CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Alors qu’un champ majeur de la sociologie explore la genèse et les recompositions permanentes des inégalités, tout un pan de la psychologie sociale se centre quant à elle sur la façon dont ces inégalités vont s’inscrire profondément dans les psychismes, sur ce qui constitue en quelque sorte leur face subjective. à la notion de groupes sociaux hiérarchisés familière aux sociologues, fait écho la notion d’identité sociale qui explore « dans quelle mesure les appartenances simultanées à divers groupes sociaux contribuent à définir un sujet » (Vinsonneau, 1999, p. 33) ; l’« identité sociale » n’a rien, on le voit d’emblée, d’une entité indépendante ou consistante en elle-même, elle est profondément nichée dans des rapports sociaux. Cette perspective spécifique à la psychologie sociale, trop souvent méconnue des sociologues, est heuristique pour comprendre la production, la reproduction et la légitimation des inégalités, et cette note a pour objet d’y introduire, en mettant l’accent sur ce troisième point, la question de la légitimation [1] , ce qui conduit évidemment à une lecture sélective des travaux relevant de cette discipline.

2Il s’agit là d’une question des plus classiques en sociologie : face aux inégalités sociales fortes et persistantes qui les marquent, les sociétés ont à produire un travail de justification continu puisque, comme Max Weber le soulignait en son temps, aucune domination ne saurait perdurer du seul fait de la force brute. Ce besoin de justification, impérieux, doit tendanciellement aller jusqu’à « voir la justice elle-même dans l’inégalité sociale » (Baer & Lambert, 1982, p. 173). Mais cette question de la légitimation est abordée par des voies différentes par les sociologues et les psychologues sociaux. Les premiers vont mettre en avant la construction d’idéologies, alors que la logique disciplinaire des seconds les invite à partir de la façon dont les individus interprètent leur propre position et celle de leur groupe d’appartenance dans un contexte global d’inégalités. L’impératif de justification se situe donc à différents niveaux, qu’il pourrait être tentant de rapporter à des perspectives disciplinaires : de manière schématique, les sociologues se centreraient sur la manière dont les sociétés s’efforcent de justifier les inégalités et pour cela sécrètent les idéologies dont elles ont besoin, les psychologues se centreraient quant à eux sur le besoin, pas moins impérieux, qu’éprouvent les individus de justifier ce qui leur arrive personnellement. On opposerait ainsi, pour reprendre des expressions anglaises commodes system justification et ego justification, cette dernière pouvant se décomposer en justification strictement personnelle et justification en fonction de son groupe d’appartenance. Nous verrons que ce n’est pas si simple !

3Ces deux perspectives – sociologique/psychologique – se développent de manière très prolixe mais aussi complètement disjointe [2] , pour des raisons diverses. On peut évoquer la croissante spécialisation des deux disciplines, assortie d’un foisonnement des recherches, mais aussi, même si des évolutions notables sont à l’œuvre depuis les dernières décennies, une méfiance que l’on peut considérer comme inhérente à la posture professionnelle des sociologues envers les discours individuels (que ne partagent évidemment pas les économistes). Certes, ces discours et en arrière-plan les représentations sociales qui intéressent au premier chef les psychologues sociaux peuvent être très décalés par rapport aux réalités sociales « objectives » qui, elles, intéressent d'abord les sociologues, même s’ils ne s’y limitent de moins en moins. Sur un vaste échantillon de pays, Chauvel (2003 ; 2006) montre par exemple que les perceptions et les jugements sur les inégalités sociales ne sont pas corrélés avec l’ampleur objective de ces dernières dans un grand nombre de cas ; des décalages de même type entre perceptions, jugements et réalité des inégalités sont également soulignés sur la base d’enquêtes internationales par Forsé & Parodi (2010). Il y a donc très clairement une disjonction entre la « sphère subjective » et la « sphère objective ». Et une objection fréquente des sociologues aux travaux des psychologues – ou du moins la racine de leurs réticences – est que les individus ne sont pas conscients des déterminations dont ils sont l’objet ; il serait donc naïf, voire dangereux d’un point de vue idéologique, pour expliquer/justifier les réalités, de se fonder sur ce qu’ils disent, qui est au moins partiellement de l’ordre de l’ignorance, de la résistance, voire de la mauvaise foi liée elle-même à des intérêts. On peut en effet considérer que, dans une perspective sociologique certes quelque peu déterministe, « non seulement l’individu ne peut pas connaître les véritables causes de son action, mais il ne doit pas les connaître pour que se reproduisent les mécanismes sociaux objectifs » (Dubet, 1994, p. 226).

4Classiquement [3] , la sociologie tend à rapporter les comportements, attitudes et opinions des acteurs à leur situation sociale (résumée par des variables de position telles que le sexe, la profession…), et à donner la priorité explicative à ces dernières, même si, pour interpréter les corrélations observées, le sociologue fait souvent appel à une « psychologie de sens commun », invoquant alors des attitudes. Mais, de manière certes très schématique (dans la perspective d’une sociologie déterministe), ces attitudes ne peuvent être considérées comme des causes : elles ne seraient qu’un produit, voire une rationalisation ex post des contraintes qui pèsent sur les individus.

5La psychologie adopterait une démarche inverse : partant des comportements, elle rechercherait les attitudes, les normes, les mécanismes psychologiques, susceptibles de les expliquer avant de rechercher éventuellement et in fine leurs liens avec les variables de position chères aux sociologues. L’attitude est ici davantage une cause qu’une conséquence. Mais au sein même de la psychologie sociale, la théorie de la dissonance cognitive (Festinger, 1954) pose que loin que l’attitude détermine les comportements et donc les réalités objectives, c’est à ces dernières que l’attitude s’adapte ou finit par s’adapter ; car la coexistence discordante entre des attitudes ou des opinions et des façons de faire ou des faits nouveaux engendre une tension psychologique que les personnes vont s’efforcer de résoudre en modifiant ces attitudes. Au total, les relations attitudes/comportements sont (prudemment) pensées comme réciproques. Plus récemment, tout un courant de la psychologie sociale (cf. notamment Lorenzi-Cioldi, 2009) exprime sa méfiance par rapport à une psychologie « personnologique », qui tend à réifier les attitudes autour d’une personnalité stable et invariante, pour mettre en avant la façon dont les rapports entre groupes produisent au contraire telle ou telle attitude à des fins (ultimes) de légitimation.

6Ces éléments suggèrent déjà que, entre la sociologie et certains domaines de la psychologie, le fossé n’est peut-être pas si grand ! De fait, on peut juger, et c’est ce que ce texte vise à montrer, qu’il existe une assez grande convergence entre les analyses de la psychologie sociale et de la sociologie. Ainsi, à un niveau général, il y aurait aujourd’hui un consensus sur la nécessité de distinguer le monde perçu et le monde réel (les réalités subjectives et les réalités objectives), et sur l’existence d’allers et retours permanents entre ces deux ordres de réalité, dès lors que l’on s’accorde aujourd’hui sur la notion de construction sociale de la réalité. Mais on peut juger que cette relative convergence concerne aussi les phénomènes de perception et de justification des inégalités sociales [4]. La question qui se pose alors, et c’est une vraie question, est de savoir ce que l’on gagne, en termes de connaissance, à prendre en compte conjointement ces perspectives le plus souvent académiquement disjointes.

Les perspectives de la psychologie sociale, entre confort psychologique et légitimation sociale…

7Dans le domaine de l’étude des jugements sur les inégalités (et plus largement sur les réalités), les perspectives de la psychologie sont variées, avec des niveaux d’analyse très différents :

8- le niveau intra-individuel caractéristique de la psychologie tout d’abord, avec l’étude de la manière dont les individus lisent et vivent la réalité qui les entoure, évaluent ce qui leur arrive, ou leur environnement social ;

9-le niveau interindividuel ensuite, bien caractéristique de la psychologie sociale, où l’on souligne le rôle des propriétés des situations sociales et des groupes dans lesquels sont insérés les individus sur leurs perceptions, leurs attitudes et leur comportement ;

10-le niveau macrosocial (c’est moins attendu, et moins connu, de la part des sociologues), avec l’analyse des idéologies ou des croyances partagées, qui jouent un rôle dans la reproduction des inégalités, qui constitue un champ plus spécifique de la psychologie sociale.

