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We’re Here! We’re Queer! We’re Over There, Too!
Michael Brown & Larry Knopp (2003)

1La sociologie des sexualités est un domaine visible, légitime et structuré, au Royaume-Uni comme aux États-Unis, qui se traduit par une production abondante (ouvrages collectifs, articles dans des revues spécialisées, sessions dédiées lors de meetings annuels des associations professionnelles, etc.). Si les études urbaines y sont très présentes et documentées, il n’en est pas de même des migrations internationales [2] et intra-nationales ; ce qui fait dire à Andrew Gorman-Murray, chercheur australien, que « la nature des migrations queer – les motivations individuelles des migrants et leurs destinations, ainsi que leur parcours, leurs circuits et la mesure de leur relocalisation – n’est que peu étudiée et insuffisamment conceptualisée [3] », relayant ainsi l’appel de Jon Binnie pour qui il y a « un besoin de conceptualiser la migration queer et de réfléchir à la raison pour laquelle la migration est significative pour tant de dissidents sexuels [4] » [5].

2Le principal angle sous lequel cette thématique a été abordée est celui de l’identité homosexuelle[6] comme déterminant d’une migration orientée du rural vers l’urbain, dont le corollaire est la migration de la province vers la capitale. Jon Binnie affirme ainsi que « en ce qui concerne les lesbiennes et les gays, les migrations à l’intérieur des frontières nationales ont lieu essentiellement du rural vers l’urbain et de la province vers la métropole [7] ». Par extension, plus la ville est grande, plus elle est perçue comme tolérante et ouverte aux gays et aux lesbiennes ; partant du principe que la densité diluerait la pression hétéronormative : « Elles [les villes] sont devenues les lieux où les gays peuvent, dans une certaine mesure, échapper à la pression constante d’une société hétérosexuelle intolérante [8]. » Ce que Lawrence Knopp explique et nuance par ailleurs : « La densité et la diversité culturelle des villes, quant à elles, ont produit des représentations fréquentes de la diversité sexuelle et de la liberté comme des phénomènes proprement urbains. Par conséquent, les subcultures des minorités sexuelles, les communautés et les mouvements sociaux associés à elles, ont tendance à être institutionnellement plus développés dans les villes qu’ailleurs [9]. » En France, cette thèse a principalement été soutenue par Didier Éribon dans le chapitre intitulé « La fuite vers la ville » issu de l’ouvrage Réflexions sur la question gay (1999) [10]. Pour lui, « nombreux sont ceux qui cherchent à quitter les endroits où ils sont nés et où ils ont passé leur enfance pour venir s’installer dans des villes plus accueillantes […]. Ce mouvement de fuite conduit assurément les homosexuels vers la grande ville. La ville a toujours été le refuge des homosexuels […]. Aujourd’hui encore, la migration des gays et des lesbiennes vers les grandes villes ou les capitales est permanente » (Éribon, 1999, p. 34 et 37).

3Les principaux arguments avancés sont la densité et la diversité des réseaux sociaux qui démultiplient les possibilités de rencontre, et l’anonymat supposé des grandes villes, source de liberté pour assumer un statut minoritaire. Ces qualités sont d’autant plus structurantes qu’elles participent d’un imaginaire gay (Weston, 1995). Pour autant d’un point de vue scientifique, elles s’avèrent problématiques : il s’agit d’une généralisation abusive dont les fondements épistémologiques sont questionnables [11]. En effet, c’est du statut social de l’homosexualité et des propriétés supposées de l’environnement urbain que la forme des parcours des gays et des lesbiennes est inférée sans que celles-ci soient étudiées en tant que telles. Or les quelques études empiriques existantes infirment ce modèle. Ainsi les travaux de Cooke et Rapino (2007) mettent en lumière une convergence des migrations conjugales étasuniennes vers des régions moins peuplées. Selon ces auteurs, les mobilités des couples gays vers des régions urbaines de taille moyenne sont indépendantes de la densité commerciale ou de l’image de la région, tandis que les couples lesbiens s’installent dans des régions moins peuplées où se concentrent d’autres lesbiennes. De même que la destination des gays et des lesbiennes n’est pas nécessairement métropolitaine, leur lieu d’origine n’est pas davantage rural ou provincial. Comme le rappelle Andrew Gorman-Murray : « Ironiquement, cette généralisation est tirée de travaux effectués dans des pays fortement industrialisés […] et néglige la présomption pourtant commune que la majorité des migrations internes est en réalité urbaine-urbaine, ce qui gomme la réelle diversité des relocalisations queer. En outre, la normalisation du mouvement rural-urbain pose également des problèmes de théorisation, en permettant l’émergence une fois pour toutes du “placard” rural, qui se présente alors comme final sur le plan téléologique comme ontologique [12]. »

4Ce constat s’applique à la France, pays dont la transition urbaine est achevée, et qui compte aujourd’hui plus de 80 % d’urbains, et pratiquement un Francilien pour six habitants (INSEE, 2006). Au début du xxie siècle, le sens « rural-urbain » de la migration est ainsi mis à mal par le fait que la majorité de la population ne grandit plus dans des zones rurales ou des petites villes de province mais dans des villes moyennes ou des grandes villes [13]. Au-delà de cet argument structurel, la théorie de la « fuite vers la ville » est un modèle du type push and pull qui néglige le champ des études migratoires, en particulier les analyses critiques produites dans un contexte de généralisation et de complexification des mobilités (Arango, 2000 ; Stjernström, 2004). Parmi ces travaux, figure la mise en cause d’une modélisation qui réduit l’explication des mobilités à un déterminant unique [14]. En l’occurrence ici, la dimension sexuelle. La conséquence de cette réduction est de nier d’une part la subjectivité et l’autonomie des gays et des lesbiennes et d’autre part les contraintes socio-économiques qui peuvent peser sur leurs décisions ; comme s’il s’agissait d’un groupe homogène.

5Malgré ces critiques majeures, la théorie de « la fuite vers la ville » continue de bénéficier d’un large consensus en sciences sociales. De ce constat est née l’idée d’une enquête quantitative qui permette de s’adosser à la « banalité des faits » (Pollak, 1981), enquête visant à cerner les mobilités géographiques des gays et des lesbiennes. Son objectif principal est de rendre compte du contenu des parcours migratoires et de questionner le modèle explicatif de leurs déterminants. Après une rapide présentation de l’enquête, nous décrirons les parcours ainsi recueillis, en analysant leur inscription spatiale et ce qui leur donne sens, afin de montrer quels sont les apports heuristiques d’une étude géographique de cette question [15].

Recueillir les parcours géographiques par une enquête en ligne

6Tout travail quantitatif sur l’homosexualité se confronte à la difficulté de saisir une population minoritaire, aux contours flous, difficile d’accès et échappant à la statistique administrative (Schiltz, 1998). Malgré une obsession comptable ancienne (Lhomond, 1997), aucune base de données individuelles sur l’identité sexuelle n’est disponible en France. Les chercheurs travaillant sur cette question doivent construire leur propre corpus de données ; corpus dont la représentativité longitudinale est impossible à établir et de plus les « limites » de l’échantillon sont toujours dépendantes de la définition de la population étudiée (Marpsat, 2010).

7En l’absence de population de référence, plusieurs enquêtes (Histoire de Vie, Insee 2003 ; Enquêtes Presse Gay, etc.) peuvent fournir un point de repère et un élément de comparaison (tableau 1, p. 124). Notons que, si la question de la représentativité a un sens pour étudier une population de manière transversale, à une date donnée, elle se pose différemment lorsqu’il s’agit de la dimension longitudinale des parcours [16]. Notre objectif n’est pas de quantifier les parcours [17], mais, d’une part, d’en observer le contenu et la diversité et, d’autre part, d’en analyser le lien avec les représentations et les pratiques spatiales des personnes interrogées. Pour atteindre celui-ci, il était essentiel de recueillir un grand nombre de parcours par un mode de recrutement qui respecte l’anonymat des personnes et ne soit pas attaché à des localisations précises, ce qui excluait par exemple le dépôt de questionnaires dans des lieux de sociabilité. En effet, une collecte localisée produit un biais important concernant la sélection des enquêtés. Pour toutes ces raisons, la mise en place d’une enquête sur internet a semblé constituer un mode de recueil pertinent [18]. Elle s’est avérée aussi avantageuse sur d’autres plans : un moyen de toucher un nombre important de gays et de lesbiennes [19] grâce à une large diffusion en un temps très court [20], un gain de temps pour générer la base en l’absence de saisie des questionnaires, et autre élément non négligeable, un coût nul. La question de l’accès inégal à internet s’est posée à travers différentes dimensions : l’équipement en poste informatique et la couverture du réseau français, mais aussi les dimensions techniques et cognitives qui restent un élément discriminant. Les populations les plus âgées, les plus isolées spatialement et socialement sont par conséquent les plus difficilement atteignables par ce mode de questionnement.

8La moyenne d’âge observée des répondants est de 31 ans, inférieure à la moyenne d’âge de la population française (39,7 ans en 2007 selon l’INSEE). S’agissant d’une collecte par internet, il semble que ce mode de recueil de données ait touché une frange plus jeune de la population gays et lesbiennes sans toutefois décourager les autres (tableau 1, p. 124) ; phénomène récurrent dans les enquêtes en ligne [21]. Ce décalage est encore plus marqué concernant le niveau d’études [22]. Ainsi, les répondants qui ont un niveau scolaire équivalent au CAP/BEP représentent 12 % de l’échantillon alors qu’ils sont 32 % à posséder un tel diplôme dans la population française (INSEE, 2006). À l’inverse, près de trois-quarts déclarent un niveau de diplôme de l’enseignement supérieur, contre 21,5 % des personnes vivant en France. Cette sur-représentation des diplômés invite à questionner le rôle d’un éventuel investissement supérieur des gays dans les études au regard de celui d’une moindre fréquentation d’internet par les moins diplômés. Elle est en partie liée au mode de sélection des répondants qui produit un effet cumulatif : population diplômée et jeune. De plus, le niveau de diplôme reste fortement corrélé à l’âge, et du fait d’une population en moyenne plus jeune, on retrouve le même biais de sélection que dans l’enquête Presse Gay (EPG 2004, tableau 1).

