CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Les progrès thérapeutiques obtenus ces dernières années en matière de cancérologie permettent à de nombreux malades de se rétablir. Dans l’ensemble des pays développés, on observe en effet une nette diminution de la mortalité pour la quasi-totalité des localisations cancéreuses tandis que l’incidence ne cesse d’augmenter. Par conséquent, il existe désormais une importante population de personnes qui ont été atteintes d’un cancer et qui ont « survécu [1] ». En 2008, leur nombre est estimé à trois millions (Colonna et al., 2014, p. 27). Ces évolutions ont permis à l’après-cancer de devenir une préoccupation politique, sociale et scientifique dont le Plan Cancer 2014-2019 témoigne [2].

2Les études menées sur cette question sont toutefois, pour la plupart, de nature médicale ou psychologique. Elles portent principalement sur les séquelles encourues par les anciens malades ainsi que sur les difficultés psychiques auxquelles ils sont confrontés après les traitements (Lecompte, 2014). De nombreux auteur.es observent que dans la littérature sociologique les travaux sur la guérison sont rares (Lecompte, 2014 ; Hardy, 2015 ; Demailly & Garnoussi, 2016). Si l’approche sociologique de la maladie s’est beaucoup centrée sur « l’expérience et sur l’étiologie sociale de la maladie », la guérison « synonyme de retour à la normalité » est longtemps restée hors de son champ d’étude (Déchamp-Le Roux & Rafael, 2015). Sur la période récente, un ensemble de publications témoigne cependant d’un intérêt naissant pour cette question [3]. La guérison reste néanmoins « plus difficile à appréhender d’un point de vue sociologique que la maladie car elle ne déclenche pas un état, un statut ou une position socialement identifiés comme tels » (Hardy, 2013, p. 251).

3En matière de cancérologie, les contours de la guérison sont en outre particulièrement flous. Sur le plan médical, le patient est d’abord dit « en rémission ». Cette notion permet de signifier le caractère incertain du rétablissement (Ménoret, 1997). Sa durée dépend du type de lésion. La plupart du temps, elle correspond à une période de cinq ans suite à laquelle le malade est déclaré guéri. Toutefois, être guéri d’un cancer signifie rarement « aller mieux », « ne plus avoir mal » ou être en « bonne santé » (Hardy, 2015). Souvent, cette maladie laisse des traces et des stigmates persistent (INCa, 2014). « Ce qui fait que le malade est dit guéri n’a [donc] quasiment rien à voir avec ce qu’il ressent de son état » (Hardy, 2015, p. 24).

4Une étude portant sur le sentiment de guérison a pu montrer que deux ans après le diagnostic d’un cancer, 43 % des personnes interrogées se disent guéries (Peretti-Watel et al., 2008). De la même façon, parmi nos enquêtés si certains s’estiment guéris ce n’est pas le cas de tous. Charles [4] qui se remet d’un cancer de la prostate affirme ainsi qu’« on ne guérit jamais d’un cancer », car on n’en est « jamais libéré », tandis que Didier [5] en rémission depuis trois ans d’un cancer de l’oropharynx et de l’œsophage se dit guéri : « Le cancer c’est guéri…, les deux maintenant c’est guéri. » La façon dont les soignés [6] se représentent et définissent la guérison ne correspond donc pas nécessairement à sa définition médicale. Comme nous allons le voir, ces représentations répondent à des logiques sociales que nous allons nous attacher à mettre en lumière.

5Comme l’a établi Georges Canguilhem (1966, p. 118), « en matière de norme biologique c’est toujours à l’individu qu’il faut se référer ». La maladie et la (bonne) santé ne sont pas réductibles à un état particulier de l’organisme. S’il y a « des déviances biologiques, qui ont une objectivité qui les rend apparemment indépendantes de l’observateur, ces faits bruts n’en font pas pour autant nécessairement des maladies. La maladie est le sens que des individus donnent à ces faits […]. [Elle] n’est donc rien hors de la connaissance qu’en prennent les acteurs et de ce qu’ils en font » (Sicot, 2011, p. 67-68). De la même façon que la maladie est associée à la déviance, la guérison l’est à la normalité. Or, « ce qui est normal, pour être normatif, dans des conditions données, peut devenir pathologique dans une autre situation. [Et] de cette transformation c’est l’individu qui est juge [puisque] c’est lui qui en pâtit » (Canguilhem, 1966, p. 119). La guérison est « une construction symbolique [qui] s’inscrit dans des systèmes de représentation » (Hardy, 2013, p. 265). Aussi est-il important de ne pas tant regarder « [sa réalité] que le sentiment que les sujets en ont et l’analyse qu’ils en font » (Fainzang, 1989, p. 54). Penser sociologiquement la guérison suppose donc d’examiner sa signification sociale (Hardy, 2013).

6Le présent article propose justement d’interroger les significations sociales du guérir à partir d’une analyse comparative des récits de guérison de nos enquêtés. Ces récits sont particulièrement féconds puisqu’ils permettent de saisir la définition des situations « en contexte », c’est-à-dire « produite par une personne socialement située, à un moment donné » (Béliard & Eideliman, 2014, p. 514). La posture adoptée sera donc celle d’une sociologie compréhensive et d’une sociologie de l’expérience « qui privilégie[nt] le point de vue des personnes concernées » (Pierret, 2006, p. 4). Notre démarche s’inscrit ainsi dans le prolongement de travaux portant sur l’analyse des vécus subjectifs de la maladie.

7Plus encore, elle se situe dans une lignée d’études qui proposent une approche sociologique du corps et visent à rendre compte de la dimension sociale des comportements corporels et, plus largement, des conduites sanitaires (Boltanski, 1971). La guérison constitue un objet tout à fait heuristique pour mieux comprendre les dynamiques sociales des expériences corporelles. Sous l’angle symbolique, le corps est en effet « au cœur de la normativité » (Meidani & Druhle, 2011, p. 25). De nombreux travaux ont pu montrer que les représentations et les pratiques sanitaires varient d’un lieu à l’autre de l’espace social et témoignent « de préférences et de priorités socialement construites et façonnées par des conditions d’existence » (Dumas et al., 2015 ; Bourdieu, 1977). Nous aborderons donc la guérison comme un fait social total, c’est-à-dire « comme un phénomène qui dépasse le corps individuel et le diagnostic médical et dont les discours à son propos expriment quelque chose de la société et des acteurs qui la composent » (Charmillot, 2016, p. 75).

8Si cet article se propose d’examiner les significations sociales de la guérison, il vise, plus précisément, à rendre compte de la manière dont les appartenances de classe et, plus secondairement, de genre façonnent le sens de la guérison. Autrement dit, il va s’agir de déterminer si le fait d’être un homme ou une femme, un ouvrier ou un cadre, influence la façon dont les soignés se représentent et expérimentent la guérison. Pour cela, nous nous pencherons sur les cas de Monique [7] et de Robert [8] dont les expériences du guérir sont contrastantes, à l’instar de leurs positions respectives dans l’espace social. Si la première parvient difficilement à « tourner la page » et éprouve des difficultés à reprendre sa vie là où elle l’avait laissée, ce n’est pas le cas du second pour qui le cancer est une expérience révolue. Ces deux cas sont exemplaires car ils mettent en évidence des expériences fréquentes au sein de notre corpus et correspondent à des réalités sociales différentes. Cette échelle d’observation rapprochée nous permettra en premier lieu de rendre compte de la déclinaison sociale des expériences de guérison. En second lieu, pour mieux comprendre ces dynamiques sociales, nous nous intéresserons aux principaux motifs avancés par nos enquêtés afin d’expliquer leur vécu de la guérison. Nous montrerons de cette manière que les significations accordées au guérir relèvent de rapports au corps, à la maladie, aux médecins et à la médecine ainsi qu’au normal et au pathologique. Nous nous intéresserons dès lors aux différentes dimensions des habitus physiques et des cultures somatiques qui permettent de rendre compte du façonnement social de la guérison.

