CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Comment analyser un cahier de comptes ? La question n’est pas anodine, tant les écritures comptables ordinaires peuvent être d’une aide précieuse aux ethnographes de l’économique qui approchent la question de la financiarisation « par le bas », en s’intéressant de près aux transactions à la fois financières et intimes qui s’effectuent au sein des familles [1]. En effet, les manières ordinaires de compter, de même que les usages quotidiens de l’argent et des produits financiers sont le plus souvent soutenus par des dispositifs matériels, notamment par toute une gamme de supports d’écriture et de lecture comptables très divers, des petites fiches sur lesquelles on note les courses de la semaine aux relevés bancaires et à l’échéancier d’un crédit revolving, en passant par l’injonction à payer d’un huissier et le cahier de comptes. Quel rôle les supports d’écriture comptable jouent-ils dans l’action ? Comment l’analyse de ces écrits peut-elle éclairer les empreintes laissées par la financiarisation au niveau du quotidien économique des ménages ?

2Cette question a déjà été soulevée par les spécialistes des « écritures ordinaires » et par les historiens des pratiques de l’écriture comptable. L’hypothèse initiale de Bernard Lahire (1993), selon laquelle la tenue d’une comptabilité domestique augmente la rigueur budgétaire et favorise le développement de dispositions ascétiques chez les individus qui la pratiquent, a vite été remise en question par un ensemble de travaux qui soulignent au contraire que cette pratique serait aux « antipodes du souci comptable » (Iuso, 2010), sans réelle incidence sur les conduites économiques quotidiennes (Weber, 2009), car, « ce qui est en jeu, c’est aussi un sentiment de possession, une anticipation ou une récapitulation heureuse des plaisirs de la consommation » (Albert, 1993). Cet article reprend sur de nouveaux frais ce débat enfermé dans une vision quelque peu binaire des effets de la comptabilité ordinaire, afin d’explorer la manière dont l’enquête sur l’écriture comptable courante peut être mise à contribution dans l’analyse de phénomènes sociaux plus larges, comme les effets de la financiarisation sur le plan de la gestion des budgets domestiques.

3Si l’ethnographie économique a, ces dernières années, connu un certain renouveau en France, avec un nombre croissant de recherches portant sur des sujets aussi divers que la microfinance (Guérin et Roesch, 2015), l’économie informelle (Fontaine et Weber, 2011), l’argent (Lazarus, 2009 ; Schijman, 2013), l’endettement et le surendettement (Lacan, 2015) ou encore l’ethnocomptabilité (Le Méner, 2016), il semble à propos d’entamer une réflexion sur la place des écrits ordinaires et des archives personnelles dans la boîte à outils du chercheur. Or, dans la majorité des travaux, ce sont des discours sur les comptes qui sont analysés, au lieu des comptes eux-mêmes (Balsamo, 2005). Par conséquent, l’analyse laisse souvent dans l’ombre le travail infinitésimal et quotidien qu’est la gestion budgétaire, et peine à analyser sa temporalité propre, ainsi que ses effets sur l’individu. En schématisant, nous pouvons dire que nous nous trouvons ici face à l’inverse des analyses historiques, dont les comptes écrits – s’ils ont été archivés – constituent la matière première, mais qui ont plus de difficulté à observer les usages qu’en font les individus in situ, et se limitent donc parfois à extraire de la comptabilité domestique des informations purement biographiques (Blasco Martinez et Rubalcaba Perez, 2007 ; Hautefeuille, 2006 ; Triebel, 1983). C’est donc un usage méthodologique des comptes dans l’analyse des conduites économiques quotidiennes que je propose d’explorer dans les pages qui suivent, dans un domaine où l’emprise de la financiarisation sur le quotidien des individus est devenue particulièrement palpable au cours de la dernière décennie : le surendettement (Ducourant, 2009 ; Lacan, 2015 ; Monrose, 2003 ; Perrin-Heredia, 2009, 2013 ; Plot, 2009).

4Empiriquement, cet article s’appuie sur une enquête de terrain menée durant six ans auprès d’une famille surendettée, composée d’une grand-mère prenant en charge sa fille majeure, sans activité professionnelle et dépressive, son mari mourant, ainsi que sa petite-fille, étudiante. L’objectif de cette étude de cas est tourné vers le petit carnet de comptes où la grand-mère additionne tous les soirs l’ensemble des transactions, qui tiennent ensemble, tant bien que mal, une famille de classe moyenne supérieure lourdement endettée et donc menacée par un processus de déclassement annoncé. Il s’est agi de reconstruire l’espace économique auquel ouvre ce matériau, jusque dans les moindres recoins, à travers un dispositif d’enquête fondé sur l’entretien, l’observation participante et la lecture des archives domestiques. En somme, je propose d’expliciter un mode de déchiffrement pour ce type d’archive afin de fournir des appuis méthodologiques pour les chercheurs qui souhaiteraient intégrer des matériaux de ce genre dans leurs recherches sur l’impact de la financiarisation au niveau de l’économie domestique. [2]

Le cas : une famille menacée par le déclassement

5Désirée Lemaire [3] a 76 ans lorsque je la rencontre fin 2009, dans le cadre d’une enquête que j’effectue sur les courriers adressés au Haut-commissaire aux solidarités actives, Martin Hirsch, à qui Désirée s’était adressée deux ans auparavant pour obtenir une aide. Désirée est une ancienne cadre de banque, tout comme son mari. Avec un CAP, le couple a accédé au statut de cadre – parcours de cadre typique dans le secteur bancaire d’après-guerre (Grafmeyer, 1992) – et a longtemps pu s’offrir un mode de vie caractérisé par la consommation, l’aisance financière et l’accumulation d’un patrimoine familial. Selon le récit de Désirée, les problèmes financiers du couple ont commencé lorsque leur fille Louise, née en 1969, est rentrée d’un stage à l’étranger, enceinte et accompagnée d’un homme inconnu des parents, qui s’opposent alors à ce que celui-ci reconnaisse l’enfant. Depuis ce temps, la fille souffre d’une forme de dépression, ne sort plus de son appartement et bénéficie du RMI. Les grands-parents seront amenés à prendre en charge, financièrement mais aussi quotidiennement, leur fille ainsi que leur petite-fille, Marie. Lorsqu’un cancer se déclare chez Désirée en 2000, ils achètent un appartement à leur fille, à crédit. En parallèle, ils assument les charges générées par leur petite-fille, notamment le collège privé que celle-ci intègre pour éviter l’échec scolaire. Rapidement, les premières brèches apparaissent dans le budget familial. La famille entre dans une spirale d’endettement au crédit à la consommation, où un emprunt sert à rembourser le crédit précédent. Au moment où Marie doit intégrer une école de commerce privée, et face à la détérioration de l’état de santé de son mari, Désirée saisit Martin Hirsch (j’y reviendrai).

