CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Aujourd’hui, les actions et les obligations sont les premières sources de financement des entreprises en France, aux États-Unis et dans de nombreux autres pays. L’émission de dette est par ailleurs devenue un élément incontournable du fonctionnement des États. Depuis une trentaine d’années, l’industrie financière, composée de fonds d’investissement, de brokers, d’agences de notation, de banques et d’entreprises d’assurance, entre autres, a ainsi occupé progressivement un rôle central dans la distribution des ressources (Aglietta & Rebérioux, 2004). Ce rôle est aujourd’hui global, favorisé par des changements réglementaires, notamment aux États-Unis depuis les années 1970 (Krippner, 2011), en Europe dans les années 1980 (Abdelal, 2007), et ailleurs dans le monde depuis les années 1990 [1]. Mobilisant un cadre commun, la réglementation conçoit l’industrie financière comme le lieu où se rencontrent des investisseurs, qui prennent des décisions dans un marché qui serait proche de la définition qu’en donne la théorie économique standard. Le projet des régulateurs est que l’efficience des marchés financiers produise des prix qui reflètent toute l’information disponible, et qui servent donc de signaux pour une allocation optimale des ressources sociales. Ainsi, l’industrie financière serait légitimée à réaliser une activité éminemment politique, celle de la gestion des inégalités à travers la distribution globale des ressources (Hann & Hart, 2011). En étudiant les pratiques concrètes à travers lesquelles les professionnels de la finance se positionnent comme source des décisions d’investissement, en tant qu’investisseurs, ce texte vise à mettre en perspective, de manière critique, la compréhension de l’industrie financière proposée par la réglementation, et par la théorie financière qu’elle mobilise [2].

2 En Europe et aux États-Unis, en deux siècles, la figure de l’investisseur est passée de l’image d’un individu irresponsable qui fait des paris aveugles à celle d’un entrepreneur respectable qui spécule (De Goede, 2005), basé sur un savoir scientifique et ayant non seulement le droit d’investir (Preda, 2005), mais même le devoir moral de le faire, par exemple en achetant des contrats d’assurance vie pour protéger sa descendance (Zelizer, 1979). Cependant, la figure de l’investisseur commune à la réglementation et à l’industrie financière est définie de manière beaucoup plus précise, comme une instance de décision visant à maximiser son profit et minimiser son risque en utilisant un savoir spécifique, celui formalisé dans la théorie financière standard. Ainsi, aujourd’hui, dans pratiquement toutes les juridictions, la réglementation financière distingue la catégorie d’investisseur sophistiqué ou qualifié, seul apte à réaliser des transactions financières complexes et, notamment, à les faire pour le compte d’autrui (Clark, 2000 ; Montagne, 2006). Cet investisseur spécifique est défini soit par le fait qu’il dispose de montants investis élevés ou, surtout, parce qu’il connaît la théorie standard sur laquelle sont basées les procédures dans l’industrie financière [3].

3 Ce texte analyse la manière dont l’investissement est réalisé concrètement, à partir d’une enquête par entretiens et observation participante en 2004, auprès de gérants de fonds investissant en dérivés de crédit, ces produits financiers qui ont été au centre de ce qu’on a appelé la crise des subprimes (Ortiz, 2014). La recherche permet de comprendre que l’achat et la vente des titres sont effectués toujours en faisant référence, dans les détails des calculs et des procédures, à la figure de l’investisseur telle qu’elle est formalisée dans la théorie financière standard, que les employés doivent respecter selon leurs contrats de travail (Clark & Thrift, 2005). Cependant, comme nous le verrons, cette figure théorique n’est réalisée que dans un rapport légal de représentation, sans être incarnée par une personne spécifique, et est mobilisée de manières multiples et contradictoires, y compris dans une même procédure et par un même employé, par exemple lorsqu’il passe l’ordre d’achat d’un dérivé de crédit.

4 Par ailleurs, l’analyse montre que cette décision d’achat ou de vente, présentée comme l’acte personnel de l’employé qui en a la charge, est l’effet d’un ensemble plus vaste de décisions, dont elle dépend. La décision n’est ainsi pas concentrée dans la volonté d’un sujet libre de l’échange, mais elle est au contraire disséminée selon au moins deux logiques différentes. D’une part, elle est distribuée de manière hiérarchique au sein de l’entreprise dans laquelle travaille l’employé, selon des logiques organisationnelles de compétition et de concurrence, dans lesquelles la concentration du pouvoir en haut de la hiérarchie implique aussi une partie négociée d’interdépendance entre les différents niveaux. La figure de l’investisseur y est mobilisée comme référence incontournable dans les conflits qui opposent les employés, dans leur tentative d’avancer dans leur carrière en termes de salaire, de bonus, de responsabilités et de prestige. (Godechot, 2007, 2009 ; Ho, 2009). D’autre part, la décision d’investir est disséminée dans le réseau commercial d’échange des actifs. Constitué d’experts habilités en tant qu’employés de différentes entreprises, le réseau dépasse et parfois remet en cause les logiques organisationnelles de ces dernières. En son sein, les rapports de force financiers s’articulent en reconduisant des règles communes sur la manière dont l’investissement doit se faire, qui s’imposent, de manière négociée, aux professionnels qui les appliquent.

5 L’observation effectuée en 2004 permet de voir un moment de l’échange des dérivés de crédit, qui dépend en grande partie de la réglementation financière et de la politique des taux d’intérêt de l’époque. Ces facteurs, seront considérés ici comme donnés, pour montrer la manière dont les pratiques les prennent en compte. Par ailleurs, les pratiques décrites suivent des règles standard, communes à la plupart des actifs financiers : l’analyse du cas d’espèce permet de jeter une lumière sur l’investissement dans la finance de marché au-delà du simple cas des dérivés de crédit. Ce faisant, l’enquête cherche à contribuer à une analyse critique des ressorts concrets des décisions à travers lesquelles l’industrie financière joue son rôle politique de gestion de la distribution des ressources.

6 Le texte présentera d’abord la complexité de la figure de l’investisseur, considérée comme instance fondatrice de la décision de l’investissement. Ceci permettra de comprendre ensuite la dissémination de la décision selon deux ensembles de règles qui sont parfois explicites, parfois implicites, et qui se transforment dans le temps : d’une part les règles au sein de l’entreprise de gestion, d’autre part celles du réseau d’échange des actifs dans l’industrie financière.