Tableau 1

Les caractéristiques sociodémographiques des répondants à différentes enquêtes*,**,***,****

Tableau 1
Enquête CSF 2006* Enquête EPG 2004* Enquête Mobgay 2007 Nombre de répondants 12 364 6 184 3 587 homosexuel homosexuelle presse internet gay lesbienne dont homosexuels?les, gays ou lesbiennes** 108 (1 %) 64 (0,5 %) 4 749 1 435 2 907 (81 %) 386 (11 %) Structure par âge Moins de 25 ans 26?40 ans [25?45 pour EPG] + 40 ans [+ 45 pour EPG] 17 % (10?24) 51 % (42?60) 32 % (23?41) 16 % (7?25) 57 % (45?69) 27 % (16?37) 12,2 % 64,8 % 23 % 16, 9% 68 % 15,1 % 21 % 58 % 21 % 22 % (18?24) 66 % (61?71) 12 % (9?15) Mode de vie *** Seul En couple homosexuel (en cours) 67 % (58?76) 26 % (18?34) 57 % (45?69) 20 % (10?30) 31,9 % 52,1 % 35,2 % 48,9 % 56 % 44 % 41 % (36?46) 59 % (54?63) Lieu de résidence (France métropolitaine****) Agglomération parisienne ? Paris ? Banlieue parisienne 25 % (17?33) / / 18 % (9?27) / / 34,4 % 23 % 11,4 % 36,6 % 22,8 % 13,8 % 33 % 20 % 13 % 8 % (5?11) 16 % (12?19) Province 60,3 % 55,7 % 60 % Communes de plus de 20 000 habitants (hors IDF) ? Communes de 20 à 100 000 ? Communes de plus de 100 000 Commune de moins de 20 000 habitants ? Communes urbaines < 20 000 ? Rural 13 % (7?19) 37 % (28?46) 7 % (2?12) 18 % (10?24) 7 % (2?12) 41 % (29?53) 12 % (4?20) 22 % (12?32) / / / / / / / / 48 % 10 % 38 % 12 % 5 % 7 % 9 % (6?13) 42 % (36?48) 7 % (4?10) 9 % (6?13) Étranger / / 5,4 % 7,7 % 7 % 9 % (6?13)

Les caractéristiques sociodémographiques des répondants à différentes enquêtes*,**,***,****

Lecture : Les chiffres entre parenthèses indiquent l’intervalle de confiance de la proportion observée. Ainsi, parmi les 108 homosexuels interrogés dans l’enquête CSF, 18 % vivent en milieu rural. En raison de l’effectif très faible, le calcul de l’intervalle de confiance donne une proportion estimée entre 10 et 24 %.
* L’enquête sur le contexte de la sexualité en France (CSF) de 2006 s’appuie sur un échantillon probabiliste de 12 364 personnes, constitué par tirage aléatoire des abonnés au téléphone. Les répondants, interrogés par téléphone, sont âgés de 18 à 69 ans (Bajos & Bozon, 2008). Les Enquêtes Presse Gay (EPG) sont des enquêtes par questionnaire diffusées dans la presse spécialisée. Depuis 2000, l’enquête est aussi diffusée via internet. À noter qu’une partie des questionnaires recueillis l’est via des revues ou des sites exclusivement parisiens (Illico, cglparis.org…) (http://www.france.qrd.org/media/presse.html). Certaines de ces revues sont à caractère pornographique et bien que diffusées partout en France, elles sont moins présentes dans les kiosques des communes de taille moyenne ou petite. Le rapport de l’enquête de 2004 est disponible en ligne (http://www.invs.sante.fr/publications/2007/epg_2004/epg_2004.pdf). Dans les deux cas, il s’agit d’enquêtes de santé publique soutenues par l’ANRS et l’INSERM.
** Les catégories utilisées varient selon les enquêtes. Ainsi, l’enquête CSF considère les caractéristiques sociales et démographiques « des personnes ayant déclaré des pratiques homo/bisexuelles au cours des 12 derniers mois » (Bajos & Bozon, 2008, p. 255), ce qui ne préjuge pas de leur identité gay ou lesbienne. En effet, seulement 37 répondantes se définissent « homosexuelles » et 77 parmi les répondants (p. 252). Dans l’enquête EPG, les homosexuels sont appréhendés par leur « identification sexuelle » (Q. 16). 5 432 répondants se définissent comme « homosexuels » (89,5 %), 375 comme « bisexuels » (6,2 %), 241 refusent « de se définir par rapport à [leur] sexualité » auquel s’ajoutent 117 non réponses. Dans l’enquête Mobgay (2007), on retient la définition de soi comme « gay », « lesbienne » ou « bisexuel?le ».
*** L’enquête CSF (2006) prend en considération « la vie en couple » à partir de trois modalités (« couple hétérosexuel », « couple homosexuel » et « pas en couple). L’enquête EPG (2004) considère « le statut conjugal (sur 12 mois) » soit « seul », « relation homosexuelle stable terminée » et « relation homosexuelle stable en cours ».
**** Dans l’enquête CSF (2006), la taille de la commune de résidence est publiée selon 5 modalités (« commune rurale », « moins de 20 000 habitants », « de 20 à 99 999 habitants », « 100 000 habitants et plus » et « agglomération parisienne ») (voir p. 255). Dans l’enquête EPG (2004), les modalités sont les suivantes (« moins de 20 000 habitants », « de plus de 20 000 à 100 000 habitants », « de plus de 100 000 à 500 000 habitants », « de 500 000 à 1 million », « plus de 1 million ») (voir rapport p. 12 et 104). Dans l’enquête Mobgay, la collecte par internet conduit à ne pas filtrer la localisation résidentielle des répondants. Ainsi, l’effectif total comporte 5 % de répondants nés en France et vivant à l’étranger, 2 % de résidants dans les DOM?TOM, 5 % de répondants n’ayant jamais vécu en France (principalement des francophones : Belges, Suisses et dans une moindre mesure Canadiens). Sur les 3 587 questionnaires remplis, 239 ont ainsi été écartés. Par ailleurs, sur les 3 348 questionnaires exploités, 454 communes de résidence n’ont pu être identifiées, principalement en localisation rurale.
Sources : enquêtes CSF (2006), Presse gaie (2004) et Mobgay (2007).

9La répartition sur le territoire français des lieux de résidence des personnes qui ont répondu à l’enquête internet démontre une multiplicité de situations résidentielles qui se rapproche de l’armature des villes françaises (carte 1). La répartition selon le type de commune est plus métropolitaine que rurale : les communes rurales représentent 8 % des répondants (25 % de la population), les grandes villes 33 % (22 % de la population) ou l’agglomération parisienne 34% (16 % de la population) (tableau 2, p. 125). Cette part des répondants de l’agglomération parisienne (34 %) est très proche de celle observée dans l’enquête EPG 2004 (35 %). Par comparaison avec la population générale, il apparaît que les lieux de résidence dans des communes rurales ou dans les villes de moins de 50 000 habitants sont sous représentées (tableau 2, p. 125). Faut-il y voir une spécificité des répondants, c’est-à-dire un effet cumulé d’une population majoritairement jeune et à fort niveau de diplôme ? Une spécificité de la population gay ? Ou l’effet cumulé d’une spécificité de cette population, amplifié par les modalités de passation de l’enquête ?

Tableau 2

La répartition spatiale comparée (enquête Mobgay et recensement 2008)*

Tableau 2
Taille des communes Enquête Mobgay 2007* Recensement 2008 Commune rurale 8 % 25 % Unité urbaine de moins de 5 000 habitants 2 % 6 % Unité urbaine de 5 000 à 9 999 habitants 2 % 5,5 % Unité urbaine de 10 000 à 19 999 habitants 2 % 5,5% Unité urbaine de 20 000 à 49 999 habitants 4 % 6,5 % Unité urbaine de 50 000 à 99 999 habitants 7 % 7 % Unité urbaine de 100 000 à 199 999 habitants 8 % 6,5 % Unité urbaine de 200 000 à 1 999 999 habitants 33 % 22 % Unité urbaine de Paris 34 % 16 %

La répartition spatiale comparée (enquête Mobgay et recensement 2008)*

* Afin d’avoir des données comparables, les chiffres indiqués ne prennent en compte que la population métropolitaine.
Sources : recensement (INSEE, 2008) et enquête Mobgay (2007).

10Malgré cette indétermination, l’objectif principal de l’enquête qui était de rassembler un grand nombre de parcours auprès de personnes de caractéristiques socio-démographiques et spatiales les plus variées, en lien avec leurs pratiques, est atteint et confère à cette base de données un aspect unique et inédit. Par ailleurs, en l’absence de base de données de référence, le nombre élevé de répondants contribue à assurer la robustesse des analyses (Schiltz, 1998).

11Au total, 3 587 questionnaires ont été collectés. Les parcours géographiques recueillis se décomposent en 16 771 étapes comprenant les communes de naissance, les communes et/ou les pays [23] successifs dans lesquels les personnes ont résidé plus d’un an jusqu’au moment de l’enquête. Afin de mieux en cerner les caractéristiques, des indicateurs sur les localisations (tranche de l’unité urbaine) et sur la forme des parcours (« être passé par », nombre, type et succession des étapes) ont été construits notamment à partir des données du recensement de la population (INSEE, 1999) (Guérin-Pace, 2006). Ces données permettent de distinguer les parcours qui s’effectuent uniquement en France de ceux qui passent par l’étranger, de distinguer les parcours ruraux des parcours urbains (centre ou banlieue) et des parcours mixtes qui alternent les localisations rurales et urbaines, de connaître la durée des différentes étapes, et enfin d’observer leur enchaînement. Se dessine alors un large spectre de comportements migratoires qui peuvent être individualisés, notamment à partir de l’étape de décohabitation familiale, qui constitue une prise d’autonomie.

