s’estiment socialement et culturellement supérieures à des personnes du Zhejiang d’origine rurale et peu éduquées – se retrouvent pourtant en position de subordination vis-à-vis de ces dernières désormais en position d’employeurs et éventuellement habitées par un sentiment de revanche. À la soumission se mêle un sentiment d’humiliation.

46De nombreuses femmes ne supportent pas ces relations de domination et les formes « d’exploitation psychologique » qui y sont associées et démissionnent sans être sûres de pouvoir retrouver par la suite un emploi. Le parcours professionnel des migrantes est en effet souvent jalonné par des périodes d’inactivité plus ou moins longues, pouvant aller jusqu’à une dizaine de mois pendant lesquels elles doivent puiser dans leurs économies ou emprunter. Bien qu’il y ait une forte rotation du personnel, les réserves d’emplois dans le service domestique ne sont pas garanties, ce secteur étant fortement comprimé lors des vagues de récession économique touchant la communauté.

47Maîtrisant rarement le français, malgré souvent plusieurs années de séjour, les alternatives professionnelles et les possibilités de sortir du confinement du marché du travail communautaire restent très restreintes. Beaucoup recherchent les variantes du travail de service : celui de femme de ménage, de bonnes, ou les soins aux personnes âgées. Certaines femmes se lancent dans les soins du corps, telles que les activités de massage, la manucure. Ces emplois offrent l’avantage de l’indépendance. Il semble que les autres niches d’activités ethniques soient relativement difficiles d’accès pour les femmes du Nord. Une compétence professionnelle préalable est souvent exigée pour travailler dans la confection ; l’accès à la restauration se fait principalement par cooptation et a tendance à rester un « domaine réservé » des migrants originaires du Zhejiang. La lutte contre le travail non déclaré est sans doute un autre facteur qui contribue à intensifier la concurrence entre Chinois sur le marché de l’emploi parisien. Ce sont aussi les difficultés économiques qui expliqueraient pourquoi certaines migrantes s’orientent vers un autre secteur, celui de la prostitution.

48Du service aux personnes aux services sexuels, il n’y a en effet qu’un pas. La grande majorité des Dongbei racontent que rien ne les avait préparées à cet emploi. En effet, rares sont les femmes qui avaient déjà exercé cette activité en Chine. Elles y étaient ouvrières, employées ou cadres moyens. À Paris, elles se lancent « à la mer » – selon l’expression chinoise Xia Hai – poussées par la difficulté des conditions de vie. Certaines sont contraintes par les impératifs économiques, d’autres ne supportent plus les conditions de domination liées au travail à domicile. Certaines exercent la prostitution comme activité principale, d’autres la considèrent comme une activité d’appoint, de fin de mois ou d’entre-deux (avant de retrouver un autre emploi). Elles sont, pour reprendre dans un contexte fort différent le terme de Liane Mozère et Hervé Maury (2002), « entrepreneures d’elles-mêmes » et exercent à leur compte sans proxénète.

Les témoignages « des deux sœurs – A et B – » du Dongbei rendent compte des principaux écueils que les femmes du Nord rencontrent en France (bit, 2005)