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Une enquête qualitative sur les inégalités sociales face au cancer
Les données sur lesquelles nous nous appuyons ont été recueillies dans le cadre d’une recherche sociologique portant sur la question plus large des inégalités sociales face au cancer dans le Nord de la France [9]. Cette recherche, de type socio-ethnographique visait à mettre au jour les mécanismes et processus qui interviennent dans la construction de l’inégalité sociale face au cancer. Pour cela, une analyse comparative des trajectoires de soignés a été menée des premiers signes de la maladie jusque dans l’après-cancer. Les trajectoires de malades aux appartenances sociales diversifiées ont été analysées afin de rendre compte de l’impact du cumul des avantages et des désavantages relatifs aux contextes sociaux des patients.
Une campagne d’entretiens a été réalisée avec des professionnels et des personnes ayant été touchées par un cancer. Huit entretiens exploratoires ont été menés avec des professionnels et 35 entretiens semi-directifs ont été réalisés avec des soignés entre juin 2013 et août 2016. Cette temporalité longue tient aux difficultés rencontrées pour recruter nos enquêtés. Il nous a, en effet, été nécessaire de mobiliser sept espaces de recrutement (deux groupes de parole et un comité de la Ligue contre le cancer, un Espace Ressource Cancer (ERC), deux associations locales et un terrain hospitalier). Cette difficulté tient certainement aux spécificités de notre objet. Parler de son cancer reste, pour beaucoup, pénible. Elle tient également à la nécessité de diversifier notre corpus en termes d’appartenance sociale. Si nous avons facilement rencontré des femmes, atteintes d’un cancer du sein et issues des catégories moyennes et supérieures [10], recruter des hommes et des membres des classes populaires s’est avéré bien plus délicat. Ce public est en effet souvent absent des associations qui constituent un lieu de recrutement « privilégié ». Ils n’acceptent en outre pas facilement les entretiens qui présentent une injonction au « récit de soi » ne convenant pas à tous.
Au total, nous avons rencontré 22 femmes et 13 hommes, âgés de 25 à 70 ans [11]. La plupart avaient un cancer des voies aérodigestives supérieures (VADS ; n = 14) ou du sein (n = 13) et étaient, médicalement parlant, en rémission (18) ou guéri (12). Concernant leurs origines sociales, nos enquêtés sont cinq à relever des classes supérieures (3 femmes et 2 hommes), quinze des classes moyennes (12 femmes et 3 hommes) et quinze des classes populaires (7 femmes et 8 hommes). La durée moyenne des entretiens a été de 50 min, 65 min avec des membres des classes moyennes et supérieures contre 31 min avec les membres des classes populaires. Si les entretiens avec les membres des classes populaires ont été plus courts, c’est parce qu’il a été plus difficile de les faire parler d’eux. Les réponses étaient courtes et peu développées malgré nos relances. Cette « difficulté à parler de soi » et du cancer a également été rencontrée par Josette Brassart et Christophe Niewiadomski (2008) qui ont mené une étude sur les cancers des VADS dans le Nord. Les auteur.es évoquent une « culture du silence » qui conduit, les hommes en particulier, à taire leur mal-être. Ainsi, il convient de rompre avec l’idée qu’un « bon entretien » est nécessairement un entretien long, car si l’on souhaite que « la diversité sociale » soit représentée il convient d’intégrer l’ensemble des individus « y compris les “peu loquaces” » (Bégot, 2007, p. 104-105).
En parallèle de cette campagne d’entretien, des observations ont été réalisées. Ont ainsi été observées des réunions de groupes de parole organisés par la Ligue contre le cancer (18), des consultations (355) dans des services de sénologie et de cancérologie des VADS, ainsi que des réunions de concertation pluridisciplinaires [12] (RCP – 31 réunions, soit 510 patients) en cancérologie des VADS. Si dans cet article nous mobiliserons essentiellement les discours recueillis dans le cadre des entretiens et des groupes de parole pour leur valeur illustrative, les attitudes face à la guérison que nous allons décrire ont également été observées lors des consultations de surveillance et des RCP.

Déclinaisons de la guérison

10Au moment où nous la rencontrons, Monique est âgée de 63 ans. Retraitée, elle était auparavant décompteur analyste dans la fonction publique. Monique est propriétaire de sa maison, possède une voiture et est titulaire du permis de conduire. Elle est divorcée et son ex-mari était professeur d’anglais au lycée. Monique a trois enfants et l’un d’entre eux vit encore avec elle. En janvier 2007, un cancer des ovaires lui est diagnostiqué.

11Monique a d’abord eu un « petit mal de ventre ». Elle souligne qu’elle a immédiatement consulté son médecin généraliste qui lui a prescrit un « petit traitement ». Celui-ci ne fonctionnant pas, il l’a ensuite orientée vers un gynécologue. « Même pas un mois » après ses premiers symptômes son cancer était diagnostiqué. Ses traitements ont consisté en une intervention chirurgicale, un curage ganglionnaire et six cures de chimiothérapie postopératoires. Ils se sont achevés en octobre 2007. Lorsque nous la rencontrons, Monique est donc, du point de vue médical, guérie puisque ses traitements sont terminés depuis plus de sept ans.

12Lorsque nous évoquons l’époque à laquelle ses traitements se sont terminés, Monique nous explique qu’elle a particulièrement mal vécu cette période :

13

Mal, parce qu’on est tellement pris en charge […], on vit un petit peu au jour le jour […] et puis après, au bout du traitement on nous dit : « voilà, tout va bien, au revoir madame » […], mais ça fait un vide […] du jour au lendemain au revoir madame quoi…, ça fait drôle… […] c’est dur !

14Monique a été confrontée à « un moment de déprime », à un « un passage à vide » qui « a duré un petit peu ». La fin des traitements a été dans son cas un bouleversement difficile à surmonter. Aussi, était-il pour elle particulièrement désagréable d’être confrontée à l’enthousiasme de son entourage pour qui l’arrêt des traitements était une bonne nouvelle :

15

Les gens sont contents, […] les gens vous disent « c’est bien, t’as plus de traitement, tu vas bien », […] J’avais une hantise de rencontrer quelqu’un et de l’entendre dire : « tu vas bien aujourd’hui, t’as le sourire, ça va bien », à l’intérieur de moi, [je me disais] « si tu savais, c’est tout le contraire… » […] Les gens se réjouissent : c’est bien t’as passé la maladie tout ça, on n’en parle plus, mais nous c’est justement là qu’on a envie d’en parler.

16Une fois les traitements terminés, Monique a ressenti le besoin de parler de sa maladie. Un an après, en 2009, elle s’est inscrite à un groupe de parole de la Ligue contre le cancer dont elle est toujours une membre assidue. Elle souhaitait de cette manière se retrouver « dans un milieu où [l’]on parle du mot cancer » et « où [l’]on reste en contact avec ce mot ». Bien qu’elle ne soit plus « malade », Monique a ainsi souhaité conserver un lien avec le monde du cancer. Elle souligne en outre qu’une fois que les traitements sont terminés il convient de « recommence[r] autre chose ». De son point de vue, la maladie constitue une rupture biographique puisque, pour plusieurs raisons, « on ne revient pas comme avant ». « Le corps n’est plus le même », « la vision des choses » change et « on est différent ».

17L’expérience de Robert, âgé de 57 ans lorsque nous le rencontrons, est différente. Agent d’entretien sur la voirie, il a travaillé auparavant comme ouvrier dans le bâtiment et a traversé une période de chômage de presque dix années. Robert est dans une situation économique précaire. Bénéficiaire de la couverture mutuelle universelle (CMU), il est locataire, n’a pas de voiture et n’est pas détenteur du permis de conduire. Il est célibataire, vit seul, mais a une fille. Son ex-compagne s’est, dit-il, « sauvée avec [son] copain de travail » il y a de nombreuses années. En janvier 2013, un cancer du plancher de la bouche lui est diagnostiqué.

18Robert n’avait pas pour habitude de se rendre chez le médecin : « Le docteur je ne connais pas, j’ai jamais vu, [je ne suis jamais] passé par les mains d’un docteur. » D’ailleurs, il n’avait pas de médecin traitant. Il souligne ainsi avoir attendu deux mois en « prenant des cachets », « des dolipranes » et du « miel » avant de consulter quand bien même il ne « mangeait plus » puisque « plus rien ne passait ». Et, s’il l’a fait, c’est uniquement parce que sa fille l’y a « pratiquement jeté ».

19Ses traitements ont consisté en une chirurgie assez lourde qui vise à retirer toute une partie de la mâchoire puis à la reconstruire, un curage ganglionnaire et une radiothérapie postopératoire. Ils se sont achevés à la fin du mois de juin 2013. Lorsque nous le rencontrons, il est donc, du point de vue médical, en rémission puisque ses traitements se sont terminés deux ans auparavant.

20Pour Robert, la période des traitements a été difficile : « J’ai fait le costaud, mais enfin c’est vrai que j’en avais marre… » Il considère néanmoins que « dans l’ensemble [c’était] un mauvais moment à passer ». Désormais, il se dit « tiré d’affaire » puisqu’il a « vaincu le mal ». Pourtant, médicalement parlant et contrairement à Monique, Robert n’est pas encore guéri. Ses risques de récidive sont toujours plus élevés que pour la population « normale », c’est-à-dire comparativement à celles et ceux qui n’ont jamais eu de cancer au cours de leur vie. Il conserve, en outre, des séquelles importantes en termes d’élocution, d’alimentation mais également esthétiques. Pour autant, Robert s’estime chanceux car, contrairement à ce qu’il redoutait, il peut encore parler : « Ce que j’avais peur c’est de ne plus pouvoir parler, ça j’leur avais dit : “je veux parler”, ça je n’aurais pas supporté… […] Dans mon malheur ça s’est bien passé... ! » Il est ainsi très reconnaissant envers sa fille qui, à ses yeux, lui « a amené une nouvelle vie » puisque sans elle il serait mort : « si je m’étais écouté j’serais plus en train de vous parler… », et envers les médecins qui lui ont offert « une deuxième vie ».

