CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La consommation d’alcool a beaucoup chuté en France au cours des cinquante dernières années. Alors qu’en 1960, le volume d’alcool pur par personne de plus de 15 ans atteignait 25 litres, il n’était plus que de 15 litres en 2001, cette baisse s’expliquant essentiellement par la chute de la consommation de vin courant. Malgré tout, la consommation d’alcool reste une préoccupation majeure de santé publique, sa baisse n’étant pas uniforme dans la population. Si, jusqu’à récemment, les recherches en sciences sociales sur l’alcool se préoccupaient essentiellement de la consommation masculine, la dimension du genre s’est rapidement imposée comme un thème d’études majeur dans les vingt dernières années, en particulier Outre-Atlantique (Wilsnack et Wilsnack, 1997). Cet intérêt s’est matérialisé, entre autres, en 2000 par la création du projet international genacis (Gender, Alcohol and Culture, an International Study) dont l’objectif est de comparer les évolutions des consommations au niveau international, à partir d’un questionnaire commun accordant au genre une place centrale (Bloomfield et al., 2005). En France, le lien entre alcool et genre reste peu abordé, à l’exception de travaux ethnographiques (Nahoum-Grappe, 1991). Cette réticence peut être rapprochée d’une certaine crainte typiquement française de stigmatiser des groupes spécifiques par la mise au jour de ses particularités (Coppel, 2004). Paradoxalement, si les études de genre sur l’alcool sont rares, les niveaux de consommation sont assez systématiquement présentés en séparant les hommes et les femmes, du fait de la différence importante entre les usages masculins et féminins de l’alcool. Ainsi, en 1999 dans le Baromètre Santé, en France, les hommes consomment plus souvent (28 % disent avoir bu une boisson alcoolisée quotidiennement au cours des douze derniers mois, contre 11 % des femmes) et de plus grosses quantités à chaque fois (en moyenne, les buveurs de la veille disent avoir consommé 2,9 verres, les femmes 1,7). Cet écart homme/femme reste valable en 2002 (tableau 1) pour une consommation régulière [2] ou quotidienne, écart d’autant plus important que les personnes sont jeunes.

Tableau 1

Usage régulier et quotidien en 2002 selon l’âge et le sexe (en %)

Tableau 1
Consommation 18-25 ans 26-34 ans 35-44 ans 45-54 ans 55-75 ans Ensemble Régulière Femmes 7,9 9,9 18,1 19,6 33,7 19,7 Hommes 23,5 25,1 37,2 51,0 61,6 42,8 Quotidienne Femmes 1,2 0,5 7,9 10,9 25,0 10,4 Hommes 4,5 7,2 16,0 36,7 50,2 25,1 Source : EROPP (Enquête sur les représentations, opinions et perceptions sur les psychotropes) 2002, OFDT (Observatoire français des drogues et toxicomanies).

Usage régulier et quotidien en 2002 selon l’âge et le sexe (en %)

2De même, la recherche médicale étudie de façon sexuée les comportements de consommation et l’impact sur la santé. Ainsi, les hommes et les femmes apparaissent inégaux devant l’alcool. En effet, à poids et consommation égaux, le taux d’alcoolémie d’une femme est 1,2 fois supérieur. Les explications sont multiples : enzyme responsable de l’élimination de l’alcool moins efficace ; masse adipeuse plus importante (cette dernière, moins vascularisée, favorisant la concentration de l’alcool dans les organes) ; cycles hormonaux ; contraceptifs...

3Mais au-delà de ces quelques différences physiologiques, les consommations masculine et féminine semblent s’inscrire dans des représentations différenciées. Mary Douglas (1987) s’est intéressée au fait que, dans la plupart des civilisations, les femmes ne consomment pas ou sont exclues des situations où l’on consomme de l’alcool fort, soulevant la question d’une explication purement physiologique ou d’une heureuse convergence entre des faits médicaux (la moindre résistance des femmes aux « effets » de l’alcool) et socioculturels. Joan W. Scott (1986) questionne la notion de genre et montre que les « qualités » qui leur sont attribuées ne sont pas absolues mais s’inscrivent plutôt dans des systèmes de pensée ou des concepts construits à différents moments et dépendant évidemment des relations de pouvoir prévalant dans la société étudiée.

Boire ou être une femme, il faut choisir…

4Sidsel Eriksen (1999), qui centre ses recherches sur les femmes et l’alcool au Danemark au tournant du xxe siècle, montre comment les rôles sont construits en réponse au contexte économique et social. Au début du xxe siècle, boire était un comportement familier et « naturel » seulement chez les hommes. En particulier, la consommation d’alcool et le contrôle relatif de ses effets chez les jeunes garçons étaient un rite de passage obligé vers le monde adulte. Parallèlement à l’industrialisation et à l’urbanisation de la société, se sont développés les problèmes d’ébriété, en particulier au sein de la classe ouvrière. Ainsi, le fait pour un homme d’aller au pub après le travail et de rentrer saoul chez lui devient une caractéristique bien connue de la « carrière [3] » du travailleur urbain. Pour Sidsel Eriksen, le rôle de la femme sobre qui se contrôle est une construction délibérée de la société victorienne pour contrebalancer cette hausse de la consommation d’alcool, la femme prenant en charge le devoir de préserver la société. Dans certaines circonstances, la consommation d’alcool des femmes a ainsi été considérée comme un danger pour la famille. Ce fut le cas au début du siècle en Angleterre, où lui fut attribuée à tort la responsabilité d’un fort taux de mortalité infantile dans certaines villes (Hunt et al., 1989). Ainsi, alors que le fait de boire pour les hommes est symbole de force, de vitalité et de virilité, la sobriété devient une expression de la féminité, de la pureté et de la sécurité. Ce dualisme – alcool et masculinité, sobriété et féminité(tableau 2) – réduit de fait la consommation publique d’alcool chez les femmes de « bonne vie », cette abstinence étant justement une façon d’exprimer sa féminité. Par contrecoup, ce comportement de consommation nourrit l’idée d’une sobriété « originelle » et « naturelle » chez la femme. D’un côté, les hommes acquièrent leur statut viril en consommant de l’alcool, tandis que de l’autre, on naît femme et sobre. Cette opposition classique entre acquis (devenir un homme) et inné (sobriété naturelle) est l’illustration parfaite des relations de genre du type dominants-dominées.

