1 La question des lectures adolescentes est étroitement liée à celle des inégalités éducatives, en raison de la place de la lecture (de livres) en haut de la hiérarchie des pratiques culturelles et de son rôle crucial dans la construction des inégalités socio-culturelles (Coulangeon, 2010). Elle a été l’objet de nombreux travaux, questionnant particulièrement la constitution des habitudes de lecture dans les différentes sphères de socialisation et la différenciation sociale des pratiques, en lien avec la réussite scolaire (de Singly, 1989 ; Baudelot et al., 1999 ; De Graaf et al., 2000 ; Renard, 2011 ; Détrez, 2016). En 1999, Christian Baudelot, Marie Cartier et Christine Détrez dressaient un tableau des activités de lectures livresques des adolescents et indiquaient un recul général du livre, encore plus marqué au lycée. Ils notaient également de profondes mutations des pratiques lectorales, avec un rapport plus pratique à la lecture qui, loin du modèle cultivé, est désormais envisagée dans un but particulier : s’occuper, se divertir, apprendre. Depuis, le déclin des pratiques adolescentes de lecture de livres se confirme (Vincent-Gérard, 2016). Christine Détrez montre, dans une rétrospective réalisée à partir de quatre éditions d’enquêtes (1973-1997), que « si chaque génération présente au cours de son cycle de vie un comportement similaire à la précédente, chaque génération dénombre, à l’origine, une part plus restreinte de gros lecteurs, la lecture souffrant ainsi d’une érosion structurelle » (Détrez, 2017, p. 24). Et même si les enfants et les adolescents lisent davantage de livres que les adultes, les courbes générationnelles sont en baisse. Ces tendances alimentent les représentations sur des adolescents non lecteurs alors que les recherches qualitatives indiquent la place importante que garde la lecture de livres, en termes de loisir, d’enrichissement de leur imaginaire et de ressources pour les aider à grandir (Détrez, 2016).
2 La compréhension de l’évolution du rapport à la lecture des adolescents répond pour les chercheurs à une logique plurifactorielle, avec notamment la concurrence d’une offre importante de loisirs, des aspirations adolescentes à plus d’autonomie qui affaiblissent les effets des consignes scolaires et des conseils des parents (de Singly, 1989) et la « montée en puissance de la culture d’écran » (Donnat, 2009). Concernant une pratique aussi culturellement légitime que la lecture, Pierre Bourdieu (1985, p. 223) nommait « effet de légitimité », l’évidence pour des individus enquêtés que les questions portant sur leurs lectures interrogent exclusivement la lecture de littérature légitime. On pourrait aujourd’hui compléter cette analyse en ajoutant que le support spontanément envisagé est le livre ou, au moins, l’imprimé. Les travaux sociologiques sur la lecture viennent parfois valider une telle approche. L’ouvrage Sociologie de la lecture (Horellou-Lafarge & Segré, 2016) n’évoque ainsi le numérique que pour décrire l’évolution des supports de lecture, avec l’apparition du livre numérique. Et il ne traite de la question de la diversité des objets de lecture qu’au regard des lectures sur support papier, y compris concernant les lectures les plus utilitaires. Pourtant, les réponses aux situations de la vie quotidienne sont très souvent recherchées sur Internet (Martin & Dagiral, 2016). La diffusion massive des technologies numériques a favorisé un élargissement considérable des possibilités de consommations culturelles (Donnat, 2009) et la mutation de ces consommations chez les adolescents (Millerand et al., 2018). Mais si faible fréquence de lectures de livres et pratiques numériques intenses sont corrélées, la baisse de la lecture de livres ne peut être imputée à l’émergence d’Internet, puisqu’elle lui est largement antérieure (Donnat, 2009, p. 6).
3 Dans le prolongement de ces travaux, des recherches visent à analyser les modifications liées au tournant numérique du rapport à la lecture des adolescents et de leurs pratiques lectorales. Si les chercheurs mettent en avant une continuité globale des appétences ou des réserves vis-à-vis de la lecture, quel que soit le support, ils pointent aussi des activités nouvelles. De façon générale, ils décrivent pour les adolescents des lectures sur écrans essentiellement documentaires, sollicitant des compétences spécifiques – rapidité, capacité à identifier l’information pertinente dans un environnement saturé – et de type fragmentaire, guidées par les hyperliens (Baccino et al., 2008 ; Vandendorpe, 2015). Des expériences de lectures de livres numériques par des adolescents particulièrement réfractaires au livre papier ont aussi souligné que pour certains d’entre eux, les spécificités de la lecture numérique, et en particulier le découpage en épisodes, pouvait faciliter l’entrée dans la lecture (Barbagelata et al., 2014). Par ailleurs, cette évolution des pratiques culturelles chez les adolescents est particulièrement liée à l’obtention du premier smartphone (Dupin, 2018), nouveau terminal venu renforcer l’omniprésence des écrans dans le quotidien, tout en s’instituant comme le premier support mobile de diffusion culturelle (Berthomier & Octobre, 2019, p. 7), avec un accès à une « infinité » de contenus (Ngantcha et al., 2016) qui inquiète autant que le caractère chronophage des pratiques (Fontar et al., 2018 ; Dupin, 2018).
4 La contribution de la lecture au capital culturel mobilise depuis longtemps les chercheurs. Depuis une vingtaine d’années, les travaux sociologiques ont montré qu’appréhender les pratiques culturelles des adolescents sous l’angle de la légitimité culturelle était insuffisant pour expliquer leur effet sur les performances scolaires (Draelants & Ballatore, 2014). Ainsi, Nan Dirk De Graaf et ses collègues (2000) ont cherché à isoler les effets de plusieurs composantes du capital culturel. Ils concluent que la lecture est liée à la réussite scolaire quand les activités dénotant un intérêt pour l’art ne le sont pas. Ils en déduisent que ce sont les compétences analytiques et cognitives développées par la lecture qui favorisent la réussite. Alice Sullivan (2001) montre quant à elle que parmi les pratiques culturelles des adolescents, seules la lecture (de loin la plus déterminante) et la consommation télévisuelle privilégiant les programmes culturellement ou lexicalement riches, sont associées à une meilleure réussite. Elle souligne également que les effets de ces pratiques sur les performances scolaires passent par l’acquisition de vocabulaire et par le développement de ressources cognitives. Mais si ces recherches pointent la centralité de la lecture dans la compréhension des inégalités sociales de réussite, elles réduisent la lecture à la lecture papier, essentiellement de livres [1], loin des pratiques adolescentes actuelles. Par ailleurs, la distinction opérée entre « high culture » et « low culture » pour les pratiques de lecture est problématique. Comme pour toute catégorisation de ce type, il est ainsi malaisé de justifier certains choix opérés (Lahire, 2006) [2]. Une telle approche légitimiste risque aussi d’affecter l’analyse des liens entre lectures et réussite scolaire, quand un auteur comme Roald Dahl, catégorisé « low culture » dans l’enquête d’A. Sullivan, figure sur les listes officielles de l’Éducation nationale pour le collège et est donné à lire aux élèves par nombre d’enseignants, comme l’indiquent les travaux de Jean-François Massol et Gersende Plissonneau (2008).
