CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Toute signature, bien sûr, ne renvoie pas à l’art : les artistes ne sont pas les seuls à signer ; les œuvres d’art ne sont pas les seuls objets signés [2]. Mais inversement, on peut se demander si l’art implique forcément signature : n’y a-t-il artiste que s’il y a signataire d’une œuvre, et œuvre d’art que si l’objet en question est signé ?

2Je n’envisagerai ici que le cas des créateurs (artistes plasticiens, écrivains, compositeurs), à l’exclusion des interprètes d’œuvres musicales, chorégraphiques, théâtrales, cinématographiques. En effet, ces derniers ne produisent pas un objet mais une « performance », une exécution, une représentation, à laquelle leur nom est associé de façon contingente et non pas substantielle : d’autres qu’eux ont pu ou pourront interpréter la même œuvre, alors que celle-ci n’a et ne peut avoir que son unique auteur. Aussi la seule signature des interprètes est-elle, paradoxalement, celle de leur présence en un lieu et un moment donné, sous la forme d’un autographe, qui témoignera durablement de leur rencontre avec un admirateur.

3Il faut toutefois noter une propriété commune à l’autographe et à la signature des artistes plasticiens, auteurs d’œuvres « autographiques », à l’exclusion des auteurs d’œuvres « allographiques », selon l’utile distinction établie par le philosophe américain Nelson Goodman [3] : dans le premier cas, la signature est obligatoirement manuscrite, portant donc la trace matérialisée du corps de l’artiste, dont elle émane directement ; dans le second cas, la signature est détachée du corps de l’auteur, se réduisant à la mention imprimée de son nom sur l’un des multiples exemplaires du livre, du livret ou de la partition reproduits à partir du manuscrit original. En revanche, la signature de l’artiste autographe et de l’auteur allographe ont en commun de figurer sur l’œuvre réalisée par eux, alors que l’autographe de l’interprète peut s’apposer sur une photographie le représentant, voire sur un simple morceau de papier. C’est dire qu’avec le plasticien, on a affaire à une signature matérielle, sur une œuvre elle-même matérialisée en un objet unique, non reproductible (sauf à perdre son authenticité) ; avec l’autographe de l’interprète, la signature est également matérielle mais l’« œuvre » purement symbolique, réduite à la trace de la présence de celui qui réalisa une performance ; enfin, la signature de l’auteur est symbolisée par une inscription typographique reproductible à l’infini, sur une reproduction elle-même indéfiniment multipliable de son œuvre – que singularisera éventuellement l’autographe ou « envoi », de la main de l’auteur, si apprécié des bibliophiles et des bouquinistes, qui en savent le prix.

4Mais la question qui intéressera ici, posée à propos des « œuvres » artistiques matérielles (autographiques) ou matérialisables (allographiques), est celle de l’ « artification » : faut-il une signature pour faire art, un signataire pour faire artiste ?

Qu’est-ce que l’artification ?

5J’entends par « artification » l’ensemble des processus (cognitifs, sémantiques, institutionnels, juridiques, économiques, perceptifs…) aboutissant à faire franchir à un objet (œuvre) ou à une catégorie de personnes (artistes) la frontière entre non-art et art [4]. Ces processus n’impliquent pas seulement des changements symboliques, tels que la requalification des actions, l’ennoblissement des activités, le grandissement des personnes, les déplacements de frontières : ils impliquent aussi des changements concrets, tels que la modification du contenu et de la forme de l’activité, la transformation des qualités physiques des personnes, l’importation d’objets nouveaux, la création d’institutions, le réagencement de dispositifs organisationnels, etc. Il est important de noter que ce que je désigne ainsi par le terme d’ « artification » entraîne un déplacement durable et collectivement attesté de la frontière entre art et non-art, et non pas seulement une revendication ponctuelle ou individuelle.

6En outre, et surtout, la question de l’artification est antérieure à une problématique quelque peu différente, beaucoup plus familière à la sociologie : celle de l’élévation sur l’échelle hiérarchique interne aux différents domaines artistiques. Ce dernier phénomène relève non pas de l’artification mais de la problématique de la « légitimation », à laquelle s’est longtemps confinée la sociologie de l’art à travers les thématiques de type arts mineurs/arts majeurs, art savant/art populaire, etc. Or, il s’agit ici de dépasser cette problématique du positionnement au sein d’une même catégorie (« l’art »), au profit d’une problématique plus ambitieuse : celle de la définition même des êtres, des choses, des actions amenés à endosser la qualification d’art ou d’artiste. Bref, la transformation ainsi opérée du non-art en art, résultant d’un travail complexe, n’est pas seulement axiologique (différence de valorisation) mais ontologique (différence de nature attribuée à un être) ; elle exige donc d’observer les changements de statut des personnes, des objets, des activités, en travaillant les discontinuités (passages de frontière) et non plus les déplacements sur une échelle continue (légitimation).