6Mon enquête auprès d’elle commence deux ans après ce courrier et un an après le décès de son mari François, en 2009. Je lui rends visite tous les six mois ou huit mois environ, jusqu’au mois de janvier 2015. Comme souvent dans ce type d’enquête, une forme de sympathie se crée entre nous, soutenue sans doute par la relative solitude de cette vieille femme. Rapidement, nos conversations se déplacent du recours porté devant Martin Hirsch vers l’entrelacs des transactions à la fois financières et intimes (Zelizer, 2005) qui constituent une préoccupation omniprésente pour Désirée et que j’essaie de débroussailler au fil de mes visites. Lorsque je lui demande comment elle s’y prend concrètement avec tous ces transferts d’argent, échéances de paiement, dépenses et remboursements de crédit dont elle me fait part, Désirée répond : « Si je n’avais que moi à m’occuper, ce serait simple, mais comme j’ai des dépenses à droite et à gauche, eh bien, il faut que je tienne un cahier : je ne peux pas dire je paie ça ou ça sans rien tenir, ce n’est pas possible. » Elle me montre alors le cahier de comptes où elle note la moindre de ses dépenses et me laisse généreusement prendre des photos de deux cahiers, qui couvrent la période de mars 2008 à octobre 2010. Plus tard, lorsque je l’aiderai à débarrasser sa cave, elle m’offrira aussi les cahiers des années 2005 à 2008, que je n’analyse pas en profondeur, mais qui me serviront pour comparer ponctuellement différents moments de la trajectoire de Désirée.

7La décision d’analyser ce matériau ethnographique est vite prise, tant je suis saisi par la différence que produit cet écrit dans ma perception de la situation de Désirée, par rapport à l’entretien. Feuille par feuille, des lignes de chiffres s’y enchaînent sans commentaire. Le temps y est fractionné en petites unités, une semaine se résume en 25 postes de dépenses, un mois en 100 postes, un an en 1 200 postes. Là où le récit biographique résume plusieurs mois, voire plusieurs années, à grands traits, le cahier de comptes donne à voir des événements économiques dans leur intégralité, sans reconstruction sélective a posteriori, mais aussi sans les « évaluations » ou « points de vue » de l’individu, qui, d’ordinaire, font le bonheur du biographe (Labov et Waletzky, 1967 ; Dubar et Demazière, 2004 [1997]). Les comptes sont prosaïques. Mais lorsqu’on associe la lecture du cahier à des entretiens et à l’observation ethnographique, il est possible de « faire parler » le cahier, de repérer dans ses plis toute une topographie financière, des lieux et des moments de vie où l’attribution réflexive d’argent vise à agir sur les relations sociales et les trajectoires des individus concernés [4].

8Avant de procéder à cette analyse, soulignons que cette archive a sa propre historicité. Bien que Désirée et son mari soient d’anciens banquiers, pendant cinquante ans ils ont mené à bien la gestion de leur budget sans comptabilité. À ma question portant sur la façon dont elle gérait son argent auparavant, elle me répond : « Avant, on gérait comme ça » et hausse les épaules, laissant sous-entendre l’impertinence de ma question. Le premier cahier s’ouvre entre la prise de retraite de Désirée et l’emprunt contracté pour l’appartement de sa fille, c’est-à-dire au moment où plusieurs développements de sa biographie ont transformé le budget de telle sorte qu’il ne peut plus être tenu d’une façon routinière et non questionnée, par ce que Florence Weber appelle un « habitus économique incorporé » (2009). Cette coïncidence donne à penser que Désirée voyait, à ce moment précis de sa trajectoire, une plus-value pratique dans la tenue laborieuse et parfois pesante des comptes. Il nous faut comprendre en quoi précisément cette plus-value consistait.

Lignée familiale et lignes budgétaires

9Chaque soir, Désirée s’assoit sur une petite table sa cuisine, pour inscrire à la virgule près les dépenses de la journée dans son petit carnet. Ce moment se situe en aval de toute une chaîne de pratiques de documentation et d’archivage domestique. Désirée garde méticuleusement toutes les factures ou tickets de caisse et elle retire régulièrement son « solde de compte » au distributeur de sa banque pour être à jour des tout derniers mouvements de son compte. Le cahier a la forme qui nous est familière (voir fig. 1) : une grille imprimée en couleur verte divise chaque page en six colonnes. Désirée y inscrit ses transactions financières : d’abord la date du débit de la dépense [1], puis, dans la colonne « opération », le moyen de paiement (carte bancaire [2], chèque [3], virement [4], retrait [8]), les raisons de son utilisation (par ex. : « Françoise Saget » [5], « Auchan » [6], « Fromages » [7]) et le montant de l’opération. Lorsque la dépense concerne un membre de la famille, Désirée rajoute le prénom (ex. « Coiffeur Marie »). Puis elle calcule le solde en soustrayant le montant de la dépense du solde de la ligne précédente. Enfin, lorsque la dépense est passée par son compte bancaire – ce qu’elle contrôle à l’aide de ses relevés – elle inscrit une petite croix, s’assurant par-là que la transaction a effectivement eu lieu.

Figure 1

Une page du cahier de comptes de Désirée

Figure 1

Une page du cahier de comptes de Désirée

10Cette indexation des dépenses me permet de les regrouper et de suivre leur évolution sur la longue durée, à la manière d’un statisticien de la consommation (Desrosières, 2008) ou d’un historien de la vie économique (Pierenkemper, 1988). Commençons par les dépenses affectées à la fille de Désirée, Louise, au mois de mars 2008 [5]. Celles-ci pèsent lourdement sur le budget mais varient peu. Désirée paie tous les mois les mensualités de crédit immobilier, les charges de copropriété, la taxe foncière et diverses assurances, et environ 400 euros d’achats d’alimentation et de ménage, soit au total 1 450 euros par mois. Ponctuellement, elle paie des petits extras à sa fille, comme une visite chez le coiffeur. Au total, Désirée consacre plus d’un tiers de son budget à sa fille ; presque la moitié à partir du décès de son mari, fin 2008 (en décembre 2010, son budget mensuel est de 3 700 euros). Le cahier enregistre ces dépenses sur une même échelle de valeur – l’euro, comme des unités économiques comparables, dont la valeur respective peut par exemple être exprimée à travers une proportion, en termes de part du budget mensuel. On pourrait ainsi considérer que, pour Désirée, certaines dépenses sont plus importantes que d’autres simplement parce qu’elles consomment une plus grande partie du budget. Mais cette lecture n’est pas suffisante car elle ne tient pas compte de la façon dont Désirée évalue elle-même la valeur de ces dépenses (Cottereau, 2015). L’outil comptable cache en effet que l’argent sert des finalités très différentes, qui sont incommensurables sur une seule échelle de valeur unique. Comment Désirée définit-elle la valeur des dépenses ou des groupes de dépenses effectuées par sa fille ?

