1Le trimestre que Maurice Halbwachs passe à l’université de Chicago à l’automne 1930 est pour lui l’occasion de nombreuses découvertes [1]. La ville et son organisation, l’importante division du travail ou les coutumes locales sont des sujets d’étonnement interminable pour le sociologue français. Mais c’est probablement la rencontre avec ses collègues étasuniens qui suscite chez lui les plus grandes surprises. L’abondance de moyens, leurs objets d’étude ou encore les méthodes auxquelles ils recourent le laissent entre intérêt et perplexité. À propos de Middletown, un futur classique des études de communauté (Lynd & Lynd, 1930 [1929]), il écrit que l’analyse est « comique souvent, mais minutieuse et vivante ». Il refuse aussi de suivre un chercheur dans ses pérégrinations de terrain qu’il trouve trop dangereuses. Et de ses collègues, dit qu’ils sont « plus drôles que Mark Twain », mais pas vraiment rigoureux. Durkheimien fervent, il est tout particulièrement effaré par leur recours quasi nul aux statistiques. À la fin du trimestre, il note à propos de Park et Burgess, les deux figures de proue du département, qu’ils sont « pleinement originaux » mais « paraissent ignorer tout de nos théories ». Il conclut cependant : « je les aime bien, je les admire un peu » (Marcel, 1999, p. 49 sq.).
2Depuis la visite d’Halbwachs, les sociologues français sont sûrement moins prompts à reprocher à leurs collègues d’outre-Atlantique leur incompétence dans l’usage des statistiques. Mais l’intérêt pour des travaux souvent considérés comme importants pour la discipline, tout comme une certaine perplexité à la lecture de nombreux textes sont eux toujours bien présents. Il y a même un paradoxe entre d’un côté la diffusion importante comme le prestige actuel de la sociologie étasunienne à l’étranger, et la réception ambivalente dont elle est l’objet chez de nombreux chercheurs – ce d’autant plus si ces derniers ont été formés dans un espace disposant d’une tradition intellectuelle propre. Largement diffusées, souvent citées et perçues comme prestigieuses, les productions étasuniennes ne sont ainsi pas transparentes ni directement utilisables par les sociologues français. D’un côté et de l’autre de l’Atlantique, les questions de recherche, les méthodes, les modes d’administration de la preuve ou encore l’organisation des articles diffèrent, en moyenne, assez nettement entre les deux traditions. Et s’il ne faut pas accentuer les différences, le décalage est toutefois bien présent.
3Des échanges plus ou moins importants existent pourtant entre les deux espaces, et ce, depuis longtemps. Que ce soit au niveau des thèmes, des méthodes ou des formes de raisonnement, les sociologies française et étasunienne ont abondamment emprunté l’une à l’autre. Côté français, de très nombreux travaux ont bien documenté différents aspects de la discipline. Pour n’en citer que quelques-uns parmi les plus récents, certains se sont intéressés aux courants ou aux auteurs (Cefaï & Saturno, 2007 ; Chapoulie, 2001 ; Coulon, 2002 [1987] ; Guth, 2004) ; d’autres ont fait découvrir l’approche étasunienne sur certains objets (Pélisse, 2005 ; Sapiro, 2009) – parfois dans le cadre d’ouvrages plus généraux (Dubar & Tripier, 2005 ; Ogien, 1999). D’autres encore ont importé certaines réflexions sur les méthodes (Cefaï, Costey, Gardella et al., 2010 ; Degenne & Forsé, 2004 ; Peretz, 2002 a ; Peretz, 2002 b) ou ont étudié les acteurs de ce transfert (Chapoulie, 1991 ; Marcel, 1999). S’ils accroissent notre compréhension de ces objets particuliers, les travaux cités et tous les autres ne nous renseignent finalement que partiellement sur la discipline dans son ensemble. Aussi pertinents soient-ils, ils ne donnent forcément qu’une vision partielle des préoccupations, des intérêts et des références mobilisés par les sociologues étasuniens. Des pans entiers de cette sociologie, voire parfois des éléments essentiels de son organisation socio-intellectuelle, sont passés sous silence lors de ce travail d’importation.
4Par contraste et en complément de ces travaux, on cherche ici à dessiner les contours de l’espace de la sociologie étasunienne contemporaine. Plus précisément, l’article se propose de prendre pour objet la production standard (mainstream), afin de brosser à grands traits un tableau de la discipline et de ses principales évolutions. Une telle étude contribue ainsi à éclairer les normes qui guident la production sociologique étasunienne à un moment donné. L’étude de la production dominante doit aussi permettre de mieux comprendre certaines oppositions qui ont vu le jour au sein même de cet espace. L’analyse du « centre » de la sociologie permet une meilleure compréhension de ses marges. Sans se focaliser sur ce dernier point, l’article mentionne quelques exemples.
5Une telle approche, qui pose les bases d’une étude topographique de la discipline (Abbott, 2001 ; Bourdieu, 1984 ; Platt, 2010), est riche de résultats. Elle met en lumière les principales tendances de la sociologie étasunienne contemporaine en ce début de xxie siècle et montre les orientations communes, comme les lignes de rupture qui parcourent la discipline. Tableau riche d’une discipline diverse, cette étude fournit des éléments pour comprendre l’incompréhension que les chercheurs français peuvent, à la suite d’Halbwachs, ressentir à la lecture des recherches de leurs collègues d’outre-Atlantique. L’article montre en effet que des différences marquées subsistent dans la pratique de la sociologie entre les deux pays : qu’il s’agisse des objets, des questionnements, des modes d’écriture, des méthodes ou encore des formes légitimes d’administration de la preuve. Et si des rapprochements ont pu se produire et si l’accroissement des échanges internationaux peut parfois réduire ces écarts, la sociologie étasunienne contemporaine reste une sociologie spécifique, et ce, d’autant plus qu’on considère le cœur de la discipline.
6L’analyse combinée des contenus, de données démographiques et des structures institutionnelles démontre le caractère particulier de la sociologie étasunienne contemporaine. En même temps qu’il justifie la focale nationale retenue, l’article établit d’abord que la production y est relativement autocentrée et inscrite dans un cadre national. Ensuite, l’étude de l’épistémologie implicite qui gouverne la production d’une majorité de travaux atteste de l’existence d’un régime épistémologique particulièrement prégnant dont les normes organisent la recherche. Enfin, la discipline s’est spécialisée de manière importante ces trente dernières années, ce qui a conduit les débats à se réorganiser autour des espaces que forment les sections thématiques de l’association professionnelle.
Encadré 1 : Quelles données pour étudier le MAINSTREAM ?
Tout comme l’ajs, l’asr veut être une chambre d’enregistrement des meilleurs travaux du moment. Aucune des deux revues ne peut toutefois capturer la diversité d’une discipline forte de près de 15 000 membres et de plus de 100 revues généralistes ou plus souvent spécialisées. En particulier, le choix de l’asr pour mener une analyse statistique approfondie ignore les variations entre les articles publiés dans la revue et le reste de la discipline. Elle est d’ailleurs ponctuellement attaquée pour son caractère non représentatif (Becker, 1990).