7Dans le cadre de ce programme, sera donc passé rapidement en revue, à travers les différents domaines concernés, le statut de la signature dans le processus d’artification.

Peinture et sculpture

8Commençons par le domaine le mieux connu, parce que le plus ancien et le plus reconnu : l’art de la peinture et de la sculpture [5]. Au Moyen Âge, lorsque les « imagiers » n’étaient encore que des artisans, la signature – lorsqu’elle figurait – relevait plutôt de la marque de fabrique ou de « tâcheron », comme on en trouvait sur les pierres des cathédrales. C’est seulement avec l’académisation de la peinture, constitutive de la professionnalisation de l’activité, que la signature devient sinon systématique, du moins plus fréquente. En France, les inventaires après décès montrent qu’elle prend son essor au XVIIIe siècle, encore que de façon inégale selon les genres, puisque la nature morte, au bas de la hiérarchie, demeura longtemps moins fréquemment signée. Puis elle se généralise au XIXe siècle, à l’époque où la professionnalisation fait place à la « vocationnalisation » de l’art, et à l’imposition de la notion moderne, post-romantique, de l’artiste. Avec celle-ci se développe l’exigence d’authenticité, la valorisation de l’original au détriment de la copie ainsi que le travail d’attribution dévolu à la discipline naissante de l’histoire de l’art – tous phénomènes symptomatiques de l’artification, et qui nécessitent la convention de la signature.

9Plusieurs conditions sont nécessaires pour qu’apparaisse une signature d’artiste. Tout d’abord, il faut que les images soient considérées non comme des supports de dévotion à fonction exclusivement religieuse mais comme des œuvres à part entière, uniques, insubstituables, produits d’un savoir-faire et d’une intention esthétique [6]. Il faut aussi que l’« auteur » de l’image ne soit pas assimilé au donateur, comme dans le cas de l’ex-voto, mais à son fabricant. Celui-ci également doit être suffisamment individualisé, à l’intérieur de l’atelier collectif, pour justifier une marque d’identification attribuable à une personne plutôt qu’à la fabrique tout entière. Mieux vaut en outre que la perception de l’image ne se fasse plus seulement par son sujet mais aussi par son style, caractéristique d’un auteur. Enfin, il faut que les œuvres circulent sur un marché, où elles se trouvent détachées de la personne de leur auteur au moment de la transaction, de sorte que seule une signature, lisible en toutes lettres, permet une attribution sans ambiguïtés. Et celle-ci sera d’autant plus nécessaire, et porteuse d’enjeux, que sera grand le renom de l’artiste, susceptible d’enchérir considérablement la valeur de l’œuvre.

10Notons en passant combien cette mise en perspective historique jette un doute sur la pertinence du « Rembrandt’s project », cette entreprise dévolue à l’authentification systématique de chaque œuvre attribuée à Rembrandt – c’est-à-dire, concrètement, à la désauthentification d’un grand nombre d’entre elles, considérées comme tableaux d’ateliers, œuvres de ses collaborateurs [7]. Conforme aux conceptions post-romantiques – donc fortement individualisées – de la création, une telle attente d’authenticité n’a guère de sens dans le contexte artisanal où exerçait Rembrandt, avec un atelier où dominait la division du travail sous l’autorité du maître – même si Rembrandt fut précisément celui qui, à l’époque, commença à inscrire dans son œuvre même une visée individualiste, qui deviendra la norme deux siècles plus tard [8]. On voit ici comment les « faux » Rembrandt, qui auront été déclassés dans le cadre de ce projet, renseignent peu sur la peinture du maître mais révèlent beaucoup, en revanche, sur l’élévation de l’attente d’authenticité des experts dans la seconde moitié du XXe siècle [9].