Carte 1

La répartition géographique des répondants métropolitains (2007)*

Carte 1

La répartition géographique des répondants métropolitains (2007)*

* Le recueil des communes de résidence s’est fait via le code postal ou le nom du pays. 120 codes postaux – principalement de communes rurales ou de villes petites – n’ont pu être localisés précisément notamment du fait de l’existence de doublons.
Source : enquête Mobgay (2007).

12Le fait d’avoir connu des mobilités géographiques importantes durant l’enfance ne détermine pas la fréquence des mobilités à l’âge adulte, néanmoins celles-ci participent de la construction de l’expérience individuelle de l’espace et du monde, mais aussi de la manière de l’habiter par adhésion ou par réaction. Ainsi, les personnes qui ont le plus grand nombre d’étapes dans leur parcours sont aussi celles qui ont la plus grande diversité d’expériences spatiales. Les écarts entre les parcours individuels sont à la fois quantitatifs (nombre d’étapes) et qualitatifs (déménager vers une commune voisine, une région éloignée ou un pays lointain).

Géographie de la prise d’autonomie résidentielle

13Dans la littérature, le moment de la prise d’autonomie résidentielle est fréquemment présenté comme un moment charnière, celui où l’éloignement de la famille et de l’espace d’interconnaissance va permettre de s’assumer. Le moteur de la migration peut être alors l’émancipation sexuelle. Analyser ce moment constitue ainsi un enjeu central de la compréhension des parcours géographiques des gays et lesbiennes.

Principalement des urbains qui choisissent une localisation urbaine

14Le premier résultat remarquable est que la prise d’autonomie résidentielle n’implique pas nécessairement un changement de commune. En effet, la moitié des répondants à l’enquête MobGay déclare avoir pris un logement dans la même commune que celle de leur famille au moment de la décohabitation, l’autre moitié s’effectuant dans une autre commune de résidence, voire un autre pays. Le maintien, après la décohabitation, dans la commune de résidence des parents est plus fréquent en Île-de-France (3 cas sur 5) et dans les grandes villes que dans les petites villes ou les communes rurales. Certes, il est plus facile de prendre de la distance tout en restant dans la même commune dans des villes de grande taille. Néanmoins dans les villes moyennes et les communes rurales, dans deux cas sur cinq, la décohabitation ne donne pas lieu à une mobilité géographique (graphique 1). Ces situations qui n’ont jusqu’à présent pas été étudiées, mériteraient d’être approfondies afin de mieux en comprendre les motivations et leurs effets sur les expériences et les vécus gays.

Graphique 1

Décohabitation au sein de la même commune, selon la taille des communes*

Graphique 1

Décohabitation au sein de la même commune, selon la taille des communes*

Effectif : 1 618 répondants sur 3 146 qui ne vivent plus chez leurs parents.
Lecture : Sur 100 enquêtés qui résidaient dans une commune rurale au moment de la décohabitation, 39 % ont choisi un logement dans la commune où résident leurs parents.
* Les tailles de communes utilisées dans l’enquête sont les tranches d’unité urbaine de l’INSEE (1999). Ces tranches ont été regroupées comme suit : commune rurale (moins de 2 000 habitants agglomérés), bourg et village (moins de 10 000 habitants), petite ville (de 10 000 à 50 000 habitants), ville moyenne (de 50 000 à 200 000 habitants), grande ville (de 200 000 à 2 millions habitants) et l’agglomération parisienne.
Source : enquête Mobgay (2007).

15D’une manière générale, il est intéressant de constater que le choix de localisation au moment de la décohabitation se porte le plus fréquemment vers une commune de taille comparable et ce d’autant plus fortement que la commune de résidence est située dans le haut de la hiérarchie urbaine (tableau 3). Ainsi, plus de quatre répondants franciliens sur cinq sont restés en Île-de-France au moment de la décohabitation, un peu moins de quatre sur cinq sont restés dans une grande ville, un sur deux dans des villes de taille moyenne et deux sur cinq dans des petites villes ou des communes rurales. Les grandes villes apparaissent ensuite davantage comme lieux de destination que l’agglomération parisienne, ce qui correspond à un phénomène migratoire classique (Tugault, 1973 ; Baccaïni, Courgeau & Desplanques, 1993). Enfin, les destinations pour lesquelles les jeunes vivant avec leurs parents dans des communes de moins de 50 000 habitants optent au moment de la décohabitation apparaissent plus diversifiées que celles des métropolitains.

Tableau 3

Taille des communes de destination selon la commune de résidence au moment du départ du domicile parental (en %)

Tableau 3
Paris Grande ville Ville moyenne Petite ville Village Rural Étranger Total Paris 85 5 3 2 0 1 4 100 Grande ville 10 77 4 2 2 2 4 100 Ville moyenne 10 28 54 2 2 1 2 100 Petite ville 12 31 12 40 2 2 2 100 Village 10 32 13 4 39 2 0 100 Rural 6 29 15 5 1 41 2 100 Étranger 14 19 6 1 2 1 57 100

Taille des communes de destination selon la commune de résidence au moment du départ du domicile parental (en %)

Effectif : 1 528 répondants sur 3 146 qui ne vivent plus chez leurs parents.
Lecture : sur 100 enquêtés qui résidaient dans une ville de taille moyenne au moment de la décohabitation, 10 % choisissent l’agglomération parisienne, 28 % une grande ville, 54 % une ville de taille moyenne, etc.
Source : enquête Mobgay (2007).

16La migration gay s’avère donc majoritairement une migration urbaine-urbaine plus qu’une migration de gays issus des campagnes ou des petites villes ; Paris n’apparaissant pas non plus comme la première destination pour les gays résidant en province au moment de la décohabitation. Au-delà des décisions personnelles ou des logiques d’affectation dans l’enseignement supérieur, le coût extrêmement élevé de la vie et d’une installation dans la capitale peuvent s’avérer un frein qu’il convient de prendre en compte du fait de l’intrication entre logiques spatiales et logiques sociales (Bonvalet & Lelièvre, 1991).

Des motivations difficiles à démêler…

17Les changements de communes résidentielles ou de pays durant l’enfance, même s’ils sont en règle générale plus subis que choisis, font partie intégrante du parcours géographique de la personne et de son expérience des lieux. Ainsi Charles, né à la Réunion, a grandi dans différentes communes de métropole. Après son départ du domicile familial, il s’installe à Montpellier, puis dans l’agglomération parisienne, avant de retourner vivre à la Réunion. Alors que le lieu de naissance ne fait pas systématiquement sens, il participe à l’histoire géographique de la personne et peut motiver des choix de retour ou d’ancrage (Guérin-Pace, 2006 ; Guérin-Pace et al., 2009). Ainsi, Jean-Marc qui a toujours vécu dans le Pas-de-Calais parle, à propos de son retour dans sa commune de naissance, de « retour à mes racines ». Les étapes de l’enfance sont constitutives des histoires individuelles, elles nourrissent l’imaginaire et la vision du monde, en particulier la vision géographique. Elles peuvent influencer les désirs d’ancrage ou d’ailleurs, par adhésion ou par rejet. C’est pourquoi nous avons considéré les étapes qui constituent le parcours depuis la naissance mais aussi les étapes du parcours après le départ du domicile parental. Pour autant, nous ne pouvons rien en déduire d’un lien nécessaire avec la question sexuelle.

18En effet, la question de la date du coming out qui marquerait un avant et un après n’a pas été posée dans le questionnaire parce qu’elle a peu de sens au regard des multiples dimensions qu’elle recèle, renvoyant davantage à un processus qu’à une situation identifiable et datable (Sedgwick, 1990). Comme le notait Michael Pollack, « on ne naît pas homosexuel, on apprend à l’être. La carrière homosexuelle commence par la reconnaissance de désirs sexuels spécifiques et par l’apprentissage des lieux et des façons de rencontrer des partenaires. Ce coming out se situe le plus souvent entre seize et trente ans. La plupart des homosexuels sont convaincus de leur préférence sexuelle bien avant de passer à l’acte. Le processus qui va du premier sentiment homosexuel au premier contact et au moment où l’homosexuel assume pleinement son orientation s’étale presque toujours sur plusieurs années et dure dans de nombreux cas jusqu’à l’âge de trente ans » (Pollack, 1993, p. 184).

19La question reste donc largement ouverte en fonction des expériences et des modes de subjectivation. Si pour certains, le départ de chez leurs parents est consciemment pensé et vécu comme un acte d’émancipation sexuelle, ce n’est pas le cas de tous les gays et de toutes les lesbiennes. Il serait donc erroné de vouloir faire de la sexualité l’unique déterminant de la migration. D’autres cadres sociaux classiques comme la classe, l’âge, la conjugalité ou le genre entrent en ligne de compte. Les déterminants des choix résidentiels, au moment du départ du domicile parental, sont aussi difficiles à démêler pour plusieurs raisons qui concernent à la fois le fait de quitter tel endroit et celles de s’installer à tel autre, mais aussi l’intrication de raisons subjectives (désir d’autonomie et d’émancipation, dimensions existentielles, quêtes, désir d’ailleurs…), socio-économiques (nécessité professionnelle ou scolaire, familiales…) ou propres à l’histoire personnelle de la personne (santé, situation affective, opportunités, rencontres…) (Desplanques, 1994 ; Courgeau, 2000). Parmi ces raisons, la dimension sexuelle est difficile à appréhender et à individualiser des autres motifs. Ce que confirment les récits recueillis [24].

20Ainsi, Pierre [25] qui a toujours vécu à Paris apprécie autant ce qui relève d’un ancrage (proximité de sa famille, familiarité aux lieux, habitudes) que ce qui relève des potentialités d’une métropole (offre culturelle) :

21

J’habite à Paris depuis très longtemps. Je n’ai pas choisi […]. Par contre, j’ai fait le choix d’y rester, parce que c’est une grande ville, que j’y ai mes habitudes, une partie de ma famille (mère, grand-mère, oncles, tantes, cousins et neveux), mes amis et que l’activité culturelle y est riche. […] Perso [le fait d’être gay] ça n’a pas eu beaucoup de poids, j’ai pas émigré et j’habite dans l’arrondissement à côté de celui où je suis allé à l’école ! [26].