Tableau 2

Genre et alcool vers 1900

Tableau 2
Femme Homme Sobriété Forte : pureté, honneur et féminité Faible : impotence et impuissance Consommation Faible : licence et lubricité Fort : robustesse et virilité Source : Eriksen, 1999.

Genre et alcool vers 1900

5Évidemment, de nombreuses femmes échappaient à cette catégorisation : leur relation à l’alcool pouvait devenir un marqueur reflétant leur identité propre (à condition de disposer d’un capital social suffisant) et l’image qu’elles renvoyaient se déclinait selon la sphère où elles se trouvaient. Ainsi, le croisement des caractéristiques propres aux sphères publique et privée d’un côté, et à la sobriété ou à la consommation de l’autre, génère une matrice des quatre identités possibles pour les femmes.

Tableau 3

Matrice des liens consommation et lieu de consommation d’alcool pour les femmes vers 1900

Tableau 3
Sphère privée Sphère publique Sobriété Esprit de sacrifice : sobriété, pureté, force, maîtrise de soi, vraie femme Rebelle : caractère militant, maîtrise de soi, autorité, perte de la féminité Consommation Résignée : délicatesse, vulnérabilité, faiblesse, pathétique, docilité, féminité Transgressive : masculinité ou fausse émancipation ou licence Source : Eriksen, 1999.

Matrice des liens consommation et lieu de consommation d’alcool pour les femmes vers 1900

6Ici, l’intervention des femmes dans la sphère publique apparaît plutôt négative, la place première des femmes semble être le foyer conjugal. Le rôle « naturel » de la femme est d’être l’ange gardien du foyer. Elle assume l’entière responsabilité d’une vie de famille réussie et, en particulier, elle est la première responsable des abus de boisson de son mari, le cas échéant. En effet, elle est censée user de « ses dispositions spécifiquement féminines » pour garder son mari au foyer. Si son mari fuit sa famille, c’est parce qu’elle ne sait pas rendre sa maison chaleureuse et accueillante, bien cuisiner, lui plaire, etc. En tant que maîtresses de maison, les femmes ne cessent d’inciter les hommes à boire ; mais là ne s’arrête pas leur responsabilité puisqu’en tant qu’invitées, elles paraissent toujours boire trop et tarder à réclamer de l’eau.

7Pour autant, le mouvement féminin de tempérance [4] se doit d’être cantonné à la seule sphère privée et ce, en particulier, parce que ce mouvement s’est souvent accompagné de revendications [5] plus féministes pour libérer les femmes du joug conjugal : droit au divorce, indépendance économique, droit de vote. Plus généralement, ces revendications s’accordaient peu avec le rôle attribué aux femmes car elles s’attaquaient à la fois à la domination masculine et à la culture « mâle ».

8Ainsi, le fait de boire en public a été perçu pour les cercles de femmes progressistes comme une façon d’exprimer leur force et leur liberté, de s’émanciper. Mais une fois encore, la culture dominante limite cette intrusion des femmes dans l’espace public : cette volonté affichée de vivre en public et de sortir du foyer, qui rappelle celle des garçons qui, en commençant à fumer et à boire, intègrent le monde adulte, est plutôt réservée à la bourgeoisie. Pour les femmes les plus favorisées, consommer alcool et tabac dans des lieux publics devient ainsi un moyen d’exprimer leur volonté de sortir du carcan de la femme au foyer imposé par la société et d’une certaine façon de revendiquer une égalité des droits et des devoirs. Mais dans les années 1900, le mouvement de tempérance, et plus généralement la société, dénonce cette façon de voir. Les critiques sont nombreuses. Si les femmes souhaitent être égales aux hommes, elles feraient mieux d’acquérir d’abord leurs qualités – énergie et force de travail – plutôt que leurs vices – tabac, alcool et impudeur. S’appuyant sur des « vérités biologiques », les opposants à cette émancipation dénoncent les dégâts plus rapides de l’alcool chez la femme aussi bien pour une consommation occasionnelle (moins grande résistance), que pour les risques de dépendance (accoutumance plus rapide). La conclusion du raisonnement est la suivante : « […] quand une femme tombe, elle tombe toujours plus profondément qu’un homme » (Rasmussen, 1904). Ironiquement, Sidsel Eriksen souligne le fait que la chute est plus longue car la femme tombe de plus haut : du piédestal de l’idéal de la femme sobre. En fait, la consommation féminine d’alcool ne pouvait conduire qu’à la femme licencieuse. Par définition, le choix de boire ou non est le choix de l’impureté ou de la pureté. La femme qui boit est de fait moins respectable car elle a perdu sa maîtrise de soi, elle devient grossière et gouvernée par de bas instincts. Ainsi, boire « ne donne pas aux femmes virilité ou plus de valeur ; elles perdent simplement leur féminité et leur parfum de pureté et obtiennent seulement l’opportunité de devenir dépendantes et répugnantes » (Rasmussen, 1904).

9La consommation d’alcool doit donc se cantonner au domicile afin d’être invisible. Comme l’a écrit Olav Bene-dictsen : « Depuis des temps immémoriaux, les hommes ont pu boire où et quand ça leur plaisait, sans perdre le respect en aucune manière. Les femmes au contraire dissimulent leur état autant qu’elles le peuvent et se montrent très rarement en état d’ébriété dans les rues, restaurants, réceptions, etc. Les femmes dépendantes de l’alcool se trouvent entre les quatre murs de leur foyer où elles peuvent boire, mais en cachette pour éviter la honte, aussi longtemps que leur modestie et beauté féminines innées persistent » (Bene-dictsen, 1907). Alors que l’homme se contente de nier son alcoolisme, la femme fait tout pour qu’il reste inconnu et secret car elle sait que cette dépendance est une honte. Elle use de ses « qualités féminines » que sont la ruse, l’inventivité et la créativité pour dissimuler son état. Sa consommation n’a d’autre but que de lui permettre de « survivre », de lutter contre le stress de la vie quotidienne. D’ailleurs, l’origine de cet abus pourrait être médicale, dans la mesure où l’alcool était souvent prescrit comme un fortifiant, avant que ce remontant ne se transforme en véritable drogue. Sidsel Eriksen souligne ici que la société du début du siècle était plus encline à tolérer cet alcoolisme caché qu’une consommation moindre mais affichée. Ainsi, ce n’est pas la substance alcool qui est incompatible avec la femme « biologique » puisque dans ce cas, les femmes, du fait de leur faiblesse naturelle, ont besoin d’alcool pour surmonter les difficultés de leur vie. En somme, l’alcool n’est dangereux et antinaturel pour les femmes que s’il est consommé dans un contexte public et masculin où elles viendraient en quelque sorte concurrencer les hommes : c’est donc plus la valeur symbolique que la quantité d’alcool qui s’avère importante pour évaluer l’abus féminin d’alcool. Cette consommation cachée était acceptée, en quelque sorte comme l’est aujourd’hui la plus forte consommation féminine de médicaments psychotropes [6].

