CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Cet article porte sur le rapport aux institutions des familles confrontées au saturnisme. On montrera que la politique de lutte contre le saturnisme, au croisement de la politique sanitaire et de la politique du logement, suscite de fortes tensions dans son application. En effet, l'urgence sanitaire se heurte aux principes de justice que les acteurs mobilisent pour l'attribution des logements sociaux. D'où une situation paradoxale : les familles les plus enclines à entrer en conflit avec les institutions, qui sont également les moins conformes aux critères valorisés par les acteurs institutionnels mais ont souvent des enfants fortement intoxiqués, sont aussi celles que les institutions sont tenues d'aider le plus du fait de l'urgence sanitaire de leur cas.

2 Depuis la découverte des premiers cas d'intoxication en 1985 et malgré des avancées substantielles dans la prise en compte de la maladie, le traitement du saturnisme, pathologie directement liée à l'insalubrité, fait l'objet de fortes tensions (cf. encadré 1). En témoignent les procès opposant les familles et les institutions depuis le début des années 2000 où les premières accusent les pouvoirs publics de non assistance à personne en danger alors que les seconds assignent en justice les parents qui refusent les travaux palliatifs en revendiquant un logement social. Ces conflits sont liées à la pénurie de logements sociaux à Paris [1] qui rend impossible le relogement de toutes les personnes qui le nécessitent et implique une sélection telle que l'urgence sanitaire est devenue l'une des seules filières efficaces menant au parc public. Or, pour des familles aux faibles ressources, parfois nombreuses et souvent victimes de discriminations du fait de leur origine ethnique, le logement social est la seule façon d'accéder à un habitat correct dans une conjoncture marquée par l'envolée des loyers sur le marché privé : le tableau 1, établi à partir des données de l'AFVS [2] et des opérateurs médico-sociaux [3], montre en effet que l'immense majorité des familles concernées par l'intoxication est étrangère, que plus de 15 % est en situation irrégulière et que la moitié des familles comporte au moins trois enfants, ce qui rend l'accès au logement encore plus difficile vu le manque structurel de grands appartements dans la capitale.

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3 Malgré cette forte dépendance à l'égard du logement social, seules les personnes occupant les logements les plus dégradés et dont les enfants risquent par conséquent d'être les plus intoxiqués ont des chances d'être relogées en priorité. Or, celles-ci sont aussi les moins conformes aux principes que les acteurs institutionnels mobilisent pour l'attribution des logements sociaux selon la procédure « classique » (position sur la liste d'attente, détention d'un titre de séjour, d'un titre d'occupation du logement, etc.). En effet, elles sont généralement les plus éloignées de la légalité (squatteuses, sans-papiers), arrivées le plus récemment en France et donc les moins intégrées. Par ailleurs, dans un contexte où les canaux pour l'accès à un habitat décent sont étroits, la procédure de lutte contre le saturnisme suscite des stratégies dans le but de bénéficier d'un relogement. Certains parents refusent notamment les travaux palliatifs visant à éliminer le danger, considérant qu'ils ont plus de chances d'être relogés s'ils conservent le statut d'« urgence sanitaire » que s'ils se conforment aux attentes des institutions et perdent donc ce statut. Le relogement au titre du saturnisme ne revient-il donc pas à favoriser les plus récalcitrants aux mesures de protection et les moins légitimes aux yeux des acteurs institutionnels ?

4 Aussi, il s'agit dans cet article de se demander comment une politique, dont personne ne remet en cause la légitimité car elle vise un bien jugé supérieur comme la santé, suscite en fait de fortes tensions dans son application. On montrera que les oppositions proviennent essentiellement des paradoxes impliqués par la procédure de lutte contre le saturnisme elle-même. On s'interrogera notamment sur les contradictions liées à cette politique : ne pousse-t-elle pas les familles à enfreindre les directives institutionnelles en détournant en leur faveur la procédure d'attribution reposant sur l'urgence sanitaire et les acteurs institutionnels ne sont-ils pas obligés de sanctionner positivement les comportements les moins conformes à leurs recommandations ? Plus largement, l'exemple du saturnisme permet d'explorer les problèmes que posent les politiques fondées uniquement sur l'urgence qui s'inscrivent dans l'évolution décrite par Colette Bec d'un « État social » vers un « État des droits de l'homme », où la collectivité se donne pour obligation de mettre un terme aux situations les plus dégradantes, passant d'une vision globale à une optique réparatrice de plus en plus ciblée (Bec, 2007).

