1Depuis plusieurs mois, les licenciements collectifs font la une de l’actualité. L’utilisation de telles procédures par les entreprises n’est pas nouvelle. Aujourd’hui, comme hier, leurs victimes en colère s’inquiètent à juste titre pour leur avenir.
2Les suppressions d’emplois frappent hommes et femmes, le plus souvent ouvriers et ouvrières, mais, ces dernières en subissent plus durement les conséquences. Plusieurs chercheurs [1] ont établi que, deux à trois ans après les licenciements collectifs, le taux d’insertion professionnelle des ouvrières était inférieur à celui des ouvriers. Plus récemment, en octobre 2001, le bilan des “reclassements” des cinq cents femmes de Levi Strauss, deux ans et demi après la disparition de l’entreprise de confection de La Bassée, près de Lens, apparaît bien médiocre (Defouloy, 2001). Si ces études sont instructives, elles ne permettent pas, compte tenu du court délai qui sépare licenciements et enquêtes, de prendre l’exacte mesure de la déstabilisation professionnelle des ouvrières déclenchée par la rupture du contrat de travail.
3En 1981, les cent quarante derniers salariés de l’usine de sous-vêtements Coframaille sont licenciés. Dès 1979, trente et un de leurs camarades avaient connu le même sort. En deux ans, au sein de la vallée de la Bruche, à quarante-cinq kilomètres de Strasbourg, les frères Willot mettaient ainsi fin à l’activité de cent soixante et onze personnes dont cent dix-huit ouvrières. L’enquête menée en 1999 a permis de retracer le parcours professionnel de cent-huit d’entre elles. Seules soixante-sept ont retrouvé du travail. Parmi ces dernières, une moitié a subi un déclassement sous un ou plusieurs aspects : chômage de longue durée, précarité professionnelle prolongée, conditions de travail ou de rémunération dégradées. L’autre moitié a échappé à cette déstabilisation en conservant un statut professionnel comparable au précédent ou en développant une trajectoire ascendante.
Encadré méthodologique
Quatre-vingt-six anciennes ouvrières ont été interrogées. Les entretiens ont été réalisés soit en face à face (plus d’une trentaine), soit par téléphone (une cinquantaine). Pour cinq enquêtées, le matériau fut recueilli par un questionnaire. Vingt-deux personnes non interrogées, dont dix-sept sont demeurées sans emploi, sont incluses dans l’étude quantitative dans la mesure où des données les concernant sont connues : parcours professionnel post-licenciement, âge, nombre d’enfants, situation matrimoniale. L’étude longitudinale repose ici à la fois sur des récits biographiques et sur des analyses de flux relatifs à la quasi-totalité de l’effectif des ouvrières licenciées.
Dans le texte, des noms d’ouvrières apparaissent. Il s’agit, pour garantir l’anonymat, de noms d’emprunt, sauf pour Antoinette Steger, personne publique.
4Cette recherche s’inscrit dans la sociologie de l’emploi définie par Margaret Maruani et Emmanuèle Reynaud (2001, p. 106) c’est-à-dire centrée sur la population active, sur le marché du travail ainsi que sur les mouvements de l’emploi et du chômage.
5La première partie de l’article s’attache à définir à la fois la population des ouvrières de Coframaille et le territoire sur lequel ces femmes se sont retrouvées privées de travail. La dimension sexuée du rôle actif des licenciées doit, en effet, être référée à l’espace socio-économique local.
6Dans cette vallée en crise où le nombre des femmes actives ne cesse cependant pas de progresser, des licenciées abandonnent la vie professionnelle. Qui sont-elles ? Leur identité permet, dans une deuxième partie, de mieux cerner les processus de retrait fortement liés à l’état du marché féminin de l’emploi, au cycle de la vie familiale et, par conséquent, à des inégalités de genre.
7Dans une troisième partie, l’analyse des trajectoires professionnelles post-licenciements éclaire le fonctionnement du marché de l’emploi. Elle établit, en particulier, que le mode d’accès au nouveau poste de travail détermine fortement nature, degré de stabilité et localisation de celui-ci.
8La dernière partie propose une typologie des trajectoires construite à partir des deux dimensions que sont l’emploi et le travail. Elle débouche sur un bilan des trajectoires qui conclut à la déstabilisation des ouvrières licenciées.
Ouvrières et territoire
9Les licenciées sont confrontées aux effets locaux d’une crise internationale et agissent en fonction de ceux-ci. Le “local” est défini ici par le bassin d’emploi de Schirmeck, certes pour des commodités statistiques, mais d’abord parce que ceux qui l’habitent considèrent généralement ce territoire comme étant celui de la vallée de la Bruche pour laquelle ils ont un fort sentiment d’appartenance.
Le manque d’emplois : chômage massif pour les ouvrières, forte mobilité pour les ouvriers
10La fermeture de Coframaille intervient dans une vallée industrielle marquée par la crise structurelle du textile, par les défaillances de plusieurs entreprises de la métallurgie mais aussi par l’absence d’implantation de nouveaux établissements industriels.
11Entre 1968 et 1990, le volume d’emplois existant sur le bassin est affecté d’une baisse de 15%. Pour la période 1982-1990, celle durant laquelle les ouvrières de Coframaille tenteront de se reclasser, les évolutions sont divergentes selon le genre. A la suite de plusieurs licenciements touchant l’industrie mécanique et les travaux publics, le nombre de postes occupés par des hommes chute de 11% alors que les emplois féminisés progressent de 10% et ce, aussi bien dans l’industrie que dans les services. Dans certaines vallées vosgiennes du versant lorrain, la disparition de l’industrie textile a suscité des migrations massives. Ici, les départs sont moins nombreux. Avec l’émigration de jeunes adultes, la population totale, forte de 20 000 personnes en 1968 chute de 7% en vingt-deux ans. A l’inverse, entraînée par la progression de l’activité féminine, la population active augmente fortement à partir de 1975 (+ 8,6% entre 1975 et 1990). Le ratio “emplois sur actifs résidants” se détériore gravement. Il passe de 0,88 en 1975 à 0,71 en 1990. Or, la distorsion entre population active et emplois disponibles se solde par une aggravation du chômage ou par des migrations journalières supplémentaires. Mais la manifestation de ces phénomènes ne concernent pas les deux genres de la même façon.
12En effet, à Schirmeck, en 1985, parmi les plus de 25 ans, le chômage atteint 13,1% de la population féminine et 6,1% de la population masculine. Or, paradoxe on l’a vu, les suppressions d’emplois de l’industrie touchent d’abord les hommes dans la période 1982-1985, alors que dans le même temps le nombre d’emplois occupés par les femmes est à la hausse. En fait, les hommes migrent quotidiennement hors zone plus fréquemment que les femmes : 37% contre 25% en 1990. Les services de l’Insee n’ont pas été en mesure d’établir la situation des navettes en liant catégorie socioprofessionnelle et sexe. On constate cependant que les femmes sont plus nombreuses à migrer sur la région strasbourgeoise où domine l’emploi tertiaire que sur la zone pourtant plus proche de Molsheim fortement industrialisée. On peut alors estimer que la migration des employées est plus forte que celles des ouvrières et, qu’en conséquence, l’écart des taux de départ entre ouvriers et ouvrières est supérieur à celui établie par l’Insee entre hommes et femmes. Face au manque d’emplois, les ouvriers migrent, chaque jour, massivement, tandis que les ouvrières restent plus souvent dans la vallée de la Bruche pour y accroître la population active ayant un emploi mais aussi le nombre de chômeuses.
