1Tout avait bien commencé puisque nous avions quitté Bruxelles et Paris sous gel et neige et que nous arrivions à Rabat où c’était le printemps : mimosas en fleurs et orangers saturés d’oranges.
2Ces premières bonnes impressions se trouvèrent confirmées par l’excellent accueil de nos partenaires marocains du Cered et par la visite de la salle de conférence, lieu convivial et propice aux échanges, parfaitement équipé pour notre colloque.
3Plus de cent cinquante personnes étaient présentes à la séance inaugurale. Des femmes, mais aussi beaucoup d’hommes, autant parmi les intervenants que parmi les participants. Des personnes venues de Belgique, de France, d’Algérie, de Tunisie, du Maroc, mais aussi de contrées plus lointaines, certains chercheurs ayant fait le déplacement depuis le Québec.
4Deux discours inauguraux furent prononcés : par le Haut-commissaire au Plan Monsieur Ahmed Lahlimi Alami et par la Ministre Brigitte Grouwels qui participa activement aux débats de la première journée qui s’acheva par une réception à l’ambassade de Belgique où ce n’était plus une ambassadrice mais un ambassadeur qui reçut ses compatriotes belges.
5La pluridisciplinarité des interventions et les échanges que celle-ci a occasionnés ont certainement été l’une des plus grandes sources d’enrichissement du colloque.
En europe
6À partir des enseignements tirés de notre précédente rencontre, l’une des questions posées par ce nouveau colloque était de savoir si nous disposions aujourd’hui de davantage de données et d’outils permettant de dénoncer et de combattre, en Europe, les discriminations dans l’emploi à l’égard des femmes du Maghreb. La réponse est en demiteinte. Force est de constater que nous buttons encore et toujours contre le problème de la faible visibilité statistique de ces femmes qui migrent de plus en plus souvent seules à des fins économiques. Cet obstacle a cependant pu être en partie levé par les exploitations secondaires d’enquêtes des intervenants et par une série de recherches engagées sur le thème.
7Le constat est sans appel : plus souvent touchées par le chômage, la précarité de l’emploi et la pauvreté que les autochtones, les femmes immigrées venant du Maghreb sont doublement discriminées en Europe, en raison de leur sexe et de leur origine. Cette double discrimination n’épargne pas la « seconde génération » de migrantes, ni les plus hautement qualifiées dont les diplômes et l’expérience professionnelle demeurent toujours fortement dévalorisés dans les pays d’accueil.
8À l’heure où l’égalité entre les hommes et les femmes et la non-discrimination sont au cœur des valeurs défendues par l’Union européenne, les femmes immigrées demeurent les grandes absentes des politiques d’égalité des chances et des politiques de lutte contre les discriminations. Il paraît indispensable et urgent de sortir des politiques européennes qui stigmatisent les femmes immigrées comme des victimes qu’il faut avant tout protéger. Pour ce faire, plusieurs pistes ont été avancées : étendre le principe du mainstreaming de genre à l’ensemble des politiques de l’Union, créer un lobby européen des femmes immigrées ou encore renforcer la production de données ventilées par sexe.
Au Maghreb
9Parallèlement, de nouvelles thématiques ont été abordées à l’occasion de ce deuxième colloque. Il a été notamment rappelé que le travail des enfants est une triste réalité dans les pays du Maghreb particulièrement pour les filles puisque quand la famille est nombreuse, c’est généralement la scolarité des filles qui est sacrifiée, et ce malgré leur meilleure réussite à l’école que les garçons. Le colloque a aussi été l’occasion de mieux comprendre les conditions de vie des femmes dans les bidonvilles marocains où échouent les migrants ruraux des régions défavorisées.
10Dans le prolongement du premier colloque, il a été largement démontré que comme en Europe, alors que la théorie du capital humain laissait penser que l’investissement en éducation allait conduire à l’égalité dans l’emploi, au Maghreb la valorisation par les femmes de cet investissement est difficile : indéniablement l’éducation est une condition nécessaire mais non suffisante pour intégrer le marché du travail.
11Face à la précarité auxquelles les femmes sont confrontées au Maghreb, plusieurs alternatives ont été présentées. Si ces dernières vont souvent de pair avec une forte ségrégation des emplois, elles présentent l’intérêt de faire sortir les femmes de la sphère domestique et de les rendre moins dépendantes de leur mari en leur permettant d’accéder à un revenu et à des réseaux de sociabilité. Une longue discussion a ainsi été consacrée à la participation des femmes au secteur informel, véritable instrument de régulation du marché du travail au Maghreb. Autre activité proche du secteur informel : l’artisanat, important gisement d’emplois féminins dans lequel les femmes mettent en place de véritables stratégies pour développer leurs activités entre débrouillardise, entraide et solidarité. Cette solidarité est aussi la clé de voûte du fonctionnement de certaines coopératives, comme celle des arganiers dans le sud du Maroc, qui n’échappent pas à la segmentation sexuée de l’emploi, mais qui permettent aux femmes d’accéder à une relative autonomie. Les possibilités offertes par la micro-finance semblent elles aussi aller dans ce sens en permettant, dans certaines conditions, de lutter contre les inégalités de genre.
Rabat +6
12Les problématiques débattues au cours de ce deuxième colloque pourraient déboucher sur des papiers comparatifs davantage fondés sur la coopération entre les différentes équipes de recherche. Un troisième colloque en perspective…
Notes
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[1]
Ce texte « raconte » le deuxième colloque organisé à l’initiative du Mage (groupement de recherche « Marché du travail et genre en Europe »), du Dulbea (Département d’économie appliquée de l’Université libre de Bruxelles) et du Cered (Centre d’études et de recherches démographiques), à Rabat, les 15 et 16 mars 2006.