5 Le travail présenté dans cet article, issu de la recherche e-FRAN IDÉE [3] analyse les pratiques de lecture d’adolescents de douze-treize ans scolarisés en cinquième et leur lien avec la réussite scolaire, alors que la lecture a été déclarée « grande cause nationale » en France pour 2021-2022. Pour l’Éducation nationale, l’enjeu majeur est la lecture de livres [4]. Mais que sait-on des autres lectures adolescentes ? Nous avons fait le choix de prendre en compte les principales pratiques de lecture, quels que soient le type de texte et le support de son inscription. Nous distinguons les pratiques de lecture par la fréquence, le support (papier – livre, journal, revue – ou numérique) et le contenu. Cet article présente les pratiques lectorales adolescentes et analyse les relations entre réussite scolaire et objets et supports de lecture, voire manières de lire, en considérant les différences fortes entre lecture traditionnelle et lecture numérique. Il interroge aussi les déterminants socio-scolaires des pratiques, ainsi que les incitations à lire, afin de mieux comprendre la construction des choix de lectures et leur lien avec la culture scolaire. Pour cette recherche, nous avons fait le choix d’appréhender les lectures par les supports et les contenus, et non par la légitimité. Néanmoins, les questions de légitimité scolaire ne sont pas absentes des catégories de lectures retenues. En effet, certains contenus renvoient assez directement à la culture scolaire, comme les romans, dont la lecture est de façon générale très encouragée au collège, les articles portant sur les « sciences » (au sens où l’entendent les adolescents, soit « sciences dures »), l’actualité du monde ou l’histoire, qu’ils soient issus de magazines ou de sites spécialisés. Cet article dépeint tout d’abord la diversité des pratiques lectorales adolescentes et analyse leur différenciation, en cherchant plus particulièrement à éclairer les phénomènes de concurrence ou de continuité entre lectures d’imprimés et lectures numériques. Il étudie ensuite les conseils et incitations de lecture reçus, en recherchant la place des différents intermédiaires dans la construction des pratiques lectorales. Puis, à partir d’une typologie de lecteurs, il engage une réflexion sur la transformation liée au tournant numérique des pratiques et du rapport à la lecture, et montre les liens entre choix de lecture et résultats scolaires. Il avance enfin des éléments de compréhension de l’inégale valorisation scolaire des pratiques de lecture adolescentes.
Encadré 1. L’enquête par questionnaire
Suite à la passation du questionnaire, des données complémentaires ont été recueillies auprès des établissements : la catégorie socio-professionnelle des deux parents et la moyenne générale des élèves sont exploitées dans cette rechercheb. Pour prendre en compte le milieu social, l’indice de position sociale (IPS) construit par Thierry Rocher (2016) a été calculé à partir des PCS des parents. En effet, la PCS du responsable légal de référence, utilisée dans la plupart des travaux sociologiques français, rend très imparfaitement compte du positionnement social et des ressources culturelles de la famille. L’indice élaboré par T. Rocher synthétise plusieurs dimensions des ressources et comportements familiaux (capital et pratiques culturels, conditions matérielles, implication dans la scolarité) sur une échelle continue, fonction des caractéristiques scolaires moyennes des enfants pour le croisement des PCS de leurs parents. L’IPS est ainsi un indicateur du caractère plus ou moins favorable à la réussite scolaire du milieu familial, d’où sa pertinence pour les analyses menées dans cet article. La fiabilité des réponses au questionnaire est attestée par les taux de réponse globalement élevés et la quasi-absence de réponses aberrantes ou manifestement contradictoires. Le niveau scolaire de chaque élève est pris en compte par un score indiquant comment il se situe par rapport à la moyenne générale de sa classe. Dans les analyses, trois catégories sont distinguées : les élèves obtenant une moyenne générale annuelle inférieure à la moyenne de leur classe moins un écart-type sont considérés faibles scolairement (15 % de l’échantillon) ; ceux obtenant une moyenne supérieure à la moyenne de leur classe plus un écart-type sont catégorisés forts scolairement (13,4 %) ; les autres élèves sont regroupés dans une catégorie intermédiaire. Cette méthode permet de distinguer sans ambiguïté un groupe d’élèves considérés en difficulté par leurs enseignants et un groupe d’élèves considérés en réussitec.
a Pour établir la typologie décrite ci-après, les deux variables reprenant les lectures de contenus historiques, sur papier et en ligne, ne sont pas exploitées en raison du faible nombre de répondants.
b Les listes de classe en version papier associant un numéro de questionnaire à chaque nom d’élève ont permis d’associer pour chaque élève des données complémentaires.
c Pour objectiver davantage, il est à noter que cette répartition est conforme aux évaluations menées par la DEPP en collège, qui indiquent de façon répétée que 15 % des élèves peuvent être considérés en difficulté (Fumel & Dalibar, 2016).
Lectures d’imprimés et lectures numériques : concurrence ou continuités ?
Les fréquences de lecture des adolescents selon le support et les contenus
6 Les données de l’enquête montrent que les lectures le plus souvent quotidiennes sont les bandes dessinées et les romans, avec environ un quart des collégiens concernés pour chacune (Figure 1). Viennent ensuite les lectures numériques d’informations de divertissement (sur des sujets comme la mode, les voitures, les jeux vidéo ou la vie des célébrités), puis les informations sportives. Pour tous les autres types de lectures, la quotidienneté est l’exception. Ainsi, si la distance prise par les adolescents avec la lecture, comprise comme lecture de livres, a été établie (Détrez, 2017), le livre, porteur de promesses scolaires et culturelles (Octobre, 2013), reste le support de lecture le plus usuel à 12-13 ans. Il faut ici toutefois noter que le nombre de non-lecteurs augmente fortement ensuite pendant les années collèges (Octobre et al., 2010). L’enquête permet aussi de mettre en évidence un résultat intéressant concernant les contenus, autres que le roman, les plus liés à la culture scolaire. Étaient ainsi interrogées les lectures sur l’actualité, les sciences et l’histoire. Pour ces contenus, il semble que les lectures numériques concurrencent les lectures papier, avec des lectures plus fréquentes en ligne que dans les magazines [5].
Figure 1 : Les fréquences de lecture des adolescents

Figure 1 : Les fréquences de lecture des adolescents
Lecture : 25 % des adolescents lisent des romans « tous les jours ou presque » ; 37 % en lisent « jamais ou rarement » ; les autres, soit 38 %, ont une fréquence de lecture de romans intermédiaire.7 Les fréquences de lecture de livres (romans et bandes dessinées) ont été croisées avec une variable rendant compte d’une lecture numérique quotidienne déclarée pour au moins une des thématiques proposées [6]. Que leur lecture de bandes dessinées soit rare, régulière ou quotidienne, environ un tiers des adolescents déclare une lecture quotidienne sur Internet. Les lectures numériques ne s’opposent donc pas à la lecture de livres. Pour la lecture de romans néanmoins, l’enquête montre que les plus forts lecteurs ont des consommations Internet moindres : un quart des lecteurs quotidiens de romans déclare lire quotidiennement sur Internet, quand c’est le cas de 43 % des faibles lecteurs de romans.