Résistance ouvrière pour un territoire
13“Les difficultés économiques que rencontre la population d’une région en crise exacerbent son besoin de reconnaissance. Elle est confortée dans sa tentative pour sélectionner et englober en un tout significatif un certain nombre de traits culturels, qui renvoient à une appartenance revendiquée, objective ou subjective” (Herberich-Marx, Jonas, Raphaël, 1986/87, p. 47).
14A Schirmeck, les mobilisations ouvrières furent intenses tout au long des années 1970. Les premières longues grèves avec occupation des locaux portèrent, dans la métallurgie, sur des revendications salariales et, à Coframaille, sur la suppression du travail au rendement. Les luttes suivantes tenteront de s’opposer aux licenciements collectifs. Dans chacune des entreprises en conflit, la défense des emplois est associée au combat pour la survie de la vallée de la Bruche. Les travailleurs vivent leur situation en référence à l’environnement économique local. Plusieurs mobilisations furent victorieuses. La pression populaire amena les communes à racheter puis à ouvrir une clinique privée qui allait tomber en désuétude. A la suite de la fermeture d’une fonderie, faute de repreneurs, et après six mois d’occupation, une partie des salariés créa une société coopérative ouvrière de production. A eux deux, ces établissements relancés par l’action collective embauchèrent, pour un temps de leur carrière, neuf anciennes ouvrières de Coframaille.
Les ouvrières de Coframaille
15L’entreprise n’ayant plus recruté depuis 1972, l’effectif, d’un âge moyen de 40 ans, est vieillissant. La moitié est présente au sein de Coframaille depuis plus de dix-neuf ans. Pour 59%, Coframaille était le premier et unique employeur. La stabilité était donc grande pour ces femmes dont 85% résident à moins de cinq kilomètres de l’usine. Une quarantaine a suivi une formation initiale en couture; vingt sont titulaires du CAP. Les deux tiers sont mariées. L’accès à la propriété est répandu. Près de 80% des ouvrières, dont une dizaine de femmes seules, sont propriétaires d’une maison. Les autres ne sont pas toutes locataires : sept célibataires vivent chez leurs parents.
16Ce prolétariat n’est pas le plus déshérité. Il a pu tirer partie de la croissance des années 1960 et 1970, de la stabilité professionnelle, mais aussi de son enracinement dans la vallée de la Bruche et des réseaux de sociabilité, pour la construction d’une maison par exemple.
17A l’usine, l’organisation de la production était basée sur les principes tayloriens. Les ouvrières mirent fin à la rémunération basée sur le rendement en 1973 grâce à une longue grève victorieuse menée face à l’hostilité des ouvriers et des employées de l’usine mais avec l’appui actif de leurs maris. Dans les tracts d’alors, elles disaient leur refus des conditions de travail :
18“Moi je fais 6 secondes pour repasser un maillot de corps. J’en fais 3000 par jour.”
19“En arrivant le matin à l’usine, chacune a déjà peur de ne pas arriver à faire son salaire. Ce sont les ouvrières qui payent les pépins. Nous sommes à la merci du fil qui casse, des changements de postes ou des pannes de machine.”
20“Le matin en me levant, je pense : “Est-ce que j’arriverai à faire mes cadences ?” C’est là la hantise. La nuit, c’est l’insomnie, le jour, ce sont les nerfs à bout.”
21Une forte implantation syndicale existait depuis longtemps. Dès 1952, deux ouvrières avaient créé une section CFTC qui deviendra CFDT en 1964. L’une d’elles, Antoinette Steger, raconte dans un entretien accordé au mensuel de la CFDT Alsace (Le Travailleur, 1977) la naissance du syndicat en évoquant exploitation et différences de sexe : “Tu n’imagines pas comme on était mal payé pour le travail qu’on faisait. Les patrons nous volaient sur tout. Il y avait bien un syndicat CGT à Coframaille - depuis 1936 - mais c’était des hommes surtout et ils ne voulaient pas voir les problèmes des femmes”.
22Antoinette Steger commença à travailler pour Coframaille dans les années trente à l’âge de huit ans. Elle aidait alors sa mère, veuve avec six enfants, qui ramenait du travail à domicile. Elle fit partie, avec le groupe syndical, de ces militantes et militants inlassables que Michel Verret (1982, p. 68) appelle “les combattants du bon droit, garants contre l’arbitraire patronal, du droit tout court.” Sa devise favorite, rapportée par une de ses amies : “Etre déléguée, c’est défendre, toujours défendre et se former pour pouvoir défendre.”
23L’expérience acquise dans la conquête de meilleures conditions de travail fut par la suite transférée dans la lutte pour la sauvegarde de l’emploi. Les ouvrières vécurent en effet dans une insécurité pesante dès 1977, c’est-à-dire durant les quatre dernières années de la vie de l’usine marquée par des mesures répétées de réduction des effectifs. Elles tentèrent à chaque fois de s’y opposer en recourant à de multiples actions dont l’occupation lors de la fermeture. “C’est précisément là, entre le refus du travail et l’attachement à l’emploi que se situe l’espace des luttes sociales” (Maruani, 1996, p. 51). Cet espace, les ouvrières de Coframaille l’auront pleinement occupé.
24C’est aussi à partir de ces deux dimensions qu’il conviendra d’appréhender les trajectoires post-licenciements.
Les sorties de l’emploi
25Sur cent huit ouvrières licenciées, quarante et une, soit 38%, n’ont plus jamais exercé d’activité professionnelle. Le phénomène de sortie de l’emploi est massif. Il se traduit par des situations de chômage jusqu’à la retraite et par des entrées dans l’inactivité. Fortement lié à l’âge, il concerne 87% des plus de 45 ans contre 10% des moins de 45 ans. L’âge du dernier enfant et la situation matrimoniale influent également.
26Les vingt-trois ouvrières de plus de 51 ans intériorisent l’impossibilité de retrouver un travail. Elles savent que leur vie professionnelle est terminée. Les employeurs ne sont contactés que pour satisfaire aux conditions d’attribution de l’indemnité chômage. Marcelle Bertrand semble être la seule qui, dans cette tranche d’âge, a cherché activement un nouvel emploi. Elle se souvient des mois qui ont suivi le licenciement : “J’envoyais des courriers dans toutes les entreprises. C’est vrai, j’avais encore l’idée que je pourrais trouver quelque chose, même dans les ménages. Au début, le chômage, c’était dur. J’avais encore la force pour travailler.” Elle a une exigence toutefois : ne plus travailler au rendement. “L’ANPE voulait m’envoyer chez “M”. Je m’y suis présentée. Il fallait travailler à la production. Je ne voulais plus de ça. En revenant, je suis allée à l’ANPE leur signaler que c’était à la production et que ça ne pouvait pas aller.” Sa recherche restera vaine.
