1 L’économie solidaire peut être définie comme l’ensemble des activités de production, d’échange, d’épargne et de consommation contribuant à la démocratisation de l’économie à partir d’engagements citoyens [1].
2 De nombreux écrits et débats renvoient à des pratiques économiques, des travaux de recherche, ou encore des modalités d’action publique situés en Europe, principalement francophone et latine. Mais le concept d’économie solidaire est aussi de plus en plus souvent mobilisé pour analyser des dynamiques socio-économiques extra-européennes. La première raison tient à l’émergence simultanée du terme d’économie solidaire en Amérique latine, et en particulier au Brésil. Les débats au sein de la mouvance altermondialiste (FRAISSE in LAVILLE, CATTANI, 2007), et plus largement de réseaux internationaux [2], ont également contribué à élargir l’intérêt au Sud pour cette thématique, tant au niveau des organisations de solidarité internationale que des chercheurs. Il semble donc opportun de s’interroger sur la signification de ce concept dans les pays du Sud et sur les réalités qu’il recouvre [3].
3 À cet égard, l’une des originalités majeures de la perspective de l’économie solidaire réside dans l’affirmation de la prédominance du principe de réciprocité sur les principes du marché et de la redistribution. Jean-Michel SERVET situe cecaractère distinctif en analysant la portée du principe de réciprocité chez Karl POLANYI dans une démarche scientifique qui refuse l’évolutionnisme. La spécificité du concept consiste à dépasser les catégories juridiques (associations, coopératives, mutuelles) à travers lesquelles se définissait antérieurement l’économie sociale. Comme il l’est précisé dans cette contribution théorique, l’impulsion réciprocitaire qui fonde la solidarité s’articule à un engagement public et critique sur les normes dominantes de l’économie de marché. Reste que les perspectives de démocratisation de l’économie et de transformation sociale sont parfois brouillées par l’existence de nombreuses initiatives économiques qui s’affichent « solidaires » sans l’être. En outre, l’intérêt récent des bailleurs de fonds pour ce terme renforce les effets d’opportunité. Lorsqu’il s’agit d’une simple organisation pour lutter contre la pauvreté et l’exclusion (insertion par le travail, appui à la création de micro-entreprises, microcrédit, micro-assurance, etc.), le caractère solidaire ne tient alors qu’aux populations bénéficiaires de ces initiatives exemptes de discours et d’actions critiques sur les régulations socio-économiques.
4 En sus de ce premier enjeu portant sur la dimension normative et politique, un second enjeu tient au caractère « importé » ou non du concept d’économie solidaire du Nord vers le Sud. Ici, il convient de distinguer l’Amérique latine et en particulier le Brésil où il existe depuis plusieurs années un espace de débat et de recherche sur l’économie solidaire. Si cet espace est en dialogue avec les chercheurs européens sur le sujet [4], il n’en est pas moins largement autonome quant à son histoire et à ses problématiques. Dans ce dossier, insister sur l’antécédent sud-américain, avec des articles relatant des expériences en Argentine, au Brésil ou en Bolivie, conduit à contester la vision d’une stratégie unilatérale d’exportation d’un concept du Nord vers le Sud en montrant sa double origine géographique.
5 La situation sud-américaine apparaît singulière au regard de la réalité d’autres pays ou continents où l’utilisation du concept d’économie solidaire est émergente (l’Afrique francophone) ou absente (l’Inde, comme d’ailleurs l’ensemble des pays anglophones ou d’inspiration anglophone). Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’existe pas de production, d’échange et de consommation mobilisant le principe de solidarité au sein d’activités socio-économiques formellement organisées. Simplement, leur espace d’autonomie et de développement est restreint, soit par la prédominance de solidarités familiales et communautaires plus hiérarchiques, soit par la situation politique dans laquelle l’autonomisation de la société civile vis-à-vis des pouvoirs publics reste embryonnaire. Ces initiatives peuvent également rester cantonnées à des logiques sectorielles et ne pas rechercher de terminologie commune.
6 L’utilisation récente et encore balbutiante de la notion d’économie solidaire en Afrique francophone illustre cette ambivalence, comme l’explique Catherine BARON. Concernant l’Afrique de l’Ouest, ces dernières années, ce sont d’abord des chercheurs européens et africains (SALAM FALL, GUÈYE, 2003) qui ont cherché à identifier et à comprendre certaines activités socio-économiques à partir d’une grille de lecture d’économie sociale et solidaire. L’accent a été mis sur le développement de certaines pratiques, comme les mutuelles de santé et la microfinance,ou sur la relecture de pratiques locales plus anciennes, comme celles des organisations paysannes. Cette approche descendante n’exclut pas des formes d’appropriation, en particulier la revendication d’une économie ancrée dans la « tradition » et les solidarités « communautaires », cette appropriation se faisant par ailleurs à l’évidence de manière très inégale selon les acteurs et comportant parfois des enjeux politiques.
