CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Le court texte de Weber, « Les trois types purs de la domination légitime », probablement rédigé entre 1917 et 1920, frappe d’emblée par la limpidité de sa démarche idéal‑typique, l’éclat de sa structure ternaire et la densité de sa réflexion. L’extrême concentration d’une typologie longuement développée par ailleurs, en particulier dans les textes de La domination, publiés pour la première fois l’an dernier en français (Weber, 2013) fait apparaître ici dans une irisation nouvelle de nombreuses analyses familières aux lecteurs de l’œuvre de Weber. Alors que la dimension systémique de cette dernière interroge et fait sens au fur et à mesure des parutions d’une édition allemande complète (MWG), les analyses ici présentes, rédigées il y a presque un siècle, permettent de prendre la mesure d’individuations et d’intrications conceptuelles si vives qu’elles persistent à défier le lecteur d’aujourd’hui, l’invitant une première fois, ou une fois encore, à un travail de réflexion sur la domination légitime, inséparable de la liberté qui la traverse et la contre de façon paradoxale.

2La dimension idéal?typique de ce texte est de très belle facture, avec des arêtes fort tranchées correspondant aux traits saillants d’innombrables réalités factuelles relevés par Weber et condensés, jusqu’à l’épure, afin d’être maniés comme des concepts opératoires rendant possible la compréhension de la complexité empirique des dominations. La brièveté des énoncés renforce l’acuité des éléments qui distinguent, entre elles, dans un type pur et dans un ordre ternaire non fortuit, la domination légale, la domination traditionnelle et la domination charismatique. Il est possible de penser que les premiers éditeurs de ce texte furent sensibles à cette exemplarité méthodologique en décidant de faire figurer ce texte, précédé de ce titre, dans le volume consacré aux essais sur la théorie de la science (WL, 1988).

3La puissance évocatrice du titre « Les trois types purs de la domination légitime » est en effet ici très forte, beaucoup plus qu’elle ne l’est dans l’intitulé d’autres écrits que Weber consacra à la domination, par exemple dans les six textes de La domination (Weber, 2013), rédigés un peu plus tôt, entre 1911 et 1914, ou dans le chapeau du texte « Les types de domination » accessible en français au chapitre III d’Économie et Société (MWG, I/23, ES, 1995, 1971, pp. 285?390). D’autres développements sur la domination, par exemple dans L’éthique économique des religions du monde de 1915 (MWG, I/22?2 ; Weber, 2006a, 2006b) ou encore La profession et la vocation de politique de 1919 (MWG, 1/17 ; Weber, 2003), ne se distinguent pas des analyses plus vastes dans lesquelles ils sont intégrés sans être spécifiquement mis en relief (Sintomer, 2014).

4Bien au?delà du titre et de sa perfection ternaire, qui pourrait apparaître à tort comme un défi dialectique, la pureté idéal?typique est ici sans cesse réaffirmée. Les termes « pur », « purement » apparaissent à vingt?quatre reprises dans ces quelques pages, certaines occurrences étant presque redondantes dans leur désir d’être explicites, comme, par exemple, dans l’introduction où Weber précise d’emblée que : « Il n’existe, sous une forme entièrement pure, que trois fondements de la légitimité de la domination, chacun d’entre eux étant associé – dans un type pur – à une structure sociologique de la direction administrative et des moyens d’administration fondamentalement différente de celle des deux autres. »

5Le travail idéal?typique de Weber est aussi perceptible grâce à la présence récurrente de substantifs introduits par un article défini, ces déictiques étant particulièrement frappants du fait de leur apparition en rangs serrés dans un propos fortement marqué par la condensation et l’abstraction. C’est ainsi que dans la première partie consacrée à la domination légale surgissent en quelques lignes « le maître », « la direction administrative », « la règle codifiée », « le type de fonctionnaire » qui « est celui du fonctionnaire qualifié et spécialisé », ainsi que « l’idéal » et « le devoir d’obéissance » de ce dernier. Le français peine parfois à restituer ces marques fortes et, faute de mieux, « Der Befehlende » est alors traduit par « celui qui donne des ordres ».

6Le souci d’exhaustivité typologique, très sensible du fait de la brièveté de ce texte, est indissociable de sa composante référentielle qui est, ici aussi, particulièrement dense, la culture de Weber étant infiniment singulière dans son universalité. En s’appuyant sur les trois métamorphoses de l’esprit telles que les proclame le Zarathoustra de Nietzsche, il est possible de dire que le propre de l’esprit de Weber est d’apparaître simultanément sous la forme du chameau et sous celle du lion. Sous celle du chameau parce que « sa force réclame de lourds fardeaux, les plus lourds qui soient au monde », et que « ainsi chargé », « il continue de se hâter pour gagner son désert » (« eilt es fort »). Sous celle du lion, parce que celui?ci « veut capturer sa liberté et être le maître de son propre désert » et qu’il est capable de « se créer de la liberté pour créer quelque chose de nouveau » (Nietzsche, 1992). Ce dont se charge l’esprit de Weber, y compris dans ce court texte, c’est d’une immense ère géographique qu’il connaît sous la forme tricontinentale qui lui est habituelle, l’Europe, l’Amérique, l’Asie. Mais c’est aussi toute une charge historique que porte l’esprit de Weber, depuis ses premiers travaux sur l’histoire agraire de la Rome antique (MWG, I/2 ; Bruhns, 2004) et les sociétés commerciales dans les villes italiennes du Moyen Âge (MWG, I/1), jusqu’aux données immédiatement contemporaines, y compris politiques, qu’il ne cesse d’analyser dans une singulière réactualisation.