Ces remarques confirment l’intérêt d’une telle démarche plus qu’elles ne constituent une limite de l’usage de la revue comme observatoire. C’est parce qu’elle est un enjeu de pouvoir dans la discipline que la publication dans l’asr est l’objet de tant de débats. La revue est un point de passage quasi obligé pour les chercheurs qui veulent faire carrière dans un département de recherche prestigieux et seront en charge de la formation des étudiants. Point de vue particulier sur la discipline, une telle approche permet toutefois d’étudier avec une certaine précision sa production dominante.
Les données statistiques sont pour partie tirées de l’exploitation de la base de données compilée par Martin & Yeung (2003). Les chercheurs avaient alors codé intégralement les articles de l’asr par tranches de quatre ans tous les quinze ans. La base initiale a ensuite été complétée (1 153 articles, une vingtaine de variables). En outre, les travaux existants sur la sociologie étasunienne ont été extensivement consultés et mis à profit pour cette étude [voir bibliographie extensive en ligne : http://sociologie.revues.org/1030]. Enfin, la fréquentation pendant plusieurs années d’un département de sociologie étasunien [2], de ses publics (étudiants et professeurs) comme de ses rites (dîners, conférences, séminaires) ou de certaines de ses institutions (les réunions de l’American Journal of Sociology) oriente ce travail. Elle fournit des hypothèses qu’on a ensuite cherché à confirmer par d’autres méthodes.
Une sociologie étasunienne ?
7Une étude centrée sur un espace intellectuel national a-t-elle encore un sens à l’heure de la mondialisation des savoirs ? Est-il même pertinent de parler de sociologie étasunienne aujourd’hui ? La question est souvent posée et avec d’autant plus d’acuité que les dernières décennies ont vu se multiplier tant les flux entre pays que les travaux qui invitaient à dépasser une approche centrée sur l’État-nation pour étudier tout un ensemble de phénomènes. À l’instar des autres activités humaines, mieux perçues au niveau inter-ou transnational (Appadurai, 1996, p. 156 sq. ; Held, 1999), la production intellectuelle et le fonctionnement d’une discipline dépasseraient le cadre national à tel point qu’il serait illusoire de chercher à les étudier au travers de ce prisme (Heilbron, 2008). Cette perspective, qui met justement l’accent sur les processus de circulation et d’échanges entre régions ou pays (Bourdieu, 2002), a récemment été mise à profit pour étudier les sphères académiques (Guilhot, Heilbron & Jeanpierre, 2008). Ces dernières années ont ainsi vu se développer toute une littérature qui réexamine de manière critique tant les concepts et les outils utilisés pour décrire ces productions nationales que l’idée même de l’existence d’un « style » ou d’une « forme » nationale.
8Peut-on, dans ces circonstances, parler de sociologie étasunienne ? À la suite des travaux qui montrent que la diffusion croissante d’objets matériels ou culturels peut s’accorder d’un maintien des spécificités locales, on constate que l’internationalisation de la recherche, souvent évoquée, n’a pas entraîné de dé-nationalisation de la sociologie étasunienne.
Une production autocentrée
9Par bien des aspects, la sociologie étasunienne contemporaine est toujours autocentrée, et ce, d’autant plus qu’on se rapproche du cœur de la discipline. Objets, auteurs, évaluateurs ou langage de diffusion montrent tous un ancrage national de la discipline. Parmi les 25 ouvrages de sociologie les plus vendus (Gans, 1998), tous portent au moins pour partie sur la société étasunienne. L’étude menée par M. Centeno sur les articles publiés entre 1990 et 2002 dans les principaux journaux de la discipline souligne que seuls 15 % des articles évoquaient une zone géographique autre que les États-Unis. Les auteurs remarquent aussi que les chiffres étaient encore plus faibles pour les autres titres, et la situation plus marquée encore « si on ne considère plus seulement le sujet de ces articles, mais aussi leur épistémologie ou encore leur bibliographie » (Kennedy & Centeno, 2007, p. 697). Cette situation est variable d’un sous-espace à l’autre, et le même isolement ne prévaut pas partout : la sociologie historique, la sociologie de la mondialisation et toutes les approches comparées (système-monde, certains travaux de sociologie politique) utilisent un matériau empirique qui n’est pas strictement étasunien. C’est aussi le cas des différentes studies (principalement cultural et science and technology), qui sont aussi marginales et ont souvent une structure institutionnelle propre. Mais ces cas ne suffisent pas à infléchir une règle autrement bien établie.
10L’inscription nationale des productions sociologiques étasuniennes est encore plus nette si on prend d’autres indicateurs que l’objet d’étude. Ainsi, les principales revues de la discipline, points de passage obligatoires pour faire carrière dans les meilleures universités, publient avant tout des auteurs qui sont affiliés, et le plus souvent ont été formés dans des institutions étasuniennes. Dans les trois principales revues, ce pourcentage varie entre 91 et 93 % pour la période 1992-1997 (Seale, 2008). Cette tendance est stable sur le long terme. Les données compilées par John Levi Martin et King-To Yeung (Martin & Yeung, 2003) illustrent ce point : si une légère augmentation a fait « chuter » à 90 % la proportion des articles de l’asr publiés par des auteurs rattachés à un département universitaire étasunien, plus de 5 % de ceux restants proviennent de pays anglophones. Et même s’il est en augmentation, le niveau de publication atteint par des auteurs affiliés à l’étranger ne fait que rejoindre celui des années 1930, au moment du lancement de la revue.
11Il en va de même pour les évaluateurs des manuscrits soumis aux principales revues, et de l’appréciation desquels dépend le sort d’un article. Les reviewers des principaux journaux, ces évaluateurs anonymes extérieurs auxquels sont confiés les manuscrits soumis, sont pour plus de 90 % d’entre eux affiliés à une université étasunienne [3]. Cette situation est d’autant plus significative que leur rôle va bien au-delà de l’acceptation ou du refus des articles. Dans le cadre d’un processus de décision à deux temps (invitation à resoumettre pour les meilleurs articles ou R and R [Revise and Resubmit], puis décision finale), les évaluateurs sont souvent invités à juger les améliorations portées au manuscrit initialement soumis. Leurs commentaires influent sur la réécriture de ces derniers. Par leurs conseils, ils orientent fortement le produit final. Dans ces circonstances, l’écrasante surreprésentation d’évaluateurs étasuniens, dotés d’une formation et de références sinon similaires, du moins plus proches que celles de la plupart de leurs collègues étrangers, ne peut qu’accentuer la singularité de la production intellectuelle, individuelle et collective.
Appropriation et adaptation
12Le fait que les objets de recherche, les auteurs des articles et les pairs chargés de l’évaluation soient principalement affiliés aux États-Unis ne suffit pas à démontrer le caractère autocentré de la discipline. Après tout, il se pourrait que les sociologues étasuniens mobilisent abondamment les travaux de leurs collègues étrangers. Ce n’est pas vraiment le cas.
13Les chercheurs étasuniens se nourrissent indéniablement des travaux produits à l’étranger. Mais cette importation nécessite une opération de traduction qui, si elle n’est pas réalisée, rend les textes invisibles. Ainsi, rien ou presque de ce qui n’est pas traduit en anglais n’est cité. Selon J. Heilbron, sur un total de 22 000 citations relevées dans les deux principales revues de la discipline (l’asr et l’ajs), les Annales sont mentionnées une fois, tout comme Sociologie du travail. La Revue française de sociologie, la mieux classée, compte elle huit références. Sur les cent premières revues les plus citées, toutes ne sont pas étasuniennes, mais toutes sont en revanche en anglais (Heilbron, 2009, p. 353) [4].
