CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1Les successions et les divorces constituent deux moments clés de transferts de biens et de capitaux au sein de la famille (Barthélémy, 2004 ; Delphy, 1998), encadrés par le Code civil et le droit fiscal. Objet privilégié des juristes (Savatier, 1954 ; Carbonnier, 1964), ce « droit des biens » a plus récemment attiré l'attention des économistes et des statisticien·ne·s qui quantifient les transferts patrimoniaux entre apparenté·e·s (Masson, 2006 ; Frémeaux et Leturcq 2013). Ce regain d'intérêt est notamment lié à la mise en évidence du poids croissant du patrimoine et de l'héritage dans les inégalités socioéconomiques (Piketty, 2013). L'approche sociologique que nous proposons ici permet un double déplacement. Alors que les juristes analysent le droit et ses évolutions, nous nous concentrons sur les modalités concrètes de sa mise en  uvre, depuis la diffusion de la connaissance du droit jusqu'au contrôle du respect de la loi. Alors que les économistes saisissent les inégalités patrimoniales à partir de données déclaratives agrégées (déclarations au fisc ou dans des enquêtes statistiques), nous faisons apparaître de nouvelles inégalités en nous focalisant sur les processus sociaux qui aboutissent à ces déclarations. Pour ce faire, nous étudions les pratiques des professionnel·le·s du droit en interaction avec les justiciables, hommes et femmes de différents milieux sociaux.

2Nous qualifions ce qui se joue dans les études notariales et les cabinets d'avocat·e·s [1], d'arrangements patrimoniaux. Ce terme d'arrangements désigne la coproduction ­ conjointement par les apparenté·e·s et les professionnel·le·s du droit ­ d'un consensus sur les partages patrimoniaux entre ex-conjoint·e·s et entre héritier·e·s. En tant qu'officiers ministériels qui enregistrent les actes et collectent l'impôt, les notaires sont responsables de la conformité de ces accords avec le droit civil et fiscal, mais disposent d'importantes marges de man uvre (dans l'inventaire et l'évaluation des biens entre autres). Ce terme d'arrangements permet aussi de dépasser l'opposition, structurante pour les juristes, entre règlement contentieux et amiable des litiges. En effet, ce que nous ont appris nos travaux précédents ­ qui avaient pour entrée non pas les professionnel·le·s du droit, mais les familles elles-mêmes ­ c'est qu'un certain nombre de partages explicitement inégalitaires et objets de tensions familiales peuvent, sous certaines conditions, ne pas donner lieu à des conflits ouverts, et encore moins, judiciarisés (Bessière, 2010 ; Gollac, 2011). L'office notarial est le lieu où se formalisent, à l'abri des regards extérieurs, ces arrangements qui au dehors (y compris pour la sociologue) doivent absolument paraître neutres et apaisés. Les avocat·e·s participent également quasi systématiquement à ces arrangements à huis clos en matière de divorce, en préparant la liquidation du régime matrimonial en fonction du reste du dossier, plus rarement en matière de succession, en intervenant pour défendre les intérêts d'un·e client·e dans une affaire qui ne sera pas nécessairement portée au tribunal.

3Ces arrangements matrimoniaux et successoraux concernent par définition les fractions possédantes de la société française (propriétaires d'un bien immobilier, d'une entreprise ou d'un minimum de capitaux financiers) [2]. Il s'agit ici plus spécifiquement d'analyser le rapport au droit des hommes et des femmes issus des fractions des classes dominantes caractérisées par l'importance de leur capital économique, au travers des relations particulières qu'ils et elles entretiennent avec les professions libérales du droit à l'abri du regard de l'État, dans le cadre d'arrangements matrimoniaux et successoraux qui mettent en jeu le Code civil et le droit fiscal.

4À partir d'une enquête ethnographique menée auprès de notaires et d'avocat·e·s qui pratiquent le droit de la famille (voir encadré), nous montrerons tout d'abord qu'avocat·e·s et notaires n'offrent pas le même huis clos à l'ensemble de leur clientèle : c'est pour une partie de cette clientèle seulement, variable selon la position sociale des professionnel·le·s eux·elles-mêmes, que le huis clos des études notariales et des cabinets d'avocat·e·s se transforme en véritable entre-soi, notion qui sous-entend l'exclusion, plus ou moins active et consciente, des autres (Tissot, 2014), en l'occurrence ici les juges et le fisc. Nous examinerons les conditions sociales de mise en place de l'entre-soi et ses effets sur les rapports de pouvoir entre clientes et clients, héritiers et héritières d'une même succession ou ex-conjoint·e·s se partageant leur patrimoine. Nous verrons ensuite comment, parce que les affaires dont il est question ont des enjeux éminemment genrés (comme le devenir du logement d'une femme au foyer ou la transmission d'une entreprise familiale), les relations entre ces professions libérales du droit et leurs client·e·s mettent effectivement en jeu non seulement des rapports sociaux de classe, mais aussi des rapports sociaux de sexe, et contribuent à la production d'inégalités entre hommes et femmes.

Le secret professionnel et ses effets sur l'enquête

Notre analyse s'appuie sur une enquête ethnographique menée auprès de notaires et avocat·e·s qui pratiquent le droit de la famille. Cette enquête s'articule à une recherche collective sur le traitement judiciaire des séparations conjugales (Collectif Onze, 2013), menée aujourd'hui autour de deux cours d'appel et des tribunaux de grande instance qui en dépendent. Elle repose sur l'examen de dossiers judiciaires de divorce et de successions litigieuses traités par ces tribunaux, sur l'observation du travail de notaires et d'avocat·e·s exerçant sur le territoire de ces juridictions et sur des entretiens avec ces professionnel·le·s. Les professions d'avocat·e et de notaire sont des professions réglementées, organisées en ordre et soumises à des règles professionnelles et déontologiques, le principe de confidentialité et le secret professionnel notamment. Ces normes professionnelles, qui permettent à la fois l'exercice efficace du métier et la constitution d'une clientèle fidèle, rendent difficile la présence de sociologues dans les cabinets lors des interactions avec les client·e·s. Autant il est facile de négocier un entretien avec un·e avocat·e (n = 48) ou avec un·e notaire (n = 17), autant demander à consulter des dossiers ou à assister à des rendez-vous client·e·s suscite de fortes résistances : nous avons d'ailleurs essuyé de nombreux refus. On peut même s'interroger sur les conditions de possibilité des autorisations que nous avons obtenues d'assister au travail de certain·e·s auprès de leurs client·e·s. Du côté des avocat·e·s en droit de la famille, c'est la présence de l'équipe de recherche à la cour d'appel (Dormont et Paris) qui a sans doute pu lever certaines réticences, ou encore, de façon plus efficace, la promotion d'une pratique nouvelle (comme le droit collaboratif), qui incitait à donner à voir cette pratique. Nous avons ainsi pu assister à 48 rendez-vous client·e·s, avec 14 avocat·e·s différent·e·s. Du côté des notaires, c'est la participation à un groupe de recherche piloté par des juristes (« Renonciations et successions : quelles pratiques ? », projet pour la Mission de recherche droit et justice, sous la direction de Cécile Pérès, laboratoire de Sociologie juridique, université Paris II Panthéon-Assas), groupe comprenant des représentant·e·s du notariat, qui nous a permis d'accéder non pas à des rendez-vous ­ nos demandes ont été refusées au nom du principe de confidentialité ou les occasions n'ont finalement jamais été trouvées ­ mais à des dossiers de succession traités dans des études variées (tant du point de vue de la taille que de la situation géographique). Pour pallier le manque d'observation directe dans les études, nous avons suivi certain·e·s avocat·e·s et notaires enquêté·e·s dans leurs arènes professionnelles : réunions interprofessionnelles, conférences, sessions de formation. De cette façon, à l'extérieur des cabinets, nous sommes parvenues à mieux saisir des pratiques aux marges de la légalité, pouvant faire l'objet d'une discussion au sein de la profession. Dans l'ensemble de l'article, les noms de toutes les personnes mentionnées, professionnel·le·s du droit de la famille et justiciables, ainsi que les noms de lieux (à l'exception de Paris, trop spécifique du fait de sa concentration de grandes fortunes) ont été modifiés.

Du huis clos à un entre-soi de possédant·e·s

5 Plutôt que de s'en remettre à une application du droit par une tierce partie, en l'occurrence le juge aux affaires familiales, le huis clos de l'étude notariale ou du cabinet d'avocat·e·s permet aux client·e·s et à leurs conseils de jouer avec le droit et de trouver des arrangements « à l'ombre du droit » (Mnookin et Kornhauser, 1979). Mais ces marges de man uvre ne sont pas utilisées systématiquement de la même façon par tou·te·s les professionnel·le·s du droit. Elles ne le sont pas non plus au bénéfice de tou·te·s leurs client·e·s. Dans certaines configurations que nous allons à présent examiner, se met en place dans le huis clos des cabinets d'avocat·e·s et des offices notariaux un entre-soi de possédant·e·s, propice à la mise en  uvre d'arrangements patrimoniaux ayant pour objectif la préservation d'un capital économique.