7C’est donc dans un temps et un espace quasi universels que Weber prend sur lui, y compris dans ce texte si court, presque tous les domaines d’intelligence qu’il a choisi d’endosser, sociologique, juridique, religieux, politique, historique, territorial, militaire et psychologique. Le versant économique de ses analyses (appelé, dit?il, à être développé plus tard) est singulièrement peu présent, la réflexion connaissant de ce fait des inflexions politiques, juridiques et institutionnelles plus prononcées qu’ailleurs. Une remarque méta?idéal?typique figure aussi dans un paragraphe entier dédié à ce que l’on a l’habitude de désigner par neutralité axiologique, ce dernier terme consacré restituant mal celui de Wertfreiheit qui renvoie à une démarche exempte de toute valeur ainsi que Weber le conceptualise dans Le sens de la neutralité axiologique des sciences économiques et sociales (MWG, I/12, WL, p. 475), publié en 1917, lorsqu’il reprend ses travaux sur la domination. (Sur la neutralité axiologique, voir Colliot?Thélène, 2006, pp. 40?47 ; Bruhns, 2009, pp. 107?127 ; Hibou, 2014, pp. 3?11).

8Une des lourdes charges assumées par Weber est précisément de renoncer à porter un jugement de valeur, une démarche indissociable de l’élaboration de l’idéaltype et exemplifiée à dessein dans ce texte lorsqu’il précise que : « Il va de soi que l’expression « charisme » est employé ici dans un sens exempt de valeur (wertfrei). Pour la sociologie, les accès de fureur maniaque du Berserk nordique, les miracles et les révélations de n’importe quelle obscure prophétie, les dons démagogiques de Cléon, sont tout autant charismatiques que les qualités d’un Napoléon, d’un Jésus ou d’un Périclès. Car la seule chose décisive pour nous est de savoir si ces qualités avaient valeur de dons charismatiques et produisaient, en tant que tels, réellement des effets, s’ils rencontraient donc, en tant que tels, de la reconnaissance ».

9Ce parti pris de ne pas en avoir n’exclut pas une recherche ciblée. Il serait possible en ce sens de parler de la dimension léonine de l’esprit de Weber qui « veut capturer sa liberté » sans renoncer à la rigueur et à la contrainte méthodiques de l’idéaltype, dans un mélange conscient de libre soumission aux règles qu’il s’est fixées et de choix intentionnel d’objets à investir pour aller à ce qui lui semble essentiel. Ainsi, l’ordre dans lequel apparaissent les trois types purs de la domination légitime n’est pas fortuit, Weber prenant la peine de souligner ailleurs, dans « Les types de domination », par une remarque préliminaire, que : « C’est intentionnellement que nous partons ici de la forme spécifiquement moderne de l’administration pour confronter ensuite les autres à elles » (MWG, I/22?2, ES, p. 290). L’intérêt premier de Weber apparaît ici explicitement, et c’est aussi la confrontation rigoureuse de plusieurs éléments, inhérente au maniement de l’idéaltype, qui lui permet de déployer toute la puissance heuristique de ce dernier. Il est frappant de voir dans la citation qui va suivre comment Weber balaie d’un rapide faisceau de lumière les trois types purs de la domination légitime, afin, par comparaison, par appariement, par opposition et par soustraction, d’aller chercher ce qui semble donner sens à sa recherche. Deux marqueurs permettent d’identifier ce travail idéal?typique de mise en relation, l’emploi de structures comparatives et de termes renvoyant à l’absence, observables aussi dans ce beau précipité spéculatif qui vient conclure la seconde partie du texte consacrée au type pur de la domination traditionnelle. En quelques lignes qui pourraient sembler très abruptes, Weber cherche à identifier dans la direction administrative de la domination traditionnelle, qu’elle soit de type statutaire ou de type patriarcal, la présence, ou non, de ce qui pourrait se rapprocher des fondements juridiques et de la discipline propres à la domination légale et rationnelle qu’il vient de décrire dans la première partie de son texte, en insistant sur le fait qu’en relation avec le « développement de l’État moderne » et « l’évolution du capitalisme avancé », « la part des formes de domination bureaucratique augmente partout ». Comme souvent par ailleurs, il s’agit pour lui de confronter deux éléments a et b, pour y chercher la présence ou non d’une donnée x, qui lui semble essentielle pour un autre élément c, a étant ici la domination statutaire, b la domination patriarcale, c la domination légale, et x étant la présence, ou non, d’un fondement juridique dans la direction administrative d’une domination. Puis, en introduisant un autre objet, y, la discipline propre à la direction administrative, il s’agit pour lui de nouveau d’aller chercher dans a, la domination statutaire, et dans b, le patriarcalisme, ce qui peut informer c, la domination bureaucratique?légale : « Les dominations statutaires de toute sorte reposant sur une appropriation plus ou moins stable du pouvoir administratif (a) sont plus proches de la domination légale (c) que ne l’est le patriarcalisme (b), dans la mesure où en vertu des garanties qui entourent ce qui est du ressort des privilégiés, elles ont le caractère d’un “fondement juridique” de nature particulière (x) (une conséquence de la “séparation statutaire des pouvoirs”, x), lequel est absent des configurations patriarcales et de leurs administrations entièrement livrées à l’arbitraire du maître (b ?x). D’un autre côté, dans le patriarcalisme (b), la discipline rigide (y) et l’absence de droit propre à la direction (?x) sont techniquement plus proches de la discipline, liée à la fonction (y), de la domination légale (c), que ne l’est l’administration des configurations statutaires (a), morcelée par l’appropriation, et de ce fait, stéréotypée (?y), et l’emploi, en Europe, de plébéiens (juristes) (b’ : x’, y’) au service d’un maître anticipe carrément l’État moderne » (c’).