5 On pointera donc les conditions concrètes de prise en charge des dossiers pour mettre en évidence la façon dont s'effectue l'accès au logement social. L'analyse de la manière dont les acteurs institutionnels « jugent » les familles ainsi que celle des différents types d'attitude face aux institutions, permettra d'identifier les effets de l'individualisation des réponses, guidée par l'urgence sanitaire, sur les sentiments de justice et les comportements des différentes parties.

ENCADRÉ 1 : LE SATURNISME, DU REFUS DE PRISE EN COMPTE À LA MOBILISATION INSTITUTIONNELLE

Le risque d'intoxication d'un enfant est avant tout lié à la présence de peintures au plomb (fabriquées jusqu'en 1948 avec de la céruse toxique) qui deviennent accessibles quand le logement est dégradé. Les familles immigrées sont les premières concernées puisqu'elles occupent aujourd'hui les logements insalubres habités au siècle dernier par la classe ouvrière. Le bilan des trois premières années de dépistage révélait en effet que les enfants dont la famille est originaire d'Afrique sub-saharienne représentaient 85 % des enfants positifs (Fontaine, 1992).
Si les effets de cette pollution majeure de l'environnement domestique ont été découverts en 1985, la prise en compte du saturnisme par les institutions s'est tout d'abord heurtée à une résistance forte se traduisant par un processus de culpabilisation des victimes (notamment par la culturalisation et la psychiatrisation de la maladie) (Fassin, 2001 ; Naudé, 2000). Pour Didier Fassin, les réticences à mettre en place une politique de santé publique s'expliquaient par la peur de faire référence à un passé refoulé, celui des îlots insalubres, et par le fait que le saturnisme touche avant tout une population d'origine immigrée et donc à faible enjeu politique (Fassin, 2001).
Après d'âpres luttes menées par certains acteurs associatifs et sanitaires, la maladie a été inscrite dans la loi du 29 juillet 1998 d'orientation relative à la lutte contre les exclusions. Le deuxième plan départemental d'action pour le logement des défavorisés signé en 1994 prévoit un relogement prioritaire des familles résidant dans un immeuble interdit à l'habitation en raison du risque saturnin. Actuellement, la DDASS, dans les situations extrêmes, demande couramment le relogement pour raisons sanitaires.

ENCADRÉ 2 : PRÉSENTATION DE LA RECHERCHE

Pour mener à bien cette étude, dont l'essentiel du terrain a été réalisé à Paris au cours de l'année 2004, différentes méthodes ont été utilisées. Tout d'abord, cinq « biographies administratives » de familles ont été reconstituées en travaillant sur leurs dossiers administratifs : leur parcours et la succession des échanges noués avec les institutions ont été retracés puis, dans un deuxième temps, les familles mais aussi chaque intervenant du dossier ont été contactés afin de mener des entretiens semi-directifs. Ceci a permis de donner un éclairage multiple à des cas précis. Par ailleurs, des entretiens semi-directifs ont été conduits avec dix-neuf familles présentées soit par l'AFVS soit par les opérateurs médico-sociaux ainsi qu'avec dix-huit acteurs institutionnels et cinq militants associatifs. Les témoignages cités dans l'article sont issus de ces entretiens. Enfin, un travail d'observation participante au sein de l'AFVS puis dans le service en charge du logement à la mairie du IIIe arrondissement de Paris a été effectué, une position d'observateur distancié peu impliqué dans la gestion des dossiers ayant été adoptée dans les deux cas.

LES INSTITUTIONS FACE AUX FAMILLES CONFRONTÉES AU SATURNISME

LES ACTEURS EN PRÉSENCE : GÉRER LA PÉNURIE, ORGANISER LES PRIORITÉS

6 Différents acteurs exerçant des fonctions de nature différente sont engagés dans la lutte contre le saturnisme. On ne s'intéressera ici qu'à ceux qui sont aux prises directes avec les familles ou sont chargés de la mise en  uvre concrète de la procédure visant à soustraire les enfants au risque. De fait, les acteurs exerçant des fonctions politiques qui n'interviennent pas dans l'application de la loi sont écartés, ainsi que les médecins qui ont essentiellement un rôle de dépistage et de diagnostic. En amont, ces derniers établissent un premier classement des familles selon l'urgence sanitaire mais, s'ils doivent signaler toute découverte de cas de saturnisme à la DDASS [4] afin que la procédure soit enclenchée, ils n'interviennent pas ensuite durant le déroulement de la procédure si ce n'est en répétant les plombémies [5]. Surtout, ils ne sont pas impliqués dans les arbitrages liés à la gestion des dossiers.