10Aujourd’hui, ce modèle apparaît radicalement modifié du fait, entre autres, d’un changement dans le modèle masculin au sein duquel boire ne renforce plus à coup sûr la masculinité. Et même, le fait de devoir boire pour assumer son rôle de « mâle » peut devenir un signe d’impuissance (tableau 4). Est-ce parce qu’il est désormais admis que les femmes puissent boire en public que l’alcool a perdu sa valeur de symbole de la masculinité pure ? Ainsi, alors que les femmes ont montré que le fait qu’elles boivent en public n’était pas un danger pour la société [7], elles doivent maintenant prendre en compte que l’abstinence masculine est une preuve de maîtrise de soi.

Tableau 4

Genre et alcool en 2000

Tableau 4
Femme Homme Sobriété Faible : esprit de sacrifice, fidélité et tradition Fort : maîtrise de soi, conscience professionnelle Consommation Forte : indépendance, assurance et confiance en soi Faible : mollesse, impuissance et impotence Source : Eriksen, 1999.

Genre et alcool en 2000

11À partir des données provenant de la plupart des pays européens, l’étude genacis a récemment permis de montrer que plus l’égalité des sexes est respectée dans un pays, moins les différences de genre sur l’alcoolisation s’avèrent importantes. C’est particulièrement le cas dans les pays nordiques. Il y a ainsi un certain nombre de facteurs influençant la nature des différences de genre d’un pays à l’autre et aucune nation ne fait figure d’idéal type en matière de culture d’alcoolisation. Globalement, le sex ratio de l’usage d’alcool évolue peu avec l’âge pour les différents indicateurs (usage occasionnel, régulier, ivresse, etc.), à l’exception des fortes consommations ponctuelles (binge drinking) pour lesquelles les pratiques des jeunes femmes sont relativement proches de celles des jeunes hommes (Bloomfield et al., 2005).

Et la france dans tout ça…

12Les modèles présentés ne se révèlent toutefois pas complètement compatibles avec le cas français. En effet, au début du xxe siècle, dans les pays du nord de l’Europe, les hommes buvaient traditionnellement pour être ivres et dès lors qu’ils respectaient les normes de la taverne et qu’ils remplissaient par ailleurs leur rôle de chef de famille, la participation à ces beuveries contribuait plutôt à rehausser leur statut social (Tlusty, 1997). En France, des années 1870 à la première guerre mondiale, les autorités publiques se sont inquiétées de la hausse de consommation d’alcool capable de nuire à la survie de la nation, dans une rhétorique de l’eugénisme et de la peur de la dégénérescence nationale. L’industrialisation de la production d’alcool et la multiplication des lieux de consommation dans les centres urbains ont contribué à modifier le mode de consommation qui devient quotidien et excessif. La consommation serait ainsi passée de 7,3 litres d’alcool pur par habitant dans les années 1830 à plus de 20 litres dans les années 1890. Cependant, l’abus d’alcool restait considéré comme un travers uniquement masculin. Si l’alcoolisme féminin était fortement critiqué en termes moraux, il n’existait pas de censure totale de la consommation. L’abstinence totale restait l’exception, d’autant plus que la consommation de vin était fortement recommandée pour ses effets bénéfiques sur la santé [8]. Ainsi, dans les années 1870, le mouvement de tempérance français conseillait, pour lutter contre l’alcoolisme, de boire du vin pur (ou de la bière), l’alcoolisme étant lié à la consommation d’alcool distillé peu cher comme les eaux-de-vie et apéritifs en tout genre. Il faudra attendre les années 1890 pour que le corps médical reconnaisse que c’est la quantité d’alcool ingérée plutôt que la qualité qui est un facteur d’intoxication. Enfin en 1914, les médecins et associations de tempérance définissent comme usage excessif toute consommation de vin supérieure à un litre par jour chez les travailleurs de force. Ainsi, dans les années 1900, la morbidité liée à l’alcool mais aussi les taux d’admission pour alcoolisme dans les asiles sont importants : 30 % des admissions d’hommes dans les asiles sont liées à l’alcoolisme contre environ 10 % des admissions de femmes. Pour autant, les stéréotypes de genre existent aussi en France : l’alcoolisme féminin serait plutôt caché : « […] contrairement aux hommes, qui boivent de façon visible, les femmes boivent en douce » (Moissy, 1921).

13En fait, il y a peu d’études sur les pratiques féminines de consommation d’alcool. Les descriptions des comportements de consommation reposent sur les hypothèses classiques de la « nature » des femmes. Alors que l’alcoolisme masculin serait d’origine socio-économique et lié aux dures conditions de travail et au système de sociabilité des hommes reposant entre autres sur les « cafés » (soit un comportement collectif et public), l’alcoolisme féminin serait au contraire solitaire et clandestin par nature, lié aux problèmes psychologiques « typiquement féminins ». Parallèlement, cet alcoolisme est généralement condamné en termes moraux. Cette dichotomie de genre a persisté après la seconde guerre mondiale et pratiquement jusqu’à nos jours. Dans les années 1960 et 1970, s’est dessiné le fantasme permanent d’une hausse sans précédent de la consommation d’alcool chez les femmes, fantasme qui ne repose sur aucune donnée chiffrée. En effet, la conclusion des travaux de Jean-Michel Berthelot et al. (1984) sur l’alcoolisme féminin est que ce dernier existait bien avant que l’on en fasse grand cas, qu’il est probablement aussi vieux que l’alcoolisme masculin et que les statistiques existantes ne permettent en rien d’affirmer que ce phénomène serait en progression. Ces caractérisations de genre sur les comportements de consommation s’étendraient aussi aux types de boisson : selon l’imagerie populaire, l’homme préfère le vin et les produits nationaux, la femme préfère le whisky ou les cocktails, soit des produits étrangers. Ce qui d’une certaine manière revient à affirmer que les femmes ont tendance à mettre en péril l’industrie et l’identité nationale, tout comme dans l’exemple précédent elles mettaient en péril l’intégrité de la cellule familiale : leur consommation reste ainsi toujours, contrairement à celle des hommes, un problème, une menace, qui s’est seulement déplacée au cours du siècle.