L’entreprise de Sœur A a été fermée il y a plus de 15 ans. Elle n’a jamais eu la moindre pension sans doute parce qu’elle vient d’une petite ville (Tieling). L’entreprise de son mari a aussi fermé il y a 6 ans et il a dû travailler comme porteur dans les rues pour gagner un peu d’argent (30 – 40 euros) par mois. Ils ont un fils de 15 ans qui est au lycée. Elle est venue en France avec un visa de commerçant pour les Pays-Bas avec un transit par Paris. Elle a payé plus de 6 000 euros à l’agence de voyage pour obtenir ce visa. Elle a vendu sa propre maison et la maison de sa mère au prix de 4 500 euros. Le reste, 1 300 euros, a été prêté par sa sœur. La famille n’avait plus d’hébergement. Son mari a déménagé chez sa mère et leur fils a été laissé chez sa tante.
En arrivant à Paris, elle a trouvé un travail de nounou chez une famille de Wenzhou qui a deux enfants. Elle devait se lever à 5 heures du matin et se coucher à minuit, 6 jours par semaine, pour un salaire de 610 euros par mois. Elle est tombée dans le coma pendant son travail et a été conduite à l’hôpital en ambulance. Elle a dû rester pendant 2 mois à l’hôpital et à sa sortie, la famille ne voulait plus d’elle.
Elle a trouvé un autre travail auprès de Wenzhou dans la confection. Le patron cachait les clandestins dans son garage transformé en atelier. Elle n’a pas supporté les conditions de travail : c’était en hiver et le garage n’était pas chauffé. Son travail consistait à encastrer des boutons dans des vêtements. À force de travailler 18 heures par jour avec la force de ses bras, les articulations de son bras droit se sont déformées.
Un jour, elle a eu très mal au ventre pendant le travail et le patron lui a demandé de quitter le lieu de travail immédiatement. Avant d’arriver à son domicile, elle a eu un malaise dans la rue. Elle a été conduite à l’hôpital et a dû se faire opérer, cependant l’opération s’est mal passée et elle a eu une infection. C’est ainsi qu’elle a pu obtenir un titre de séjour provisoire pour maladie. Entre-temps, une amie venant de la même ville lui a présenté un Français de 60 ans. Elle a emménagé chez lui et depuis elle lui fait son ménage. Il la nourrit, la loge, et parfois lui donne un peu d’argent de poche, 60-70 euros par mois.
Elle est en France depuis 3 ans mais elle n’a envoyé en tout que 1 067 euros à la famille, ce qui ne suffit pas pour rembourser la dette de voyage. Elle a décidé de se prostituer occasionnellement.
Depuis, sa sœur est venue la rejoindre en France. Elle se rappelle ce qu’elle lui a dit à l’aéroport Charles de Gaulle lorsqu’elles se sont retrouvées : « tu ne sais pas comment la vie est dure ici, je ne peux pas raconter toute la vérité à la famille, elle s’inquiéterait pour moi. J’ai essayé de te persuader de ne pas venir mais tu ne m’as pas écoutée ». Sœur A a avoué à sa sœur qu’elle se prostituait. Elle lui a demandé de choisir entre ces deux travails : "Xia Hai" (devenir prostituée) ou nourrice. La sœur B s’est sentie insultée par le travail de prostituée que sa sœur lui proposait. Elle a travaillé comme nounou dans une famille Wenzhou où il y avait deux enfants dont un handicapé. La maîtresse de maison ne lui laissait jamais un moment de repos et son salaire était de 500 euros par mois.
Quatre mois après, elle n’a plus supporté ce travail et a téléphoné à sa sœur. Elle a décidé de "Xia Hai".

Les Zhejiang

49La chaîne familiale est la clé du projet migratoire des Zhejiang. Sans ce relais dans le pays de destination, le candidat à l’émigration ne prendrait pas le risque de quitter la Chine. Il peut s’agir d’un membre de la famille, du clan, du village ou en dernier ressort de personnes de la même région. Selon le degré d’affinité, le service demandé sera ou non payant.

50Le niveau d’éducation scolaire et de qualification professionnelle de ces jeunes migrants est souvent bas, quoiqu’en hausse. Parmi cette population, le taux d’analphabétisme s’élève à 20 % (Pina-Guerassimoff et al., 2002). S’ils sont souvent moins éduqués que leurs compatriotes du Nord, on constate cependant qu’ils sont partis mieux informés des réalités du pays d’accueil. Beaucoup se sont même préparés à l’épreuve qui les attend et ont pris la précaution de se former au métier de la confection, qu’ils savent être un débouché disponible à l’étranger.

51En situation irrégulière dès leur arrivée en France, leur vie s’organise dans la clandestinité, le plus souvent à l’intérieur des relais villageois. Les premières années en France sont marquées par une fermeture vis-à-vis de la société d’accueil puisque l’essentiel est de rembourser le plus rapidement sa dette en travaillant. Il s’agit d’économiser entre 18 000 à 27 000 euros avec des revenus mensuels variant entre 400 et 600 euros dans la confection et la restauration. Il faut ainsi de 8 à 10 ans à un migrant pour solder sa dette.

52Pendant cette période, les frais de logement et de nourriture sont réduits à leur minimum. Tout est calculé afin de rembourser la dette au plus vite. Une grossesse est mesurée comme un coût familial, puisqu’elle diminuera la productivité de la femme. Les naissances, l’éducation des enfants restent considérés comme essentiels mais, dans la pratique, les parents ont peu de temps à y consacrer. Quant aux membres de la famille, ils sont tous mobilisés pour servir l’entreprise familiale y compris les enfants.

53L’organisation du travail dans ces structures implique autant la participation des hommes que des femmes pour la gestion de l’entreprise et de la production.

54Une fois la dette remboursée, les habitudes de vie frugale, d’attention accordée à l’argent et de vie cachée à l’intérieur de la communauté sont intériorisées. Un nouvel objectif apparaît : obtenir la régularisation de leur statut par l’obtention des papiers. Les trois quarts des personnes disposant actuellement du permis de séjour et de travail ont été régularisés après des années de clandestinité.