8 Le questionnaire a été pensé pour mettre en évidence les articulations entre lectures papier et lectures numériques. En effet, hormis les romans et les bandes dessinées, les lectures étaient classées par thème, avec une reprise pour les lectures numériques des contenus interrogés pour les lectures d’imprimés. Ce sont les contenus sportifs qui présentent la plus grande continuité thématique entre les deux supports : 70 % des adolescents qui déclarent lire quotidiennement des contenus sportifs imprimés déclarent également lire quotidiennement des contenus sportifs numériques. Suivent les contenus de divertissement (60 %), culturels (52 %), animaliers (50 %). Les contenus historiques, scientifiques et l’actualité connaissent une moindre continuité entre papier et numérique, avec respectivement 45 %, 32 % et 20 % des adolescents déclarant lire quotidiennement à la fois des magazines sur ces thématiques et des informations numériques. L’ensemble des résultats indique une tendance des plus forts lecteurs d’informations imprimées à compléter leurs informations en ligne. Néanmoins, là encore, les contenus les plus proches de la culture scolaire se démarquent. Sur ces thématiques, alors que le numérique tend de façon générale à supplanter la lecture d’imprimés (voir ci-dessus), la majorité des forts lecteurs de magazines sont plus nombreux à se limiter aux lectures papier. Ce constat soulève la question d’éventuelles prescriptions de lecture, traitée dans la suite de cet article.
Des lectures numériques moins socialement et scolairement marquées que les lectures papier
9 Les analyses mettent par ailleurs en évidence une différenciation des pratiques lectorales (papier et numériques) selon les caractéristiques socio-scolaires des adolescents [7]. Les résultats sont conformes aux différenciations de genre en matière culturelle, mises en évidence dans les travaux antérieurs (Octobre, 2008). Les filles sont ainsi plus fortes lectrices de romans et les garçons lecteurs de bandes dessinées. Les lectures autres que les livres sont aussi différenciées selon le sexe, avec des filles se distinguant par les contenus culturels et animaliers (quel que soit le support) et les garçons déclarant plus fréquemment des lectures sur le sport, les sciences et l’histoire (tous supports confondus), ainsi que des contenus numériques de divertissement (célébrités, biens de consommation, jeux). Ces constats de pratiques de lecture très genrées sont à mettre en lien avec les socialisations différenciées des filles et des garçons dans la famille, à l’école et dans le groupe des pairs notamment (Baudelot & Establet, 2007) qui influencent l’ensemble des pratiques culturelles et la lecture en particulier. Les filles sont ainsi plus souvent incitées à lire des livres, les garçons plus fréquemment orientés vers des contenus sportifs (Détrez & Renard, 2008). On peut aussi y voir les effets d’une offre éditoriale très genrée, à laquelle les adolescents, à un moment crucial de la construction des identités de genre, sont très réceptifs (Détrez, 2011). Les résultats sont aussi très différenciés selon le milieu social : les élèves les plus favorisés socialement privilégient les lectures papier (romans, bandes dessinées, actualités et sciences) ; ceux de milieu populaire, les contenus numériques de divertissement. Le nombre de livres présents au domicile familial, indicateur du capital culturel familial, est également très lié aux pratiques lectorales des adolescents, avec de plus fortes fréquences de lectures papier diversifiées pour les adolescents disposant des bibliothèques familiales les plus fournies et des lectures numériques proches de la culture scolaire (sciences, histoire) moins rares que leurs camarades. L’enquête indique aussi des différences liées au niveau scolaire encore plus sensibles que celles liées au milieu social, conformément aux travaux antérieurs (Baudelot et al., 1999) : les élèves les plus en réussite privilégient des lectures scolairement valorisées (romans et magazines scientifiques) quand les contenus de divertissement (papier et numérique) caractérisent les lectures des élèves les plus faibles. Les lectures les plus proches de la culture scolaire sont aussi plus fréquentes dans les collèges les plus favorisés socialement. Seuls les contenus numériques sur l’histoire se distinguent. Leur lecture plus fréquente dans les collèges populaires tient aux réponses des élèves de deux collèges ZEP, dans lesquels 20 % à 25 % des élèves déclarent lire de tels contenus toutes les semaines. Ce résultat est très probablement lié à des pratiques pédagogiques spécifiques. Au final, les résultats de l’enquête rejoignent les résultats connus sur les pratiques de lecture adolescentes, avec des lectures légitimées par l’institution scolaire plus fréquentes chez les enfants de classes favorisées avec un capital culturel élevé [8]. Le fait que la lecture de bande dessinée concerne davantage les garçons de milieux favorisés est ainsi à rapprocher de son gain en légitimité. Elle est actuellement pensée, par les enseignants et les professionnels du livre, comme une passerelle favorisant l’accès à d’autres domaines culturels (Evans & Gaudet, 2012). Mais la recherche apporte aussi un regard renouvelé sur la diversité des lectures des adolescents, en montrant comment les lectures numériques contribuent à la différenciation des pratiques, tout en étant moins socio-scolairement marquées que les lectures d’imprimés. En particulier, les lectures numériques sur l’actualité, les sciences et l’histoire, proches de la culture scolaire, ne sont pas significativement différenciées selon le positionnement social.