21Monique et Robert ont donc tous les deux été atteints d’un cancer et, pour chacun d’entre eux, les traitements ont permis d’obtenir une rémission de la maladie. Néanmoins, leurs expériences de l’après-traitement et de la guérison sont contrastées. Si pour Monique l’après-traitement prend la forme d’une nouvelle épreuve, ce n’est pas le cas de Robert, soulagé que s’achève « une mauvaise période » et que débute une « nouvelle vie ».

Les dynamiques sociales de la guérison

22Ces expériences contrastantes font écho à une tendance plus générale de notre corpus d’enquête. Parmi nos enquêtés, deux groupes se dessinent avec, d’un côté, ceux pour qui l’après-traitement reste marqué par la maladie et est interprété comme une « perte de soi » (n = 27) et, de l’autre, ceux qui considèrent que « la vie continue » (n = 9).

23Comme Monique, une part importante de nos enquêtés éprouve des difficultés à « tourner la page ». Sortir du cancer ne signifie pas toujours « s’en sortir » et on retrouve ici ce que Jean-Christophe Mino et Céline Lefève nomment des « récits de vie bouleversée ». Ces auteur.es observent en effet que pour certaines femmes l’après-cancer suppose de faire le « deuil de soi » puisque « la diminution de la puissance d’être et d’agir […] est vécue comme une perte de soi » (Mino & Lefève, 2016, p. 89). La maladie constitue ici un bouleversement majeur dans l’existence. Elle introduit « une discontinuité entre le moi du passé et celui du présent » et produit en ce sens une « bifurcation », c’est-à-dire « une modification soudaine, imprévue et durable de la situation personnelle et des perspectives de vie, concernant une ou plusieurs sphères d’activités » (Bessin et al., 2010, p. 29 et 161). De nombreux chercheurs ont ainsi pu traiter des difficultés auxquelles expose la guérison en cancérologie. Anne Chantale Hardy (2013, p. 245), par exemple, évoque le « mal de la guérison du cancer » tandis qu’Hélène Lecompte (2013, p. 274) traite des « dettes laissées par la guérison ».

24Pourtant, si certains soignés trouvent difficilement leur place face à une « invitation au retour à une normalité » (Bataille, 2003, p. 168), ce n’est pas le cas de tous. Pour d’autres, comme Robert, la vie reprend son cours. Adrien [13] par exemple, qui a été traité pour une maladie de Hodgkin, considère désormais que la maladie est « derrière ». Il a ainsi mis fin à son suivi dont il ne « voyai[t] plus l’intérêt ». De la même manière, Didier [14], en rémission d’un cancer de l’oropharynx et de l’œsophage, estime que son cancer « est guéri ». Enfin, Guy [15] se dit lui aussi « guéri » alors même qu’il est atteint de deux cancers [16] toujours actifs, mais pour lesquels il ne reçoit plus de traitement puisqu’il n’a pas supporté sa dernière chimiothérapie. Ici, « la vie continue comme avant », même s’il peut exister des traces des traitements. Pour ces soignés, le cancer semble avoir ébranlé peu durablement le cours de l’existence. « La maladie a disparu – ce qui correspond à l’image ordinaire et sociale de la guérison » (Mino & Lefève, 2016, p. 93) – et s’inscrit dans une continuité, comme un « accident faisant partie de l’histoire de ces malades et s’inscrivant dans l’enchaînement d’une vie » (Voegli, 2004, p. 152).

25Partir du point de vue des acteurs concernés permet de souligner l’existence de perceptions différenciées d’un même fait, mais aussi de ne pas considérer comme « déterminant un événement qui pourrait n’être vécu que comme une “crise normale” » (idem, p. 150). Si, pour certains, l’après-cancer constitue un « point de basculement » ou encore une « bifurcation », ce n’est pas le cas de tous. « Il n’y a d’événement socialement parlant que, si ce qui se passe, l’occurrence qui se produit apparaît importante aux yeux des acteurs qui s’y confrontent » (Zarifian, 2001, p. 109).

26Certes, la réalité est plus riche et plus complexe que ne le suggère la polarisation ici décrite et ces expériences sont des types extrêmes. Quelques-uns de nos enquêtés (3 femmes et 1 homme, 4 membres des classes populaires) se situent d’ailleurs dans une situation « d’entre-deux » où la guérison n’est ni complètement acquise, ni complètement impossible. Néanmoins, elles sont exemplaires dans le sens où elles mettent en évidence des expériences fréquentes au sein de notre corpus qui correspondent à des réalités sociales différentes. Il est en effet remarquable que les expériences que nous venons de décrire soient socialement situées. Si le premier groupe est principalement composé de femmes (21 sur 27) et de membres des classes moyennes et supérieures (24 sur 27), le second rassemble surtout des hommes (7 sur 8) et des membres des classes populaires (7 sur 8). Ces résultats font ainsi écho à ceux de Patrick Peretti-Watel et ses collègues (2008, p. 81) qui observent que « l’opinion selon laquelle on ne guérirait jamais du cancer est trois fois plus fréquente parmi les diplômés de l’enseignement supérieur que parmi les patients qui n’ont pas obtenu leur baccalauréat ».

27Comprendre les perceptions différenciées d’un même fait, suppose donc de tenir « compte de l’entier des événements survenus au cours de la carrière d’un acteur et de la position de ce dernier dans l’espace social » (Voegtli, 2004, p. 150). Aussi, c’est « à la lumière du contexte d’action et du passé incorporé des acteurs » que se comprennent les effets des événements (Denave, 2010, p. 172). Un événement « s’articule de manière spécifique avec les dispositions incorporées par les acteurs » (idem) et « quelle que soit la forme de l’épreuve individuellement ressentie, les expériences et interprétations sont socialement structurées » (Bessin et al., 2010, p. 29). Étudier ces expériences contrastées et socialement situées devrait ainsi nous permettre de mieux saisir comment des individualités distinctes adoptent des attitudes et des représentations relativement similaires vis-à-vis de leur santé et de leur corporéité. Nous allons donc nous intéresser aux principaux motifs avancés par nos enquêtés afin d’expliquer leur vécu de la guérison.

Plus vraiment malade, mais pas vraiment guéri

28Comme Monique, nombre de soignés nous ont fait part des difficultés qu’ils ont rencontrées lorsque leurs traitements se sont terminés. « Sortir du soin spécialisé en cancérologie ne signifie pas que la maladie soit terminée » et « quitter le soin […] n’est, en rien, le signe d’une réassurance conquise, ou de la quiétude retrouvée » (Bataille, 2003, p. 190). C’est particulièrement vrai pour notre premier groupe d’enquêtés où, pour plusieurs raisons, l’après-cancer semble toujours être le cancer. Deux principaux motifs sont avancés par ces derniers pour expliquer les difficultés qu’ils rencontrent à « tourner la page ».

Séquelles et rupture biographique

29En premier lieu, la plupart d’entre eux insistent sur les séquelles laissées par la maladie. Comme l’indique Philippe Bataille, « si les soins spécialisés ont permis l’amélioration générale attendue, voire la guérison, le patient, au moment où ils s’achèvent, ressent nettement les effets de ses transformations sociales et psychiques personnelles » (idem, p. 176). Christiane [17] explique ainsi que ce n’est qu’une fois les traitements terminés qu’elle a compris que le retour à la normale auquel elle aspirait n’aurait pas lieu :

30

Nous on y croit..., on y croit et puis on fait tout pour, on se dit, c’est un mauvais passage, faut te battre, tu vas y arriver et puis tu vas reprendre, là où ça c’est arrêté mais non, là où ça c’est arrêté ça ne reprend jamais.

31Elle a donc le sentiment de s’être battue en vain et de ne pas être récompensée de ses efforts :

32

On se dit, mince, j’ai tout fait, allez, je devrais reprendre le travail, ça va aller mais non, non, ce n’est pas comme la grippe, vous avez bien fait votre traitement vous repartez au boulot, là vous avez bien fait puis vous n’avez pas la conséquence de ce que vous avez apporté, ce qui était avant ne revient pas.

