1Le premier rapport du Conseil d’orientation des retraites paru fin 2001 s’est concentré sur “les sujets qui lui paraissent essentiels pour poser le socle des réformes à venir” (p. 10). Ainsi, ce sont les bases du système de retraite français, et donc les solidarités entre générations, qui constituent l’objet principal du rapport. La question du genre dans la problématique des retraites et les modalités spécifiques de constitution des droits à la retraite des femmes, ne sont pas abordées en tant que telles dans ce premier rapport, qui, comme il est précisé en introduction, ne pouvait traiter tous les sujets importants. D’ailleurs, Nicole Kerschen (2002) rappelle qu’“on a constaté qu’il n’existe pas de réel débat public en France sur les droits propres des femmes en matière de retraite et que peu d’études et de recherches abordent cette question”, au contraire de ce qui se passe en Allemagne. Il nous semble toutefois utile de développer cette question, essentielle lorsqu’on décrit les retraites en France aujourd’hui, lorsqu’on se projette dans le futur, ou lorsqu’on étudie les possibles adaptations à venir du système de retraite français.
La situation des femmes vis-à-vis de la retraite décrite partiellement dans le rapport
2Même si l’optique du genre est loin d’être au cœur du premier rapport du cor, elle n’en est cependant pas complètement absente. Divers faits importants liés à la situation spécifique des femmes y sont rappelés, et tout d’abord la plus grande espérance de vie, et de vie à la retraite des femmes (p. 23 à 28). En effet, pour un actif d’aujourd’hui, la probabilité d’atteindre l’âge de 60 ans est de 90% pour un homme contre 96% pour une femme, et l’espérance de retraite est de 18,2 ans pour un homme contre 24,5 ans pour une femme. “L’importance des pensions de réversion pour les femmes” (p. 29), la forte proportion de femmes dans les titulaires de faibles retraites, du fait de carrières très courtes, sont également des faits marquants qui sont rappelés (p. 31). Les femmes se caractérisent aussi par des trajectoires de fin de carrière différentes, des âges de liquidation plus tardifs, une plus forte fréquence du travail à temps partiel, en particulier contraint (p. 257), et elles “ont un risque beaucoup plus fort de terminer leur carrière professionnelle par une période d’inactivité ou d’invalidité que les hommes, surtout lorsqu’elles ont un emploi à temps partiel” (p. 41).
Les écarts de retraite entre hommes et femmes demeurent très importants, même s’ils se réduisent
3Ces différents éléments sur le constat actuel nous semblent toutefois devoir être étoffés, tant les disparités entre hommes et femmes en matière de retraite, mais aussi entre femmes, restent marquées. Ainsi, d’après l’échantillon interrégimes de retraités de 2001, les femmes perçoivent un avantage principal de droit direct (acquis en contrepartie de leur activité professionnelle) inférieur de 53% à celui des hommes (tableau 1). Les autres composantes de la retraite, et tout particulièrement les droits dérivés, viennent sensiblement réduire les écarts entre genres : la pension totale des femmes est ainsi inférieure de 42% à celle des hommes en moyenne (tableau 1).
Montant mensuel moyen des avantages vieillesse, par sexe et tranche d’âge

Montant mensuel moyen des avantages vieillesse, par sexe et tranche d’âge
4Les écarts entre hommes et femmes subsistent pour deux raisons principales : d’une part parce que les carrières des femmes demeurent plus courtes, d’autre part, parce que les rémunérations perçues au cours de la carrière sont plus faibles. En 2001, parmi l’ensemble des retraités de droit direct de 60 ans et plus, la durée moyenne de cotisation dans les régimes de base était de cent soixante-huit trimestres pour les hommes, et de cent vingt deux trimestres pour les femmes (majorations pour enfants incluses).
5Toutefois, et il s’agit d’un autre élément essentiel du diagnostic, les écarts se réduisent avec les générations, sous l’effet de la hausse des taux d’activité féminins et de la réduction des différences de rémunérations liée à la hausse des qualifications féminines. Ainsi, entre les générations antérieures à 1914 et les générations 1930-1934, les retraitées ont cotisé en moyenne neuf trimestres de plus, et l’écart entre hommes et femmes s’est réduit de sept trimestres (tableau 2). Ces évolutions induisent un resserrement des écarts au niveau des droits directs : pour les 85 ans et plus, les hommes perçoivent en moyenne une retraite de droit direct égale à 2,3 fois celle des femmes, 2,1 fois “seulement” pour les 65-69 ans.