10Une généalogie non linéaire, non mécanique et non dialectique apparaît ici, afin d’aller chercher partout, dans l’espace et dans le temps, et pour ainsi dire in nucleo, tout ce qui peut venir informer la rationalisation propre à l’administration et à l’État modernes. La pluralité des imputations causales est de fait garante de liberté, alors qu’aucun ordre chronologique, qu’aucune nécessité d’ordre téléologique n’existe entre les trois types purs de la domination légitime, et que toute expression susceptible de renvoyer à une détermination trop brutalement univoque, qu’elle soit de type matérialiste ou idéaliste, est soigneusement évitée par Weber. Ainsi lorsqu’il écrit que « le concept d’autorité administrative doit son apparition aux corps collégiaux qui ont contribué de façon essentielle au développement de la forme légale de la domination ». Il lui arrive même d’assortir le verbe bedingen, qui dénote le conditionnement et les conditions de possibilités, d’un mit, chargé de souligner qu’il ne peut s’agir que d’un cofacteur. Ainsi dans la remarque suivante, soulignant le caractère fondamental, « pour la sociologie de l’époque pré?bureaucratique », de la distinction entre la structure patriarcale et la structure statutaire : « Historiquement c’est ce qui a, en premier lieu, en partie conditionné la question de savoir s’il existait des “groupes statutaires” porteurs de biens culturels, et si oui, de quels groupes il s’agissait. »

11Cette immense liberté d’investigation au cœur de la contrainte idéal?typique, cette tension entre visée de sens et complexité du réel est en partie théorisée à la fin de l’étude portant sur L’Objectivité en matière de science et de politique sociales datant de 1904 (MWG, I/7, WL 1988, pp. 211?214 ; Weber, 1965, pp. 117?213). Weber exige alors « de l’historien ou du sociologue » […] « qu’il sache distinguer ce qui est essentiel de ce qui ne l’est pas, et que pour y parvenir, il possède les “points de vue” nécessaires », […] « qu’il comprenne, inconsciemment ou consciemment, comment mettre ce qui se passe dans la réalité en relation avec des “valeurs culturelles” universelles, pour mettre ensuite en évidence les relations, les contextes qui sont pour nous importants et significatifs ». En même temps, il affirme dans cette conclusion que « tous ses développements avaient pour seul but de suivre la ligne, aussi fine qu’un cheveu, qui sépare la science de la croyance », cette dualité entre conscience et non conscience, rationalité et irrationalité débouchant sur une double injonction, celle de s’attacher à découvrir « la signification culturelle de contextes historiques concrets » tout en s’employant « à mettre en œuvre un travail de critique et de création de concepts ». La citation qui vient clore l’ensemble de son essai est empruntée au Faust de Goethe (2007, p. 114), extraite de l’une des plus célèbres scènes de cette « tragédie » où le grand savant désespéré de ne pas parvenir à la connaissance absolue envie celui qui espère encore « émerger de la mer de l’erreur ». Weber, délaissant l’une des répliques les plus connues de la littérature et de la culture allemandes, « deux âmes, hélas, habitent ma poitrine », choisit de terminer toute son étude sur l’objectivité par les vers suivants, précédés d’une évocation du soleil couchant et dans lesquels « je me hâte de partir » est en allemand, ich eile fort :

12

« […] Le nouvel instinct s’éveille.
Je me hâte de partir pour boire sa lumière éternelle,
Devant moi le jour et derrière moi la nuit
Le ciel au dessus de moi, et sous moi, les flots. »