27Ses quinze cadettes du groupe 45-51 ans sont trop jeunes pour voir poindre la retraite, mais souvent trop âgées aux yeux des employeurs. Interrogées sur les entreprises contactées, elles donnent essentiellement des exemples se rapportant au début de la période de chômage. Après un premier temps de recherche, au fur et à mesure de la prolongation du chômage, de la progression en âge, elles aussi intériorisent cette impossibilité de trouver un emploi. “Plus le temps de chômage se prolonge, plus la notion même de recherche d’emploi devient floue. Les femmes d’origine populaire qui ne trouvent pas d’emploi dans les mois qui suivent leur inscription à l’ANPE ne savent plus si elles se considèrent encore ou non à la recherche d’un emploi” (Balazcs, 1983, p. 76). La difficulté de la recherche s’accroît encore lorsque les moyens de locomotion sont limités. Ainsi la mobilité de ces deux ouvrières résidant dans un village situé à trois kilomètres de Schirmeck est-elle réduite. Aucune n’a le permis de conduire. L’une utilisait un vélomoteur pour aller à l’usine ; avec celui-ci, seule la bourgade de Schirmeck lui est accessible. L’autre s’y rendait en voiture avec une amie de Coframaille. Son moyen de transport disparaît avec le licenciement.
28Si la résignation atteint dix femmes mariées sur douze, elle ne concerne aucune des trois femmes seules qui retrouvent toutes une activité professionnelle. Le statut matrimonial pèse sur le comportement d’activité. A Coframaille, les ouvrières vivant seules étaient majoritaires chez les 50-60 ans, preuve que certaines de leurs camarades mariées avaient préféré quitter l’entreprise quelques années plus tôt. Il est probable que les exigences des femmes mariées vis-à-vis du travail et de l’emploi sont, dans cette tranche d’âge, plus fortes que celles émises par les femmes seules.
29Chez les moins de 45 ans, le taux de reprise d’activité passe de 84% (43 sur 51) pour les femmes mariées à 100% (19 sur 19) pour les femmes seules. Les travailleuses qui glissent dans l’inactivité professionnelle peuvent se scinder en deux groupes. Le premier est composé de femmes sans enfant ou ayant un enfant de plus de sept ans alors que le second est constitué de mères d’enfants en bas âge nés deux ans avant le licenciement ou dans l’année qui suit.
30Si, dans le premier groupe, une ancienne ouvrière indique qu’elle ne voulait plus travailler et, qu’en conséquence, elle n’a entrepris aucune démarche de recherche, pour deux au moins de ses collègues le contexte économique a été un élément important dans le processus de retrait de la vie professionnelle. Ainsi, Martine Collin a eu par l’intermédiaire de l’ANPE des propositions d’emplois émanant d’entreprises de confection qui ne lui étaient pas étrangères : “Je connaissais déjà la musique ; j’y avais déjà travaillé. Alors, il n’en était plus question.” Elle préférera garder l’enfant de sa fille, lui évitant ainsi des frais de nourrice. Annette Kuntz, à la question, “vous n’avez plus travaillé ; est-ce un choix de votre part ?”, répond : “Oui et non, il n’y avait plus rien dans la vallée à l’époque.” L’apparente ambiguïté de la réponse est éclairante. Lors de la création d’emplois dans une région, des inactives apparaissent sur le marché du travail. Ici, c’est l’inverse qui se produit. Il y a retrait faute d’une offre d’emplois suffisante en quantité et en qualité. La situation professionnelle des maris n’est peut-être pas sans influence. Trois sur quatre occupent un poste stable en qualité de fonctionnaire ou au sein d’entreprises publiques.
31Dans le deuxième groupe, la présence d’un enfant en bas âge est déterminante. “La réinsertion professionnelle des mères de famille est freinée” (Lebouteux, 1979, p. 54). Dans la présente étude, le comportement des mères d’enfants de trois à onze ans ne se différencie pas de celui des mères d’enfants de plus de onze ans, ni de celui des femmes sans enfant : une statistique établie sur les femmes de moins de 45 ans montre que dans les trois groupes, le taux de reprise d’activité est supérieur à 92%. Par contre, celui des mères d’enfants de moins de trois ans n’est que de 69%. L’âge de la mère à la naissance n’est pas neutre. En effet, la moyenne d’âge lors du licenciement est de 36 ans pour celles qui quittent le marché du travail contre 29,6 pour celles qui reprendront une activité.
32Le taux de reprise ne reflète qu’imparfaitement le comportement des treize mères d’enfants nés deux ans avant ou un an après les suppressions d’emplois. En effet, si quatre d’entre elles mettent un terme définitif à leur carrière, elles sont six à occuper un emploi après une interruption d’au moins cinq ans alors que deux reprennent une activité à domicile dans l’année qui suit l’entrée dans le chômage. Ces douze mères ont donc élevé leur enfant chez elles durant plusieurs années. Une seule a retravaillé rapidement en usine.
33Ces chiffres sont en phase avec des résultats statistiques élaborés sur l’ensemble du pays : “En France, être mère d’un jeune enfant entrave toujours fortement l’activité des femmes : à diplôme égal, cette situation accroissait de quarante points en 1971, de trente-sept points en 1991, la probabilité d’inactivité des mères dont le dernier enfant a moins de six ans par rapport à celle des femmes vivant seules, sans enfant et qui n’ont aucun diplôme (situation de référence)” (Marry, Kieffer, Brauns, Steinmann, 1998, p. 371)
34Chez les anciennes ouvrières de Coframaille, deux mères avaient pris la décision de mettre un terme provisoire à leur carrière professionnelle dès les premiers mois de la grossesse, bien avant l’annonce de la fermeture. Par contre, pour les autres, le licenciement crée une nouvelle situation de vie. Pour un couple au moins, il est même le facteur déterminant dans la double décision d’avoir un deuxième enfant et de mettre un arrêt définitif à la vie professionnelle de la future mère. Ce sont à la fois le désir d’élever l’enfant et le refus des conditions de travail dégradées qui conduisent ces mères à se placer en position de retrait par rapport à l’emploi.
35Il y avait une vingtaine d’ouvriers à Coframaille. Si seuls deux d’entre eux ont été interviewés, il a tout de même été possible grâce à divers sources, constituées notamment des sept ouvrières mariées à des ouvriers de l’entreprise, de cerner leurs trajectoires après la fermeture. L’âge est moins pénalisant : l’insertion existe pour des hommes de 53 ans. D’une manière générale, le retour à l’emploi est plus rapide et plus stable, ce qui tend à confirmer que l’avenir professionnel des ouvrières et des ouvriers est inégal après un licenciement. Ceci ne doit masquer que pour quelques hommes de plus de 55 ans, il n’y a pas d’avenir du tout : ils décèdent peu de temps après leur départ de l’usine. Plusieurs travaillaient exclusivement de nuit.
36Par ailleurs, il a été vérifié si des liens apparaissaient entre formation initiale et emploi. La statistique porte sur les seules “moins de 46 ans”. Il n’y a pas de corrélation entre la reprise (ou non reprise) d’activité et le niveau de formation initiale. En outre, le fait d’avoir suivi une formation en couture, quel que soit le niveau, ne prédestine pas à poursuivre dans ce secteur après la fermeture de Coframaille. On remarque tout de même qu’aucune des titulaires du CAP couture ne se retrouve en position de précarité professionnelle de longue durée. Le capital scolaire tend à préserver de la déstabilisation.