7 Au Maroc, on retrouve la référence à la « tradition » ainsi que l’influence d’événements internationaux, en particulier la rencontre de Dakar en 2005 [5] et la volonté explicite de s’inspirer de pays disposant d’une expérience en matière d’économie sociale et solidaire. Le réseau marocain d’économie sociale et solidaire (créé début 2006) a choisi de se positionner dans les domaines du commerce équitable, du tourisme solidaire, de l’appui aux coopératives – en particulier les coopératives de femmes – et, enfin, des finances solidaires. Les acteurs marocains insistent néanmoins sur la nécessité de se démarquer des expériences étrangères et affichent la volonté d’inventer une définition de l’économie solidaire « à la marocaine », capable de respecter les particularités et les forces du terrain marocain. Simultanément, comme le met en évidence Claude DE MIRAS, le « projet de règne » de l’actuel roi, l’Initiative nationale pour le développement humain, sans évoquer explicitement le terme d’économie solidaire, en emprunte à bien des égards les concepts spécifiques, en particulier avec l’ambition de faire appel à la société civile, de développer le secteur des coopératives et des initiatives collectives.
8 La comparaison avec l’Inde est difficile dans la mesure où le terme n’existe pas. People economy est probablement le terme qui s’en approche le plus, défini par les acteurs à la fois comme des stratégies individuelles de débrouille et de survie et des initiatives collectives d’auto-organisation. Mais ce terme reste utilisé par une minorité d’organisations et ne fait pas consensus. Pour autant, l’absence de terminologie unifiée ne signifie pas absence d’initiatives : on assiste aujourd’hui à un renouveau coopératif, au développement du commerce équitable, à un dynamisme très prononcé bien qu’ambigu de la microfinance et de la finance solidaire. Mais cela ne s’accompagne pas du regroupement des initiatives dans la perspective d’une revendication de formes alternatives de production, de consommation ou de redistribution. De plus, les interrogations portent sur le caractère solidaire de la microfinance et sa capacité à participer à un processus de « redistribution des pouvoirs et des richesses », comme le soulignent Isabelle GUÉRIN, Cyril FOUILLET et Jane PALIER.
L’ÉCONOMIE SOLIDAIRE COMME PROCESSUS DE DÉMOCRATISATION DE L’ÉCONOMIE POPULAIRE
9 Malgré la diversité des usages du terme économie solidaire selon les contextes, il nous semble possible, en prenant appui sur la réalité sud-américaine, deposer à titre d’hypothèse que l’économie solidaire désigne un processus de démocratisation de l’économie populaire.
10 Si l’on prend l’exemple brésilien, l’économie populaire – définie comme l’ensemble des activités économiques et des pratiques sociales développées par les groupes populaires en vue de garantir par l’utilisation de leurs ressources disponibles la satisfaction de leurs besoins – n’occupe pas une place marginale (SARRIA ICAZA et TIRIBA in LAVILLE et al., 2007). Cette économie s’appuie sur des relations de parentèle et de voisinage pour promouvoir des stratégies de subsistance qui sont aussi des cultures héritées et des formes de socialisation auxquelles tiennent les participants.
11 Ainsi, au Brésil, l’économie solidaire résulte de l’affirmation sur la scène politique de l’économie populaire, renforcée par des initiatives issues notamment du mouvement de reprise d’entreprises par leurs salariés sous forme de coopératives autogestionnaires, du soutien du Mouvement des sans-terre à l’installation de paysans de coopératives rurales, du développement d’incubateurs technologiques de coopératives populaires dans les universités, de la création d’institutions d’épargne et de crédit solidaires, d’associations et de coopératives de recyclage des déchets urbains ou encore de la participation des habitants à des services communautaires d’habitat, d’alimentation, de santé, d’éducation dans les favelas.
12 Comme le souligne Luiz Inácio GAIGER, l’originalité de la dynamique brésilienne de l’économie solidaire tient au maillage de ces initiatives et d’une économie populaire préexistante grâce à de nouveaux intermédiaires (syndicats, organisations non gouvernementales, universités, etc.) intervenant dans l’accompagnement technique comme dans l’interpellation des pouvoirs publics.