22À l’inverse, Juan quitte Paris pour retourner vivre à Barcelone, sa ville de naissance :

23

– Quelle est la place de l’homosexualité dans vos choix migratoires et résidentiels ?
– En gros, ma vie : je suis né à Barcelone où j’ai vécu jusqu’à dix ans, puis mes parents ont décidé de venir habiter à Paris (pour le coup, ma sexualité n’intervient pas)… Puis je grandis, je découvre plein de choses et j’en fais part aux gens qui m’entourent… Du coup, la situation n’est pas celle que j’espérais, je décide de m’éloigner de la famille et aussi des amis parisiens pour revenir à Barcelone… J’ai alors 21 ans et on peut dire que la sexualité a joué un rôle dans mon départ… Mais pas seulement. Disons que j’avais toujours voulu revenir à Barcelone, mais là, la sexualité, ma recherche de moi d’une certaine manière, a donné une certaine excuse à mon départ. Il se justifiait vis-à-vis de mes parents et vis-à-vis de moi… Ce n’était plus qu’une simple fuite ou un caprice… C’était autre chose. (Recueilli par mail à l’issue de l’enquête).

24Juan s’inscrit dans une démarche de mise à distance de sa famille et de son entourage alors même qu’il réside à Paris. L’homosexualité fait indubitablement partie de ses motivations de départ, sans toutefois être exclusive. Elle s’avère un motif valable pour légitimer aux yeux de son entourage un retour dans la ville de son enfance, qu’il souhaitait de longue date. Cet exemple, qui correspond à la situation de 5 % des répondants qui quittent Paris pour l’étranger au moment de la décohabitation, est révélateur de la complexité des différentes dimensions qui motivent et donnent cohérence aux parcours de mobilité.

25D’autres facteurs, nous y reviendrons, entrent en ligne de compte, comme l’orientation scolaire, l’engagement dans la vie professionnelle ou les obligations militaires. Ces différentes dimensions étant parfois choisies, parfois subies. Ainsi, Georges décide de quitter Paris pour partir en coopération au Cameroun, expérience qui le conduit à poursuivre son parcours dans des mobilités internationales. La coopération (République centrafricaine, Ghana, Allemagne, Corée du Sud, etc.) est une façon pour certains de prendre leur distance et de tenter l’aventure dans un cadre structuré.

26Inversement, Sébastien a grandi dans une agglomération du Nord, il fait son service militaire dans une commune rurale de la Vienne où il ne se plaît pas vraiment, notamment parce que ses amis et sa région d’origine lui manquent. Enfin, Thomas a passé son adolescence à Nantes, assumant de façon précoce et ouverte son homosexualité tant auprès de ses amis que de sa famille. Passionné de montagne, il décide après ses études supérieures de devenir guide, et part s’installer dans un village de Savoie où il s’épanouit tout en reconnaissant que ce choix de vie ne favorise pas la stabilité de sa vie de couple, du fait de la distance qui le sépare de son compagnon. Pour autant, alors que Sébastien est revenu temporairement vivre à Lille [il y restera un an avant de s’installer dans une petite ville de Bretagne avec son compagnon], Thomas inscrit son choix dans la durée [il y vit depuis plus de 10 ans].

27Ces différents exemples mettent en évidence à la fois la complexité des formes de mobilités mais aussi la nécessité de prendre en compte l’ensemble du parcours afin d’en observer la richesse, les bifurcations, et la façon dont les choix peuvent être repensés et reformulés au gré des événements, des opportunités mais aussi des accidents ou des échecs.

Des parcours multiformes

28Tous les gays n’ont pas nécessairement changé de commune ou de pays de résidence. Ainsi 15 % des répondants déclarent ne jamais avoir changé de commune de résidence depuis leur naissance [27]. Pour ceux qui ont changé au moins une fois de commune ou de pays de résidence, le nombre d’étapes, la forme et les éléments qui composent leur parcours, mettent en lumière une hétérogénéité de situations ; éléments nécessaires à prendre en compte pour la compréhension des phénomènes migratoires.

Par le nombre d’étapes

29L’enquête menée sur internet nous a permis de recueillir 3 587 parcours géographiques [28]. Ces parcours se décomposent en 16 771 étapes (communes ou pays dans lesquels les personnes ont résidé plus d’un an). Quelle que soit l’enquête (MobGay ou HdV [29]), le nombre moyen d’étapes se situe autour de trois. L’âge constitue bien entendu un facteur déterminant du nombre d’étapes, et il est nécessaire, pour établir une comparaison entre les deux enquêtes, d’observer le contenu des parcours à âge comparable entre les deux enquêtes [30]. Si la forme d’ensemble de la distribution du nombre d’étapes selon l’âge ne diffère pas de manière significative entre les deux enquêtes, on relève toutefois une légère surreprésentation dans l’enquête Mobgay des parcours comportant plus de trois étapes pour les plus jeunes (moins de 32 ans). Il est cependant difficile d’interpréter cette faible différence, en lien avec la spécificité de la population étudiée, au regard de cette seule comparaison.

Par les formes des parcours

30L’enchaînement des étapes qui constituent un parcours [31] s’inscrit dans des localisations successives dont les caractéristiques permettent de donner sens à l’ensemble du parcours en termes de stratégies migratoires. Outre la taille des communes de résidence, la localisation géographique est un élément important qui permet de décrire l’étendue spatiale des parcours (Guérin-Pace, 2009). Ici nous nous intéressons à la forme des parcours géographiques en termes de taille de localisations successives. Celui-ci sera qualifié d’« ascendant » si les étapes qui s’y succèdent se produisent dans des localités de taille supérieure, de « descendant » si la taille des localisations décroît au fur et à mesure des étapes, et de « mixte » si des étapes dites ascendantes et descendantes alternent dans la trajectoire [32].

31Ainsi, contrairement à ce qui est fréquemment affirmé dans la littérature, les parcours des gays et des lesbiennes ne sont pas nécessairement ascendants dans la hiérarchie urbaine ; d’autres formes de parcours existent (graphiques 2 et 3, p. 130). En effet, après le départ du domicile parental, près d’un répondant sur trois a connu un parcours dans lequel alternent des étapes vers des communes de plus grande et de plus petite taille. Ainsi, Pierre, né à Laval où il a grandi, entreprend ses études d’ingénieur à Angers et trouve un premier emploi à Paris avant de s’installer avec son ami dans une maison qu’ils ont achetée à Tours. Il en est de même pour Yves, dont le parcours alterne entre métropoles et petites villes du sud-ouest, du fait des mobilités imposées par son travail de cadre.

Graphique 2

Les parcours après la décohabitation parentale au regard des parcours depuis la naissance

Graphique 2

Les parcours après la décohabitation parentale au regard des parcours depuis la naissance

Lecture : est désigné comme parcours global l’ensemble des étapes du parcours géographique depuis la naissance et comme parcours autonome l’ensemble des étapes du parcours géographique depuis le départ du domicile parental. La comparaison permet de montrer que l’expérience spatiale acquise est variée et ne peut se réduire à une localisation de départ (par exemple l’archétype du provincial montant à Paris). Ensuite, les parcours géographiques ascendants dans la hiérarchie urbaine – ce que Didier Éribon a qualifié de « fuite vers la ville » – représente moins d’un tiers des parcours géographiques recueillis et existent aussi, dans une moindre mesure, dans le parcours géographique global. Enfin, dans plus d’un cas sur dix, les étapes du parcours s’enchaînent vers des communes de moindre densité, ce qui est plus rarement le cas dans le cas des parcours qui incluent le parcours familial.
Champ : 2 744 trajectoires – dont la trajectoire de 81 répondants résidant toujours au domicile familial – entièrement renseignées et identifiées.
Source : enquête Mobgay (2007).
Graphique 3

Parcours géographiques des lesbiennes et gays après la décohabitation parentale

Graphique 3

Parcours géographiques des lesbiennes et gays après la décohabitation parentale

Champ : 2 663 parcours géographiques autonomes renseignés dont 364 relatifs aux lesbiennes.
Source : enquête Mobgay (2007).

32Les parcours de type ascendant concernent une personne sur cinq. Dans ce cas, la mobilité se produit rarement des communes de petite taille vers des très grandes mais semble s’opérer plus progressivement au sein de la hiérarchie urbaine. Ainsi, Frédéric s’est installé à Caen après avoir vécu successivement à Granville et Saint-Lô et Marc à Tours après Niort et Poitiers – ou de proche en proche à la fois dans la hiérarchie urbaine et selon la proximité géographique – ainsi Jules quitte Narbonne pour Montpellier et Robert, Felletin pour Limoges. Inversement, un petit nombre de répondants possède un parcours descendant en termes de taille au sein de la hiérarchie urbaine. Cette catégorie, totalement atypique pour la littérature sur la migration des gays, est intéressante car parmi eux, certains ont fait l’expérience d’une grande mobilité tant par le nombre d’étapes de leur parcours que par l’éloignement (un tiers a vécu notamment à l’étranger ou dans les DOM-TOM). Dans la majorité des cas, et comme pour les parcours ascendants, la circulation dans la hiérarchie urbaine se fait sans grande rupture. Ainsi, Etienne quitte Nantes pour Le Mans ou Luc quitte Paris pour Clermont Ferrand. Plus rares sont ceux qui sont passés de Paris ou d’une métropole à une commune rurale ou à un village. Il s’agit toutefois pour certains de réaliser en couple un projet d’accession à la propriété ou d’installation dans un meilleur cadre de vie, stratégie migratoire observée de manière classique (Courgeau, 1985 ; Bonvalet & Lelièvre, 1991). Dans ce cas, l’installation peut s’effectuer en bord de mer, à la montagne ou à la campagne, dans des régions bénéficiant d’une image attractive en termes de richesse patrimoniale, de qualité et de cadre de vie.