37Les facteurs tels que l’âge de l’intéressée, la situation matrimoniale, l’âge du dernier enfant agissent sur la réinsertion professionnelle. Ils sont influents parce que les licenciées sont des femmes. Les hommes y sont moins soumis. Comme le démontre Armelle Testenoire (2001), la légitimité de la carrière féminine est inférieure à celle de la carrière masculine. Ces déterminants sont d’autant plus actifs que les emplois font défaut. Au niveau des acteurs, l’analyse est la suivante : les employeurs excluent les plus âgées de la vie professionnelle ; dans les âges inférieurs, des femmes, certes peu nombreuses, entre un emploi instable et l’inactivité professionnelle, arbitrent en faveur du deuxième terme.
L’emploi : interdépendance entre modes d’accès, statut et localisation
38Soixante-sept anciennes ouvrières ont retravaillé au moins un an dans le temps qui sépare rupture du contrat de travail et enquête. Ces retours à l’emploi recouvrent des réalités fort différentes entre, par exemple, un poste stable sur l’ensemble de la carrière obtenu avant la fin même du préavis de licenciement et un unique contrat à durée déterminée de douze mois.
39Les personnels licenciés ne bénéficièrent d’aucun plan de reclassement de la part des frères Willot. Ils purent tout de même suivre, durant dix mois, un enseignement en français et calcul, par correspondance ou au sein du lycée professionnel de Schirmeck. Ils percevaient alors une indemnité équivalente au salaire antérieur sans encore rentrer dans le dispositif de l’assurance chômage.
40Compte tenu du rôle marginal de la formation dans le processus d’accès à l’emploi, on peut soutenir que celui-ci se résume à la phase de recherche selon quatre modes : la candidature spontanée, l’aide de l’ANPE, la mise en action d’une relation ou la création d’un emploi. Il a été considéré que l’accès aux métiers salariés d’assistante maternelle et d’employée de maison relevait du dernier mode quand il était exercé indépendamment d’une association. Par ailleurs, la filière “par relation” comprend les cas suivants :
- un ou des intermédiaires favorisent l’accès à un emploi par une intervention auprès du responsable de l’embauche. C’est le cas le plus courant.
- la demandeuse d’emploi connaît l’employeur ; elle est embauchée grâce à une relation directe déjà établie. C’est assez fréquent.
- un proche révèle l’existence d’un poste à pourvoir. L’exclusivité de l’information fait que l’intéressée se présente sur le poste à un moment opportun où il y a absence de concurrence.
Mode d’accès à l’emploi et stabilité de l’emploi

Mode d’accès à l’emploi et stabilité de l’emploi
41Sur le plan national, la synthèse de plusieurs travaux présentée par Jean-François Giret, Adel Karaa et Jean-Michel Plassard (1996) montre que la part des recrutements par l’intermédiaire du réseau relationnel est prépondérante. Elle est toujours supérieure à celle des candidatures spontanées alors que celle gérée par l’Anpe ne dépasse jamais 15%.
42L’objectif de ce tableau n’est pas d’établir une comparaison avec ces travaux, mais il est de rapprocher mode d’accès à l’emploi et stabilité de celui-ci pour en tirer, avec l’aide de l’enquête qualitative, les enseignements suivants :
43• Les réseaux de sociabilité apparaissent efficaces aussi bien par le nombre que par la stabilité des embauches générées. Ils sont particulièrement performants dans l’attribution des postes d’employées de service. Le recours à la famille est très fréquent. Les amitiés nouées dans le syndicalisme sont efficaces. Vingt-cinq des vingt-neuf postes obtenus grâce à une connaissance sont conservés jusqu’à la retraite.
44• L’Anpe sert d’intermédiaire pour un volume conséquent d’emplois mais qui ne concernent qu’une frange restreinte de salariées marquées par l’instabilité. Les postes sont souvent implantés dans les petits ateliers de confection de la vallée de la Bruche ou dans des usines extérieures au bassin d’emploi sur du travail posté.
45• Si la recherche personnelle d’un emploi avec, en particulier, l’envoi de courriers de candidature, est très utilisée, elle n’est efficace que pour un quart des embauches stables. Cette filière, de par l’indice de stabilité des emplois se situe à mi-chemin des deux filières précédentes qui s’opposent.
46• La filière “création d’emplois” débouche sur la stabilité. Ces créations sont uniquement le fait de femmes de moins de 40 ans.
47Trois des réseaux d’accès à l’emploi tendent à limiter la distance entre lieu de travail et domicile.
48C’est une évidence pour la filière “création d’emploi” avec les métiers d’assistante maternelle et d’employée de maison exercés au domicile ou dans le village.
49C’est aussi vrai de la filière “par relation”. L’efficacité du réseau de sociabilité se concentre sur une zone de proximité. Sur les vingt-six emplois stables obtenus selon ce mode d’accès, onze sont occupés sur la commune de résidence, dix à une distance inférieure à quatre kilomètres, quatre à l’extérieur du bassin d’emploi.
50La recherche spontanée a tendance à produire les mêmes effets. Les licenciées donnent priorité aux établissements les plus proches. De plus, quand une politique d’aide à l’installation d’entreprises initiée par une commune donnent des résultats, les nouveaux employeurs sont particulièrement réceptifs aux demandes des autochtones. Ce fut le cas pour la société “P” : sur les sept salariées de Coframaille embauchées, cinq résidaient dans la commune.
51Dans l’accès à l’emploi, la qualification professionnelle n’est intervenue que pour une ambulancière, deux esthéticiennes et les ouvrières en couture. Nous pouvons reprendre à notre compte l’analyse formulée par les chercheurs du Glysi : “l’absence de différenciation technique entre les nouveaux emplois laisse un champ libre aux influences du contexte social et géographique” (Durel, Ganne, Motte, Puel, 1980, p. 280).
52Les premiers emplois occupés par les soixante-sept licenciées se répartissent de manière égale entre industrie et services. Trente-quatre postes sont situés dans le secteur tertiaire ; dix-sept correspondent à des fonctions d’employées de service [2]. Seules trente-trois femmes retrouvent un premier emploi en qualité d’ouvrière dont quinze dans la couture. Parmi ces dernières, plusieurs, dans la suite de leur carrière, entreront dans le secteur des services. Danièle Kergoat (1982, p. 95-96) a mis en évidence l’existence de ce cursus qui conduit des ouvrières dites non qualifiées vers des postes d’employées de service. Elle montre en particulier, à partir des deux enquêtes-emploi de mars 1979 et de mars 1980, que 41% des femmes qui étaient ouvrières en 1979 et qui ne le sont plus en 1980 sont devenues personnel de service.
53Le marché de l’emploi est, en résumé, organisé de la manière suivante : les emplois les plus stables, employées de service, ouvrières dans la métallurgie, s’obtiennent sur la vallée de la Bruche grâce aux réseaux de relations, voire par candidatures spontanées. Les licenciées n’ont pas accès aux postes d’employées de service du bassin limitrophe qui sont octroyés, par le jeu des réseaux de relation, aux autochtones. Il reste alors aux femmes disposant d’un capital relationnel moindre à créer leur propre emploi ou à s’appuyer sur l’Anpe. Celle-ci, dans le meilleur des cas, peut proposer des postes de couturières très instables sur la vallée de la Bruche ou des emplois postés, à l’extérieur de la zone. Mais on sait tout l’enjeu des trajets quotidiens pour les mères actives (Fagnani, 1986). Dominique Meyer, mère de deux enfants, a travaillé dans une entreprise située à trente kilomètres de son domicile : “L’équipe du matin, c’est se lever à trois heures pour être à l’usine à quatre heures. J’ai tenu huit mois.” Agnès Thiriet, embauchée dans un tricotage strasbourgeois, s’y rendait en train ; départ : 5 heures 40 ; retour : 19 heures 20. Elle démissionnera au bout d’un an.