14L’étude des références au travail de Pierre Bourdieu, sans aucun doute l’un des sociologues les plus cités aux États-Unis ces dernières années, montre bien l’influence de la traduction : parmi les citations relevées dans les deux revues (ajs et asr), seules deux mentions sont faites à Actes de la recherche. Comme le conclut Heilbron, « pour exister, il faut publier en anglais ou être traduit en anglais » (Heilbron, 2009, p. 353), confirmant par là des tendances massives observées à d’autres niveaux (Ammon, 2010 ; de Swaan, 2001 ; Gingras & Mosbah-Natanson, 2010 ; Sapiro, 2008).
15Linguistique, le travail de traduction doit aussi être intellectuel : il s’agit alors d’adapter les questions théoriques de recherche aux méthodes de leurs praticiens. Ainsi, si certains textes de theory (french ou non) ont connu une seconde vie aux États-Unis, la sociologie n’a pas été l’un des terreaux les plus fertiles pour l’adaptation de ces travaux. Surtout, la citation s’est faite par un travail de réappropriation, phénomène classique de la circulation des idées (Hauchecorne, 2009) qui dans le cas de l’importation aux États-Unis des théories continentales est d’abord passée par leur opérationnalisation. Ce travail de redéfinition, préalable à la mise à l’épreuve empirique des concepts et souvent réalisé parallèlement à la présentation de l’enquête, doit en préciser le sens afin de les rendre testables empiriquement. Ces recherches doivent ainsi être retravaillées afin de les faire rentrer dans un cadre intellectuel particulier [5]. C’est vers ce dernier, et en particulier vers l’épistémologie dominante, qu’on se tourne désormais.
Une trajectoire épistémologique singulière
16Un trait, qui caractérise bien la sociologie étasunienne contemporaine quand on la compare à la sociologie telle qu’elle se produit dans certains autres pays ou dans d’autres disciplines académiques, est le régime épistémologique qui sous-tend la production intellectuelle dominante (Abbott, 1990 ; Bryant, 1985 ; Steinmetz, 2005 a). Cet aspect est particulièrement bien mis en avant par les travaux comparatifs (Platt, 2010). Tous insistent à leur manière sur le tournant qu’aurait pris la discipline depuis la seconde moitié du xxe siècle. Et si, dans cette littérature foisonnante, aucun consensus n’émerge quant aux origines, ou à la meilleure manière de caractériser ce régime, l’étude de ces principes qui sous-tendent l’enquête sociologique fournit un fil directeur solide pour aborder la structuration contemporaine de la discipline.
Le régime épistémologique et sa pratique
17Trois traits caractérisent le régime épistémologique qui domine la sociologie étasunienne actuelle : l’empirisme, le vérificationnisme et la cumulativité (Bryant, 1985). L’empirisme désigne l’idée selon laquelle il n’est de connaissance qui ne soit fondée sur des données précises et méthodiquement collectées. Pour être scientifique, la sociologie doit reposer sur une enquête empirique précise, dont la construction a été explicitée et la méthode collectivement validée. À la suite des auteurs du cercle de Vienne, le principe de vérification désigne le fait que seules les propositions analytiques ou empiriquement testables ont un sens. Dans le cas de la sociologie, les chercheurs sont donc invités à énoncer explicitement la thèse que leur recherche va établir, puis à montrer en quoi leur méthode permet de la prouver. Enfin, l’idée de cumulativité souligne que chaque nouveau travail doit apporter une contribution à la littérature existante. Une recherche est donc considérée comme scientifique quand elle apporte un résultat nouveau – qui du fait de la division du travail entre disciplines est le plus souvent théorique (voir ci-dessous pour les relations de la sociologie avec l’histoire).
18Une telle définition ne distingue pas fondamentalement l’épistémologie de la sociologie étasunienne de celle qui a cours dans de nombreux autres pays [6]. C’est en fait dans son intensité et dans ses applications que les différences se manifestent de manière bien plus nette. Ces principes sont clairement à l’œuvre dans la pratique sociologique, depuis la conception de l’enquête (le research design) jusqu’à l’écriture des articles et la restitution des résultats. Et plus encore que dans les discours, c’est dans des pratiques du quotidien que se manifeste cet « inconscient épistémologique » (Steinmetz, 2005 a) qui structure la production sociologique étasunienne bien au-delà des controverses entre paradigmes théoriques ou des questions de méthode. Deux éléments démontrent bien cette situation : l’organisation des articles et les relations de la discipline aux formes alternatives de description du monde social.
19Le format même des articles, potentiellement déconcertant pour les chercheurs étrangers, est une représentation pratique de ce régime. Un article standard de l’asr est en effet organisé autour de parties stables dont les intitulés se retrouvent avec quelques variations d’un article à l’autre : Introduction avec une vaste revue de littérature/données et méthodes/résultats/discussion sur la portée de ces derniers (I/D&M/R/Di). Particulier, ce modèle qui emprunte aux sciences de la nature est aussi canonique puisque cette structure est présente dans près de 82 % des articles de l’asr dans les années 1990. Cette proportion est estimée à 3,4 % en France pour la sociologie (Pontille, 2003, p. 224).
20L’empirisme s’y donne à voir dans l’obligation de présentation explicite de données collectées, par ailleurs, de manière méthodique [données et méthodes]. La vérification est visible dès l’introduction : celle-ci explicite la thèse précise de l’article, avant que l’auteur ne montre dans la partie méthode comment il passe de l’argument théorique général à la formulation d’une hypothèse susceptible du test empirique. Enfin, la cumulativité se donne à voir en introduction et en conclusion. D’emblée, le texte doit se situer dans la « littérature » (d’où les très nombreuses références dans les premières pages d’un article) et préciser spécifiquement la contribution qu’il y apporte. Il doit donc mettre en avant la « valeur ajoutée » (Lamont, 2011) de la recherche. La section « discussion » invite à expliciter dans quelle mesure les résultats obtenus sont généralisables avant d’ouvrir sur les prolongements possibles.
21L’existence de ce régime est tout aussi nette dans la comparaison avec d’autres sociologies ou avec certaines disciplines. Dans un article comparatif, G. Abend souligne des différences assez marquées entre les articles de sociologie contemporaine aux États-Unis et au Mexique. Il montre ainsi que si un problème empirique est l’objet principal de l’article au Mexique dans 93 % des cas, cette proportion est strictement inversée aux États-Unis, où l’accent est par différence mis sur la généralisation possible à partir du cas et sur les conclusions théoriques qu’il permet de tirer (Abend, 2006). Cette différence s’éclaire à la lumière du critère de vérification. L’injonction à démontrer méthodiquement l’argument se fait en effet au détriment de la description extensive, perçue comme inutile dès qu’elle n’étaye pas l’hypothèse. Dans la sociologie étasunienne standard, le cas ne vaut que rarement en tant que tel, mais plutôt – une fois bien défini – par la contribution théorique nouvelle qu’il permet de faire.