PRÉSENTATION DE L’ENQUÊTE

ENCADRÉ 1
La recherche présentée ici a pris la forme d’un stage de quatre mois en 2004, en tant qu’assistant à l’analyse financière, auprès d’une équipe de gérants de fonds investissant cinq milliards d’euros en dérivés de crédit (ABS pour asset-backed securities), à Acme, grande multinationale française de services financiers. Ces observations s’inscrivaient dans une enquête pour l’obtention d’un doctorat, pendant laquelle deux autres stages de quatre à cinq mois ont été réalisés, auprès de courtiers à New York en 2002 et auprès de consultants en hedge funds à Paris en 2003. L’observation participante fut accompagnée d’une centaine d’entretiens avec des professionnels de la finance. Après l’obtention du doctorat, l’enquête fut poursuivie par l’obtention d’un diplôme de « Certified International Investment Analyst » décerné par la Société Française d’Analystes Financiers, en 2010, et de plusieurs enquêtes de terrain : en tant que professeur de finance dans des écoles de commerce à Paris et Shanghai entre 2008 et 2012, et auprès des professionnels de l’industrie financière à Shanghai depuis 2010. En accord avec les enquêtés, tous les noms ont été changés.
L’observation participante a permis d’apprendre les techniques d’évaluation et d’investissement des professionnels, en profitant du statut de stagiaire assistant pour poser de nombreuses questions relatives aux opérations effectuées. L’immersion de longue durée a aussi permis d’étudier les enjeux organisationnels au sein des entreprises et dans leur contexte commercial. Plutôt que de circonscrire l’analyse aux situations observées, l’enquête a cherché à les comprendre au sein des réseaux d’échange dans lesquels seules elles font sens et peuvent se reproduire et se transformer. Ceci implique de considérer comment, dans le quotidien des pratiques d’investissement en dérivés de crédit, ce sont les systèmes financiers des pays impliqués, et les stratégies globales des entreprises de l’industrie financière, qui sont activés et reconduits. Le rôle nouveau et l’impact des dérivés de crédit dans les rapports financiers globaux au début du XXIe siècle impose aussi d’être attentif à la manière dont les pratiques observées s’inscrivent dans une évolution historique en cours.
Finalement, l’importance de la technique financière dans les pratiques observées, et dans la réglementation financière, implique de prendre une distance avec ses présupposés épistémologiques, pour en rendre compte comme une manière parmi d’autres de faire sens des situations dans les lieux de travail. Ceci implique d’être attentif non seulement à l’histoire de ces techniques, mais aussi aux philosophies libérales morales et politiques dont elles sont issues et auxquelles on continue de se référer à la fois dans le quotidien des employés et dans la réglementation financière.

LA DÉCISION D’INVESTIR COMME LE FAIT D’UN INVESTISSEUR INDIVIDUEL

7 Lorsque les gérants de fonds évaluent, achètent ou vendent un titre, ils sont censés incarner la figure théorique de l’investisseur au profit des clients propriétaires de l’argent. Dans ce processus, les opérations que les employés sont tenus d’effectuer portent des contradictions et des tensions formalisées dans les théories qu’ils mobilisent de manière explicite. C’était le cas, en 2004, des employés que j’observais, et qui se trouvaient confrontés au besoin de changer leur stratégie d’investissement pour pouvoir conserver leur emploi. La recherche montre que l’investisseur n’est pas un sujet incarné, mais n’existe que dans le rapport de représentation établi dans les contrats, que les employés appliquent dans une trajectoire de carrière, avec des rapports salariaux parfois conflictuels.

8 L’équipe ABS, constituée de quatre gérants et de trois assistants, investissait 5 milliards d’euros en ABS [4], une faible part des 300 milliards qu’Acme avait sous gestion, pour des clients institutionnels, notamment des banques et des entreprises d’assurance. La plupart du temps, j’assistais la deuxième gérante senior, Juliette. Les calculs, les évaluations personnelles et les actes d’achat et de vente qu’elle effectuait, n’étaient l’acte d’un investisseur que parce qu’elle représentait les intérêts d’un tiers. Les propriétaires légaux de l’argent investi, par exemple une entreprise d’assurance ou encore le sous-cripteur d’un contrat d’assurance vie cherchant à avoir une retraite complémentaire, n’étaient à leur tour investisseurs que parce que Juliette réalisait effectivement des opérations pour eux. Ainsi, l’investisseur, comme source du calcul et de la décision d’investissement, n’existait qu’à travers les rapports de représentation qui liaient la gérante aux propriétaires de l’argent (Ortiz, 2011).

9 Pour chaque achat, Juliette étudiait le contrat d’une centaine de pages décrivant le dérivé de crédit, afin de se faire une idée des flux futurs qui pourraient en être obtenus sur le long terme et de la probabilité, sur cette même période, que les emprunteurs des crédits sous-jacents fassent défaut. Cette analyse, dite des fondamentaux ou fondamentale, constituait l’expertise des gérants influents dans l’équipe. Après des études dans une des plus prestigieuses écoles de commerce françaises, Juliette avait travaillé six ans dans une agence de notation, en analysant les ABS, et deux ans dans une banque produisant les titres. Comme c’était la norme dans le reste de la profession, l’équipe n’achetait que des titres ayant été notés par au moins deux des trois grandes agences de notation globales (Sinclair, 2005). Utilisant ces dernières comme source d’information parmi d’autres, la décision d’achat était censée n’être basée que sur la synthèse personnelle que pouvait en faire Juliette à partir de son expertise sur les méthodes standardisées d’évaluation, qu’elle avait apprises au long de son parcours scolaire et professionnel. En cas de doute sur un titre, elle devrait porter la responsabilité du choix de l’avoir acheté, par exemple en s’expliquant devant les clients d’Acme si l’opération se traduisait par une perte d’argent. Une situation censée impliquer émotionnellement et moralement l’employée (Zaloom, 2006 ; Ortiz, 2012), dont l’opinion devait être personnelle, comme me l’expliquait en entretien Marie, la chef de l’équipe : « À la fin de la journée, en tant qu’investisseur, t’es tout seul face à ton écran. [...] Tes croyances fortes, il faut que tu les tiennes. Moi mes croyances fortes, je les ai tenues parce que je n’ai qu’un principe : si je fais un truc qui est contre ma croyance forte et ça se retourne contre moi, je vais me dire, je suis la dernière des abrutis. » La mise en avant d’une croyance forte comme manière de décrire les limites que se posait la gérante, dans l’application des procédures d’investissement et d’évaluation, était ainsi une mise en scène, en situation d’entretien, d’une personnalité qui devait correspondre à la figure de l’investisseur.

10 À Acme, comme dans le reste de l’industrie financière, les bonus étaient négociés par le responsable de chaque niveau hiérarchique avec ses supérieurs et ses subordonnés (Godechot, 2007). Ainsi, les départements négociaient avec la direction, les sections avec le directeur du département, les chefs d’équipe avec les chefs de section, et les membres d’équipe avec leur chef direct. Les bonus n’étaient pas déterminés par une formule mathématique, mais selon la discrétion du supérieur, en fonction de critères variables. Certains employés pouvaient par ailleurs utiliser leurs relations personnelles avec quelqu’un plus haut dans la hiérarchie pour tenter d’influencer leur chef direct. Dans l’explication officielle de ce système de rémunération par les employés et par la réglementation financière, on considère que si les critères d’évaluation du travail des employés sont alignés avec ceux des personnes dont ils sont censés représenter les intérêts, le système des bonus est une incitation à bien incarner la figure de l’investisseur pour le compte des clients. En 2003, le bonus de Juliette, décidé par sa supérieure, Marie, avait doublé son salaire annuel de 100 000 euros. Ces montants dépendaient notamment du volume des fonds sous gestion de l’employée, sur lesquels Acme prélevait une commission. Juliette était ainsi censée vouloir obtenir de bons résultats pour ses clients actuels, afin d’attirer davantage de fonds d’eux ou d’autres clients, et donc augmenter ses propres gains.