11Au niveau individuel, la psychologie montre comment se forme progressivement, au fil du développement [5] et sous-tendu par un besoin fondamental de sentiment de maîtrise de son environnement et tout aussi important de normes de réciprocité, la « croyance en un monde juste », qui conduit les personnes à penser que les gens obtiennent ce qu’ils méritent et méritent ce qu’ils observent (Lerner, 1980). Les psychologues mettent l’accent sur le caractère « psychologiquement fonctionnel » de la croyance en un monde juste : pour l’enfant, comme ensuite pour l’adulte, il est bon de croire que ses efforts seront récompensés et qu’ainsi, on peut expliquer ce qui vous arrive et ce qui se passe dans le monde qui vous entoure. Ainsi, pour C. Dalbert (2001), the Belief in a Just World (bjw, traduit par cmj – Croyance en un monde juste) remplit une fonction adaptative ; c’est une croyance qui est psychologiquement utile et même bienfaisante.

12En effet, de nombreuses études montrent que les personnes qui s’estiment victimes d’une injustice présentent des inadaptations (stress, désinvestissement…) ; quand la cmj est faible, cela engendre plus de pessimisme, moins de bien-être ; à l’inverse, la cmj protège du stress, préserve l’estime de soi et constitue donc une ressource pour sauvegarder sa propre santé mentale. De plus, la cmj fonctionne comme un contrat entre soi-même et un monde prévisible ; elle encourage à s’y investir, car toute coopération sociale serait impossible si l’on ne croyait pas que les autres se comporteront de manière juste. La synthèse de la littérature proposée par Bègue & Hafer (2005) montre qu’en fait, il faut davantage parler d’un besoin de croire en un monde juste que d’une réelle croyance (Dalbert, quant à elle, parle d’« illusion positive »). Et d’ailleurs, on n’y croit pas à 100 % ; dans les échelles variant de 1 à 6, construites pour mesurer l’intensité de la cmj, les scores se situent en général autour de 4,5 pour soi-même et 3,5 pour le monde en général. Les enquêtes sociologiques [6] confirment la lecture très sceptique que font les individus de la justice du monde ; mais on peut tout à fait interpréter cette dénonciation des injustices précisément comme l’expression du besoin de croire en cette justice. Les individus en ont besoin pour organiser leur vie autour d’un principe de justice, de réciprocité, de juste récompense, plus large en fait que le seul principe du mérite. Elle les aide donc à faire face à leur environnement et aux stress auxquels les expose leur position sociale. Certains psychologues parlent de fonction « palliative » de cette idéologie, d’autant plus utile qu’on est soi-même plus démuni (Jost & Hunyady, 2002). D’autres soulignent que la croyance en un monde juste permet d’amortir le stress ressenti, voire de minimiser les injustices que l’on subit (Bègue, 2009).

13Mais certains psychologues soulignent que la force de cette illusion de justice ne vient pas seulement de son caractère « psychologiquement fonctionnel » au niveau des personnes. Cette manière de lire la réalité, qui conduit à valoriser un jugement de justice pour soi-même et pour le monde, participe de ce que les psychologues sociaux appellent des systèmes de légitimation (Jost & Hunyady, 2002). L’enjeu est de percevoir, de lire et de manière jointe d’expliquer les réalités pour qu’elles apparaissent justes. C’est ainsi que les stéréotypes, qui orientent la lecture des réalités, peuvent être analysés comme venant les rendre compréhensibles, confortant de la sorte les rapports de domination. Par exemple, du fait des stéréotypes de sexe, les différences actuelles entre rôles sociaux des hommes et des femmes sont lues comme découlant de personnalités, voire d’essences différentes ; les hommes et les femmes apparaissent alors comme à leur place, à celle que leur personnalité foncière, voire la nature, leur destinent.

14Ces systèmes de légitimation sont d’une grande diversité et se fondent sur des attitudes, parfois paradoxales de prime abord, largement étudiées en psychologie sociale, telles que la tendance à des jugements biaisés en faveur de son groupe d’appartenance (débouchant sur le racisme par exemple, en tout cas, si ce n’est le dénigrement, l’ambivalence envers les autres), la tendance à la réduction de la dissonance, et plus largement tout ce qu’on désignera par les stéréotypes [7] , toutes ces attitudes qui orientent la lecture de la réalité étant modulées selon la position dominante ou dominée du groupe. La « croyance en un monde juste » apparaît comme l’un des systèmes de justification les plus prégnants, si on déplace la focale des conséquences psychologiques de la cmj, sur lesquelles le courant illustré par Dalbert reste relativement polarisé, vers les conséquences sociales plus larges de cette croyance, comme le font les psychologues sociaux davantage tournés vers les questions d’idéologies (comme Jost & Major, 2001). La force de cette illusion de justice ne viendrait pas seulement de son caractère « psychologiquement fonctionnel » mais du fait qu’elle s’adosse à une (autre) idéologie très prégnante dans les sociétés modernes occidentales, à savoir la norme d’internalité ; les psychologues sociaux désignent ainsi une norme de jugement qui privilégie les explications internes (on parle aussi d’attribution interne) des événements, c’est-à-dire celles qui donnent aux individus un rôle causal, au détriment des explications externes qui négligent ce rôle (le hasard par exemple) [8] . Ce serait cette norme d’internalité, très prégnante, qui expliquerait à son tour la force de la croyance en un monde juste, en ce qu’elle exacerbe le sentiment de contrôle personnel et fait donc qu’in fine, on préfère toujours endosser la causalité d’un comportement quel qu’il soit plutôt que d’admettre qu’il relève du hasard ou qu’on l’a subi.

15Cela dit, s’il y a bien sûr des liens entre cmj et norme d’internalité (dans les échelles qui les mesurent, ces deux dimensions – croyance en un monde juste pour soi et internalité – sont corrélées à hauteur de 0,3-0,5, soit une corrélation moyenne), le sens de la relation reste incertain (cf. notamment Dubois, 1994). Croire en un monde juste m’incite à m’investir, car les événements sont dans ce cas totalement prévisibles ; le hasard n’a alors pas de place et je suis responsable de ce qui arrive. De fait, les individus cherchent à identifier non pas tant des causes que des responsabilités et à s’assurer du caractère raisonnablement contrôlable des événements. Il reste que dans certains cas, le monde peut apparaître juste sans être pour autant parfaitement contrôlable : une autorité, un dieu peuvent aussi organiser un monde perçu comme juste. Certains psychologues font l’hypothèse que c’est parce qu’elle tend à rendre plus « interne » que la cmj favorise la réussite et le bien-être, mais on peut aussi soutenir que c’est parce qu’elle est socialement désirable. On observe par exemple que de fait les enseignants ou plus largement ceux qui jugent le comportement d’autrui, valorisent les individus « internes », précisément du fait de la prégnance de la norme d’internalité (Bressoux & Pansu, 2003).

16Certains psychologues sociaux comme Beauvois ou Dubois vont jusqu’à analyser cette norme d’internalité comme une caractéristique « sociétale » du libéralisme. Ils pointent à cet égard des différences entre sociétés, par exemple entre sociétés asiatiques et occidentales, ces dernières étant spécifiquement portées à valoriser les explications internes et l’individualisme. Ainsi, si l’on étudie la manière dont les journaux rendent compte de deux meurtres, aux États-Unis et en Chine, on peut observer que les dispositions individuelles sont plus valorisées dans le premier cas, les caractéristiques des situations dans le second. Il y a là une différence notable entre cette idéologie très normalement contextualisée que constituent la norme d’internalité et la cmj ; cette dernière apparaît fondamentalement comme une tendance psychologique ayant sa fonctionnalité, et elle serait de fait beaucoup moins sensible aux contextes culturels ou religieux (ce point est discuté par Bègue, 2009).