13C’est précisément à ce point nodal que se trouve Weber lorsqu’il traite de la domination et il est possible de le montrer de façon paradoxale, en continuant d’interroger, ce qui, dans ce court texte, relève de la liberté, à l’intérieur de la domination et, aussi, contre elle. Une lecture serrée des « Trois types purs de la domination légitime » fait surgir assez peu d’occurrences du mot libre, mais tout un champ sémantique qui englobe l’autonomie, l’indépendance, la volonté propre, le choix, tout en venant s’opposer à l’arbitraire, à la contrainte, à la dépendance et à la sujétion. En se référant de nouveau aux trois métamorphoses de l’esprit proclamé par le Zarathoustra de Nietzsche, il est alors possible d’affirmer que, confronté à la domination, l’esprit lion?chameau de Weber rencontre le dragon kantien : « tout brillant d’or, couvert d’écailles, sur chacune de ses écailles brille en lettres d’or : Tu dois [du sollst]. Des valeurs millénaires brillent sur ces écailles, et ainsi parle le plus puissant de tous les dragons : Toute la valeur des choses étincelle sur mon corps. Toute la valeur a été déjà créée, et toute la valeur créée, c’est ce que je suis. En vérité, il ne doit plus y avoir de “je veux” [ich will] ! Ainsi parle le dragon » (Nietzsche, 1992). Cette rencontre est cependant aussi paradoxale que la composante antagoniste de l’esprit wébérien.

14La définition que Weber donne de la domination dans le texte qui porte ce titre (Weber, 2013, p. 49) n’est pas sans rappeler les définitions de l’impératif catégorique (du sollst) par Kant dans les Fondements de la Métaphysique des Mœurs (Kant, 1994). Qu’il soit juste très rapidement signalé ici que ces résonances ne peuvent surprendre, mais que le kantisme du « néo?kantien » qu’est Weber prend une inflexion très personnelle, l’accent étant mis paradoxalement dans cette définition, non sur ce que consacre l’impératif catégorique, l’autonomie de la volonté humaine, indissociable de l’usage de la raison, mais sur le caractère impératif d’une obéissance formelle, « sans que celui qui obéisse ne prenne personnellement en considération ou ne porte un jugement sur “la valeur ou l’absence de valeur de l’ordre émis” » (Colliot?Thélène 2014). Ce qui frappe dans l’introduction des « Trois types purs de la domination légitime », c’est que cette définition de la domination est absente au profit d’une autre, proche de celle présente dans « Les types de domination » (ES, 1995, p. 285), qui met l’accent sur le concept de « chance » (intelligible en termes de probabilité dans sa dimension de coïncidence et de congruence) avant d’énumérer les types de motivations qui poussent les dominés à obéir : « La domination, c’est?à?dire la chance de trouver obéissance pour un certain ordre émis, peut reposer sur différents motifs de docilité. » Les trois mobiles qui sont alors énoncés peuvent être mis en relation avec les déterminants de l’action sociale définis ailleurs par Weber, sans qu’il soit envisageable de relier, mécaniquement, deux par deux, chacun des trois mobiles de l’action sociale à chacun des trois types purs de la domination légitime. Reformulés dans les termes des Concepts fondamentaux de la sociologie (MWG I/22, ES, 1995, p. 55), la motivation de l’obéissance peut être, premièrement, « de type rationnel en finalité » et considérée comme « un moyen de parvenir rationnellement, en pesant le pour et le contre, à des fins personnelles que l’on veut atteindre avec succès » ; deuxièmement, « de type traditionnel », « par habitude profondément assimilée », troisièmement, « de type affectif et particulièrement émotionnel » […] « des affects et des sentiments actuels » [étant alors] « déterminants. » Manque alors la quatrième détermination de l’action sociale telle qu’elle apparaît dans les Concepts fondamentaux, celle qui est « rationnelle en valeur, du fait de la croyance consciente à la propre valeur inconditionnelle, éthique, esthétique, religieuse ou autre, d’un comportement, purement en tant que tel, et indépendamment du succès [escompté] ».

15Dans « Les trois types purs de la domination légitime », toute référence directe à une valeur (Wert) est en effet absente, la seule occurrence de ce terme concernant l’impératif de neutralité axiologique déjà évoqué (wertfrei). Il est frappant qu’aucune action rationnelle en valeur n’apparaisse explicitement dans la suite du texte, y compris dans la partie consacrée à la domination charismatique où le lecteur pouvait s’attendre à la rencontrer. L’accent est en revanche fortement mis sur la validité reconnue d’une domination, sur le droit qui prévaut, sur la croyance placée dans une personne (Geltung, gelten). Ainsi que l’annonçait son titre, la légitimité est placée au cœur de ce texte, ce que vient confirmer la seconde phrase de l’introduction : « Chez les dominants et les dominés, la domination a bien plutôt l’habitude d’être étayée intérieurement par des fondements juridiques qui sont à la base de sa « légitimité », et l’ébranlement de cette croyance en la légitimité a habituellement des conséquences de grande ampleur. »

16Il s’agit alors de ne pas oublier l’intérêt très vif du Weber libéral pour la première révolution russe de 1905 (qui l’amène à apprendre la langue de Dostoïevski en l’espace de quelques mois), d’aller lire ses écrits sur les trois révolutions russes, ou encore sa conférence intitulée « Le Socialisme », prononcée en 1918 devant un parterre d’officiers autrichiens, en gardant en mémoire que Weber ne cesse, depuis de longues années, de se prononcer pour l’instauration d’une véritable démocratie parlementaire en Allemagne et en Russie (MWG I/10 ; I/15 ; I/16 ; Weber, 2004 ; Chazel, 2005 ; Hanke, 2014). Il serait cependant très réducteur de vouloir limiter la portée de cette phrase à sa seule inscription dans un contexte de révolutions et de bouleversements institutionnels. L’autre moitié de cette affirmation serait alors oubliée. Elle énonce ce qui n’est pas à négliger pour la domination stabilisée par et sur ses fondements juridiques et administratifs qui permettent « une action continue tendue vers l’exécution des directives et l’obtention coercitive (directe ou indirecte) de la soumission à la domination » : le fait que sa légitimité soit, de part et d’autre, reconnue (Bruhns & Duran, 2014), dans une congruence initiale entre dominants et dominés, l’asymétrie de la rupture plaçant la liberté du côté des dominés.