22L’épistémologie implicite n’est toutefois jamais aussi saillante que quand on met la production sociologique en regard de formes concurrentes d’analyses du monde social disponibles aux États-Unis. Comme dans d’autres espaces académiques nationaux, le journalisme y est construit comme un spectre, une figure proche, mais repoussoir par laquelle la discipline pose sa spécificité en s’opposant. Toutefois, la critique le plus souvent portée à l’égard du journalisme n’est pas tant l’absence de travail de construction de l’objet que son caractère uniquement descriptif. En d’autres termes, c’est l’incapacité des journalistes à prouver méthodiquement leurs résultats comme à les généraliser qui sépare le plus sûrement leur métier de la sociologie. S’ils ont en partage l’empirisme, journalisme et sociologie se distinguent donc sur la vérifiabilité que les sociologues n’accordent pas aux journalistes.
23La situation est, mutatis mutandis, similaire en ce qui concerne les rapports entre sociologie et histoire. La trajectoire épistémologique particulière prise par la sociologie étasunienne à partir des années 1950 fait qu’elle entretient des rapports relativement distendus avec cette dernière. Les sociologues insistent sur le fait que leur discipline ne cherche pas tant à mettre en avant des éléments empiriques pour eux-mêmes, mais seulement parce qu’ils permettent de vérifier une hypothèse, posée en introduction et que les développements doivent venir prouver [7]. La question de la cumulativité théorique sépare donc historiens et sociologues : pour ces derniers, le cas ne vaut que pour ce qu’il permet d’élaborer et ainsi d’apporter au corpus de savoirs théoriques constitués. Mais plus encore qu’une opposition entre explication et description, qui ne capturerait qu’imparfaitement les propriétés qui unissent et distinguent les deux disciplines, l’accent est mis en sociologie sur la production d’un concept transposable plus que sur la restitution d’une trame narrative plus ou moins systématique (voir encadré 2).
Encadré 2 : Ne pas faire de l’histoire
Après avoir souligné les limites des approches classiques sur le sujet, Gould défend l’idée selon laquelle la formation de l’identité (considérée comme un élément essentiel de la mobilisation) est principalement déterminée par l’insertion dans un réseau d’interconnaissance. La démonstration se fait en trois temps. D’abord, Gould écarte les hypothèses concurrentes à son explication en montrant qu’il existe des faits essentiels dont elles ne parviennent pas à rendre compte. Ensuite, il met en œuvre le modèle ainsi créé dans des contextes empiriques différents (révolution de 1848, Commune de Paris) afin de tester sa validité. Il prête alors une attention particulière à l’administration de la preuve, qui passe par la mise en place d’un protocole quasi expérimental. Enfin, il discute la portée de l’explication ainsi créée dans un contexte différent.
24Il ne faudrait pas conclure hâtivement qu’histoire et sciences sociales ne communiquent pas. Plusieurs travaux viennent chaque année prouver que les frontières ne sont pas hermétiques, ce dont témoigne aussi la vitalité d’institutions comme la Social Science Historical Association ou de la section Historical Sociology de l’asa, qui regroupe les chercheurs intéressés aux questions historiques. Mais en même temps qu’elle leur assure une place à part, l’existence de ces espaces propres atteste de la spécificité – et leur faible diffusion du caractère finalement marginal – du recours à l’histoire et à ses outils privilégiés en sociologie.
Diffusion et extension
25L’origine comme l’emprise actuelle de ce régime sont l’objet de débats (Abbott & Sparrow, 2007 ; Bryant, 1985 ; Mills, 2006 [1959] ; Steinmetz, 2007). Tous les auteurs s’accordent en revanche pour dater de l’après-guerre l’imposition de ce modèle implicite. Différents éléments perceptibles à travers les évolutions des normes d’écriture dans l’asr viennent démontrer l’importante diffusion de ce régime.
26Le format des articles, évoqué précédemment, montre bien ces transformations à l’œuvre. Alors que dans les années 1990, la structure « I/D&M/R/Di » évoquée ci-dessus se retrouve dans plus de 80 % des articles, ce n’est le cas que pour moins d’un tiers au début des années 1950 : 20 % s’y conforment à la lettre, et 11 % s’en inspirent moins directement. Inversement, la proportion d’articles dans lesquels le matériau empirique n’est pas clairement précisé diminue dans des proportions quasi similaires. Signe de la nécessité d’une mise en avant du caractère empirique des résultats, le nombre d’articles sans base empirique explicite passe de 62 % dans les années 1930 à moins de 20 % dans les années 1990.
27C’est cependant du côté des méthodes que l’influence de ce régime épistémologique est la plus nette. Sans qu’elles en soient la cause immédiate, certaines ont facilité sa dissémination. Le développement rapide de la statistique inférentielle dans les années 1950 autour du Bureau of Applied Research de P. Lazarsfeld, tout comme sa diffusion ultérieure au cours des années 1960, font largement écho aux normes de ce régime. Conçue dans les années 1920, la technique devait permettre d’établir des liens causaux dans des situations où la répétition par voie d’expérience est impossible. C’est d’ailleurs le projet explicite de son importateur dans la discipline. Pour Herbert Blalock, les régressions permettaient d’obtenir une solution au problème de la détermination de la causalité dans les sciences de l’homme. L’auteur soutenait qu’en l’absence de possibilité de réplication des expériences en laboratoire – et donc de contrôle strict de toutes les variables – les sciences sociales ne pouvaient prétendre au même degré de scientificité que les autres disciplines.
28Ce problème devait être résolu par le développement des méthodes de régressions. Leur avantage principal est en effet, sous certaines conditions, de « contrôler » l’effet de certaines variables et d’obtenir, par construction mathématique, ces conditions de laboratoire. La technique permettait ainsi de réaliser « une inférence causale dans la recherche non expérimentale », selon le titre de l’ouvrage de Blalock (Blalock, 1980 [1961]). Absentes des publications jusque dans les années 1960, les régressions sont présentes dans 13 % des articles à la fin de la décennie au cours de laquelle les techniques sont rapidement améliorées et où sont développées conjointement les techniques de path analysis [8]. Au début des années 1980, plus de 55 % des articles de l’asr emploient la régression, et à la fin du siècle, ce chiffre approche les 70 %.
Recours aux méthodes de régression dans l’asr (1950-2000)

Recours aux méthodes de régression dans l’asr (1950-2000)
29La diffusion de la statistique inférentielle va de pair avec une modification dans l’usage des méthodes, certaines étant considérées comme plus à même d’apporter la vérification requise. Les articles de l’asr restent, des années 1930 à la fin du siècle, majoritairement composés de statistiques tirées d’enquêtes par questionnaires (le chiffre évolue entre 69 et 79 % au cours de la période). En revanche, la part de l’ethnographie diminue : elle passe de 9,1 % aux débuts de la revue à 4,6 % à la fin des années 1990, avec seulement 2 % dans les années 1980. Les diverses études basées sur des entretiens se situent entre 4 % et 11 %. De plus en plus, l’entretien est complété par des analyses de documents ou de statistiques descriptives (voir graphiques 1 et 2). Il est aussi de plus en plus souvent « codé », manuellement ou à partir de logiciels, ce qui permet de mesurer la fréquence des « thèmes » évoqués dans des entretiens eux-mêmes relativement formatés.