11Les 400 euros de dépenses alimentaires et d’hygiène satisfont une obligation morale que Désirée ressent et exprime à plusieurs reprises dans les entretiens, celle de prendre en charge sa fille en tant que mère. C’est pourquoi, dans sa comptabilité, Désirée ne les dissocie pas des achats de nourriture qu’elle effectue pour son propre compte. Pour elle, m’explique-t-elle, ces dépenses ne font qu’une : « Ma fille est ma fille. Je ne peux pas ne pas l’aider ». Suivant un raisonnement proche de « l’obligation alimentaire » du Code civil, Désirée considère qu’une mère se doit de nourrir son enfant. Le montant est calqué sur le RSA. La comptabilité est aiguillée par une conscience du droit, c’est-à-dire des considérations d’ordre juridico-morales sur ce à quoi sa fille a droit eu égard à son statut dans la famille, et ce indépendamment du fait que celle-ci bénéficie par ailleurs du RSA. C’est une sorte de minimum familial que Désirée dépense tous les mois sans hésitation, un « bon droit » (Cottereau, 2002) de sa fille.

12Les dépenses ponctuelles correspondent le plus souvent à des objectifs éducatifs et parfois à des exigences de decorum associés. En dehors des dépenses d’alimentation et de l’appartement, Désirée ne dépense que très rarement de l’argent pour sa fille. Il s’agit alors généralement de petites sommes, et Désirée n’hésite pas à ajouter une mention dans son carnet pour surligner leur caractère exceptionnel. Par exemple, en avril 2008, elle fait un versement de 50 euros, et note « exceptionnel » à côté du poste. En mars 2008, elle paie une mensualité d’abonnement à la télévision par câble à sa fille, qui passe de longues heures devant la télévision. En décembre 2008, elle lui paie un shampooing également « exceptionnel ». Ces paiements correspondent à des moments de générosité bien dosée, où la mère offre à sa fille des petits « extras » dont elle espère qu’ils pourraient améliorer le sort de celle-ci. Les visites chez le coiffeur sont ainsi une manière de faire sortir sa fille, de lui donner confiance en soi. C’est aussi un préalable pour celle-ci à une visite chez son médecin, ce que Désirée lui conseille vivement : « Avant qu’elle aille voir son médecin, elle voulait absolument voir son coiffeur. » De même, pendant une certaine période, Désirée assume une partie des frais liés à la voiture de sa fille. Désirée désapprouve cette dépense, mais elle la maintient longtemps, car les deux femmes utilisent la voiture pour faire les courses ensemble, ce qui arrange Désirée et fait sortir sa fille de son appartement, objectif majeur de Désirée. Le caractère peu fréquent de ces dépenses et leur montant peu élevé ne signifie donc pas qu’elles ont peu de valeur, au contraire.

13En ce qui concerne les dépenses liées à l’appartement, elles réalisent un but supérieur et ne sont donc jamais remises en cause par Désirée. En supportant ces charges, Désirée essaie de faire en sorte qu’à sa mort, sa fille puisse être à la fois propriétaire de son propre logement et de celui qu’elle héritera de sa mère. Une propriétaire-petite rentière au lieu d’une propriétaire-RMIste. Il s’agit pour Désirée de s’assurer que sa fille vivra dignement lorsqu’elle ne pourra plus l’assister financièrement, mais, en même temps, de ne pas payer un loyer « à fonds perdus », comme elle dit. L’achat d’un appartement procède aussi de l’idée que le soutien d’un enfant ne devrait pas occasionner trop de pertes ; qu’il devrait au contraire servir à quelque chose : accroître le patrimoine familial.

14Au total, les dépenses pour la fille se rattachent donc à deux impératifs qui traversent la plupart des maisonnées : hériter pour former une ligne de descendance, et prendre en charge, pour former un collectif de solidarité quotidienne (Weber, 2005). En l’espèce, ces deux impératifs se trouvent accentués, car Louise est fille unique, et elle n’a ni travail ni conjoint.

15Si ces dépenses sont assumées et, dans une certaine mesure, considérées comme normales, elles ne sont pas pour autant perçues par Désirée comme une fatalité. Une archive domestique à laquelle Désirée me donne accès au fil de nos rencontres nous l’apprend : une série de lettres adressées aux hommes politiques. Dans ces lettres, Désirée dénonce le fait que sa fille bénéficie du RSA sans être suivie et met en cause la responsabilité des institutions. « Nous, les parents, faisons de notre mieux pour les [les enfants] encourager, mais nous avons aussi tendance à les protéger et c’est pourquoi je demande une aide extérieure. C’est-à-dire que le ou les membres de l’État responsables dans ce domaine, soient capables de prendre en main, efficacement les RMIstes. Car, si ma fille sortait, enfin, de son statut de RMIste, et pouvait s’assumer, je pourrais sortir de ce mauvais pas », écrit-elle à Martin Hirsch (fig. 2). Dans la foulée de cette lettre, Désirée s’adresse au Président de la République (fig. 3), au ministre du Travail, au Premier ministre et enfin au ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale. Ces recours ont pour point commun de dénoncer la carence de suivi des bénéficiaires du RSA, qui « se complaisent dans leur sort ». Elle suggère par exemple au ministre du Travail de « demander aux Préfets d’établir une liste nominative de toutes les personnes qui bénéficient du RMI (actuellement remplacée par le RSA) avec l’indication de la date initiale de chaque allocataire ayant bénéficié du RMI. Ceci afin que chaque commune, du département concerné, puisse convoquer tous ceux qui y sont inscrits et qui ne pointent pas au “Pôle Emploi” ».

Figure 2

Lettre adressée au Haut-commissaire aux solidarités actives

Figure 2

Lettre adressée au Haut-commissaire aux solidarités actives

Figure 3

Lettre adressée au Président de la République

Figure 3

Lettre adressée au Président de la République

16Au fil des missives, Désirée se fait partisane d’une version répressive de l’État social actif : il faut resserrer les obligations des bénéficiaires de l’aide sociale afin de les rendre autonomes, par convocation, suivi médical obligatoire, menace de suspension d’allocation. Cette critique du versement inconditionnel de revenu minimum peut étonner quand on connaît la détresse que crée la suspension du RSA dans les milieux pauvres. Pour cette femme de classe moyenne supérieure, l’argent de l’aide sociale est une affaire ambivalente. D’un côté, il représente une source de revenu bienvenue. D’un autre côté, il est préjudiciable à l’esprit de la famille, car il soustrait une partie du budget de sa fille à son emprise – le RSA est versé sur le compte de sa fille, qui peut en disposer librement, sans en même temps constituer une obligation suffisamment puissante pour qu’elle retrouve un travail, ce qui permettrait de redresser les comptes familiaux. Avec le RSA, la fille s’achète des choses pour elle, dont des cigarettes et d’autres dépenses que Désirée désapprouve. Et si on le suspendait ? Elle ne l’exprime qu’à demi-mot, mais il est certain que Désirée attend de l’État qu’il prenne sa fille en main, fermement, pour la sortir de son inertie. Ce sont des lettres de dernier recours, qu’elle écrit au moment où le soutien financier et quotidien devient insupportable.