54“Nous voulons vivre et travailler au pays” a été une revendication des femmes de Coframaille, mais “travailler au pays” est aussi une obligation due aux contraintes de la vie familiale et aux conditions de travail proposées aux anciennes ouvrières. C’est donc essentiellement au sein de la vallée de la Bruche que leur avenir professionnel s’est joué.
La déstabilisation
55Si l’objet est d’étudier les trajectoires post-licenciements, il convient d’observer que l’entrée dans l’insécurité professionnelle remonte à la période du pré-licenciement. Elle débute, à Coframaille, en 1977, lorsque la direction du groupe décide d’amplifier le mouvement des départs naturels par la mise en préretraite de dix-neuf salariés. Dès lors, les personnels travailleront et vivront dans l’angoisse permanente du licenciement, passant au gré des informations et des rumeurs de l’espoir à la crainte et inversement. L’avenir, le leur, celui de l’entreprise, devient un sujet récurrent des conversations. Quand, en juin 1978, une nouvelle procédure de licenciement est engagée, les salariées tentent de résister. Arrêts de travail, manifestations, appels aux élus jalonnent ces mois difficiles qui précèdent finalement la mise à l’écart, dans la douleur, en janvier 1979, de trente et une personnes. Deux ans plus tard, ce sera la fermeture après plusieurs mois de résistance. Ces quatre années précédant le chômage ont été, pour beaucoup, une longue épreuve.
56La position professionnelle des salariées de Coframaille a-t-elle suivi la tendance au déclassement constatée généralement très tôt, deux ou trois ans après les licenciements, que notent les travaux de Geneviève Lebouteux (1979), du Glysi (Durel, Ganne, Motte, Puel, 1980), de Yolande Benarrosch (1995) ?
57Pour se prononcer, établir une photographie de la situation des licenciées à un moment donné paraît insuffisant. Le déclassement sera apprécié a partir des deux dimensions définies par Margaret Maruani (1996, p. 51) que sont l’emploi et le travail. Il sera tenu compte de la totalité du parcours post-licenciement pour la comparer à la position occupée à Coframaille. Pour la dimension relative à l’emploi, c’est l’examen des parcours des travailleuses qui permettra de se prononcer sur la stabilité ou l’instabilité de celui-ci. Est considérée comme retrouvant la stabilité, la trajectoire composée d’un temps de chômage initial inférieur à deux ans suivi d’un CDI de plus de cinq ans. (La presque totalité des CDI qui dépassent cinq ans se terminent avec la retraite). Tous les autres parcours sont estimés déclassants, mis à part ceux de deux mères qui accèdent à un emploi stable après une longue interruption prévue avant le licenciement. Pour la deuxième dimension, le rapport au travail, c’est l’avis des intéressées qui est pris en compte pour savoir s’il y a eu amélioration, diminution ou stagnation du niveau de satisfaction dans le travail.
58Une typologie en six catégories a pu être construite. Elle comprend :
59• Les désemployées qui, jusqu’à la retraite, sont chômeuses ou inactives.
60• Les déclassées de l’emploi et du travail. La dimension de l’emploi domine celle du travail. L’instabilité ne permet pas aux salariées de bénéficier sur un temps conséquent, d’un travail satisfaisant. Ces différentes trajectoires sont présentées dans l’encadré.
61• Les reclassées déclassées dont le retour à un emploi stable se réalise dans des conditions de travail jugées moins satisfaisantes.
62• Les reclassées stationnaires. Le retour à un emploi stable est associé à une satisfaction procurée par le travail qui reste constante.
63• Les précaires satisfaites. La plus grande satisfaction dans le travail est associé à un nouveau statut d’emploi plus fragile que le CDI à temps plein. Cette dissonance ne permet pas de juger de la pente de la trajectoire.
64• Les reclassées satisfaites. Le retour à un emploi stable se conjugue avec une plus grande satisfaction dans le travail.
Les désemployées
6587% des ouvrières de plus de 45 ans ne travailleront plus jamais. Nombreuses sont célibataires ou veuves. Sorties de l’école à 14 ans, elles ont commencé leur vie professionnelle, parfois en qualité d’employée de maison, mais le plus souvent dans les usines de textile de la vallée, quelquefois à Coframaille.
66Les plus âgées, celles de plus de 56 ans et 2 mois, avec la Garantie de Ressource pour Licenciement, étaient assurées de percevoir au minimum une indemnité équivalente à 70% du salaire jusqu’à la retraite. Souvent, elles acceptent avec sérénité le changement de situation. Il peut parfois constituer une opportunité. Jeanne Rouget, invalide partielle : “J’étais déjà à mi-temps ; je n’allais plus chercher un autre travail. Ça allait comme ça.” Liliane Traband allait devoir démissionner à la suite d’une mutation de son mari : “Comme je devais partir, c’était pas plus mal pour moi. Mais, bon, pour les autres, j’aurais quand même pas demandé ça”.
67Les salariées âgées de moins de 56 ans ont subi une diminution de revenu plus conséquente. Cette baisse est bien sûr fonction de l’âge. Deux interviewées licenciées à 55 ans ne se souviennent plus du montant de l’indemnité perçue à l’approche des 60 ans, mais elles se rappellent qu’elles attendaient précisément la retraite pour bénéficier d’un meilleur traitement. Au terme de l’assurance chômage, à condition que les autres revenus du ménage ne dépassent pas un certain seuil, les ouvrières licenciées entre 45 et 52 ans percevaient à la fin des années 1980, une allocation de solidarité d’un montant avoisinant deux mille francs. Chez Josette Klein, 51 ans lors de la fermeture, les revenus du foyer étaient modestes. “Mon mari était invalide. Il n’avait pas une grosse pension.” Sa volonté de travailler mise en échec, elle percevra l’allocation de solidarité spécifique jusqu’à la retraite. “On s’est débrouillé avec ce qu’on avait”, dit-elle sans se plaindre.
68Les licenciées ne savaient pas ce que serait leur indemnité de chômage quelques années plus tard. Pourtant, plusieurs femmes seules évoquent spontanément le regret de l’ambiance, de la camaraderie et très peu l’incertitude financière d’alors. Danièle Kergoat (1982, p. 118) explique que le travail permet aux ouvrières de se socialiser, de se forger une identité non pas comme les hommes autour du travail institution, mais grâce à la situation de travail elle-même : “C’est l’ambiance, les relations de travail, la complicité, la communication qui sont essentielles aux ouvrières”.
69Nous formulons l’hypothèse que, dix-neuf ans plus tard, la mémoire retient d’abord, avant les soucis financiers de l’époque, ce qui peut toujours faire défaut dans le présent, le capital relationnel.