55Cependant l’objectif initial de la migration n’est pas perdu de vue : économiser suffisamment pour ouvrir un commerce à son compte et « devenir patron ». Ces migrants vont donc reproduire en France, le « modèle de développement économique de Wenzhou », qui est à l’origine du décollage économique de leur région. Apparu il y a quinze ans en Chine, ce modèle a essaimé en Russie puis en Hongrie au fur et à mesure de l’implantation de la diaspora du Zhejiang. La création et l’expansion de l’entreprise se fondent sur un système de solidarité familiale, clanique et régionale structurée à partir de prêts réciproques et d’échanges de service en nature. Un tel système génère des dettes financières et morales pour lesquelles il n’est pas rare d’avoir recours à la violence physique, morale et psychologique. Afin de s’enrichir le plus rapidement possible sur le marché concurrentiel du pays d’accueil, les nouveaux patrons ont recours à la main-d’œuvre ethnique en situation irrégulière et surendettée, dont ils connaissent par expérience la vulnérabilité. Ils reproduisent alors les rapports d’oppression dont ils ont été aupravant les victimes.

Les moyens de lutte contre le travail forcé et la traite des êtres humains

56Si les situations décrites plus haut se déroulent dans un espace communautaire relativement fermé, il n’en demeure pas moins que ces événements ont lieu sur le territoire français. Quelles sont alors les réponses de la France face à ces réalités ?

57Au niveau législatif, voici les moyens dont disposent les autorités. Le travail forcé n’est pas mentionné en tant que tel dans le code pénal, mais deux dispositions s’en rapprochent ; les articles 225-13 et 225-14 condamnent la rétribution inexistante ou insuffisante du travail d’une personne vulnérable ou dépendante et punissent sa soumission à des conditions de travail ou d’hébergement indignes. Cependant, force est de constater qu’entre 1994 et 2003 114 condamnations ont été rendues. La Cour européenne des Droits de l’Homme a d’ailleurs estimé, en juillet 2005, ces dispositions trop restrictives et que la France ne remplissait pas les obligations auxquelles la liait l’article 4 sur le travail forcé de la Convention européenne des Droits de l’Homme.

58En 2003, la traite pour l’exploitation sexuelle, mais aussi pour l’ensemble des formes de travail organisées par des réseaux, ont été inclues dans le champ pénal, en conformité avec le Protocole de Palerme. La définition adoptée [16] semble s’appliquer aux situations rencontrées par les migrants chinois en France. Or, il est surprenant de découvrir, qu’à ce jour, ce cadre législatif n’a jamais été activé. Par contraste, la « lutte contre l’aide à l’entrée et à la circulation ou au séjour irrégulier d’étranger » est un dispositif beaucoup plus utilisé. Il est le seul moyen mis en œuvre pour réprimer le trafic des migrants. Il semble, en effet, que rien ne soit fait pour distinguer trafic et traite, comme le voudrait la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée [17]. On peut également déplorer le fait que ces deux délits soient combattus de manière inégale, l’accent étant mis sur le trafic. Or, cet arsenal juridique fait peu de distinction entre les organisateurs du trafic et les individus qui en sont victimes ; il est détourné par les premiers pour asservir encore plus durement les seconds.

59La France, à l’instar d’autres pays, semble réticente à l’application des lois sur la traite. En outre, des indicateurs clairs manquent pour identifier les situations que recouvrent les termes de « travail forcé », « esclavage moderne », « exploitation par le travail » et les distinguer de la traite ou du trafic.

60Le manque de coopération internationale dans un domaine, où on ne peut s’en tenir aux limites de la « territorialité » nationale, peut expliquer la rareté des poursuites sur la traite. Outre la coopération policière et judiciaire, l’accent pourrait être mis sur la compréhension des logiques du marché du travail, et la concertation avec les employeurs, premiers acteurs en amont à solliciter la main-d’œuvre illicite ; il serait par ailleurs possible d’envisager d’accorder un soutien direct aux migrants chinois victimes du travail forcé.

61Quoi qu’il en soit, on ne peut que constater que la situation des migrants déjà très précaire est fragilisée encore plus par un arsenal juridique et répressif focalisé sur le trafic. Il contribue à détériorer nettement les conditions de vie et de travail des migrants chinois en France en les confinant toujours plus dans un espace communautaire oppressif.