11 L’augmentation des fonds sous gestion n’était pas uniquement importante comme source directe de revenus : elle était aussi considérée comme une preuve d’avoir bien réalisé son travail. L’exemple de l’équipe ABS permet de voir comment les luttes de pouvoir entre employés, équipes et départements au sein de l’entreprise étaient ainsi en partie articulées autour de l’injonction de considérer l’acte d’achat comme une décision personnelle. À la fin des années 1990, l’équipe avait été créée par Marie dans le département du Fixed Income, chargé de l’investissement en instruments obligataires. Les ABS étant un actif marginal, Marie m’expliqua qu’elle avait eu du mal à convaincre sa hiérarchie de les proposer aux clients comme un actif à part entière. Elle finit par obtenir 350 millions d’euros à gérer, mais en en ayant la responsabilité partagée avec un autre gérant, dans une relation conflictuelle, qu’elle présente en entretien comme le rapport entre personnes qui s’affirment par leur capacité à prendre des décisions en tant qu’investisseurs : « Le premier fonds qu’on gérait d’ABS, c’était un fonds corporate[5], donc obligataire, qu’on migrait vers un fonds ABS, donc de fait c’était de l’argent du Fixed Income. Donc le gérant, on l’a mis au Fixed Income. [...] Alors, le gérant de ce fonds-là, on lui a proposé de devenir le gérant du fonds avec une migration ABS. Il a dit : “OK” et ça s’est super mal passé ! [...] La notion de co-gestion s’est pas forcément bien passée, [...] ça se passait super mal avec Pierre, qui avait pas du tout cette façon de fonctionner et qui était pas du tout prêt à partager la prise de décision. Il voulait être LE gérant du fonds point barre. Il considérait Bastien [6] comme SON junior qui lui faisait de la recherche, mais c’était lui qui décidait et il était très mal positionné vis-à-vis de moi et donc ça a un peu chauffé. Et en gros il a un peu demandé à soit être tout seul responsable, soit à partir. Et il n’a pas eu gain de cause, parce que bon, moi j’étais quand même moi, donc il est parti. »

12 À la même époque, Acme développa un nouveau département, le département Structuré, chargé d’investir et de produire les produits dérivés qui se développaient rapidement dans l’industrie financière (LiPuma & Lee, 2004). Marie obtint de se faire embaucher par ce nouveau département pour y développer l’investissement en ABS, mais le département Fixed Income réussit à garder la responsabilité partagée du fonds qu’elle gérait déjà, ce qui impliquait de distribuer la commission de gestion entre les deux départements. Tous les projets suivants ont été développés dans le département Structuré, ce qui permit à Marie de constituer une équipe de sept personnes, dont une seule était encore embauchée par le Fixed Income, François, un gérant de quarante ans, qui remplaçait Pierre. François, proche de la quarantaine et ancien gérant de fonds investis en obligations, était ostensiblement marginalisé dans l’organisation. Alors que les actifs sous gestion de l’équipe étaient montés à 5 milliards, il n’avait à charge que le fond initial de 350 millions d’euros, c’est-à-dire la moitié des 700 millions gérés par Bastien qui, à 29 ans, avait cinq ans d’expérience dans l’industrie.

13 Comme Marie, les gérants s’affirment, dans les procédures et dans les rapports de travail, comme incarnant une instance de décision indépendante et individuelle, capable de prendre la décision de l’investissement. Cependant, les procédures qu’ils appliquent montrent que cette décision n’est pas un acte unique, mais qu’elle correspond à un assemblage de logiques standardisées. On peut repérer au moins deux logiques contradictoires à l’œuvre. D’une part, comme dans la plupart des fonds d’investissement, l’équipe ABS appliquait une approche dérivée de la Théorie moderne du portefeuille qui valut à son auteur, Henri Markovitz, le prix Nobel d’économie [7]. Selon cette approche, il faut considérer que les marchés financiers sont efficients, dans le sens où les prix y reflètent toute l’information disponible sur les actifs et sont donc représentatifs de leur « vraie valeur » (Muniesa, 2007 ; Ortiz, 2013). Dans ce cas, on considère qu’un investisseur isolé ne peut « battre le marché » en produisant une analyse individuelle qui contienne une meilleure évaluation. Il faut alors acheter « tout le marché » et le garder en portefeuille, pour diversifier au maximum les risques inhérents à chaque titre. L’application des probabilités aux variations des revenus des actifs permet de dire, par construction, que le risque [8] de l’ensemble est plus faible que celui d’un actif isolé, une idée à la base de l’utilisation d’indices boursiers depuis la fin du XIXe siècle (De Goede, 2005 ; MacKenzie, 2006 ; Preda, 2009). L’équipe ABS mobilisait ce raisonnement en diversifiant l’investissement par l’achat de fractions de la quasi-totalité des titres émis et notés par les agences de notation. Ceci impliquait de considérer que le marché était efficient.

14 Mais d’autre part, Juliette et ses collègues effectuaient quand-même une analyse fondamentale, et considéraient leurs décisions comme un choix basé sur leur évaluation personnelle. Dans les procédures suivies par les gérants, ceux-ci considéraient ainsi en même temps que le marché était efficient, mais qu’ils pouvaient le « battre » par leur évaluation personnelle.

15 Les conflits entre employés, équipes et départements s’articulaient à travers cette tension présente dans les procédures ainsi que dans la théorie elle-même. En effet, cette dernière considère qu’il faut l’évaluation individuelle pour que le marché intègre l’information dans le prix, mais que cette évaluation devient superflue une fois l’efficience atteinte. Une réorientation de la stratégie, au sein de l’équipe, allait donner l’occasion de voir comment les praticiens traitaient cette tension. En 2004, les revenus des ABS les mieux notés par les agences de notation commençaient à baisser, et devenaient insuffisants pour payer à la fois les clients et l’équipe ABS. La solution, selon tous les membres de l’équipe, était d’acheter des titres avec des notes plus faibles, plus risqués et payant des intérêts plus élevés. Ces titres étaient plus volatiles, le risque de défaut étant plus grand. Plutôt qu’acheter « tout le marché » et le garder, il faudrait acheter les titres et les revendre lorsqu’il y aurait un danger. Ceci permettrait aussi de chercher à gagner de l’argent en achetant à bas prix et en vendant plus cher. Cette stratégie, dite spéculative, impliquait qu’on considère que le marché n’était pas efficient, et que le prix ne reflèterait pas uniquement l’information sur les fondamentaux, indiquant la valeur à long terme, mais aussi les opinions des participants à court terme.