7 Ce sont donc les acteurs administratifs (DDASS [6], DULE [7]) qui nous intéressent ici car ils sont les garants de la procédure. Quand un cas d'intoxication ou d'accessibilité au plomb est dépisté, ils doivent s'assurer que les enfants sont soustraits au risque grâce aux travaux palliatifs (dont le propriétaire du logement a la charge) ou, dans les cas d'extrême gravité ou d'inutilité des travaux, grâce au relogement des familles [8]. Dans ce cadre, il faut aussi tenir compte de la présence d'un autre acteur : les opérateurs médico-sociaux qui sont chargés par la DULE de l'accompagnement des familles (délivrance de conseils sanitaires, aide pour l'organisation des travaux palliatifs, pour les éventuelles démarches administratives...).

8 Il est particulièrement intéressant de se pencher sur ces acteurs impliqués dans la gestion des dossiers car ce sont eux qui effectuent les arbitrages. De fait, en raison de la pénurie de logements sociaux et malgré la pression des associations, il leur est impossible de reloger toutes les familles dont les enfants sont atteints de saturnisme. Une assistante sociale de la DDASS témoigne de cette contrainte : « Pour les associations, il aurait fallu reloger tout le monde dans les six mois. Mais, c'est impossible à Paris. Il fallait répondre à l'urgence et faire avec ce qu'on a. Notre travail consiste à s'organiser avec les moyens existant. » Le chef de la mission saturnisme à la DULE explique également qu'il lui faut sans arrêt prioriser entre les familles atteintes de saturnisme mais aussi entre les différentes causes d'urgence. La politique de lutte contre le saturnisme présente donc à la fois les aspects de l'intervention bureaucratique et de l'intervention individualiste, la première correspondant à une situation où l'intervenant social ne fait qu'appliquer scrupuleusement ce que la législation préconise alors que la seconde est fondée sur l'interprétation des cas individuels (Paugam, 2002). D'un côté, la situation de la famille est traitée de manière impersonnelle (on prend en compte de manière objective l'intoxication de l'enfant [9] et les conditions de logement de la famille), de l'autre, les acteurs administratifs sont amenés à « juger » la famille. Il faut donc se pencher sur la façon dont les acteurs institutionnels exercent cette activité critique.

LA MÉFIANCE DES ACTEURS

9 La création d'un devoir d'assistance aux familles victimes du saturnisme se heurte à la nécessité de prioriser les cas et engendre une certaine suspicion de la part des acteurs. Ceux-ci sont tiraillés entre le devoir de protection et la volonté de limiter les relogements ou, du moins, la peur de ne pas les attribuer aux « bonnes » personnes : ils craignent que les familles abusent du devoir d'assistance qui leur est dû, qu'elles utilisent la maladie comme un « passe-droit » pour le relogement ou pour l'obtention de papiers quand les parents sont en situation irrégulière [10]. Ils redoutent toujours que la procédure soit « détournée » de son but originel, c'est-à-dire celui de la simple sauvegarde de la santé de l'enfant, pour laquelle les travaux palliatifs sont sensés être la solution préférentielle [11]. La méfiance se porte sur différents points : la véracité de la maladie, l'instrumentalisation de celle-ci, voire l'intoxication volontaire des enfants pour accéder à des droits. Les acteurs relatent de nombreuses expériences reflétant cette crainte. Une personne de la DLH [12] affirme : « Je me souviens, l'inspecteur est allé dans le logement. Il y avait la mère et beaucoup d'enfants. Et puis, je ne sais plus pour quelle raison, il a dû y retourner plus tard à l'improviste. Et bien, il n'y avait plus aucun enfant, que des hommes ! Là j'me suis dit, ça sent l'entourloupe pour être relogé ! [...] Les familles en abusent de temps en temps. Parfois, c'est des demandes de relogement déguisées. Parfois, il y a même pas de plomb dans l'immeuble. » Du point de vue des acteurs, le parent de malade est donc susceptible de simulations stratégiques. Ils craignent en outre que le fait que la maladie favorise le relogement suscite des candidatures intéressées qui risquent alors de se multiplier. Comme le remarque un membre de l'AFVS, on peut résumer cette crainte par l'interrogation : « Combien y en a-t-il derrière ? » On retrouve ici l'obsession observée par Jacques Donzelot qui implique la nécessité d'offrir aux assistés une situation moins favorable qu'à ceux qui ne dépendent pas de cette aide pour ne pas inciter ces derniers à devenir à leur tour solliciteurs (Donzelot, 1977).