17Les recours adressés aux hommes politiques forment un autre espace de recherche que l’écriture comptable. Il n’empêche que leur analyse éclaire celle du cahier de comptes, car on comprend alors à quel point la valeur que Désirée attribue à ces dépenses est sous-tendue par des considérations morales, à propos de ce que les membres de la parenté devraient être et comment ils devraient se tenir pour mériter la solidarité familiale. Si la comptabilité met en lumière le maintien, à tout prix, de la solidarité familiale, les lettres indiquent au contraire son épuisement potentiel, à travers le ras-le-bol, le sentiment d’un abus de la part de la personne prise en charge.

Financer une carrière d’étudiante

18La présence des produits financiers dans l’économie domestique de Désirée est particulièrement palpable lorsqu’on reconstruit les dépenses effectuées au nom de sa petite-fille, Marie. Entre mars 2008 et octobre 2010, près de 240 postes du cahier lui sont attribués, soit au total 33 100 euros ou une moyenne de 1 035 euros par mois. En mars 2008, Marie est étudiante dans une d’école de commerce et boursière du CROUS sur critères sociaux. Autant l’argent public est ambivalent en ce qui concerne le RSA de la fille, autant il est ici bienvenu. C’est que les frais de scolarité de l’école de commerce sont élevés : Désirée débourse au total 14 800 euros, soit 45 % du total des dépenses consacrées à sa petite-fille sur cette période. Quel type de dépenses couvrent les autres 18 300 euros ?

19Voici une brève liste des dépenses intitulées « Marie » :

Photocopie copinesVol CambodgeZara
ImaginaireIberiaDarty
Cadeaux copinesMonoprixEspace épilation
ChaussuresEasyjetTraitement cheveux
Coiffeur Lucie St. ClaireMonoprixLoyer
MangoTéléphoneMode en direct
ZaraNaturaliaChèque pour Assurance maladie
Fly MalagaVoyage BudapestRèglement Orange
VenicePathéEurope assistance
Sock shopEspritVol Madrid
PromodEtamVol Sicile
Naf NafPrincesse tam.tamIberia
Huit à huitGo SportCroisière

20De Zara à Naf Naf, en passant par Etam et Mango, c’est le style de vie d’une étudiante de classe moyenne supérieure en milieu urbain qui se dessine. Par rapport à sa position sociale, la petite-fille de Désirée est dans un moment important de sa trajectoire. Sa scolarité dans une école de commerce constitue pour elle un moment de passage, où elle accède à travers le diplôme à un statut social durable ainsi qu’à un « réseau » qui, plus tard, constituera la clef de voûte de sa carrière professionnelle. Ce passage biographique est soutenu par une multiplicité de dépenses, infimes mais pertinentes. Les goûts distinctifs s’apprennent chez Monoprix ou Naturalia, où Marie fait ses courses, contrairement à Désirée, qui ne se rend qu’aux supermarchés de moyenne gamme. Les dépenses en « photocopies » et des « cadeaux copines » soutiennent les liens amicaux avec les pairs de l’école de commerce, de même que les dépenses liées à la mode et à la beauté, qui répondent aux codes vestimentaires pratiqués et sans doute à une place que l’on souhaite occuper sur le marché matrimonial interne. Le poste « loyer », qui n’apparaît qu’en juillet 2009 – la petite-fille habitant auparavant chez ses grands-parents – confère à la petite-fille un espace à soi, qui lui évite de prendre le RER et qui permet d’organiser de temps en temps des apéritifs entre collègues. Enfin, dans les classes moyennes aisées, partir en voyage, c’est pouvoir délivrer à ses pairs un récit de soi dont l’objet est le déplacement du regard, la rencontre des cultures et l’apprentissage sur soi lors d’expériences d’apparence existentielles et intérieures (Munt, 1994). Aux voyages à Budapest, au Vietnam, en Sicile, s’ajoutent les activités exercées à l’étranger : une mission humanitaire au Costa Rica et un stage à Madrid ou à Barcelone, qui étoffent le CV de la future employée avec de nouvelles compétences, notamment linguistiques et « interculturelles ». Au fil de toutes ces dépenses, rencontres, interactions, expériences, la petite-fille accomplit son passage dans une vie d’étudiante au sein d’une école de commerce. En arrière-fond, c’est la grand-mère qui signe les chèques.

21Ces dépenses enregistrées sans commentaire, le cahier donne l’impression qu’elles ont été prévues et comptabilisées à l’avance. Or, lors d’un entretien, j’assiste à une scène qui me montre que la pertinence de ces dépenses n’est pas donnée a priori, mais se négocie au fil de l’eau et dans l’interaction. Marie appelle pour annoncer à Désirée plusieurs dépenses dont une facture de 700 euros, résultat d’une virée shopping avec des copines. La virée était prévue, mais le montant maximum à dépenser n’avait pas été déterminé avec fermeté. La petite-fille commence la conversation en annonçant sa réussite à un examen et prévient ensuite : « Tu ne vas pas être contente. » Elle digresse ensuite sur une dépense mineure pour son appartement, mais Désirée sent la facture salée arriver et s’énerve : « Annonce ! ». Elle exprime vivement son mécontentement, tout en assurant qu’elle paiera la virée, de même que les travaux dans l’appartement, non sans s’assurer que sa petite-fille ait fait en sorte que le propriétaire en assume une partie. Elle termine la conversation en demandant à sa petite-fille de lui envoyer les tickets de caisse pour nourrir son cahier. Après avoir raccroché, Désirée m’explique qu’elle a laissé sa carte bancaire à sa petite-fille pour que celle-ci s’achète des vêtements pour la fête annuelle de l’école de commerce. Désirée me parle alors longuement de bottes cassées et d’une robe de soirée démodée, impossible à présenter lors d’une fête annuelle. Bien que la facture soit plus élevée qu’elle ne le pensait, la grand-mère peut ainsi se convaincre de son bien-fondé. Et la petite-fille sait comment « faire passer » cette somme : elle introduit l’échange avec un « oral réussi », avant de passer aux comptes.

22Le financement de cette trajectoire d’étudiante est problématique car les besoins en argent de Marie sont constants mais ne suivent aucune régularité, comme le montre le graphique de la figure 4. Les dépenses pour Marie ne s’apparentent aucunement à une charge mensuelle stable, prévisible et comptabilisable par avance, comme c’est le cas pour sa mère. Ayant elle-même obtenu un CAP de banque dans l’après-guerre, Désirée ignore en grande partie les impératifs d’une vie étudiante dans une école de commerce ; elle ne peut donc pas se reposer sur une routine stable, ni même sur une expérience liée à sa propre trajectoire. Le plus souvent, les dépenses surgissent sans qu’elle ait pu les anticiper. Pour les assumer, elle s’appuie sur une économie de l’endettement, soutenue par des produits financiers : une dépense imprévue est absorbée par un crédit à la consommation.