17Si l’on considère les trois types purs, la domination traditionnelle est celle où la soumission des dominés pourrait sembler la plus grande, dans la triple constellation maître/serviteur/sujet, « en vertu de la croyance dans le caractère sacré d’ordres, et de pouvoirs du maître, qui existent depuis toujours » (« en vertu », la traduction consacrée, « en vertu de la loi », ne restitue que faiblement la force de kraft). Comme souvent, Weber met alors l’accent sur la complexité paradoxale de ce qu’il analyse en montrant que le maître est « tenu » par la tradition, puisqu’une « violation irrespectueuse » de cette dernière par lui « mettrait en danger la légitimité de sa domination qui ne repose que sur le caractère sacré de cette tradition ». En dehors de l’obligation d’obéir aux normes de cette dernière, la volonté du maître ne rencontre en revanche que peu de limites, « l’arbitraire et l’octroi de grâce » étant « libres ». Mais, nouveau paradoxe, le maître exerce cette libre domination « de façon très personnelle, selon des points de vue susceptibles d’être influencés par des complaisances à l’égard de sa personne », si bien qu’il est possible de dire que les dominés (par une action surtout rationnelle en finalité) ont la possibilité d’exercer une forme de pouvoir sur le dominant dont l’action, formellement libre, est susceptible d’être déterminée par des motifs de type affectif (« sympathies » et « antipathies » personnelles). Weber va chercher le cas?limite de la domination traditionnelle et l’identifie très brièvement ici dans la domination sultanique, là où la direction administrative et les serviteurs du maître de type patriarcal (esclaves, serfs, eunuques), sont totalement dépendants de celui qui les possède, « là où il n’existe aucune garantie contre son arbitraire qui peut donc aller très loin et qui est ici le plus grand ».

18Dans la domination traditionnelle, le respect de la coutume, par les dominés et les dominants, est dû à « l’habitude profondément assimilée », le terme de dumpfe Eingewöhnung, que Weber emprunte à Rudolf Stammler [1] (1906) pour désigner la sourde habitude lié à la coutume, renvoyant au niveau le plus indistinct de la conscience et de la réflexivité en terme d’action sociale, tel que Weber a pu les théoriser, par exemple dans Économie et Société (WL p. 291) ou dans son essai sur Knies et le problème de l’irrationalité 1906 (WL., pp. 42?145 ; Weber, 2005). À y regarder de près, ce terme pourrait bien ne pas être exempt de toute valeur, dumpf qualifiant à la fois un bruit étouffé, une atmosphère confinée, une souffrance diffuse et un esprit émoussé. À l’opposé de la conscience puissamment paradoxale et réfléchie de Weber, tendue vers la compréhension, subjective et objective, de l’action et de l’interaction sociales, ce terme de dumpf rend le lecteur attentif à ce qui se joue au cœur de cette partie consacrée au type pur de la domination traditionnelle ainsi qu’à son administration et à ses fondements juridiques, tandis que d’un côté, le dominant et les dominés sont « tenus » par la coutume, et que de l’autre, l’arbitraire du maître est susceptible d’être le plus grand. Un passage ne manque alors pas de faire signe : « L’étendue du pouvoir “légitime” de commandement de chacun des serviteurs dépend, à chaque fois, de ce qui semble bon au maître (nach dem Einzelbelieben des Herrn), les serviteurs (Diener) en étant aussi entièrement tributaires pour accéder à un poste plus important ou d’un rang supérieur. Dans les faits, ce pouvoir de commandement est largement fonction de ce que les serviteurs (Bediensteten) ont le droit de se permettre face à la docilité de ceux qui sont soumis. » Dans la seconde phrase, si lapidaire qu’elle pourrait échapper au lecteur, se trouve bien confirmé le fait que ceux qui sont soumis disposent, « dans les faits », d’un espace de liberté leur permettant de limiter (voire de retourner à leur profit) le pouvoir de commandement. C’est en ce sens aussi que Weber parle de « séparation » statutaire « des pouvoirs » dans la domination traditionnelle, le pouvoir du maître se trouvant limité par l’indépendance, plus ou moins grande, de ceux à qui il octroie une fonction, au moyen d’un privilège ou d’une concession. À l’inverse du social?darwinisme ou du « déni de l’histoire » de certains de ses contemporains (Kauffmann, 2009), la soumission n’apparaît pas pour Weber, de façon essentialiste, comme un invariant anthropologique, comme une composante psychosociale immuable, mais comme une variable dont peuvent jouer les dominés, et cette liberté de l’acteur (sociologiquement première et fécondant tant de réflexions ultérieures) s’inscrit dans l’héritage de Kant définissant les Lumières comme « la sortie de l’homme hors de l’état de tutelle dont il est lui?même responsable » (Kant, 1995, p. 25).