17Au prix de ces variations culturelles, ces manières de lire la réalité participent à l’explication, à la justification et donc au maintien des inégalités sociales, et en l’occurrence, les psychologues sont très proches de la notion d’idéologie (qu’ils utilisent d’ailleurs aussi) plus familière aux sociologues. Qu’ils parlent de « systèmes de légitimation » (Jost & Hunyady, 2002) ou de « mythes légitimateurs » (Sidanius & Pratto, 1999), les psychologues posent en effet que la norme d’internalité, le sexisme, le racisme, le principe méritocratique, la croyance dans un monde juste sont autant de représentations du monde qui supportent l’ordre social existant. L’adhésion à ces mythes jouerait un rôle primordial dans l’acceptation des inégalités. Et Jost & Major (2001, p. 7) de conclure : « We can now see that a relatively clear consensus emerged concerning the pivotal role played by attitudes, beliefs and stereotypes in the ideological perpetuation of the status quo through social and psychological processes of justification, rationalization and legitimatization. »[9]

18Avec ce consensus, la psychologie sociale se distingue-t-elle encore, sur cette question, de la sociologie ? Les proximités sont évidentes, puisque rien n’est plus trivial en sociologie que de souligner que toute société a besoin d’idéologies justifiant son mode de fonctionnement et notamment les inégalités. Or, comme le rappelle Lapeyronnie (2006) en citant Barthes, l’idéologie est un discours de « naturalisation », qui est une manière de définir la réalité sociale comme une évidence, un discours « performatif » qui contribue à produire ce qu’il énonce, et en particulier indique à chacun quelle est sa place. Geertz (1964) ne dit pas autre chose, ajoutant que cette grille de perception et de compréhension du monde qu’est l’idéologie tire son pouvoir de persuasion de son aptitude à rendre compte de tout ce qui induit un décalage entre les valeurs des personnes et leurs pratiques.

Une convergence sur le caractère central de l’idéologie méritocratique

19Il est également habituel, de la part des sociologues comme chez les psychologues, de souligner que dans les sociétés démocratiques, la méritocratie s’impose comme tout à fait primordiale, pour conjuguer égalité de principe de tous et réalité des inégalités, tout en valorisant la norme d’internalité. Cette idéologie méritocratique est ancienne et dans L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme (1905), Weber, très souvent cité par les psychologues, avance qu’à l’origine le capitalisme n’est pas seulement le résultat de l’accumulation du capital, de l’exploitation des hommes comme l’affirme le marxisme, de la rationalisation du droit (etc.), mais qu’il doit se comprendre également par l’éthique puritaine des premiers entrepreneurs qui voyaient dans la réussite matérielle un signe d’élection religieuse. Aujourd’hui, dans les sociétés démocratiques, les inégalités sociales sont jugées acceptables (voire justes) si, et seulement si, elles sont censées découler des qualités individuelles (talents, efforts) et non de propriétés héritées (notamment l’origine sociale, le sexe) ; en d’autres termes, la position sociale est quelque chose qui s’acquiert sur la base du mérite, au terme d’une compétition ouverte.

20D’où le rôle crucial de l’école, et de l’« idéologie du don » que celle-ci diffuse, comme le soulignent, avec leur théorie de la reproduction, Bourdieu & Passeron (1970). Il s’agit pour l’institution scolaire de « naturaliser le social » en présentant les inégalités scolaires comme découlant d’inégalités personnelles, alors qu’elles consacrent des héritages sociaux. La méritocratie scolaire joue alors, comme idéologie, un rôle crucial dans la reproduction des inégalités par la légitimité dont elle les crédite. Les psychologues sociaux de ce domaine se réfèrent très souvent à Bourdieu et Passeron, même s’ils articulent leur travail autour de la méritocratie (terme absent des analyses de ces derniers). Ainsi, Lannegrand (2006) insiste sur le fait que l’école est le premier contexte institutionnel où les individus rencontrent des principes de différenciation, de hiérarchisation, de sélection. Les valeurs du mérite, de récompense proportionnelle à l’effort fourni, y sont centrales ; elle fait alors l’hypothèse que « la croyance en un monde juste se construit d’abord dans le domaine scolaire, en tant que haut lieu d’expérience de la différenciation » (Lannegrand, 2006, p. 45). L’intériorisation de cette croyance dépend de l’acquisition progressive de la morale chez l’enfant et plus largement de son développement, qui le conduit notamment à renoncer à des récompenses immédiates pour atteindre des finalités supérieures (voir les analyses de Piaget), mais elle est fortement soutenue par les adultes, qui veulent ainsi encourager les efforts de l’enfant, son respect pour le fonctionnement des institutions et pour la société telle qu’elle est. L’enfant apprend donc à considérer qu’il reçoit des notes conformes à son mérite ; ensuite, il sera confronté à des décisions d’orientation qu’il lui faudra aussi apprendre à considérer comme justes, nous y reviendrons avec des exemples empiriques. Sur ces questions largement explorées par les sociologues depuis trente ans, la proximité avec certains thèses et travaux conduits par les psychologues sociaux est donc réelle.

Articuler les niveaux d’analyse pour comprendre la (re)production et l’effectivité des idéologies

21L’articulation entre niveaux d’analyse, problème classique des sociologues, est également en ligne de mire de certaines analyses des psychologues, qui s’efforcent d’articuler le niveau de l’individu (niveau micro) au niveau macrosocial, en passant par les différences entre groupes. Pas de tous : on voit poindre un clivage entre des approches psychologisantes du sentiment de justice, où les questions de personnalité et de motivation sont primordiales, et des approches qui situent systématiquement les questions de perception de la justice dans des analyses intergroupes et plus largement sociétales.

22Exemple de la première tendance, les travaux sur la cmj, qui l’analysent comme un besoin de justice fondamental, psycho­logiquement fonctionnel, tout en mettant en œuvre une perspective différentialiste classique (cf. par exemple, Dalbert, 2001). On montre ainsi que le niveau d’instruction affecte la cmj, les personnes les plus instruites ayant, par rapport à celles qui le sont moins, à la fois une cmj plus élevée pour elles-mêmes (microjustice) et plutôt une cmj plus faible quand il s’agit de juger de la justice du monde (macrojustice).

23Mais, seconde tendance, certains courants de la psychologie sociale articulent étroitement ces attitudes diversifiées et plus largement ces justifications du réel avec une lecture en termes de position sociale (ou, diront plus volontiers les psychologues sociaux, de groupe d’appartenance). Ce fut notamment l’apport spécifique de Tajfel au début des années 1970, dont l’ambition théorique était précisément d’élucider « the links between social myths and the general acceptance of injustice » (Tajfel, 1984, p. 714) ; il s’agit donc de développer une psychologie sociale de la perception de la légitimité des rapports sociaux, que porteront, Tajfel étant lui-même décédé en 1982, des chercheurs comme Jost et Major, qui situent le véritable développement de cette perspective à partir du milieu des années 1990.

24À cet égard, il faut rappeler que la spécificité de la psychologie sociale, par rapport à la psychologie, est de souligner que l’identité personnelle est profondément affectée par la position sociale : comme l’exprime Lorenzi-Cioldi (2009, p. 27), « l’identité personnelle est l’une des expressions les plus achevées de l’appartenance à un groupe » (cf. aussi Vinsonneau, 1999). Il souligne ainsi la nécessité de prendre en compte, par exemple, pour comprendre les attitudes des hommes et des femmes, l’a-symétrie de leurs positions sociales respectives. Ceci vaut pour les phénomènes d’attribution (d’explication des comportements) au niveau individuel, qui servent de support à la justification de l’ordre social. Lorenzi-Cioldi et Dafflon pointent ainsi que les individus en position dominante adhèrent plus fortement à la norme d’internalité, se disent plus souvent responsables de ce qui leur arrive et valorisent davantage les qualités psychologiques ; ils soulignent que « l’acharnement avec lequel les dominants mettent en avant leurs caractéristiques personnelles, avec lequel ils intègrent le mérite et l’excellence dans les critères d’accession au groupe (…) n’est pas sans entretenir un lien avec des stratégies de légitimation du statut social supérieur » (Lorenzi-Cioldi & Dafflon, 1999, p. 144). Réciproquement, du côté des personnes occupant des positions subordonnées, on invoque plus souvent des facteurs échappant à son propre contrôle comme des facteurs externes ou la chance (et donc moins souvent sa propre responsabilité), avec en outre une mise en avant de l’appartenance au groupe qui peut atténuer l’image négative de soi.