Type de données dans les articles de l’asr (1930-2000)

Type de données dans les articles de l’asr (1930-2000)
Type de données dans les articles de l’asr (1996-1999)

Type de données dans les articles de l’asr (1996-1999)
Variations et oppositions
30Des affinités électives évidentes existent entre les statistiques inférentielles et le régime épistémologique dominant. Les remarques précédentes ne doivent cependant pas laisser penser que celui-ci est avant tout une affaire de méthodes. Ligne de démarcation importante, la question du régime traverse – bien plus qu’elle ne recoupe – la distinction entre approches qualitatives et quantitatives. D’un côté, ces dernières peuvent être utilisées sans pour autant se placer dans un tel cadre. C’est particulièrement le cas des outils plus descriptifs comme l’analyse de données, la classification, l’analyse discriminante, qui sont ponctuellement mobilisés. Mais surtout, les données récoltées avec un ensemble de méthodes qualitatives (entretiens, archives, voire ethnographie) peuvent tout à fait être utilisées d’une manière cohérente avec ce cadre épistémologique. Plusieurs manuels indiquent comment créer une recherche qualitative qui en respecte les critères principaux. Le plus célèbre d’entre eux, rédigé par trois politistes, est cependant largement évoqué dans les cours de méthodologie de sociologie. Il soutient que « la seule différence entre recherches qualitative et quantitative, c’est le style, pas la méthodologie ni le fond » (King, Keohane & Verba, 1994, p. 4), et propose des moyens pour rendre les techniques qualitatives plus scientifiques.
31L’empreinte de ce régime est relativement profonde. La querelle des approches, initiée dans les années 1960 (Gouldner, 1980 [1970]) et qui a culminé au cours des années 1980, s’est soldée par la victoire de ses promoteurs (Steinmetz, 2005 b, p. 120). Ses traces sont toujours particulièrement visibles, et ce, en dépit des nombreuses oppositions à cette approche comme du rejet croissant du terme de « positivisme », qui a souvent servi d’étendard dans ces conflits [9]. La critique est aussi plus forte en sociologie que dans d’autres disciplines (comme la science politique ou l’économie, et dans lesquelles l’hétérodoxie est une position plus marginale). Nombreux sont les courants et les auteurs qui se sont démarqués, plus ou moins explicitement, de ce cadre épistémologique.
32Prendre la sociologie aux États-Unis comme un espace organisé partiellement autour de cette question épistémologique offre une grille de lecture imparfaite [10] mais éclairante, non seulement pour saisir la pratique dominante, mais aussi pour comprendre nombre de prises de position alternatives et de débats contemporains.
33Exhortation à développer une sociologie plus attentive à la description et au caractère contextuel des faits sociaux étudiés par les chercheurs, A. Abbott a proposé dans les années 1990 de développer un « positivisme narratif », une formule qui n’a de sens que dans un contexte où dominent la statistique inférentielle et le « causalisme ». Une telle perspective, qui cherche à se différencier des modèles de régression et des hypothèses sur lesquels ils s’appuient pour fonctionner, invite alors à un recours accru à la description qui ne soit pas un retour à l’individu ou à l’événement (Fabiani, 2003). Plutôt, il s’agit de proposer des méthodes de formalisation qui soient plus attentives aux processus et aux événements pour décrire le monde social. Les méthodes d’appariement optimal [Optimal Matching Analysis] sont un exemple de ce contextualisme robuste qui affirme éviter les écueils de la narration subjective et du positivisme (Abbott, 1995).
34On peut même émettre l’hypothèse que c’est l’avènement incontesté de ces « modèles de la réalité linéaire » (Abbott, 1988) qui explique en retour l’engouement qu’ont connu certaines méthodes ces dernières années. Des études systématiques devraient montrer plus précisément comment l’épuisement du « paradigme des variables », dont l’attrait diminue au fur et à mesure qu’il se diffuse dans un espace compétitif où existe une prime à la nouveauté, est de fait un facteur important de l’adoption massive de certaines approches alternatives. Mais en première analyse, l’idée d’une dialectique entre un régime épistémologique dominant et des alternatives plus ou moins fortes peut constituer une perspective fructueuse pour comprendre le développement ou le renouveau récent de certaines approches qui font plus de place à la description, comme c’est le cas de l’ethnographie ces dernières années.
35Fil directeur robuste pour saisir les principes implicites qui guident la production sociologique contemporaine, l’épistémologie implicite est un trait que partagent de nombreux travaux. Un autre aspect essentiel à la compréhension de la sociologie étasunienne est la forte spécialisation interne qu’a connue la discipline ces trente dernières années.
Une discipline structurée autour des sous-champs thématiques
36Un changement important dans la discipline ces trente dernières années est l’organisation des débats autour de sous-champs thématiques, souvent identiques aux sections de l’American Sociological Association qui en assure le fonctionnement. Comme dans le cas du régime épistémologique, il s’incarne donc dans des pratiques comme dans les institutions de la discipline, asr et asa en premier lieu. Marqué, ce changement n’est pas sans conséquences sur la production intellectuelle. Il n’est pas non plus sans conséquences sur la manière dont on doit appréhender la discipline : contrairement à une certaine pratique de manuels et d’ouvrages de synthèse qui divisent le champ selon les grands auteurs, les écoles ou les courants théoriques, la sociologie étasunienne est désormais organisée avant tout autour des subfields et des sections qui en forment la structure.
Une importante spécialisation
37Depuis l’institutionnalisation de la sociologie comme discipline académique, la question de sa spécialisation interne est objet de débats. Peu de temps après la fondation de l’American Sociological Society, l’ancêtre de l’association professionnelle actuelle, des voix se sont élevées pour évoquer les avantages, mais aussi les graves dangers que ferait porter la spécialisation au projet intellectuel de la discipline. Lors de la création des deux premières sections spécifiques au sein de l’ass [11], Albion Small, premier directeur du département de sociologie à l’université de Chicago, rappelait ainsi la primauté des « sessions plénières et du comité exécutif ». C’est en leur sein seulement qu’est possible « l’étude des problèmes spécifiques de la société, avec la perspective la plus large possible » (Starr, 1983, p. 68). Tout au long du XXe siècle, les mêmes espoirs d’une connaissance plus précise et peurs d’une surspécialisation ont été ponctuellement évoqués.
38Si la désirabilité de la spécialisation interne à la discipline est un sujet controversé, l’existence d’un tel processus depuis plus de trente ans est attestée par tous. Il est d’ailleurs souvent le point de départ commun des réflexions relatives aux orientations de la discipline (Cole, 2001 ; Halliday & Janowitz, 1992), comme il est celui des études sur la structure sociale ou sur la production intellectuelle de celles-ci (Cappell & Gutterbock, 1992 ; Daipha, 2001) dont le nombre s’est considérablement accru au cours des deux dernières décennies. Plusieurs indicateurs de cette diversité sont mobilisés de manière récurrente. Le nombre de revues professionnelles spécialisées en est un. En dépit de la difficulté à obtenir un nombre précis du fait de frontières labiles entre disciplines, Hargens (1991, p. 344) estime que leur nombre est passé de 138 en 1968 à 229 en 1980. L’augmentation massive (66 %) est suivie d’une stabilisation (7 %) au cours de la décennie suivante.