10 Des analyses multivariées permettent de prolonger ces résultats en recherchant l’effet « toutes variables incluses dans les modèles par ailleurs » des caractéristiques des adolescents sur les pratiques lectorales. Des régressions logistiques ordinales ont ainsi été menées, pour les lectures d’imprimés les plus courantes que sont les lectures de romans et de bandes dessinées, auxquelles nous avons ajouté, en raison de l’encouragement particulier de leur lecture par l’institution scolaire, la lecture de journaux et de magazines d’actualité (Corroy, 2018). Les lectures numériques les plus partagées ont également été retenues pour l’analyse, soit la lecture d’informations sportives et de divertissement (sur les célébrités, les biens de consommation, les jeux). Les informations d’actualité en ligne ont aussi été incluses dans l’analyse, afin de comparer les données à celles concernant la lecture de la presse imprimée d’actualité et également en raison de l’ouverture de la culture scolaire aux médias numériques, comme l’indique par exemple la tenue annuelle de la « Semaine de la presse et des médias à l’École », avec des médias numériques très présents. L’effet marginal des caractéristiques socio-familiales et scolaires des adolescents sur la probabilité d’être, respectivement, un faible lecteur et un fort lecteur, plutôt qu’un lecteur « moyen [9] » a été calculé. L’adolescent de référence est un garçon, avec un indice de positionnement social intermédiaire, en avance ou à l’heure scolairement, de niveau scolaire moyen et scolarisé dans un établissement de tonalité sociale moyenne. La probabilité qu’il ne lise jamais (ou rarement) des romans est de 34 %, 21 % pour les bandes dessinées, 65 % pour la presse imprimée d’actualité, 61 % pour les actualités en ligne, 44 % pour les informations sportives et 37 % pour les informations de divertissement. Les probabilités pour qu’il lise ces différents contenus tous les jours (ou presque) sont, respectivement 20 %, 25 %, 5 %, 6 %, 15 % et 19 %. Les régressions confirment le poids des caractéristiques des adolescents sur la probabilité de ces lectures. Hormis la lecture d’actualités, qu’elles soient imprimées ou en ligne, les pratiques lectorales sont tout d’abord très fortement sexuées. « Toutes variables incluses dans les modèles par ailleurs », être une fille augmente la probabilité d’être une lectrice de romans et diminue fortement celles d’être une forte lectrice de bandes dessinées, d’informations sportives et d’informations de divertissement. Le milieu familial, mesuré par l’indice de Rocher, joue également, mais uniquement pour les lectures d’imprimés. Un milieu favorisé accroît les chances d’être un fort lecteur de livres et un milieu populaire diminue celui d’être fort lecteur d’actualités, avec toutefois des effets observés nettement plus faibles que ceux liés au genre. Les phénomènes de transmission familiale semblent ici moins importants que dans des études antérieures analysant les pratiques lectorales (Octobre & Jauneau, 2008), qu’il s’agisse de la transmission d’un goût pour la lecture ou la transmission d’une posture de retrait vis-à-vis de cette activité. Par ailleurs, pour les lectures numériques, le milieu social ne fait pas de différence « toutes choses égales par ailleurs ». Pour l’effet des caractéristiques scolaires, les résultats concernant la lecture de romans se situent en revanche tout à fait dans la continuité de l’enquête Les loisirs culturels des 6-14 ans (Octobre & Jauneau, 2008) : les élèves en réussite ont une probabilité nettement plus élevée d’être de forts lecteurs ; les élèves de faible niveau une probabilité plus basse. Le constat est inverse pour la probabilité d’être un faible lecteur. L’analyse multivariée permet ainsi de mettre en évidence, pour ce type de lecture, des effets du niveau scolaire distincts des effets de genre, et du même ordre de grandeur. Pour les bandes dessinées, c’est l’âge scolaire qui a un effet : être en retard augmente très fortement la probabilité de ne jamais en lire et diminue également très sensiblement la probabilité d’en lire tous les jours. Derrière la question du retard scolaire, c’est très probablement un effet « âge » qui est ici mis en évidence, quand les travaux antérieurs ont montré que la part des non-lecteurs de livres augmentait très fortement entre onze et treize ans, puis entre treize et quinze ans (Octobre et al., 2010). Pour les lectures numériques, si le niveau scolaire ne fait pas de différence pour la lecture d’informations sportives, la probabilité de lecture d’actualités est plus basse pour les élèves faibles scolairement et celle de lecture d’informations de divertissement plus basse pour les élèves forts scolairement. Les élèves les plus en réussite ont ainsi des lectures numériques plus légitimes scolairement que les élèves en difficulté. Ce constat interroge à nouveau quant aux incitations à lire ces contenus. Enfin, la tonalité sociale du collège, mesurée par l’indice moyen de positionnement social des élèves qui y sont scolarisés, est également prise en compte. L’effet est très fort concernant les lectures de romans. Un contexte favorisé augmente de 18 points la probabilité d’en lire tous les jours et diminuant d’autant le fait de ne jamais en lire. Pour la lecture d’actualités, que ce soit sous forme imprimée ou numérique, la probabilité d’en lire tous les jours est augmentée et celle de ne jamais en lire diminuée. Deux explications peuvent être avancées : un effet d’entraînement des pairs, avec une surreprésentation des forts lecteurs qui constituerait une incitation à lire pour les autres, ou des pratiques enseignantes plus incitatives à la lecture des contenus les plus légitimes scolairement dans les contextes les plus favorisés.
11 De façon générale, les analyses indiquent que les effets des caractéristiques socio-scolaires des adolescents sur les fréquences de lectures numériques sont nettement plus limités que pour les lectures d’imprimés. Et en particulier, pour les lectures numériques, aucun effet propre du milieu social n’est montré. Ce résultat est intéressant au regard des travaux antérieurs. Dominique Pasquier (2019) pointe ainsi les usages socialement différenciés d’Internet, en rappelant que la place de l’écrit dans ses contenus peut en éloigner les moins diplômés. Notre enquête prolonge ces résultats, en montrant que les différences de pratiques selon le milieu social, également observées à l’adolescence [10], sont une question de niveau scolaire, qui joue comme variable cachée, plus qu’une question sociale, même si les deux sont évidemment liées.
12 Les résultats suggèrent aussi un potentiel des lectures numériques en termes de réduction des inégalités sociales de réussite. Par exemple, alors que les écarts sociaux observés quant à la pratique d’information d’actualité par la presse papier sont importants, aussi bien pour les analyses bivariées [11] que pour les analyses « toutes choses égales par ailleurs [12] », les différences selon le milieu social ne sont pas significatives pour l’information d’actualité en ligne.
13 La première partie de cet article a montré comment s’articulent lectures d’imprimés et lectures numériques dans les pratiques culturelles des adolescents. Elle a aussi mis en évidence la différenciation de ces pratiques de lecture, qui rend compte des dispositions culturelles issues de la socialisation, ainsi que de l’environnement social et culturel dans lequel ces dispositions s’actualisent (Lahire, 2006). Ce faisant, elle soulève la question des « intermédiaires de lecture » (Renard, 2011), qui participent à la construction des goûts et des habitudes de lecture des adolescents. C’est l’objet de la partie suivante.
Des incitations à lire essentiellement familiales et amicales, centrées sur la lecture de livres
14 Fanny Renard (2011) a mis en évidence les influences croisées, sur les lectures des collégiens, des enseignants, de la famille et des pairs. Elle décrit comment les prescriptions enseignantes d’ouvrages de littérature classique et jeunesse se combinent avec des incitations à la lecture de livres (dont les bandes dessinées) de la part d’une pluralité d’acteurs tels que les parents et autres adultes proches, bibliothèques et pairs, dans des logiques d’incitation ou de « communion ». Elle pointe également le rôle prépondérant des parents pour la lecture de journaux, quand les incitations et les pratiques partagées liées aux magazines concernent à la fois des adultes proches et des pairs. De façon générale, elle montre que les transmissions verticales restent centrales pour la lecture. Pour cet article, nous avons aussi cherché quels acteurs participaient à la construction des pratiques lectorales, en analysant non seulement les lectures d’imprimés mais également les lectures numériques. Il s’agit, de façon générale, d’interroger le rôle des intermédiaires dans les choix de lecture des adolescents de cinquième, selon les catégories d’adolescents et selon les contextes scolaires. Il s’agit en particulier d’étudier comment le rôle des enseignants est articulé à celui des autres intermédiaires de lecture.