Durée moyenne de cotisation* des retraités de droit direct, selon l’âge et le sexe

Durée moyenne de cotisation* des retraités de droit direct, selon l’âge et le sexe
Quelques éléments à prendre en compte pour le futur
6Les disparités de retraite entre hommes et femmes, si elles sont patentes, ont toutefois tendance à s’atténuer avec les générations. Comment cela peut-il évoluer à l’avenir ? L’augmentation des taux d’activité des femmes contribuera à une poursuite de la réduction de ces écarts. Selon des projections réalisées à l’aide du modèle de microsimulation Destinie de l’insee, sous l’hypothèse d’une poursuite de la hausse des taux d’activité des femmes jusqu’en 2010, qui conduit à leur convergence vers ceux des hommes, les pensions de droit direct des femmes des générations 1965-1974 seraient inférieures de 32% à celles des hommes, alors qu’elles seraient inférieures de moitié pour les générations 1935-1944 (Bardaji, Sédillot, Walraet, 2002).
7Cependant, différents facteurs peuvent venir contrecarrer cette évolution positive. Les femmes sont en effet particulièrement touchées par le travail à temps partiel ou les formes particulières d’emploi, et demeurent plus exposées au risque de chômage ou d’inactivité, qui peut être le fait de chômeuses découragées. Ainsi, en 1998, parmi les 3,9 millions de travailleurs à temps partiel, 82% sont des femmes. Le temps partiel concerne 31,6% des actives occupées (5,6% des hommes), et parmi ces dernières, il est contraint pour 38,5% (Bloch, Galtier, 1999). Le chômage, quel que soit l’âge et le diplôme, touche davantage les femmes que les hommes. En mars 1998, le taux se situait respectivement à 8,5 et 5,4% pour les diplômés du supérieur, à 12,8 et 9,1% pour les titulaires du bac ou du brevet professionnel et à 19,3 et 15,9% pour les sans diplômes ou titulaires du certificat d’études primaires. En 1998, au sein des formes particulières d’emploi, les femmes sont plus nombreuses que les hommes (63%) parmi les stagiaires et contrats aidés, ainsi que parmi les contrats à durée déterminée (54%) (Bloch, Estrade, 1998).
8Or ces aléas de carrière ne sont pas sans impact sur les droits à la retraite acquis. Le rapport du cor y consacre d’ailleurs une partie de ses “orientations et propositions pour le débat” en évoquant la nécessité de “mieux prendre en compte les aléas de carrière” (p. 253 et suivantes). Si les règles de validation de trimestres au régime général ne pénalisent que les très faibles niveaux de temps partiel (moins de 39% au smic) et permettent dans la majorité des cas de valider quatre trimestres par an, les années de travail à temps partiel peuvent avoir un impact négatif non négligeable sur le salaire annuel moyen qui sert au calcul de la retraite de base, dès lors qu’elles entrent dans les vingt-cinq meilleures années. De plus, elles se répercutent intégralement sur le nombre de points acquis dans les régimes complémentaires. L’impact du travail à temps partiel est maximal pour les carrières croissantes et lorsque le temps partiel intervient en fin de carrière. Par exemple, dix ans de travail à mi-temps en fin de carrière peuvent faire chuter de 26% la retraite de base par rapport à un travail à temps complet, et la retraite complémentaire de 19% (Coëffic, Colin, Ralle, 2001) [1]. Dans le cas de contrats aidés comme le contrat emploi-solidarité, le rapport du cor rappelle qu’il n’y a “toujours pas de prise en compte dans les régimes complémentaires” (p. 257). De même, si le chômage indemnisé permet de valider des trimestres “gratuits”, le calendrier des périodes de chômage peut conduire à inclure dans le calcul du sam de moins bonnes années. A titre d’exemple, cinq années de chômage en fin de carrière peuvent induire une baisse de la pension de retraite de 11% par rapport à une carrière ininterrompue (Colin, Mette, 2003) [2].
9Une autre des spécificités des carrières féminines demeure l’interruption en raison de la présence d’enfants. Deux dispositifs instaurés en 1972, la majoration de durée d’assurance (mda) et l’assurance vieillesse des mères au foyer (avmf) visent à compenser ces aléas de carrière. Ils étaient à leur création uniquement destinés aux femmes, entérinant ainsi l’aspect plus heurté des carrières de ces dernières par rapport à celles des hommes. Si c’est toujours le cas pour la mda, le bénéfice de l’avmf a été étendu progressivement aux hommes en 1979 et en 1985, en devenant l’assurance vieillesse des parents au foyer (avpf). Mais les bénéficiaires demeurent majoritairement des femmes.
10Dans le rapport, il est écrit que “le cor consacrera à cette question des avantages familiaux pour la retraite une étude attentive” (p. 230). En effet, en raison de l’évolution de l’environnement économique et démographique, il est nécessaire de s’interroger sur la pertinence de ces dispositifs. Peu d’éléments existent sur les durées d’interruption réelles des femmes liées à la présence d’enfants et sur les compensations opérées par ces deux dispositifs. On peut par contre relever qu’ils sont imparfaits. La mda est sans effet si la femme a travaillé plus que la durée requise (selon la Cour des Comptes (1998), ceci concernait 13% des femmes en 1994). L’avpf permet de valider des droits seulement au régime de base (pas dans les régimes complémentaires) et au niveau d’un smic.