Notes

  • [1]
    En France, sur les 300 000 migrants d’origine chinoise, 88 % habitent Paris et la petite couronne (DPM, 2002, voir à Cloé Cattelain dans la bibliographie). Cette estimation inclut les Asiatiques originaires du Sud-est asiatique – dont une majorité avait des ancêtres en Chine – et les Chinois de République populaire de Chine.
  • [2]
    Il est important de souligner la fréquence des cas d’exploitation économique, qui sont pourtant moins connus et moins combattus par les pouvoirs publics que l’exploitation sexuelle qui ne représente que 11 % des cas.
  • [3]
    Compte tenu des données dont nous disposons, il ne nous sera pas possible de prendre en compte de façon satisfaisante les différences de genre. Nous procéderons néanmoins à une lecture sexuée dès que les données le permettront.
  • [4]
    Programme d’action spécial pour combattre le travail forcé.
  • [5]
    Cette recherche a donné lieu à une publication : « Le trafic et l’exploitation des immigrants chinois en France », Gao Yun et Véronique Poisson, Genève, bit, mars 2005.
  • [6]
    Voir Carine Pina-Guerassimoff et al. (2002).
  • [7]
    Voir Chloé Cattelain, (2002).
  • [8]
    Cet échantillon a été collecté au sein d’une association parisienne agréée par la Préfecture pour la domiciliation des demandeurs d’asile.
  • [9]
    La région du Dongbei couvre trois provinces : Liaoning, Jilin et Heilongjiang. Nous ne disposons que des données concernant le Liaoning et Jilin dont les effectifs femmes/hommes se répartissent ainsi : pour le Liaoning 497 femmes (soit 72 %) et 196 hommes (soit 28 %) ; pour le Jilin 92 femmes (soit 69 %) et 41 hommes (soit 21 %).
  • [10]
    À Yanji dans la province du Jilin, en 10 ans plus de 40 000 victimes ont porté plainte devant les tribunaux suite aux annonces mensongères de recrutement à l’étranger.
  • [11]
    Le fait que ces candidats à l’émigration soient entrés librement en contact avec les passeurs est le principal obstacle qui empêche de considérer ces migrants comme des victimes de la traite. Cela a des conséquences importantes sur leur statut juridique par la suite.
  • [12]
    Pour les Dongbei, les visas d’entrée ne sont que de courte durée et ne leur donnent pas le droit de rester en France.
  • [13]
    Cependant on a observé en Italie que le contrat de travail n’était pas non plus une garantie. Dès que l’employeur rompait le contrat de travail, l’employé perdait son statut juridique légal et afin de le maintenir, l’employé rémunérait l’employeur en lui reversant une partie de son salaire d’une manière informelle.
  • [14]
    De fait, l’expérience prouve que les « sans-papiers » courent le risque de se faire arrêter lorsqu’ils vont porter plainte en tant que victimes (de vol, viols, etc.) dans les commissariats de police. Toutes démarches auprès de l’administration française ou des institutions privées sont actuellement envisagées comme une prise de risque. Voir le site Internet www. contreimmigrationjetable. org et les cas d’arrestation de sans-papiers aux guichets de la poste, des banques ou dans les écoles…
  • [15]
    À noter également que le secteur de l’emploi à domicile échappe au contrôle de l’inspection du travail.
  • [16]
    L’article 225-4 du code pénal définit la traite des êtres humains comme « le fait, en échange d’une rémunération ou de tout autre avantage, ou d’une promesse de rémunération ou d’avantages, de recruter une personne, de la transporter, de la transférer, de l’héberger ou de l’accueillir, pour la mettre à la disposition d’un tiers, même non identifié, afin, soit de permettre la commission contre cette personne des infractions de proxénétisme, d’agression ou d’atteintes sexuelles, d’exploitation de la mendicité, de conditions de travail ou d’hébergement contraires à sa dignité, soit de contraindre cette personne à commettre tout crime ou délit ».
  • [17]
    La Convention des Nations Unies, contre la criminalité transnationale organisée et ses protocoles respectifs sur la traite des personnes et le trafic illicite, rend pourtant impératif d’établir la distinction entre les deux infractions.
Français

Résumé

La vulnérabilité est au cœur des parcours migratoires des Chinois vers la France. Elle commence lors du trajet et se poursuit bien après leur arrivée. Leur voyage se déroule souvent sur plusieurs mois dans des conditions inhumaines. L’arrivée en France ne marque pas la fin du calvaire, bien au contraire. Ils se retrouvent en situation irrégulière et pris en tenaille entre l’impossibilité d’obtenir une autorisation de travail et la nécessité de rembourser leurs dettes au plus vite. L’économie souterraine, grande pourvoyeuse d’emplois illégaux, et en particulier l’économie ethnique apparaît comme la seule issue possible. Une issue qui prend la forme d’une exploitation extrême par le travail. Cet article met en lumière ce type d’exploitation mis en œuvre par des employeurs souvent issus de la communauté chinoise et à ce titre les mieux placés pour abuser de la vulnérabilité des nouveaux migrants.

