« Qui trop embrasse mal étreint »… Dans un monde scientifique découpé en spécialités aux territoires empiriques bien administrés, la « sociologie générale » est suspecte. L’étiquette peut être considérée comme un passe-droit épistémique à proscrire, le signe d’une prétention à exercer le métier de sociologue « au-dessus de la mêlée » (et en solitaire) qui ne doit plus avoir cours. Et au souci de l’ancrage empirique et du contrôle par les pairs, on peut sans doute ajouter cette « humeur désenchantée à l’égard des généralisations conceptuelles », qui constitue selon Jean-Louis Fabiani l’envers d’une inclination commune pour les monographies relevant la « beauté du local ». Ce constat renforce la curiosité suscitée par une œuvre comme celle du sociologue Andrew Abbott.
À partir de données qualitatives ou quantitatives portant sur des professions, des traditions ou des lieux particuliers, A. Abbott a en effet cherché, depuis le début des années 1980, à formuler des propositions générales sur la constitution des entités sociales, la genèse des collectifs et la dynamique des territoires au sein desquels agissent les acteurs sociaux. Ces dernières années, il a opéré un « tournant normatif » (Abbott, 2016a, 2020) qui l’a quelque peu éloigné de ce projet – et des collections de données empiriques desquelles il faisait auparavant son miel. Mais cette évolution ne diminue pas l’intérêt des propositions qu’il a énoncées avant, qui en ont fait l’un des sociologues les plus cités, invité à Cambridge, Londres, Lisbonne, Pékin ou Pari…