10 Dans ce contexte, les acteurs sont réticents à mettre en avant l'argument sanitaire dans les dossiers de relogement, ce qui explique que l'on dispose de peu de chiffres sur le nombre de personnes réellement relogées à ce titre. Pour faire face à une demande croissante, en contexte de pénurie, il leur apparaît préférable de continuer d'affirmer que les travaux sont le moyen privilégié pour remédier au risque.

11 La suspicion marque donc la relation qu'entretiennent les acteurs institutionnels avec les familles. D'une manière générale, face à l'impératif de prioriser les cas, ils sont amenés à se demander qui est le plus légitime à être relogé et élaborent une classification des plus « dignes » qui n'est d'ailleurs pas sans rappeler celle effectuée dans les commissions d'attribution du RMI à partir de ce qu'Isabelle Astier appelle une « pragmatique du jugement » (Astier, 1997). Ici, il semble bien que les acteurs institutionnels se livrent à une « magistrature sociale », pour reprendre l'expression de Weller, cette notion témoignant d'une nouvelle manière d'intervenir auprès des usagers, l'individualisation des traitements remplaçant la logique automatique et impersonnelle du guichet (Weller, 2000). Il reste à étudier plus précisément les critères sur lesquels reposent les classifications discriminatoires des acteurs.

LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DU CADRE MORAL

12 Abram de Swaan dégage trois critères primordiaux dans les classifications de la pauvreté ­ l'incapacité, la proximité et la docilité ­ qui forment des axes sur lesquels les pauvres peuvent être positionnés (De Swaan, 1995). Dans cette perspective, une typologie a été construite à partir des critères de référence adoptés par les acteurs institutionnels pour « juger » les familles. Ces critères sont des catégories implicites sur lesquelles se fonde leur activité critique face à leur travail. Il ne s'agit en aucun cas de catégories administratives officielles, même si certains recoupements apparaissent (notamment pour la dimension du respect de la loi). Les axes ainsi mis en évidence forment un « cadre moral » dans lequel il est possible de situer les familles.

13 Une première dimension dirigeant l'appréciation des acteurs réside dans le respect de la loi par les familles. Celui qui enfreint la loi (squatteur, sans-papiers) perd sa légitimité à revendiquer autant de droits que les autres parents d'enfants atteints de saturnisme. En effet, pour les acteurs, reloger des personnes en situation illégale est d'une certaine manière une incitation à la transgression de la loi. Ces dernières doivent alors conserver une place inférieure dans la hiérarchie des demandeurs de droits. Pour le chef de la mission saturnisme de la DULE, le fait de squatter ou de se mettre hors la loi ne doit pas être une entrée prioritaire pour être relogé. Parlant d'une famille de squatteurs sans-papiers dont le fils a été très gravement intoxiqué, s'il reconnaît la nécessité du relogement d'urgence, il ajoute aussitôt : « Mais il a bouffé une place pour quelque chose d'aussi urgent ! D'autant plus qu'il avait un arrêté de reconduite à la frontière. »

14 Les acteurs classent donc en premier les individus sur un axe matérialisant le respect de la loi : ceux qui se situent dans la partie de l'axe correspondant à l'attitude « rebelle » sont considérés comme moins légitimes que les « respectueux de la loi ». Une deuxième dimension du cadre moral est fondée sur l'« ancienneté ». Les acteurs institutionnels se réfèrent à la procédure « classique » pour l'attribution des logements sociaux qui repose sur le principe de la liste d'attente. À leurs yeux, ce principe est d'autant plus juste, qu'il ne tolère aucune manipulation par les familles. Aussi, la pratique la plus dépréciée est sans doute la stratégie qui consiste à vouloir passer devant les autres en utilisant la maladie pour l'obtention d'un relogement ou de papiers. Sont particulièrement stigmatisées les familles qui tentent de détourner la procédure à ces fins, comme cette mère d'un enfant faiblement intoxiqué qui a refusé catégoriquement tous travaux visant à éliminer le risque en exigeant d'être relogée. Une personne de la DLH remarque à ce sujet : « Le problème, c'est que dans certains cas, le saturnisme était beaucoup plus une demande de logement qu'une demande de résoudre la maladie. Ça m'a amené à relativiser le saturnisme. [...] Y'en a beaucoup qui refusent les travaux. Ils veulent un logement, pas des travaux. »