Deutsch

Zusammenfassung

Die Verletzlichkeit steht im Herzen der Immigrations-laufbahnen von Chinesen in Frankreich. Sie fängt mit der Reise an und geht weit Ûber die Ankunft hinaus. Die Anreise unter unmenschlichen Bedingungen dauert oft mehrere Monate. Die Ankunft in Frankreich bedeutet kein Ende der Tortur, ganz im Gegenteil. Die meist illegalen Immigranten sind hin- und hergerissen zwischen der Unmöglichkeit, eine Arbeitserlaubnis zu erhalten und so schnell wie möglich ihre Schulden abzuzahlen. Der Schwarzarbeitsmarkt, der ethnisch organisiert ist, bietet oft die einzig mögliche Lösung. Dieser Ausweg entpuppt sich jedoch oft als eine Form extremer Ausbeutung. Dieser Artikel beleuchtet insbesondere die Rolle der chinesischen Arbeitgeber, diese hinwiederum die neuankommenden Landsleute ausbeuten, wobei ihnen die gleiche Herkunft widersinnigerweise nutzt.

Español

Resumen

La vulnerabilidad está en el centro de los itinerarios migratorios de los Chinos hacia Francia. Empieza con el viaje y sigue mucho más allá de la llegada. Su viaje suele desarrollarse durante varios meses con condiciones inhumanas. La llegada a Francia no significa el final del calvario, al contrario. Se encuentran en una situación ilegal y atenazados, entre la imposibilidad de conseguir un permiso de trabajo y la necesidad de rembolsar sus deudas cuanto antes. La economía sumergida, gran suministradora de empleos ilegales, y especialmente, la economía étnica, aparece como la única salida posible. Una salida que toma la forma de una explotación extrema por el trabajo. Este artículo destaca este tipo de explotación realizado por empleadores procedentes de la comunidad china, y que por tanto, se encuentran en el mejor lugar para abusar de la vulnerabilidad de los nuevos emigrantes.

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  • Wang Bing, 2002, À l’ouest des rails, dvd mk2 éditions.
Gao Yun
Gao Yun, juriste, travaille pour le Programme d’action spécial pour combattre le travail forcé et pour le programme focal pour la promotion de la Déclaration au Bureau international du Travail. Ses principaux thèmes de recherche sont : exploitation des immigrants chinois en Europe ; réforme du Droit de travail chinois ; gouvernance, droit international et responsabilité sociale de l’entreprise. Elle a publié, dernièrement : « Chinese migrants and Forced Labour in Europe », Declaration, Working Paper, 32, 2004, ILO Geneva ; « Nouvelles formes d’esclavage parmi les Chinois récemment arrivés en France », avec Véronique Poisson, Hommes et Migrations, n? 1254, mars-avril 2005.
Adresse professionnelle : Legal Officer, International Labour Organization, 4 route des Morillons, CH-1211, Geneva 22, Suisse
Adresse mèl : gao@ilo.org
Florence Lévy
Florence Lévy, sociologue, est doctorante au Centre d’Études sur la Chine Moderne et Contemporaine, École des Hautes Études en Sciences Sociales à Paris. Ses principaux thèmes de recherche sont : l’évolution du projet migratoire des Chinois à Paris, les femmes chinoises du Nord de la Chine, la prostitution chinoise à Paris. Elle a publié : Florence Lévy, « La migration des femmes du Nord de la Chine : l’exil, alternative à une situation de déclin ? » in Manry et Ribas Mateos (dir.) (à paraître), Mobilités au féminin ; Florence Lévy, 2006, « Les femmes du Nord de la Chine, une migration au profil atypique », in Véronique Poisson, Hommes et migrations, « Chinois de France », n? 1254, pp. 45-57.
Adresse mèl : florencelevy@yahoo.fr
Véronique Poisson
Véronique Poisson, docteure en sciences sociales option histoire de l’ehess à Paris, recherche sur la diaspora chinoise en France, en particulier les pôles d’origine (travail de terrain en Chine) et les appartenances religieuses. Elle est co-auteure de l’ouvrage Le trafic et l’exploitation des immigrants chinois en France, Bureau international du Travail, Genève, mars 2005 et coordinatrice du dossier « Chinois de Paris », Hommes et migrations, mars-avril 2005.
Adresse mèl : poissonveroyu@aol.com
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Mis en ligne sur Cairn.info le 02/12/2008
https://doi.org/10.3917/tgs.016.0053
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