Dans les cabinets d'avocat·e·s : un entre-soi par la segmentation et le traitement différencié de la clientèle

6Les travaux sur la profession d'avocat·e ont bien montré le caractère fortement segmenté ­ à la fois selon les spécialités et selon le type de clientèle ­ du marché du conseil (Karpik, 1995 ; Bessy 2015). Certain·e·s avocat·e·s en droit de la famille proposent à une clientèle spécifique, dotée d'un certain niveau de capital économique et culturel, des modes amiables de règlement de leurs litiges familiaux, à l'abri de l'intervention de la justice. Ces nouvelles pratiques sont particulièrement investies par de jeunes avocates parisiennes qui visent une clientèle haut de gamme.

7Cécile Martin-Dubois (39 ans) incarne cette figure au barreau de Paris. Issue d'une famille bourgeoise à capital culturel de la région parisienne (père vétérinaire, mère universitaire), elle a d'abord été collaboratrice dans un cabinet très réputé en matière pénale, exerçant une activité qu'elle jugeait très intéressante mais non compatible avec une vie de famille. Après son mariage avec un avocat d'affaires et surtout la naissance de leurs deux enfants, elle s'est associée avec une cons ur (militante du Parti socialiste qui est devenue par la suite professionnelle en politique) avec pour objectif de monter un cabinet spécialisé en droit de la famille. Les client·e·s viennent chez elle par interconnaissance : envoyé·e·s par les cabinets d'affaires où travaille son mari, mais aussi rencontré·e·s lors de réunions politiques, dans des cercles ou dîners en ville, ami·e·s et ami·e·s d'ami·e·s, elle mentionne ainsi à plusieurs reprises des client·e·s qu'elle n'a pas pu refuser du fait de ces relations de recommandation. Au moment où nous la rencontrons dans son immense cabinet, situé dans un imposant immeuble haussmannien des beaux quartiers de la capitale, elle vient d'être élue au Conseil national des barreaux avec pour objectif de développer le règlement à l'amiable des litiges. Elle appelle de ses v ux une « révolution culturelle chez les avocats [3] » : « Moi je ne veux plus de contentieux, je veux que les pratiques changent ! » Elle ne prend pas de dossiers à l'aide juridictionnelle (AJ) [4] : « Faut pas le dire, mais je n'en ai pas. Parce que voilà. [rire bref et forcé] Il y a des confrères qui travaillent à l'AJ et ils sont moins payés sur un dossier négocié que sur un dossier contentieux. » Elle facture ses services à 250 euros de l'heure. Par ailleurs, sa définition d'un cabinet spécialisé en droit de la famille ­ centré sur les enjeux patrimoniaux et fiscaux ainsi que sur les affaires de droit international ­ restreint de fait sa clientèle à des familles fortunées ; elle reconnaît que des « petits dossiers » où tout le monde est d'accord d'emblée ne viennent pas chez elle. Elle pratique la « négociation raisonnée » dans 90 % de ses dossiers, mais aussi toute une palette de conseils, voire « de coaching en sous-marin » dans certaines affaires. Elle offre à ses client·e·s un service très personnalisé avec une grande disponibilité. Ainsi, elle reçoit tou·te·s les client·e·s elle-même dans son cabinet, assure toutes les discussions avec l'avocat·e de la partie adverse (que ce soit au téléphone ou en vis-à-vis) et accompagne régulièrement ses client·e·s chez le notaire ou la médiatrice.

8À Paris, le marché des avocat·e·s qui pratiquent le droit de la famille se révèle particulièrement segmenté, opposant des jeunes avocat·e·s à l'aide juridictionnelle multipliant les dossiers pour se constituer des revenus suffisants [5], et des avocat·e·s aux tarifs élevés ­ rémunéré·e·s entre 200 et 450 euros de l'heure ­ consacrant davantage de temps à une clientèle socialement très proche, connue par le biais de relations d'interconnaissance qui les engagent fortement. C'est dans ce deuxième type de cabinet que se développent les pratiques de règlement à l'amiable des litiges, trop coûteuses en temps pour être pratiquées à l'aide juridictionnelle, et qui permettent, quel que soit le degré de conflictualité de la séparation, de négocier le partage du patrimoine à l'abri du regard du fisc et de l'aléa de la décision judiciaire. Les affinités sociales entre avocat·e et client·e sont ici déterminantes. Les avocat·e·s appartiennent au même monde de la grande bourgeoisie des affaires, de la politique et de la culture que leurs client·e·s, et ces dernier·e·s peuvent les rémunérer largement. Pour ces raisons, le huis clos du cabinet se transforme en entre-soi et les avocat·e·s jouent plus volontiers avec le droit, au bénéfice de leurs client·e·s.

9Nos observations menées au barreau de Dormont, dans l'ouest de la France, permettent d'affiner notre analyse de la constitution d'un entre-soi dans le huis clos des cabinets d'avocat·e·s et de ses effets, en faisant varier tout à la fois les caractéristiques des client·e·s et des avocat·e·s. Ce barreau apparaît d'abord comme moins segmenté, tou·te·s les avocat·e·s rencontré·e·s ayant une partie de leur activité à l'aide juridictionnelle, bien que dans des proportions variables (« C'est ma B.A. [6] », dit un avocat dont la clientèle est particulièrement « relevée », selon les propos d'un de ses confrères). Ici, la clientèle aisée n'a pas grand-chose à voir avec les élites internationales et nationales qui fréquentent les cabinets parisiens. Il s'agit plutôt de professions libérales, chef·fe·s d'entreprise, cadres et professions intellectuelles supérieures (des enseignant·e·s par exemple) qui sont proches socialement de ces avocat·e·s, eux·elles-mêmes professions libérales et dont les parents, les frères, les s urs, ou encore les conjoint·e·s exercent ce même type d'activité professionnelle. Les tarifs des avocat·e·s en droit de la famille sont d'ailleurs ajustés en conséquence, puisqu'ils et elles sont rémunéré·e·s au forfait [7] et non à l'heure travaillée sur le dossier comme à Paris. Au sein de ces cabinets mixtes, la clientèle aisée ­ celle qui n'est pas à l'aide juridictionnelle ­ reçoit cependant davantage de temps et nettement plus d'attention que les client·e·s de classes populaires.

10Lors d'une série de rendez-vous observée au cabinet de Grâce Dupont-Bernard, l'avocate reçoit tout d'abord une cliente à l'aide juridictionnelle, retraitée touchant 700 euros par mois, qui souhaite divorcer de son époux placé en maison de retraite et sous curatelle. Un des enjeux du divorce est le paiement de la maison de retraite qui coûte 1 500 euros par mois, et engage aussi l'obligation alimentaire des enfants qui ont également de petits revenus. L'avocate consacre vingt-cinq minutes à sa cliente. Elle reçoit ensuite une cliente retraitée touchant 600 euros par mois, laquelle souhaite officialiser sa séparation avec son époux (séparation effective depuis trois ans), pour pouvoir faire une demande de logement social. L'avocate lui consacre quinze minutes. La cliente suivante est enseignante à l'université, en cours de divorce avec un architecte. L'entretien avec elle dure quarante-cinq minutes et débute par une longue discussion sur l'interprétation d'un SMS en provenance de l'époux. « Vous avez vu la complicité que j'ai avec elle », commente Grâce Dupont-Bernard après coup, mais « il faut la manager, que je la remette dans les rails [pour ne pas qu'elle s'engage dans un divorce pour faute] ». Son dernier client, qui refuse la présence des sociologues, vient pour son premier rendez-vous dans le cadre d'une procédure de divorce. Il gagne 3 600 euros par mois, nous expliquera ensuite l'avocate. Elle reste une heure avec lui, temps qu'elle estime normal pour un premier rendez-vous, alors même que ses deux premières clientes venaient également pour la première fois [8].