33Comme Monique qui observe que l’« on ne revient pas comme avant », ces soignés sont nombreux à évoquer les transformations induites par la maladie qu’ils envisagent avant tout dans le registre de la perte. Julie [18], par exemple, considère elle aussi qu’elle n’est « plus comme avant » puisqu’elle est désormais restreinte dans ses activités : « C’est là où je me dis que je ne suis plus comme avant parce que, avant, je faisais plein de trucs, ça allait, et là rien que mon ménage, je vais faire au matin et l’après-midi je ne fais plus rien… »

34Les séquelles et les effets à long terme des traitements « prolongent ce qui est toujours leur maladie mais qui n’est plus reconnue comme telle » (Hardy, 2015, p. 26). Aussi vivent-ils particulièrement mal l’attitude de leur entourage qui consiste à mettre la maladie à distance. « Les proches présents tout le temps du soin […] ont [en effet] besoin de se distancier de l’angoisse et de la souffrance » (Bataille, 2003, p. 168). Paulette [19] remarque ainsi que : « Quand on a fini les traitements, on est guéri, on n’en parle plus, c’est une affaire classée » alors que des séquelles subsistent. Martine [20], de la même manière, regrette que ses proches ne souhaitent plus parler de sa maladie : « C’est comme si c’était…, un gros rhume, une maladie, une petite maladie […] alors que ça laisse quand même des séquelles. » S’observe finalement ici un désaccord autour du sens de la guérison, un « conflit de perception, de conception qui se [cristallise] sous une forme d’incommunicabilité » (Ménoret, 1997, p. 362).

35Pour ces enquêtés, l’empreinte de la maladie, ses traces et ses séquelles constituent donc un obstacle majeur au retour à une vie normale. Pour eux, il convient d’« accepter » d’être « handicapé » et de faire le « deuil [d’une] vie passée » (entretien avec Nadine [21]). Le cancer laisse des traces et, en ce sens, il constitue une « rupture biographique » (Bury, 1982) qui fait obstacle au sentiment de guérison.

Damoclès et le risque de récidive

36Un deuxième élément est lui aussi souvent mentionné par ces enquêtés afin de rendre compte des difficultés qu’ils éprouvent dans l’après-traitement : le risque de récidive de la maladie. Une fois que les traitements sont terminés, les anciens malades doivent en effet se prêter à une surveillance médicale régulière afin de s’assurer que tout va bien. Ces contrôles entretiennent néanmoins, pour certains, « l’angoisse de la récidive à un niveau maximal » (Derbez & Rollin, 2016, p. 78).

37De nombreux enquêtés nous expliquent ainsi avoir le sentiment d’être « en sursis ». La référence régulière à la traditionnelle « épée de Damoclès » en témoigne tout particulièrement :

38

On a toujours l’épée de Damoclès au-dessus de la tête parce qu’on se dit…, si ça reprend ailleurs… […] vous vous dites ça peut aller en bas, ça peut descendre, ça peut aller à d’autres endroits, donc on a toujours quand même une crainte (entretien avec Lucie [22]).

39Pour beaucoup, à l’instar des séquelles perçues et du sentiment de rupture biographique, le risque de récidive fait donc, lui aussi, obstacle au sentiment de guérison.

40Dans la mesure où ce risque diminue au fur et à mesure des années, on peut faire l’hypothèse que le temps aide à tourner la page. Pourtant, parmi nos enquêtés du premier groupe cette crainte s’inscrit parfois dans le très long terme. Raymonde [23], par exemple, qui est en rémission d’un cancer du sein depuis plus de 13 ans explique :

41

De toute façon on est toujours…, t’as toujours peur quand même… Moi on m’a dit même au bout de 15 ans […] Vous ne serez jamais tranquille, c’est tout le temps… On peut toujours en déclencher.

42Nadine [24], de la même manière indique que :

43

[quand on a eu un cancer] on reste marqué à vie… […] on a toujours cette peur qui, quelque part, reste même des années après, même 7 ans, 8 ans, 10 ans après.

44La difficulté à se réinscrire dans le monde peut donc perdurer de nombreuses années et la distance des traitements ne favorise pas toujours le sentiment de guérison. Certains de nos enquêtés du premier groupe sont ainsi en rémission depuis de longues années [25], tandis que, dans le second, d’autres ont terminé leurs traitements très récemment et ont vécu des épisodes de récidive [26].

45Au-delà de ce risque, on peut en outre imaginer qu’avoir vécu une récidive renforce l’anxiété des anciens malades. C’est le cas de Graziella [27] et de Colette [28] qui, toutes les deux, ont connu des épisodes de récidive. Graziella explique ainsi qu’après son premier cancer elle « avait zappé » et repris « une vie normale », tandis qu’elle a maintenant le sentiment d’avoir une perpétuelle « épée de Damoclès » au-dessus de la tête. Colette, de la même manière, souligne qu’après son premier cancer elle allait faire « facilement » ses contrôles et n’imaginait pas qu’il soit possible qu’elle récidive, alors que désormais elle redoute sans cesse un retour de la maladie. Certains soignés qui au départ disaient avoir tourné la page peuvent donc éprouver après une récidive des difficultés à se distancier à nouveau de la maladie. L’expérience d’une récidive peut donc transformer le vécu de la guérison. Cependant, ce n’est pas systématique puisque dans notre second groupe certains se considèrent guéris alors même qu’ils ont connu des épisodes de récidive.

46Ces éléments indiquent que la guérison ne doit pas être pensée comme un état, mais plutôt comme un processus. Les exemples de Graziella et de Colette montrent en effet que des variations sont possibles et que ces vécus ne sont ni statiques ni définitifs. « Penser la guérison ne [signifie donc] pas qualifier un état, mais un changement d’état, selon des temporalités » (Hardy, 2015, p. 25). Faute d’une analyse longitudinale, le travail ici présenté ne traitera pas du caractère processuel de l’expérience de guérison. Une analyse des « carrières de guérison » offrirait néanmoins une poursuite heuristique à ce travail, en permettant d’éclairer autrement les logiques expérientielles qui traversent le vécu de la guérison.

Une expérience à nuancer ?

47Les deux motifs que nous venons de présenter corroborent les observations de Patrick Peretti-Watel et ses collègues (2008) concernant le sentiment de guérison. Ils remarquent en effet que « plus le patient perçoit de séquelles de sa maladie, moins il est susceptible de se dire guéri », mais aussi que « les patients ne se disant pas guéris sont plus nombreux (68 %) à craindre une récidive » (idem, p. 64). Pourtant, les séquelles de la maladie et le risque de récidive ne font pas toujours obstacle au sentiment de guérison.

48En effet, parmi nos enquêtés du second groupe, pour lesquels la vie reprend son cours, certains présentent des séquelles importantes. C’est le cas en l’occurrence de Robert, de Didier [29] et de Gilbert [30] qui, tous les trois, ont été atteints de cancers des voies aérodigestives supérieures (VADS). Leurs trajectoires correspondent à ce que Marie Ménoret (1999) nomme des « trajectoires invalidantes », c’est-à-dire des trajectoires pour lesquelles le traitement a été efficace dans la mesure où les symptômes du cancer disparaissent, mais où la maladie laisse des séquelles irréversibles. Leurs traitements ont consisté en des chirurgies lourdes qui visent à retirer une partie de l’os de la mâchoire que l’on reconstruit ensuite à partir d’une autre partie du corps [31]. Ils présentent donc tous les trois d’importantes séquelles du point de vue de l’alimentation, de l’élocution ainsi que sur le plan esthétique, qui pourraient faire l’objet d’une interprétation en termes de rupture biographique. D’ailleurs, si parmi nos enquêtés du premier groupe il est vrai que certains conservent des stigmates importants : Christiane, par exemple, a une stomie, Chantale, un lymphœdème du bras, Serge a été amputé du nez (il présente des épisodes récurrents de saignements et doit réaliser des soins constants). D’autres, au contraire, présentent des « trajectoires simples » (traitement efficace et relativement court) qui, pour Marie Ménoret, correspondent au « modèle “idéal” », tant pour le médecin que pour le patient. C’est le cas, par exemple, de Monique, d’Annick [32], de Lise [33] et de Laurence [34], pour ne citer qu’elles [35]. Or, si nos enquêtés du premier groupe insistent sur leurs séquelles, ce n’est pas le cas de ceux du second. Les séquelles sont parfois évoquées, mais l’attention et le poids qui leur sont accordés sont bien moindres. Aussi, dans la mesure où, comme le note Hélène Lecompte (2013, p. 332), ce ne sont pas les individus qui cumulent le plus de séquelles qui rencontrent le plus de difficultés dans l’après-cancer, il ne nous semble pas que ce soit la nature des séquelles qui façonne le sentiment de guérison, mais plutôt l’interprétation qui en est faite.

Du rapport au corps à l’interprétation des séquelles post-thérapeutiques

49Les relations à la corporéité s’inscrivent au sein de différences de classe et de culture qui en orientent les significations et les valeurs (Le Breton, 1992). Comprendre l’attention et le poids accordés aux séquelles laissées par la maladie suppose de réfléchir aux différences de perception et de frontière entre normalité et pathologique. Maladie et santé ne sont pas des données objectives, réductibles à un état particulier de l’organisme, mais des phénomènes sociaux tout autant que biologiques. La culture détermine l’attention qui est portée au corps et module la sensibilité aux signes corporels (Parizot, 1998). « C’est [donc] au-delà du corps qu’il faut regarder pour déterminer ce qui est normal pour ce corps » (Canguilhem, 1966, p. 133).