Art contemporain

11La peinture et la sculpture ayant été « artifiées » depuis plusieurs générations, l’art contemporain ne devrait pas figurer, logiquement, dans un inventaire des modalités de la signature comme indicateur d’artification. Mais ce serait sans compter avec le travail de transgression des codes, des conventions, des attentes de sens commun qui caractérisent ce genre particulier : transgression qui touche aussi, bien sûr, à cette convention majeure qu’est la signature [10]. Ainsi l’absence de signature ou le jeu ambigu avec sa présence n’y relèvent-t-ils évidemment pas d’un processus de « désartification » des arts plastiques : bien au contraire, elle témoigne de la liberté que peut conférer une artification si réussie que les praticiens de cette activité peuvent se permettre de jouer avec ses conventions les plus constitutives.

12L’on ne s’étonnera pas de retrouver ici le nom de Duchamp, initiateur des processus de mise à l’épreuve de l’authenticité de l’objet d’art en tant qu’il atteste la présence de la main de son créateur : le ready-made est bien le premier objet signé par un artiste sans avoir été créé par lui, et qui ne soit pas pour autant un faux puisqu’il se présente comme un objet fabriqué industriellement. Comme le remarque le juriste Bernard Edelman, Duchamp joue sur l’ambiguïté entre le nom de l’auteur pris comme marque et celui de l’auteur pris comme créateur [11]. Deux générations après la tentative de présentation de l’urinoir Fountain au Salon des Indépendants de New York, en 1917, son intégration au sein du monde de l’art révèle à quel point les frontières de celui-ci ont été bousculées et élargies, au point d’accepter – voire de magnifier – une opération qui heurte frontalement les exigences minimales de l’authenticité. Et la fascination qu’elle exerce encore aujourd’hui sur les artistes de la génération actuelle ainsi que la réprobation qu’elle continue de susciter dans le grand public, attestent la profondeur des atteintes qu’elle inflige au sens commun de l’art – et, partant, le plaisir qu’il peut y avoir à jouer avec elle.

Photographie

13La photographie a connu également une évolution significative quant au statut de la signature. Selon qu’elle est considérée comme un simple document, comme un travail d’artisan ou comme une œuvre d’art, selon une tension apparue très tôt dans son histoire et qui continue encore aujourd’hui [12], le statut de la signature y est très différent. Ainsi la carte postale porte-t-elle une signature d’éditeur mais pas toujours d’auteur, ni même un cachet de studio. Dans le cas de la photographie commerciale –- également traitée comme un document, et non pas comme une création artistique mais imputée à un auteur, soumis au droit de la propriété intellectuelle –, le cas le plus fréquent est celui du cachet du studio apposé au dos de l’épreuve : on est donc plus proche du cadre de la marque d’entreprise (n’importe quel employé pour l’apposer) que de la signature d’artiste.

14Mais, très tôt dans l’histoire de la photographie, certains clichés portent une signature manuscrite directement inscrite sur le négatif, comme pour un tableau, attestant probablement d’une certaine auto-perception du photographe comme artiste. Enfin, les éditions réalisées aujourd’hui pour des expositions de photographies, sous une forme empruntée au monde de l’art, proposent des tirages obligatoirement signés, soit sur la marge du papier, soit sur le cadre. Ainsi est-ce non seulement le négatif mais aussi le positif – multiple par définition – qui se trouve transformé en un « objet-personne », particularisé par l’inscription de la trace corporelle de son auteur [13], tandis que l’indication du tirage lui confère son statut juridique de « multiple » en l’inscrivant dans une économie de la rareté.

Cinéma

15Comme la photographie, le cinéma témoigne de la difficulté à « artifier » une activité soumise à de fortes contraintes collectives, industrielles et commerciales [14]. Ainsi le générique – qui ne cesse de s’allonger avec le temps, comme cela a été souvent remarqué – témoigne-t-il du caractère à la fois collectif et mécanique de la création [15]. Mais on quitte ici la catégorie des arts autographiques – (ou intermédiaires entre autographie et allographie, comme la photographie) pour entrer dans celle des arts allographiques, où les créateurs apparaissent plus volontiers sous le terme d’ « auteurs » que d’« artistes » – même si ce mot peut, dans certains cas, englober tous les genres de créateurs et d’interprètes [16].