11Pierre-Yves Rémond est un avocat en fin de carrière, ancien bâtonnier, qui après avoir été associé dans un des plus grands cabinets de la ville, a décidé de « réduire la voilure » et de travailler de façon individuelle. Les affaires familiales représentent un tiers de son activité. Originaire d'une famille parisienne, fils d'un chef d'entreprise et d'une assistante sociale qui ont déménagé dans l'ouest de la France, il fait partie de la notabilité de Dormont, comme l'atteste le nombre de mains qu'il sert dans la brasserie du centre-ville lors du déjeuner que nous prenons avec lui. « Désormais, je peux me permettre de sélectionner mes dossiers. [...] Je peux me permettre de ne pas prendre les abrutis ». Il assume ne pas accorder la même disponibilité à l'ensemble de sa clientèle : « Moi je ne donne jamais mon mail perso ni mon numéro perso d'une manière générale, sauf si c'est un chef d'entreprise, je sais que le type aura l'éducation de ne s'en servir que si c'est nécessaire [9]. »

12Dans ce barreau, l'émergence d'une association de droit collaboratif [10] permet aux avocat·e·s de s'insérer sur un segment de marché privilégié en création. En effet, lorsqu'un·e des conjoint·e·s décide de divorcer en s'appuyant sur le droit collaboratif, il·elle doit suggérer à l'autre de choisir un·e avocat·e au sein d'une liste d'avocat·e·s dûment formé·e·s. Être intégré·e à cette liste permet d'accéder à un segment de marché financièrement intéressant, puisqu'un divorce en droit collaboratif est tarifé 2 500 euros et, en pratique, donne lieu à de nombreux dépassements. Ce service se révèle ainsi accessible aux seul·e·s justiciables doté·e·s d'un capital économique suffisant. En entretien, Arnaud Thiercelin, qui lui-même pratique le droit collaboratif, confie : « Les confrères le nient, mais il y a aussi un problème de capacité financière. Parce que vous l'avez vu, ça prend beaucoup de temps. Beaucoup, beaucoup de temps. [...] Donc la limite, c'est la capacité financière [des justiciables], et à mon sens, l'aide juridictionnelle [11] ». Au-delà de ces enjeux financiers, les avocat·e·s qui pratiquent le droit collaboratif insistent sur les compétences culturelles qu'il requiert, selon eux, de la part des justiciables. Grâce Dupont-Bernard répète en plusieurs circonstances que les « rendez-vous à quatre » (les deux parties accompagnées de leurs avocat·e·s respectif·ve·s) durent en moyenne deux heures trente et que seul·e·s celles et ceux qui ont un certain « niveau de culture » sont capables de « se concentrer suffisamment », « savent faire l'effort ». De son côté, Arnaud Thiercelin évoque à propos d'un client « une capacité intellectuelle un peu limite » pour ce type de démarche. Cette dernière reste donc réservée, dans les faits, à une élite locale de chef·fe·s d'entreprise, professions libérales, cadres et enseignant·e·s ayant suffisamment de ressources économiques et culturelles pour s'y conformer. Elle permet aux avocat·e·s de recruter au moins une partie de leur clientèle au sein de groupes sociaux qui leur sont proches, solvables, avec lesquels peut se constituer un entre-soi propice à la mise en  uvre de comptabilités qui jouent avec le droit.

13Dans les deux barreaux étudiés, le travail que les avocat·e·s proposent en amont du passage devant le juge, dans le secret du cabinet, fluctue donc considérablement selon le segment du marché sur lequel ils et elles se situent et la position sociale de leurs client·e·s. En pratique, ces avocat·e·s offrent davantage de possibilités de jouer avec le droit, à l'abri du regard des juges, aux fractions élevées de l'espace social.

Quand le huis clos de l'office notarial se transforme en un entre-soi de possédant·e·s

14La répartition géographique des offices étant contrôlée par l'État, ainsi que la rémunération des notaires au pourcentage du patrimoine brut des client·e·s (et non selon un tarif à l'acte ou à l'heure), le marché notarial se trouve moins segmenté que celui de l'avocature. Le huis clos concerne ici tou·te·s les client·e·s, puisque le notaire a vocation à faire émerger dans son office des consensus en matière d'arrangements patrimoniaux. Et ce n'est qu'en cas d'échec (statistiquement peu fréquent) que le dossier est renvoyé devant le juge aux affaires familiales. Néanmoins, le marché notarial connaît des formes de segmentation et les notaires ne traitent pas tou·te·s leurs client·e·s de façon identique en ne leur proposant pas les mêmes services juridiques.

15Dans les grandes agglomérations, le réseau des offices notariaux est suffisamment dense pour que certaines études captent exclusivement une clientèle privilégiée de chef·fe·s d'entreprise, professions libérales, ou grandes fortunes familiales, et proposent des services personnalisés. Ici, chaque client·e a non seulement un notaire comme interlocuteur privilégié pour ses rendez-vous, mais son dossier peut être traité sur le fond par un notaire différent selon le type de conseil ou d'acte sollicité (immobilier neuf, immobilier ancien, droit de la famille, transmissions d'entreprises...). Arnaud Portier (45 ans), fils de médecin et d'enseignante, est notaire associé dans une étude qui comporte six associés et 45 « collaborateurs » dans une grande ville de l'ouest de la France. Il est le spécialiste des transmissions d'entreprises et des stratégies patrimoniales dans l'office. Ses « apporteurs d'affaires » sont souvent des conseillers en gestion du patrimoine : « ceux qui font du conseil en stratégie patrimoniale haut de gamme », qu'il différencie « des conseillers clientèles de banque qui ne font que des propositions de placement ». Sa clientèle privilégiée est donc composée de chef·fe·s d'entreprise, particulièrement actif·ve·s dans le travail de leur capital. Mais son office traite aussi les affaires d'autres types de client·e·s :

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« Il y a plusieurs types de clients : il y a ceux qu'on voit une fois tous les dix ans, quand ils se marient parfois, quand ils font un contrat de mariage, quand ils achètent leur résidence principale, j'allais dire quand ils divorcent... quand ils décèdent, voilà, c'est des clients...[il hésite] que l'on voit assez peu, puis il y a des clients qui sont... [il hésite à nouveau] On a des clients qui ont une situation patrimoniale qui fait qu'ils vendent régulièrement, qu'ils achètent, qu'ils louent, qu'ils constituent des sociétés, etc., donc c'est des clients qu'on peut être amené à voir plusieurs fois par an [12]. »

17L'ensemble de la clientèle n'a pas affaire aux mêmes personnes au sein des études : les client·e·s régulier·e·s sont reçu·e·s en personne par le titulaire de l'office ou un associé, quand les autres client·e·s ne sont reçu·e·s que par des notaires salarié·e·s, des clercs ou des secrétaires. Cette division de la clientèle des notaires recouvre des différences sociales puisque la clientèle privilégiée des notaires se recrute dans les milieux sociaux à fort capital économique. Toutefois, selon l'implantation géographique des offices notariaux, les caractéristiques socioéconomiques de la population, mais aussi l'histoire de l'étude (installation plus ou moins ancienne, mode de composition de la clientèle, taille de l'étude...) comme du notaire, cette clientèle privilégiée, qui reçoit un suivi personnalisé, prend des tonalités sociales différentes. Par exemple, Cédric Le Guen (49 ans), notaire individuel dans une étude rurale est particulièrement à l'aise avec les agriculteurs. Il est petit-fils et fils unique de notaires dans une région dont l'activité économique repose sur l'agroalimentaire. Alors que son activité est fortement impactée par la présence d'une maison de retraite dans la commune, dont la plupart des résident·e·s bénéficient d'aides sociales récupérables sur succession et laissent donc essentiellement des dettes, sa clientèle privilégiée est celle des agriculteurs, « des gens carrés, avec qui c'est facile de travailler ». Mais il regrette : « Le nombre d'agriculteurs se réduit drastiquement, on ne peut plus travailler seulement avec eux [13]. »

18Dans les petites études généralistes où la clientèle est peu fortunée, le notaire ne fournit pas la même qualité de service juridique que dans les grandes études spécialisées. « Ici, pour que ça marche, il faut faire de l'abattage, faut que ça tourne », affirme le notaire Sébastien Darguy (35 ans). N'ayant pas trouvé à s'implanter dans sa commune d'origine (une grande agglomération du Sud-Ouest), il s'est installé en tant qu'associé avec son épouse à 40 kilomètres, dans une ville de taille plus modeste, avec un fort passé ouvrier, ancrée politiquement à gauche. Il exprime son regret de travailler avec une clientèle qui ne lui permet pas d'exercer ses savoirs juridiques spécifiques et son esprit d'entreprise. Étant donné la composition de sa clientèle, constituée essentiellement de petits propriétaires (« On vend 150 000 euros la maison d'à côté, 80 000 ou 60 000 euros l'appartement, voilà, 70 000 euros le terrain, c'est ça notre fonds de commerce ! »), il a peu de temps à consacrer à ses client·e·s : « Une étude comme ici, c'est 80 % de conseil gratuit. On reçoit les clients une demi-heure et puis on passe. J'ai plus de dix rendez-vous par jour. J'avoue, des fois j'engueule mes collaborateurs. Je leur reproche de travailler comme des notaires à Paris. Ils sont trop méticuleux, ils passent trop de temps sur des dossiers qui n'en valent pas la peine, ils vérifient tout. Un petit dossier, faut que ça aille vite ! » Sébastien Darguy témoigne toutefois de la nature du travail accompli pour se constituer, aussi, une clientèle choisie, correspondant davantage à la pratique du droit à laquelle il aspire, malgré l'implantation défavorable de son étude. Il entretient avant tout un capital social accumulé dans sa ville d'origine ­ notamment auprès des professions libérales médicales, ses parents étant pharmacien·ne·s et ses beaux-parents médecins ­ et réalise le trajet de trente minutes plusieurs fois par semaine, pour drainer cette clientèle plus fortunée jusqu'à son étude. Il s'appuie plus largement sur une sociabilité d'entre-soi masculine bourgeoise :