33Enfin, pour certains, les mobilités se déroulent au sein d’unités urbaines de taille comparable en différents lieux du territoire [33]. Ainsi, Pierre quitte Toulon pour Brest, tandis qu’Alain déménage d’Orléans à Tours. De même, Thierry quitte Paris pour s’installer successivement à Pantin, Saint-Maur et Sartrouville. Dans la majorité des cas (3 cas sur 4), il s’agit d’une circulation entre grandes villes ou au sein de l’Ile-de-France.

34La différenciation des parcours selon l’identité sexuelle tend à mettre en évidence une moindre fréquence des parcours ascendants des lesbiennes au profit de parcours mixtes et du maintien dans la même commune (graphique 3). Une étude sur un échantillon plus important de lesbiennes devrait être menée afin d’approfondir la compréhension de leurs comportements migratoires et de mieux les documenter.

Par les éléments qui composent ces parcours

35Indépendamment de la forme générale des parcours, la nature des étapes qui les composent est extrêmement variée d’une personne à l’autre. Ainsi, trois répondants sur cinq ont vécu dans une grande ville et un tiers a résidé au moins durant une année à Paris (graphique 4, p. 132).

Graphique 4

Localisation des étapes des parcours géographiques (après le départ du domicile parental)*

Graphique 4

Localisation des étapes des parcours géographiques (après le départ du domicile parental)*

Champ : 2 663 parcours géographiques renseignés dont 364 relatifs aux lesbiennes.
Lecture : 18 % des gays ont effectué au moins une étape de leur parcours à l’étranger (plus d’un an). Cette proportion est la même pour les lesbiennes.
*18% des tranches d’unité urbaine n’ont pu être identifiées, principalement dans des communes de moins de 50 000 habitants, les chiffres indiqués sous?estiment donc fortement les étapes rurales et villageoises.
Source : enquête Mobgay (2007).

36L’expérience parisienne est réduite dans la littérature à la ville centre. La banlieue, que ce soit les communes bourgeoises de l’Ouest parisien ou les communes populaires de la Seine Saint-Denis, demeure largement un impensé. Or 28 % des répondants déclarent avoir connu au moins une étape de leur parcours dans une commune de banlieue, ce qui mériterait une étude en soi afin de mieux appréhender les vécus dans ce type d’espace généralement présentés comme homophobes (Fassin, 2010). De même, les répondantes lesbiennes ont plus fréquemment que les répondants gays résidé en banlieue plutôt qu’à Paris. Ce différentiel a souvent été interprété comme un effet de genre – les lesbiennes en tant que femmes auraient un revenu moindre que celui des gays – qui masque une grande diversité de situations économiques (type d’emploi, niveau de revenu selon la situation conjugale et/ou familiale, patrimoine, effet de génération et période d’entrée sur le marché immobilier…). Il convient d’envisager aussi de façon non exclusive d’autres paramètres comme les arbitrages en matière de logement (taille, caractéristiques…), mais aussi de localisation du logement (accessibilité, environnement…) qui conduisent des lesbiennes à investir des communes en cours de gentrification comme celle de Montreuil.

37Si les grandes villes demeurent un élément central d’une majorité de parcours (58 %), les villes moyennes (43 %) ainsi que les petites villes (30 %) ne doivent pas être négligées. Ces espaces constituent aussi des pistes fécondes encore trop peu explorées en France pour rendre compte des expériences des gays et des lesbiennes et des changements de comportement migratoire au cours du cycle de vie.

38Plus d’un répondant sur cinq (22 % [34]), gay ou lesbienne, a vécu à un moment donné de son parcours dans un village ou à la campagne. Les expériences rurale ou villageoise sont moins fréquentes que les expériences urbaines, a fortiori chez les plus jeunes qui ont grandi en ville. Ce différentiel peut être imputé à une raison structurelle – le renforcement général de la citadinité du fait de la transition urbaine – et à des choix résidentiels plus tardifs dans le parcours – s’installer en couple dans une commune rurale après une période de résidence en ville. Enfin, un répondant sur quatre déclare avoir vécu à l’étranger ou dans les DOM-TOM pour une durée d’au moins un an. Ces éléments mettent en évidence des formes d’individualisation originale des parcours en positif (être passé par) comme en creux (ne pas être passé par). De ce point de vue, il n’existe pas de différence significative entre les gays et les lesbiennes ayant répondu à l’enquête.

Par les raisons invoquées

39Les migrations ne se résument pas à de simples flux statistiques, aussi précis soient-ils. Il s’agit d’un événement spatial et temporel complexe dans lequel il est extrêmement difficile de distinguer les choix sur la base des motivations. En effet, les raisons [35] qui sous-tendent les mobilités mêlent à la fois des motifs de départ (pourquoi quitter une commune ?) et ceux du choix de la commune ou du pays d’arrivée (pourquoi une commune plutôt qu’une autre ?). Or les migrants n’ont pas toujours une appréhension claire et univoque de ces motivations, comme nous l’avons constaté par exemple avec le parcours de Juan. Celles-ci sont le produit d’un arbitrage pas toujours maîtrisé et maîtrisable, entre désirs, rejets, opportunités, contraintes notamment économiques (prix du marché foncier, stock de logements disponibles…). « Loin d’être le simple fruit du hasard ou, à l’inverse, le seul produit mécanique des logiques du marché ou des politiques des pouvoirs publics, les “choix résidentiels” résultent d’arbitrages complexes qui engagent différentes dimensions de l’existence et de la vie sociale des individus et des ménages » (Authier, Bonvalet & Lévy, 2010, p. 7). Contrairement à la figure archétypique des DINK (dual income no kids[36]) à fort pouvoir d’achat, la structure des ménages gays et lesbiens est extrêmement hétérogène : célibataires (56 % des répondants), en couple (44 % des répondants) cohabitant ou non cohabitant, avec ou sans enfants – ces enfants ayant été conçus parfois dans le cadre d’une union hétérosexuelle précédente – autant d’éléments à prendre en considération. Christian s’est ainsi installé dans le 17e arrondissement de Paris à deux rues du domicile de son ex-femme, ce qui lui permet de voir quotidiennement son fils tout en vivant avec son ami. Pour lui, cette proximité est primordiale.

40Dans la majorité des cas [37] (7 cas sur 10), la principale motivation avancée est une motivation professionnelle (études, avancement dans la carrière…). C’est ainsi que Maxime explique sa venue à Paris :

41

Je me suis retrouvé à Paris complètement par hasard, enfin pas tout à fait, c’est ma recherche d’emploi qui m’a conduit ici aujourd’hui.
(Recueilli par mail à l’issue de l’enquête)

42À la question « Le fait d’être gay a-t-il influencé vos choix résidentiels ou votre parcours ? », il répond : « pas du tout, j’ai suivi mon évolution professionnelle ». De la même façon, Henri affirme que l’homosexualité n’a pas été déterminante dans son parcours migratoire :

43

Après avoir fait un BTS dans le Jura, j’ai trouvé mon premier job à Lyon. Il est vrai que cette grande ville m’a permis de m’assumer sans doute plus facilement et rapidement mais je n’y suis pas allé pour ça.
(Recueilli par mail à l’issue de l’enquête)

44Les études sont une des principales motivations pour gagner un centre universitaire (Marseille, Dijon, Paris, Orléans, Lille, Toulouse…). Certains mentionnent ainsi un lycée professionnel spécifique ou un IUFM où ils ont été admis. La sexualité apparaît secondairement. Ainsi, Didier qui a toujours vécu dans une grande ville et préparé un concours dont l’issu le prédisposait nécessairement à y poursuivre sa scolarité :

45

Je suis né à Strasbourg et y ai fait ma scolarité. Pour préparer mon école de commerce, j’ai concouru pour Lyon, Paris ou Lille parce que je pensais m’y épanouir plus facilement au plan sexuel que dans une ville moyenne. Je me suis retrouvé dans une ville jeune et dynamique, Lille, où j’ai vraiment commencé à vivre mon homosexualité. Dans ma carrière professionnelle, je suis resté sur ce choix de grande ville.
(Recueilli par mail à l’issue de l’enquête)

46Les perspectives professionnelles sont donc déterminantes renvoyant en cela à un motif classique de la mobilité géographique [38], motif auquel d’autres paramètres viennent s’agréger.

47Le second déterminant est d’ordre affectif et conjugal, suite notamment à une rencontre ou à une rupture. C’est pour cela notamment que le choix de s’installer dans une commune rurale isolée apparaît souvent inconcevable pour un célibataire s’il veut rencontrer quelqu’un et réaliser un projet conjugal. Les mobilités géographiques suivent aussi les mutations professionnelles de l’un des membres du couple ou sont le fait d’une installation résidentielle commune. Ainsi, Éric précise « j’ai suivi mon ami » pour expliquer son installation à Toulouse. De même, Christian commente sa venue à Paris en disant « pour rejoindre mon partenaire ». À l’inverse, une rupture peut être l’occasion d’un changement résidentiel. Serge, par exemple, est retourné vivre chez sa mère suite à sa rupture. De même, Claude quitte Paris pour Strasbourg en notant : « Expérience parisienne pénible, je rentre auprès de ma famille et de mes amis. »

48Viennent ensuite les responsabilités familiales et l’importance des liens inter ou intra-générationnels. Des situations difficiles (prise en charge de parents vieillissants, de frère ou sœur déficient ou malade…) auxquelles les personnes sont d’autant plus facilement confrontées qu’elles apparaissent au sein de la fratrie « sans charge de famille » obligeant parfois les personnes à revenir sur leur choix résidentiel pour venir en aide à leur proche. Ainsi, Timothée, après un séjour en métropole, repart en Martinique pour prendre en charge sa mère. De même, Jean, la cinquantaine, dont la sœur, mariée et mère de famille, refuse de s’occuper au quotidien de leur mère atteinte de la maladie d’Alzheimer, vendra son appartement dans le Marais et interrompra sa carrière en libéral pour s’installer chez ses parents dans un village de la Beauce.

49La qualité de vie apparaît aussi comme un élément d’arbitrage déterminant s’il se conjugue à des opportunités professionnelles. Ainsi, Jacques s’installe à Digne-les-Bains pour satisfaire son « envie de montagne » et la pratique de sports de plein air. La qualité de vie englobe des dimensions environnementales (ensoleillement, paysage, cadre de vie, …) mais aussi politiques comme la possibilité de se marier ou d’adopter des enfants.