16De même que la peinture dut attendre l’âge classique pour se voir élevée au-dessus des « arts mécaniques », et que le théâtre ne fut relevé que tardivement de l’opprobre qui le frappait en tant que spectacle forain, de même fallut-il au cinéma au moins une génération pour attirer un public autre que populaire, puis une seconde pour que la notion d’auteur y trouvât véritablement sa place. Encore cette promotion demeure-t-elle partielle, variable selon les pays (faible aux États-Unis, forte en France) et selon les genres (des films de série au cinéma dit, justement, « d’auteur »). À partir des années Cinquante, les critiques des Cahiers du cinéma en furent les grands propagandistes, en même temps qu’ils incarnaient le phénomène de la cinéphilie, contemporain de cette admission du cinéma au rang d’art. Pour les cinéphiles en effet, il s’agit de donner aux films leur juste place à l’intérieur de la série des auteurs et de l’histoire générale du cinéma qui, naguère « spectacle à deux sous » et « divertissement populaire », devient ainsi un objet de culture voire de culte, puis une discipline universitaire, avec création de chaires, multiplication des collections et des revues et, enfin, développement d’une herméneutique spécialisée dans le commentaire des films.

17Cette interprétation savante réalise de deux façons l’assomption au statut d’auteur : par la mise en évidence d’une thématique commune aux différents films d’un même cinéaste (par exemple, la prégnance de la mort chez Hitchcock), et par la mise en évidence d’une stylistique, de procédés formels récurrents dans la mise en scène (par exemple, la constance des plans-séquence chez Rossellini) – l’idéal étant de montrer le lien entre procédé formel et thématique. Entre ces deux pôles herméneutiques s’opère la construction par la critique d’une position d’auteur de cinéma. Et cette position se manifeste, concrètement, par la signature apposée sur l’affiche : on peut noter en effet la différence entre la forme « à l’américaine » – où le nom du réalisateur apparaît à peine voire pas du tout, tandis qu’acteurs et producteurs ont leurs noms bien en vue – et la forme « à la française », conforme aux normes du cinéma d’auteur – où le nom du réalisateur est non seulement bien visible mais, parfois, ostensiblement mis en valeur. Entre le pôle industriel et le pôle artistique, la signature au cinéma révèle donc, là encore, les aléas d’une artification partiellement réussie, limitée à certains genres voire à certains pays.

Auteurs d’exposition

18Il en va de même avec une activité dont l’évolution se rapproche beaucoup de celle du cinéma, et qui se trouve être en cours d’artification, selon un processus entamé en France il y a moins d’une génération : le commissariat d’expositions [17]. Dans le courant des années Quatre-vingt, on a commencé à voir le nom du commissaire (et non plus seulement celui de l’institution d’accueil) affiché à l’entrée de l’exposition et dans le catalogue, ou encore mentionné dans les articles de presse. Cette évolution est allée de pair avec une « autonomisation » [18] du travail du commissaire, de plus en plus spécialisé et personnalisé, au point que le public averti en vient maintenant à visiter l’exposition « de » tel commissaire – bien que ce cas demeure exceptionnel – plutôt que de tel artiste ou de tel courant. L’exposition apparaît alors « signée » non seulement littéralement, par la mention du nom de son auteur, mais aussi au sens figuré, par la personnalisation des choix, le type d’œuvres sélectionnées et la façon de les mettre en scène.

19Il existe des analogies frappantes entre cinéma et expositions, non seulement dans leur mode d’organisation mais aussi dans la reconnaissance progressive d’une position de créateur : pour les expositions aussi, la mise en évidence, chez le commissaire, d’une thématique (la cohérence des choix d’artistes exposés), et d’une stylistique (les partis pris de mise en scène), accompagnent l’accession progressive de cette fonction à un statut d’auteur, dans le monde pourtant très institutionnalisé des conservateurs de musée. Divers indicateurs en témoignent : publication du nom du commissaire, prix accordés à des expositions ou à des catalogues, droits d’auteur perçus par le responsable du catalogue, compte rendus journalistiques orientés vers la forme même de l’exposition et non plus seulement vers son contenu. On a vu ainsi le commissaire d’exposition passer progressivement d’un statut de fonctionnaire à un statut d’auteur, et l’exposition elle-même glisser vers le statut, sinon d’œuvre d’art au sens que lui donne traditionnellement l’esthétique, du moins d’œuvre de l’esprit au sens juridique.