50Comprendre pourquoi nos enquêtés hommes, issus des classes populaires, tournent plus radicalement la page suppose, en premier lieu, d’examiner les difficultés plus importantes qu’ils rencontrent lorsqu’il s’agit d’« entrer » dans la maladie. La plupart d’entre eux sont, en effet, diagnostiqués tardivement avec des lésions cancéreuses évoluées (Merletti et al., 2011). Or, les mécanismes à l’œuvre nous semblent très similaires.

51Des études ont pu montrer que le rapport au corps des classes populaires se caractérise par une certaine « dureté au mal », une vision mécaniste du corps et une morale de l’endurance qui retardent le moment où ils se considèrent malades (Boltanski, 1971, p. 219). Le cas de Robert en est exemplaire. Robert qui n’avait pas pour habitude de se rendre chez le médecin, a attendu deux mois avant de consulter, quand bien même il ne « mangeait plus ». Et, s’il l’a fait, c’est uniquement parce que sa fille l’y a poussé. Luc Boltanski a bien montré que les membres des différentes catégories sociales ne perçoivent pas de la même manière les sensations corporelles. Dans les classes populaires, la résistance à la souffrance physique est une valeur. Porter une trop grande attention au corps est mal vue, tout comme ceux qui « s’écoutent trop » et passent leur « vie chez le médecin » (Boltanski, 1971, p. 219 ; Schwartz, 1990). Or, si cette résistance participe à une reconnaissance tardive de la maladie, elle contribue aussi à ce qu’émerge un rapide sentiment de retour à la normale, dès lors que les symptômes sont atténués. Autrement dit, elle permet de s’en distancier plus rapidement.

52Si ces enquêtés évoquent peu leurs séquelles post-thérapeutiques, cela ne signifie pas qu’elles ne sont pas présentes, mais qu’ils les relativisent davantage. Comme l’ont montré Aude Béliard et Jean-Sébastien Eideliman (2014), le rapport aux incapacités répond à des logiques sociales. Si les membres des classes populaires disent qu’ils ne « savent plus », ceux des classes supérieures diront qu’ils ne « peuvent plus ». « D’un côté, ces incapacités sont donc rapportées à un savoir insuffisant, à une déficience en quelque sorte intrinsèque, tandis que de l’autre elles sont imputées à une atteinte extérieure au sujet qui le limite dans les facultés qu’il possédait auparavant » (idem, p. 518). Autrement dit, les membres des classes populaires ont un rapport fataliste aux incapacités qui permet qu’elles soient mieux acceptées.

53D’ailleurs, la plupart du temps, lorsqu’il s’agit de minimiser le traumatisme, c’est l’âge qui est mis en avant. Gilbert, par exemple, s’estime chanceux d’avoir des séquelles moins lourdes que d’autres et relativise :

54

Des fois on voit des gars arrangés comme ça, on se dit si j’y vais je vais me retrouver comme ça…, bon moi ça a été quand même […] c’est dans le creux, ça ne se voit pas […] Et puis moi j’ai 60 ans hein…, j’ai plus 20 ans…

55Robert, quant à lui, s’il reconnaît qu’il est à présent plus limité, relativise aussi :

56

Disons que je ne peux plus faire ce que je faisais avant, avant j’étais dans le bâtiment, mais pour moi c’est raté je n’ai plus…, je n’ai plus la force pour faire du béton et tout, c’est fini pour moi…, j’ai 60 ans quand même…

57Or, il est remarquable que le même argument soit mobilisé par nos enquêtés du premier groupe afin d’expliquer a contrario leur difficulté à admettre leurs séquelles post-thérapeutiques. Nadine [36], par exemple, remarque qu’à 65 ans, « quand on est jeune », être limité est « dur à admettre » alors qu’elle pourrait le concevoir « à 80 ans ». Cette idée est également développée par Christiane : « Faut se dire, parce qu’il faut du temps, ben ça ne reprendra jamais […] puis j’étais encore jeune ». Nadine (60 ans) et Christiane (57 ans) ne sont pourtant pas plus jeunes que Gilbert (60 ans) et Robert (57 ans) [37].

58Ce processus de relativisation est donc socialement situé. Aussi faut-il nuancer l’idée selon laquelle : « la rupture que représente la maladie n’a pas le même sens selon l’âge », car s’il est exact que « les transformations et atteintes corporelles » sont d’autant plus douloureuses que l’on est jeune (Mino & Lefève, 2016, p. 85), il ne faut pas oublier que les significations de la jeunesse et de la vieillisse ne sont pas partout identiques (Bourdieu, 1980). Les membres des classes populaires admettent plus facilement que leurs corps se détériorent avec l’avancée en âge, car cela correspond à leurs expériences ordinaires. Pour eux, le vieillissement est souvent synonyme d’incapacités. Les différences d’espérances de vie et d’espérances de vie sans incapacité entre les ouvriers et les cadres en témoignent (Cambois et al., 2008).

59Ajoutons, en outre, que pour la plupart de ces enquêtés, le mot cancer renvoie à « la souffrance et la mort » (Brassart & Niewiadomski, 2008, p. 212). Nombre d’entre eux n’étaient guère optimistes quant à leurs chances de survie, en raison de leurs expériences sociales et familiales. Ils sont en effet nombreux à évoquer des histoires personnelles aux dénouements sombres [38], comme Pierre-Marie [39] dont le père et le frère sont tous les deux décédés des suites d’un cancer.

60Dès lors, la plupart jugent être des survivants chanceux. Didier, par exemple, remarque qu’il a « de la chance » car il est « encore là ». Gilbert considère qu’il a eu du « bol » et Guy indique, quant à lui, qu’il a été « sauvé ». Puisqu’ils se pensaient condamnés, ils se perçoivent finalement comme miraculés. Par conséquent, alors que pour nos enquêtés du premier groupe il était question de faire le « deuil de soi », beaucoup mentionnent ici, à l’instar de Robert, la « nouvelle vie » qui leur a été offerte.

61Ces enquêtés minimisent le traumatisme et relativisent les séquelles. La « résignation à l’inévitable » des classes populaires en tant que « forme d’adaptation à la nécessité et, par là, d’acceptation du nécessaire » (Bourdieu, 1979, p. 433), contribue finalement à ce que l’expérience du cancer ne soit pas interprétée comme une rupture biographique (Bury, 1982). Pour ces patients, le cancer est rarement le seul problème, ni même le plus important. Au quotidien, d’autres événements et périodes de crise ont été et seront à surmonter. Habitués « aux interruptions de routines quotidiennes », ils disposent de « dispositifs d’affrontement », c’est-à-dire de ressources acquises dans la socialisation préalable qui leur permettent d’amortir les ruptures. « La pluralité des transitions peut [en effet] faciliter l’expérience de passant » (Glaser & Strauss, 1971, p. 175). La maladie cancéreuse s’inscrit donc dans la « trame routinière de l’existence », non comme une rupture mais plutôt comme « un incident de parcours » parmi d’autres (Javeau, 2006, p. 232).

Qu’en est-il de Damoclès ?

62Si la peur d’un retour de la maladie constitue le second obstacle au sentiment de guérison, ce risque est lui aussi rarement évoqué par ceux qui disent avoir tourné la page. Pourtant, il est particulièrement élevé en ce qui concerne nos enquêtés du second groupe qui pour la plupart ont été atteints de cancers des VADS pour lesquels les taux de récidive sont importants [40].

63Puisque ce risque est une notion médicalement construite, sa faible expression dans les classes populaires peut s’expliquer en partie par leur plus grande distance à l’univers médical. Des études ont en effet montré que la qualité de la relation médecin-malade croît au fur et à mesure que l’on s’élève dans la hiérarchie sociale (Boltanski, 1971 ; Fainzang, 2006). Les membres des classes supérieures utilisent des catégories de pensée similaires à celles des médecins avec lesquels ils entretiennent des rapports de familiarité. Ces éléments favorisent la bonne diffusion du savoir médical, qui est d’autant plus importante que le malade est situé en haut de l’échelle sociale. Les consultations auxquelles nous avons pu assister étaient ainsi plus longues avec les patients dont les catégories socioprofessionnelles étaient élevées [41]. Une telle corrélation a également été mise en évidence par une étude de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques sur les médecins généralistes libéraux (DRESS, 2006).

64Ajoutons en outre, qu’en cancérologie, il est fréquent que les médecins qui suspectent une lésion avancée en disent peu, voire même adoptent des attitudes rassurantes qui peuvent encourager les patients à minimiser leurs problèmes (Fainzang, 2006, p. 71-73). C’est particulièrement le cas avec les patients de milieux populaires qu’ils jugent moins aptes à recevoir l’information et à supporter une mauvaise nouvelle (idem, p. 48).