16 Marie et Juliette n’avaient pas le même avis sur ce changement, qu’elles jugeaient toutes les deux inévitable. Ainsi, Marie me disait en entretien : « Je commence à accepter que ça a de la valeur de faire du trading, d’acheter et de vendre, de jouer sur des décrochages, même si on se fiche des fondamentaux. Tout le truc que j’ai toujours euh... jamais compris quoi ! Comment on peut faire, acheter et vendre dans la même journée [...]. Tout ce truc-là, je commence à voir que ça a du sens dans un autre type de stratégie et que... il ne faut pas se le couper. Mais je reste quand-même fondamentalement attachée aux croyances de crédit [9]. Nous on gère des fonds pour du Fixed Income. Est-ce que quand on gère des fonds pour des compagnies d’assurance, on peut pas aller faire du Spiel[10] ! Mais là aussi, j’évolue pas mal, dans mes sources de valeur. Je pense que ces mecs-là apportent de la valeur ! Même si je trouve que c’est de la valeur surfaite, c’est de la valeur... et donc il faut que j’arrive à intégrer ce type de fonctionnement dans l’équipe. »

17 Pour Juliette, au contraire, le trading, basé selon elle sur une incertitude par rapport à ce qui justifie le prix, restait acceptable, et même intéressant tant qu’il était cadré par l’expertise développée par l’équipe jusque-là : « Je pense qu’à partir du moment où t’as la vue fondamentale, qui pour moi sur ce marché est la vue crédit, rien ne t’empêche de faire du trading. Le trading c’est juste technique, hein. C’est juste à un moment donné prendre les bonnes positions, mais c’est... ce que je pense, le plus important c’est, tu restes dans un cadre où t’es confortable dans le crédit. Parce qu’après le trading c’est quoi, c’est juste avoir une vue sur le prix, et la vue sur le prix tu l’as à quoi, tu l’as à trois mois, à six mois, mais tu ne l’a pas à plus longtemps. Personne est capable de savoir quel est le spread[11] d’un ABS à six mois [...]. Moi, [c’est] un des projets qui m’intéressent beaucoup, [...] Moi je me suis positionnée déjà dessus, donc Marie le sait [...] je serai sans doute en première ligne là-dessus. » La différence entre les gérantes s’articulait autour du type d’investisseur porté par chaque employée, et concernait le rapport entre l’efficience des marchés, l’évaluation fondamentale et l’évaluation spéculative. Ainsi, Juliette cherchait à s’affirmer comme investisseur porteur de la décision d’investissement en reconduisant la cohabitation contradictoire entre l’importance de la personnalité et l’efficience des marchés, et en y ajoutant une nouvelle contradiction, entre un investisseur spéculateur à court terme et un investisseur à long terme basé sur l’évaluation fondamentale. Marie, par contre, avait du mal à concilier cette dernière tension.

18 Ainsi, les employés font sens de l’investissement comme l’acte d’une instance individuelle et indépendante, l’investisseur, qui serait incarné par le gérant de fonds, censé prendre des décisions personnelles basées sur des croyances fortes. Cette instance n’existe que dans le rapport de représentation des intérêts des clients, définie de manière stricte comme l’application de procédures standardisées, qui font que la décision est un acte constitué de logiques multiples et contradictoires. Par ailleurs, comme nous le verrons, cet investisseur n’a d’efficacité comme instance de décision que parce qu’il est distribué au sein de l’entreprise.

LA DÉCISION D’INVESTIR DISSÉMINÉE AU SEIN DE L’ENTREPRISE DE GESTION

19 Peu après mes observations, Juliette remplaça Marie, qui partit travailler dans une agence de notation, continuant ainsi à appliquer son expertise dans l’analyse des fondamentaux. Les autres employés de l’équipe, en position hiérarchique inférieure, n’avaient comme choix que de suivre la nouvelle orientation de leurs supérieures ou partir. Dans l’équipe ABS, la capacité d’agir comme investisseur était ainsi distribuée de manière hiérarchique. Par ailleurs, les décisions de Juliette, en déterminant une stratégie d’investissement ou en achetant des actifs, n’étaient en fait possibles qu’au sein d’une hiérarchie plus large, qui impliquait toute l’entreprise. La gérante, comme ses collègues experts dans d’autres actifs, n’était un investisseur qu’en vertu d’un contrat de travail avec Acme, l’entreprise étant elle même censée réaliser cette figure dans les contrats qui la liaient à ses clients. Acme se constituait comme investisseur de manières multiples et contradictoires, et la décision d’investir y était disséminée selon des règles, explicites et implicites, propres aux rapports hiérarchiques, de concurrence et de complémentarité, au sein de l’entreprise.

20 Comme l’a étudié Olivier Godechot (2001) pour un bureau de traders, Acme offrait des services très différents, avec des méthodes parfois contradictoires entre elles. Pour les plus grands clients, avec qui Acme avait des relations depuis de longues années, l’entreprise proposait une approche globale, s’inspirant de la Théorie moderne du portefeuille, et visant à diversifier l’investissement dans tous les actifs du monde entier, considéré alors comme un seul marché efficient. Une équipe de mathématiciens était embauchée dans le département de l’Allocation, pour produire des données statistiques sur les actifs et établir une stratégie d’investissement qui minimise la volatilité par rapport au profit. Comme ailleurs pour ce type d’entreprise, deux tiers des investissements étaient distribués à parts égales entre actions et obligations des pays riches, le reste étant investi en d’autres produits considérés comme secondaires. Pour les clients délégant des montants d’argent plus faibles l’entreprise pouvait proposer des investissements ciblés dans certains actifs ou régions du monde, par exemple des actions d’entreprises cotées en Europe, ou des obligations de pays dits émergents. Par ailleurs, pour un même actif, Acme pouvait proposer des approches avec des présuppositions différentes sur l’efficience des marchés. Dans le département Structuré, l’équipe ABS, dont l’investissement était jusque-là basé sur la présupposition de marchés plutôt efficients, côtoyait des approches qui la contredisaient. D’une part, des gérants de hedge funds qui récusaient l’hypothèse de l’efficience, et spéculaient à court terme pour « battre le marché ». D’autre part, une équipe qui assumait cette hypothèse de manière radicale, en construisant des logiciels qui permettaient de répliquer les indices de référence, sans même faire appel à un gérant de fonds, dont la décision personnelle était alors considérée totalement superflue.

ORGANISATION DE LA GESTION DE FONDS À ACME

ENCADRÉ 2
L’entreprise gérait autour de 300 milliards d’euros, distribués entre départements définis par le type d’actif dans lequel les fonds étaient investis. Le département Equity (actions cotées) et le département Fixed Income (obligations) avaient à charge d’investir chacun près d’un tiers du montant global. Par exemple, l’équipe des grandes capitalisations européennes, au sein du département Equity, gérait ainsi 11 milliards d’euros. D’autres départements, comme le département Structuré, avaient des montants sous gestion plus faibles. Cette distinction, classique dans l’industrie financière, se basait sur l’idée que le monde étant lui-même un marché financier efficient et unifié, il fallait diversifier l’investissement dans tous les actifs disponibles, dont les actions et les obligations des pays riches composent la partie la plus importante. La distribution des fonds selon les départements et les équipes était essentiellement décidée au sein d’un département dédié, le département de l’Allocation. Une équipe de mathématiciens y effectuait des calculs sur les revenus passés de chaque actif, pour leur adjuger une proportion dans le portefeuille global. Ce dernier était le résultat de ces données et de négociations multiples entre départements et équipes. Ainsi, le département de l’Allocation avait un rôle stratégique central dans le rapport entre employés au sein de l’entreprise, et dans la distribution de fonds qu’elle effectuait dans le monde entier.