13 La terminologie d’économie populaire solidaire a été mobilisée par ces regroupements pour se démarquer de pratiques plus anciennes, qu’elles émanent d’un mouvement coopératif traditionnel, jugé trop proche des pouvoirs politiques et économiques dominants, ou d’une économie informelle de survie qui ne laisse que trop peu de place à des logiques d’accumulation et de transformation sociales.
14 De même, dans l’exemple bolivien développé par Isabelle HILLENKAMP, l’inscription d’associations, de coopératives et de réseaux de petits producteurs indiens dans des réseaux d’économie solidaire participe d’un mouvement plus large de reconnaissance de modes de vie et de revendication de droits par une communauté indienne s’estimant économiquement discriminée par les seules institutions économiques « légitimes », que sont l’administration publique, les grandes entreprises privées ou les exploitations agricoles.
15 La diversité des interprétations prouve en tout cas que l’économie populaire n’est plus perçue comme un phénomène archaïque ou transitoire, voué à disparaître, selon « la loi d’airain » du développement capitaliste. Les questions restent ouvertes sur les capacités de cette économie à dépasser le plan de la reproduction simple des conditions de vie pour atteindre celui d’une reproduction élargie, à passer d’un niveau de survie à certaines formes d’accumulation. Néanmoins, cequi a changé par rapport à une vision qui la confondait avec l’économie informelle et souterraine, c’est l’attention portée par la théorie sociale à l’économie populaire, pour décrire et comprendre ses logiques. Dans les demandes de protection au sein de cet ensemble hétérogène appelé secteur informel [6], combinées à la revendication d’une visibilité et d’une légitimité de ses composantes populaires, se joue en fait une accentuation de leur dimension publique dont témoigne le passage à une visée d’économie solidaire. À partir de cette conception d’une économie solidaire comme processus de démocratisation d’une économie populaire, il nous semble possible de mieux comprendre l’importance de l’articulation des contextes socio-économique et sociopolitique, ainsi que les conditions d’émergence et de consolidation des « formes d’agir solidaires » en économie dans la construction des trajectoires nationales et régionales.
IMPORTANCE DES CONTEXTES, CONDITIONS DE POSSIBILITÉS ET AMBIGUÏTÉS
16 L’émergence de nouvelles formes de solidarité en économie est, dans plusieurs des pays étudiés, concomitante de la dégradation des conditions de vie d’une partie croissante de la population, confrontée à la montée du chômage, de la pauvreté et de la précarisation des conditions d’emploi, aux difficultés d’accès aux biens publics (éducation, eau, santé, habitat, etc.). Pour autant, l’affirmation de ces initiatives ne saurait se réduire à de simples stratégies économiques de repli dans un contexte de fragilisation du salariat.
17 D’une part, les conditions de nécessité économique qui expliqueraient uniquement les initiatives d’économie solidaire par les défaillances du marché et de l’État s’avèrent insuffisantes. Elles doivent être relayées par des « conditions de cohésion sociale » [7] pour que des dynamiques communautaires prennent le pas sur des stratégies individuelles. D’autre part, l’affirmation de l’économie solidaire s’accompagne aussi souvent d’une remise en cause des politiques néolibérales des années 1980-1990 et des plans d’ajustement structurel, d’abord par la société civile et les mouvements sociaux, puis par les gouvernements et même par les institutions multilatérales qui les avaient initiés. Cette dimension contestataire prend des formes diversifiées : au Brésil et en Bolivie, la revendication et l’alliance avec les partis politiques de gauche est manifeste, alors qu’ailleurs elle prend des formes plus discrètes et plus implicites.
18 Au-delà des contextes nationaux, plusieurs facteurs semblent déterminants dans l’émergence puis la consolidation de ces initiatives, et chacun d’entre eux est source d’ambiguïtés et d’ambivalences.
19 L’existence d’un sentiment d’appartenance préalable et d’une identité collective joue un rôle catalyseur déterminant. Cette identité peut provenir d’une communauté de travail fragilisée par la fermeture d’un établissement, de luttespaysannes, urbaines ou syndicales, mais aussi d’appartenances à un même quartier ou village. Simultanément, il faut souligner toute l’ambiguïté de ces solidarités préexistantes, en particulier lorsqu’elles sont de nature familiale ou « communautaire ». Les obligations communautaires et les solidarités hiérarchiques mènent facilement à des pratiques clientélistes et s’avèrent parfois incompatibles avec la création d’un sentiment d’intérêt collectif, comme l’explique Célina JAUZELON dans sa monographie sur un groupe de femmes indiennes [8]. L’intensité de la précarité et de la concurrence peut conduire à l’individualisme au détriment de la solidarité. L’étude de cas, aussi spécifique et singulière soit-elle, n’en révèle pas moins des mécanismes et des ambiguïtés en matière de solidarité qui dépassent très largement le contexte géographique, social et culturel étudié.