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« Vous travaillez, vous sortez tous les soirs pour rencontrer du monde, donc des gens qui vous amènent des clients... Donc voilà, c'est se faire un réseau, à droite, à gauche. Moi j'ai intégré... C'est des détails mais j'ai intégré la Table ronde. Vous ne connaissez pas parce que c'est pour les hommes ! C'est un club, type le Lions, ça n'a rien à voir avec le Lions, mais c'est pour les moins de 40 ans, on m'a proposé j'ai dit oui. Vous vous faites 15 copains qui vous font bosser, sur une ville comme ici, ça va vite. Vous intégrez des réseaux à droite, à gauche, vous écrivez des articles, alors il y en a un qui vient, vous faites de la formation à la CCI [Chambre de commerce et d'industrie]. Voilà, et après... J'ose croire que si vous ne travaillez pas trop mal, les gens ils parlent de vous en bien, ils sont contents, ils reviennent. Et puis c'est un qui vous amène un autre. [...] Mais voilà, c'est un coup à droite, un coup à gauche, vous avez le match de rugby le samedi, bon voilà... C'est comme ça [14]. »

Petits arrangements entre apparenté·e·s et avec le fisc

20Une partie des avocat·e·s et des notaires accordent un temps particulier à certaines fractions de leur clientèle. Comme l'exprime explicitement la pratique du droit collaboratif ou la représentation du notaire comme « magistrat de l'amiable » [15], ce temps permet le règlement des litiges à l'abri du regard des juges et, au-delà, de l'État.

21La clôture des arrangements patrimoniaux dans le secret du cabinet des professions libérales du droit permet indéniablement à certain·e·s justiciables de protéger leur vie privée, dans des moments souvent critiques de leur vie familiale (séparation, décès). Les procédures de divorce par consentement mutuel, dans lesquelles le juge entérine simplement une convention négociée chez l'avocat·e [16], permettent par exemple d'échapper aux aléas de la décision du juge comme à des débats contradictoires encourageant la mise au jour de l'histoire conjugale et de la situation des conjoints, voire la mobilisation du témoignage des enfants, de la famille, du voisinage, des collègues ou de l'employeur·se.

22Mais les professionnel·le·s insistent aussi sur les avantages fiscaux des solutions qu'ils et elles proposent à leurs client·e·s au sein de leur cabinet, à l'abri du regard de l'État. La profession notariale rédige de nombreux prospectus, articles et ouvrages de conseils faisant la promotion des outils juridiques qu'elle met en  uvre. Par exemple, dans un mémo conseil sur la donation-partage, les avantages sont présentés « au plan familial » et « au plan fiscal [17] ». Ainsi, les notaires assument publiquement leur capacité à proposer des outils d'optimisation fiscale. Plus officieusement, certain·e·s notaires tolèrent, voire encouragent, des jeux sur l'évaluation des biens qui consistent généralement à sous-estimer la valeur de certains transferts. Il s'agit de jouer à la fois sur la règle d'équipartition des biens entre les héritier·e·s et de minimiser le coût fiscal de la succession. Lorsqu'il y a conflit entre les héritier·e·s ­ qui mettent en cause l'équité des partages prévus dans le bureau du notaire et envisagent une judiciarisation du règlement de la succession ­ la mise à plat pour le juge, dans un cadre contradictoire, de l'ensemble des avantages reçus par les un·e·s et les autres a pour première conséquence l'augmentation des droits de succession dus au fisc par certain·e·s [18]. En accord avec leurs client·e·s, les notaires peuvent au contraire omettre certains biens dans les opérations de partage successoral. Ils ou elles acceptent alors tout simplement de ne pas tenir compte du transfert d'un bien ou de sommes dont un des héritier·e·s a précédemment bénéficié. Un notaire parisien, associé dans une étude à la clientèle fortunée, Jean-Pierre Chartrain, explique dans quel contexte il a été amené à enregistrer une renonciation anticipée à l'action en réduction (RAAR) [19] :

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« Trois enfants, mais seulement deux biens immobiliers, c'était ça le sujet. Et puis les deux aînés pouvaient avoir un bien immobilier, le troisième ne voulait rien. Il ne voulait rien parce que c'est quelqu'un qui bouge beaucoup, bien établi, etc. Et qui, en pratique... Évidemment, ce qu'on ne peut pas écrire partout... En pratique, il a déjà bénéficié d'aides. Il avait déjà bénéficié d'aides de ses parents. D'aides non quantifiables. Et donc, la question était de savoir comment on allait transmettre ces deux biens immobiliers, en sachant que les deux aînés étaient un peu moins à l'aise financièrement que le cadet, et le cadet étant plus à l'aise, premièrement, ayant bénéficié d'aides de ses parents, deuxièmement, une bonne entente familiale [le notaire insiste ici sur l'absence de conflits au sein de la famille]. Il dit : “Moi je ne veux rien.” Donc on a fait une RAAR. Y a eu une donation pour les deux autres et lui est intervenu pour dire : “Moi ça me va bien, même si officiellement ça mange ma part, ça m'est égal [20].” »

24Certains transferts ne sont donc pas officialisés, malgré la fiscalité qui devrait leur être appliquée et que les notaires, officiers ministériels, sont en principe chargés de collecter. Des outils juridiques comme la RAAR, réservée à une fraction privilégiée de la clientèle des notaires (Bessière et Gollac, 2017), peuvent alors être utilisés pour rétablir une comptabilité officielle conforme aux règles de droit.

25L'argument fiscal est également fortement mobilisé par les avocates promotrices des modes de règlement à l'amiable des séparations conjugales [21]. « L'argent, c'est le nerf de la guerre », affirme Cécile Martin-Dubois lorsqu'elle anime, avec des médiatrices et des notaires, une série de formations au barreau de Paris sur le sujet. La deuxième session est consacrée aux « enjeux patrimoniaux et fiscaux des négociations en droit de la famille ». L'assistance est composée d'une centaine d'avocat·e·s, dont un tiers de fiscalistes. La première partie de la réunion (près d'une heure sur les deux heures de formation) est présentée par Christelle Andreux, notaire à Paris, et porte sur l'optimisation du partage des biens immobiliers communs et indivis. Il s'agit d'informer les avocat·e·s sur les possibilités qu'offre le divorce par consentement mutuel d'éviter les droits de partage sur les biens immobiliers [22], pour peu que les immeubles soient vendus avant le divorce à proprement parler.

26Une avocate fiscaliste à la tribune demande :
- « Dois-je ou non cacher au notaire que nous partageons le prix de vente [d'un bien liquidé avant la procédure officielle de divorce] ?
-Christelle Andreux répond immédiatement :
- Il faut informer le notaire du partage verbal, car les notaires sont là pour aider les particuliers, les conseiller, donc il ne faut pas leur cacher quoi que ce soit.
-Avant d'être un agent des impôts, le notaire est aussi un conseil pour les parties. On ne mentionnera pas la cause dans l'acte et on ne fera pas de compte de répartition...
-Cécile Martin-Dubois ajoute :
- Il faut des rapports de confiance avec le notaire. Récemment, avec un de nos clients qui avait un patrimoine considérable, on a vu qu'une discussion était possible.
-Évidemment, dans ce cas, on ne saisit pas le juge, on invite les clients à se séparer de ce dont ils veulent se séparer avant de faire la procédure. Et on est d'accord, il n'y a aucun écrit, ni entre avocats, ni entre clients mentionnant cela !
-Dans l'assistance, une femme demande :
- Même pas des écrits confidentiels ?
-Cécile Martin-Dubois répond :
- Si c'est un dossier à 10,5 millions de patrimoine, non. L'intérêt commun est quand même absolument évident !
-Un homme prend la parole :
- Je suis fiscaliste, et ça me paraît extrêmement prudent ce que vous conseillez, ça me paraît hyper conservateur pour un truc qui est acceptable. Dans d'autres domaines du droit fiscal, ce n'est pas discuté.
-Cécile Martin-Dubois l'interroge :
- Votre pratique c'est de le formaliser entre confrères, c'est ça ?
-Christelle Andreux précise :
- On parle de quelque chose de spécifique, un divorce. J'ai eu un redressement injustifié il n'y a pas longtemps dans un dossier. Un bien a été vendu en cours de procédure, on a fait une répartition de prix, un petit compte de répartition, pas de droit de partage. J'ai rappelé la doctrine à l'administration [fiscale] qui demandait un droit de partage. Je rejoins Cécile Martin-Dubois [sur le fait qu'il vaut mieux ne pas faire d'écrits].
-[...]
-Quelqu'un dans l'assistance, interrogatif, fait remarquer à la notaire :
- Mais vous gagnez moins. [Il veut dire que la notaire ne touche alors que les honoraires liés à la mutation et non au partage.]
-Christelle Andreux répond :
- Mais je gagne des clients !
-Une femme fait remarquer dans l'assistance :
- Mais vous avez des notaires qui ne sont pas du tout d'accord.
-Cécile Martin-Dubois réplique :
- Oui, mais il faut choisir son notaire !
-Plus tard, une autre avocate dans l'assistance raconte :
- J'ai déjà eu des cas de rattrapage. Moi, je ne l'écris pas, même sur une petite communauté, une petite indivision. Ça pose des problèmes de responsabilité. On sait qu'à Paris, les JAF [juges aux affaires familiales] ont de grandes tendances, quand ils ont un petit doute, à transmettre à l'administration fiscale qui a besoin d'argent. Je le fais, mais je suis super circonspecte et super embêtée. Je ne sais pas comment dealer avec ça.
-Cécile Martin-Dubois explique :
- Il faut laisser passer quelques mois [pour être sûre que l'administration fiscale ne proteste pas, il faut laisser passer un peu de temps entre la vente du bien immobilier et le démarrage de la procédure de divorce].
-Un homme intervient :
- J'en fais tous les mois des opérations comme ça. Le client, je l'informe. Pour moi c'est une position pas très sûre, borderline. Je lui fais signer un papier disant que je l'ai informé de la position de l'administration fiscale. Le papier, je le garde [23]. »