14Au cours des années 1980, les femmes sont de plus en plus présentes sur le marché du travail et imitent les vices des hommes, comme en témoignent de nombreuses coupures de presse de l’époque (Bähler, 1989). En avril 1995, un éditorial de Neuro-Psy affirmait que, si par le passé, l’abus d’alcool chez les femmes était le signe de sérieux problèmes psychiatriques, aujourd’hui avec l’« émancipation des femmes », il ressemble de plus en plus à un alcoolisme d’hommes, c’est-à-dire un alcoolisme « d’habitude et de mauvaises influences » (Bähler, 1989). Enfin, de récentes études épidé-miologiques montrent qu’en dépit d’une « certaine » vulnérabilité psychologique à l’alcool, les femmes souffrent moins souvent de troubles nerveux d’origine alcoolique que les hommes, ce qui est normal dans la mesure où elles consomment beaucoup moins d’alcool. Cependant, les femmes seraient diagnostiquées comme dépressives deux fois plus souvent que les hommes (Plant, 1997). Ainsi, les hommes et les femmes exprimeraient différemment leurs angoisses : alcoolisme chez l’homme, dépression et recours aux médicaments psychotropes chez la femme (Tomes, 1990).

Quelques « déterminants » de la consommation d’alcool

15Partant de l’hypothèse que les différences sociales entre les hommes et les femmes s’expriment plus clairement dans le comportement de consommation d’alcool qu’au travers de différences de personnalité ou de facteurs physiologiques (Veltfort et Knupfer, 1978 ; Bates, 1993), Salme Ahlström, Kim Bloomefield et Ronald Knibbe (2001) analysent les types de consommation au regard de certaines variables sociodémographiques : âge, niveau d’éducation, emploi, statut marital et parenté. Cette étude ne permet toutefois pas de démêler l’écheveau des effets de structure, par exemple l’effet génération qui fait qu’en France, plus les individus sont âgés, plus ils consomment d’alcool quotidiennement. Afin de contrôler les effets de génération et pour savoir s’il existe un effet niveau d’éducation, la population a été divisée en trois classes d’âge : 18-35 ans ; 36-50 ans ; 51-69 ans. Chez les hommes, plus le niveau d’éducation est bas, plus la consommation mensuelle est importante (en termes de fréquence). Cette différence disparaît pour la consommation quotidienne sauf chez les 51-69 ans. En revanche, chez les femmes, hormis chez les 18-35 ans, ce sont plutôt les plus diplômées qui consomment le plus. Ceci pourrait corroborer l’hypothèse « émancipatrice » du niveau d’éducation qui assurerait une certaine liberté économique et sociale du moins pour les générations des années 1950 à 1970. Pour les générations suivantes, il n’y a pas de différences entre les hommes et les femmes.

16Afin de tester l’hypothèse d’une consommation plus forte d’alcool des chômeurs, les auteurs comparent les fréquences et quantités consommées selon le statut (actif, chômeur, étudiant, retraité). En France, la proportion de consommateurs quotidiens la plus élevée se trouve parmi les retraités, chez les femmes comme chez les hommes. En revanche, si parmi les hommes ce sont encore les retraités qui consomment le plus (en quantité mensuelle), ce sont les étudiantes qui sont les plus consommatrices d’alcool (toujours selon le même critère). Dans une récente étude sur le lien entre pcs (Professions et catégories socioprofessionnelles) et usages de substances psychoactives, Stéphane Legleye et François Beck (2004) ont montré que les chômeurs présentent un niveau d’usage quotidien d’alcool inférieur à celui des actifs occupés, cet effet disparaissant après contrôle de certaines variables telles que l’âge (les chômeurs étant en moyenne nettement plus jeunes que les actifs occupés). En revanche, les chômeurs déclarent plus souvent des signes d’usage problématique d’alcool après contrôle des effets de structure, mais surtout une expérimentation de cocaïne, un tabagisme quotidien ainsi qu’un recours aux médicaments psychotropes, supérieurs aux actifs occupés.

17Le mariage semble pour sa part avoir des effets similaires chez l’homme et la femme. Les fréquences de consommation mensuelle et les taux de consommateurs quotidiens les plus élevés se trouvent parmi les divorcés (Ahlström et al., 2001). Évidemment, il est impossible de savoir si le divorce est une cause ou un effet de cette consommation supérieure, même si une abondante littérature anglo-saxonne illustre le risque de détresse psychologique lors d’un tel événement (Pearlin, 1989). La relation entre statut matrimonial et alcoolisation apparaît néanmoins relativement complexe, les études aboutissant parfois à des résultats contradictoires (Hanna et al, 1993 ; Harford et al, 1994). Par ailleurs, la parenté a des effets différents chez les hommes et les femmes. Ce sont les pères qui consomment le plus parmi les hommes, ceci dans les deux tranches d’âge étudiées (18-35 ans et 36-50 ans), et ce sont les mères qui consomment le moins chez les femmes. L’explication avancée est un effet d’opportunité, les pères effectuant moins de tâches domestiques que les autres hommes et donc, de fait, les mères auraient moins d’occasions de boire.