21 L’entreprise n’était donc pas le même investisseur dans chacun des contrats, même si le rapport de délégation qu’ils contenaient se basait toujours, en suivant la réglementation, sur l’expertise standardisée et reconnue des employés chargés de le mettre en œuvre. Cette diversité, typique des grandes entreprises de gestion de fonds en France et ailleurs, articulait les conflits entre employés, équipes et départements autour de l’accès aux fonds à gérer, et donc des commissions, des bonus et du prestige qui les accompagnaient. Ceci concernait les rapports hiérarchiques, mais aussi les tensions entre employés et équipes d’un même niveau.

22 Un ancien employé de l’équipe de mathématiciens du département de l’Allocation m’expliquait ainsi qu’il subissait de pressions constantes de chefs d’équipe et de département pour que les résultats de ses calculs donnent une place plus importante, dans la stratégie de diversification proposée aux clients, aux actifs qu’ils avaient sous gestion. L’équipe ABS avait été marginalisée dans cette lutte, le département du Fixed Income ayant réussi à imposer l’argument selon lequel la temporalité des paiements des revenus des ABS faisait qu’ils ne pouvaient pas entrer, dans la diversification globale, comme un produit à taux d’intérêt au même titre que les obligations. Ils restaient ainsi en dehors du marché efficient, et ne pouvaient être proposés que comme un produit de niche, donc à un nombre de clients plus faible. Cette argumentation allait perdre une partie de son poids à la faveur d’un changement des rapports de force entre différents départements et groupes d’employés au sein de l’entreprise.

23 À la fin de mes observations, Fernand, qui dirigeait à la fois le département de l’Allocation et le département Equity, fut remplacé par Nicole, la directrice du département Structuré. Avant le changement, et sans que je sache ce qu’il allait advenir, elle m’avait décrit en entretien un conflit avec lui qui avait commencé à la fin des années 1990. À cette époque, le département de l’Allocation, déjà dirigé par Fernand, n’acceptait pas la proposition de Nicole d’inclure les produits dérivés dans l’offre globale aux clients. Formée en mathématiques et ayant fait toute sa carrière avec ces produits, Nicole se tourna vers la direction de l’entreprise, avec qui elle avait des rapports de travail depuis longtemps, et obtint de développer ces produits dans un département dédié. Comme le premier fonds investi en ABS co-géré par Marie, ceci correspondait à une pratique courante dans l’industrie, consistant à tester des produits nouveaux en leur allouant des montants initialement faibles.

24 Composé de vingt personnes, avec cinq milliards d’euros sous gestion et des revenus annuels de 13 millions en 2001, le département Structuré était passé, en trois ans, à 60 personnes gérant 30 milliards d’euros avec 80 millions de revenus par an. Il était devenu la source de revenus avec le taux de croissance le plus élevé de l’entreprise, à la faveur de l’utilisation de plus en plus étendue de ces produits dans l’industrie financière à l’époque. Ceci était considéré comme la preuve de l’erreur de stratégie des équipes dont Fernand apparaissait comme le porte parole en tant que directeur de l’Allocation. Nicole m’expliqua qu’elle avait songé à filialiser le département, ce qui aurait pu se traduire par son rachat, ou son départ en masse vers un concurrent proposant de meilleurs salaires et bonus (Godechot, 2007). Cette possibilité avait pesé dans le rapport de forces au sein de l’entreprise, ce qu’elle exprimait en disant qu’elle avait refusé de le faire car on lui avait fait comprendre qu’on la considérait comme une ressource, c’est-à-dire que l’entreprise préférait donner plus de place aux activités sous sa direction plutôt que de les voir partir. Son nouveau rôle comme directrice de l’Allocation impliquait une transformation des rapports de force entre différents employés ou groupes d’employés, qui s’articulait en grande partie autour des profits qui pouvaient être obtenus selon les actifs et selon les méthodes d’évaluation et d’investissement.

25 Nicole annonça son nouveau poste dans une réunion intitulée « Révision des activités » à laquelle étaient conviés tous les employés. J’étais le seul de mon équipe, et un des rares employés du département Structuré, à y assister. La trentaine de personnes présentes, sur les presque mille que comptait l’entreprise dans ce site de La Défense, était surtout composée de quelques proches de Nicole et de chefs d’équipe actuels ou potentiels qui venaient montrer leur allégeance. Nicole expliqua que le département Structuré, « s’est développé énormément. On est à un point charnière. On aurait pu se séparer davantage : on a décidé que la culture quantitative et entrepreneuriale ne devait pas être séparée, mais au contraire diffusée dans Acme ». Ceci impliquerait une réorganisation des deux plus grands départements, le département Equity et celui du Fixed Income. Ses directeurs seraient remplacés, et certaines équipes seraient fusionnées ou disparaîtraient, alors que de nouvelles y seraient créées pour renforcer l’utilisation des produits dérivés. Le département Structuré serait dirigé par Jules, jusque-là le supérieur direct de Marie. Pour certains employés, cette transformation signifiait leur licenciement, pour d’autres il s’agissait d’une aubaine, alors que la majorité attendait, parfois avec angoisse, de voir l’effet que ça aurait sur la distribution des fonds sous gestion.

26 Les annonces de Nicole n’allaient pourtant pas impliquer un changement radical de l’offre globale d’Acme. Les contrats passés avec les clients n’allaient pas changer du jour au lendemain, ce qui signifiait une certaine continuité dans les activités. Par contre, les contrats futurs pourraient refléter ce nouveau rapport de forces, mais, de la même manière que le département Structuré s’était développé contre les départements Equity et Fixed Income, sa nouvelle directrice de l’Allocation et les équipes qui en étaient proches allaient devoir composer avec les différents groupes qui conformaient l’entreprise.

27 Le succès de carrière personnelle de Nicole se devait officiellement à celui de son département. La plupart des employés s’attendaient de ce fait à un renforcement des positions de ses anciens subordonnés dans l’allocation des fonds. Quelques jours après la prise de pouvoir de Nicole, Juliette me disait : « Pour nous, j’espère, ça devrait être positif, ça devrait faire passer des idées, de dire que au lieu d’avoir 3 % d’ABS dans le portefeuille, peut-être que l’allocation optimale, il faudrait le travailler, mais nous on a fait nos petits calculs sur notre coin de table, on était arrivés à peu près à 15-20 % ». La multiplication par cinq ou six des fonds gérés par l’équipe, jusqu’à constituer un cinquième de l’investissement total d’Acme, paraissait à l’époque comme plutôt démesurée, et elle l’était par rapport à ce que fut l’évolution ultérieure. Mais l’enjeu était pour l’équipe de profiter de la nouvelle situation pour faire monter les enchères.