25Lorenzi-Cioldi (2009, p. 74) insiste sur le fait que, dès lors qu’il existe des rapports hiérarchisés entre des groupes (qu’il s’agisse de groupes de sexe, ethnoraciaux ou autres) le groupe dominant va fonctionner comme une « collection » d’individus qui se pensent et sont considérés comme « des personnalités qui n’ont pas besoin du groupe pour se définir », alors que le groupe dominé va fonctionner comme un « agrégat », où se fondent au contraire les identités personnelles, qui sont assimilées au groupe même dont elles sont les membres interchangeables. Ainsi, les membres du groupe dominant vont se montrer fondamentalement individualistes et essen­tialistes : ils doivent leur position à leurs qualités personnelles, qu’elles soient morales ou intellectuelles, et sont convaincus d’être des personnalités uniques, alors même qu’un observateur extérieur perçoit sans mal leurs ressemblances et tout ce qu’ils doivent à leurs réseaux sociaux (voir par exemple, en sociologie, les analyses de la grande bourgeoisie faites par Pinçon & Pinçon-Charlot, 2005). Plus généralement, ce n’est pas seulement leur propre situation, mais le monde qui les entoure que les dominants vont interpréter à l’aune de la norme d’internalité – ce qu’on a et ce qu’on devient s’expliquent par des qualités personnelles et/ou des facteurs relevant de son propre contrôle. À l’inverse, les dominés vont invoquer plus souvent des facteurs échappant à leur contrôle comme des facteurs externes ou la chance. Aux yeux des sociologues, ce constat très stable résulterait notamment du rôle du système scolaire, qui est de faire intérioriser l’idée que le succès ou l’échec dépendent de facteurs personnels, soit ce qu’on a appelé la méritocratie scolaire (cf. Duru-Bellat & Tenret, 2009 ; Duru-Bellat, 2009).

26Tout un courant de la psychologie sociale (Lorenzi-Cioldi, Sidanius et Pratto…) souligne que ces manières de lire la réalité sont des « mythes légitimateurs », qui participent à la justification et donc au maintien des inégalités sociales, notamment au racisme ou au sexisme, particulièrement étudiés par cette communauté de chercheurs. Ils vont chercher à articuler la face subjective de l’appartenance à un groupe (dominant ou dominé) et la reproduction, au niveau supérieur, des rapports entre les groupes. Ils le font notamment en posant spécifiquement la question des incidences, sur le « confort psychologique » des personnes, des idéologies ou des modes d’explication de la réalité qu’ils endossent.

27Sidanius & Pratto (1999), avec leur théorie dite de la domination sociale (qu’un de leur collègue, Chatard (2005), désigne comme une « nouvelle théorie de la reproduction »), font ainsi l’hypothèse qu’adhérer aux idéologies dominantes ne pose pas de problème aux dominants – puisqu’elles les créditent d’un ensemble de valeurs sociales positives ; ils vont donc les endosser plus encore que les dominés, allant donc jusqu’à percevoir le système comme plus équitable que ces derniers. Au contraire, pour les dominés, adhérer à ces mythes pose des problèmes en termes d’identité sociale : c’est évidemment psychologiquement plus difficile, comme le souligne Chatard (2005), d’adhérer au sexisme quand on est une femme, ou aux normes d’une société dont la référence implicite est l’homme blanc quand on est une personne de couleur ; car par rapport aux références dominantes, on est alors défini par ses manques ou ses insuffisances, tandis que dans le même temps, il faut bien préserver une certaine estime de soi et de son groupe. Toutefois, il y a plus d’accord que de désaccord dans le degré d’adhésion aux idéologies entre les groupes avantagés et désavantagés, et c’est précisément parce qu’ils partagent avec le groupe dominant ces stéréotypes qui les infériorisent que les dominés participent à la reproduction de leur domination. On peut même montrer qu’ils y adhèrent d’autant plus que leur condition objective empire, qu’ils ont donc d’autant plus besoin d’un système de justification. C’est, nous l’avons évoqué, ce que Jost & Hunyady (2002) appellent la fonction « palliative » des idéologies, qui vient répondre à la menace du monde extérieur [10] .

28Pour expliquer que les groupes les plus défavorisés justifient néanmoins le système dont ils font partie et tendent à minimiser les discriminations dont on peut faire l’objet, les psychologues sociaux mettent en avant le besoin de réduction de la dissonance [11] . Mais il y a à l’évidence un prix à payer, car tous les groupes ont aussi besoin de se construire une image d’eux-mêmes positive (de valoriser l’intragroupe). Certaines études montrent que plus les membres des catégories défavorisées valorisent l’appartenance à leur groupe, plus ils considèrent le système comme injuste, ou à l’inverse que plus ils justifient le système, moins ils valorisent l’appartenance à leur catégorie. Cette tension n’existe pas chez les groupes en position dominante, où il est congruent à la fois de valoriser son propre groupe et de justifier le système. Au-delà de ces tensions, il n’en reste pas moins que la reproduction des inégalités sociales se fait avant tout par l’entremise de ce degré d’accord consensuel.

29En la matière, il existe des controverses au sein même de la psychologie sociale. D’un côté, Sidanius & Pratto (2006) s’efforcent de mesurer l’« orientation pour la dominance sociale », à l’aide de questionnaires qui permettent d’évaluer le degré d’acceptation des inégalités intergroupes (en demandant aux personnes de prendre parti sur des affirmations telles que « les groupes inférieurs devraient rester à leur place »). Ils notent alors que les personnes présentant des scores élevés de Social Dominance Orientation (sdo) convoitent plus que les autres les positions de pouvoir, ou encore que les hommes ont toujours en moyenne des scores de dominance plus élevés. Mais les thèses de Sidanius et Pratto sont discutées par des psychologues comme Lorenzi-Cioldi (2009) qui pointent leur possible dérive personnologique – l’orientation vers la dominance sociale comme trait psychologique (voire, pour ce qui est des différences entre hommes et femmes, la possible influence de facteurs biologiques). Lorenzi-Cioldi souligne quant à lui le caractère labile de ce degré d’acceptation de la domination sociale et aussi des oppositions entre hommes et femmes à cet égard. De fait, quand les personnes accèdent à des positions de pouvoir, elles se perçoivent en termes plus masculins ; les caractéristiques masculines ne seraient-elles pas alors avant tout le reflet de l’occupation de positions dominantes dans la société ?

30Cette perspective différentielle dans l’analyse de l’intériorisation des idéologies n’est évidemment pas l’apanage des psycho­logues [12] . Les sociologues ont également cherché à expliquer la variété dans le degré d’adhésion aux idéologies : à leurs yeux, les acteurs sont situés et pour la sociologie classique (en schématisant quelque peu), leurs attitudes s’expliquent par leur position, elle-même définie par un ensemble de contraintes, de rôles, de normes. Les plus individualistes d’entre eux, comme Boudon (1986), privilégieront volontiers une conception inter­actionniste de la justice où la compréhension de l’émergence du sentiment de justice suppose d’analyser le système d’inter­action où sont insérés les agents (il peut donc y avoir divergence d’appréciation en fonction de la position occupée au sein de ce système) [13]  ; on peut alors élucider les « bonnes raisons » qu’ont les acteurs d’adopter telle ou telle grille de lecture et d’appréciation des réalités. Même si cette notion de « bonnes raisons » pourra être jugée aussi plastique (et du coup quelque peu « attrape-tout ») que celle de confort psychologique chez les psychologues… Toujours est-il que cette perspective (privilégiée par Boudon, qui parle à la fois d’effet de position et d’effet de perspective) invite à analyser les systèmes d’interaction concrets, où se développent les comparaisons qui fondent le sentiment de justice (Kellerhals et al., 1997). On est ici très proche des analyses des psychologues sociaux qui valorisent également ce rôle du contexte proche où se meuvent les personnes, où elles sont amenées à se mettre à la place de ceux qui les entourent, à endosser d’autres rôles ; c’est ainsi que se développe le sentiment de justice chez les enfants, et c’est ainsi qu’il peut régresser chez des adultes qui ne font plus face à cette variété d’opportunités quotidiennes (en prison notamment).