Rôle social et consommation d’alcool des femmes

18La recherche des liens entre rôle social et consommation d’alcool n’est pas une nouveauté : dès la fin du xixe siècle, Émile Durkheim montrait l’importance de tels rôles sur le comportement des individus. Ainsi, en fournissant un objet et un sens à la vie des individus, les rôles sociaux protègent du suicide (Durkheim, 1897). Selon Gerhard Gmel et al. (2000), la théorie dominante est celle de l’« accumulation des rôles » : plus une personne occupe de rôles, plus elle ressent de bien-être. Ainsi, les femmes seraient plus souvent victimes de troubles mentaux que les hommes parce qu’elles occupent moins de rôles sociaux que ces derniers (en particulier moins souvent celui du travailleur). Or les rôles des femmes ont, selon ces auteurs, beaucoup changé dans les quarante dernières années [9]. Ces évolutions ont conduit les théoriciens à remettre en cause la théorie de « l’accumulation » qui ne semblait pas s’adapter aux femmes. Tous les rôles sociaux n’auraient pas forcément d’effets positifs sur la santé (ou le bien-être) et, selon les cas, les rôles multiples pourraient avoir des effets bénéfiques ou nocifs. La superposition de ces rôles et l’excès de responsabilité qui en découle parfois peuvent conduire à des situations de tension au sens où les définit Alain Ehrenberg (1995), à savoir une succession d’épisodes d’enthousiasme – voire d’euphorie -et d’épisodes d’abattement – voire de dépression. Ingrid Waldron, Christopher Weiss et Mary Elizabeth Hugues (1998) proposent trois modèles différents : « rôles complémentaires » ; « rôles substituables » ; « overdose de rôles ». Les deux premiers modèles s’appliqueraient dans le cas de couples où les rôles seraient soit complémentaires [10] soit substituables [11] (dans le sens économique de ces termes) ; le dernier modèle s’appliquerait particulièrement aux familles monoparentales [12]. L’autre faiblesse des analyses des interactions entre rôle social et consommation d’alcool est qu’elles s’appuient généralement sur l’hypothèse dite de « réduction des tensions », c’est-à-dire que l’alcool serait consommé comme un antidépresseur pour réduire les tensions et le stress de la vie quotidienne. Au regard des différences de genre entre abus d’alcool et dépression qui pourraient être un indicateur de la spécificité de genre des conséquences du stress, les auteurs suggèrent que le lien entre rôle et alcool devrait être moins fort chez les femmes. Les femmes sont en effet plus à même d’accepter publiquement l’idée de souffrance psychique et le recours aux soins qu’elle nécessite, comme le montre leur usage nettement plus courant de médicaments psychotropes.

19Pour tester l’impact des rôles sociaux sur la consommation d’alcool, Gerhard Gmel et al. (2000) mesurent à l’aide d’une régression logistique les associations entre le statut matrimonial, le statut d’emploi et le fait d’avoir des enfants (à âge, revenu et niveau d’éducation contrôlés) avec la consommation quotidienne d’alcool. Nous reprenons ce modèle en utilisant des données plus récentes [13] (tableau 5).

Tableau 5

Modélisation logistique de la consommation quotidienne d’alcool des femmes selon des critères de rôle social[14]

Tableau 5
Caractéristi ques Coefficient (odds ratios14) Âge 18-34 -1- 35-54 5,9*** 55-75 16,2*** Statut matrimonial Célibataire ou autres -1- Mariée (remariée) 1,4*** Diplôme Aucun -1- Bac ou équivalent 1,1 ns Supérieur au bac 0,9 ns Présence d’enfant(s) Sans enfant -1- Avec enfants 0,8 ns Activité Ne travaille pas -1- Travaille 1,5*** Niveau de vie du foyer Moins de 6 000 FF* -1- Entre 6 000 et 10 000 FF* 1,1 ns Plus de 10 000 FF* 1,5*** *,**,***, ns : odds ratio significatif aux seuils 0.05, 0.01, 0.001 et non significatif. * Calcul par unité de consommation au sein du foyer. Source : Baromètre santé 2000, INPES, OFDT, exploitation OFDT, réalisé sur 6258 femmes de 18 ans et plus.

Modélisation logistique de la consommation quotidienne d’alcool des femmes selon des critères de rôle social[14]

20Le facteur associé à la consommation le plus important reste l’âge, très largement devant l’exercice d’une profession et l’existence d’un haut revenu par unité de consommation au sein du foyer : la présence d’enfants ou le niveau de diplôme ne semblent pas jouer de façon significative. Finalement, les associations entre les divers critères de rôle sociaux proposés et la consommation d’alcool s’avèrent relativement faibles dans cette analyse. Il est possible de proposer comme explication la relative importance des « politiques émancipatrices » en France qui facilitent l’intégration des femmes dans les différentes combinaisons de rôles. Selon une étude d’Alan Siaroff (1994), si pour le travail des femmes (en termes de facilité d’accès, d’équité, etc.), la France occupe une position médiane au sein des pays de l’ocde (Organisation de coopération et de développement économiques) (11e sur 23), la politique familiale (allocations familiales, politiques d’éducation, etc.) la place au second rang. La troisième raison invoquée est d’ordre culturel : la France est un pays où la consommation d’alcool est banalisée et fortement intégrée dans la vie quotidienne. Cela pourrait expliquer que les consommatrices quotidiennes sont réparties de façon relativement homogène dans les différentes couches de la population comparativement à ce qui peut être observé dans d’autres pays.

21Toutefois, une analyse similaire restreinte aux actifs occupant un emploi, permet de mettre au jour d’importantes différences entre les pratiques de consommation des personnes suivant leur pcs. Pour les deux sexes, le facteur associé le plus important pour la consommation d’alcool et l’ivresse est l’âge. Chez les hommes, les différentes formes d’alcoolisation s’avèrent associées à la pcs, mais des contrastes importants apparaissent suivant le niveau de consommation modélisée : les usages au cours de la semaine sont plus fréquents parmi les professions libérales, professeurs et cadres que parmi les autres pcs, qui ne se distinguent pas de la catégorie de référence, les ouvriers. La consommation quotidienne est en revanche beaucoup plus fréquente parmi les ouvriers (les autres pcs présentant des odds ratios significativement inférieurs à 1). L’ivresse scinde la population masculine active étudiée en deux : les professions libérales et les ouvriers, chez qui elle est relativement rare, et les professions intermédiaires et les employés, chez qui elle est significativement plus fréquente. La prévalence de l’ivresse varie avec la pcs, suivant grossièrement la forme d’un U inversé : faible chez les ouvriers, elle est forte chez les employés, un peu moins chez les professions intermédiaires et retrouve son faible niveau de départ chez les professions libérales.