20 Un autre facteur porte sur l’efficacité et la qualité des biens et services produits. Il est illusoire de construire des formes de solidarité en misant uniquement sur des questions d’identité collective et de mobilisation politique, en particulier pour les plus pauvres. Les bénéfices matériels individuels consolident l’action et conditionnent sa pérennité.
21 On observe également le rôle souvent essentiel des organisations d’appui (organisations « intermédiaires », ONG d’appui, groupes de médiation, etc.), en particulier dans des contextes où la société civile est balbutiante comme en Afrique de l’Ouest, ou élitiste comme en Inde. L’Amérique latine semble davantage propice à des initiatives plus spontanées, même si le dynamisme de « la base » suppose quand même l’intervention de groupes d’appui de natures diverses. Souvent déterminant, et à des degrés divers selon les contextes nationaux et sectoriels, ce rôle d’appui n’en est pas moins ambivalent, avec des risques d’instrumentalisation et de récupération permanents.
LES DIMENSIONS SOCIOPOLITIQUES DES INITIATIVES D’ÉCONOMIE SOLIDAIRE
22 Force est de constater que la reconnaissance et le développement de l’économie solidaire sont indissociables d’engagements de nature sociopolitique dont il est possible d’identifier trois dimensions.
23 La première dimension relève largement d’expériences de gestion collective et de travail partagé que l’on retrouve au sein de nouvelles dynamiques coopératives et mutualistes. Même si l’adoption de tels statuts ne constitue pas une garantie certaine quant au partage du pouvoir économique, les recherches sur les coopératives autogestionnaires au Brésil dont certains résultats sont présentés par Luis Ignàcio GAIGER, soulignent au moins deux effets positifs : l’accès des travailleurs à des responsabilités comme contrepartie de droits réels et de gains matériels, mais aussi une moindre division sociale du travail et une hiérarchie atténuée dans l’organisation de la production.
24 La deuxième dimension politique tient à l’inscription des membres, groupes de producteurs ou de consommateurs à l’origine des entreprises solidaires dans des espaces plus larges de discussion, de revendication et de participation au débat public, voire de co-construction d’agenda de politique publique. C’est probablement au Brésil que la mobilisation est l’expression publique la plus avancée, avec l’existence de mouvements d’auto-organisation politique à l’image du Forum brésilien de l’économie solidaire (FBES), dont les principales composantes ont uni leurs forces en 2003 pour revendiquer la création d’un Secrétariat national à l’économie solidaire. Décentralisé ensuite au niveau des États de la Fédération, ces forums ont constitué non seulement des espaces de promotion et de valorisation des acteurs et des entreprises solidaires, mais aussi de co-construction de politiques publiques nationales et régionales d’économie solidaire [9].
25 La troisième dimension renvoie à la reconnaissance de la spécificité des initiatives solidaires dans l’action publique. Elle est au centre de l’article de Christiane GIRARD FERREIRA NUNES. Aussi embryonnaires soient-elles, ces politiques n’en demeurent pas moins originales à double titre. D’une part, elles visent, par la nomination d’élus locaux, la mise en place d’administrations (Secrétariat d’État au Brésil) ou le soutien structurel à des réseaux représentatifs, à construire politiquement la cohérence d’un « entreprendre autrement », ce qui, au vu de la diversité statutaire, sectorielle et organisationnelle des activités et des entreprises, est loin d’être évident. D’autre part, ces politiques publiques prennent officiellement acte des limites du « tout marché » et reconnaissent la nécessité de l’intervention publique dans nombre de secteurs jusque-là voués à une privatisation sans limites.