Figure 4

Variation des dépenses mensuelles pour la petite-fille (mars 2008 à octobre 2010)

Figure 4

Variation des dépenses mensuelles pour la petite-fille (mars 2008 à octobre 2010)

Lecture : en juillet 2009, le solde de recettes et de dépenses associées à la petite-fille est négatif de 4 000 euros ; en décembre 2008, ce solde est positif de 500 euros. Ce n’est qu’en août 2010 que la courbe des dépenses s’aplanit, car Désirée vend son appartement et lègue à sa petite-fille 30 000 euros.

23À travers cette présence de la grand-mère dans les moindres détails de la vie de sa petite-fille, les deux femmes ont développé une relation singulière. Elles se voient régulièrement, échangent sur la scolarité ou sur l’utilité d’un stage, font les courses ensemble, vont au cinéma et déjeunent ensemble. Malgré un budget déjà déficitaire, Désirée n’a pas hésité à payer à Marie une inscription dans une école de commerce coûteuse. Or, la volonté de Désirée de financer ce mode de vie n’est pas de l’ordre de l’altruisme, mais constitue aussi une façon d’engager sa petite-fille à sauver la descendance. Face à l’inertie de sa fille, dont le parcours apparaît comme irrattrapable, Désirée mise tout sur sa petite-fille. Les multiples investissements nouent un pacte tacite, qui transparaît dans chaque ligne de la comptabilité domestique : je te donne de l’argent mais tu dois avoir ton diplôme. En revanche, ce pacte oblige Désirée à ouvrir plus fortement encore l’économie domestique aux produits financiers, notamment aux crédits à la consommation, dont le maniement lui demandera un mode de gestion budgétaire particulier.

Encaisser une disparition

24Quelle place occupe le mari de Désirée dans les comptes ? Comme pour la fille, Désirée ne note pas son prénom à côté des dépenses alimentaires qui le concernent. Le seul endroit où son prénom apparaît est l’entrée « retraite » : 1 000 euros par mois et 2 500 euros par trimestre versés sur le compte de Désirée. Ce n’est qu’à partir du mois d’avril 2008 que surgissent des montants à son nom : 352 euros pour un « forfait hospitalier François Hôpital Laennec », soit 22 jours d’hospitalisation. Au même moment, Désirée paie les services d’un médecin généraliste consulté en urgence. Des frais d’hospitalisation s’ensuivent dans les semaines à venir. Le 17 juin, Désirée mange à l’hôpital, probablement parce que l’état de santé de son mari demandait à ce qu’elle y passe la journée. Fin juin, elle signe trois chèques à l’ordre d’une entreprise de pompes funèbres, et un chèque à l’ordre d’un notaire. François n’est plus.

25Le cahier n’en dit pas long sur le vécu de cet événement qui, Désirée me le racontera, a été une « énorme chute émotionnelle » pour elle. En même temps, la comptabilité a accompagné de très près la « trajectoire du mourir » (Strauss et Glaser, 1970) du mari, à travers des dépenses de decorum sans lesquelles des rituels indispensables à une fin de vie « normale » ne pouvaient pas avoir eu lieu. Fin avril, Désirée offre une visite au coiffeur de l’hôpital (6 euros) pour rétablir quelque peu l’allure entamée par l’hospitalisation soudaine. Fin mai, elle lui achète des fleurs (99 euros). Le jour où elle signe le chèque pour les pompes funèbres, Désirée s’achète du maquillage (4,5 euros), dépense rarissime pour elle qui ne porte pas de maquillage, mais nécessaire pour assister aux funérailles dans une tenue adéquate. Quelques mois plus tard, le lendemain de la Toussaint, elle comptabilise la déférence devant les morts : « fleurs tombe François 10 euros ». Désirée me raconte qu’elle avait une relation distante avec son mari, ce qui n’empêche pas qu’elle paie tribut au moment de sa mort, avec des montants économiquement raisonnables. Cette disparition entraîne aussi une réflexion sur sa propre mort, visible dans les dépenses effectuées pour la location sur plusieurs années d’un médaillon d’alerte pour personnes âgées. Le cahier se tait sur les interprétations que les individus font de leurs situations, mais il donne accès à cette dimension économique de leurs expériences biographiques et relations intimes, et donc à l’une des modalités de leur réalisation : la mort est une chute émotionnelle, mais aussi un moment où l’on sort sa calculette afin de connaître l’impact budgétaire de l’événement, et où l’on réfléchit aux solutions financières possibles.

26Comment encaisser cette disparition, qui signifie une perte sèche de 1 500 euros de revenus par mois et génère 5 000 euros de frais (hospitalisation, pompes funèbres, notaire) ? Fin juin, le solde du cahier tombe à moins 5 000 euros. Désirée évite le pire en négociant avec le Trésor public, l’hôpital et les pompes funèbres un paiement différé des factures. Elle signe plusieurs chèques, à encaisser plus tard dans l’année.

27Ces dépenses sont inscrites dans le cahier le jour même, comme d’habitude, mais cette fois-ci, Désirée ne les date pas du jour de l’inscription, mais du jour où les chèques seront encaissés, soit le 15 décembre. Ensuite, elle calcule le solde du compte, comme si les chèques étaient déjà passés par son compte. Elle a donc comptabilisé la dépense, même si le transfert d’argent n’a pas encore été effectué. C’est-à-dire que dans la colonne « solde », Désirée anticipe des débits ultérieurs, comme s’ils avaient déjà eu lieu, tout en sachant que s’ils avaient vraiment eu lieu, elle aurait dépassé son découvert autorisé, ce qui aurait engendré des prélèvements rejetés, des frais supplémentaires, des impayés, bref, un écroulement du budget. La tenue des comptes produit ici une perspective en surplomb où se trouve déjà chiffré l’impact budgétaire d’un événement, bien que le transfert d’argent le concernant n’ait pas encore eu lieu. L’inscription du « solde » du livre de compte établit un lien à la fois graphique et cognitif entre deux moments, le présent, où Désirée s’engage à assumer ces dépenses, et l’avenir, où ces dépenses seront définitivement débitées de son compte.