31Les sociologues soulignent également que dans l’élaboration de leur jugement (sur la justice du monde), les individus ne prennent en général pas en compte seulement la proportionnalité entre contributions et rétributions mais aussi la manière dont ils pensent que les inégalités se sont constituées. Des « effets de connaissance » (pointés par Boudon, mais aussi par certains économistes, nous y reviendrons) interviennent donc, qui peuvent expliquer qu’il n’y ait pas nécessairement de relation automatique entre les inégalités perçues et les sentiments de justice/d’injustice. C’est ainsi que Boudon explique que les gains à la loterie peuvent ne pas être perçus comme injustes (règles du jeu connues, rôle du hasard, bénéfices alloués à la collectivité…). D’autres études, conduites notamment par les économistes (cf. Piketty, 2003 ; pour les États-Unis, cf. Kluegel & Smith, 1986), montrent que ce qui explique les attitudes face aux politiques de redistribution (par exemple), ce sont moins les variables classiques de revenu ou d’appartenance sociale que les raisons pour lesquelles on pense que les pauvres le sont, le poids que l’on alloue, dans les destinées individuelles, à l’effort, à la chance, etc.

32Les convergences sont donc réelles avec les analyses de la psychologie sociale, notamment pour ce qui est du rôle du contexte proche, du système d’interaction concret et des facteurs cognitifs qu’il s’agit de mobiliser pour lire/expliquer et ainsi justifier les réalités. Cela n’exclut pas certaines divergences, qui tiennent probablement en partie à la manière dont sont abordés et construits les sentiments de justice. Sans doute, les effets de méthode sont redoutables dans ce champ où ont cours de nombreuses définitions opérationnelles, puisqu’on y définit telle ou telle attitude par les questions qui servent à l’appréhender.

Quelques résultats de recherches empiriques sur les « mythes légitimateurs ».

33Dans cette partie, nous nous limiterons à une présentation non exhaustive de travaux conduits sur la prégnance de certains « mythes légitimateurs », en ciblant ici le rapport à l’idéologie méritocratique et au sexisme.

34Pour ce qui est de l’adhésion à l’idéologie méritocratique, nous nous centrerons sur la question débattue de savoir si ce sont plutôt les dominés ou les dominants qui croient le plus à cette idéologie (voire aux idéologies dominantes justifiant les rapports sociaux). Les hypothèses et les résultats en la matière sont parfois contradictoires, et d’autant plus quand on ne distingue pas justice pour soi et justice pour autrui (ou pour le monde). On peut ainsi défendre que c’est peut-être plus confortable pour les dominés de croire en un monde juste, ou au contraire qu’ils vont se montrer davantage critiques et contestataires, ou encore se montrer moins « internes » pour préserver une certaine image d’eux-mêmes, ou moins portés à la méritocratie…

35Nous l’avons vu, certains chercheurs comme Lorenzi-Cioldi soulignent que les dominants vont être particulièrement portés à expliquer leur propre position par des qualités personnelles et/ou des facteurs relevant de leur contrôle, la « norme d’internalité » étant plus prégnante chez eux que chez les dominés, qui invoquent plus souvent des facteurs échappant à leur contrôle comme des facteurs externes ou la chance. Les psychologues sociaux Sidanius et Pratto montrent, de manière convergente, que la préférence pour le maintien de rapports hiérarchiques entre groupes s’avère effectivement plus marquée chez les groupes en position dominante.

36Mais si les dominants (ou les plus diplômés) devraient être davantage portés à croire à la justice du monde pour eux-mêmes et à la méritocratie, cette croyance ne se traduit pas forcément au niveau de la justice du monde en général. Car on peut aussi faire l’hypothèse que les études fournissent des outils cognitifs pour critiquer la société et contester certaines inégalités, les personnes les plus éduquées pouvant alors montrer plus de recul face à l’idéologie méritocratique. C’est ce que tend à montrer une étude de Guimond (1998), sur un échantillon d’étudiants canadiens, en examinant si, comme on peut le prévoir dès lors que le rôle du système scolaire est de faire intérioriser l’idée que le succès ou l’échec dépendent de facteurs personnels, les explications des inégalités sociales deviennent de plus en plus internes à mesure que l’on est socialisé par l’appareil scolaire. Ses résultats montrent en fait que cette tendance est contrariée par le fait que les études fournissent des outils pour critiquer la société et contester certaines inégalités : l’enseignement reçu à l’université aurait donc des effets cognitifs, débouchant sur une contre-idéologie.

37Les « dominés » seraient alors plus conservateurs, ce qui est aussi la thèse de la fonction « palliative » de l’idéologie dominante (Jost & Hunyady, 2002) évoquée précédemment : les dominés auraient encore plus besoin d’adhérer à la méritocratie. C’est ainsi que Lannegrand (2004), à propos de lycéens, fait l’hypothèse selon laquelle les jeunes orientés vers les filières les moins valorisées ont encore plus besoin que les autres de croire en la justice de l’école, et que, de manière générale, ce serait encore plus nécessaire et peut-être apaisant en quelque sorte, pour les dominés, de croire en un monde juste. Ses analyses empiriques confortent son hypothèse : on croit plus en la justice de l’école dans les filières les moins valorisées ; cette croyance permet aux élèves relégués dans ces filières de reconstruire leur passé scolaire et d’accepter leur situation. Ceci dément la tendance généralement constatée des dominants à davantage d’explications internes. Mais l’invocation de la réduction de la dissonance vient ici aisément fournir une interprétation, trop facilement peut-être, ou plutôt trop universelle, pour être parfaitement convaincante…

38Qu’en est-il du côté des sociologues ? Pour Bourdieu et Passeron, qui se sont surtout focalisés sur l’idéologie du don prévalant à l’école (plus que sur la méritocratie en tant que légitimité des conséquences sociales des verdicts scolaires, comme si l’idéologie du don suffisait à la justifier), il n’y a guère lieu d’examiner les variations de cette norme méritocratique : en effet, pour qu’elle puisse légitimer les inégalités, tout le monde doit y croire, à la fois les dominants et les dominés : « Pour que le destin social soit changé en vocation de la liberté ou en mérite de la personne, (…) il faut et il suffit que l’École (…) réussisse à convaincre les individus qu’ils ont eux-mêmes choisis ou conquis les destinées que la nécessité sociale leur avait par avance assignées. (…) L’École parvient aujourd’hui, avec l’idéologie des « dons » naturels et des « goûts » innés, à légitimer la reproduction circulaire des hiérarchies sociales et des hiérarchies scolaires » (La Reproduction, 1970, p. 250). Mais, quelle que soit la force de conviction de leur théorie, ces auteurs donnent eux-mêmes peu d’exemples empiriques de la réalité de cette croyance partagée, qui semble découler de manière évidente de la scolarisation. C’est ainsi qu’ils poursuivent, à propos des élèves qui alimentent les filières courtes d’enseignement : « Il n’est même plus nécessaire de leur inculquer une idéologie de la résignation, de la modestie et de la docilité : le système scolaire engendre cet effet idéologique par son fonctionnement. »

39Une recherche récente par entretiens apporte un éclairage sur l’intériorisation de la méritocratie et le caractère légitime de la méritocratie scolaire (Duru-Bellat & Tenret, 2009). Au-delà des biais classiques de ce mode d’approche, en particulier les phénomènes de désirabilité sociale, il semble que les personnes les moins instruites critiquent moins ouvertement et explicitement la méritocratie scolaire (ce qui peut être en partie un conformisme lié à leur position) ; les plus diplômés sont par exemple plus nombreux à considérer qu’il n’est pas normal que les personnes ayant fait des études longues soient davantage payées que les autres, ou encore à juger qu’en France le rôle accordé au diplôme est trop élevé. Mais cela n’empêche pas les moins diplômés de critiquer le fonctionnement effectif du marché du travail : en particulier, ils jugent bien moins souvent que les gens obtiennent ce qu’ils méritent. À l’inverse, les plus instruits, même s’ils sont moins portés à défendre explicitement la légitimité des diplômes comme critère de rémunération et de classement social (avec peut-être à cet égard, une retenue liée également à leur position), manifestent par ailleurs une plus grande satisfaction à l’égard du fonctionnement du marché du travail et de la justice de son fonctionnement, et plus largement de la justice du monde (sachant que, dans cette étude, l’équivalent de la cmj donne un niveau d’adhésion modeste, puisque, à la question de savoir si les gens sont traités de façon juste, répondent par l’affirmative 19 % des moins diplômés et 30 % des plus diplômés). L’adhésion à la cmj n’est donc pas massive, pour autant qu’on puisse en juger sur cette base empirique évidemment imparfaite. Et surtout, il convient donc de distinguer jugement sur la méritocratie scolaire (ou la forme scolaire de la méritocratie) et jugement sur la méritocratie de manière plus générale.

