Paru en 1983 dans un ouvrage collectif intitulé Powers of Desire: The Politics of Sexuality (Snitow, Stansell, Thompson, 1983), et republié en 1992 dans un recueil de textes de John d’Emilio (D’Emilio, 1992), « Capitalisme et identité gaie » définit une certaine manière de faire l’histoire de l’homosexualité. John D’Emilio est alors un historien de 35 ans qui vient d’obtenir son PhD, publié sous le titre Sexual Politics, Sexual Communities. The Making of a Homosexual Minority in the United States, 1940-1970 (D’Emilio, 1983). L’article fournit une approche historiciste de l’homosexualité en soutenant qu’il n’existait pas d’identité gaie et lesbienne avant le xixe siècle environ, et que ce sont certains aspects du développement du capitalisme qui ont rendu possible l’émergence de communautés homosexuelles. La question qui se pose alors est de savoir comment fonder une politique homosexuelle sur cette base historiciste.
Plus généralement, l’inscription de l’homosexualité dans l’histoire pose trois interrogations : qu’appelle-t-on homosexualité aujourd’hui, et en quoi se distingue-t-elle de pratiques et de conceptions antérieures qui semblent avoir avec elle un air de famille ? Dans quels processus plus généraux, au-delà de la sexualité elle-même, l’émergence de l’homosexualité peut-elle se comprendre ? Dans un contexte de stigmatisation et d’oppression, quelle politique une telle perspective théorique ouvre-t-elle ?
D’Emilio note que l’analyse historique de l’identité homosexuelle ne lui est pas propre et mentionne Mary McIntosh (2011 [1968]), Jeffrey Weeks (1977) et Michel Foucault (1976), tout en soulignant que cette démarche est alors minoritaire par rapport à une approche « réaliste », qui postule que l’histoire de l’homosexualité est celle de femmes et d’hommes, ou de groupes qui ont toujours existé, mais qui ont été plus ou moins toléré·e·s, e…