70Marguerite Martin, 55 ans en 1981, célibataire, a été embauchée en 1942 à l’âge de seize ans. Elle travaillait depuis quelques années au séchoir, atelier à dominante masculine. L’incertitude financière d’alors est oubliée mais pas la fin de toute une vie sociale : “Le travail était assez dur; il fallait soulever des charges mais il y avait une bonne ambiance. Il y avait des rigolades. Ça chantait aussi. J’aurais encore bien travaillé.” A la perte du temps collectif, va s’ajouter la perte des amitiés forgées au sein de l’entreprise. Une partie de la vie de Marguerite continuera à être structurée par les déplacements. Comme beaucoup d’autres chômeuses, elle se rend à pied quotidiennement à Schirmeck, distante de deux kilomètres de son domicile. N’ayant pas de permis de conduire, durant les quinze dernières années de sa vie professionnelle, c’est avec la voiture d’une collègue qu’elle effectuait trois des quatre trajets quotidiens domicile-travail. Le dernier, celui du soir, entre l’usine et le domicile, se faisait à pied en passant par le centre de Schirmeck. Ce parcours de fin de journée générait des rencontres dans la rue. Il était aussi marqué par des arrêts réguliers chez la parentèle. Chômeuse, puis retraitée, l’itinéraire résidence-centre de Schirmeck maintiendra les habitudes et les relations en marquant les mêmes étapes. Par contre, le réseau d’amies directement et uniquement lié au lieu de travail se diluera progressivement. “On se voyait encore beaucoup au début, quand il y avait les cours par correspondance. On se rendait visite. Mais maintenant, on ne se voit plus.” Ont mieux résisté au temps les liens noués au sein du groupe des militantes syndicales, une dizaine de personnes. Aujourd’hui, plusieurs d’entre elles continuent à se rencontrer et à se rendre des services.
71Les travaux classiques de Paul Lazarsfeld, Marie Johoda et Hans Zeisel (1981) évoquent l’isolement croissant du chômeur, privé des contacts quotidiens avec ses collègues. Les quelques entretiens pratiqués avec les plus âgées des licenciées montrent que chez certaines, il y a eu dégradation du capital relationnel. Compte tenu du nombre réduit d’interviewées dans ce groupe, il ne nous est cependant pas possible de mesurer l’exacte importance de ce phénomène.
Les déclassées de l’emploi et du travail
72Vingt salariées subissent une dégradation des conditions d’emploi et de travail. Sont décrites ici des trajectoires de femmes qui n’ont plus jamais travaillé avec un contrat à durée indéterminée à temps plein et celles d’ouvrières de l’habillement qui, avec une succession de contrats de ce type, n’ont pas été préservées de l’instabilité.
Les vingt déclassées de l’emploi et du travail
Employée de service embauchée à 80% de 1983 jusqu’à la retraite en 2000.
• Intérimaire durant plusieurs années : une
Deux ans de chômage. Sept ans d’intérim. Retrait de la vie professionnelle à 50 ans.
• Sans emploi durant une longue période : sept
Exemples :
- Demandeuse d’emploi durant quatre ans. Un CDD d’un an à l’âge de 52 ans. Chômage et inactivité.
- Un enfant en 1982. Chômage puis inactivité jusqu’en 1989. Couturière pendant deux ans. Licenciement économique. Employée de maison à temps partiel depuis 1991.
- Deux ans et demi de chômage. Ouvrière textile à 3/4 temps pendant cinq ans. Licenciement. Deux ans de chômage. Ouvrière durant cinq ans jusqu’à la préretraite.
- Deux ans et demi de chômage. 53 ans : lingère pendant trois ans. Licenciement économique. Chômage jusqu’à la retraite.
• Longue période d’insertion : une
Chômage durant deux ans. Alternance entre CDD et chômage durant quatre ans. Embauchée sous CDI en 1988.
• Changements fréquents d’emplois sous CDI : cinq
Ces postes se situent dans des petits ateliers de confection instables où la pénibilité du travail est grande. Les périodes de chômage sont courtes. Deux exemples :
- Couturière pendant huit mois chez “A”. Démission pour un emploi exercé durant six ans dans l’atelier “B”. Fermeture. Entre dans l’atelier “C”. Fermeture deux ans plus tard. Travaille dans l’atelier “D” depuis 1991.
- Deux ans dominés par le chômage entrecoupé par des emplois dans plusieurs ateliers. CDI dans la confection durant trois ans. Fermeture. Congé parental de trois ans. Un mois dans l’atelier “D”. Démission. Cinq ans dans l’atelier “L”. Fermeture. Longue maladie. Contrat aidé depuis 1997.
• Salariées à domicile en qualité de couturière : deux
- Les deux ouvrières travaillent ensemble durant trois ans et demi à domicile avec une grande flexibilité des horaires et des salaires. Démission. Chômage de quelques mois suivi, pour toutes les deux, d’un emploi en couture dans des conditions de travail très pénibles. Retour à la stabilité en 1988 pour l’une, en 1989 pour l’autre.
• Multiples emplois, jamais de CDI à temps plein : trois
- Les parcours sont une succession de CDD, de stages ANPE, de contrats aidés et d’emplois d’intérimaires. Deux travaillent encore aujourd’hui : l’une avec un contrat CES, l’autre, à raison de quatorze à vingt heures par semaine pour le compte de deux sociétés de travail.
• Les précaires permanentes
73Lucienne Marchal travaille sept ans dans une entreprise agro-alimentaire par l’intermédiaire d’une société d’intérim avec toutes les périodes sans emploi inhérentes à la formule. Son voeu le plus cher, signer un contrat indéterminé, ne se réalisera jamais. Elle abandonnera toute activité professionnelle à l’âge de 52 ans. Il y a aussi Béatrice Mangin, aujourd’hui employée dans un établissement de santé sous un contrat emploi-solidarité. Sa volonté de travailler est farouche. Les périodes de chômage sont réduites. Elle a tout connu : CDD, intérim, stages de formation, emplois saisonniers, mais jamais de CDI. Il y a encore Claire Ferdi. Elle se souvient de ce mois de septembre 1988 : “ J’allais tous les jours à l’ANPE. Les agents ne comprenaient pas que je vienne tous les jours. Je rouspétais avec eux et je leur disais : donnez-moi du boulot, donnez-moi du boulot.” Cela faisait déjà sept ans que Claire avait été licenciée. Depuis 1984, après trois ans sans emploi, elle alternait contrats précaires et chômage. 1988 n’est pas une bonne année pour elle : un stage de quatre mois, mais pas de travail. Elle n’échappera plus jamais à l’instabilité professionnelle. Aujourd’hui, à 51 ans, elle est employée par deux sociétés de nettoyage à raison, au total, de quatorze à vingt heures par semaine.
74Toutes ces femmes ont travaillé ou travaillent encore. Mais, pour quel salaire ? Selon l’expression de Margaret Maruani (1996, p. 96), “elles travaillent sans parvenir à gagner leur vie”.
• Les couturières de l’instable
75Quinze ouvrières ont occupé un emploi ou plutôt une succession d’emplois au sein de quelques petits ateliers de confection en continuant à subir le déclin de la branche de l’habillement. C’est souvent l’ANPE qui sert de relais. Leurs trajectoires, à l’instar de celle de Christiane Muller, se sont développées dans l’instabilité.