40Dans le monde du travail, la dénonciation de l’injustice apparaît également très forte (Dubet, 2006), loin de la domination universelle de la cmj. Mais, de manière convergente avec la psychologie sociale, les individus sont plus portés à critiquer l’injustice du monde que celle de leur propre situation : Dubet souligne qu’après avoir dressé un tableau parfois noir du monde, les personnes concluent souvent par un « moi ça va » étonnant ! Il montre aussi que la norme d’internalité règne, qui pousse à suggérer, souvent, que ceux qui sont victimes d’injustice en sont responsables. Enfin, toujours dans ce contexte du monde du travail, la relativisation du mérite s’avère assez générale, et l’on voit apparaître une relation avec le niveau d’instruction ou de qualification des personnes : ainsi, quand près des deux tiers des personnes interrogées estiment qu’il n’est pas normal que « les postes à responsabilité soient réservés aux plus diplômés », cette proportion s’avère un peu plus faible, même si elle reste néanmoins majoritaire, chez les chefs d’entreprise et les cadres, qui seraient donc plus portés à croire en la légitimité des liens entre diplômes et situation professionnelle et sociale.

41Une autre enquête (Piketty, 2003) montre également que les jugements que portent les individus sur certaines inégalités comme les inégalités de revenus – relèvent-elles des efforts de chacun ou de facteurs non maîtrisables ? – ne sont pas sans rapport avec leur propre statut et leur trajectoire personnelle ; on retrouve ici certains constats classiques de la psychologie sociale, selon lesquels les individus à haut revenu donneraient davantage de poids, dans l’explication des inégalités, à des facteurs comme l’effort, valorisant ainsi plus ce que les psychologues désignent sous le vocable de facteurs d’attribution internes. Dans des travaux récents, Forsé & Parodi (2006, 2010) montrent quant à eux que si les Européens, invités à hiérarchiser les critères de justice, classent le mérite en deuxième (après la garantie des besoins de base pour tous mais avant l’égalité), les personnes les moins diplômées considèrent un peu plus que les autres qu’il est important de reconnaître les mérites de chacun, tout en accordant plus d’importance à la réduction des inégalités. Les personnes les plus instruites s’avèrent au total plutôt plus critiques, ces catégories adoptant plus fréquemment ce que Forsé & Parodi (2004) appellent une posture de « spectateur équitable ». À l’inverse, certaines enquêtes internationales (cf. par exemple Noll & Roberts, 2003) montrent plutôt une adhésion plus marquée à la méritocratie chez les cadres supérieurs (quand on l’oppose ici à une attitude égalitariste).

42L’étude de Piketty fait par ailleurs apparaître un relatif consensus sur les inégalités de revenus elles-mêmes, à partir du moment où elles apparaissent comme venant rétribuer de manière raisonnable les efforts fournis par chacun. Mais les oppositions réapparaissent quand il s’agit de se prononcer sur d’autres inégalités. La diffusion de l’éducation affecte vraisemblablement tous ces jugements, du fait d’une meilleure connaissance des mécanismes économiques (faisant craindre les effets démobilisateurs d’une trop forte redistribution par exemple, dans l’étude de Piketty), mais aussi d’une sensibilisation à d’autres formes d’inégalités (les inégalités planétaires par exemple). La tendance des « dominants » à psychologiser les phénomènes sociaux, que pointent les chercheurs en psychologie sociale, se combine donc vraisemblablement avec des « effets de connaissance », à évaluer, pour justifier le monde et les inégalités qui y règnent. Notons que pour confronter/cumuler toutes ces enquêtes, il est important de bien spécifier si l’on recueille des jugements sur la microjustice (justice pour soi) ou la macro justice (justice du monde).

La psychologie sociale et la reproduction des rapports de genre

43Tout un champ de la psychologie sociale s’est également penché abondamment sur la légitimation des rapports de domination entre hommes et femmes, entre groupes ethnoculturels et tous les autres groupes précisément désignés/étiquetés comme groupes. Ces inégalités doivent, comme les autres, être justifiées. Et comme l’a montré toute une littérature féministe (cf. notamment Guillaumin, 1978), l’invocation de la nature est en l’occurrence une tentation constante et commode. Certes, l’on évite aujourd’hui de mobiliser des explications renvoyant à la « nature », même si c’est plus vrai des groupes ethnoraciaux que des groupes de sexe ; mais il convient à cet égard d’être attentif à la montée d’une certaine sociobiologie, voire de certaines neurosciences, qui invitent à ancrer dans la nature certains processus psychosociaux. Toujours est-il que, dès lors qu’il convient de préserver la croyance en un monde juste, les personnes mobilisent des stéréotypes, consistant à doter les groupes de caractéristiques qui les définissent comme des « essences » et donnent une cohérence et une justification aux différences multiples qui les opposent.

44Dès lors que les groupes occupent au jour le jour des positions et des rôles inégaux, et que les personnalités de leurs membres semblent en adéquation avec ces situations, il est irrépressible de lire/expliquer/justifier ces constats en recourant à des traits de personnalité postulés, généralisés et durcis selon la logique des stéréotypes. Les stéréotypes ne reposent pas forcément sur des différences objectives – on sait par exemple que les femmes sont perçues comme bavardes alors que des quantifications objectives montrent qu’en général elles parlent moins ; mais, comme le souligne Chatard (2005), ces stéréotypes sont susceptibles d’émerger tout simplement parce que tout un chacun observe que les hommes et les femmes occupent des rôles sociaux différents et qu’ils et elles semblent bien correspondre aux traits typiques de ces rôles. Ce qui apparaît ainsi comme une harmonie préétablie prend aussi racine dans la socialisation. En effet, l’enfant est encouragé très tôt à se conformer aux stéréotypes de genre ; ce que les psychologues appellent les « schémas de genre » servent de guide à ses actions, lui permettent d’organiser toutes les informations provenant de son environnement et de satisfaire aux attentes et exigences de la réalité sociale.

45Un apport décisif de la psychologie sociale a été de démontrer l’efficacité spécifique des stéréotypes dans la reproduction des hiérarchies et des inégalités entre les groupes, établissant ainsi un pont entre le niveau macro, le niveau du groupe et le niveau micro. Un concept qui illustre bien cette articulation entre niveaux est celui de « menace du stéréotype ». Concrètement, il signifie que le fait de savoir pertinemment que, vu votre groupe d’appartenance, vous êtes censé moins bien réussir telle ou telle tâche induit une telle pression psychologique que cela obère vos chances d’y réussir effectivement ; par exemple, aux états-Unis, c’est le cas d’élèves noirs face à un exercice présenté comme un test d’intelligence (alors qu’étant noirs, ils sont censés être moins intelligents) qui y réussissent moins bien que s’il est présenté comme un jeu, ou, autre exemple, d’élèves filles, devant un exercice présenté comme de la géométrie (discipline connotée comme masculine), qui vont y réussir moins bien que lorsque le même exercice est présenté comme du dessin (de nombreux exemples sont donnés dans Toczek et Martinot, 2004). De manière générale, le concept de « menace du stéréotype » et ses multiples tests empiriques montrent que mobiliser les stéréotypes dominants avantage les plus avantagés et désavantage les désavantagés, à l’instar de prophéties autoréalisatrices.

46Ceci est parfaitement compréhensible, dès lors que, dans nos sociétés, le référent est l’homme, blanc, et que les autres sont définis en termes de « moins » : les rapports de domination ne sont pas une pure abstraction ou ne sont pas seulement bornés par des critères économiques objectifs « durs » : le groupe dominant est dominant en ce qu’il propage des normes et des valeurs pleinement incarnées par les seuls membres du groupe dominant, mais auxquelles se heurtent quotidiennement les membres du groupe dominé. Dès lors qu’ils évoluent dans la même société, ils (elles surtout) sont notamment confrontés aux prétentions des dominants à représenter ce qu’il y a de mieux, à incarner par exemple l’autonomie, la maîtrise parfaite de sa vie, etc. Les membres des groupes dominés peuvent s’efforcer, non sans difficultés, voire au prix de réelles souffrances, de se rapprocher de l’idéal culturel imposé par les groupes dominants, mais c’est d’autant plus difficile qu’ils doivent alors intérioriser les idéologies qui légitiment la position privilégiée de ces groupes et les dévalorisent eux-mêmes : « l’insistance avec laquelle les dominés sont toisés au moyen de stéréotypes influe sur la perception qu’ils ont d’eux-mêmes » rappelle Chatard (2005, p. 152). De nombreux travaux montrent ainsi, d’une part combien les femmes adhèrent au sexisme ambiant, et d’autre part que plus les filles souscrivent au sexisme ambiant, moins elles réussissent à l’école (alors qu’une telle relation ne s’observe pas chez les garçons). Plus globalement, conclut Chatard (2005, p. 195), « l’adhésion aux idéologies dominantes est compatible avec la réussite scolaire des groupes avantagés, mais incompatible avec la réussite des groupes relativement désavantagés ».