28Pour restituer le rapport au temps qui se dégage de cette gestion budgétaire, j’ai relu les 32 mois du cahier en suivant la temporalité de l’inscription des comptes. Ancienne cadre de banque, Désirée est une bonne élève de la société de consommation (Perrin-Heredia, 2011). D’ordinaire, sa gestion budgétaire s’inscrit dans un cadre mensuel : au début de chaque mois, elle inscrit les charges fixes et ensuite les charges courantes au fur et à mesure qu’elles tombent. Mais par moments, la grand-mère déroge à cette gestion mensuelle, en inscrivant d’un seul coup plusieurs mois de charges fixes. Par exemple, début mai 2009, lorsque son solde débiteur est à moins 17 950 euros, elle inscrit d’un seul coup les charges des mois de mai et juin, de manière à voir jusqu’où le solde va tomber. Quelques jours plus tard, elle renfloue le compte avec un crédit de 17 000 euros. L’opération se répète trois mois plus tard. Fin juillet, alors que son cahier lui montre un solde positif de 6 270 euros, elle inscrit à nouveau les charges des deux mois suivants. Le solde tombe à 1 760 euros. Pendant l’été, elle doit financer un voyage de sa petite-fille et des frais de scolarité. Début octobre, elle inscrit d’un coup les charges courantes des mois d’octobre, de novembre et de décembre. Dans cette projection, elle voit son solde tomber à moins 3 900 euros. Dix jours plus tard, elle empruntera 11 500 euros à un organisme de crédit. Au total, entre mars 2008 et décembre 2010, elle anticipe à cinq reprises les charges courantes des mois suivants de cette manière.

29Nous avons vu que pour assumer les frais du décès de son mari, Désirée a différé la date de débit des transactions afin d’aménager un temps qui lui permet d’amortir les dépenses imprévues. En inscrivant les charges courantes par avance, elle procède inversement : elle note dans le cahier une dépense qui n’a pas encore eu lieu, mais la comptabilise déjà. Elle produit ainsi une situation fictive afin de savoir comment le financement de la continuité de la vie (les charges courantes) se répercutera sur son compte. Dans les deux cas, au moment de l’écriture des comptes, en calculant son solde, Désirée se met donc dans une situation de réflexivité par rapport aux points ultérieurs de la biographie familiale. Le cahier est une sorte de fenêtre vers l’avenir.

30En transcrivant le solde de 32 mois de cahier, la courbe ci-dessous rend visible le mouvement de ces projections, en forme d’une sinusoïde en descente, car le budget de Désirée est structurellement déficitaire. Ce graphique du « solde » livre les pulsations économiques de cette maisonnée, avec ses crises, ses points d’inflexion, mais aussi les procédés de stabilisation du budget courant, lors des entrées d’argent qui évitent la faillite de justesse par le recours au crédit (mouvements ascendants de la courbe). En suivant cette courbe, nous pouvons comprendre ce que veut dire « courir après l’argent » ou « la spirale de l’endettement », expressions que Désirée utilise à plusieurs reprises pour décrire sa situation, comme beaucoup de personnes surendettées (Lacan, 2013).

Une comptabilité de soi

31Que signifie cette croissante financiarisation des comptes familiaux pour Désirée ? Dans ses lettres adressées aux hommes politiques, et aussi dans mes entretiens avec elle, Désirée se décrit comme « surendettée » [6], « très précaire », et fait valoir qu’elle n’arrive plus à « joindre les deux bouts ». Qu’en dit le cahier ?

32Le relevé de ses consommations suggère qu’elle a restreint son mode de vie. L’ancienne banquière ne fait certes pas ses courses dans les discounts. Mais la présence massive de marques de moyenne gamme et des magasins à petit prix indique qu’elle est descendue dans l’échelle des produits pour s’adapter à sa situation. Plus d’achats chez Monoprix, dans les boutiques de beauté et les parfumeries où elle avait l’habitude de se rendre auparavant, comme en attestent les cahiers de 2005 ; moins d’achats par correspondance. Elle ne se rend qu’une fois en 32 mois à la boulangerie haut de gamme qui se situe juste en face de son immeuble et dont elle dit bien aimer le pain.

33À côté de ces restrictions, Désirée essaie d’augmenter ses recettes. Apparaissent çà et là dans le cahier des petits montants qui proviennent des objets qu’elle a vendus dans des brocantes ambulantes ou sur le site leboncoin.fr. Il s’agit de meubles anciens ou de bijoux reçus en héritage, ou encore des objets de valeur achetés avant que les difficultés n’apparaissent : des statues ramenées de voyages, des collections de monnaies, des livres, etc. Désirée avait déposé au Crédit municipal de Paris certains de ces objets, pour faire face à une urgence, et aussi pour se faire à l’idée de les vendre un jour. Pendant les cinq années de l’enquête, elle me sollicite à plusieurs reprises pour que je l’aide à ranger sa cave, contre une rétribution symbolique qu’elle notera soigneusement dans son cahier. J’assiste alors à l’estimation de la valeur des biens, où Désirée combine difficilement la valeur marchande supposée de l’objet, ses propriétés corporelles (son état), et sa valeur affective, c’est-à-dire l’expérience biographique ancrée dans l’objet, par exemple à propos d’un moule à viande hachée hérité de son arrière-grand-mère que Désirée croit très précieux et qu’elle hésite donc longtemps à vendre [7]. Ce sont des moments de dépouillement de soi, où Désirée apprend à se séparer de la propriété sur laquelle elle avait assis son identité sociale.

34Ensuite, Désirée reprend une activité rémunérée en s’initiant à la garde d’enfants. Un couple de voisins est son premier « employeur ». Rapidement, elle se constitue un petit réseau de contacts à l’école, à l’aide aussi de la pharmacienne qu’elle connaît pour se rendre très souvent à la pharmacie (deux fois par mois en moyenne, selon le cahier). L’argent est bienvenu, mais Désirée investit aussi cette activité parce qu’elle en tire des bénéfices non monétaires : « J’aime beaucoup les enfants », me dit-elle, « et comme je n’ai pas pu m’occuper de ma fille car je travaillais, ça me va ». Toute entrée n’a pas la même valeur : elle refuse, par exemple, de faire des gardes de nuit auprès de personnes âgées qu’on lui a proposées, car « ça me déprime ».

35En parallèle, elle consacre environ 30 euros par mois à une loterie [8], dans l’espoir que le gros lot rembourserait ses dettes d’un seul coup et qu’elle puisse « profiter encore un petit peu », comme elle dit.

36Enfin, en 2009, Désirée commence à faire des démarches afin de vendre son appartement. Elle s’achète à plusieurs reprises des magazines concernant l’immobilier et paie une petite somme à une agence immobilière et à un site de vente. Avec le bénéfice de la vente, elle s’achète à l’été 2010 un appartement plus petit. De cette façon, elle rembourse une partie de ses crédits revolving, elle approvisionne son compte courant de 12 000 euros (voir graphique fig. 5) pour ramener le solde à 5 000 euros et elle donne 30 000 euros d’héritage anticipé à sa petite-fille, qui lui retourne 5 000 euros sous forme d’un « prêt » gracieux. Les relations s’inversent alors temporairement, car, d’un coup, c’est Désirée qui devient débitrice de sa petite-fille. Lorsque je lui demande si elle ne pourrait pas s’arranger avec sa petite-fille pour la rembourser plus tard, elle répond énergiquement : « Ah non, il faut que je rembourse tout de suite ! »

Figure 5

Solde du compte courant que Désirée calcule dans son cahier

Figure 5

Solde du compte courant que Désirée calcule dans son cahier

Les flèches indiquent les moments des dépenses importantes qui infléchissent la courbe du solde.
Nota bene : « virement CSL » et « retour CSL » désignent des virements entre un compte épargne et le compte courant.