15 À l'inverse, la discrétion et la persévérance sont fortement valorisées. Dans cette optique, les familles se tournant vers des associations militantes comme le DAL [13] ou l'AFVS sont souvent peu appréciées car elles sont perçues comme manipulant les règles légales par un « investissement dans le plomb », c'est à dire une tentative d'utilisation abusive de la maladie [14]. D'une manière générale, ceux qui tentent de « se faire remarquer », d'exercer des pressions et donc de bouleverser l'ordre légitime des demandeurs de logement sont considérés très négativement. « Être un “bon marginal” ce serait aussi savoir se taire, savoir rester à sa place de “marginal”. Il faut se soumettre aux normes dominantes sans revendiquer les mêmes droits que les “établis”. » (Coutant, 2000). Ce type d'appréciation renvoie à une manière de considérer la hiérarchie entre les demandeurs de logement dans une « logique de statut » [15]. Constante est la peur qu'un droit concédé de manière dérogatoire puisse remettre en cause la cohérence, voire la justice de l'ensemble du système. Concernant le saturnisme, il faut s'assurer que les droits acquis par le biais de la maladie ne favorisent pas une situation aussi bonne que celle de ceux qui la méritent « vraiment » par ailleurs. En d'autres termes, l'axe de l'ancienneté de la demande vise à préserver l'ordre social.

16 La référence à l'intégration est également très prégnante dans le discours des acteurs pour l'appréciation des familles. La coupure entre le « bon » et le « mauvais » pauvre se décline aujourd'hui par les termes « insérables » et « non insérables » (Damon, 1995). Le saturnisme touchant en majeure partie des familles issues de l'immigration, cette opposition renvoie à la capacité d'intégration de l'immigré dans la société d'accueil. Ainsi, les acteurs évaluent principalement le plus ou moins grand décalage des familles par rapport au mode de vie français ainsi que la conservation ou l'abandon de « coutumes » du pays d'origine, ces critères permettant de les situer sur un axe dont les deux extrémités correspondent aux pôles « non adapté » et « totalement adapté ». Le « bon parent immigré » est celui qui fait des efforts pour s'intégrer, qui parle la langue, veut travailler, etc., comme le montre le commentaire d'une assistante sociale parlant du père d'un enfant intoxiqué : « Il ne demandait qu'à travailler et à s'intégrer. Il était pas polygame. La polygamie est une coutume qui voyage mal. C'est pas conçu pour, ici. Il avait un mode de vie très européen.» Bien sur, les familles les plus « adaptées » socialement sont celles qui sont jugées les plus légitimes à recevoir des droits.

17 Enfin, la dernière dimension du cadre moral concerne la responsabilité parentale, aspect sans cesse questionné par les acteurs institutionnels et généralement évalué à travers le type d'éducation prodigué : le laxisme est notamment assimilé à une forme d'inattention à ses enfants qui peut aller, dans l'esprit de beaucoup, jusqu'à favoriser l'intoxication. L'attitude des familles face aux mesures de précaution est également prise en considération. Les opérateurs médico-sociaux et les acteurs sanitaires délivrent en effet des conseils préventifs qui consistent la plupart du temps en de simples mesures d'hygiène (passer la serpillière par terre, laver les mains des enfants, mettre du piment sur les zones de grattage sur les murs, etc.) mais peuvent parfois impliquer de menus travaux (recouvrir un pan de mur avec du lino, repeindre une zone dégradée, etc.). Les familles se montrent plus ou moins réceptives à ces mesures et les mettent en  uvre avec un zèle variable. De cette motivation dépend beaucoup l'appréciation des acteurs. Cette personne de la DLH note la mauvaise volonté de certains parents : « J'ai vu un cas où il y avait que quelques carreaux à changer. Il a refusé de le faire parce qu'il voulait un relogement. C'est un peu énervant. » Parfois, les familles vont jusqu'à s'opposer aux travaux [16], ce qui revient, pour les acteurs, à ne plus assurer la protection des enfants et constitue une défaillance de la responsabilité parentale.

18 Ainsi, ceux qui se montrent réceptifs au risque et prennent les mesures de précaution adéquates pour leurs enfants se situent dans la partie positive de l'axe schématisant la responsabilité parentale, ce qui n'est pas le cas pour ceux qui se montrent moins zélés, voire totalement récalcitrants. À ce niveau, le cadre moral laisse clairement entrevoir que, du point de vue des acteurs institutionnels, au-delà des risques liés au logement qui font que les familles exposées sont « en risque », il s'agit également dans une certaine mesure de familles « à risque » puisque le milieu familial de l'enfant n'est selon eux pas anodin en matière d'intoxication.