15 Dans l’enquête, les incitations à lire étaient explorées à partir de la question « Quelles sont les personnes qui te conseillent tes lectures ? », posée pour les livres, les magazines et pour les contenus numériques, en distinguant les pages Internet consultées de la lecture suivie de documents longs [13]. De façon générale, 25 % des répondants déclarent ne jamais être conseillés sur leurs lectures. Le livre, au plus haut de la hiérarchie culturelle, est l’objet des sollicitations les plus fréquentes : 54 % des adolescents déclarent ainsi être conseillés dans leurs lectures de livres (romans et bandes dessinées) et avant tout par les parents et les autres adultes de la famille (34 %). Les principaux intermédiaires de lecture de livres après les parents sont les pairs (21 %) puis les frères, sœurs et autres jeunes de la famille (15 %). Ces transmissions horizontales sont plus importantes pour les adolescents de milieu favorisé et forts scolairement. Les influences amicales sont aussi plus fréquentes pour les filles et dans les collèges les plus favorisés. Enfin, les livres sont rarement conseillés par les professionnels du livre (10 %) et les enseignants (10 %). Même si les lectures scolaires étaient explicitement exclues du questionnement, la faible proportion d’élèves se déclarant conseillés par leurs enseignants interpelle, au vu de l’importance donnée à la lecture livresque par les textes de l’Éducation nationale. Par ailleurs, quand on croise les déclarations de fréquences de lecture et de conseils reçus, il apparaît que les professionnels du livre ont un rôle de conseil beaucoup plus affirmé auprès des grands lecteurs (18 % de ceux qui disent lire des romans tous les jours ou presque déclarent être conseillés par ces professionnels), au contraire des enseignants : seuls 6 % des lecteurs quotidiens de romans déclarent des conseils enseignants, pour 9 % à 11 % de ceux qui lisent moins souvent [14]. Néanmoins, le rôle des enseignants est plus marqué pour les élèves les plus fragiles socialement et scolairement. Les élèves de milieu populaire sont ainsi deux fois plus nombreux à déclarer lire des livres sur les conseils de leurs enseignants que dans les collèges favorisés. Les élèves les plus faibles scolairement se déclarent aussi plus souvent conseillés par leurs professeurs que les élèves en réussite. Enfin, la tonalité sociale du collège est corrélée aux déclarations de conseils de livres, avec deux résultats marquants : la surreprésentation des enseignants comme intermédiaires dans les collèges populaires et celle des pairs dans les collèges favorisés. Ces constats sont à mettre en rapport avec le résultat précédent d’une probabilité plus grande d’être un fort lecteur de romans dans les collèges les plus favorisés socialement, « toutes choses égales par ailleurs ». Ils tendent à invalider l’hypothèse d’un rôle incitatif plus fort des enseignants en contexte favorisé pour retenir celle d’un effet de pairs positif.
16 Concernant les autres lectures étudiées (journaux et magazines, imprimés et en ligne ; documents longs sur Internet), moins du quart des adolescents déclare effectuer ses choix en fonction de conseils reçus. Pour les journaux et magazines imprimés, ainsi que pour les documents longs sur Internet, ce résultat tient notamment à la forte proportion d’adolescents qui indique ne jamais lire ces contenus. Pour leurs camarades, les conseils viennent surtout des parents (près de 20 % pour les journaux et magazines, 11 % pour les textes longs en ligne), quand ceux des pairs et de la fratrie sont rares (2 % à 3 %). Les professionnels ont également une influence très modeste (1 % ou 2 %), hormis pour les textes longs sur Internet que 7 % des adolescents déclarent lire sur les conseils de leurs enseignants [15]. Enfin, concernant la navigation ordinaire sur Internet, la plupart des adolescents déclare ne jamais choisir les pages qu’ils consultent en fonction de conseils reçus. Ce constat est néanmoins à relativiser car les adolescents peuvent être destinataires de conseils sans les reconnaître en tant que tels. Like sur les réseaux socionumériques, liens hypertextes promus par les amis (Stenger & Coutant, 2009) ou, encore moins repérables, algorithmes de recommandation des moteurs de recherche, influencent fortement les lectures numériques, avec un effacement de la figure du prescripteur. Ces réserves faites, le faible accompagnement des adolescents concernant le choix des contenus auxquels ils accèdent sur Internet ne surprend pas. Il est notamment lié à la nature des usages Internet, au « potentiel d’individualisation » des outils numériques (Havard Duclos & Pasquier, 2018). Il n’est pas non plus en contradiction avec le rôle des parents et de la fratrie en termes d’acquisition de savoir-faire informationnels sur Internet, que montraient les travaux antérieurs (Cordier, 2019 ; Havard Duclos & Pasquier, 2018). Il s’agissait essentiellement de l’initiation des plus jeunes. À l’adolescence, les échanges parents-enfants sont centrés sur les dangers potentiels et les régulations mises en place visent surtout à limiter les temps d’usage, quand les contenus visités restent essentiellement à l’initiative des adolescents (Fontar et al., 2018). Si la fonction d’accès au savoir d’Internet est largement reconnue par les parents (Granjon et al., 2009 ; Fontar et al., 2018), les déclarations des enquêtés suggèrent qu’ils s’impliquent peu dans la valorisation du potentiel cognitif de l’outil. Celle-ci est d’autant moins assurée que les enseignants et les autres professionnels éducatifs qui entourent les adolescents interviennent également rarement dans le choix des lectures réalisées sur Internet, malgré le renforcement récent de l’éducation aux médias, mais dont l’enjeu est aussi d’abord présenté comme la prévention des risques liés à la navigation (Jehel & Saemmer, 2017). Par ailleurs, l’insistance scolaire sur l’évaluation de l’information est vécue par les élèves comme une injonction, voire un conditionnement académique, et non comme un « processus intellectuel participant d’une démarche informationnelle critique plus globale » (Cordier, 2019). Enfin, pour les supports autres que le livre, la différenciation des intermédiaires de lecture selon les caractéristiques des adolescents et le contexte est en général non significative. Un seul résultat se dégage : la surreprésentation des intermédiaires juvéniles pour le conseil des filles en journaux et magazines. En particulier, concernant le contexte scolaire, si les incitations à la lecture d’actualités sont plus fortes en contexte scolaire favorisé, ce que suggéraient les analyses multivariées précédentes [16], cela concerne un faible nombre d’adolescents.
17 L’analyse des fréquences de lectures d’imprimés et de ressources numériques, et des facteurs et acteurs qui les influencent, confirme la place du livre dans les pratiques adolescentes et dégage de nouveaux résultats qui interrogent. En particulier, les déterminants classiques des pratiques culturelles que sont le milieu socio-familial et la performance scolaire ne sont pas retrouvés pour les lectures numériques. Par ailleurs, les lectures non scolaires de livres sont sensibles au contexte d’établissement, mais les analyses suggèrent qu’il s’agit d’un effet lié aux pairs davantage qu’aux pratiques pédagogiques. Et si les adolescents populaires déclarent plus souvent lire des livres sur les conseils des enseignants, ces incitations ne semblent pas avoir d’effet sur leurs fréquences de lecture, qui sont très inférieures à celles des adolescents favorisés. Le rôle de l’école dans le choix des lectures numériques des adolescents est de façon générale également extrêmement limité, avec toutefois dans certains collèges populaires des pratiques pédagogiques qui peuvent infléchir les tendances. Ces constats amènent à repenser la question des liens entre lectures adolescentes et culture et capitaux scolaires, à s’interroger sur la valorisation par l’école des pratiques lectorales hors cadre scolaire. La suite de cet article esquisse des réponses à partir d’une typologie de lecteurs (Encadré 2).