37Vente d’objets, travail au noir, vente de l’appartement, tout cela indique que Désirée “se serre effectivement la ceinture” afin de sauver sa parenté. Mais le cahier complexifie encore cette image. Lorsqu’on réalise l’inventaire des achats ponctuels, on y trouve des marques de qualité supérieure, des dépenses généreuses chez le boucher et le fromager, des chèques à l’ordre d’associations de quartier ou de l’UMP, des dépenses pour des appareils électroménagers, un nouveau lit, des outils de jardinage, des dépenses pour ses plantes (chez Picard, BHV, La Redoute, Bleu Bonheur, Daxon, etc.). Au total, on peut chiffrer les achats non alimentaires qu’elle effectue pour elle-même à approximativement 500 euros [9]. En 2010, elle ouvre même un deuxième cahier de comptes, où elle enregistre une petite pension d’invalidité qu’elle reçoit, ainsi que les dépenses qui la concernent uniquement pour elle-même, tel un ordinateur avec accès Internet ou des petits meubles pour sa chambre. Ce cahier ouvre une économie pour soi, tout à fait parallèle au budget familial. Désirée est donc loin de se plier à une conduite de vie ascétique.

38Le cahier – les cahiers – fournissent donc une image contrastée de Désirée. Comme le relevé d’une sorte d’inadéquation biographique, il livre à la fois des dépenses qui indiquent qu’elle n’a pas intégralement abandonné son « habitus économique » (Weber, 2009) de cadre de banque et les dépenses liées à sa nouvelle vie, où elle se serre la ceinture pour financer les vicissitudes de sa parenté. À de multiples reprises, la comptabilité montre ce chevauchement de différents cycles d’une vie sur un plan chronologique. L’abonnement à un catalogue de vente par correspondance de monnaies, que son mari avait l’habitude de lire, est maintenu pendant plusieurs mois, le temps que l’adaptation au statut de veuve soit accomplie. Beaucoup plus tard, lorsque les souvenirs du mari s’affaiblissent, elle peut enfin penser à vendre sa collection de monnaies, ainsi que ses vêtements. De même, la vente de l’appartement est précédée par des dépenses pour des revues d’immobilier et des inscriptions auprès d’agences : progressivement, Désirée se rapproche de la décision de lâcher un bout de son patrimoine. Ce chevauchement des cycles de vie est aussi très clair au moment où Désirée décidera de s’acheter une place au cimetière communal, pour elle et pour ses deux protégées, mais sans son mari qui, quatre ans après sa mort, est désormais sorti de sa comptabilité : « Je préfère qu’il me laisse tranquille. »

La tenue des comptes, un amortissement de soi

39Reste une dernière question : quel effet l’écriture des comptes a-t-elle sur l’action ? Pour Désirée, le cahier de comptes est un fidèle compagnon dans le travail sur soi qu’implique l’organisation des passages biographiques qu’elle expérimente. La comptabilité amorce un travail à contre-courant de soi-même et de la structure de ses habitudes, en tentant de transférer vers un nouveau système de consommation une conduite dépassée par le cours des événements. C’est à travers l’exercice quotidien de la tenue des comptes, le résumé du mois et de la journée, le contrôle des entrées et des sorties des dernières semaines, les prévisions et le calcul du solde que Désirée définit sa réalité, et c’est par rapport à cette définition qu’elle oriente sa conduite économique quotidienne, subséquemment à l’acte d’écriture. L’écriture comptable n’est qu’une partie de l’ensemble des conduites économiques et intimes éprouvées par notre enquêtée, mais son solde en dicte le rythme et parfois aussi l’intensité, dans la mesure où il signale les moments où un changement de trajectoire devient inévitable. Inscrire ses comptes, les tenir à jour, prévoir leur évolution future, amortir les événements imprévus : cet ensemble d’opérations contribue sans aucun doute à l’action de se convaincre de la nécessité d’une transformation de soi, d’une adaptation à un trajet biographique dont la dynamique générale s’est infléchie [10]. En ce sens, l’écriture des comptes appartient à la famille des « techniques de soi » évoquées par Michel Foucault (1988). Inscrire ses comptes, c’est travailler à une conversion biographique.

40Ce travail de conversion conduit Désirée à une lente modification de ses choix budgétaires. Produits financiers, vente progressive du patrimoine, reprise d’un travail et autodiscipline ont servi à aménager du temps pendant lequel la grand-mère espérait éduquer sa petite-fille dépensière et l’amener vers l’autonomie financière, voir sa fille reprendre un travail, et s’adapter elle-même à un mode de vie plus modeste. Or, ces transformations ont peiné à se produire. Sa fille ne compte toujours pas réintégrer la population active. La petite-fille obtient son diplôme, mais passe ensuite deux ans entre stages, voyages et petits boulots, manifestement en décalage avec sa formation prestigieuse et coûteuse. Pendant ce temps, les intérêts des produits financiers pèsent lourdement sur les comptes. Au bout de deux ans, Désirée en a assez. Elle finira par vendre son appartement, rembourser ses crédits et déménager dans une autre ville. Retour au statut de locataire. Je lui rends visite pour une dernière fois au mois de janvier 2015. Elle m’explique avoir versé à sa fille « une somme équivalent au RSA » pendant quelques mois, avant de couper définitivement les liens financiers. Le contact avec sa petite-fille, qui est retournée chez sa mère, est devenu épisodique et les dons d’argent se font rares. Les relations se sont refroidies : « Elles m’appellent surtout quand elles veulent de l’argent. »

41Les comptes ne sont plus bons. La puissante solidarité de la grand-mère, sa générosité et son autodiscipline, possédaient en effet un envers, à savoir une injonction morale à la réussite sociale organisée de façon silencieuse. Les multiples dons et le sacrifice pour ses proches, la gestion quotidienne des impacts des produits financiers sur le budget de la maisonnée, que le cahier de comptes enregistre à la manière d’une écriture notariée, n’avaient de sens que s’ils servaient à redresser la situation de la parenté. En l’absence d’un retour sur ses investissements, Désirée ferme le robinet. À quoi bon verser de l’argent, si son affectation est incertaine ? On comprend que la « solidarité transgénérationnelle » que Désirée mettait en œuvre n’était ni une disposition immuable, ni un don sans contre-don, ni œuvre d’amour sans prix, sinon une tendance réversible. L’écriture financière soutenait cette solidarité, mais elle œuvrait aussi pour son dépassement, par l’exercice réflexif journalier qu’il constituait pour Désirée.