50Contrairement à ce qui aurait pu être attendu d’un sondage intitulé « le parcours des gays et des lesbiennes » mis en ligne sur un site gay, l’homosexualité n’a été mentionnée que dans un 1 % des cas. Ainsi, Dominique justifie son installation à Paris, parce que l’« homosexualité [y est] plus facile » ou Thierry qui a emménagé à Saint-Mandé pour « quitter les parents et vivre [sa] vie affective en toute liberté ». Cette dimension transparaît davantage dans les entretiens ou les questionnaires envoyés aux répondants parisiens, sous la forme d’un processus, comme le déclare Patrick :

51

Consciemment je ne pense pas que la sexualité ait eu un impact sur le fait de venir m’établir à Paris. Je ne me voyais pas rester en province, pas assez de mouvement, d’animation mais à l’époque la question de la sexualité ne se posait pas, c’était plus un choix économique car peu de travail dans ma région. Par contre lorsque mon ex copain a été muté à l’étranger je l’ai suivi mais je ne sais pas si cela est lié à l’homosexualité, c’est un peu réducteur. Mais maintenant je ne me verrais pas aller en province et ça c’est sûrement lié à mon homosexualité.
(Recueilli par mail à l’issue de l’enquête)

52Enfin, indirectement la pandémie de sida a conforté chez certain un ancrage urbain. Ainsi, plusieurs répondants motivent leur mobilité par des raisons de santé comme Nicolas pour qui le « choix [de vivre dans une grande ville] a encore été accru avec la découverte de ma séropositivité qui nécessite un suivi hospitalier de qualité qu’on ne trouve que dans les grandes villes ».

53Plutôt que de penser un modèle de parcours unique et a priori spécifique, par sa forme comme par sa dynamique, il est intéressant de voir comment les parcours se différencient notamment entre les personnes qui ont toujours résidé dans la même commune et ceux qui en ont changé.

Ceux qui restent ou les sens de l’ancrage

54Sur l’ensemble des répondants, une personne sur cinq n’a jamais changé de commune de résidence depuis sa naissance jusqu’au moment de l’enquête (graphique 5). Ce premier résultat est en soi intéressant car il contrevient à l’idée selon laquelle les gays seraient nécessairement mobiles ; mais il masque des situations très hétérogènes qu’il convient de différencier et d’apprécier à partir d’indicateurs plus fins.

Graphique 5

Les lieux de vie des sédentaires (comparaison enquêtes Mobgay et Histoire de Vie)

Graphique 5

Les lieux de vie des sédentaires (comparaison enquêtes Mobgay et Histoire de Vie)

Champ : 369 personnes qui ont toujours vécu dans la même commune (Mobgay)
Lecture : parmi les personnes qui n’ont jamais changé de commune de résidence depuis leur naissance, 10 % vivent dans la banlieue d’une grande ville (Enquête Mobgay 2009). Cette proportion est de 7,5 % dans l’enquête HdV (2003). Les résultats doivent être appréciés à l’aune des effets d’âge et d’appartenance sociale qui différencient les échantillons des deux enquêtes.
Source : enquête Mobgay (2007)

Ancrage et effets des transformations urbaines

55Si l’on excepte ceux qui n’ont pas encore quitté le domicile familial, les répondants qui n’ont jamais changé de commune de résidence représentent 13 % de l’échantillon, chiffre un peu supérieur à celui observé dans l’enquête HDV (11 %).

56La majorité de ceux qui déclarent dans l’enquête Mobgay ne pas avoir changé de commune de résidence depuis leur naissance sont pour l’essentiel des urbains, métropolitains ou parisiens (graphique 5). Un sur trois réside dans une ville de plus de 200 000 habitants, notamment Lille, Marseille, Bordeaux, Rouen ou Rennes. Un sur six réside dans l’agglomération parisienne et un sur dix à Paris. Viennent ensuite les villes moyennes (un sur cinq) avec une prédominance des villes du Sud-Ouest. Les petites villes apparaissent rarement comme des lieux d’ancrage ; à noter qu’il s’agit principalement de villes côtières du Nord-Ouest (Dieppe, Vannes, Saint-Malo). Enfin, les communes rurales le sont encore plus rarement avec une répartition géographique qui renvoie à des contextes hétérogènes allant des communes rurales de Beauce aux communes touristiques littorales ou montagnardes. Au final, les gays et les lesbiennes qui restent dans leur commune de naissance sont majoritairement des urbains qui n’ont pas nécessairement pu ou eu envie de quitter un environnement familier qu’ils maîtrisent et dont ils mesurent les avantages.

Ancrage et vulnérabilité sociale

57Une analyse plus fine de la structure par âge et par diplôme des répondants qui n’ont pas quitté le domicile familial révèle une dimension méconnue de la littérature qui insiste principalement sur une prise d’autonomie précoce des gays (Schiltz, 1998). 67 % d’entre eux ont plus de 20 ans et 14 % ont plus de 30 ans. Notons que ces derniers apparaissent plus faiblement dotés en capital scolaire puisque 25 % des plus de 20 ans de ce groupe ont un niveau CAP-BEP [39] (contre 12 % dans l’échantillon total). En miroir des gays qui partent précocement de chez leur parents et qui sont fortement diplômés, il convient donc de prêter attention à la situation de ceux qui, pour des raisons extrêmement diverses, notamment des problèmes de santé, des contraintes familiales ou socio-économiques, n’ont jamais changé de commune de résidence depuis leur naissance ou vivent encore chez leurs parents. On peut faire l’hypothèse que certains demeurent captifs du fait de leur précarité tandis que d’autres trouvent au sein de leur structure familiale un soutien.

58Cette situation est à rapprocher des 43 répondants (un peu plus de 1 % de l’échantillon) qui, à un moment donné de leur parcours, sont retournés vivre temporairement chez leurs parents. Un des répondants précise ainsi être retourné chez ses parents « par manque d’argent » [40]. Un deuxième mentionne des « raisons de santé et un arrêt de travail ». Un troisième, suite à une tentative de suicide, confie : « À la sortie du centre de rééducation, je suis retourné chez ma mère. » Inversement, plusieurs répondants justifient leur migration par le fait d’avoir été mis à la porte de chez eux pour des raisons liées à leur homosexualité. Selon la National gay and lesbian task force, dans un rapport publié en février 2007, de 20 à 40 % des jeunes de la rue aux États-Unis sont homos, bi ou trans et 25 % d’entre eux ont été « virés » de chez leurs parents suite à leur coming out[41]. Parfois, la situation est plus complexe et l’homosexualité n’est pas le motif déclencheur de l’éviction du domicile familial. Ainsi un des répondants mentionne : « Seulement quatre mois après mon arrivée à la maison, le beau-père a directement dit à la mère que c’était moi ou lui et elle m’a dit de partir, un mois auparavant il avait mis le plus grand de ses deux fils d’un premier mariage à la porte de la maison. » En miroir des familles qui excluent les jeunes gays et lesbiennes, notamment lors de la découverte de leur homosexualité, d’autres familles demeurent un recours, un soutien ou une solution de repli. L’acceptation de l’homosexualité par la famille est donc un facteur important de compréhension de ces questions.

59Enfin, il convient de prendre en compte la situation des gays et des lesbiennes qui, parce que réputés célibataires ou du moins n’ayant pas d’enfant à charge, sont sollicités pour soutenir leur famille (parents vieillissants ou malades, frère ou sœur dans le besoin…) et renoncent à leurs propres projets pour s’y consacrer. Ainsi, Anna quitte Paris où elle mène une vie qu’elle juge heureuse avec sa compagne pour la campagne toulousaine où sa mère vieillissante ne peut plus assurer les travaux agricoles et nécessite une aide quotidienne. Elle assume ce sacrifice en sachant que son frère marié avec deux enfants ne le fera pas [42].

60La gestion de la distance à la ville n’est donc pas si simple à interpréter et elle change fortement au cours des étapes du cycle de vie. Contrairement à l’idée communément admise d’une prise de distance avec l’environnement familial, la gestion de la distance varie fortement selon les contextes géographiques, selon les parcours notamment professionnels et selon les histoires personnelles (coming out, vie affective…).

Ceux qui partent sans s’éloigner

61L’ancrage peut aussi jouer à d’autres échelles, notamment celle de l’agglomération ou de la région. En effet, une partie des mobilités observées s’effectue parfois dans des espaces proches (communes d’une même agglomération, même département ou même région). Ainsi, Serge qui a grandi à Metz s’est installé successivement dans quatre communes de l’agglomération. Plus largement, 17 % des répondants qui ont changé de commune depuis leur naissance sont restés au sein du même département (par comparaison, c’est un sur quatre dans l’enquête HdV). L’attachement à une ville, un département ou une région, ne doit donc pas être négligé dans l’analyse des migrations queer et demanderait à être mieux renseigné. C’est le cas par exemple du département du Nord auquel appartiennent 9 % des personnes qui n’ont jamais changé de département. Yves, quant à lui, a effectué plusieurs allers-retours entre Nice, Cannes et Marseille, ne quittant jamais le littoral méditerranéen. Ces éléments montrent que les trajectoires géographiques des gays et des lesbiennes n’impliquent pas nécessairement une mise à distance qui s’apparenterait à une fuite. Contrairement à ce qui a pu être avancé par Didier Éribon (1999), cela ne fait pas sens pour tous et il importe de bien distinguer ce qui relève d’une expérience commune et ce qui relève d’autres cadres sociaux, ce qui relève du semblable et de la différence.