27Les échanges observés lors de cette session de formation rendent bien compte des marges de man uvre qu'offre le secret du cabinet ou de l'étude vis-à-vis de l'application du droit fiscal : avocat·e·s et notaires s'autorisent à privilégier l'intérêt de leurs client·e·s au détriment d'une application stricte de ce droit et de son esprit et, pour cela, assument des efforts particuliers de discrétion (absence de formalisation écrite des accords trouvés par les avocat·e·s, omission de la cause d'une vente dans un acte notarié, etc.). Ce que révèlent également ces échanges, c'est la variété des pratiques de ces professionnel·le·s, qui n'utilisent pas tou·te·s les marges de man uvre dont ils et elles disposent de la même façon. Comme l'indiquent ces discussions, certain·e·s notaires pourront préférer, à l'entretien d'une clientèle fidèle, le gain immédiat des frais liés au partage. Des avocat·e·s pourront refuser de prendre le risque d'un redressement fiscal de leur client·e. Ces choix dépendent sans doute à la fois des dispositions sociales des avocat·e·s et des notaires, du patrimoine de leur clientèle et des gains que les professionnel·le·s peuvent attendre de la fidélisation de cette clientèle.

28Les avocat·e·s et les notaires appartiennent aux professions libérales, dont les trajectoires sociales sont étroitement liées à la détention d'un patrimoine, en l'occurrence professionnel (Thuderoz, 1991 ; Karpik, 1995), ce qui les différencie des juges, salarié·e·s de la fonction publique. Les discussions à huis clos des arrangements patrimoniaux, dans les offices notariaux comme dans les cabinets d'avocat·e·s, réunissent ainsi des possédant·e·s. Du côté de la clientèle comme des professionnel·le·s, cette caractéristique commune n'empêche pas une grande diversité de positions sociales et de trajectoires. Mais quand les caractéristiques sociales des client·e·s et des professionnel·le·s sont proches, le huis clos se transforme en véritable entre-soi, mettant à distance l'État incarné par les juges et le fisc. Cet entre-soi se construit finalement autour d'un intérêt partagé par les professions libérales du droit et une partie de leur clientèle à clôturer l'espace des arrangements patrimoniaux, pour assurer la préservation d'un capital économique, notamment grâce à la domestication de l'administration fiscale (Spire, 2011).

Des affinités de classe qui profitent aux hommes

29Mais dans un contexte de fortes inégalités économiques entre hommes et femmes apparenté·e·s, cette clôture des arrangements patrimoniaux ne sert pas les intérêts des un·e·s et des autres de la même façon. Le rapport au droit des hommes et des femmes issu·e·s des fractions des classes dominantes caractérisées par l'importance de leur capital économique s'avère certes communément déterminé par des affinités de classe avec les professionnel·le·s du droit, mais aussi différencié selon le genre.

Quand les notaires avantagent l'héritier

30Les notaires entretiennent des relations privilégiées avec une clientèle à fort capital économique, constituée d'indépendant·e·s et d'héritier·e·s de patrimoines importants. Ces relations privilégiées sont liées à la fois au recours plus fréquent de ces client·e·s aux notaires, aux revenus que cette clientèle génèrent (la rémunération du notaire dépend du montant du patrimoine traité), mais aussi à une proximité sociale entre ces client·e·s et les notaires.

31Certes, les différent·e·s notaires ont affaire à des fractions diverses des classes possédantes. Jean-Pierre Chartrain, qui est associé au sein d'un réseau de trois offices situés à Paris et dans deux communes huppées de l'ouest parisien, gère de grandes fortunes nationales et internationales (dans son étude, les trois quarts des successions dépassent le seuil de l'ISF, soit 1 300 000 euros) ; tandis que Cédric Le Guen a pour clientèle privilégiée des exploitant·e·s agricoles bien plus modestes. Entre ces deux pôles, on pourrait décrire un dégradé de situations intermédiaires : Arnaud Portier est spécialisé dans une clientèle d'entrepreneurs ; Sébastien Darguy entretient le réseau de professions libérales du secteur médical de ses parents et beaux-parents. Mais leur point commun est d'être particulièrement sensibles aux enjeux de transmission du patrimoine, en particulier du patrimoine professionnel. Les notaires sont effectivement des professions libérales à fort capital économique. Ils et elles ont souvent hérité de leur étude ou du patrimoine qui leur a permis de l'acquérir. Parmi les 17 notaires avec qui nous avons réalisé des entretiens approfondis [24], nous connaissons de façon détaillée l'origine sociale de 15 d'entre eux. La moitié a repris une étude familiale : 5 ont directement hérité de l'étude notariale de leur père, l'un a pris la suite de son beau-père, un autre est fils de notaire mais n'a pas directement repris l'étude de son père. À une exception près [25], toutes et tous proviennent de famille d'indépendant·e·s : parents ou beaux-parents médecins, pharmacien·ne·s, restaurateur·trices/hôtelier·e·s, boulanger·e·s, agriculteur·trice·s, viticulteur·trice·s, père commissaire-priseur, grands-pères notaires. Celles et ceux qui ont des enfants en fin d'études se posent généralement la question de la transmission de leur office.

32Ce souci de la transmission se retrouve à l'échelle du groupe professionnel, notamment dans une vision partagée de la pratique du droit successoral. Une élève de l'école du Notariat de Paris explique que si l'on enseigne bien aux futur·e·s notaires le respect de la règle de l'équité des partages, et si « a priori on ne regarde pas la nature du bien pour faire le partage », on leur enseigne tout de même toutes les solutions qui permettent la transmission d'une entreprise familiale à un héritier unique [26]. Dans le mémo cité précédemment consacré à la donation-partage, on donne aussi ­ pour illustrer la « transmission d'une entreprise individuelle à un tiers, parent ou non, par le biais d'une donation-partage » ­ l'exemple suivant : « une donation-partage est consentie par un descendant à ses sept enfants et à un de ses petits-enfants qui a les qualités nécessaires pour reprendre l'entreprise ». Le souci de transmettre un patrimoine professionnel dans son intégrité à un héritier « capable » structure un certain nombre de pratiques des notaires en matière successorale. Or, on sait que les garçons, et en particulier les aînés, sont les premiers bénéficiaires de ces biens que les familles d'indépendant·e·s cherchent à préserver dans la lignée (Bessière, 2010 ; Gollac, 2013).

33La RAAR, mesure phare de la loi du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, offre désormais la possibilité pour des héritier·e·s de renoncer à réclamer la prise en compte, dans les partages successoraux finaux, de donations dont un·e de leurs cohéritier·e·s a été bénéficiaire. Cette disposition, réclamée par les instances nationales du notariat au nom d'une meilleure planification successorale afin de favoriser la transmission de certains biens (en particulier les entreprises familiales), permet une répartition inégalitaire entre les descendant·e·s, ce qui contrevient à l'esprit du Code civil. Pierre Delmas, un notaire originaire du Sud-Ouest, à la retraite (il a transmis sa clientèle à son fils), mais qui occupe toujours des fonctions importantes de représentation au sein des instances nationales de la profession, est un ardent promoteur de la réforme. En entretien [27], il assume de façon particulièrement directe ­ surtout si l'on considère qu'il s'adresse à une femme ­ le primat de l'impératif de la transmission du patrimoine professionnel sur la rigueur égalitaire du Code civil : « Dans le Sud-Ouest, on s'est toujours assis sur la réserve héréditaire [28] quand il s'agissait de maintenir l'exploitation agricole. » Il précise que ces façons de faire trouvaient l'aval des « filles désavantagées », sûres de bénéficier de la solidarité familiale en cas de besoin. Il compare même cette pratique aux pays de droit musulman où « les femmes n'ont droit qu'à une demi-part, mais ne sont jamais abandonnées par leur famille ». En réunion de travail, devant une dizaine de juristes et de sociologues [29], il explicite les techniques utilisées : « Comment on faisait, c'est très simple : en sous-estimant les biens, en fixant des salaires différés [30] tirés par les cheveux, et en utilisant la quotité disponible [31] bien sûr. En pratique, on regarde combien le repreneur peut donner et on fait cadrer la succession. Et on a très peu de contentieux, parce que c'est accepté par tout le monde, c'est la tradition. [...] Avec la RAAR on sécurise quelque chose qui était déjà librement accepté. Mais faut pas croire non plus qu'on en fera des centaines ! » De fait, les RAAR sont exceptionnelles [32] et la première explication donnée à ce faible usage est précisément l'existence antérieure d'autres outils pour avantager un héritier. Par rapport à ces outils négociés à l'ombre du droit dans les offices notariaux, la RAAR a le défaut d'expliciter l'inégalité des héritier·e·s devant la transmission, et plusieurs notaires ont avoué « ne pas être très à l'aise avec ça ». Comme le souligne Sébastien Darguy : « Quelque part, la RAAR, c'est léser un enfant. Très bien, je te donne l'entreprise. Mais déjà, elle t'est donnée. Je ne vais pas, en plus, taper dans la part de l'autre. Donc, vous avez quand même la quotité disponible. Donc ça veut vraiment dire que là... »