47Les stéréotypes sont donc une courroie de transmission efficace des rapports de domination et non des reflets « simplement » durcis des traits de personnalité qui distingueraient véritablement les groupes. à l’appui de cette thèse, tout un courant de la psychologie sociale montre combien ces attitudes stéréotypées sont modulées par le contexte de l’interaction et donc la scène où se confrontent et se comparent les groupes en présence.

48On dispose sur cette question de nombreuses observations en milieu scolaire, qu’il s’agisse d’observer les comportements des garçons et des filles face à des exercices et des matières souvent « sex-typés » (connotés comme masculin ou féminin), et/ou bien de comparer leurs performances ou leurs attitudes selon le contexte mixte ou non mixte des classes. Les filles ont tendance à se sous-estimer dans les domaines connotés comme masculins quand elles sont en présence de garçons. Réciproquement, elles jugent mieux leurs aptitudes littéraires dans les contextes mixtes. Autre exemple, dans une situation d’interaction où les élèves ont à résoudre un jeu mathématique, les filles diminuent sensiblement leur autoattribution de compétence quand elles sont dans un groupe mixte par rapport à un groupe non mixte (Duru-Bellat, 2010).

49Des constats analogues sont faits sur des populations adultes, et cela révèle un phénomène général qui est que chaque fois que des groupes sont mis en contact, leurs membres se définissent plus nettement par ce qui les distingue de l’autre groupe. En d’autres termes, plus les contextes sociaux rendent visibles l’appartenance à un groupe et plus sont alors saillants les stéréotypes qui lui sont attachés, plus la conformité aux stéréotypes de son propre groupe s’en trouve renforcée. C’est ainsi que la mixité (ou la non-mixité) affecte le fonctionnement des groupes de travail. Dans des groupes non mixtes, les comportements des adultes des deux sexes sont tout à fait similaires ; en particulier, les comportements de dominance (ou de leadership) sont adoptés dans d’égales proportions par les hommes et par les femmes. En revanche, dans les groupes mixtes, on voit apparaître une division du travail entre les sexes, les femmes par exemple modérant leurs comportements de dominance et se restreignant aux seuls comportements expressifs (voir aussi les nombreux exemples rapportés par Vinsonneau, 1999).

50Le contexte dans lequel évoluent les personnes affecte donc de manière profonde leur identité personnelle, ce qu’ils en disent et ce qu’ils font ; c’est là une thèse forte de tout un courant de la psychologie sociale (notamment Lorenzi-Cioldi, Chatard). Mêler pour des interactions étroites des groupes dominants et dominés, même si cela apparaît socialement désirable, va donc exacerber les différences dans la perception de soi et les dissymétries afférentes ; ainsi, pour ce qui est de la mixité hommes/femmes : « à mesure que le contexte rend saillants les stéréotypes de compétences, en dépit que ceux-ci soient ambivalents, l’estime de soi des hommes s’accroît tandis que celle des femmes chute » (Chatard, 2005, p. 191). À l’inverse, de nombreuses expériences montrent qu’un changement, même minime, du contexte d’interaction et donc de comparaison peut affecter attitudes et comportements et en l’occurrence atténuer très sensiblement les différences entre hommes et femmes dans la description de soi.

51Dès lors que la notion même de comportement féminin ou masculin ne prend de sens que dans un contexte mixte, on peut évidemment s’interroger sur ces notions elles-mêmes ou, de la même manière, sur la consistance de ces « cultures » parfois invoquées pour décrire/expliquer/justifier les hiérarchies entre différents groupes, ethnoculturels notamment. Toutes ces distinctions ne sont-elles que des artefacts produits par l’interaction elle-même ? Une thèse défendue en psychologie sociale (notamment par Lorenzi-Cioldi, 2002 et 2009 ; voir aussi Vinsonneau, 1999) est que les comportements considérés comme masculins et féminins ne peuvent être vus (du moins pas entièrement) comme relevant de propriétés invariables attachées aux individus, mais découlent de phénomènes situationnels et relationnels, eux-mêmes dépendants de la dynamique qui s’instaure au sein de groupes composés de participants des deux sexes. Les différenciations entre les sexes ou entre les groupes vont alors être plus ou moins marquées selon les caractéristiques des situations d’interaction. C’est ce contexte social lui-même – en l’occurrence la mixité, sexuée ou sociale d’un groupe – qui fabrique les différences entre les groupes, qu’il s’agisse de différences de performance, d’images de soi, ou d’attitudes. On trouve un écho récent de ces thèses dans le dernier ouvrage d’I. Théry (2007), critiquant elle aussi les conceptions qui considèrent le genre comme un attribut des personnes alors que ce sont les modalités des relations sociales qui sont étiquetées comme masculines et féminines. D’où la notion de « distinction de sexe » qui se substitue aux notions substantialistes et fixistes de masculin et de féminin. Ces questions restent l’objet de débats, et la mixité des groupes peut au demeurant être défendue par principe et aussi en arguant du fait que la ségrégation est jusqu’alors systématiquement associée à l’inégalité. Mais il faudrait explorer de manière empirique quelles peuvent être ces retombées positives en termes d’égalité [14].

52Toujours est-il que concernant la construction du genre, on observe (déjà, pourrait-on dire) une convergence entre les analyses de la psychologie sociale et certaines analyses des sociologues, en France et plus encore aux États-Unis avec les perspectives interactionnistes ou ethnométhodologiques (Ridgeway, 1997) ; même si les sociologues devaient sans doute s’attacher à analyser l’inscription de cette fabrication continue du genre dans des institutions – famille, école, marché du travail, notamment – de fait profondément « genrées ».

Conclusion

53Les questions explorées par ce domaine de la psychologie sociale sont à l’évidence lourdes d’enjeux sociaux et politiques. C’est vrai notamment des questions aujourd’hui désignées sous l’étiquette ambiguë de « diversité ». Dans son dernier ouvrage, Lorenzi-Cioldi (2009) montre clairement que l’asymétrie entre les groupes produit, du côté des dominants, une vision d’eux-mêmes comme uniques, originaux et également un individualisme qui est aussi un universalisme, alors que les dominés sont renvoyés à leurs particularités et vont être tentés de cultiver le « nous » qui les protège en quelque sorte des autres. Il évoque alors les travaux sur les minorités qui, sur la base des différences socioculturelles des groupes, « délogent l’asymétrie pour une description plus angélique d’entités irréductibles et affranchies de tout rapport » (Lorenzi-Cioldi, 2009, p. 272). On perçoit alors les dominés comme insérés dans leur culture, à laquelle leurs individualités sont subordonnées, alors que les dominants en sont évidemment affranchis et incarnent l’universalisme [15] . Mais la psychologie sociale suggère que ces notions de cultures incommensurables (telles que les cultures féminines versus masculines, les Occidentaux versus les Orientaux…) sont fondamentalement structurées, voire fabriquées, par les rapports a-symétriques entre les groupes. Le risque est alors que l’exaltation des différences qui les accompagnent débouche sur un racisme, et plus sûrement encore sur une essentialisation a-historique de ces groupes, et entérine « l’amnésie du rapport de domination qui les assemble et qui pénètre jusque dans les représentations des uns et des autres » (p. 287). En d’autres termes, la psychologie sociale souligne les risques qu’il y a à ancrer dans des « cultures » spécifiques les dominés, au risque d’entretenir ainsi le rapport de domination qui en est largement à la racine. Elle dénonce ainsi les écueils d’« une sorte de multiculturalisme équilibré » (ibid. p. 287), où le respect de « cultures » ainsi définies vient conforter les rapports sociaux établis. Ces questions sont évidemment polémiques. Mais bien des sociologues adhéreraient à l’idée qu’une représentation de plus en plus culturaliste de la société brouille la perception des rapports de domination (cf. par exemple Ben Michaels, 2009).