11En outre, rien n’est prévu pour l’instant concernant les interruptions ou les aménagements d’activité liés à la charge d’un parent dépendant. L’aspect genre est ici aussi pertinent puisqu’aujourd’hui la moitié des aidants principaux sont des conjoints, la femme dans six cas sur dix, et un tiers sont des enfants, une fille dans sept cas sur dix (Dutheil, 2001). Face à la hausse à venir des personnes âgées dépendantes, cette absence de prise en compte pourrait ainsi revêtir dans le futur une importance particulière. Certains pays (Allemagne, Finlande, Autriche) en tiennent déjà compte en permettant aux aidants de cotiser à des régimes de retraite.
L’égalité de traitement entre hommes et femmes
12D’autres difficultés apparaissent. Par exemple, “est aujourd’hui posée la question de la compatibilité de certains de ces avantages au regard du principe d’égalité de traitement entre hommes et femmes, dans le cadre du droit communautaire” (p. 61). La mda, réservée aux femmes, est ici concernée. Cependant, un arrêt de la Cour de Justice des Communautés Européennes (l’arrêt Griesmar), en novembre 2001, a étendu son bénéfice aux hommes fonctionnaires, s’appuyant sur le principe d’égalité des rémunérations et comme le souligne le rapport, “se prononçant ainsi sur le caractère professionnel des régimes spéciaux de fonctionnaire”. De même, la jurisprudence communautaire a conduit à l’harmonisation des âges d’obtention d’une pension de réversion dans les régimes complémentaires arrco et agirc. Alors qu’avant 1994, ce dernier s’élevait à cinquante ans pour les veuves et à soixante-cinq ans pour les veufs, cet âge a été uniformisé à cinquante-cinq ans à l’arrco et soixante ans à l’agirc. On pourrait encore citer l’alignement à la hausse des âges légaux de départ à la retraite des femmes sur ceux des hommes en Belgique, en Autriche, au Royaume-Uni [3].
13Cette volonté d’égalité des droits entre hommes et femmes ne risque-t-elle pas de renforcer les inégalités dans les faits ?
Un impact différencié des réformes selon le genre ?
14Dans un système comme le système français, dans lequel les pensions de retraite sont étroitement liées à la carrière professionnelle, les réformes consistant à renforcer ce lien avec le marché du travail (reflétant la volonté de rendre le système plus “contributif”) conduisent en général à désavantager les femmes.
15Trois paramètres clés du système peuvent être modifiés pour assurer le rééquilibrage du système. Ainsi, dans le rapport “est présenté un ensemble de choix possibles pour le niveau relatif des pensions, l’âge de cessation d’activité et l’augmentation des prélèvements en 2040” (p. 235). La troisième solution n’a pas d’impact différencié selon le genre dans un système dans lequel le niveau de pension est indépendant de l’espérance de vie. La modification de l’âge de départ en retraite renvoie à la question de la durée d’activité. Les femmes ayant des durées de carrière plus courtes, elles sont certainement davantage pénalisées par ce type de disposition, d’autant plus que le taux de liquidation dépend de la durée cotisée. Enfin, la baisse du niveau relatif des pensions peut avoir un impact différencié selon les canaux par lesquels elle s’effectue. La baisse du taux de liquidation concernerait tout le monde, mais leurs salaires étant plus faibles, les femmes sont davantage exposées au risque d’une petite retraite et au rattrapage par les minima de pension. L’extension de la période de calcul du salaire de référence a un double effet. Elle peut jouer de manière plus négative pour les femmes que pour les hommes car leur carrière étant plus courte, l’effet “lissage” de la prise en compte d’une partie seulement de la carrière joue moins. En revanche, ce type de réforme peut être moins important pour les femmes car leur carrière est plus plate. Tourne (1996) étudie ainsi le passage des dix aux vingt-cinq meilleures années pour le calcul du salaire de référence dans le régime général (une des dispositions de la réforme de 1993). Elle en conclut que “les femmes sont moins nombreuses à perdre, soit parce qu’elles ne réunissent que dix ans ou moins de carrière, soit parce que leur pension à taux plein, avant et après la réforme, devra être portée de toutes façons au minimum de pension“, mais “qu’elles perdent plus, soit parce qu’elles enregistrent une baisse du salaire de base (…), soit parce que le pourcentage de calcul est diminué suite à la réforme”.
16Ces quelques compléments mettent en évidence l’importance de la question du genre dans la problématique des retraites. Le cor a d’ailleurs prévu de poursuivre ses réflexions sur cette question, qui sera probablement plus développée dans le prochain rapport.
Notes
-
[1]
Cas d’une personne née en 1948, avec une carrière continue de 40 ans, dont la rémunération croît de 4% en réel chaque année et termine au plafond de la sécurité sociale.
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[2]
Cas d’une personne née en 1950, dont le salaire croît linéairement entre 0,5 et 1 fois le plafond de la sécurité sociale.
-
[3]
Des âges légaux de départ à la retraite plus faibles pour les femmes peuvent être justifiés par la volonté de compenser une double journée de travail.