76Agée de 28 ans lors du licenciement, Christiane demeure sans emploi durant deux ans : “Le chômage, c’est l’angoisse. Bon, le matin, je ne me levais pas pour les heures de travail, alors je ne voyais pas ce qui se passait. Mais, à une heure, quand mon père et mon frère repartaient au boulot, c’était terrible.” Elle entre dans un atelier de cuir : “Je savais que l’entreprise n’avait pas bonne réputation, mais vous savez, quand on est au chômage, on n’est pas regardante.” A l’issue de deux contrats successifs de trois mois, elle doit abandonner son poste, pas pour longtemps toutefois. “On m’a rappelé un mois après. J’y suis retournée et j’ai eu un nouveau cdd.” Christiane poursuit son récit : “Un beau matin, le patron était parti. Il avait disparu avec toute sa famille.” Endetté, il avait fui dans son pays natal. Elle perdra son emploi. “Trois mois plus tard, l’Anpe m’a envoyé chez “T”. J’ai eu un contrat d’un an.” La précarité se conjugue avec des conditions de travail difficiles. “Là, on était poussé au maximum. Quand il faut aller à un tel niveau de production, j’ai beaucoup de mal. Et là, il fallait pousser du matin au soir.” Un an de galère, fin du contrat, nouvelle période de chômage et retour à l’atelier de cuir. “Il avait été transformé en Scop. J’y suis restée jusqu’en février 1991, date du dépôt de bilan”. Dans la même année, elle entre dans l’atelier de confection “G”. Elle y travaille encore aujourd’hui. Elle y a trouvé la stabilité, mais l’insécurité réapparaît : le principal donneur d’ordre se tourne de plus en plus vers la Pologne.
77“L’atteinte de l’image qu’ils (les chômeurs) ont d’eux-mêmes, les difficultés financières, la stigmatisation qu’ils ressentent à leur encontre, les incitent à chercher du travail à n’importe quel prix” (de Montlibert, 2001, p. 36). Arlette Fenninger et Isabelle Strasser, elles aussi, ont été salariées dans la confection, avec cependant, au départ, un statut particulier, celui de travailleuses à domicile. Voisines, après une période d’un an et demi sans emploi, elles décident de travailler ensemble. Isabelle raconte : “On devait faire notre salaire de l’année sur trois mois : juin, juillet, août. On travaillait alors seize heures par jour. Et puis, le reste de l’année, c’était du 500, du 700, du 800 francs par mois. C’était de l’esclavage. Après la honte du chômage, il y a eu l’esclavage.” Au bout de trois ans, l’employeur met fin à leurs contrats. Arlette : “Tout de suite après, on a travaillé pour un atelier vosgien. Il fallait chercher l’étoffe là-bas, puis leur ramener les articles terminés. Avec les frais de déplacement, ça nous rapportait 500, 600 francs par mois. Alors, on a laissé tomber.” Leurs parcours professionnels se séparent là. Mais, toutes deux connaîtront encore les vicissitudes de la couture. Ce n’est qu’en 1988, soit sept ans après la fermeture de Coframaille, en devenant, l’une vendeuse, l’autre employée de service dans une maison de retraite, qu’elles retrouveront une stabilité professionnelle.
78L’un de ces ateliers de sous-traitance s’installera, c’est un symbole, dans une partie des anciens locaux de Coframaille. Sept salariées de l’ancienne bonneterie y seront employées durant quelques années. Pour elles, le lieu de travail ne change pas. La trajectoire n’en n’est pas pour autant figée. Elle va vers la régression sociale : retour de la rémunération au rendement avec la précarité en prime.
79Pénibilité du travail et précarité de l’emploi épuisent les couturières et les incitent à fuir pour se réfugier dans l’inactivité avant la retraite ou à se diriger, à l’instar d’Isabelle et d’Arlette, vers le secteur des services.
Les reclassées déclassées
80Une douzaine d’ouvrières, tout en retrouvant un poste stable en usine, souvent dans la métallurgie, a vécu le reclassement comme un déclassement. Selon les cas, perte de salaire, déqualification ou moindre intégration au sein de l’entreprise en sont à l’origine.
81Paule Jacquin, à Coframaille, était devenue échantillonneuse. “Je suis montée”, dit-elle avec fierté. Elle entre chez “V” : “Le changement était difficile. J’étais redescendue. Je recommençais tout en bas.” Elle sait aussi d’emblée qu’elle restera en bas : “Dans la métallurgie, une femme ne fait pas carrière.” Agent de fabrication, elle est polyvalente, mais le plus souvent, prépare des panneaux avant assemblage. “Les hommes faisaient le montage”. Son application est mal récompensée. “Je devais faire un geste très en hauteur avec mon bras et pincer un outil avec force. Comme je suis petite, je devais chaque fois faire un effort. J’ai attrapé une maladie de nerf au coude. A mon retour d’opération, j’ai trouvé le même poste, alors qu’on m’en avait promis un autre. Mais, ils trouvaient que je faisais bien mon travail, de manière fiable, alors ils m’ont remise dessus.”
82Ses deux amies, Juliette Ramy et Marlyse Dogas, confirment que dans la métallurgie, femmes et hommes ne sont pas considérés de la même façon. Toutes deux ont travaillé dans la société “M”. Juliette se souvient des propos d’un dirigeant de l’entreprise à leurs débuts : “Ici, les femmes ne pourront jamais rien faire d’autre que des travaux de manœuvres payés au Smic.” Elles purent le vérifier : elles furent en effet rémunérées au Smic durant 20 ans, jusqu’à la retraite. Ainsi Marlyse subit-elle un manque à gagner conséquent. Son salaire à Coframaille, à la suite d’avantages acquis, avoisinait 125% du Smic. En outre, pour toutes les deux, une partie de leur vie professionnelle allait perdre de son sens. Déléguées syndicales à Coframaille, leur implication dans l’entreprise était grande. Chez “M” où les ouvriers sont majoritaires, elles tentent de monter une section syndicale dans l’intention d’améliorer les conditions de travail des cinquante ouvrières présentes. Juliette raconte : “On était les bêtes noires. Elles vont nous foutre la merde, disaient les hommes”. Elles abandonnèrent leur projet et cessèrent même d’adhérer à leur syndicat quelques années plus tard. Elles ne furent pas les seules. Alors qu’à Coframaille, la quasi-totalité des ouvrières était syndiquée, sept ans après la fermeture, une seule est encore adhérente.
Les reclassées stationnaires
83Dix employées de service et cinq ouvrières embauchées à temps plein composent ce groupe ; elles considèrent qu’il n’y a eu ni amélioration, ni dégradation des conditions de travail.
84Les employées de service sont principalement recrutées dans des établissements des secteurs médical, social et éducatif. L’aide d’une relation est souvent déterminante pour accéder à ces emplois. Ces salariées bénéficient alors de la stabilité et de conditions de travail jugées acceptables. Il leur est difficile de comparer deux univers de travail très différent. Gilberte Picquet, aujourd’hui à la retraite, résume tout de même assez bien, à partir de son expérience, le sentiment général des employées de service : “La maison “Y”, ça allait, c’était pas mal, mais c’était pas le paradis non plus. L’ambiance était meilleure à la Coframaille, mais on ne peut pas dire que le travail était mieux à l’usine.” Aucune n’a quitté son poste avant l’âge de la retraite. En outre, bien que rares, les promotions (aide-soignante, agente de maîtrise) sont possibles dans les grands établissements.
85Dans la métallurgie ou dans l’industrie du bois, quelques ouvrières ont accepté leurs nouvelles conditions de travail comme elles avaient accepté celles de Coframaille où elles ne participaient aux actions collectives qu’avec beaucoup de réticence. Jacqueline Gaspard : “Le travail était assez dur, mais on n’avait pas vraiment le choix. Il fallait pousser des charges. Mais, il n’y avait rien à redire. C’était correct. Je me suis plu.”