20C’est d’ailleurs également en rapport avec le domaine du cinéma que cette « artification » de l’exposition a été entérinée par le droit, à la fin des années Quatre-vingt dix : à l’issue d’un procès opposant la Cinémathèque française aux ayants droit d’Henri Langlois qui refusaient la modification du Musée du Cinéma tel que celui-ci l’avait conçu au nom du droit moral de son créateur, la jurisprudence leur donna raison, entérinant l’idée qu’une exposition est une œuvre de l’esprit, et son concepteur un auteur. Mais pour accepter, comme l’a fait la Cour, de considérer comme une œuvre une accumulation d’objets, il faut une opération intellectuelle remarquable, consistant à déplacer le jugement des objets eux-mêmes à ce quelque chose d’impalpable, d’immatériel qu’on peut appeler leur mise en scène, ou leur mise en exposition, impliquant qu’un imaginaire personnel a présidé au travail de sélection puis de présentation [19].

21Enfin, c’est également sur le plan de l’évolution future du statut de commissaire d’exposition que s’impose la comparaison avec le cinéma. On peut, en effet, imaginer soit une professionnalisation « à l’américaine » (importance de l’institution dont le commissaire n’est qu’un salarié, division du travail, standardisation des modèles, organisation collective, idéal d’efficacité), soit – plus probablement – un glissement vers le statut d’auteur « à la française » (indépendance relative à l’égard des institutions, possibilité d’un certain amateurisme, forte personnalisation du travail, originalité, idéal de créativité). C’est cette seconde direction qui semble aujourd’hui l’emporter, notamment en art contemporain, où les commissaires free lance se multiplient tandis que les expositions se personnalisent de plus en plus, de sorte qu’on peut aller voir, par exemple, « la » biennale « de » Harald Szeemann avant de s’intéresser aux artistes qui s’y trouvent présentés. C’est dire que ces expositions sont, littéralement, « signées » par leur commissaire, comme en témoignent catalogues, affiches et compte rendus dans la presse.

22Qu’il s’agisse, donc, des arts autographiques ou des arts allographiques, on observe bien – soit par l’enquête historique, soit par l’observation du temps présent – une constante : la signature va de pair avec l’accession d’une activité au rang d’art, et d’un producteur au rang d’artiste ou d’auteur. On est donc en droit de la considérer comme un indicateur majeur d’artification.