28 Entre 2004 et 2007, l’équipe ABS investit 2 milliards d’euros supplémentaires en ABS, en partie avec des notations plus faibles, et accompagnés d’investissements en CDS [12]. Cependant, au sein de la nouvelle équipe de Nicole dans l’Allocation, certains employés étaient de fait ouvertement réticents à donner plus de place aux dérivés de crédit. Finalement, les fonds sous gestion de l’équipe ABS ont arrêté de croître lorsque les dérivés de crédit ont commencé a être fortement affectés par la vague de défauts de paiement commencée en 2006. Entre 2007 et 2009, les investissements de l’équipe ABS se traduisirent par une perte de plus de 2 milliards d’euros. Rompant avec le principe de simple représentation des intérêts de ses clients, Acme prit les pertes dans son propre bilan, au lieu de les reporter aux propriétaires légaux de l’argent. Ceci lui permit de renforcer ses rapports commerciaux avec eux, et de continuer à s’affirmer comme un des grands acteurs de l’industrie financière globale.

29 La décision de l’équipe ABS, et de Juliette à sa tête, d’investir dans des dérivés de crédit moins bien notés, présentée comme un acte personnel de la gérante, était donc aussi le résultat d’une décision à la tête d’Acme, au sein du département de l’Allocation, et du nouveau directeur du département Structuré, consistant à proposer davantage ces produits aux clients traditionnels d’Acme. En même temps, la victoire de Nicole dans sa trajectoire de carrière n’aurait pas été possible sans les succès commerciaux des équipes de son département, comme l’équipe ABS. En entretien, Nicole affirmait avoir la compétence suffisante pour comprendre les tâches de ses équipes, mais sans avoir leur expertise pour les réaliser elle-même. Dans l’organisation hiérarchique des décisions d’investissement, chaque échelon (employés, équipes, départements), pouvait affirmer une part irremplaçable d’expertise. Et c’est la direction d’Acme, et non pas l’équipe ABS, qui décida de porter la perte dans le bilan de l’entreprise, assumant ainsi ouvertement le fait que les décisions personnelles de ses gérants étaient aussi les siennes, et pas tout à fait celles de ses clients.

30 La décision d’investir, par exemple en ABS faiblement notés, n’est pas le résultat du simple choix des détenteurs légaux de l’argent, dont le différentiel d’expertise implique, du point de vue réglementaire, qu’ils ne peuvent prendre seuls ces décisions. Par ailleurs, elle n’est pas le résultat du choix d’un investisseur qui serait unifié au niveau de l’entreprise elle-même, puisque celle-ci propose différentes approches, parfois contradictoires, à chacun de ses clients. Présentée par les gérantes de l’équipe ABS comme le fait de leur choix personnel, la nouvelle orientation de l’investissement, et donc l’achat de chaque titre selon les nouvelles règles, est plutôt le résultat d’une multitude de décisions portées dans des trajectoires de carrière basées sur l’application de procédures standardisées. Cette multiplicité est certes organisée de manière hiérarchique, mais ceci n’implique pas qu’elle suive une ligne de commandement unique. Au contraire, les différentes instances hiérarchiques sont interdépendantes, et elles sont le produit d’interactions souvent conflictuelles entre personnes, équipes et départements. La décision est l’effet de ces règles organisationnelles explicites et implicites qui, comme le montre le cas étudié ici, se transforment dans le temps.

31 Si, en tant qu’acte individuel du gérant, la décision d’investir est en partie contradictoire et multiple, du fait des procédures que les employés doivent suivre dans leur parcours de carrière, elle est par ailleurs le résultat des rapports hiérarchiques dans l’entreprise. Ces rapports sont eux-mêmes en partie dépendants des réseaux commerciaux dans lesquels s’inscrivent les employés. La possibilité que le département Structuré devienne indépendant d’Acme, qui a pesé dans l’ascension de ses employés, répondait non seulement aux logiques des rapports de force au sein de l’entreprise, mais aussi à l’importance croissante des produits dérivés dans l’industrie financière. La dissémination de la décision dans cet espace social suit des règles en partie différentes de celles au sein de l’entreprise.

LA DÉCISION D’INVESTIR COMME RÉSULTAT DES INTERACTIONS DANS UN RÉSEAU COMMERCIAL

32 À l’époque de mes observations, Juliette achetait des ABS pour remplir un contrat passé avec des clients l’année précédente. L’analyse de ce cas montre que les décisions d’achat qu’elle effectuait étaient en grande partie déterminées par les clauses qui avaient été imposées par les plus grands clients. Ce contrat reconduisait des standards établis depuis des décennies sur la diversification, dans les termes de la Théorie moderne du portefeuille, et des normes plus récentes, mais déjà standardisées, concernant la structuration des dérivés de crédit. Les échanges ne sont donc pas le fait d’investisseurs individuels et indépendants, composant un marché libre tel que le définit la théorie financière reprise par la réglementation, mais ils se constituent selon les règles d’un réseau commercial d’experts, lui-même dépendant des transformations au sein de l’industrie financière dont il n’est qu’un fragment. La décision d’investir en dérivés de crédit immobilier états-uniens, présentée comme le choix personnel de l’employé censé incarner un investisseur, était de fait disséminée selon les règles de cet espace social.

33 En 2004, Juliette était chargée d’investir 1,5 milliard de dollars en ABS produits aux États-unis. Les titres étaient achetés pour le compte de la GBB, une grande banque britannique, et pour des entreprises d’assurance françaises. Par ailleurs, comme dans de très nombreux cas à l’époque, AIG, la plus grande entreprise d’assurance du monde à ce moment-là [13], s’engageait à payer la valeur nominale des titres en cas de défaut de paiement, contre un faible revenu régulier. En achetant des dérivés de crédit américains, Acme permettait aux banques qui les émettaient d’effacer les prêts de leurs bilans, et donc d’en accorder davantage, favorisant ainsi la consommation et l’investissement, notamment dans l’immobilier, aux États-Unis. Les clients d’Acme percevaient en retour un intérêt, qui provenait des remboursements des dettes par les emprunteurs. Cet argent permettait aux entreprises d’assurance de payer leurs clients en cas d’incidents, et à la banque britannique d’effectuer des prêts au Royaume-Uni et dans le reste du monde. Chaque titre d’ABS était généralement basé sur une dizaine de milliers de prêts. Ainsi, à chaque achat, Juliette mettait en rapport des milliers de personnes et des dizaines d’entreprises. C’est au sein de ces dernières que se décidaient les règles de cette distribution des ressources à travers le globe.

34 Chaque ABS avait une valeur totale de près de 1,5 milliard de dollars. Le titre était divisé en tranches, notées par les agences de notation en fonction de la probabilité que les crédits sous-jacents fassent défaut. Plus la note était élevée, plus le revenu était faible. Juliette achetait des fractions de 10 millions de dollars des tranches les mieux notées de chaque titre. L’investissement était structuré lui-même comme un titre échangeable, sous le nom de CDO (Collateralized debt obligation). Le CDO, comme les ABS, était structuré en tranches évaluées par les agences de notation, avec le même rapport entre note, risque et revenu. Cette structuration était le fait d’une équipe dédiée au sein d’Acme, et qui travaillait en tandem avec l’équipe ABS, sous la direction de Jules. Les employés ne faisaient que reprendre des règles qui avaient commencé à être développées dans l’industrie financière à la fin des années 1990 (Poon, 2009 ; Tett, 2009).