39L’hétérogénéité croissante des domaines de recherche est surtout bien illustrée par la croissance du nombre de sections au sein de l’American Sociological Association. En 1959, les membres de la principale association professionnelle du pays décident d’accorder plus de place aux sections thématiques, qui sont alors évoquées comme autant d’espaces intégrés à l’association mais destinés à permettre un approfondissement des savoirs spécifiques (Rhoades, 1981). Elles sont, selon les statuts actuels, « destinées à accroître la communication et la coopération et les interactions entre des personnes qui partagent un même intérêt, et ce, à l’intérieur du cadre plus général de l’association ». Organisées autour d’une thématique commune (qui peut être empirique, théorique ou méthodologique), les sections doivent pouvoir évoluer au fil des intérêts des chercheurs. Une procédure de création, plusieurs fois révisée, permet d’en modifier la liste via la création ou, plus rarement, la suppression de l’une d’entre elles.
40Si leur nombre reste relativement stable dans les années 1960 (il passe de 5 à 8), il connaît une croissance fulgurante lors des années suivantes pour atteindre 48 en 2009 [12]. Il y avait donc à la fin de la décennie actuelle six fois plus de sections qu’en 1970, et ce, alors même que leur nombre était resté stable des années 1920 aux années 1960. Au cours des quatre dernières décennies, leur nombre a crû, y compris dans les périodes de ralentissement, voire de baisse des effectifs et des financements, comme ce fut le cas dans les années 1980. Cette augmentation est d’autant plus nette qu’elle s’est accompagnée d’un investissement accru de ces sections par les sociologues. Alors que près de 75 % des chercheurs n’appartenaient à aucune section en 1961, cette proportion tombe à 50 % en 1987 (Simpson & Simpson, 1994, p. 270). La possibilité de multi-inscription fait d’ailleurs que le nombre d’adhérents aux sections dépasse désormais celui des membres de l’asa (Graphique 4).
Adhésions à l’asa et à ses sections (1906-2010)

Adhésions à l’asa et à ses sections (1906-2010)
41Ce changement est toutefois relativement récent, puisque c’est seulement en 1988 que les adhésions aux sections ont dépassé les adhésions à l’association. La croissance s’est depuis poursuivie avec la même intensité. En 2009, du fait des inscriptions multiples, les sections comptaient 21 000 membres, contre seulement 14 000 à l’asa – ce dernier chiffre est relativement stable depuis cinq ans, et inférieur au niveau connu au moment du pic des années 1970 [13].
L’organisation sociale et intellectuelle autour des sous-champs
42Le processus de diversification et de spécialisation intellectuelles qu’a connu la sociologie étasunienne depuis quarante ans s’est largement organisé autour des sections thématiques. Illustration de la diversification des intérêts, la multiplication des sections en est aussi partiellement la résultante. L’asa joue en effet depuis le début du xxe siècle, et de manière croissante, un rôle structurant dans le fonctionnement de la discipline. Turner & Turner (1990) voient même dans son existence la principale cause des orientations de la discipline des cinquante dernières années. Établissant un lien entre la structure organisationnelle et la production intellectuelle, ils expliquent que l’association, son fonctionnement, les financements qu’elle favorise et les récompenses qu’elle distribue, sont cruciaux pour la vie intellectuelle de la discipline. Si Turner et Turner n’y consacrent pas de longs développements, une des raisons de cette fragmentation constatée par tous est partiellement à chercher du côté du développement des sections thématiques et du sous-champ [subfield] dont elles assurent l’existence.
Encadré 3 : l’american sociological association
Destinée, selon le vœu d’un de ses fondateurs, à n’être qu’une organisation collégiale « à l’infrastructure et à l’organisation aussi simples que possible » (Rhoades, 1981), l’association a toujours joué un rôle essentiel. De l’affirmation d’une autonomie disciplinaire dès les premières années à la création de l’American Sociological Review en 1936 [14] ou à la mise en place d’une encyclopédie des sciences sociales et du Social Science Research Council (1925), association en charge de promouvoir les sciences sociales, l’asa a joué un rôle important dans la discipline dès les premières années de son existence. Le nombre de ses membres, comme ses missions, a crû de manière stable du début du siècle jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Par la suite, elle a connu une augmentation fulgurante de ses membres pendant près de trente ans pour atteindre 15 000 adhérents en 1975 (voir graphique 5). L’adhésion est vivement encouragée, ne serait-ce que pour des raisons pratiques (nombreuses informations réservées aux membres), et dans les grands départements du pays, le taux d’adhésion (des doctorants aux professeurs émérites) est proche de 100 %.
43Loin de n’être que des cadres institutionnels déconnectés de la production intellectuelle de la discipline, les sections l’accompagnent mais aussi l’influencent à plus d’un titre, et ce, de manière croissante depuis trente ans. En plus des réunions et de la mise en relation qu’elles assurent (listes de discussion, newsletters propres à chaque section, offres d’emploi accessibles aux membres seulement), elles sont un cadre à l’intérieur duquel ont lieu de multiples échanges avec des collègues– et potentiels recruteurs. Leur réunion annuelle, organisée à la mi-août dans le cadre de la conférence de l’asa, est un moment d’échange intellectuel, mais encore plus un site d’échange et de rencontres. Du fait du nombre de praticiens dans le pays et des distances importantes, c’est un des rares moments d’interaction avec des collègues (et potentiels recruteurs d’une carrière qui ne se fait que très rarement dans une seule université). Cette fonction de producteur de capital social entre des membres qui ne se connaissent pas fut même institutionnalisée à partir des années 1980 [15].
44Outre les relations qu’elles permettent de tisser et les rencontres qu’elles favorisent, les sections participent de l’organisation d’une carrière. Dans un champ immense (15 000 praticiens auxquels s’ajoutent chaque année près de 600 nouveaux docteurs en sociologie), les sections peuvent assurer une visibilité dans chacune des niches qu’elles constituent. Parmi les signaux qu’elles octroient, elles attribuent chaque année des prix et des bourses remises lors de la réception annuelle de la section : en plus des nombreux prix remis annuellement par l’asa, chaque section décerne elle aussi des récompenses (awards) [16]. De même, les sections sont pour certaines plus ou moins directement en charge de la gestion d’une des revues spécifiques dans lesquelles la publication est un gage de spécialisation et de compétence spécifique, deux aspects attendus par les comités de recrutement. Bref, sans postuler de relation directe entre la structure organisationnelle de la discipline et la production intellectuelle (souvent, la création d’une section suit de plusieurs années l’effervescence éditoriale autour d’un sujet), il est raisonnable de penser qu’une fois institutionnalisées dans des sections, les thématiques sont stabilisées autour de ces dernières.
45Au-delà même de la socialisation que réalisent les sections, leurs thèmes respectifs fournissent une identité professionnelle centrale dans la trajectoire professionnelle d’un chercheur. Plutôt que leur appartenance à une école théorique ou leur usage d’une méthode, nombreux sont les chercheurs qui se définissent d’abord par leur inscription dans l’une d’entre elles [17]. La réorganisation de la discipline autour de ces lignes n’est en effet pas sans conséquence sur la production intellectuelle ni sur la manière dont elle doit être étudiée.