22Ainsi, suivant l’indicateur modélisé, les pcs élevées et basses peuvent ou non présenter des similitudes dans leurs déclarations de consommation : les consommations au cours de la semaine opposent la pcs la plus élevée (« professions libérales, professeurs, cadres ») à toutes les autres, y compris les ouvriers ; la consommation quotidienne oppose les ouvriers à toutes les autres, y compris les professions libérales ; enfin, l’ivresse oppose les ouvriers et les professions libérales, d’un côté, à toutes les catégories intermédiaires, de l’autre.

23Chez les femmes, la consommation quotidienne est aussi fréquente parmi les ouvrières que parmi les employées et les professions intermédiaires ; seules les femmes de la pcs la plus élevée se distinguent clairement des autres par leur prévalence significativement plus élevée. Les consommations au cours de la semaine montrent un clivage différent : relativement faible parmi les ouvrières et les employées, significativement plus élevée parmi les professions libérales et les professions intermédiaires. La différence entre les deux catégories les plus consommatrices est toutefois importante : les femmes de la catégorie « professions libérales, professeurs, cadres » sont 1,6 fois plus nombreuses à avoir consommé plusieurs fois par semaine au cours de l’année que les femmes des catégories « professions intermédiaires » (1,6=3,3/2,1). Pour l’ivresse, les résultats ne sont pas significatifs, sans doute à cause de la rareté de ce comportement chez elles, même s’il existe une tendance à la hausse de l’odds ratio associé à l’ivresse avec l’élévation de la pcs (tableau 6).

Tableau 6

Modélisation des consommations d’alcool et de l’ivresse au cours de l’année (18-75 ans, actifs exerçant un emploi, hors agriculteurs et artisans commerçants, suivant l’âge et la pcs)

Tableau 6
Hommes : usage… Hemmes : usage… 2 fois et + / 7 j quotidien ivresse 2 fois et + / 7 j quotidien ivresse Âge : réf : 18-25 ans -1- -1- -1- -1- -1- -1- 26-34 ans 1,1 ns 1,8 » 0,6*** 1,6 ns 4,1 ns 0,4*** 35-44 ans 1,9*** 4,9*** 0,3*** 3,0*** 7,5** 0,2*** 45-54 ans 3,6*** 12,3*** 0,1*** 4,9*** 19,8*** 0,1*** 55-75 ans 5,5*** 16,2*** 0,1*** 5,0*** 24,1*** 0,0*** PCS : réf : ouvriers -1- -1- -1- -1- -1- -1- Professions libérales, professeurs, cadres 1,3** 0,5*** 1,1 ns 3,3*** 2,0* 1,4 ns Professions intermédiaires 1,1 ns 0,7*** 1,3* 2,1*** 1,1 ns 1,1 ns Employés 0,9 ns 0,6*** 1,5*** 1,3 ns 1,2 ns 1,1 ns *,**,***, ns : odds ratio significatif aux seuils 0.05, 0.01, 0.001 et non significatif. Lecture : Les PCS dont les effectifs sont faibles, et qui sont par ailleurs très masculines, comme les artisans et les agriculteurs, ont été écartées de l’analyse. Dans chacun des modèles, la tranche d’âge de référence est la tranche 18-25 ans, la PCS de référence est celle des ouvriers. Source : Baromètre Santé 2000, exploitation OFDT.

Modélisation des consommations d’alcool et de l’ivresse au cours de l’année (18-75 ans, actifs exerçant un emploi, hors agriculteurs et artisans commerçants, suivant l’âge et la pcs)

24Le fait d’exercer un métier figurant dans la catégorie « professions libérales, professeurs, cadres » joue donc dans des sens différents chez les femmes et les hommes : il est associé à une consommation quotidienne plus rare chez ces derniers, mais plus fréquente chez les premières, à des consommations au cours de la semaine beaucoup plus fréquentes chez les femmes que les hommes. Une remarque similaire peut être faite à propos de l’ivresse, bien que la relation ne soit pas significative : l’odds ratio associé à la catégorie professionnelle diminue avec l’augmentation de celle-ci chez les hommes, tandis qu’elle augmente chez les femmes. La pcs et l’alcoolisation ne sont donc pas liées de la même façon chez les femmes et les hommes.

25Il est raisonnable d’émettre l’hypothèse que, dans une certaine mesure et pour certains usages, l’élévation du niveau professionnel des femmes tend à rapprocher leur consommation déclarée d’alcool de celle des hommes. En effet, l’élévation de la pcs est schématiquement associée à une réduction ou à une stagnation des consommations chez les hommes, mais à une augmentation chez les femmes. Tester cette hypothèse implique de comparer la différence homme/femme pour les indicateurs de consommation étudiés ici, pour chaque catégorie socioprofessionnelle, à âge contrôlé. Le tableau 7 présente les odds ratios associés au fait d’être un homme plutôt qu’une femme pour les trois indicateurs de consommation étudiés dans des régressions logistiques contrôlant l’âge au sein des catégories socioprofessionnelles

Tableau 7

Odds ratios ajustés selon l’âge associés au sexe masculin pour la consommation d’alcool pour les différentes pcs (18-75 ans, actifs exerçant)

Tableau 7
Ouvriers Employés Professions intermédiaires Professions libérales, professeurs, cadres Usage quotidien 7,2*** 3,8*** 4,4*** 2,1*** 2 fois et + / 7 jours 6,6*** 5,0*** 3,5*** 2,7*** Ivresse au cours de l’année 4,4*** 6,4*** 5,1*** 3,7*** *,**,***, ns : odds ratio pour le fait d’être un homme plutôt qu’une femme significatif aux seuils 0.05, 0.01, 0.001 et non significatif. Source : Baromètre Santé 2000, exploitation OFDT.

Odds ratios ajustés selon l’âge associés au sexe masculin pour la consommation d’alcool pour les différentes pcs (18-75 ans, actifs exerçant)

26La baisse de l’odds ratio avec l’élévation de la pcs exprime que la différence hommes/femmes s’amenuise. Si elle est très importante pour les déclarations de consommation, elle reste discutable pour la prévalence de l’ivresse au cours de l’année, ce qui confirme surtout que l’ivresse est un comportement essentiellement masculin et rare chez les femmes interrogées en population générale.