34Finalement, pour privilégier un héritier, les notaires préfèrent les techniques souples, mises en place dans le secret de leur cabinet (le jeu sur les inventaires des biens, sur les évaluations, sur la construction d'équivalence entre les parts...), qui maintiennent l'apparence d'une équipartition des successions, plutôt que la mise en  uvre explicite d'un traitement inégalitaire entre héritier·e·s comme la RAAR. Cette application souple du droit paraît d'autant plus attractive à leur clientèle qu'elle participe de leur domestication du fisc et repose sur une vision genrée des rôles des héritier·e·s dans la transmission familiale du patrimoine.

Quand les avocat·e·s contribuent à la sous-évaluation des ressources masculines

35Dans les opérations de règlement patrimonial des divorces, les avocat·e·s témoignent de leur proximité aux intérêts d'une clientèle dotée d'un capital économique important. Contrairement aux juges aux affaires familiales (JAF), souvent agacé·e·s par les consommations ostentatoires et les tentatives plus ou moins discrètes de contourner le fisc de justiciables qui sont loin d'être dans le besoin [33], les avocat·e·s paraissent nettement plus sensibles à la préservation de l'intimité, et surtout à la limitation du coût fiscal de la séparation de leurs client·e·s. Mais les marges de man uvre permises dans le secret de leur cabinet ne sont pas neutres du point de vue du genre : en visant l'optimisation fiscale, elles contribuent à minimiser la richesse du couple et donc les possibilités de redistribution de cette richesse au plus démuni des conjoints, en l'occurrence le plus souvent la femme [34].

36Carole Jouve est une avocate parisienne aux tarifs élevés (300 euros HT par heure). Une partie de sa clientèle, essentiellement constituée de chef·fe·s d'entreprises, lui est envoyée par des experts-comptables qui sont d'anciens camarades d'études. L'autre partie de sa clientèle est tout simplement constituée de son réseau d'interconnaissance. Lorsque nous assistons à un rendez-vous avec une de ses clientes, elles discutent un moment d'un apéritif pris chez un ami commun. « C'est la copine de très bons copains avec qui je sors tout le temps », nous indique l'avocate après le rendez-vous. La cliente est séparée de son mari depuis plusieurs mois et hésite à lancer la procédure de divorce, pourtant envisagée de part et d'autre. Elle vient voir Carole Jouve pour discuter avec elle de l'opportunité de cette procédure et lui faire part de ses interrogations à la suite de la proposition de son époux de transformer la propriété en indivision de leur résidence principale (qu'elle occupe encore avec sa fille cadette) en société civile immobilière (SCI). Les conjoint·e·s sont marié·e·s en séparation de biens et elle ne sait pas exactement combien gagne son mari. Il était directeur financier d'une entreprise internationale, avec un revenu qu'elle estime autour de 20 000 à 30 000 euros par mois, et est aujourd'hui au chômage avec l'indemnité maximale (soit environ 7 000 euros par mois). Elle ne sait pas quelle indemnité de licenciement il a négocié avec son entreprise. Elle-même, depuis la séparation, a repris une activité de journaliste beauté freelance qui lui rapporte 1 500 euros par mois (« J'ai pas de revenu ! » conclut-elle). Son époux lui demande d'attendre pour lancer la procédure de divorce, pour des raisons fiscales. Il lui a parlé des droits de partage que le couple devrait verser au fisc s'il divorçait avant d'avoir liquidé leur indivision. Elle-même s'insurge contre cet impôt : « Moi, je récupère 500 000 euros [de la vente de leur maison qui vaut 1 500 000 euros mais dont seulement 1 million est d'ores et déjà remboursé], ce qui me permet de me reloger. Est-ce que je vais devoir payer 2,5 % ? Du coup, ça va être juste pour me reloger ! » L'avocate lui explique pourquoi le passage en SCI avant le divorce n'est pas à son avantage : tant que le couple est marié et en indivision, la prise en charge du prêt par l'homme relève de la contribution aux charges du mariage (qui s'élève, du point de vue du droit, à hauteur des facultés respectives des époux) ; dans le cadre d'une SCI, c'est simplement le capital de l'homme qui va augmenter au détriment de celui de son épouse au gré des remboursements. La cliente indique que son époux a également proposé, à l'occasion du passage en SCI, de faire donation de parts de la SCI à leurs filles, à hauteur de 100 000 euros chacune. Il a à nouveau souligné les avantages fiscaux de l'opération. L'avocate la prévient : « Oui, mais après, madame n'a plus rien. Les filles, elles se feront [elles ont l'avenir devant elles pour faire carrière et accumuler un patrimoine]. Oui, les hommes pensent souvent comme ça, surtout ceux qui doivent payer une prestation compensatoire. » Elle prévient sa cliente sur les risques de redressement fiscal liés au fait de liquider l'indivision avant de lancer la procédure de divorce, uniquement pour échapper aux droits de partage. Elle lui propose finalement de faire le point avec un confrère fiscaliste pour étudier la proposition de la SCI et la tenir au courant [35].

37La nécessité de minimiser le montant des impôts à verser fait consensus pour l'avocate, sa cliente et la future partie adverse. Cet intérêt, apparemment commun, brouille les pistes dans la stratégie de défense de l'avocate qui évoque tout de même, à plusieurs reprises, l'opposition latente entre techniques d'optimisation fiscale et intérêt de sa cliente, voire entre intérêt des hommes (« les hommes pensent souvent comme ça ») et intérêt des femmes. Ainsi, l'intérêt de classe commun aux avocates (particulièrement nombreuses en droit de la famille [36]) et aux hommes indépendants l'emporte souvent sur une potentielle communauté de genre, rassemblant difficilement des femmes professions libérales investies dans leur carrière et des épouses dépendantes économiquement de leur conjoint. Il l'emporte d'autant plus facilement que ces épouses ont peu de ressources financières et informationnelles pour percevoir et défendre leurs intérêts. Souvent, elles méconnaissent la situation économique de leur couple comme de leur époux, à qui elles s'en remettent largement pour l'essentiel des tâches administratives comptables [37]. Les inégalités économiques entre hommes et femmes au sein des couples sont donc redoublées par le consensus entre les avocat·e·s et les parties sur la nécessité de minimiser le coût fiscal de la séparation. Ce consensus est d'autant plus efficace qu'il n'a pas toujours besoin d'être explicité. Il est parfois naturalisé dans les opérations de comptabilité mises en  uvre par les avocat·e·s et leurs client·e·s.

38Nous avons été autorisées à observer un rendez-vous à quatre de droit collaboratif entre Grâce Dupont-Bernard, Arnaud Thiercelin et leurs cliente et client : la discussion vise la fixation d'une pension versée par l'homme (chef d'entreprise dans le secteur du bâtiment) à la femme (infirmière salariée à mi-temps), conformément au maintien du « devoir de secours » entre les époux.ses jusqu'au prononcé du divorce. Dans un divorce contentieux, cette pension est décidée par le juge lors de la première étape de la procédure, l'ordonnance de non conciliation. Ici, en procédure collaborative, la discussion se déroule dans le cabinet d'Arnaud Thiercelin pendant presque trois heures, une secrétaire apportant régulièrement du café et des rafraîchissements. Pour parvenir à un accord, les avocat·e·s notent sur un paper board les revenus et charges pour calculer un disponible mensuel. Le tableau ci-dessous reprend ces notes :