35 Tout en insistant sur le fait qu’elle était responsable des décisions d’investissement, Juliette remarquait en entretien qu’elle était contrainte par des règles en grande partie imposées par ses clients, des institutions plus importantes qu’Acme dans le secteur des dérivés de crédit. Ceci concernait l’analyse même des ABS qui allaient être achetés, la structuration du CDO, la distribution des revenus selon les probabilités de défaut, et la diversification selon la Théorie moderne du portefeuille :

36

Moi : et donc le portefeuille modèle [14] c’est toi qui le faisais ?
Juliette : ouais ! ben j’avais une feuille de route, parce que [...] dans un CDO, l’avantage et le désavantage c’est que tu es contraint par la structure. Là c’était décidé avec A.I.G., [...] avec certaines règles de répartition par types d’actif, euh... d’exposition par nom [15], enfin tu vois, A.I.G. avait certains euh... [...] ils avaient leur truc, donc avec Jules et Marie on a essayé de départager tout, avec des amendements [...] on vérifiait les points importants avec Marie, mais l’un dans l’autre après ça tombe sous le sens, c’est de faire des expositions maximum de 2 % par nom, donc que ça soit de l’ABS ou autre chose, tu vois [...] Donc les règles se sont surtout discutées avec Jules au départ, ensuite se sont rajoutées certaines règles de fonctionnement d’un CDO du fait de la notation par les agences, donc t’as des règles à respecter [...] un certain niveau de spread, [...] enfin, t’as tout un cadre qui fait qu’après tu prends tous ces éléments-là et tu essaies de bâtir ton portefeuille modèle en fonction, ben, de l’offre du marché, de ta vue crédit et des spreads...
Moi : ça vous l’avez fait avec Rachel [16] ?
Juliette : non, moi je l’ai fait toute seule ! enfin, toute seule, après, euh... c’est vraiment des processus d’aller-retour, ça dure un mois, donc tu balances ton portefeuille et après ça se discute entre euh... Rachel, mais surtout GBB en fait, on a discuté du niveau des spreads, [...] moi j’avais des marchés que je ne connaissais pas très bien, tu vois, parce que j’avais pas fait beaucoup de US [...], donc ils m’ont donné un peu des idées.

37 Ainsi, lorsque Juliette achète un ABS, c’est parce qu’il correspond aux règles d’investissement établies dans ses interactions avec sa hiérarchie et une autre équipe dans Acme, mais aussi et surtout avec les acteurs apportant le plus de ressources monétaires et une expertise considérée supérieure, c’est-à-dire les deux plus grands clients et les agences de notation. L’approbation de ces dernières était de fait une condition nécessaire pour que le titre soit accepté pour les autres acteurs, du point de vue légal, et en tant que marqueur de sa valeur financière. Ces acteurs étaient reconnus par la gérante comme de meilleurs experts qu’elle dans la structuration et l’évaluation des dérivés de crédit, permettant de composer les règles de distribution de l’argent dans ces nouveaux produits avec la Théorie moderne du portefeuille, considérée à tel point une règle commune que, selon les mots de Juliette, elle tombe sous le sens. La décision d’acheter un ABS pour remplir le contrat de ce CDO est ainsi disséminée dans ce réseau de relations commerciales, selon des règles acceptées par tous les acteurs, et déterminées dans des rapports de force financiers, juridiques et symboliques.

38 À Acme, la capacité de l’équipe ABS et du département Structuré d’attirer de nouveaux clients a permis le changement à la tête du département de l’Allocation, que j’ai décrite plus haut. Dans d’autres entreprises, les transformations des règles internes par l’effet du réseau commercial des dérivés de crédit ont été plus fortes. Contrairement à l’équipe ABS, les départements liés aux dérivés de crédit dans des entreprises comme AIG ou dans de nombreuses grandes banques aux États-Unis et en Europe ont réussi à allouer des fonds dont la proportion était telle que, lorsque ces titres ont été affectés par les défauts de paiement des emprunteurs, les entreprises ont dû faire appel à l’État pour éviter la faillite. Ces cas, comme les transformations dans Acme, montrent le rapport complexe entre les deux règles de dissémination de la décision d’investir, dans l’entreprise et dans les réseaux commerciaux d’échange d’actifs. En même temps, ces processus doivent être compris comme faisant partie de transformations dans l’industrie financière et dans sa réglementation sur le plus long terme.

39 Comme nous l’avons vu, ces pratiques se situent dans une histoire intellectuelle de la définition des objets et des méthodes financières, dont le partage permet d’articuler les échanges. Elles sont aussi à la fois dépendantes et constitutives de changements dans la réglementation et la politique monétaire. L’histoire d’Acme et de l’équipe ABS est de fait intéressante en ce qu’elle n’est pas originale. Acme s’est constituée dans les années 1980 et 1990, à partir de fusions et acquisitions d’entreprises de gestion de fonds plus petites, selon un processus de concentration des entreprises financières soucieuses d’atteindre un poids minimum considéré nécessaire pour peser sur la scène globale. Ce processus s’est accompagné, notamment aux États-Unis, mais en aussi en Europe, en particulier au Royaume-Uni et en France, par une capacité d’attirer l’épargne des classes moyennes vers les produits financiers, en leur proposant une gestion basée sur l’expertise. La réglementation financière a accompagné et, par moments, impulsé ce développement, les gouvernements et les secteurs financiers étant soucieux de ne pas perdre l’occasion d’attirer et de disposer de ces capitaux. Au début des années 2000, la nouveauté des dérivés de crédit et le fait qu’ils étaient basés sur le marché immobilier américain, a permis aux agences de notation de les intégrer dans le groupe des actifs fiables (MacKenzie, 2011), réquisit nécessaire, étant donnée la réglementation, pour que les banques trouvent un profit à les produire et à les acheter (Sinclair, 2005).

40 La baisse des taux d’intérêt après la bulle Internet favorisa l’augmentation des prêts aux particuliers et donc la consommation et l’investissement dans l’immobilier aux États-Unis (Jorion, 2007). La titrisation de ces prêts par les banques correspondait à la réglementation bancaire, permettant ainsi légalement d’émettre davantage de prêts, et donc d’engranger plus de profits, sans contrevenir aux réquisits en termes de réserves obligatoires et de rapport entre dette et capital. À partir de 2004, une augmentation des taux d’intérêts décidée par la Federal Reserve visa à limiter ce mouvement. Le revenu des ABS étant déterminé comme un spread par rapport aux taux de base, l’augmentation de ces derniers rendait le premier proportionnellement plus faible. La hausse des taux et de la demande d’ABS eut comme effet une réduction du revenu des tranches les mieux notées d’ABS, considérés comme très fiables, et une augmentation de la demande pour les titres moins bien notés et pour les CDS. La création de l’équipe ABS est en partie arrivée trop tard dans ce processus, ce qui a finalement évité à Acme d’essuyer des pertes plus élevées à partir de 2007. En 2004, la décision d’employés comme Juliette, de ses collègues et supérieurs à Acme, et des participants au réseau de l’échange, s’inscrit dans les règles de la pratique établies au long de cette histoire.