19C’est cette dernière phrase que Weber semble avoir en tête lorsqu’en utilisant les libres possibilités combinatoires que permet l’idéal?typique, il s’interroge sur les fondements, non plus purs, mais cette fois?ci mixtes, nécessaires à la stabilité et au maintien de la plupart des rapports de domination au caractère (de nouveau) fondamentalement légal. Après avoir affirmé que dans « tous les rapports de domination, ce qui est avant tout au plus haut point décisif pour le maintien continuel de la docilité effective des dominés, c’est l’existence de la direction administrative et de son action continue orientée et tendue vers l’exécution des directives et l’obtention (directe ou indirecte), de la soumission à la domination », il évalue la chance qu’a la direction administrative, en dépit d’une solidarité d’intérêts matériels et idéels avec le maître, de « mener sciemment une contre action afin de paralyser » [son] « action sur le groupement, et par là?même, sa domination ». Weber s’interroge alors sur les modalités concrètes permettant d’évincer une domination, les deux questions centrales pour lui étant l’unité procédant d’un accord (Vereinbarung), autour d’un plan, afin de paralyser, administrativement, la domination du maître, et la création possible, ou non, d’une direction administrative en propre après l’ébranlement, l’effondrement ou le renversement d’une domination, une question brûlante d’actualité si l’on songe au maintien loyal en place, ou au possible renouvellement d’une police, d’une armée ou d’un corps de fonctionnaires après une rupture « de grande ampleur ».

20Cette question gagne en acuité si l’on songe que Weber, confronté à de puissants bouleversements historiques et institutionnels, s’interroge sur les réelles possibilités d’un changement radical lorsqu’il observe que de façon apparemment inéluctable, « la part des formes de domination bureaucratique augmente partout », à l’intérieur de l’appareil d’État comme de l’entreprise capitaliste. C’est ainsi qu’il écrit en 1906, que : « Il est parfaitement ridicule d’attribuer à l’actuel capitalisme à son apogée tel qu’il existe en Amérique et qu’il est actuellement importé en Russie – phénomène “inéluctable” de notre évolution économique – une affinité élective avec la “démocratie” ou même avec la “liberté” (en quelque sens du terme que ce soit), alors que la seule question qui se pose est de savoir comment, sous sa domination, toutes ces choses seront à la longue, “possibles” » (Weber, 2004, p. 173).

21Élaboré à partir de caractéristiques présentes en plusieurs endroits et à différents moments de l’histoire, le type de la domination légale, dont la domination bureaucratique est la forme la plus pure (Anter, 2007, 2011 ; Sintomer, 1999, p. 68), présente la triple constellation supérieur hiérarchique/fonctionnaire/citoyen. Weber ne salue pas explicitement dans ce texte, comme il lui arrive de le faire ailleurs, la liberté et l’égalité de tous devant la loi, historiquement garanties par les fondements juridiques de cette domination. La limitation de l’obéissance par la loi, absolument fondamentale, est bien évoquée, mais la densité du propos contribue à donner l’impression que la liberté se retrouve surtout du côté de la règle juridique qui peut être créée et modifiée de façon illimitée, comme il semble bon, à volonté (beliebig), à partir du moment où elle est choisie de manière formellement correcte. Weber met ici l’accent sur le formalisme et le positivisme juridiques caractéristiques de la modernité, marqués par une désagrégation et une relativisation de tous les axiomes méta?juridiques (Coutu, 1995), par l’absence de référence à quelque valeur que ce soit dans l’élaboration et la promulgation d’une loi à laquelle obéit aussi le supérieur hiérarchique lorsqu’il émet un ordre (MWG, I/22?3 ; Weber, 2007). La limitation de la responsabilité du fonctionnaire qualifié et impersonnel, la discipline d’entreprise, à l’intérieur de l’État ou de l’entreprise capitaliste, accentuent ici les traits qui contribuent à la fabrication de ce que Weber nomme, en 1906, « l’habitacle de la servitude des temps futurs, dans lequel un jour peut?être […] les gens contraints à l’impuissance seront contraints de venir se loger, lorsque la seule valeur qui leur restera sera, au main des fonctionnaires, une administration et une intendance bonnes d’un point de vue purement technique, autrement dit rationnelles, et que cette ultime et unique valeur décidera de la manière dont leurs affaires doivent être menées » (Weber, 2004, p. 336). Il est possible de dire que cette docilité ne sera alors due, ni à l’observance de la coutume, ni à l’obéissance à la loi indissociable du libre arbitre kantien, mais à la présence d’une valeur exclusive, de type formel, fonctionnaliste et utilitariste (du fait de calculs intéressés, de consciences émoussées, d’inclinations éprouvées ?).