tableau im1

39À la suite d'une première négociation, au cours de laquelle l'homme accepte de prendre à sa charge les impôts liés à l'ancien domicile conjugale, que l'épouse habite seule mais qu'ils auraient pu, selon elle, continuer à habiter ensemble compte tenu de la taille de la maison, le couple parvient à un nouveau calcul de disponible : 646,50 euros pour elle et 2 256 euros pour lui. Le versement d'une pension de 800 euros permettrait d'égaliser leur disponible, à 10 euros près. Mais l'homme refuse : « On charge bien la mule quand même ! Il faut prendre en compte un paramètre quand même, c'est que madame travaille à mi-temps ! » La femme remarque : « On a fait le choix ensemble que je travaille à temps partiel. Pour ne pas donner plus au fisc, déjà qu'on en donne beaucoup. C'est pas à 54 ans que je vais travailler à temps plein ! Ça oui, je sais que ce n'est pas possible, pas avec les accidents, les problèmes physiques que j'ai pu avoir. » L'homme insiste : « Moi, je veux bien accepter le devoir de secours. Ce que je ne veux pas, c'est un équilibre parfait alors qu'elle travaille à mi-temps et moi à plein temps. » Il ajoute : « Je ne comprends pas pourquoi je serais contraint de supporter les taxes sur une maison qui ne m'appartient en rien et, en plus, dont je n'ai pas la jouissance. » Finalement, la femme propose de revenir à la répartition initiale des dépenses avec une pension de 1 000 euros par mois. Les avocat·e·s, qui peinent à trouver un accord entre leurs client·e·s dans un climat très tendu, trouvent alors l'argument décisif, avancé par Grâce Dupont-Bernard : « Monsieur X, vous avez conscience que c'est fiscalisé ; fiscalement, c'est avantageux pour vous [la pension est déduite fiscalement des revenus du débiteur]. Madame, vous devez déclarer 1 000 euros : ce sera fiscalisé [la pension doit être déclarée aux impôts par la créditrice]. Pour vous monsieur, ça fait un disponible de 1 597 euros et même un peu plus avec la fiscalisation. Et pour vous madame, 1 305 euros de disponible, c'est acceptable ? » Les époux tombent alors d'accord [38].

40Le raisonnement proposé par les avocat·e·s pour trouver une pension « juste » est remarquable : il consiste à équilibrer un disponible obtenu en déduisant des revenus des deux ex-conjoint·e·s des charges qui correspondent en fait à des niveaux de vie très différents. Ainsi, l'homme déduit non seulement les frais de location d'une résidence principale distincte, mais aussi des frais liés à une résidence secondaire dont il a désormais la jouissance exclusive. Le calcul effectué reprend tout à fait la logique d'une optimisation fiscale classique en matière d'impôt sur le revenu, en particulier chez les indépendant·e·s et professions libérales : il s'agit de déduire du revenu le maximum de charges pour réduire le disponible qui est le montant sur lequel sont ensuite focalisées l'ensemble des discussions. Seule la femme remet en cause, encore que marginalement, la légitimité de ces charges : elle affirme qu'étant donné la taille et l'agencement de leur maison commune, l'homme pourrait continuer à y habiter (ce qu'il refuse), mais elle ne demande pas la vente de la résidence secondaire, ni ne propose de la prendre à sa charge (elle considère qu'elle n'en a pas les moyens). L'argument de la fiscalité revient, plus explicitement, de façon récurrente : il est à l'origine du travail à temps partiel de la femme et il emporte l'accord de l'homme sur une pension plus importante en échange du maintien à la charge de la femme de frais qui sont précisément impossibles à déduire fiscalement puisqu'il s'agit d'impôts. La femme y perd, puisqu'elle parvenait, avec le premier arrangement envisagé, à un disponible de 1 446 euros par mois avec moins de revenus à déclarer. On perçoit donc à nouveau, au travers de cet exemple, comment l'application d'un mode de comptabilité forgé par la domestication du fisc aboutit à un résultat plus favorable aux hommes. Là encore, la proximité sociale entre avocat·e·s et client·e·s favorise des arrangements économiques élaborés à l'ombre du contrôle de l'État, qui renforcent les inégalités économiques entre hommes et femmes.

Conclusion

41En matière d'arrangements patrimoniaux, dans le cadre de procédures de divorces ou de successions, notaires et avocat·e·s ne semblent jamais aussi à l'aise pour jouer avec le droit que lorsqu'il·elle·s travaillent dans l'entre-soi, avec une clientèle choisie. Si cet entre-soi peut se situer plus ou moins haut au sein de la bourgeoisie, il rassemble des personnes dont la position sociale dépend étroitement de l'accumulation et de la transmission d'un patrimoine économique. Ces professions libérales du droit mettent alors à disposition de leurs client·e·s différents outils juridiques ou marges de man uvre, au service d'un intérêt qu'il·elle·s partagent : celui de la reproduction du capital économique, aux dépens d'une administration fiscale domestiquée. La maîtrise du droit dont disposent certain·e·s dominant·e·s se joue ainsi en grande partie dans le rapport au capital économique qu'ils partagent avec certaines professions libérales du droit. Ce rapport commun au capital économique s'avère fortement genré, et les arrangements patrimoniaux qui émergent dans les cabinets d'avocat·e·s et les offices notariaux se font généralement au détriment des ex-épouses et des héritières. Lorsque le législateur s'en remet au huis clos des cabinets des professions libérales du droit pour régler des affaires familiales ­ comme lorsqu'il confie, par la loi du 18 novembre 2016, le règlement et l'enregistrement des divorces par consentement mutuel aux seul·e·s avocat·e·s et notaires sans plus aucun passage devant le juge ­ c'est au jeu des rapports sociaux de classe et de sexe qu'il renvoie les justiciables.