65Tous ces éléments contribuent à ce que les patients de classes populaires soient moins bien informés et plus souvent maintenus dans l’illusion. Il existe par conséquent d’importantes inégalités sociales en matière d’information (idem) et les populations modestes font preuve d’une moins bonne maîtrise de leur parcours (Bataille, 2003). Aussi n’est-il pas surprenant qu’ils méconnaissent davantage les risques de récidive. Pierre-Marie [42] par exemple ne sait pas exactement combien de temps dure la période de rémission : « Je crois que la rémission c’est, ça dure […] il me semble que c’est 3 ans ou 5 ans, je ne sais plus. » Gilbert [43] quant à lui, doute que son cancer puisse revenir :

66

Je ne pense pas que ça reviendrait, ça a mis combien d’années pour avoir ça..., ça vient de la cigarette, mais si ça a mis 40 ans même si je refume dans 40 ans j’aurai 100 ans ! Alors ça ne serait vraiment pas de bol, puis je ne serais plus là à 100 ans !

67Enfin, si les patients sont régulièrement incités à s’auto-surveiller, Guy affirme de son côté que son chirurgien lui a conseillé de ne pas s’inquiéter s’il avait mal, quand bien même il avait « l’impression d’avoir le cancer ».

68Patrick Peretti-Watel et ses collègues (2008, p. 81) observent de la même manière que les patients qui déclarent que leur médecin leur a dit qu’ils étaient guéris alors qu’ils sont en rémission, font partie des moins diplômés. Il est donc possible que pour certains le sentiment de guérison résulte aussi « d’une incompréhension ». Aussi, si certains n’évoquent pas les risques de récidive, c’est en partie parce qu’ils les méconnaissent. Toutefois, si cette méconnaissance favorise le sentiment de guérison, elle n’en est pas une condition sine qua non. Quelques enquêtés de notre second groupe en ont, en effet, parfaitement connaissance. Ils s’attachent néanmoins à les relativiser, comme Gilbert qui bien qu’il doute que son cancer puisse revenir, indique « qu’il faut passer le cap des cinq ans ».

69Dans la mesure où craindre la récidive suppose d’avoir une vision du temps long, comprendre cette attitude suppose aussi d’examiner la question du rapport au temps. En effet, « comment se projeter dans la durée lorsque l’on n’est déjà pas sûr du lendemain ? » (Aïach, 2010). La littérature montre ainsi, d’une part, que le rapport au temps n’est pas le même d’un milieu social à l’autre et, d’autre part, que les conduites sanitaires mettent en jeu des types d’attitudes différents face au temps (Boltanski, 1971 ; Grossin, 1974). La capacité à se projeter dans le futur est souvent présentée comme le propre des classes supérieures. « L’attitude à l’égard de l’avenir est [en effet] une attitude de la vie quotidienne et non une caractéristique de l’individu sans rapport avec cette vie quotidienne » (Grossin, 1974, p. 293). Les conditions objectives dans lesquelles se meuvent les membres des classes populaires, en particulier l’insécurité économique, leur imposent ainsi « l’intériorisation d’un éthos » et d’une « attitude à l’égard du temps » qui leur interdit d’adopter une attitude de prévision face à la maladie (Boltanski, 1971, p. 222). William Grossin observe dès lors que : « La vie se situe plus souvent dans le présent, pour les [ouvriers] que pour aucune autre catégorie. » Certains éprouvent ainsi des « difficultés [à] inscrire la maladie dans une dimension temporelle ». Par conséquent, « dès lors qu’ils semblent rétablis, les plus démunis n’envisagent que très peu les rechutes possibles » (Dambuyant-Wargny, 2006, p. 198). On comprend donc doublement, les raisons pour lesquelles la crainte d’un retour de la maladie est plus répandue dans les catégories aisées qui, d’une part, sont mieux informées et, d’autre part, ont des conditions d’existence qui leur permettent de se projeter dans l’avenir et donc de craindre un retour de la maladie.

Le sens de la guérison : une question de genre ?

70Comme nous venons de le voir, les appartenances de classe façonnent le vécu de la guérison. Toutefois, nos résultats indiquent qu’à ces différences de classe s’ajoutent également des différences liées au genre. Si un consensus existe désormais pour distinguer quatre grands modes de classement [44] selon lesquels s’opèrent les processus de différenciation et de hiérarchisation sociales, nous proposons d’examiner plus spécifiquement l’articulation des rapports sociaux de « classe » et de « sexe », au détriment de ceux liés à « l’âge » ou à la « race », en raison de nos terrains d’enquête [45]. Les théorisations de l’intersectionnalité ont en effet montré tout l’intérêt de penser l’articulation et la co-construction des rapports sociaux (Crenshaw, 1989 ; Galerant & Kergoat, 2014).

71Si les enquêtés dont la vie a été bouleversée par la maladie sont principalement des membres des classes moyennes et supérieures, ce sont aussi très majoritairement des femmes (21 sur 27). A contrario, ceux qui disent avoir « tourné la page » sont surtout des hommes (7 sur 8). Femmes et hommes se distinguent et l’articulation des différences de genre et de milieu social semble complexe. Ces différenciations sont, en effet, particulièrement visibles au sein des classes populaires. Si, parmi nos enquêtés, quelques hommes expriment l’idée d’une vie bouleversée, ils sont exclusivement issus des classes moyennes et supérieures. Aucun homme rencontré dans les classes populaires n’exprime cette idée. En revanche, concernant les femmes les clivages sont moins tranchés puisqu’au sein des classes populaires quelques-unes (3) expriment le sentiment d’une vie bouleversée [46]. Au sein des classes de sexe [47], les différences sont donc plus fortes chez les hommes. Ce résultat corrobore l’idée selon laquelle la différenciation des expériences selon le genre est plus marquée dans les milieux populaires (Baudelot et al., 1999 ; Coulangeon, 2004 ; Béliard & Eideliman, 2014). Pour le comprendre, il convient, nous semble-t-il, de traiter des différences de culture somatique et d’habitus physique entre les hommes et les femmes (Boltanski, 1971 ; Bourdieu, 1977). Leur conditionnement social en la matière diffère en effet profondément.

72Les règles qui gouvernent le rapport que les membres des classes populaires entretiennent avec leur corps « s’imposent avec moins de force aux femmes » (Boltanski, 1971, p. 224). Le rapport que les femmes des classes populaires entretiennent avec leur corps tend ainsi à se rapprocher de celui des hommes de classes supérieures. « Tout se passe comme si le rapport au corps des membres des classes populaires et des membres des classes supérieures reproduisait l’opposition du rapport au corps des hommes et des femmes » (idem).

73Les femmes présentent par conséquent un rapport au corps moins distancié, « plus varié, plus riche, plus réflexif et plus intériorisé » que les hommes pour qui il serait plus « instrumental » et « extérieur » (Aïach, 2001, p. 139-140). Ces derniers ont, en effet, intégré des valeurs en lien avec la virilité qui se traduisent par un rejet des « signes de faiblesse », à l’instar de l’écoute de soi ou encore d’une trop grande attention au fonctionnement du corps et de l’esprit. « Plus attentives […] à leurs sensations morbides », les femmes identifient leur symptomatologie et recourent à la médecine plus rapidement que les hommes, quelle que soit leur classe sociale (Boltanski, 1971, p. 224). Dès lors, il n’est guère surprenant qu’elles ressentent davantage les séquelles de leurs traitements qui, nous l’avons vu, constituent un obstacle majeur au retour à une vie normale. Des différences significatives ont en l’occurrence été mises en évidence entre les hommes et les femmes sur ce point. L’enquête VICAN2 indique que trois personnes sur cinq estiment avoir conservé des séquelles de leur cancer. La fatigue constitue le symptôme le plus souvent rapporté. Elle concerne 59,8 % des femmes contre 36,9 % des hommes. Ces dernières évoquent aussi plus souvent des douleurs (75,5 % vs 52,8 %) (INCa, 2017, p. 202).

74À ces différences de rapport au corps, s’ajoutent en outre des différences de culture médicale. « La socialisation inscrit le caring comme un ingrédient de l’identité féminine » (Saillant, 1992, p. 96). Les femmes « prennent en charge l’écrasante majorité des soins profanes aux jeunes enfants, aux malades, aux personnes en perte d’autonomie ou dépendantes. Le soin profane fait partie des rôles féminins (de fille, de mère d’épouse, de voisine, d’amie…) » (Cresson, 2006). Cette délégation des soins aux femmes les amène à être plus souvent en contact avec le système de soins que les hommes. Elles sont ainsi « plus nombreuses à déclarer consulter des médecins généralistes ou spécialistes et à recourir à la prévention » (Montaut, 2010, p. 1). « En rapport avec ce rôle de gestionnaire de la santé familiale, se manifeste chez la femme un intérêt pour ce qui s’y rapporte. » Les magazines grand public sur la santé en témoignent puisqu’ils sont majoritairement destinés aux femmes (Aïach, 2001, p. 141). De la même manière, une étude de l’INCa (2014) indique que les femmes sont plus actives que les hommes lorsqu’il s’agit de rechercher des informations complémentaires. Les femmes disposent par conséquent d’une culture médicale plus importante que les hommes. Dès lors, elles sont sans doute moins nombreuses à méconnaître les risques de récidive dont on a vu qu’ils font eux aussi obstacles au sentiment de guérison.

