1Inspirée par la publication du rapport de Jean Pisani-Ferry, cette controverse réaffirme que le plein emploi ne peut se faire qu’avec les femmes. Comment les termes du débat actuel sur les possibilités du retour au plein emploi pourraient-ils ignorer le rôle central des femmes dans la dynamique de l’emploi depuis ces quarante dernières années ? En dépit de la crise, la population active féminine a doublé entre 1962 et 2001, tandis que dans le même temps, l’accroissement du nombre d’hommes sur le marché du travail n’a pas atteint 8%. Le plein emploi avec les femmes, c’est aussi l’emploi des femmes à temps plein : en France, 7 femmes actives sur 10 travaillent aujourd’hui à temps complet et l’idée selon laquelle les comportements d’activité des hommes et des femmes s’homogénéisent n’a jamais été aussi présente.
2La fin des trente glorieuses nous a laissé le regret d’une société n’ayant à supporter qu’un chômage résiduel. Si les esprits restent aujourd’hui marqués par la montée irrésistible du chômage et l’augmentation de la précarité, la détente économique de ces dernières années autorise à nouveau le retour au plein emploi comme objectif crédible. Cependant, de quoi parle-t-on aujourd’hui lorsqu’on détaille cet objectif ?
3Peut-on traiter des différentes notions que sont l’emploi, l’activité, le chômage, le sous-emploi, la sous-activité et la précarité sans distinguer qui elles concernent et comment ? Peut-on uniquement les décliner au masculin neutre en faisant comme si le masculin se confondait avec l’universel ? (Margaret Maruani)
4Les salariés doivent-il aujourd’hui renoncer à la qualité de leur travail pour conserver leur emploi ? (Annie Gauvin, François Michon) En dépit de l’ampleur du mouvement qui est le leur en direction de l’emploi, les femmes n’ont pas été déchargées du travail gratuit effectué dans la sphère privée. Ce dernier reste très inégalement partagé, selon des contraintes qui s’imposent différemment aux hommes et aux femmes. Comment intégrer ces réflexions à la question du plein emploi de manière à revenir sur ces inégalités ? (François Michon)
5Ainsi, parmi les mesures préconisées par Jean Pisani-Ferry, les incitations financières ne risquent-elles pas, au contraire, de creuser davantage les inégalités entre hommes et femmes en favorisant le développement du travail à temps partiel et le maintien d’une politique de bas salaires ? (Annie Gauvin)
6Connaissant le rôle majeur du travail à temps partiel dans le maintien des inégalités professionnelles entre les hommes et les femmes, on peut s’étonner que la question du soit-disant “choix” de cette forme d’emploi par les femmes ne soit pas ici davantage débattue. S’agit-il d’un oubli ? Peut-on ignorer que les salariés pauvres sont en majorité des femmes seules travaillant à temps partiel ? Cet oubli n’est pas neutre du point de vue des rapports sociaux de sexe ! S’agit-il d’une volonté de construire un plein emploi sans les femmes comme cela a déjà été le cas par le passé ? Cette absence paraît un peu trop “naturelle” ! (Pierre Concialdi)
7Alors, les récents débats sur la parité, sur la volonté politique de lutter contre les formes actuelles de discriminations, ne prennent-ils pas en défaut la démarche de cette étude qui ne tient pas pleinement compte de la question du genre ? Si cela avait été le cas, ce point de vue n’aurait-il pas été de nature à changer les conclusions du rapport ? (Danielle Guillemot)
8Tels sont les axes de questionnement qui ont animé une démarche que nous avons souhaité ouverte et “respectueuse des points de vue” selon les propres termes de Jean Pisani-Ferry (Le Monde, 16 décembre 2000). L’auteur convient d’ailleurs, dans sa réponse, de la nécessité de prendre en compte ces critiques et encourage à prolonger et approfondir la réflexion. Il nous semblait tout à fait important de réouvrir un débat qui engage une vision globale de la société, de l’évolution du travail et du salariat. Il nous paraissait urgent de dire, une fois de plus, que les femmes ne peuvent en aucun cas être oubliées ou considérées comme une catégorie à part au sein de cette société, et ce d’autant plus si on se fixe comme objectif le plein emploi.