Encadré 2. Méthodologie
Le premier profil se distingue uniquement par sa fréquence de lecture de romans. Si la lecture de bandes dessinées est également assez fréquente, toutes les autres lectures sont rares. Le deuxième profil se caractérise particulièrement par la lecture de contenus de divertissement et sportifs, en format papier et numérique et, dans une moindre mesure, par la lecture numérique d’informations sur l’actualité et la culture. Le troisième profil présente la particularité de se distinguer des deux autres pour tous les types de lectures. Les adolescents proches de ce profil lisent davantage que les autres, quels que soient les contenus et le support. Seules les lectures en ligne sur le sport et le divertissement concernent davantage le profil 2. Si cette typologie est robuste statistiquement, elle présente néanmoins un manque au regard des travaux antérieurs. En effet, elle caractérise tous les adolescents comme lecteurs réguliers, a minima de romans (profils 1). Or, les travaux antérieurs observent que certains adolescents lisent rarement ou jamais de livres autres que ceux prescrits par les enseignants (Octobre, 2013 ; Aquatias, 2019). Des analyses complémentaires confirment aussi que le profil 1 recouvre des réalités hétérogènes, en confondant lecteurs très réguliers de livres et faibles lecteurs : 42 % des 823 adolescents classés en profil 1 ont répondu qu’en dehors du cadre scolaire, il leur arrivait de lire un livre (roman ou bande dessinée) au plus une ou deux fois par semaine. Nous avons donc procédé à une recatégorisation manuelle de la classe 1, en séparant ces faibles lecteurs des lecteurs réguliers de livres. Cette démarche a permis de caractériser quatre profils de lecteursc.
a Voir le tableau 6 en annexe électronique, https://journals.openedition.org/sociologie/10354).
b Voir les graphiques 2 à 4 et le tableau 8 en annexe électronique (https://journals.openedition.org/sociologie/10354). L’ACP est en théorie réservée au cas de variables quantitatives. Son usage ici sur des variables ordinales, ou pseudo-quantitatives, n’est qu’une première étape dans l’analyse. Il est justifié par la pertinence de la typologie obtenue in fine. Les classes sont en effet nettement différenciées en fonction des fréquences de lecture par type de lectures.
c Voir le tableau 9 en annexe électronique, https://journals.openedition.org/sociologie/10354.
Profils de lecteurs, intermédiaires de lecture et réussite scolaire
18 Un premier type, qu’on nommera « traditionnel » en raison du « support traditionnel et légitime que constitue le livre » (Octobre, 2004, p. 219) regroupe les adolescents qui lisent très régulièrement, mais concentrent leurs lectures sur les romans et les bandes dessinées. Les lectures sont rares pour tous les autres types et, en particulier, pour les contenus traitant du sport ou associés aux cultures juvéniles (célébrités, mode, automobile, jeux vidéo).
19 Le deuxième type, nommé « spécialiste », rend compte de lectures ciblées. L’appellation « spécialiste » renvoie à la lecture d’une presse spécialisée, par le thème et les sujets traités (Mousseau, 1974), avec pour cette recherche un élargissement aux sites d’information spécialisée. Le type « spécialiste » privilégie le divertissement (célébrités, biens de consommation, jeux) et le sport, sur supports imprimés comme numériques, avec une prédilection pour les sites d’informations de divertissement et sportives. Il regroupe aussi des lecteurs sur Internet d’informations sur l’actualité et la culture.
20 Le troisième type, « omnivore », exprime les lectures les plus éclectiques. Les adolescents proches de ce type lisent des contenus divers thématiquement et sur tous types de supports. Ce sont des grands lecteurs comparativement à l’ensemble de la population enquêtée. Le choix du terme « omnivore » fait écho au travail de Richard Peterson (2004, p. 147) concernant les pratiques culturelles des différentes classes sociales aux États-Unis et, notamment, au sujet de l’éclectisme des goûts culturels des classes sociales supérieures.
21 Le quatrième type, « faible lecteur » traduit les pratiques d’adolescents qui déclarent peu lire, quels que soient les contenus et le support.
22 Les quatre types sont socialement très marqués (Figure 2), avec une sur-représentation des adolescents de milieux favorisés et une sous-représentation de ceux de milieux populaires pour le profil « traditionnel » et, dans une moindre mesure, le profil « omnivore ». L’inverse est observé pour les profils « faibles lecteurs » et « spécialistes ». Que les adolescents de milieu favorisé soient plus souvent proches des profils « traditionnel » et « omnivore » peut être mis en lien avec leur plus grande conformité à la culture scolaire. La composition sociale du profil « omnivore » le distingue des « omnivores culturels » de R. Peterson (2004). Quand ce dernier soulignait une « omnivorité » des classes supérieures contrastant avec une « univorité » des autres classes sociales, l’analyse des données montre ici que le profil de lecture « traditionnel » est plus marqué socialement que le profil « omnivore ». On observe aussi des différences sexuées, avec des filles plus souvent de profil « traditionnel » et des garçons plus souvent « spécialistes » (Figure 3). Les travaux de Christine Mennesson (2011) sur la socialisation familiale des enfants selon leur sexe permettent d’avancer des éléments d’explication. Les filles sont ainsi davantage incitées à se conformer aux attentes scolaires, dont fait partie la lecture de livres. Et si les garçons sont plus souvent « spécialistes », c’est notamment en raison de la lecture assidue par nombre d’entre eux de journaux, magazines et sites sportifs. Or, concernant la pratique sportive en famille, les pères s’occupent surtout de leurs fils, auxquels ils transmettent leur passion sportive, susceptible de se décliner au-delà de la pratique elle-même, la lecture de la presse sportive pouvant faire partie des activités partagées. Les modalités de transmissions des mères, qui s’occupent davantage des filles, sont moins souvent de l’ordre des passions.
Figure 2 : L’appartenance aux profils de lecture selon l’indice de positionnement social

Figure 2 : L’appartenance aux profils de lecture selon l’indice de positionnement social
Légende : les résultats sont significatifs au seuil de 1 %.Figure 3 : L’appartenance aux profils de lecture selon le sexe

Figure 3 : L’appartenance aux profils de lecture selon le sexe
Légende : les résultats sont significatifs au seuil de 1 %.23 La question des articulations entre lectures d’imprimés et lectures numériques selon les profils a également été interrogée. Concernant les lectures de romans et de bandes dessinées (Figure 4), il apparaît tout d’abord que les « omnivores » ont des consommations de livres proches des « traditionnels », qui pourtant se concentrent sur ce type de lectures. Ce résultat confirme la fragilité d’une analyse des pratiques lectorales en termes de concurrence globale entre le livre et la lecture sur écran.
Figure 4 : La fréquence des lectures de romans et de bandes dessinées par profil

Figure 4 : La fréquence des lectures de romans et de bandes dessinées par profil
Lecture : le score moyen des faibles lecteurs pour la lecture de romans est de 0,4 (scores de 0 « jamais ou rarement » à 3 « tous les jours ou presque »). Légende : les résultats sont significatifs au seuil de 1 %.24 Pour les contenus thématiques, les graphiques mettent en évidence des continuités (Figures 5 et 6). Ainsi les « spécialistes », aux lectures les plus ciblées, cumulent, pour leurs sujets de prédilection (sport et divertissement), accès numérique et lecture de journaux et magazines spécialisés. Les « omnivores » lisent de façon habituelle journaux, magazines et contenus Internet, sur tous types de sujets. Leurs déclarations de pratiques de lecture laissent penser qu’ils s’emparent des nombreuses possibilités de lecture qui leur sont offertes, pour s’instruire, s’informer ou se distraire. Pour les « traditionnels » et les « faibles lecteurs », c’est la rareté des lectures quel que soit le sujet qui constitue la continuité observée entre journaux/magazines et contenus numériques.