42* * *

43L’enquête sur le cahier de comptes s’arrête là. Lorsque je demande à Désirée si elle tenait toujours ses comptes, en janvier 2015, elle me montre son tout dernier cahier. Dès fin 2012, les inscriptions deviennent moins régulières, Désirée sait déjà qu’elle vendra son appartement. Fin juin 2013, elles cessent. La vente de l’appartement enlève le poids des produits financiers, plus besoin alors d’une comptabilité exhaustive. Les cahiers descendent à la cave et ils disparaîtront, selon toute probabilité, comme tant d’archives personnelles des gens ordinaires.

44L’enquête ethnographique aura permis d’attirer la lumière sur cette écriture ordinaire, témoin d’une économie domestique financiarisée, avant qu’elle ne s’efface, et de saisir le sens et la valeur des transactions consignées, à l’aide de paroles entendues, de scènes observées, de lettres lues. L’enquête ethnographique a ainsi éclairé l’archive, mais l’inverse est tout aussi vrai. Car « l’épuisement » – pour reprendre l’expression de Georges Perec (1982) – du petit livret a permis de suivre une vie économique dans toutes ses ramifications et dans ses manifestations les plus ténues, souvent inaccessibles à l’enquête tellement leur caractère ordinaire fait qu’elles ne restent pas dans la mémoire des enquêtés ou ne sont pas jugées dignes d’être racontées. Or, ce qui frappe, c’est à quel point chaque mot du cahier recouvre tout un monde, avec ses protagonistes, ses échanges, ses valeurs attribuées à l’argent, son identité sociale activée par le scripteur. Et on ne peut que s’étonner devant l’intensité du travail de calcul et d’arbitrage auquel se livrent quotidiennement les individus pour naviguer entre ces différents mondes dans lesquels ils sont plongés simultanément, a fortiori lorsque l’emprise conjointe des obligations familiales et des obligations financières les y oblige et fait de ces arbitrages une activité conflictuelle, marquée par des contingences.

45En somme, l’analyse de ce cahier de comptes permet de reconstituer l’emprise des produits financiers sur le quotidien de cette famille, à la fois au niveau infinitésimal des dépenses quotidiennes et sur le long terme, au fil des cahiers archivés, pour dévoiler finalement comment ceux-ci accompagnent les vicissitudes biographiques d’une famille de classe moyenne en voie de déclassement. On voit que le recours aux produits financiers intervient au moment où des ruptures de trajectoire mettent les grands-parents face au triple défi de prendre en charge leur fille et leur petite-fille quotidiennement, leur transmettre un patrimoine, tout ceci en évitant de perturber le soir de leur vie avec des restrictions budgétaires excédant ce qu’ils considèrent comme un effort normal. La gestion de ces trois impératifs – hériter, prendre en charge, consommer – entraîne des arbitrages accompagnés d’une réflexion morale constante sur l’argent auquel les membres de la famille ont droit, eu égard à la position qu’ils occupent au sein de la configuration familiale et de l’effort qu’ils sont censés fournir pour la maintenir ou pour l’améliorer. Face à une gestion budgétaire devenue impossible, dépassée par des dynamiques d’ordre biographique, le recours au crédit est une façon de temporiser qui intervient comme une manière d’amortir la violence de la redistribution des identités familiales dans le déclassement, d’atténuer ce travail sur soi et sur les autres qui s’opère dans une multiplicité de comptes, de calculs et de conflits. On comprend que ce type d’archives est un précieux instrument pour saisir les dynamiques de la financiarisation « par le bas », puisqu’il rend lisible, à la façon d’un sismographe, l’énorme économie morale souterraine qui œuvre au sein des ménages surendettés.

Notes

  • [1]
    Voir les travaux des différents participants au séminaire « La financiarisation par le bas » à l’EHESS (2016-2017). https://enseignements-2016.ehess.fr/2016/ue/1685/ (consulté le 03/10/2018).
  • [2]
    Je remercie Aurélie Damamme, Fabien Deshayes et Jean-François Laé pour leur lecture précieuse, Marion Marchal pour la correction du texte.
  • [3]
    Les noms, prénoms et toponymes sont fictifs.
  • [4]
    Voir le travail de Marie Vanbremeersch (2008) qui a constitué une source d’inspiration majeure de ce texte.
  • [5]
    La période entre mars 2008 et octobre 2010 fait l’objet d’une analyse approfondie, simplement parce que je n’ai longtemps pas pu faire de photos des carnets antérieurs et postérieurs à ce laps de temps.
  • [6]
    D’un strict point de vue juridique, il est très peu probable que Désirée puisse bénéficier de la procédure de surendettement, du fait de son patrimoine, dont la vente permettrait la liquidation de l’intégralité de ses dettes.
  • [7]
    Christian Bessy et Francis Chateauraynaud appellent « emprise » cet attachement des objets à l’espace de circulation familial, qui entre en compte dans la détermination de leur valeur (Bessy et Chateauraynaud, 1993 : 111).
  • [8]
    Moyenne pris sur les mois entre septembre 2009 et octobre 2010.
  • [9]
    Analyse par échantillons sur la période de septembre 2009 à décembre 2010.
  • [10]
    L’analyse des trajectoires descendantes dans la classe moyenne américaine de Katherine S. Newman (1988) montre que le transfert des systèmes de consommation occupe une place primordiale dans l’expérience du déclassement.
Français

Comment analyser un cahier de comptes ? L’article explore l’usage des archives personnelles dans l’enquête sur la place de la financiarisation des pratiques économiques ordinaires, à partir d’une étude de cas portant sur le cahier de comptes d’une famille surendettée. Il fournit des appuis méthodologiques pour le déchiffrement d’un cahier de comptes et montre que de tels matériaux peuvent éclairer le quotidien économique des familles sous un nouveau jour, notamment en ce qui concerne la temporalité des trajectoires d’endettement ainsi que les effets de la financiarisation sur le plan microsociologique de la gestion budgétaire des ménages.

Mots-clés

  • surendettement
  • écritures ordinaires
  • archives personnelles
  • dettes
  • microfinance
  • livres de raison
  • ethnocomptabilité
  • sociologie économique

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Axel Pohn-Weidinger
Axel Pohn-Weidinger est actuellement maître de conférences contractuel au département de sociologie de l’Université de Göttingen et membre associé au Centre Georg Simmel* (UMR 8131 ; EHESS, CNRS). Après avoir soutenu une thèse intitulée « Écrire dans les plis du droit social : une sociologie du dossier », il a participé à un projet de recherche ANR sur les parcours des salariés dans les entreprises multinationales en France et en Allemagne. Ses recherches actuelles portent sur l’institution de l’ombudsman et les rapports ordinaires à la justice administrative.
* Centre Georg Simmel (Recherches franco-allemandes en sciences sociales) ; EHESS, 54 boulevard Raspail, 75006 Paris
Mis en ligne sur Cairn.info le 12/12/2018
https://doi.org/10.3917/tt.033.0047
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