75Les différences d’habitus corporel et de culture somatique entre les hommes et les femmes ont donc des conséquences sur leurs expériences et représentations de la guérison. Les femmes qui présentent un rapport au corps moins distancié et une culture médicale plus importante considèrent plus souvent que la vie après le traitement reste marquée par la maladie, y compris au sein des classes populaires. Aux rapports sociaux de classe s’ajoutent ainsi des rapports sociaux de sexe qui façonnent, eux aussi, les expériences de guérison. Les femmes de classes populaires ont une meilleure connaissance des normes de santé que leurs homologues masculins, qui permet d’expliquer pourquoi les inégalités sociales face au cancer sont moins marquées chez elles que pour les hommes [48]. Elles sont toutefois tiraillées entre ces normes, des contraintes quotidiennes et des habitudes familiales qui font obstacle à leur bonne mise en œuvre. C’est pourquoi, nos enquêtés qui se situent plutôt dans une situation « d’entre-deux » où la guérison n’est ni complètement acquise, ni complètement impossible, sont surtout des femmes (3 sur 4) issues des classes populaires (3 sur 3). Ces données viennent donc nourrir l’idée selon laquelle, dans le domaine sanitaire, le fait d’être une femme compense d’une certaine manière l’appartenance sociale (Jöel & Rubio, 2015, p. 92).

Conclusion

76Comme l’expérience de la maladie, celle de la guérison n’est pas uniforme et chaque espace social en produit sa propre définition. Le vécu du cancer, tel qu’il est classiquement décrit en sociologie – comme une « maladie destructrice », induisant une « rupture biographique », modifiant le rapport au corps de l’individu, mais aussi son rapport à lui-même et le conduisant à se repenser et à opérer un travail de reconstruction identitaire (Bury, 1982 ; Herzlich 1984 ; Mathieson & Stam, 1995 ; Kernan & Lepore, 2009) – a un ancrage social. Il est fidèle à l’expérience des classes moyennes et supérieures et des femmes, mais bien moins à celui des classes populaires et des hommes.

77Si, la guérison renvoie à un retour à la normale, il y a, comme l’a montré Claudine Herzlich (1969), un caractère profondément social à cette normalité. Les expériences et les représentations du guérir sont façonnées à la fois par des effets de classe et de sexe.

78À la lumière des éléments présentés, on pourrait paradoxalement conclure à une difficulté plus grande dans l’après-cancer pour les femmes et les membres des catégories supérieures. Plus qu’ailleurs, l’après-cancer y prend la forme d’une épreuve et d’un bouleversement. Hélène Lecompte (2013, p. 341) observe ainsi que « les anciens malades issus des classes populaires évacuent leurs émotions, donnant [ainsi] l’impression que les répercussions de cette expérience passée sont moindres, voire nulles ». Pourtant, si les populations modestes font part de moindres difficultés, ce sont elles qui, « objectivement », sont confrontées aux plus grandes. Des études récentes témoignent de l’effet aggravant d’un cancer pour les personnes en situation de précarité (INCa, 2014). Diagnostiquées plus tardivement, elles présentent des séquelles plus lourdes qui handicapent plus fortement le retour au cours normal de la vie. Elles sont plus souvent concernées par des « trajectoires invalidantes » qui laissent des stigmates définitifs. Elles rencontrent de plus grandes difficultés pour se réinsérer professionnellement. Les revenus de leurs ménages sont les plus fortement impactés. Enfin, ce sont elles qui présentent les risques de rechute les plus importants (INCa, 2014). Ces catégories s’empareront, en outre, moins spontanément des ressources existantes pour aider à se rétablir. Moins bien informées sur leurs droits, elles bénéficieront, par conséquent, plus rarement des aides à disposition (Warin, 2013). Initialement fragiles, elles voient donc le cancer aggraver leur vulnérabilité et dégrader davantage leurs situations. Inégaux dans la maladie, nous le sommes donc aussi dans le rétablissement et la guérison.

79Par ailleurs, si les soignés qui expriment le sentiment d’une vie bouleversée mentionnent de nombreuses difficultés dans l’après, ils évoquent aussi, simultanément, les transformations positives induites par la maladie. Le cancer n’y est pas toujours abordé comme un événement négatif, mais est aussi présenté comme une valeur ajoutée du fait d’un sentiment de transformation personnelle. « Paradoxalement, si elle est dramatique, l’expérience de la maladie grave peut également impulser des dynamiques positives dans la construction de soi. En effet, les patients décrivent une grande souffrance mais énoncent en même temps une certaine satisfaction à avoir réalisé un travail profond d’introspection et avoir connu une situation inédite de questionnement existentiel » (Derbez & Rollin, 2016, p. 87). Ce questionnement existentiel n’est pas mené par tous, mais concerne surtout les membres des classes moyennes et supérieures. Hélène Lecompte observait ainsi que les enfants issus des classes moyennes et supérieures abordent plus spontanément leurs transformations morales (Lecompte, 2013, p. 316). Pour l’auteure, « l’inégale acquisition des connaissances et des savoirs détermine la relecture de la carrière et la capacité des individus à se saisir de leur histoire, […] la classe sociale détermine la manière dont les individus peuvent se réapproprier et expliciter leur expérience » (idem, p. 331). L’importance donnée au sein des groupes sociaux dotés de capital culturel au travail sur l’intériorité dispose donc leurs membres à retourner positivement le sens de l’épreuve (Martuccelli, 2006) et à l’inscrire dans un travail de construction biographique [49].

