CAIRN.INFO : Matières à réflexion

La critique sociale du jugement développée par Pierre Bourdieu dans La Distinction (1979) – et l’affirmation d’une homologie structurale entre l’espace social et l’espace des styles de vie, qui en est la clé de voûte – est sans doute l’une des théories les plus discutées dans le champ des sciences sociales ces trente dernières années (Fabiani, 2013). Dans le domaine de la sociologie des pratiques culturelles, de nombreux travaux ont mis en avant son caractère daté (à commencer par ceux de Richard Peterson, 1992), voire inopérant (Glevarec & Cibois, 2018). Deux principaux éléments de critique et de discussion sont généralement évoqués. Le premier concerne le caractère moins polarisant des goûts et des styles de vie étudiés dans les travaux postérieurs à La Distinction. Concernant les préférences en matière de musique – qui apparaît comme un art privilégié pour étudier les goûts culturels – R. Peterson (1992) a pu mettre en lumière le caractère faiblement discriminant de l’écoute des genres musicaux « populaires » aux États-Unis, consommés par un grand nombre de catégories sociales – à la différence des genres « légitimes », tels que la musique classique et l’opéra, appréciés quasi exclusivement, mais dans une plus faible mesure, par les classes dominantes. Les élites américaines se caractériseraient alors par une forme d’« omnivorisme » culturel – bien loin du « snobisme » des élites françaises des années 1960 – tout en se distinguant néanmoins des classes populaires et de leur consommation « univore »…

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La théorie de l’homologie structurale entre l’espace social et l’espace des styles de vie est régulièrement remise en question par des travaux soulignant l’atténuation des facteurs dispositionnels – capital culturel, capital économique, origine sociale, etc. – dans la structuration des goûts, au profit de la variable générationnelle notamment. Les jeunes générations en particulier sont suspectées d’être beaucoup moins sensibles et attentives aux normes de la légitimité culturelle. Cet article propose de discuter cette remise en cause de l’homologie structurale en s’appuyant sur les résultats d’une enquête réalisée auprès d’une population de 1351 jeunes – pour la très grande majorité étudiants – âgés de 18 à 20 ans, recrutés dans différentes régions de l’enseignement supérieur (BTS, IUT, AES, IEP, etc.). En interrogeant cette population sur ses préférences cinématographiques à travers une question ouverte, l’enquête permet de questionner de manière originale le niveau de légitimité culturelle des œuvres visionnées, à partir de leur labellisation « Art et essai », et de démontrer que le capital culturel hérité continue de structurer fortement les goûts culturels de cette population juvénile.

  • jeunesse
  • cinéma
  • légitimité culturelle
  • goûts
  • sociologie des pratiques culturelles
Julien Boyadjian
Maître de conférence en science politique, Sciences Po Lille, CERAPS (UMR 8026)
Sciences Po Lille, 9 rue Angellier, 59000 Lille, France
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Mis en ligne sur Cairn.info le 22/03/2021
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