Les précaires satisfaites
86Elles sont quatre, deux employées de maison et deux assistantes maternelles. Trois étaient mères d’un enfant en bas âge lors du licenciement. Le retour à la vie professionnelle s’effectue alors, en moyenne, après cinq ans et demi de chômage ou d’inactivité. Pour toutes, comme le souligne Sarah Lecomte (1999, p. 83) au sujet des assistantes maternelles, l’interconnaissance a été un élément décisif dans le processus d’accès à ces emplois. Elles ont aussi en commun d’exercer un emploi à temps partiel et morcelé, pour de multiples employeurs, avec une rémunération irrégulière et un statut qui est loin d’offrir les droits du contrat à durée indéterminée classique. Il y a une réelle fragilisation du rapport à l’emploi qui ne les empêche pas de préférer cette situation à la précédente.
87Un des avantages de leur nouveau métier est, à leurs yeux, de faciliter le cumul du travail rémunéré et des charges familiales. Gaby Leblanc, employée de maison, mère de trois enfants, dit : “Ça m’a permis de travailler aux heures que je voulais. Je mettais mes enfants à l’école puis j’allais faire les ménages.” La satisfaction exprimée pour le nouveau travail doit être référé en partie, au moins, à cette logique où la mère doit s’occuper des travaux domestiques et d’éducation. Elle se comprend encore par le refus de l’usine. Gaby : “Moi, je suis contente de ce que je fais (…) Pour moi, c’était clair, je ne voulais plus travailler en usine. Bien sûr, les clients ne sont pas toujours faciles. Mais, dans l’ensemble, ça va. Dans une boîte, on ne tombe pas toujours sur un bon chef.” Myriam Pouré, assistante maternelle, mère d’une fille de dix-sept ans en 1981, a eu la possibilité d’être embauchée dans une entreprise où le travail de couture domine. “J’ai fait un essai de huit jours chez “H” et au bout de huit jours, on me proposait un poste de chef d’équipe. Moi, j’avais vu les filles travailler. J’avais repéré leurs combines pour améliorer leur production. Elles étaient payées au rendement et je n’avais pas envie de me retrouver à surveiller les ouvrières, à déjouer leurs combines (…) Elles étaient mal payées de toute façon. Alors, il fallait bien qu’elles se débrouillent.” L’entretien se poursuit. On comprend encore mieux sa fuite de chez “H”. “ Moi, je ne regrette pas Coframaille. Je sais qu’il y en a qui regrettent. Mais, c’est pas mon cas. J’étais toujours sous tension. En semaine, je prenais des tranquillisants.” Elle précise, bien qu’insatisfaite du caractère aléatoire de son salaire : “Maintenant, j’ai trouvé ma voie. Je suis libre. J’apprécie la liberté d’être à la maison.”
Les reclassées satisfaites
88Une quinzaine de femmes estiment que le changement a été positif. La plupart travaillent désormais dans les services. Certaines désiraient rompre avec l’usine. Elles ne pouvaient pas ou n’osaient pas changer de travail. Le licenciement les oblige à passer à l’acte. D’autres n’envisageaient aucunement de quitter Coframaille. Eva Schneider, successivement serveuse en restauration, commerçante et à nouveau serveuse : “Je suis contente de ce que j’ai fait après la bonneterie. L’usine, c’est un travail répétitif. On regarde toujours la pendule. J’avais besoin de voir autre chose. (…) C’est sûr que je ne serais pas partie de moi-même. Là, ça oblige à bouger.” Sylvie Leroux : “Je travaille à la lingerie. C’est bien. Je n’ai jamais eu la nostalgie de Coframaille.” D’autres encore, en particulier, celles qui exercent une profession indépendante, partagent ce sentiment de réussite. Micheline Kohl et Louise Corti ont réalisé ce qui ne fut longtemps qu’un désir : devenir esthéticienne. Le licenciement leur permet de disposer d’une rémunération durant la formation mais aussi, grâce à l’appui d’une déléguée syndicale, de bénéficier d’une prise en charge de celle-ci par l’Assedic. Elles ouvriront toutes deux un salon. Micheline n’a qu’un regret : ne pas avoir été licenciée plus tôt. Elle dit : “J’étais surjeteuse. Maintenant, je pense que c’était un travail barbare. C’était un travail dont je ne voulais plus.” Mireille Alban, elle, trois ans après la naissance de son quatrième enfant commence à façonner à domicile des articles de confection qu’elle vend à un seul donneur d’ordre. C’est ce dernier qui lui impose son statut : “Il voulait que je sois indépendante. Je n’aurais pas pu travailler pour lui comme salariée.” Celui-ci lui adresse de plus en plus de commandes qui conduisent Mireille à embaucher. L’entreprise travaille par à-coups, rencontrant les difficultés des sous-traitants à qui les donneurs d’ordre font subir le risque d’ajustement à la conjoncture. Elle compte tout de même, aujourd’hui, dix salariées.
89Seules quelques ouvrières de l’industrie voient leur situation professionnelle s’améliorer. Marie Fichter en est un exemple. Déléguée syndicale à Coframaille, elle n’a pas l’habitude de se laisser conduire par les événements. Après le licenciement, Marie a eu un objectif : entrer, en qualité d’ouvrière, dans une entreprise située à une vingtaine de kilomètres de son domicile, la seule, à ses yeux, qui offre des conditions de travail corrects. Elle arrive à ses fins. “ Je ne me suis pas trompée. C’était une bonne boîte. On était moins stressé.” Pour l’anecdote, par un concours de circonstances, elle effectuera, payé par l’employeur, le trajet domicile-travail en taxi durant plusieurs mois. Douze ans plus tard, voulant “travailler dans le social”, elle a créé, en agrandissant la maison familiale, une structure d’accueil pour deux personnes âgées en résidence permanente.
90* * *
91Pour une majorité de licenciées, il y a déstabilisation de longue durée. Elle résulte en premier lieu de la remise en cause du lien à l’emploi et, en deuxième lieu, de la dégradation du rapport au travail. Les licenciées éprouvent des difficultés à se réinsérer pour des raisons liées à un contexte économique et juridique (fragilisation de la relation de travail), mais aussi, et surtout, parce qu’elles sont femmes et ouvrières. La dégradation des conditions de travail va souvent de pair avec l’instabilité de l’emploi. Elle résulte aussi, dans le cadre de postes stables, de la perte d’un statut ou d’avantages acquis.
92L’analyse du développement des trajectoires post-licenciements est une bonne méthode pour appréhender le fonctionnement de l’emploi dans toutes ses dimensions. Dans la vallée de la Bruche, de nombreux licenciements collectifs ont touché ouvrières, ouvriers, employées et employés. La présente recherche invite à une analyse comparative des trajectoires de ces groupes pour mieux comprendre les logiques de genre qui animent les mouvements de l’emploi.
Notes
-
[*]
Je remercie chaleureusement Philippe Alonzo pour ses conseils, parfois dérangeants, toujours pertinents.
-
[1]
Il est fait référence ici aux travaux de Geneviève Lebouteux (1979), de Gilles Durel, Bernard Ganne, Dominique Motte, Hugues Puel (1980) et de Yolande Benarrosh, (1995).
-
[2]
Travaillent, en outre, dans le secteur tertiaire, quatre assistantes maternelles, trois employées de maison, deux vendeuses, deux serveuses en restauration, deux esthéticiennes, deux employées de bureau, une ambulancière et une représentante de commerce.