41 Le cas du CDO géré par Juliette, et les orientations suivies par l’équipe ABS jusqu’en 2007, permettent de voir comment la décision d’acheter les titres, est disséminée non seulement selon les règles de l’entreprise dont la gérante est employée, mais aussi selon celles du réseau commercial d’experts dans lequel elle participe. Ce dernier, par ailleurs, est lui-même dépendant des évolutions de long terme dans l’industrie financière et dans sa réglementation. Coordonnée à travers ces règles, la distribution des ressources par l’industrie financière traverse les frontières des agences nationales de réglementation, et se donne le globe comme horizon d’investissement. C’est cependant comme l’effet de décisions d’investisseurs indépendants échangeant dans des arènes ouvertes, des marchés « libres », que cette distribution est censée être optimale et donc juste socialement.

CONCLUSION

42 Cette étude de cas permet de voir que la décision d’investir n’est pas le résultat d’un agent singulier et indépendant, qu’il s’agisse de l’investisseur détenteur de son argent, ou de celui qui agirait à sa place en représentant ses intérêts. Cet agent est défini de manière multiple et contradictoire selon des méthodes d’évaluation et d’investissement formalisées dans la théorie financière. Les décisions d’investir sont disséminées selon au moins deux ensembles de règles, explicites et implicites : celles des rapports hiérarchiques, de concurrence et de complémentarité, au sein des entreprises, et celles des réseaux commerciaux où les actifs sont échangés. Comme le montre le cas étudié, ces ensembles de règles sont interdépendants, et s’inscrivent à leur tour dans des transformations économiques et politiques.

43 Le hasard de l’enquête de terrain a permis d’étudier, par ailleurs, l’investissement dans des actifs financiers qui, quelques années plus tard, seraient considérés comme à l’origine de la plus grande crise financière depuis 1929. Dans les réponses réglementaires, cette crise a été définie essentiellement en reconduisant le discours à la fois descriptif et normatif formalisé dans la théorie financière. Y compris lorsque des banques ou AIG ont été nationalisées, les gouvernements se sont interdits de manière explicite d’influencer leurs méthodes d’allocation des ressources monétaires. Certaines réformes réglementaires ont été orientées pour éviter les « fraudes » qui auraient empêché la représentation des intérêts des clients, par exemple en réformant le système des bonus. D’autres réformes ont visé à renforcer les capacités cognitives de l’évaluation, considérant que les « marchés » n’ont pas été « efficients » du fait d’un manque d’information, qui aurait empêché les « investisseurs » de maximiser leurs bénéfices, condition pour une allocation sociale optimale. Les règles de la pratique mises en évidence ici invitent à remettre en cause les termes de cette analyse, et donc l’idée d’optimalité de la distribution du crédit par la finance de marché contemporaine.

Notes

  • [1]
    Par exemple au Japon (Amyx, 2004), en Chine (Zhu, 2009), au Brésil (Müller, 2006) ou en Inde (Reddy, 2009).
  • [2]
    Ce texte a énormément bénéficié des commentaires des lecteurs anonymes de la revue Sociétés Contemporaines et de Sabine Montagne, que je tiens à remercier ici. Je reste bien sûr responsable de toutes les erreurs qui pourraient s’y trouver. L’écriture a eu le soutien financier du European Research Council (ERC Starting Grant 263529).
  • [3]
    L’Autorité des marchés financiers a remplacé la notion d’« investisseur qualifié » par celle de « client professionnel », ce qui met en évidence que la définition des attributs de l’investisseur se fait à partir des pratiques de l’industrie financière. En dehors des critères de montant de fonds à investir (2 millions d’euros minimum), le « client professionnel » est défini par « l’occupation pendant au moins un an, dans le secteur financier, d’une position professionnelle exigeant une connaissance de l’investissement en instruments financiers ». Cf. http://www.amf-france.org/documents/general/10612_1.pdf Je remercie Pierre de Larminat pour m’avoir indiqué le premier ce changement.
  • [4]
    Les ABS (Asset-Backed Securities) sont des titres de dette produits par les banques, dont les intérêts proviennent des remboursements de prêts bancaires, dits sous-jacents au titre, et ne faisant plus partie du bilan de la banque. Ce procédé, dit de titrisation des prêts bancaires, permet à cette dernière de se libérer de contraintes réglementaires et d’accorder de nouveaux prêts.
  • [5]
    Investi en obligations émises par des entreprises.
  • [6]
    Stagiaire à la recherche, embauché par Marie, et qui deviendrait plus tard gérant dans l’équipe ABS.
  • [7]
    Les expertises des employés varient selon les actifs financiers, les méthodes d’investissement appliquées, et les contextes organisationnels. Cependant, la Théorie moderne du portefeuille reste une référence difficilement contournable dans l’ensemble de l’industrie financière, même si elle appliquée de différentes manières. Cette diversité ne peut être décrite ici, par manque de place, mais elle est néanmoins mise en évidence par la labilité et les transformations possibles de cette norme dans le cas particulier étudié.
  • [8]
    Défini comme la déviation standard ou « volatilité » des revenus, cf. (Pradier, 2006) pour une critique du concept.
  • [9]
    C’est-à-dire concernant les croyances sur les fondamentaux, constitués des crédits bancaire sous-jacents.
  • [10]
    « Jeu » en allemand, c’est-à-dire, dans ce contexte, une assimilation de la spéculation à la pratique de faire des paris, comme dans un casino.
  • [11]
    C’est-à-dire le taux d’intérêt que paie l’ABS, défini comme un différentiel, spread en anglais, par rapport au taux de base dans le marché interbancaire.
  • [12]
    Credit default swaps, des contrats d’assurance garantissant la valeur nominale du titre en cas de défaut, mais ayant la forme juridique d’un swap, c’est-à-dire de l’échange d’objets équivalents, ce qui leur permet d’être moins visibles pour les régulateurs et les autorités fiscales.
  • [13]
    Changer son nom pourrait créer de la confusion, tant cette entreprise était devenue centrale dans la plupart des contrats de l’époque, ce qui, en retour, fait que son évocation n’affecte pas l’anonymat des autres participants.
  • [14]
    C’est-à-dire les règles qui déterminent les pondérations de chaque type d’ABS dans l’ensemble de l’investissement.
  • [15]
    / C’est-à-dire par ABS.
  • [16]
    Chef de l’équipe chargée de la structuration.
Français

Ce texte se base sur une enquête de terrain auprès de gérants de fonds investissant l’argent de leurs clients en dérivés de crédit. L’analyse montre que les employés se présentent comme porteurs de la décision d’investir, en appliquant des procédures qui impliquent une figure théorique, multiple et contradictoire, de l’investisseur individuel. Cependant, leur décision est en fait le résultat des interactions en partie hiérarchiques au sein de leur entreprise, et suit les règles du réseau d’experts au sein duquel les dérivés de crédit sont produits et échangés. La décision n’est pas celle d’un « investisseur » individuel, mais elle est disséminée dans ces espaces sociaux.

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Horacio Ortiz
Centre de sociologie de l’innovation Mines ParisTech, CNRS UMR 7185
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Mis en ligne sur Cairn.info le 28/03/2014
https://doi.org/10.3917/soco.092.0035
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