26 Pour autant, la manifestation et l’articulation de ces formes d’engagements sociopolitiques ne vont pas de soi et restent souvent implicites. Les raisons peuvent être stratégiques, quand les risques sont inhérents à la prise de parole et aux mobilisations sociales dans des environnements sociopolitiques peu démocratiques. Elles peuvent venir de ce que l’activation du principe de solidarité relève davantage d’une possibilité d’améliorer des conditions de vie précaires que d’une critique consciente du fonctionnement de l’économie. Dans des contextes où les libertés associatives sont récentes comme au Maroc, où la société civile est conservatrice comme en Inde, les plaidoyers et les prises de parole publiques supposent une capacité d’intervention et une stratégie d’expression vis-à-vis des pouvoirs publics, mais aussi des processus de sensibilisation et de mobilisation des membres de base qui ne sont finalement pas si fréquents. À cela, il faut ajouter la nature « apolitique » des mesures de « bonne gouvernance » prônées par les institutions multilatérales et reprises (même s’il y a réappropriation) par les États nationaux ; elle a tendance à donner un caractère artificiel à ce soi-disant renouveau démocratique. Société civile et « participation » sont les mots d’ordre, mais relégués à un rôle technique dénué de toute considération politique, et ils s’accompagnent parfois de mesures visant à étouffer les véritables prises de parole. Enfin, la mise en œuvre et l’ancrage de politiques d’économie solidaire se heurtent à des difficultés multiples, liées en particulier àl’inertie des découpages administratifs et de systèmes de représentations antérieurs, à des volontés politiques qui ne sont pas à la hauteur des objectifs affichés, mais aussi à des visions divergentes, plus ou moins ambitieuses et réformatrices, de ce que recouvre l’économie solidaire.
RENOUVELER LES RAPPORTS ENTRE ÉCONOMIE ET DÉMOCRATIE
27 Les différents articles de ce numéro mettent en évidence que les activités économiques développées par les groupes populaires mélangent souvent des solidarités héritées ou produites par des conditions de vie partagées, avec des solidarités construites sur le principe de réciprocité et l’entraide mutuelle. C’est bien une hybridation des « formes d’agir solidaire » qu’il faut penser pour comprendre les dynamiques vertueuses mais aussi les tensions inhérentes aux initiatives solidaires en économie.
28 Si l’économie solidaire s’inscrit dans la consolidation et la démocratisation de ces pratiques économiques ancrées dans un tissu populaire, une telle perspective suppose une visée politique assumée permettant de relier la lutte pour l’amélioration des conditions de vie des membres au combat pour les droits économiques et sociaux.
29 C’est sans doute la capacité à connecter de nouvelles formes d’auto-organisation productive et de gestion partagée, d’engagements publics en alliance avec les mouvements sociaux et de renouvellement de l’action publique qui permet à certains auteurs de voir dans l’économie solidaire l’émergence de nouvelles formes de production et de relations entre le capital et le travail, voire même un vecteur de transformation sociale. Là où l’innovation socio-économique ne débouche ni sur une reconnaissance publique, ni sur des formes renouvelées de contestation des mécanismes de régulation et de redistribution des pouvoirs économiques, sa contribution au renouvellement des rapports entre économie et démocratie est plus fragile, comme José Luis CORAGGIO l’indique à travers l’exploration des devenirs possibles. Les initiatives d’économie solidaire, aussi incertaines soient-elles, ont le mérite de renouveler le lien entre économie et démocratie, en montrant qu’elles peuvent s’enrichir mutuellement.
Notes
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[*]
Socio-économiste au Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique (LISE, CNRS-CNAM).
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[**]
Économiste au Laboratoire population, environnement, développement (LPED), Université de Provence, Institut de recherche pour le développement (IRD). Responsable du Programme travail, finances et dynamiques sociales à l’Institut français de Pondichéry (Inde).
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[***]
Sociologue, professeur au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) et co-directeur du LISE (CNRS-CNAM).
-
[1]
- Pour une définition exhaustive, voir B. EME, J.-L. LAVILLE (in LAVILLE, CATTANI, 2007).
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[2]
- On pense notamment au Pôle de socio-économie solidaire (PSES, http://www.socioeco.org).
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[3]
- Certains de ces articles ont été produits et retravaillés dans le cadre d’une recherche co-financée par un programme « Actions concertées incitatives » du ministère de la Recherche et par l’Institut de la recherche de la Caisse des dépôts et consignations sur « La démocratisation de la solidarité et des pratiques économiques comme mode de développement durable, une approche comparative ».
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[4]
- Pour un aperçu de ces travaux, voir J.-L. LAVILLE (2007).
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[5]
- Sur la globalisation de la solidarité organisée après les rencontres de Lima et Québec, voir le Réseau intercontinental de promotion de l’économie sociale et solidaire (RIPESS, http://www.ripess.net).
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[6]
- Sur les problèmes de définition du secteur informel, voir B. LAUTIER (in LAVILLE, 2007).
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[7]
- Pour reprendre l’expression de J. DEFOURNY, P. DELTERE et B. FONTENEAU (1999).
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[8]
- Pour une analyse spécifique des enjeux, des potentialités mais aussi des faiblesses et des limites des initiatives d’économie solidaire spécifiquement féminines, voir I. GUÉRIN (2003).
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[9]
- Pour une présentation détaillée de ces mouvements et politiques, voir J.-L. LAVILLE et al. (2005).