Conclusion et perspectives

62« Les idéologies de la sédentarité, et leurs productions de normativités spécifiques, ont déjà fait place, dans ces épaisseurs du “souterrain des choses”, comme les désignait Walter Benjamin, à des repérages plus fluides, inaugurant de nouveaux rapports entre identités et altérités. Pour cela, il est indispensable de dépasser les préalables de la ville comme totalité en intégrant à sa définition les mouvements, les réseaux, les multiples circulations qui la constituent autant de l’extérieur que de l’intérieur » (Tarrius, 2001, p. 38). Cette proposition est ici validée au regard des parcours étudiés. Sa prise en compte est apte à augurer de nouvelles perspectives de recherches qui intègrent les mobilités quotidiennes ou résidentielles, mobilités qui dépassent et déplacent le cadre des possibilités de la ville. Notre étude a donc permis de reformuler un des principaux paradigmes des études gays et lesbiennes – à savoir « la fuite vers la ville ». La prise en compte de la mobilité et des parcours dans leur diversité et leur complexité ouvre de ce point de vue des perspectives fécondes, puisqu’elle permet de mettre en lumière et de penser une pluralité d’expériences et de modes de subjectivation au-delà du modèle dominant. Elle permet aussi de repenser les catégories, en invalidant l’idée d’un mode de vie gay posé a priori ; ce mode de vie n’implique pas nécessairement la congruence entre lieu de résidence et espace de sociabilité ou de sexualité. Nous rejoignons en cela l’axiome 1 d’Ève K. Sedgwick : « les gens sont différents les uns des autres », ce qui implique de « s’interroger sans cesse sur la manière dont opèrent certaines catégorisations, sur ce qu’elles accomplissent et sur les relations qu’elles créent, plutôt que sur ce qu’elles signifient essentiellement » (2008 [1990], p. 47).

63Au-delà de ces perspectives scientifiques, cette recherche, par la mise au jour de la diversité des parcours gays et de leur importance en dehors du seul cadre parisien, permet de penser l’application de politiques publiques dans un cadre plus adéquat. Ainsi, alors que les politiques de prévention ou de lutte contre l’homophobie sont souvent diffusées dans les métropoles et les lieux dédiés, il conviendrait d’en élargir le cadre et de les penser à l’échelle nationale, sur l’ensemble du territoire, ce qui inclut aussi les DOM-TOM. Une politique de lutte contre l’homophobie ambitieuse, loin de postuler le phénomène comme étant le propre d’une classe ou d’un espace, devrait passer par une sensibilisation nationale.