Les sections de l’American Sociological Association en 2010 (ordre chronologique depuis le changement de statut des sections de 1958, par colonne)

Les sections de l’American Sociological Association en 2010 (ordre chronologique depuis le changement de statut des sections de 1958, par colonne)
E Pluribus Unum ? Conséquences de la spécialisation
46L’effet probablement le plus notable de la spécialisation interne forte qu’a connue la sociologie étasunienne est que les discussions s’organisent désormais principalement autour de lignes thématiques plutôt qu’entre grands paradigmes théoriques. Dans leur étude sur les transformations de la discipline depuis les années 1970, Crane et Small confirment ce point. L’analyse des cocitations qu’ils réalisent le souligne bien : les densités les plus fortes se trouvent entre chercheurs d’un même sous-champ (Crane & Small, 1992). Les auteurs affirment même que « les chercheurs d’un sous-champ ont plus de chances de citer des collègues travaillant sur des objets similaires » dans d’autres disciplines que d’autres sociologues [18].
47Les débats ou les programmes de recherche qui se développent dépassent rarement le cadre de la section de l’asa, ces « collèges [modérément] invisibles » (Crane, 1972) qui les structurent. Les savoirs produits ne sont alors pas, loin s’en faut, immédiatement transposables.
Le programme de recherche sur les « effets de quartier » en fournit un exemple parmi d’autres. Initié suite aux remarques de W. J. Wilson sur les « effets de concentration » (Wilson, 1987, p. 61), c’est-à-dire aux conséquences du lieu de résidence sur les opportunités objectives offertes à ses habitants, tout un ensemble de chercheurs ont dans les deux décennies suivantes tenté de préciser l’impact et les mécanismes par lesquels le lieu joue sur les conditions de vie de ses habitants. S’il a suscité une production abondante et a été au cœur des préoccupations de nombreux chercheurs pendant une vingtaine d’années (Sampson, Morenoff & Gannon-Rowley, 2002), il est aussi remarquable de constater que ces réflexions sont restées confinées à la section dans laquelle elles étaient nées, à savoir la sociologie urbaine.
49Perçue par certains comme un gage de scientificité, la spécialisation disciplinaire a aussi été déplorée. Dans un commentaire pessimiste sur la situation de la discipline souvent évoquée dans cette décennie, Randall Collins regrettait ainsi l’absence de communication entre les différents espaces devenus relativement autonomes les uns des autres en termes de contenu : « La situation dans laquelle des théories s’opposaient et s’alliaient au sein d’un même champ intellectuel est révolue. Nous sommes désormais regroupés en petits ensembles étrangers les uns aux autres, incapables de saisir les oppositions dans les autres champs » (Collins, 1986, p. 1340). Mais quel que soit le regard porté sur ce changement, la situation est claire.
50Une autre conséquence de cette spécialisation est la diminution de l’intérêt pour les controverses théoriques, entendues comme discussions entre grands paradigmes. Le nombre d’articles de « théorie » pure publiés dans l’asr a drastiquement diminué au cours du temps, passant de 9 % dans les années 1930 à 4,6 % dans les années 1960 pour tomber à environ 1 % dans les années 1990. Au sein de l’asa, la « théorie » est significativement limitée à une section, tout comme le sont les grands paradigmes hier importants (marxisme, interactionnisme symbolique, choix rationnel ou ethnométhodologie sont chacun confinés à l’une d’entre elles). Les effets du nouveau régime épistémologique, dont la diffusion a limité la légitimité de l’exégèse des grands auteurs comme de la discussion abstraite et sans matériau empirique, sont évidents. Mais plus encore, c’est l’absence de polarisation nette autour de ces enjeux et l’orientation des débats autour de thématiques relativement indépendantes qui marquent la production disciplinaire.
51Comprendre la production sociologique étasunienne contemporaine impose de restituer ces sous-champs. La liste des sections de l’asa (tableau 1), tout comme leurs populations relatives, fournit des éléments pour objectiver les intérêts actuels d’un des chercheurs. Mais pas plus que les dynamiques de création de sections, la popularité de l’une d’entre elles ne saurait prouver son importance centrale dans la discipline. Les publications dans les principales revues sont alors un indicateur plus précis de ces tendances.
Encadré 4 : Le codage des thématiques de l’ASR
Pour le codage des articles de l’asr, on a pris en compte seulement les articles complets de recherche (à l’exclusion donc des discours d’investiture du président de l’asa et les réponses et commentaires à des articles précédents). La période concernée (1996-2000) a été choisie pour pouvoir comparer ces chiffres à ceux disponibles sur la population des sections (Rosich, 2005, p. 140) [19].
52Le graphique 5 permet de saisir les centres d’intérêt actuels des chercheurs étasuniens. Les histogrammes représentent la taille des sections. À côté des domaines traditionnels que sont la sociologie médicale, de la famille, de l’éducation, urbaine ou encore la démographie, de nouveaux thèmes ont émergé. Sexe et genre, organisations, culture, race et minorités ou encore sociologie économique et des mouvements sociaux figurent désormais parmi les sous-champs les plus importants de la discipline. La coloration des histogrammes pointe elle vers les tendances. Alors que le taux d’adhésion a crû de 7 % en moyenne dans la discipline, certains sous-champs connaissent un afflux de membres plus importants. Ils sont représentés en noir. Les secteurs en augmentation inférieure à 7 % sont en gris, et ceux en baisse sont hachurés. Cette dernière mesure montre alors la perte d’attraction relative de certains thèmes historiques (population, famille).
Population des sections de l’asa (2010). Variation décennale et publications dans l’asr (1996-1999)

Population des sections de l’asa (2010). Variation décennale et publications dans l’asr (1996-1999)
53Les points indiquent la représentation relative des articles. Les travaux du courant Organization, Work and Occupations sont alors les mieux représentés, avec près de 9,8 % du total. Viennent ensuite la sociologie politique et la sociologie économique (avec 9 et 7,7 %). La comparaison entre la taille relative des sections et le taux de publication dans l’asr est un indice d’effervescence intellectuelle à un moment donné, comme le montre le cas de la sociologie des organisations et celui de la sociologie économique (les deux courants se développent en parallèle). Elle indique aussi la position dominante de thématiques indépendamment du nombre d’adhérents et de leurs variations. La sociologie politique, la sociologie du travail, la sociologie de la famille ou des mouvements sociaux sont des domaines reconnus de la discipline qui attirent des auteurs susceptibles de publier dans les revues phares.
54Photographie instantanée des thématiques qui dominent la discipline à un moment donné, cette analyse ne rend que mal compte des tendances. Une même analyse, menée sur la première décennie du xxie siècle, confirme ce tableau en le modifiant quelque peu [20]. La sociologie de la culture comme la sociologie économique ont connu un essor important en termes de population et s’imposent comme des sections dynamiques. À l’inverse, le recul d’anciennes thématiques comme la sociologie médicale, urbaine ou de la famille se confirme.