Notes

  • [1]
    La liquidation du patrimoine conjugal, dès qu'il comporte au moins un immeuble, est officialisée par un acte notarié. En 2010, seuls 4 753 couples divorcés ont fait appel au tribunal pour trancher un litige en la matière (à comparer aux 175 261 demandes de divorce la même année). Dans le cas des successions qui comportent au moins un bien immobilier ou un actif successoral supérieur à 5 000 euros, en présence d'un testament ou d'une donation, le partage successoral est enregistré par un notaire. Là encore, les litiges portés devant les magistrat·e·s sont relativement rares : seuls 16 836 actes successoraux ont fait l'objet d'une saisine du tribunal en 2010, alors que les notaires de France déclarent 320 000 successions par an.
  • [2]
    Ainsi, seule la moitié des déclarations de succession sont faites devant notaire (selon le Cahier statistique 2015 de la direction générale des Finances publiques, le nombre de déclarations de succession enregistrées chaque année par l'administration fiscale est de 763 398, soit plus du double du nombre annuel de déclarations enregistrées pas les notaires). Les arrangements patrimoniaux discutés chez les avocat·e·s dans le cadre des procédures de divorce ne concernent également que les couples qui ont quelque chose à se partager.
  • [3]
    Entretien réalisé en novembre 2014 par Céline Bessière, Aurore Koechlin et Camille Phé.
  • [4]
    L'aide juridictionnelle est une aide financière ou juridique que l'État accorde aux justiciables sous condition de ressources. Elle prend en charge, en totalité ou en partie, les frais de procédure et d'expertise, et les honoraires de l'avocat·e à qui l'aide est versée directement.
  • [5]
    En 2014, un divorce par consentement mutuel à l'aide juridictionnelle totale est rémunéré à l'avocat·e 30 unités de valeur (UV, soit 685 euros HT) ; à partir de 34 UV (776,56 euros HT) pour un divorce contentieux, avec une possibilité de dépassement de 16 UV supplémentaires (365 euros HT) en cas d'incident.
  • [6]
    Entretien réalisé en novembre 2014 par Anaïs Bonnano, Sibylle Gollac et Aurore Koechlin.
  • [7]
    Dans le barreau étudié, un divorce par consentement mutuel avec un seul avocat pour les deux parties est facturé entre 1 400 et 2 000 euros HT ; le tarif de base du divorce contentieux est entre 1 600 et 2 000 euros (ces tarifs pouvant donner lieu à des dépassements en cas d'allongement de la procédure).
  • [8]
    Observation réalisée en février 2014 par Céline Bessière et Camille Phé.
  • [9]
    Observation réalisée en février 2016 par Céline Bessière et Marion Flécher.
  • [10]
    Cette pratique ­ issue des pays anglo-saxons (États-Unis, Canada et Angleterre) et importée dans plusieurs barreaux en France durant les années 2000 ­ a pour principe un règlement à l'amiable des divorces par une série de rendez-vous à quatre (les parties et leurs avocat·e·s respectif·ve·s) qui doit aboutir à la rédaction d'une convention de divorce par consentement mutuel. La pratique est très formalisée et repose notamment sur la formation des avocat·e·s qui s'engagent à se retirer du dossier si l'affaire devient contentieuse.
  • [11]
    Entretien réalisé en février 2014 par Anaïs Bonanno, Sibylle Gollac et Aurore Koechlin.
  • [12]
    Entretien réalisé en janvier 2015 par Céline Bessière et Sibylle Gollac.
  • [13]
    Entretien réalisé en janvier 2015 par Céline Bessière.
  • [14]
    Entretien réalisé en octobre 2015 par Céline Bessière et Sibylle Gollac.
  • [15]
    Voir la présentation du rôle du notaire sur le site des notaires de France : https://www.notaires.fr/fr/le-rôle-du-notaire (page consultée le 28 octobre 2017).
  • [16]
    Les matériaux sur lesquels s'appuie cet article ont été recueillis avant l'entrée en vigueur de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle. Depuis le 1er janvier 2017, les conventions de divorce par consentement mutuel doivent simplement être déposées chez un·e notaire. Les justiciables ne sont plus entendu·e·s séparément par un·e juge avant la prononciation du divorce pour vérifier leur consentement, et la convention n'est plus examinée par un·e magistrat·e.
  • [17]
    « La donation-partage », Les mémos conseils par des notaires, Paris, 2004, p. 6-7. Voir la liste des mémos conseils en droit de la famille sur le site des notaires de France (https://www.notaires.fr/fr/kiosque?famille=0, consulté le 25 octobre 2017).
  • [18]
    C'est ce que montre un cas de conflit successoral traité dans la thèse de Sibylle Gollac (2011, p. 602-603).
  • [19]
    La renonciation anticipée à l'action en réduction (RAAR) consiste, pour des héritier·e·s, à renoncer à réclamer la prise en compte, dans les partages successoraux finaux, de donations dont un·e de leurs cohéritier·e·s a été bénéficiaire. C'est l'une des principales innovations de la loi du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités.
  • [20]
    Entretien réalisé par Céline Bessière en janvier 2015.
  • [21]
    Les modes alternatifs de règlement des litiges familiaux ­ depuis la médiation, jusqu'à la négociation raisonnée, en passant par les procédures participatives, ou encore le droit collaboratif ­ constituent un segment de pratiques en pleine expansion. Il accompagne la progression du divorce par consentement mutuel (qui est passé de 40 % des divorces en 1996, à 55 % des procédures aujourd'hui).
  • [22]
    Les droits de partage portent sur les immeubles communs et indivis. Ils s'élèvent à 2,5 % du montant du patrimoine immobilier à partager entre ex-conjoint·e·s (art. 635, 1-7 et 746 du Code général des impôts).
  • [23]
    Observation réalisée en janvier 2015 par Gabrielle Schütz et Hélène Steinmetz.
  • [24]
    Bien que ne visant aucune représentativité, le corpus de notaires que nous avons interviewé est varié. Il est composé de 13 hommes et 4 femmes, âgé·e·s de 30 à plus de 60 ans. Ils et elles appartiennent à des études constituées d'un notaire individuel à six associés, situées dans zones géographiques diverses : études rurales de l'ouest ou du sud-ouest de la France ; études de grandes agglomérations de l'ouest, du sud-ouest et de l'est de la France ; études de l'agglomération parisienne.
  • [25]
    L'exception est une femme notaire âgée d'une quarantaine d'années dont le père était cadre dans une usine dans l'est de la France et la mère secrétaire dans le secteur hospitalier. Fille unique, elle se décrit comme bénéficiaire des aspirations sociales de ses parents : « Ils m'ont donné toute leur affection et tout ce qu'ils pouvaient pour que je réussisse. » Clerc de notaire jusqu'en 2005, elle a été associée dans une étude de sa région d'origine pendant deux ans, avant de s'associer dans un office qui comprend quatre notaires dans une agglomération de taille moyenne de l'ouest de la France.
  • [26]
    Observation des Journées notariales de la porte Maillot réalisée par Sibylle Gollac en décembre 2004.
  • [27]
    Entretien réalisé par Sibylle Gollac en décembre 2014.
  • [28]
    La réserve héréditaire est la part de la succession réservée à chacun·e des héritier·e·s dit·e·s réservataires, en l'occurrence les enfants. Il·elle·s ne peuvent être privé·e·s de cette réserve.
  • [29]
    Observation-participante réalisée par Céline Bessière et Sibylle Gollac en février 2016 au sein du groupe de recherche sur les renonciations en matière successorale.
  • [30]
    Depuis le décret-loi du 29 juillet 1939, le salaire différé permet à un·e apparenté·e (descendant·e ou conjoint·e de descendant·e de l'exploitant·e), ayant travaillé dans l'entreprise familiale pendant une période donnée sans avoir été rémunéré·e, de récupérer sur la succession une partie du salaire qui lui était théoriquement dû.
  • [31]
    Les héritier·e·s réservataires (en général les enfants) se partagent à égalité la réserve, part de la succession qui leur revient de droit et qui dépend de leur nombre et de leur lien de parenté avec celui ou celle qui laisse la succession : la réserve est constituée de la moitié de la succession si la personne qui laisse la succession a un enfant unique ; des deux tiers de la succession s'il ou elle a deux enfants ; et des trois quarts s'il ou elle a trois enfants ou plus. Le·la légataire peut en revanche disposer librement du reste, appelé quotité disponible.
  • [32]
    Dans une enquête menée par le Conseil supérieur du notariat auprès de 133 notaires en 2015, parmi les offices ayant indiqué le nombre de RAAR qu'ils ont reçu depuis 2007, 48 % n'en ont reçu aucune, 34 % en ont reçu de une à trois et 18 % en ont reçu plus de trois. Seul·e·s cinq notaires ont reçu plus de dix RAAR dans leur étude en plus de sept ans.
  • [33]
    Le traitement salarié des JAF ne dépend pas du revenu des justiciables dont il·elle·s traitent le dossier. Il est d'ailleurs vraisemblable qu'en tant que salarié·e·s de l'État, les juges aient eux-mêmes moins souvent l'occasion de mettre en  uvre ces stratégies de contournement que les avocat·e·s, professions libérales.
  • [34]
    Rappelons que les femmes en couple gagnent en moyenne 42 % de moins que leur conjoint selon l'Insee (Morin, 2014).
  • [35]
    Observation réalisée par Anna Chamfrault et Sibylle Gollac, en novembre 2014.
  • [36]
    Selon l'Observatoire du Conseil nationale des barreaux, les femmes représentent 54 % de la profession. D'après nos observations menées dans différents barreaux, elles sont largement majoritaires en droit de la famille. En comparaison, seules 36 % des notaires sont des femmes d'après le Conseil supérieur du notariat, même si au sein des études elles sont plus souvent chargées du droit de la famille. Mais elles sont aussi plus souvent simples salariées et rencontrent moins fréquemment les client·e·s, en particulier la clientèle régulière et privilégiée des offices.
  • [37]
    Ce type de configuration, également notée par Camille Herlin-Giret pour les assujetti·e·s à l'ISF (2016, p. 201), se retrouve dans nos matériaux ethnographiques pour la plupart des couples au sein desquels l'homme est chef d'entreprise et la femme ne participe pas à l'activité de cette entreprise. C'est essentiellement lorsque l'épouse dispose de ressources propres suffisantes (financières et informationnelles, par exemple parce qu'elle participe à l'activité de l'entreprise à un poste à responsabilité) qu'elle peut s'engager dans une procédure contentieuse (pour un exemple dans l'agriculture, voir Bessière et Gollac, 2014).
  • [38]
    Observation réalisée par Céline Bessière et Aurore Koechlin en février 2014.
Français

Resume

Lors d'une succession ou d'un divorce, les biens qui composent l'héritage ou le patrimoine conjugal sont distribués entre héritiers et héritières ou entre ex-épouses et époux. Rarement tranchés par l'institution judiciaire, ces arrangements patrimoniaux qui concernent les fractions possédantes de la société française (propriétaires d'un bien immobilier, d'une entreprise ou d'un minimum de capitaux financiers) se déroulent principalement dans les études et cabinets de professions libérales du droit (notaires et avocat·e·s), dont les trajectoires sociales sont étroitement liées à la détention d'un patrimoine. Les discussions à huis clos des arrangements patrimoniaux, dans les offices notariaux comme dans les cabinets d'avocat·e·s, réunissent ainsi des possédant·e·s. Du côté de la clientèle comme des professionnel·le·s, cette caractéristique commune n'empêche pas une grande diversité de positions sociales et de trajectoires. Nous montrons que les notaires et avocat·e·s ne semblent jamais aussi à l'aise pour jouer avec le droit que lorsqu'il·elle·s travaillent dans l'entre-soi, avec une clientèle choisie, mettant alors à disposition de leurs client·e·s différents outils juridiques ou marges de man uvre, au service d'un intérêt partagé : celui de la reproduction du capital économique, aux dépens d'une administration fiscale domestiquée. La maîtrise du droit dont disposent certain·e·s dominant·e·s se joue en grande partie dans le rapport au capital économique qu'ils partagent avec certaines professions libérales du droit. Ce rapport commun au capital économique s'avère fortement genré, et les arrangements patrimoniaux qui émergent dans les cabinets d'avocat·e·s et les offices notariaux se font généralement au détriment des ex-épouses et des héritières.

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Céline Bessière
PSL University
Paris-Dauphine/IRISSO & Institute for Advanced Study
celine.bessiere@dauphine.fr
Sibylle Gollac
CNRS, CRESPPA-CSU
sibylle.gollac@cnrs.fr
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
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Mis en ligne sur Cairn.info le 09/01/2018
https://doi.org/10.3917/soco.108.0069
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