Notes

  • [1]
    Cette enquête a bénéficié du soutien du journal Têtu, en particulier de l’appui de son rédacteur en chef Thomas Doustaly et de l’aide de son webmaster, David Alonso, qu’ils en soient ici remerciés.
    Nous tenons aussi à remercier pour leur aide dans le traitement des données Arnaud Bringé (SMS, Ined), Bénédicte Garnier (SMS, Ined) et Raphaëlle Fleureux (CMH – Institut Quételet).
  • [*]
    Maître de conférences – IDUP-Paris1-Panthéon Sorbonne – Chercheuse associée à Identités et territoires des populations (UR12-INED) IDUP – 90 rue Tolbiac – 75013 Paris
    Marianne.Blidon@univ-paris1.fr
  • [**]
    Directrice de recherche – Identités et territoires des populations (UR12-INED) INED –133 bd Davout – 75020 Paris
    guerin@ined.fr
  • [2]
    Cette question a principalement été étudiée sous l’angle de l’expatriation, du tourisme et de la mondialisation (Puar, 2002 ; Collins, 2005 et 2009 ; Blidon & Roux, 2011).
  • [3]
    « Yet the nature of queer migration - individual migrants’ motivations and destinations, and paths, patterns and scales of relocation - remains little studied and inadequately conceptualized » (Gorman-Murray, 2007, pp. 105-106).
  • [4]
    « Need to conceptualize queer migration and to ponder why migration is significant to so many sexual dissidents » (Binnie, 2004, p. 90).
  • [5]
    Le terme queer (bizarre, étrange, pédé) est polysémique. À l’origine, il constitue une insulte pour désigner les gays et les lesbiennes, insulte réappropriée par des mouvements sociaux radicaux comme le groupe Queer Nation dans les années 1990 aux États-Unis. Ce groupe revendique une approche antiraciste, antisexiste et anti-assimilationniste, très critique vis-à-vis du consumérisme de la communauté gay urbaine blanche. L’expression est utilisée en 1990 par la théoricienne féministe Teresa de Lauretis qui intitule son séminaire Queer Theory pour se démarquer des Gay et lesbian studies qu’elle juge a-critiques. Aujourd’hui, le terme revêt des sens différents selon les auteurs. Il peut désigner la fluidité des identités sexuelles ou être employé comme synonyme de l’acronyme LGBT (lesbienne, gay, bisexuel-le, transsexuel-le).
  • [6]
    En tant que catégorie, l’« homosexualité » renvoie à une notion d’orientation sexuelle (psychiatrique), de choix d’objet de désir (psychanalytique) et de pratique sexuelle (sociologique). « L’homosexualité fait du choix d’objet du même sexe un principe fondamental de différenciation sexuelle et sociale » (Halperin, 2003). Aujourd’hui, le terme s’utilise par opposition simplificatrice à hétérosexualité. C’est dans cette acception que le terme sera utilisé ici comme adjectif.
    Pour ce qui est de la désignation des personnes, les enjeux autour des catégories mobilisés sont vifs, comme le rappelle Eve Kosfosky Sedgwick, « être gai ou être potentiellement identifiable en tant que tel – soit être sexué ou genré – revient à se trouver simultanément sous l’emprise d’un discours universalisant sur les actes et les relations, d’un discours minorisant sur les types de personnes. En raison des doubles contraintes implicites dans l’espace de chevauchement entre les modèles universalisant et minorisant, les enjeux en matière de contrôle définitionnel sont extrêmement élevés » (2008, p. 72).
    Dans le cadre de cet article, nous utiliserons principalement les termes « gay » et « lesbienne » plutôt qu’« homosexuel-le » tout en respectant les termes utilisés par les différents auteurs cités. En effet, dans notre cas, ce ne sont pas tant les pratiques sexuelles qui déterminent le critère de catégorisation de la population que la nomination de soi en tant que « gay » ou « lesbienne » par opposition à « bisexuel-le » ou « hétérosexuel-le ». L’auto-nomination relève d’un processus social et identitaire qui va au-delà des pratiques sexuelles et permet de se penser comme appartenant à un groupe minoritaire dans une société où l’hétérosexualité est la norme dominante (Blidon, 2008).
  • [7]
    « For lesbian and gay migrants within national borders, the primary shift is from rural to urban ; provincial to metropolitan » (Binnie, 2004, p. 92).
  • [8]
    « They [the cities] became places where gays could, to some degree, escape from the constant pressures of an intolerant heterosexual society » (Lauria & Knopp, 1985, p. 158).
  • [9]
    « The density and cultural complexity of cities, meanwhile, has led to frequent portrayals of sexual diversity and freedom as peculiarly urban phenomena. As a result, minority sexual subcultures, and the communities and social movements sometimes associated with these, have tended to be more institutionally developed in cities than elsewhere » (Knopp, 1995, p. 149).
  • [10]
    L’ouvrage Retour à Reims permet d’ailleurs de remettre en perspective cette analyse centrée sur la stigmatisation sexuelle en introduisant la question de la honte sociale et de l’arrachement à son milieu d’origine. Didier Éribon rappelle : « En retournant à Reims, j’étais confronté à cette question, insistante et déniée (du moins largement déniée dans ce que j’ai écrit aussi bien que dans ma vie) : en prenant comme point de départ de ma démarche théorique – donc en installant comme cadre pour me penser moi-même, penser mon passé et mon présent – l’idée, en apparence évidente, que ma rupture totale avec ma famille pouvait s’expliquer par mon homosexualité, par l’homophobie foncière de mon père et celle du milieu dans lequel j’avais vécu, ne m’étais-je pas donné, en même temps – et aussi profondément vrai que cela ait pu être –, de nobles et incontestables raisons pour éviter de penser qu’il s’agissait tout autant d’une rupture de classe avec mon milieu d’origine ? » (Éribon, 2009, p. 25).
  • [11]
    Julie Abraham dans Metropolitan lovers. The Homosexuality of Cities (2009) met en évidence le lien entre les travaux de l’École de Chicago en écologie urbaine et la conception de l’homosexualité comme déviance. « Consequently, the city’s relation to nature depends, for Park, on the relation to nature of the city’s emblematic “abnormal” residents, people such as the city’s queers. They must have an innate disposition to their deviance for the city to develop. The right relation to nature of the invert, then, guarantees the city’s right relation to nature. The question of the “naturalness” of cities merges with the question of the “naturalness” of homosexuality » (Abraham, 2009, p. 153).
  • [12]
    « This generalization is ironically drawn from work on a range of highly urbanized countries […] and overlooks the commonsense assumption that most internal migration is actually urban-to-urban, thus eliding the real diversity of queer relocations. Moreover, the normalization of rural-to-urban movement is also theoretically problematic, intimating a once-and-for-all emergence from the rural ‘closet’, and hence presenting as teleological and ontologically final » (Gorman-Murray, 2007, p. 106).
  • [13]
    « The “city-hopper” is the norm, while the rural out-mover is actually in the minority, and this is as likely to be true for queer migrants as for the rest of the population. […] Rather, I suggest that the assumption that the predominant and conceptually grounding trajectory of queer intranational migration is rural-to-urban is untenable when the highly urbanized nature of these societies is acknowledged, and that other paths of relocation are likely to be equally important for queer people » (Gorman-Murray, 2007, p. 109).
    Inversement, comme l’a montré l’enquête Biographie et entourage, la migration vers Paris a eu un sens pour toute une génération de provinciaux indépendamment de leur sexualité : « La migration vers Paris a constitué l’un des moments forts de leur trajectoire qu’elle se soit passée durant leur enfance ou à l’âge adulte. Seuls 39 % des enquêtés de la génération 1930-1950 présents sur le territoire francilien en 2000 sont Franciliens de naissance. Les autres, originaires de province (35 %) ou de l’étranger (24 %) sont arrivés plus tard (Beaufils & Bonvalet, 2006). Ils sont pour la plupart passés d’un mode de vie à la campagne ou dans les petites villes, de la ferme ou de la maison, à l’habitat collectif dans la capitale ou sa banlieue, voire en périphérie dans l’univers des grands ensembles » (Robette N., Bonvalet C. & Bringé A., 2012, « Les trajectoires géographiques des Franciliens depuis leur départ de chez les parents », in Bonvalet C. & Lelièvre E. (dir.), De la famille à l’entourage, Paris, INED/Puf, pp. 177-202).
  • [14]
    On retrouve une logique similaire dans l’explication des migrations subsahariennes : « Tenter d’expliquer les mouvements migratoires par l’existence de déterminants structurels, communs à tout ou partie des migrants, a souvent tendance à simplifier les faits pour mieux les catégoriser, et ne permet pas réellement de sortir de la dualité quête/fuite dans laquelle sont trop facilement confinés les phénomènes migratoires. […] privilégiant les déterminants migratoires aux dépens des projets des migrants (Cohen, 1996). Ces théories enfermaient les migrants […] ne leur reconnaissaient pas le droit d’avoir des désirs subjectifs » (Brachet, 2009, pp. 54-57).
  • [15]
    Une première version des résultats de l’enquête est parue dans Blidon M. (2007), Distance et rencontre. Éléments pour une géographie des homosexualités, thèse de doctorat sous la direction de Christian Grataloup, Paris, Université Paris 7-Denis Diderot.
  • [16]
    En effet, il est difficile d’établir avec certitude ce qui relève de la spécificité des parcours, de la spécificité de la population étudiée ou de la spécificité de l’échantillon.
  • [17]
    Nous entendons ici par parcours les différentes communes ou pays qui composent les étapes migratoires depuis la naissance jusqu’au moment de l’enquête.
  • [18]
    Pour une présentation détaillée de l’enquête, consulter l’annexe électronique 1 sur le site de la revue : http://sociologie.revues.org/1835
  • [19]
    Sur la question de la place des gays et des lesbiennes dans l’enquête, voir l’annexe électronique 2 sur le site de la revue : http://sociologie.revues.org/1836
  • [20]
    Le questionnaire a été mis en ligne sur le site du magazine Têtu durant trois mois. 3 587 personnes y ont répondu. Au final, 239 questionnaires ont été écartés : 6 questionnaires du fait des incohérences qu’ils contenaient, 8 du fait du non-renseignement du parcours géographique, 11 du fait de répondants hétérosexuels, 15 du fait de répondants mineurs, ainsi que 199 répondants n’ayant jamais vécu en France.
    Voir ce questionnaire en annexe électronique 3 sur le site de la revue : http://sociologie.revues.org/1837
  • [21]
    « La moitié des répondants est âgée de moins 35 ans. Comme nous en avions fait l’hypothèse, les internautes sont en moyenne plus jeunes (34 ans [15-78]) que les lecteurs de la presse (37,4 ans [13-92]). Les jeunes de moins de 25 ans représentent 16,2 % des répondants via Internet contre 12,2 % pour ceux de la presse écrite. Parallèlement les répondants âgés de 35 ans et plus sont moins nombreux à avoir répondu par Internet que par la presse (43,7 % versus 56,0 %) » (Premiers résultats de l’Enquête Presse Gay 2004, 22 juin 2005, p. 5. http://www.anrs.fr).
  • [22]
    Dans l’enquête, il s’agit d’un niveau de diplôme et non d’un diplôme acquis ; ce qui permet d’appréhender la durée de scolarisation, indépendamment de la validation – ou non – du diplôme et d’intégrer les non diplômés qui pour autant n’en ont pas moins été à l’école.
  • [23]
    Si une étape de résidence était située à l’étranger, seul le pays de résidence était demandé.
  • [24]
    Voir le prolongement de l’enquête en annexe électronique 4 sur le site la revue : http://sociologie.revues.org/1838
  • [25]
    Afin de préserver l’anonymat des personnes, non seulement les prénoms sont fictifs, mais nous avons fait le choix de ne pas citer les communes de faible densité en nous en tenant à une échelle régionale et de ne pas donner des indications trop précises concernant l’enchaînement des étapes des mobilités géographiques.
  • [26]
    Propos recueillis par mail à l’issue de l’enquête MobGay.
  • [27]
    Cette proportion est très similaire à celle obtenue dans l’enquête HdV (2003).
  • [28]
    Sur 3 587 questionnaires recueillis, 3 150 étaient remplis de manière exhaustive. Cependant, seulement 2 744 parcours ont pu être analysés en raison de l’impossibilité d’identifier certaines étapes résidentielles, principalement localisées dans des communes rurales, bourgs ou petites villes et de l’existence d’homonymes.
  • [29]
    Parmi les enquêtes qui peuvent servir de comparaison, l’enquête « Histoire de vie » (HDV) sur la construction des identités. Réalisée en 2003, auprès de 8 403 personnes, par l’INSEE en collaboration avec l’INED et plusieurs autres partenaires (Crenner et al., 2006), cette enquête en population générale permet d’aborder différents aspects de la vie sociale des personnes (emploi, lieux de vie, loisirs) et liens sociaux. Elle permet en outre de disposer de l’ensemble des parcours des personnes, restituée par les communes ou les pays de résidence successifs (Ville I. & Guérin-Pace F., 2005).
  • [30]
    Rappelons que les répondants à l’enquête Mobgay (2007) sont en moyenne plus jeunes qu’en population générale.
  • [31]
    Chaque étape a été codée en indiquant la tranche d’unité urbaine dans le recensement le plus proche de la date de l’étape migratoire (Guérin-Pace, 2006).
  • [32]
    Cette terminologie ne vise pas à qualifier les parcours mais renvoie d’une part à l’image archétypique de la montée à la ville et d’autre part aux travaux sur la hiérarchie urbaine et la circulation dans les systèmes de villes.
  • [33]
    Nous avons qualifié les parcours géographiques de ce type, de « stagnants ».
  • [34]
    En raison des localités qui n’ont être identifiées avec certitude au moment de la saisie des données (18 %), en particulier en milieu rural, la proportion d’étapes rurales dans les parcours géographiques est largement sous estimée.
  • [35]
    Les motivations analysées, via la question de l’enquête (quelle est la principale motivation du changement ?) et via le questionnaire qui l’a prolongée, ne sont qu’une piste de réflexion qui ne saurait couvrir l’ensemble de cette question.
  • [36]
    DINK est un acronyme qui désigne les couples sans enfant, hétérosexuels ou homosexuels - qui ont un double revenu et qui constituent une cible marketing importante pour les services ou les produits de luxe et de loisirs. Ils sont conçus comme des prescripteurs de tendance à fort pouvoir d’achat.
  • [37]
    À chaque étape renseignée du parcours, les répondants devaient mentionner un motif selon trois modalités : raison professionnelle, raison affective ou autre (réponse libre).
  • [38]
    Ainsi, « l’estimation de la probabilité de migrer entre 1982 et 1990 […] montre que, chez les individus âgés de 15 à 24 ans en 1982, les préoccupations professionnelles contribuent significativement à expliquer les choix de migration, et ce, plus particulièrement pour les jeunes qui résidaient dans le rural en 1982. La structure familiale (agrandissement de la famille) et le statut d’occupation du logement jouent un rôle prépondérant dans l’explication des migrations des 25-44 ans, alors que la situation professionnelle semble, pour eux, moins influente » (Détang-Dessendre C., Piguet V. & Schmitt B., 2002, p. 62).
  • [39]
    Les plus diplômés (niveau Bac+5 et plus) ne représentent que 6 % de cette catégorie alors qu’ils représentent 22% des répondants.
  • [40]
    Les extraits présentés ici proviennent soit du questionnaire en ligne – les répondants ayant la possibilité de justifier leur mobilité par une réponse libre –, soit des questionnaires (n=82) envoyés par mail aux répondants parisiens ou des 8 entretiens compréhensifs menés à l’issue de l’enquête auprès d’hommes se définissant comme « gays ».
  • [41]
    « Sans domicile fixe. Errances homos », Têtu, n°123, 2007, p. 120.
  • [42]
    La question du vieillissement et les spécificités que cela implique pour les gays et les lesbiennes ouvre des perspectives de recherche très riches et jusqu’à présent peu documentés en dehors de la littérature américaine autour de l’aging LGBT ; perspectieves qui mériteraient d’articuler la question des droits à celle des parcours.
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Parmi les dimensions spécifiques des modes de vie gays, classiquement présentées dans la littérature en sciences sociales, figure celle de la migration vers les métropoles supposées anonymes, tolérantes et émancipatrices. Afin d’éprouver cette théorie, nous avons recueilli au moyen d’une enquête en ligne plus de 3 500 questionnaires de personnes se déclarant gays ou lesbiennes. Cet article met en évidence la diversité des parcours géographiques remettant ainsi en cause l’exclusivité du modèle archétypique de « la fuite vers la ville » (Éribon, 1999). Après une présentation de l’enquête, il explore dans un premier temps les localisations au moment de la décohabitation parentale, puis il décrit la forme des parcours géographiques en fonction du nombre d’étapes, de leur localisation et de leur enchaînement. Décrire la diversité des parcours migratoires des gays permet d’une part de penser une pluralité de modes de subjectivation et d’autre part d’ouvrir des perspectives de recherche fécondes en sociologie des homosexualités.

Mots-clés

  • migration
  • parcours
  • rural/urbain
  • homosexualité
  • enquête en ligne
  • sociologie des sexualités

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Marianne Blidon [*]
  • [*]
    Maître de conférences – IDUP-Paris1-Panthéon Sorbonne – Chercheuse associée à Identités et territoires des populations (UR12-INED) IDUP – 90 rue Tolbiac – 75013 Paris
    Marianne.Blidon@univ-paris1.fr
France Guérin-Pace [**]
  • [**]
    Directrice de recherche – Identités et territoires des populations (UR12-INED) INED –133 bd Davout – 75020 Paris
    guerin@ined.fr
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
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Mis en ligne sur Cairn.info le 27/09/2013
https://doi.org/10.3917/socio.042.0119
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