Conclusion
55Le tableau dressé ici offre des éléments pour comprendre le paradoxe soulevé en introduction, à savoir l’incompréhension mutuelle des chercheurs français et étasuniens à la lecture de certains travaux respectifs, dans un contexte d’intérêt partagé et de circulation des textes. Produite de manière relativement autocentrée (i), reposant sur une épistémologie implicite singulière (ii) et organisée autour de questions thématiques aux débats propres (iii), la sociologie aux États-Unis est, au début du xxie siècle, une sociologie spécifique. Contre l’idée qui voudrait que sociologie étasunienne et sociologie mondiale soient désormais indistinctes et transparentes l’une à l’autre, les travaux étasuniens restent profondément marqués par des conditions de production locales. Façonnés par les institutions nationales, ces travaux ne s’exportent pas moins. Par bien des aspects, les États-Unis sont un centre puissant qui irrigue, avec une intensité différente, la périphérie que constitue le reste du monde.
56Présentation synthétique d’un espace important, la description ici faite ne prétend pas offrir un tableau de la discipline dans toute sa complexité. Comme on a pu le montrer, la production sociologique étasunienne est loin d’être homogène. L’analyse de données issues principalement d’une seule revue présente par ailleurs d’autres limites. Aussi importante qu’elle soit, l’asr n’est certainement pas un reflet parfait de la discipline. Elle n’accueille pas tous les textes importants, des auteurs influents ne publient jamais dans ses colonnes (et probablement d’autant moins qu’ils sont bien établis), et des approches importantes se développent à côté d’elle (réseaux dans les années 1990, ethnographie dans les années 2000). Non représentative de la sociologie étasunienne dans son ensemble, elle reste une caisse d’enregistrement d’une certaine norme à un moment donné.
57L’attention à l’épistémologie implicite (comme aux oppositions qu’elle fait naître) ainsi qu’à l’organisation sociale et institutionnelle de la discipline offre néanmoins des éléments pour une meilleure compréhension de la production contemporaine. Surtout, l’étude du fonctionnement de cet espace académique étranger mais souvent cité ces dernières années nous invite à récuser tant la vision fascinée que le rejet épidermique à l’égard des travaux qui y sont produits. Contribution à une sociologie des sciences sociales, l’analyse peut par ailleurs fournir des éléments qui permettront aux chercheurs étrangers de réfléchir en connaissance de cause aux directions qu’ils souhaitent donner à leur discipline dans les années à venir.
Notes
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[1]
Mes discussions avec John Levi Martin sont à l’origine de ce travail. J’ai pu utiliser une base issue d’un premier codage qu’il avait réalisé avec King-To Yeung (Martin & Yeung, 2003). O. Roueff et les membres du PRINTEMPS m’ont offert l’occasion d’en présenter une première version en décembre 2011. De très nombreuses personnes m’ont aidé à préciser et affiner l’argument de cet article. Parmi eux, A. Abbott, S. Chauvin, A. Christin, S. Coavoux, M. Hauchecorne, L. Jeanpierre, M. Jouvenet, R. Lecler, P. Penet, A. Saint-Martin m’ont offert des commentaires substantiels sur des versions antérieures de ce texte. Que tous soient remerciés de cette aide précieuse et disculpés des affirmations, interprétations et potentielles erreurs qui restent évidemment miennes.
-
[2]
De 2007 à 2010, l’auteur a enseigné dans le college et dans le département de sociologie de l’université de Chicago.
-
[3]
3.?Calcul de l’auteur pour l’année 2010, réalisé grâce à un script de recherche automatisée sur internet développé avec A. Hobeika.
-
[4]
Une étude plus précise devrait montrer les différences entre langues, et en toutes probabilités l’augmentation des citations directes depuis l’espagnol et le chinois.
-
[5]
Dans un article de synthèse sur la notion de « capital culturel », M. Lamont et A. Lareau écrivent que la polysémie du concept (elles notent au moins cinq sens différents) rend son usage « extrêmement difficile », et concluent que la « théorie pose des problèmes d’opérationnalisation ». Dans la suite de l’article, les auteures proposent alors des pistes pour y parvenir (Lamont & Lareau, 1988).
-
[6]
Elle est d’ailleurs assez proche de celle donnée dans un texte comme Le Métier de sociologue (Bourdieu, Passeron & Chamboredon, 1968).
-
[7]
Cette situation est encore plus vraie dans le cas des articles que dans celui des livres. Comme le remarquent les auteurs d’une étude sur les formes légitimes de la publication dans la sociologie aux États-Unis, l’existence de principes concurrents, et le fait que le format de publication conduit
sinon à des carrières, du moins à des positions différentes de l’espace de la discipline, est un signe de la position intermédiaire de la sociologie entre les pratiques des humanities et la culture scientifique (Clemens, Powell, McIlwaine et al., 1995). -
[8]
Qui estiment la structure et le sens de la causalité entre différentes variables (Blau & Duncan, 1978 [1966]).
-
[9]
Le terme a été utilisé dans de nombreuses controverses internes, le plus souvent de manière négative (Calhoun & Van Antwerpen, 2007). Depuis une vingtaine d’années, rares sont d’ailleurs ceux qui se réclament d’une telle position, devenue largement répulsive et mobilisée à des fins de critique quasi uniquement (Wiliams, 1985, p. 139).
-
[10]
D’autres principes organisateurs devraient être mentionnés, mais la discipline est elle-même plus diverse. Mallard, Lamont et Guetzkow (2009) dénombrent ainsi quatre « styles épistémologiques » en vigueur dans les sciences sociales, dont deux au moins seraient dominants dans la sociologie étasunienne.
-
[11]
Le nom actuel, l’American Sociological Association, fut adopté en 1959, probablement pour éviter un acronyme embarrassant.
-
[12]
Données disponibles sur le site de l’asa : http://www.asanet.org/sections/SectionStats.cfm (accédé le 15 juin 2011).
-
[13]
Les causes de cette spécialisation ne sont pas l’objet de cet article. Après d’autres (Cole & Zuckerman, 1975), on peut toutefois noter que l’accroissement démographique massif est un facteur important.
-
[14]
Destinée tout autant à doter l’association d’une publication phare qu’à contester la domination sans partage jusque-là de l’American Journal of Sociology, et du département de Chicago qui le publie, sur la discipline (Lengermann, 1979).
-
[15]
À titre indicatif, le nombre de réceptions organisées par les sections lors de la conférence annuelle était ainsi de 1 en 1979 (pour 20 sections) contre 16 (pour 27 sections) en 1989 (Cole & Zuckerman, 1975, p. 3).
-
[16]
À différentes catégories de chercheurs (doctorant/jeune chercheur en poste/professeur) auxquelles viennent s’ajouter les prix pour le meilleur ouvrage ou pour la contribution à l’avancement des connaissances du sous-champ.
-
[17]
Cette pratique est probablement d’autant plus vraie qu’ils sont jeunes et n’ont pas eu le temps de multiplier les savoirs spécialisés, et qu’ils ont été formés à une époque où, moins que les théories, les thématiques agencent la vie intellectuelle de la discipline.
-
[18]
Du fait de la division du travail académique aux États-Unis, cette situation est sûrement d’autant plus vraie que les sous-champs en question sont situés aux marges de la discipline (Crane & Small, 1992, p. 199).
-
[19]
Les résultats recoupent d’autres fournis sur des périodes proches et pour les autres revues principales (Karides, Joya, Kennelly et al., 2001). D’autres approches, qui prendraient pour objet les cocitations, ou les pratiques de coécriture, permettraient de les affiner.
-
[20]
Pour plus de détails sur les tendances actuelles, on se permet de renvoyer à Christin & Ollion (2012).