22C’est précisément l’inverse de cette rationalité qui est présentée dans la dernière partie consacrée au type de la domination charismatique, dans un premier temps sous sa forme originelle la plus pure. Alors que la triple constellation en présence est le chef/la suite personnelle/ la communauté de disciples ou de guerriers, la liberté la plus grande semble être, cette fois?ci, résolument du côté du chef. C’est lui qui, sans être lié par une quelconque tradition, édicte le droit, arbitre les conflits en proclamant la sentence, domine apparemment sans partage, seule la mission et la qualification charismatiques, extra? quotidiennes de la personne même du chef conférant de la légitimité à l’homme de la suite ou au disciple à qui une charge provisoire (Auftrag), et non une fonction (Amt), est confiée. Weber hésite même à parler ici d’administration, alors qu’il n’existe « aucune observance de règles, qu’elles soient codifiées ou traditionnelles », « révélation et création actuelles, action et exemple, décision au cas par cas » la caractérisant, « toutes choses irrationnelles mesurées à l’aune d’ordre codifiés ». La reconnaissance, par la communauté, de la sentence proclamée par le chef charismatique, a valeur de devoir, « celui qui est charismatiquement qualifié exigeant qu’il soit accompli pour lui et châtiant les manquements ». Rien ne paraît alors venir contrer l’illimitation de la liberté et de la volonté personnelles du chef, l’adhésion émotionnelle de la communauté et l’abandon personnel du disciple faisant que tous lui obéissent, « exclusivement ». Weber peut affirmer alors que « l’autorité charismatique est bien aussi un des grands pouvoirs révolutionnaires de l’histoire », mais que « sous sa forme entièrement pure, elle présente un caractère tout à fait autoritaire et dominateur ». L’accent n’est pas mis ici sur le fait que la domination du chef charismatique (prophète, héros de guerre, grand démagogue) puisse mettre aussi en jeu une action rationnelle en valeur qui pourrait cesser d’être reconnue comme légitime. Le caractère intrinsèquement versatile de ce type de domination, sa limitation temporelle du fait de la fragilité paradoxale de la personne même de celui qui est tout?puissant et qui peut être « abandonné par son Dieu », « dépossédé de sa force héroïque ou de la croyance des masses dans sa qualité de chef », fait que le chef est « obligé de prouver qu’il l’est par la grâce de Dieu » […] « au moyen de miracles, de succès, du bien?être de sa suite ou de ses sujets ». Weber ne signale pas non plus de valeur en jeu dans le combat de chefs qu’il évoque et « que seule la confiance de la communauté peut, finalement, trancher ». Ce n’est pas la valeur proclamée par le chef charismatique ou son concurrent qui paraît alors décisive, mais la validité charismatique qu’il revendique, si bien que chacun semble mu par ce qu’il serait possible de percevoir comme une volonté illimitée de puissance (ich will).

23La quotidianisation, si souvent commentée avec beaucoup d’intérêt (Breuer 1994, 1996 ; Kroll, 2001), qui tend au maintien de la domination charismatique, s’effectue par une transformation et un retournement (Umbildung), ce dernier terme montrant en allemand que la domination charismatique se retourne en son contraire, ce qui apparaît distinctement si l’on songe par exemple que l’irrationalité de « la simple attente passive de la venue d’un nouveau maître charismatique authentifié et qualifié comme tel » (action surtout de type affectif) est « remplacée par une action soutenue pour en obtenir un » grâce à différents moyens (action surtout rationnelle en finalité), que la direction si peu administrative de l’ensemble des disciples ou de la suite d’hommes devient légale ou statutaire, ou que la réification rituelle du charisme a pour conséquence que la croyance n’affecte (gilt) plus une personne porteuse de charisme, mais un acte ou quelque chose relevant d’une pratique sacramentale (hiérurgie).

24La quotidianisation du charisme est donc présentée comme un retournement rationalisant, traditionalisant et objectivant, et c’est en ce sens qu’il faut interroger la 5e partie (E) de ce passage consacré à la quotidianisation, la contribution la plus singulière des « Trois types purs de la domination légitime », qui ne figure nulle part ailleurs en ces termes, si ce n’est, avec des variantes, dans le texte consacré aux « Problèmes de la sociologie de l’État » dont il devient inséparable (Weber, 2014).