27Comment interpréter ces résultats qui suggèrent un rapprochement des modes de consommation d’alcool des hommes et des femmes pour les pcs les plus élevées ? Il est possible que l’exercice de métiers à haut niveau de responsabilité, de qualification, de rémunération et de reconnaissance sociale ait pour effet une certaine adhésion des femmes à des valeurs considérées traditionnellement comme plus masculines : prise de risque, individualisme, esprit de conquête, mais aussi consommation de psychotropes. L’exercice de ces métiers s’accompagne aussi souvent d’une sociabilité très masculine (les pcs supérieures sont en effet très masculines) qui peut conduire à rapprocher son comportement de consommation d’alcool de celle de ses collaborateurs, de ses amis ou de son conjoint. Mais d’autres pistes de réflexion et d’analyse sont envisageables, comme une sensibilité accrue au stress ou l’existence d’une sociabilité différente et valorisée.

28***

29L’étude des comportements de consommation d’alcool et de leur perception par la société par le prisme du genre constitue un champ prometteur, en particulier en France où cette consommation est fortement intégrée aux relations sociales (repas de famille ou entre amis, célébrations en tous genres, etc.) et donc a priori moins stigmatisée que dans d’autres pays. La consommation masculine s’avère toujours largement supérieure, et surtout, aucune donnée épidémio-logique fiable ne permet de conclure à une « explosion de l’alcoolisme féminin » souvent considérée comme une « rançon de l’émancipation de la femme ». Malgré des évolutions dans les représentations de l’alcoolisation des femmes, la plus forte réprobation sociale de la consommation féminine reste d’actualité. Le facteur le plus fréquemment invoqué est celui de la répartition sexuelle des rôles sociaux et notamment domestiques : la fonction maternelle implique d’apporter des soins incessants aux enfants et rend inacceptable tout écart de conduite ou toute absence, même temporaires. Comparativement, les travaux de l’homme peuvent plus souvent être reportés : « Labourer un champ peut être reporté d’un jour, mais pas les soins à un enfant [15] » (Saunders, 1980). De plus, pour certains auteurs, la question de l’image et de la valorisation reste prégnante : « La consommation d’alcool est associée à l’idée de débauche sexuelle ou du moins d’une diminution de la retenue sexuelle. La femme ivre est pratiquement synonyme de femme de mauvaise vie » (Bähler, 1989). Faut-il voir dans ces représentations différenciées une certaine réticence d’une partie de la société française à faire face au problème de l’alcoolisme dans son ensemble ou une illustration de la persistance des stéréotypes de genre dans notre société ? Probablement un peu des deux.

Notes

  • [1]
    Anmerkung der Übersetzung: im Original in Anführungszeichen
  • [2]
    Ce qualificatif désigne un usage de dix consommations et plus par mois.
  • [3]
    Le terme de « carrière » s’entend ici dans le sens développé entre autres par Howard S. Becker en 1963.
  • [4]
    Ces mouvements sont apparus au début du xixe siècle et ont conduit à des réglementations sur la consommation d’alcool voire à son interdiction totale aux États-Unis et en Norvège au début du xxe siècle.
  • [5]
    C’était le cas en particulier aux États-Unis, au Canada et en Angleterre au tournant du xxe siècle.
  • [6]
    En France, en 2000, 12 % des femmes de 18 à 75 ans ont consommé des tranquillisants au cours de la semaine, contre 6 % des hommes, sachant que dans les trois-quart des cas, cette consommation est liée à une prescription médicale (Beck et Legleye, 2003).
  • [7]
    Encore que, récemment, les problèmes de santé liés à la consommation d’alcool pendant la grossesse ont fait l’objet de campagnes de prévention spécifiques.
  • [8]
    Pasteur lui-même prétendait que le vin était la boisson la plus saine et la plus hygiénique.
  • [9]
    Cette hypothèse s’appuie sur la montée du taux d’activité féminine, la baisse de la fécondité, la réduction (même restreinte) de certaines inégalités : salaire, nombre de sièges dans les institutions publiques, postes à responsabilité, etc.
  • [10]
    Les auteurs citent le mariage où les membres du couple se répartissent les rôles : femme au foyer et homme au travail. Cet exemple peut sembler surprenant mais est cohérent du point de vue du fonctionnement de la cellule familiale.
  • [11]
    À titre d’exemple, le mariage et le travail peuvent se substituer, chacun étant source de support social.
  • [12]
    Les auteurs citent le cas d’une femme employée à temps complet et vivant seule avec un ou des enfants.
  • [13]
    Les auteurs utilisaient pour la France les données de l’enquête téléphonique conduite par le Comité Français d’Éducation pour la Santé de 1995 sur un échantillon représentatif de la population française de 1993 individus.
  • [14]
    Un odds ratio est un rapport de rapport de probabilités (ou fréquences) conditionnelles sur le modèle (p’/(1-p’))/(p/(1-p)), où p désigne la probabilité de posséder le caractère étudié sachant qu’on n’a pas une caractéristique donnée, et p’ la probabilité de posséder ce caractère sachant qu’on possède cette caractéristique. Par exemple, p’ désigne la probabilité d’être de bonne humeur le matin sachant qu’on a bu un café, p celle d’être de bonne humeur sachant qu’on n’a pas bu de café. Par convention, si OR=1,9, on dira donc que les personnes ayant bu un café ont 1,9 fois plus de chances d’être de bonne humeur que les autres, en gardant à l’esprit qu’il s’agit de fréquences (il y a eu 1,9 fois plus de personnes de bonne humeur parmi les personnes ayant bu un café) plus que de vraies probabilités.
  • [15]
    Remarquons que cette citation suppose implicitement que les femmes sont seules responsables des soins aux enfants et les hommes du travail (aux champs dans ce cas).
Français

Résumé

L’étude des comportements de consommation d’alcool et de leur perception par la société est une approche intéressante de la notion de genre, en particulier en France où cette consommation est fortement intégrée aux relations sociales (repas de famille ou entre amis, célébrations en tout genre, etc.) et donc a priori moins stigmatisée que dans certains autres pays. En nous appuyant sur les travaux de Sidsel Eriksen (1999) qui définit l’alcool comme un « symbole » du genre et une exploitation statistique de nombreuses sources récentes (Baromètre santé 2000, Eropp2002), nous montrons que la dichotomieentre genre et perception par la société de la consommation d’alcool qui s’affirme au xixe siècle se prolonge aujourd’hui. En particulier, bien que la consommation d’alcool reste faible chez les femmes et très inférieure à celle des hommes, le spectre de l’explosion de cette consommation est régulièrement agité comme une réelle menace pour la société.