Figure 5 : La fréquence des lectures de journaux et magazines par contenu et par profil

Figure 5 : La fréquence des lectures de journaux et magazines par contenu et par profil
Légende : pour chaque contenu, les résultats sont significatifs au seuil de 1 %.Figure 6 : La fréquence des lectures numériques par contenu et par profil

Figure 6 : La fréquence des lectures numériques par contenu et par profil
Légende : pour chaque contenu, les résultats sont significatifs au seuil de 1 %.25 Les profils de lecture interrogent également les incitations à lire. La différenciation des pratiques est-elle liée aux intermédiaires de lecture et aux conseils qu’ils prodiguent ? Les résultats de l’enquête vont dans ce sens [17] en indiquant que les « lecteurs omnivores » sont les plus nombreux à déclarer suivre les conseils de tous les types d’intermédiaires de lectures proposés, hormis les enseignants, pour lesquels les différences inter-profils sont faibles. Il semble donc que la multiplicité des lectures des « omnivores » soit, au moins en partie, liée à une tendance à suivre les conseils des proches et des professionnels qui les entourent, voire à les solliciter, notamment concernant les professionnels du livre et de la documentation, dont les conseils répondent davantage à la demande. Enfin, la similarité inter-profils concernant les conseils enseignants confirme que, hormis les livres lus dans le cadre scolaire, les objets et supports de lecture des adolescents sont très largement indépendants des pratiques pédagogiques. Ce constat n’exclut pas que les lectures hors de la sphère d’influence de l’école soient néanmoins liées à la réussite scolaire. Cette question fait l’objet de la dernière section de cet article.
Entre discours institutionnel et pratiques enseignantes, une valorisation de la lecture ambiguë
26 La relation entre le niveau scolaire et les profils de lecture oppose les lecteurs « traditionnels » et, dans une moindre mesure, « omnivores », parmi lesquels les élèves obtenant de très bons résultats sont sur-représentés, et les « lecteurs spécialistes » et « faibles lecteurs », parmi lesquels les élèves en difficulté sont surreprésentés (Figure 7). Ces résultats corroborent la relation positive entre fréquence de lecture et réussite scolaire, sans toutefois valider l’idée selon laquelle les « élèves les plus performants ont les lectures les plus diversifiées sur support papier, ils lisent tout, fictions et documentaires, et ils lisent sur tous supports » (Ahr et al., 2012, p. 68). Nos résultats montrent en effet que les élèves les plus représentés parmi les « têtes de classe » ne sont pas ceux qui ont les lectures les plus diversifiées (les « omnivores ») mais ceux dont les pratiques ordinaires de lecture se limitent aux livres.
Figure 7 : L’appartenance aux profils de lecture selon les résultats scolaires

Figure 7 : L’appartenance aux profils de lecture selon les résultats scolaires
Légende : les résultats sont significatifs au seuil de 1 %.27 Nous avons précédemment montré que les élèves en réussite avaient plus de chances de lire quotidiennement des romans que les autres. Les forts lecteurs de romans étant répartis, pour l’essentiel d’entre eux, dans deux profils, « traditionnel » et « omnivore », il est intéressant d’interroger, au-delà de la lecture de romans, les effets des configurations de lectures sur le niveau scolaire. Nous avons donc mis en œuvre des modèles logistiques ordonnés afin de connaître l’effet marginal des profils de lecteurs sur la probabilité d’être un élève faible ou fort scolairement, plutôt qu’un élève moyen, les principales caractéristiques socio-démographiques étant contrôlées [18]. La stabilité du modèle avant et après l’introduction des profils est indicatrice du bien-fondé d’une telle analyse. L’adolescent de référence est un garçon, avec un indice de positionnement social moyen, à l’heure scolairement et de niveau scolaire moyen. Les probabilités qu’il soit faible et fort scolairement sont de 13 %. Les effets des caractéristiques socio-démographiques sur le niveau scolaire habituellement mis en évidence par les travaux en éducation sont retrouvés : être une fille ou de positionnement social élevé augmente la probabilité d’être fort scolairement, avoir un positionnement social bas ou être en retard scolaire augmente celle d’être faible, et inversement. Plus intéressants sont les résultats concernant les effets des différents profils de lecture. Comparativement au profil « faible lecteur », être un « lecteur traditionnel » protège très significativement du risque d’être faible scolairement et augmente les chances d’être fort scolairement. Ainsi, non seulement l’appétence de lecture dont font preuve les omnivores ne favorise pas particulièrement leur réussite scolaire (voir ci-dessus), mais ce constat reste vérifié « toutes choses égales par ailleurs », soit en contrôlant en particulier le capital culturel familial, pris en compte par l’indice de positionnement social. Nos résultats suggèrent ainsi que les pratiques de lecture les plus traditionnelles, répondant au modèle de « l’école de Jules Ferry, construite autour du modèle de la lecture littéraire (et non de la lecture instructive) » (Chartier, 2002), sont les plus rentables scolairement, en classe de cinquième au moins.
28 Que la lecture quasi exclusive de livres soit la forme de lecture la plus corrélée à la réussite va dans le sens de pratiques de l’école correspondant mal à l’appétit de savoir qu’elle prône. Certes, notre étude ne permet pas de connaître précisément « ce que les élèves lisent, comment, avec quelles significations et pour quels usages », autant d’éléments déterminants en termes de construction des inégalités (Daunay & Fluckiger, 2018). Néanmoins, elle invite à explorer deux hypothèses : des attentes professorales lors des évaluations souvent focalisées sur les contenus travaillés en classe, avec une faible prise en compte des savoirs acquis de façon indépendante par les élèves ; des savoirs lacunaires voire erronés qui peuvent être construits par les adolescents par leurs lectures. Les travaux antérieurs vont dans le sens d’une complémentarité et non d’une concurrence de ces hypothèses. Une recherche récente sur les devoirs à la maison au collège indique ainsi que les formes de travail des élèves obtenant les meilleures notes sont souvent axées sur le par cœur et la répétition (Grimault-Leprince & Faggianelli, 2021). Par ailleurs, les élèves développent par la lecture des savoirs à l’insu de l’école et, souvent d’eux-mêmes, participant aux « connaissances ignorées », parfois seulement méconnues par l’école, parfois perçues comme des obstacles aux apprentissages qu’il faudrait dépasser (Penloup, 2007). Enfin, les enseignants jouent peu le rôle de médiateurs entre les élèves et les savoirs acquis en dehors de l’école : les analyses indiquent que la différenciation des pratiques lectorales non scolaires des adolescents a peu à voir avec les conseils de leurs enseignants. La crainte que la profusion des ressources textuelles soit « source de confusion plus que de savoir » est ancienne (Chartier, 2006). L’école fait face à la mise en cause de son autorité culturelle quand la diversification des supports et des contenus culturels à disposition des enfants et des adolescents s’impose ainsi toujours davantage à elle, accompagnée de « représentations implicites et socialement stratifiées qui sont liées aux divers écrans et à leurs usages » (Berthomier & Octobre, 2019, p. 8). Si le rôle des enseignants diffère suivant le contexte, avec une influence plus forte sur les pratiques de lecture dans les collèges populaires, cela reste à la marge : les profils de lecture ne dépendent pas des conseils reçus en classe. En revanche, les conseils de l’entourage, parents, fratrie, adultes de la famille et, encore plus, ceux des pairs, sont très liés aux différences de profils observées.