25Le terme qui frappe ici d’emblée est celui du retournement et de la réinterprétation « de manière antiautoritaire » […] « du principe de légitimité charismatique, interprété dans son sens premier de façon autoritaire. » Le mot alors utilisé est umdeuten, qui marque le renversement interprétatif du charisme premier en son contraire. Weber va chercher alors tout ce qui dans la légitimité charismatique originelle peut être repris et retourné de façon antiautoritaire, en plaçant la légitimité démocratique au cœur de ce dispositif. La reconnaissance, par la communauté, du chef charismatique devient « libre » dans le choix d’un détenteur de pouvoir par les électeurs (nach ihrem Belieben, comme il leur semble bon) ; le maître légitimé en vertu de ses dons de grâce devient un détenteur de pouvoir légitimé par la grâce des dominés et aussi, en vertu d’un mandat (limitation temporelle) ; le ralliement contraint de la communauté à la proclamation d’une sentence devient le libre choix, par les dominés qui manifestent leur volonté, du droit qui doit valoir (geltensollend). Opposé au fonctionnaire élu, dont Weber dénonce ailleurs l’action passablement corrompue (ES, 1995, p. 354) et qui peut se comporter « entièrement comme le mandataire de son maître et donc ici des électeurs » susceptibles alors de disposer d’un pouvoir illimité, le chef élu est caractérisé par Weber comme celui qui, jouissant d’une légitimité démocratique, est capable de donner un sens à son action, aussi bien auprès de la direction administrative que des dominés, tout en étant, lui?même, « exclusivement responsable de ses actes ». Il apparaît alors que, dans cette « démocratie des chefs », la liberté temporellement limitée du chef politique (aussi longtemps que son action est couronnée de succès et qu’il jouit de la confiance des électeurs) est indissociable de la reconnaissance de valeurs, propre à l’éthique bicéphale de conviction et de responsabilité, à laquelle Weber adosse sa réflexion sur la domination. À l’opposé du cas?limite du sultan qui se décharge sur le grand vizir du fardeau « de la responsabilité personnelle pour les résultats du gouvernement », le chef politique de type charismatique quotidianisé, librement élu et démocratiquement légitimé, peut présenter les trois qualités que Weber qualifie d’essentielles et de décisives dans sa conférence de 1919 intitulée Politik als Beruf, Politique comme profession et vocation (2003) : la passion, le coup d’œil et le sentiment de responsabilité, ce dernier étant fort exigeant puisqu’il s’agit d’assumer les conséquences, y compris paradoxales, de son action (voir Duran, 2009). Les déterminants de cette dernière ne sont pas alors de type purement émotionnel ou purement rationnel, ce que Weber suggère très fortement à la fin des « Trois types purs de la domination légitime » en n’utilisant pas le terme de nach seinem Belieben pour la caractériser, mais celui de nach seinem Ermessen (lourdement restitué, faute de mieux, par « en fonction de ce qu’il mesure et estime lui?même ») qui met l’accent sur la dimension personnelle de l’évaluation tout en insistant sur l’objectivité mesurable de ce qui est perçu, si bien qu’il est possible de dire que cohabitent alors, « dans la même âme, la chaleur de la passion et la froideur du coup d’œil » (Weber 2003, p. 182).

26Qu’il soit permis, en conclusion, de songer au terrible défi que représenta la contribution de Weber à l’élaboration de la constitution de la République de Weimar, chargée, par lui, de garantir la coexistence paradoxale de ces deux dernières composantes. De dire aussi que le travail idéal?typique de Weber, traversé par la rupture et la continuité, s’attache à de possibles rémanences du passé dans une conscience aiguë de l’impossibilité de prédictions objectives du futur. D’affirmer enfin que son esprit mi?chameau, mi?lion reste marqué par le tragique, y compris par celui de sa disparition précoce en 1920. La troisième transformation de l’esprit proclamée par Zarathoustra dans la figure de l’enfant ne peut que lui être étrangère.

Notes

  • [*]
    Traductrice (Textes de Kant, Hegel, Marx, Einstein, Weber) Membre du groupe de recherche sur Weber de l’EHESS Professeur de Chaire Supérieure au Lycée Louis?le?Grand Lycée Louis?le?Grand – 123 rue Saint Jacques – 75005 Paris
    ekauffmann@noos.fr
  • [1]
    Je remercie Edith Hanke d’avoir attiré mon attention sur les annotations de la main de Weber dans Wirtschaft und Recht.
Français

Le texte de Max Weber intitulé « Les trois types purs de la domination légitime », probablement rédigé entre 1917 et 1920, internationalement connu et publié pour la première fois en français dans la revue Sociologie, est un écrit singulier où se trouve condensée une réflexion de longue haleine sur la domination. Grâce à une démarche idéal‑typique qui apparaît dans toute sa libre puissance heuristique, Weber limite et diffère ici ses analyses économiques sur les trois dominations, de type purement légal, traditionnel et charismatique, pour interroger et comparer la composante administrative, juridique et politique de chacune d’entre elles. Les questions de la légitimité et du maintien de la domination sont alors au cœur de ses analyses qui ne sauraient être réduites à des considérations d’ordre purement conjoncturel. L’enjeu de son questionnement est bien plutôt de comprendre les actions et les interactions des dominants et des dominés, le sens subjectif et objectif revêtu par la domination, lors même que de façon paradoxale, la liberté vient la traverser et la contrer.

Mots-clés

  • domination
  • idéal‑type
  • liberté
  • légitimité
  • paradoxe
  • Max Weber

Bibliographie

    • L’édition de référence est la Max?Weber?Gesamtausgabe, Tübingen, Mohr (Siebeck), à partir de laquelle ont été (re)traduits tous les passages cités. En attendant la publication de volumes à paraître, l’édition plus ancienne des écrits de Weber, publiée aussi chez Mohr (Siebeck), a été citée.
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Elisabeth Kauffmann [*]
  • [*]
    Traductrice (Textes de Kant, Hegel, Marx, Einstein, Weber) Membre du groupe de recherche sur Weber de l’EHESS Professeur de Chaire Supérieure au Lycée Louis?le?Grand Lycée Louis?le?Grand – 123 rue Saint Jacques – 75005 Paris
    ekauffmann@noos.fr
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 13/11/2014
https://doi.org/10.3917/socio.053.0307
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