Deutsch

Zusammenfassung

Die Untersuchung der Verhaltensweisen in Bezug auf den Alkoholkonsum und dessen gesellschaftlicher Einschätzung stellen einen interessanten Untersuchungsansatz für eine Geschlechterstudie dar, insbesondere in Frankreich, wo dieser Konsum ein fester Bestandteil der sozialen Beziehungen (anlässlich von Familienzusammenkünften, mit Freunden, bei diversen festlichen Anlässen, etc.) darstellt, und dadurch a priori weniger stigmatisiert ist als in anderen Gesellschaften. Basierend auf den Studien von Sidsel Erikson (1999), der Alkohol alsein"Geschlechtssymbol" [1] definiertundanhandder Auswertung mehrerer neuerer statistischer Untersuchungen (Baromètre santé, Etopp 2002), wird gezeigt, dass die Dichotomie zwischen Geschlecht und der gesellschaftlichen Wahrnehmung des Alkoholkonsums, die seit dem 19ten Jahrhundert besteht, auch heute weiterhin gültig ist. Im Einzelnen wird genauer beleuchtet, dass obwohl der weibliche Alkoholkonsum wesentlich geringer als der der Männer ist, die Explosion des Alkoholkonsums im Allgemeinen als eine starke gesellschaftliche Bedrohung dargestellt wird.

Español

Resumen

El estudio de los comportamientos de consumo de alcohol y de su percepción por la sociedad es una aproximación interesante de la noción de género, especialmente en Francia, donde dicho consumo está muy integrado dentro de las relaciones sociales (comidas familiares o entre amigos, celebraciones de toda ín-dole, etc.) y por tanto menos estigmatizado que en otros países. Apoyándonos en los trabajos de Sidsel Eriksen (1999) que define el alcohol como un « símbolo » del género y en una explotación estadística de numerosas fuentes recientes (Barómetro sanidad 2000, Eropp 2002), demostramos que la dicotomía entre género y percepción por la sociedad del consumo de alcohol que se afirma en el siglo xix sigue vigente hoy. Y notablemente, aunque el consumo de alcohol de las mujeres sigue siendo bajo y mucho más bajo que el de los hombres, se sigue esgrimiendo con regularidad el espectro de la explosión de este consumo como una verdadera amenaza para la sociedad

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François Beck
François Beck, statisticien et sociologue, est responsable des enquêtes en population générale à l’Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies (ofdt), chercheur associé au cesames, Centre de recherche Psychotropes, Santé mentale, Société (cnrs umr 8136, inserm u611, Université Paris v), a fait une thèse sur le thème « Les enquêtes sur les usages de drogues : entre représentativité des échantillons et représentation des usages », sous la direction d’Alain Ehrenberg. Quelques publications : Beck F., 2005, « Dénombrer les usagers de drogues : tensions et tentations », Genèses, Numéro spécial quantification, n? 58, pp. 72-97 ; Beck F., 2004, « Enquêtes par sondage et représentations des usages de drogues : de l’épidémiologie à la sociologie » in Kaminski D. et Kokoreff M. (dir.), Sociologie pénale, Système et expériences, Erès, Ramonville-Ste-Agne, pp. 215-231 ; Beck F., Legleye S. (dir.), 2003, "Fêtes sous influences », Psychotropes, revue internationale des toxicomanies, Vol. 9, n? 3-4, 211 p. ; Beck F., Legleye S., 2003, « Les jeunes et le cannabis », Regards sur l’actualité, n? 294, La documentation Française, Paris, pp. 53-65.
Adresse professionnelle : ofte – Observatoire français des drogues et des toxicomanies, 3 avenue du Stade de France, 93218 Saint Denis La Plaine Cédex
Adresse mèl : frbec@ofdt.fr
Stéphane Legleye
Stéphane Legleye, est statisticien et épidémiologiste détaché de l’Insee à l’Observatoire français des drogues et toxicomanies (ofdt). Il mène des enquêtes en population générale ainsi qu’un travail critique et des études cliniques en milieu hospitalier afin de valider des tests de repérage d’usage nocif de cannabis. Principales publications récentes : Beck F., Legleye S., Peretti-Watel P., « Aux abonnés absents : liste rouge et téléphone portable dans les enquêtes en population générale sur les drogues » Bulletin de méthodologie sociologique, n? 86, avril 2005, pp. 5-29 ; Legleye S., « Géographie des consommations d’alcool en France », Revue d’épidémiologie et de santé publique, n? 50, 2002, pp. 547-599 ; Legleye S., Beck F., Peretti-Watel P., « Consommations d’alcool et de cannabis à 17 ans : quelles différences ? », Alcoologie et Addictologie, 24, n? 2, 2002, pp. 127-133 ; Beck F., Legleye S., Spilka S., Les usages de drogues des jeunes Parisiens, analyse infra-communale de l’enquête Escapad, rapport ofdt, Paris, janvier 2006.
Adresse professionn : ofte – Observatoire français des drogues et des toxicomanies, 3 avenue du Stade de France, 93218 Saint Denis La Plaine Cédex
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Gaël de Peretti
Gaël de Peretti, statisticien, est chargé d’études sur la pauvreté au sein de la division « Conditions de vie des ménages » de l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques). Il étudie plus particulièrement les problèmes de mesure de la pauvreté, de la précarité et des inégalités, mais aussi la question des sans-domicile. Il s’intéresse par ailleurs à la consommation des substances pyschoactives et a publié dans ce cadre un article sur ce sujet : « Sorties en discothèque et usages de substances psychoactives : exploitation d’une enquête représentative menée auprès des lycéens », Psychotropes, Fêtes sous influence, vol. 9, n? 3-4, pp. 163-184, 2003 (avec François Beck et Stéphane Legleye).
Adresse professionnelle :
Insee, Division cdv, Timbre F340, 18 Bd A. Pinard, 75675 Paris Cedex 14
Adresse mèl : gael.de-peretti@insee.fr
Mis en ligne sur Cairn.info le 02/12/2008
https://doi.org/10.3917/tgs.015.0141
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