Conclusion
29 Focalisée sur la lecture de livres, l’injonction à lire, que ce soit de la part des parents ou de l’école, n’a jamais été aussi forte pour les adolescents (Donnat, 2009), avec un discours des adultes qui « risque de faire apparaître aux yeux des enfants et adolescents l’activité de lecture comme un acte de soumission à leurs exigences ». Pourtant, la place centrale du livre dans les pratiques lectorales adolescentes est confirmée par cette recherche, qui contredit les « Cassandre de la lecture » (Octobre, 2013). Non seulement on n’observe pas une concurrence généralisée entre lecture d’imprimés et lecture sur écran, mais des continuités thématiques entre supports papier et numériques caractérisent les pratiques de nombre d’adolescents.
30 Les lectures de livres recensées dans notre enquête s’éloignent des lectures littéraires constitutives du patrimoine culturel des Héritiers de Pierre Bourdieu, en intégrant en particulier les romans hors listes scolaires et les bandes dessinées, généralement exclues des lectures « légitimes » (Renard, 2011, p. 66). Néanmoins, la lecture de livres reste, comme pour les recherches antérieures, très liée à la réussite scolaire. Plus étonnant, lecture de livres et réussite sont davantage liées quand les adolescents se cantonnent à ce type de lectures que lorsqu’ils l’associent à une pluralité d’autres, y compris en lien avec les savoirs scolaires (presse d’actualité, magazines et contenus scientifiques, etc.), comme le met en évidence la caractérisation du profil « lecteur omnivore », qui présente une réussite scolaire moindre comparativement au profil « lecteur traditionnel ». Alors que la navigation quotidienne sur des plateformes numériques, espaces de médiation des savoirs, permet aux adolescents de réconcilier pratiques informationnelles de loisirs et d’apprentissages (Cordier, 2019), la « rentabilité » scolaire de ces pratiques n’est pas montrée. Ainsi, si « la nouvelle norme scolaire est qu’il faut lire à la fois pour s’informer et se former, pour s’instruire et se distraire, à la fois beaucoup et bien, à la fois vite et lentement » (Chartier, 2002), il ne semble pas pour autant que les réponses des adolescents à ces injonctions soient véritablement reconnues en termes de gratifications scolaires. Les résultats suggèrent un enjeu démocratique pour l’école à s’emparer de la question des lectures adolescentes en les envisageant comme ressources pour les apprentissages, quand aujourd’hui celles qui s’éloignent des standards scolaires participent surtout des « connaissances ignorées ». En l’absence de rôle majeur de l’école, les conditions sont réunies pour un renforcement des inégalités sociales de réussite par les lectures non scolaires. C’est sans doute d’autant plus vrai que les parents de milieux populaires vont se sentir illégitimes (Mauger & Poliak, 1998) pour conseiller leurs enfants en matière de lectures et laisser faire, ou ne pas faire, l’école. Bien sûr, le fait que les lectures de beaucoup d’adolescents répondent peu à des sollicitations enseignantes ne signifie pas pour autant que les enseignants ne suggèrent pas de lectures à leurs élèves. Mais l’école entreprend une telle promotion de la lecture que « toute lecture tend à devenir scolaire étouffant ainsi les autres usages possibles de la pratique » (Poissenot, 2019, p. 44). Les adolescents peuvent aussi être incités à garder pour eux des pratiques qu’ils savent jugées illégitimes. Pourtant, sans médiation enseignante, les lectures adolescentes peinent à participer à la construction de connaissances et de dispositions favorables à la réussite scolaire, notamment pour les plus fragiles socialement et scolairement.
Notes
-
[1]
Alice Sullivan distingue huit catégories de livres auxquelles s’ajoute une seule autre catégorie de lecture, celle de quotidiens nationaux (« broadsheet newspaper »).
-
[2]
Parmi les huit catégories de livres élaborées par A. Sullivan, quatre sont considérées comme appartenant à la « high culture », les autres étant catégorisées « low culture » (et donc peu valorisés dans le « reading score » calculé), comme les ouvrages de Stephen King par exemple, dont le style littéraire fait pourtant l’objet de nombreuses recherches. La catégorie « broad sheet newspaper » a aussi vocation à appréhender la lecture d’une presse quotidienne de qualité, par opposition notamment à la catégorie des tabloïds. Pour le détail, voir (Sullivan, 2000).
-
[3]
e-FRAN IDÉE est une opération soutenue par l’État dans le cadre du volet e-FRAN du Programme d’investissement d’avenir, opéré par la Caisse des Dépôts.
-
[4]
Sur le site du ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports, en novembre 2021, les évènements et dispositifs prévus pour répondre à l’enjeu de la lecture comme « grande cause nationale » sont essentiellement centrés sur la promotion du livre.
-
[5]
Pour les contenus historiques, les fréquences de lectures papier et numériques sont similaires.
-
[6]
Afin de ne pas alourdir les annexes électroniques, ces tableaux ne sont pas présentés.
-
[7]
Voir le tableau 1 en annexe électronique, https://journals.openedition.org/sociologie/10354.
-
[8]
Indiqué ici par le nombre de livres présents au domicile familial (aucun ; 1 à 10 ; 10 à 50 ; 50 à 100 ; plus de 100).
-
[9]
Les variables de lectures ont préalablement été recodées en trois postes en regroupant les deux modalités intermédiaires (tous les jours ou presque ; une à deux fois par semaine + une à deux fois par mois ; jamais ou rarement) ; voir le tableau 3 en annexe électronique, https://journals.openedition.org/sociologie/10354.
-
[10]
Voir le tableau 1 en annexe électronique, https://journals.openedition.org/sociologie/10354.
-
[11]
Idem.
-
[12]
Voir le tableau 3 en annexe électronique, https://journals.openedition.org/sociologie/10354.
-
[13]
Voir les tableaux 4 et 5 en annexe électronique, https://journals.openedition.org/sociologie/10354.
-
[14]
Ce tableau n’est pas reproduit.
-
[15]
Les deux collèges ZEP dont les élèves déclarent plus souvent lire des contenus historiques sur Internet se distinguent, avec 10 % et 11 % des élèves déclarant lire des documents longs sur les conseils de leurs enseignants, validant l’hypothèse de pratiques pédagogiques valorisant particulièrement les ressources numériques.
-
[16]
Voir le tableau 3 en annexe électronique, https://journals.openedition.org/sociologie/10354.
-
[17]
Voir le tableau 12 en annexe électronique, https://journals.openedition.org/sociologie/10354.
-
[18]
Voir le tableau 13 en annexe électronique, https://journals.openedition.org/sociologie/10354.