54Sur un terrain peut-être moins polémique, ce champ de la psychologie sociale (et notamment Lorenzi-Cioldi) souligne que la montée de l’individualisme, le discours selon lequel chacun est l’auteur de sa vie traduit la perception des dominants : « loin de signifier la fin des groupes (…) (il) incarne l’identité sociale de certains groupes » (p. 178). Cette dérive que la psychologie désigne comme « personnologique » (mais qui relève clairement de l’idéologie méritocratique ; cf. Duru-Bellat, 2009) ignore l’impact décisif qu’ont les circonstances et les contextes sur nos attitudes et nos comportements ; elle est donc éminemment conservatrice, puisqu’elle naturalise les acteurs sociaux dès lors qu’ils appartiennent à un groupe, alors même que de multiples travaux montrent que plutôt que de manifester toujours et partout les comportements attendus comme masculins et féminins, les personnes agissent de fait différemment selon les contextes, mixtes ou non mixtes, selon les statuts sociaux des personnes en interaction, etc. On peut alors, nous l’avons évoqué, s’inquiéter de la fascination qu’exerce sur le grand public mais aussi certains académiques (en psychologie ou en économie notamment) les neurosciences cognitives. Celles-ci s’intéressent à présent aux stéréotypes, à la dominance sociale, plus largement à la manière dont nous catégorisons autrui. On est alors en quête de connexions biunivoques entre un état mental et une activation du cerveau, ce qu’on lira comme des causes inscrites dans le corps de tous les phénomènes psychiques, y compris ceux qui, aux yeux de la psychologie sociale, relèvent clairement de la domination intergroupes. Les règles implacables de la nature reviennent alors en force pour renouveler, en leur apportant une caution scientifique des plus modernes, les justifications, toujours à produire, des rapports de domination.

Notes

  • [1]
    Professeur des universités à Sciences Po, Observatoire sociologique du changement
    osc, 27 rue Saint-Guillaume, 75337 Paris Cedex 07
    marie.durubellat@sciences-po.fr
  • [1]
    Une part de ce travail a été stimulée par le réseau poline – Politics of Inequalities – créé à Sciences Po, et qui a organisé en mai 2010 une séance autour de certains des psychologues sociaux cités ici (Sidanius et Pratto, Lorenzi-Cioldi, Guimond). http://blogs.sciences-po.fr/recherche-inegalites/. Il s’agit d’un champ relativement récent et en plein développement : si les manuels généraux n’abordent pas cette question précise (cf. par exemple Drozda-Senkowska et al., 2010) tout en traitant amplement de notions larges comme la comparaison sociale ou les stéréotypes, elle est traitée dans des ouvrages qui présentent les développements récents plus spécifiques de la discipline (cf. Joule et Huguet, 2008).
  • [2]
    Il y a certes des exceptions, comme la belle étude de Kluegel & Smith (1986), un sociologue et un psychologue américains, sur les jugements de leurs compatriotes sur les inégalités prévalant dans leur pays.
  • [3]
    Sur cette discussion, cf. Matalon, 1981 et 1982.
  • [4]
    Sur ce point- là du moins, la sociologie garde une spécificité plus marquée par rapport à l’approche des psychologues quand elle dépasse le niveau des données individuelles pour s’intéresser à l’agrégation des comportements, aux effets non voulus par exemple.
  • [5]
    à travers une succession de stades décrits par des psychologues comme Kohlberg et al. (1983). Voir aussi Bègue, 2009.
  • [6]
    Voir par exemple le Suivi barométrique de l’opinion des Français à l’égard de la santé, de la protection sociale, de la précarité, de la famille et de la solidarité, publié en 2011 par la drees (Réf.TN330) : 78 % des personnes estiment qu’elles vivent dans un monde ou une société injustes.
  • [7]
    Le stéréotype exprime un « biais de catégorisation », qui permet de simplifier l’appréhension de l’environnement ; il se fonde sur des généralisations abusives, à partir de la perception que certains groupes de personnes occupent des rôles sociaux particuliers. Les stéréotypes « rationalisent » les différents rôles sociaux occupés, en invoquant chez leurs détenteurs des qualités spécifiques. On entretient ainsi la croyance que le monde est juste.
  • [8]
    La norme d’internalité est donc définie comme « la valorisation socialement apprise des explications des événements psychologiques qui accentuent le poids de l’acteur comme facteur causal » (Dubois, 1994), ce qu’on désigne aussi par un mode d’attribution interne opposé à un mode d’attribution externe où les comportements de la personne s’expliquent par des facteurs hors de son contrôle.
  • [9]
    Trad. : On voit ainsi émerger un consensus relativement clair concernant le rôle central joué par les attitudes, les croyances et les stéréotypes dans la perpétuation idéologique du statu quo par l’intermédiaire des processus sociaux et psychologiques de justification, de rationalisation et de légitimation.
  • [10]
    Dans la mouvance de recherche sur la cmj, on montre également que, même si celle-ci s’avère relativement universelle, elle serait légèrement plus accentuée dans des pays de fait particulièrement injustes comme l’Afrique du Sud ou l’Inde (rapporté in Dalbert, 2001).
  • [11]
    Ceci va évidemment dans le sens du maintien du statu quo. Ce qui fait dire à certains psychologues (par exemple Jost & Major, 2001) que s’ils sont « fonctionnels » au niveau des individus, tous ces facteurs le sont moins au niveau macrosocial (tout comme la cmj), puisqu’ils justifient l’inaction, créent une apparence de justice et inhibent tout changement.
  • [12]
    Une présentation synthétique de l’apport de la sociologie et de la philosophie politiques est proposée dans le dossier réalisé par F. Gonthier pour Problèmes politiques et sociaux, 2008.
  • [13]
    à nouveau, on peut faire un parallèle entre cette thèse et certains acquis de la psychologie sociale, notamment les analyses de Deutsch (1985) montrant que les principes mobilisés pour produire un jugement de justice varient selon les caractéristiques de la situation d’interaction, en particulier des buts du groupe (on valoriserait notamment davantage le principe du mérite quand il s’agit d’être efficace, et le principe d’égalité et la logique du besoin quand on cherche avant tout à préserver des relations harmonieuses ou du bien-être).
  • [14]
    Sur ces questions, voir le numéro spécial de la Revue française de pédagogie consacré à la mixité scolaire (2010, no 171).
  • [15]
    Un questionnement du même type pourrait porter sur les mesures visant à la parité hommes/femmes, dès lors qu’elles entendraient plus ou moins explicitement promouvoir ce qui serait des valeurs spécifiquement féminines.
Français

La sociologie et la psychologie sociale abordent de manière distincte la question de ce qu’on peut considérer comme la face subjective des inégalités, à savoir la manière dont les personnes ressentent, expliquent et justifient les inégalités qui marquent leur société d’appartenance. De fait, les travaux des psychologues sociaux sur ces questions sont peu connus de la majorité des sociologues et l’objectif du texte est d’en présenter une synthèse. Sans prétendre à l’exhaustivité, il entreprend un bilan critique de cette littérature, majoritairement anglo-saxonne. Il souligne combien ces analyses de la manière dont l’intériorisation des inégalités affecte profondément les psychismes sont éclairantes sur les mécanismes de reproduction des inégalités elles- mêmes. À ce titre, elles méritent d’être connues des sociologues, toujours en quête d’une articulation macro-micro difficile à concevoir. Mais si sur certains points, et au-delà des concepts privilégiés, sociologues et psychologues sociaux débouchent sur des conclusions convergentes – par exemple concernant l’inscription des jugements de justice dans un système d’interaction concret –, il reste des points moins consensuels, ainsi les sociologues opposent-ils volontiers à la notion, centrale en psychologie, de la « croyance en un monde juste », la sévérité des jugements, notamment en France, sur la justice de la société.

  • croyance en un monde juste
  • idéologies
  • stéréotypes
  • inégalités sociales
  • genre

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Marie Duru-Bellat [*]
  • [1]
    Professeur des universités à Sciences Po, Observatoire sociologique du changement
    osc, 27 rue Saint-Guillaume, 75337 Paris Cedex 07
    marie.durubellat@sciences-po.fr
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/09/2011
https://doi.org/10.3917/socio.022.0185
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