Notes

  • [1]
    Ce terme fait référence à celui de survivor utilisé dans la littérature anglo-saxonne mais peu mobilisé en France où il fait écho aux rescapés des camps de la mort.
  • [2]
    Il intègre en effet dans ses objectifs la préservation de la « continuité et de la qualité de vie ».
  • [3]
    Ces travaux ont, pour la plupart, exploré cette thématique sous l’angle privilégié de la santé mentale (Déchamp-Le Roux & Rafael, 2015 ; Demailly & Garnoussi, 2016). Quelques-uns portent également sur la cancérologie. Certains étudient cette expérience concernant des populations bien définies, telles que les femmes touchées par un cancer du sein (Minot & Lefève, 2016) ou les personnes atteintes par un cancer durant leur enfance ou leur adolescence (Hardy & Lecompte, 2009 ; Hardy, 2013 ; Lecompte, 2013), tandis que d’autres traitent de dimensions spécifiques de cette expérience comme, par exemple, le retour à l’emploi (Tarantini et al., 2014).
  • [4]
    Les prénoms des enquêtés ont été modifiés de sorte à préserver leur anonymat ; Charles, environ 70 ans, cancer de la prostate et mélanome, milieu favorisé, groupe de parole ville A, juin 2013.
  • [5]
    Didier, 52 ans, cancer oropharynx et œsophage, magasinier, conjointe secrétaire médicale, entretien août 2015.
  • [6]
    Nous utilisons ici le terme de « soigné », emprunté à Philippe Bataille, pour désigner les personnes ayant eu une expérience de cancer : malades ou anciens malades. Ce terme fluctue entre la maladie et la guérison sans se fixer sur l’une ou l’autre et est accepté par ceux qu’il désigne (Bataille, 2003, p. 169).
  • [7]
    Monique, 63 ans, cancer des ovaires, décompteur analyste, entretien décembre 2014.
  • [8]
    Robert, 57 ans, cancer du plancher de bouche, agent d’entretien sur la voirie, entretien juillet 2015.
  • [9]
    Cette thèse a bénéficié d’un financement de la Région Nord-Pas de Calais.
  • [10]
    Nos classes supérieures sont composées des « chefs d’entreprises de 10 salariés ou plus » et des « cadres et professions intellectuelles supérieures ». Nos classes moyennes regroupent une partie des employés : « employés civils de la fonction publique » ; « policiers et militaires » et « employés administratifs d’entreprise » ainsi que les « agriculteurs exploitants », les « artisans », « commerçants et assimilés » et les « professions intermédiaires ». Enfin, nos classes populaires regroupent les « ouvriers » et une partie des employés : « personnels des services directs aux particuliers », « employés de commerce » et « agents de service de la fonction publique ».
  • [11]
    L’âge moyen des personnes rencontrées est de 59 ans et l’âge médian de 60 ans.
  • [12]
    Les RCP réunissent des médecins de différentes spécialités afin de décider, en concertation, de la ligne thérapeutique à adopter pour chaque patient.
  • [13]
    Adrien, 25 ans, maladie de hodgkin, infirmier, entretien décembre 2014.
  • [14]
    Didier, 52 ans, cancer oropharynx et œsophage, magasinier, conjointe secrétaire médicale, entretien août 2015.
  • [15]
    Guy, 69 ans, cancer du poumon et de la prostate, menuisier, sa conjointe fait des ménages chez des particuliers, entretien mai 2015.
  • [16]
    Prostate et poumon.
  • [17]
    Christiane, 60 ans, cancer du colon-rectum, garde d’enfants à domicile, entretien juin 2013.
  • [18]
    Julie, 35 ans, cancer de l’utérus, conjoint auto-entrepreneur, groupe de parole ville B, novembre 2013.
  • [19]
    Paulette, environ 75 ans, cancer du sein, milieu favorisé, groupe de parole ville A, octobre 2014.
  • [20]
    Martine, 70 ans, cancer du sein, représentante, conjoint représentant, mariée, 3 enfants, entretien décembre 2013, membre Ligue ville A.
  • [21]
    Nadine, 65 ans, cancer de la moelle osseuse, institutrice, conjoint instituteur, entretien juillet 2013.
  • [22]
    Lucie, 64 ans, cancer du sein, agent de cantine, conjoint commercial, mariée, 2 enfants, groupe de parole ville A, juillet 2013.
  • [23]
    Raymonde, environ 70 ans, cancer du sein, milieu favorisé, groupe de parole ville A, mai 2013.
  • [24]
    Nadine, 65 ans, cancer de la moelle osseuse, institutrice, conjoint instituteur, entretien juillet 2013.
  • [25]
    Par exemple, Annick (8 ans), Laurence (9 ans), Lise (17 ans), Monique (7 ans).
  • [26]
    Par exemple, Didier (3 ans), Robert (3 ans), Gilbert (2 ans), Guy (dont les deux cancers sont toujours actifs).
  • [27]
    Graziella, 60 ans, cancer du sein, secrétaire de direction, entretien février 2014.
  • [28]
    Colette, 65 ans, cancer du sein, milieu populaire, divorcée, 2 enfants, membre Ligue ville B, octobre 2014.
  • [29]
    Didier, 52 ans, cancer oropharynx et œsophage, magasinier, conjoint secrétaire médicale, entretien août 2015.
  • [30]
    Gilbert, 60 ans, cancer du plancher buccal, soudeur, entretien août 2015.
  • [31]
    Robert et Gilbert ont eu une pelvimandibulectomie interruptrice (PMI) et Didier une buccopharyngectomie transmandibulaire (BPTM). Robert a également bénéficié d’une radiothérapie et Didier d’une chimiothérapie et d’une radiothérapie puis d’une chirurgie par robot. Tous les trois ont eu un curage ganglionnaire.
  • [32]
    Annick, 68 ans, cancer du sein, secrétaire médicale, conjoint informaticien, entretien février 2014.
  • [33]
    Lise, 61 ans, cancer du sein, « responsable de la littérature » dans une librairie, entretien février 2014.
  • [34]
    Laurence, 52 ans, cancer des ovaires, secrétaire de collège, entretien février 2014.
  • [35]
    Annick est en rémission depuis 8 ans, elle a eu une tumorectomie (pas d’ablation) puis une hormonothérapie qui est terminée, Monique est en rémission depuis 7 ans elle a eu une hystérectomie et une chimiothérapie, Lise est en rémission depuis 17 ans, elle a eu une tumorectomie, une chimiothérapie et des rayons, Laurence est en rémission depuis 9 ans, elle a eu une hystérectomie, une chimiothérapie et une radiothérapie.
  • [36]
    Nadine, 65 ans, cancer de la moelle osseuse, institutrice, conjoint instituteur, entretien juillet 2013.
  • [37]
    Christiane a eu son cancer à 52 ans, Nadine à 53 ans, Robert à 55 ans et Gilbert à 58 ans.
  • [38]
    Ce phénomène est particulièrement frappant en ce qui concerne nos enquêtés issus des classes populaires. Renée évoque sa nièce de 18 ans et son frère qui sont tous les deux décédés, Philippe a perdu son père, ses deux frères et sa mère de cette manière, Patrick signale qu’il n’a « que ça dans la famille » et parle notamment de son père, Gilbert souligne que ses deux parents ont eu un cancer ainsi que l’une de ses sœurs, etc., J. Brassart et C. Niewiadomski évoquent de la même manière une « culture de la mort “dans la force de l’âge” » qui s’est enracinée dans la vie des hommes et des femmes ouvriers du Valenciennois où « toutes les familles ont connu, à un moment à un autre de leur existence, des drames liés à la maladie, à la souffrance et à la mort » (Brassart & Niewiadomski, 2008, p. 208).
  • [39]
    Pierre-Marie, 59 ans, cancer de l’oropharynx, fraiseur-outilleur, conjoint sans activité, entretien décembre 2015.
  • [40]
    Les risques de récidive sont plus élevés après un cancer VADS qu’après un cancer du sein. Ce risque est, en effet, multiplié par 4 par rapport à la population générale (3,89 chez l’homme et 3,43 chez la femme) contre 1,31 pour le cancer du sein (INCa, 2017).
  • [41]
    Les consultations pluridisciplinaires des RCP (n = 132) sont en moyenne plus longues avec les membres des catégories moyennes (9 min) et supérieures (11 min) qu’avec ceux des classes populaires (8 min). En cancérologie VADS (n = 157), les consultations sont en moyenne plus longues avec les membres des catégories supérieures (17 min) et moyennes (14 min) qu’avec les membres des classes populaires (12 min).
  • [42]
    Pierre-Marie, 59 ans, cancer de l’oropharynx, fraiseur-outilleur, conjoint sans activité, marié, sans enfant, entretien décembre 2015.
  • [43]
    Gilbert, 60 ans, cancer du plancher buccal, soudeur, divorcé, 2 enfants, entretien août 2015.
  • [44]
    L’ordre social fixe la place de chacun en fonction des ensembles collectifs auxquels il appartient du fait de sa « place dans le processus de production », mais également de son âge, de son sexe et de « son origine et de son appartenance culturelle ou nationale » (Simon, 1997).
  • [45]
    La plupart de nos enquêtés étaient en effet « blancs » et « âgés ». L’âge médian au diagnostic d’un cancer est en effet assez élevé : 68 ans chez l’homme et 67 ans chez la femme (INCa, 2017). Dès lors, il serait intéressant d’investiguer par la suite la manière dont ces caractéristiques sociales peuvent elles aussi impacter, ou non, l’expérience de la guérison.
  • [46]
    Il s’agit de Christiane, de Colette et de Marie-Claude.
  • [47]
    Cette notion de « classe de sexe » a été forgée par les féministes matérialistes afin de montrer que « les sexes ne sont pas de simples catégories biosociales, mais des classes (au sens marxien) constituées par et dans le rapport de pouvoir des hommes sur les femmes » (Mathieu, 2004), autrement dit la classe et le sexe structurent les rapports de domination au sein d’une société en agissant de manière combinée.
  • [48]
    Alors que l’indice relatif d’inégalités (IRI) en fonction du niveau d’études est de 1,9 chez les hommes, il n’est que de 1,2 chez les femmes (Menvielle et al., 2008).
  • [49]
    Nous remercions chaleureusement Michel Castra, Catherine Déchamp-Le Roux, Louis Braverman et les relecteur.rices anonymes de cet article dont les remarques et recommandations nous ont été précieuses. Les imperfections de ce texte restent bien sûr de la seule responsabilité de l’auteure.
Français

Longtemps restée hors du champ d’étude sociologique, la guérison constitue un objet tout à fait heuristique pour mieux comprendre les dynamiques sociales des relations à la corporéité. À partir d’une analyse comparative des récits de guérison de personnes ayant été atteintes d’un cancer, le présent article traitera de la déclinaison sociale des expériences de guérison. Plus précisément, il va s’agir de rendre compte de la façon dont les appartenances de classe et, plus secondairement, de genre façonnent ses significations. L’examen sociologique des logiques d’interprétation montrera que le sens accordé à la guérison relève de rapports au corps, à la maladie, aux médecins et à la médecine ainsi qu’au normal et au pathologique. Dès lors, nous explorerons les différentes dimensions des habitus physiques et des cultures somatiques qui permettent d’éclairer ce façonnement social.

  • santé
  • maladie
  • cancer
  • inégalités sociales
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Aurore Loretti
Docteure en sociologie, Université de Lille, CNRS, UMR 8019
CLERSE – Centre Lillois d’Études et de Recherches Sociologiques et Économiques, F-59000 Lille, France
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Mis en ligne sur Cairn.info le 25/09/2019
https://doi.org/10.3917/socio.103.0267
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