Notes

  • [1]
    Cet article développe une courte proposition présentée lors de la journée d’études consacrée à la signature, organisée à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, le 11 mai 2005 (voir Nathalie Heinich, « Signature et artification », Hypothèses 2005, Paris, Publications de la Sorbonne, 2006, pp. 377-379). En ligne
  • [2]
    Sur la multiplicité des fonctions et usages de la signature, on ne peut que renvoyer à l’ouvrage séminal de Béatrice Fraenkel, La Signature. Genèse d’un signe, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », 1992, 319 p.
  • [3]
    Voir Nelson Goodman, Langages de l’art, Nîmes, Jacqueline Chambon, 1990 (1re éd. 1968), 312 p.
  • [4]
    Cette question fait l’objet, depuis 2004, d’un groupe de travail au sein du LAHIC, à l’initiative et sous la direction de Roberta Shapiro, assistée de Nathalie Heinich, réunissant des spécialistes de plusieurs domaines de l’art concernés. Voir Roberta Shapiro, « Qu’est-ce que l’artification ? », communication au XVIIe congrès de l’Association internationale des Sociologues de langue française, Tours, juill. 2004.
  • [5]
    Ces réflexions s’appuient sur les analyses développées dans Nathalie Heinich, Du peintre à l’artiste. Artisans et académiciens à l’âge classique, Paris, Minuit, 1993, 302 p., ainsi que dans Être artiste. Les transformations du statut des peintres et des sculpteurs, Paris, Klincksieck, 1996, 109 p.
  • [6]
    Cette question a été extensivement traitée par Hans Belting dans Image et culte. Une histoire du statut de l’art avant l’époque de l’art, Paris, Cerf, 1998 (1re éd. 1990), 790 p.
  • [7]
    Voir David Phillips, Exhibiting Authenticity, Manchester, Manchester University Press, 1997, p. 77.
  • [8]
    Voir Svetlana Alpers, L’Atelier de Rembrandt. La liberté, la peinture, l’argent, Paris, Gallimard, 1991 (1re éd. 1988), 377 p.
  • [9]
    Voir Nathalie Heinich, « Le faux comme révélateur d’authenticité » in De main de maître, Paris, Musée du Louvre, 2007.
  • [10]
    Voir Nathalie Heinich, Le Triple jeu de l’art contemporain. Sociologie des arts plastiques, Paris, Minuit, 1998, 380 p.
  • [11]
    Voir Bernard Edelman, « De la propriété littéraire et artistique » in Feux pâles : une pièce à conviction, Bordeaux, CAPC-Musée d’art contemporain, 1990.
  • [12]
    Voir notamment Bernard Edelman, Le Droit saisi par la photographie, Paris, Christian Bourgois, 1980, 221 p. ; André Rouillé, La Photographie. Entre document et art contemporain, Paris, Gallimard, coll. « Folio-Essais », 2005, 704 p.
  • [13]
    Voir Nathalie Heinich, « Les objets-personnes. Fétiches, reliques et œuvres d’art », Sociologie de l’art, n° 6, 1993, pp. 25-55.
  • [14]
    Voir Yann Darré, Histoire sociale du cinéma, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2000, 120 p. ; Nathalie Heinich, « Aux origines de la cinéphilie : les étapes de la perception esthétique » in Jean-Pierre Esquenazi (éd.), Politique des auteurs et théories du cinéma, Paris, L’Harmattan, 2002, pp. 9-38.
  • [15]
    Voir Howard Becker, Les Mondes de l’art, Paris, Flammarion, 1988 (1re éd. 1982), 379 p.
  • [16]
    Voir Nathalie Heinich, L’Élite artiste. Excellence et singularité en régime démocratique, Paris, Gallimard, 2005, 370 p.
  • [17]
    Voir Nathalie Heinich et Michael Pollak, « Du conservateur de musée à l’auteur d’exposition », Sociologie du travail, XXXI, n° 1, 1989, pp. 29-49 ; Nathalie Heinich, Harald Szeemann, un cas singulier, Paris, L’Échoppe, 1995, 74 p.
  • [18]
    Voir Pierre Bourdieu, Les Règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris, Le Seuil, 1992, 480 p.
  • [19]
    Voir Bernard Edelman et Nathalie Heinich, L’Art en conflits. L’œuvre de l’esprit entre droit et sociologie, Paris, La Découverte, 2002, 273 p.
Français

Résumé

Faut-il une signature pour faire art, un signataire pour faire artiste ? Autrement dit, la signature est-elle un indicateur d’« artification » ? Cette question, posée à propos des différentes catégories de créateurs, sera étudiée à travers l’histoire de la peinture et de la sculpture, de l’art contemporain, de la photographie, du cinéma ainsi que du commissariat d’exposition. Il en ressort que la catégorisation artistique est indissociable d’une signature – quelles qu’en soient les formes – et que la présence d’une signature est un indice majeur d’accession d’une activité au rang d’art.

Nathalie Heinich
Nathalie Heinich est sociologue, directeur de recherche au Cnrs. Outre de nombreux articles dans des revues scientifiques ou culturelles, elle a publié des ouvrages portant sur le statut d’artiste et la notion d’auteur (entre autres : La Gloire de Van Gogh. Essai d’anthropologie de l’admiration, Paris, Minuit, 1991, 257 p. ; Du peintre à l’artiste. Artisans et académiciens à l’âge classique, Paris, Minuit, 1993 ; Être écrivain. Création et identité, Paris, La Découverte, 2000, 367 p. ; L’Élite artiste. Excellence et singularité en régime démocratique, Paris, Gallimard, 2005, 370 p.) ; l’art contemporain (entre autres, Le Triple jeu de l’art contemporain, Paris, Minuit, 1998, 380 p) ; la question de l’identité (entre autres, États de femme. L’identité féminine dans la fiction occidentale, Paris, Gallimard, 1996, 397 p. ; L’Épreuve de la grandeur. Prix littéraires et reconnaissance, Paris, La Découverte, 1999, 297 p. ; avec Caroline Eliacheff, Mères-filles, une relation à trois, Paris, Albin Michel, 2002, 412 p. ; Les Ambivalences de l’émancipation féminine, Paris, Albin Michel, 2003, 157 p.). Son dernier ouvrage s’intule Pourquoi Bourdieu (Paris, Gallimard, 2007, 188 p.).
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/12/2008
https://doi.org/10.3917/sr.025.0097
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