19 Les quatre dimensions évoquées permettent de hiérarchiser les familles. Le cadre moral n'est évidemment qu'une représentation simplifiée de la réalité. La pondération des différents critères mis en évidence peut notamment varier d'un acteur à l'autre. Cependant, dans leur esprit, il existe bien un continuum permettant d'ordonner les familles. Aussi, cet outil sociologique éclaire le sentiment des acteurs institutionnels face à leur travail et conduit à saisir certaines oppositions apparaissant dans la lutte contre le saturnisme. D'abord, le fait que de nombreuses familles se situent en porte-à-faux avec le cadre moral et donc les valeurs qui dirigent l'action des acteurs explique que ces derniers éprouvent parfois un sentiment d'injustice. En outre, on a mis en évidence qu'un objectif surdéterminant le cadre moral est de préserver l'ordre légitime des demandeurs de logement. Dans un contexte où le saturnisme constitue un risque de bouleversement de cette file d'attente, les acteurs émettent des réticences à concéder des droits à certaines familles pour préserver le système qui donne cohérence à leur action. Aussi, leur résistance ne repose plus sur la base de critères ethniques, comme le suggérait Didier Fassin en étudiant les difficultés de prise en compte de la maladie par les institutions, mais sur un refus de mettre en danger la cohérence du système d'attribution des logements. Par ailleurs, on peut dire que le cadre moral vise en quelque sorte à « contrebalancer » la contradiction intrinsèque à la lutte contre le saturnisme qui consiste à favoriser les moins conformes aux attentes des institutions. Une personne du PACTE de Paris résume bien le problème : « Le paradoxe du plomb, c'est qu'il y aurait presque intérêt à ce que les enfants restent intoxiqués. Si vous relogez prioritairement les gens qui ont des enfants intoxiqués, qu'est-ce qui se passe pour les gens qui sont exposés à un risque et qui se démènent pour que leur enfant ne soit pas intoxiqué ? [...] Parce qu'ils sont pas idiots : ils voient bien que les gens qui ont des enfants intoxiqués sont relogés. Donc ceux dont l'enfant a été intoxiqué, ils font tout ce qu'ils peuvent, ils portent les enfants dans les escaliers, ils prennent plein de précautions, la plombémie descend, et on leur dit “ah ben vous n'êtes plus prioritaires parce que votre enfant n'est plus intoxiqué” ». Cette contradiction est évidemment mal vécue par les acteurs institutionnels. Pour éclairer ce « paradoxe », il convient maintenant de s'interroger sur l'attitude des familles face aux institutions et sur les logiques qui les poussent à s'opposer à ces dernières.

LE RAPPORT DES FAMILLES AVEC LES INSTITUTIONS

20 Afin d'éclairer le rapport des familles aux institutions, une typologie qualitative a été élaborée qu'il s'agit de « croiser » avec le cadre moral institutionnel (cf. tableau 2). Puisque la mise en conformité aux attentes des institutions se révèle peu payante pour le relogement, certaines personnes adoptent des comportements déviants, au sens de Becker, c'est-à-dire étiquetés comme tels par les institutions [17] (Becker, 1985). Les attitudes oscillent alors entre deux types opposés : l'« adhésion » et le « refus d'adhésion » aux institutions. Quels sont les éléments conduisant les familles à s'orienter vers le conflit ?

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UNE PROCÉDURE EN DÉCALAGE AVEC LES ATTENTESDES FAMILLES

21 Les tensions engendrées par le traitement institutionnel du saturnisme sont d'autant plus fortes que les familles concernées sont confrontées à de grandes difficultés sociales (problèmes financiers, situation irrégulière sur le territoire français, problèmes de langues, etc.). Ce cumul de difficultés se retrouve au niveau sanitaire. Selon un salarié de l'association HSD [18] : « Dans bon nombre de cas, le saturnisme n'est pas ce qu'il y a de plus grave. Il y a aussi la tuberculose, des risques pour la santé avec les champignons liés à la moisissure, les risques d'effondrement... ». Bref, si le saturnisme cristallise l'attention des institutions, il n'est pourtant pour les familles qu'un problème parmi d'autres et le relogement est l'objectif essentiel. Or, la procédure se limite souvent à des travaux ponctuels qui n'améliorent guère le cadre de vie, son unique objectif étant d'éliminer le risque lié au plomb dans le logement ou les parties communes. Pour les familles qui attendent un relogement depuis des années, la réalisation de travaux dans leur logement signifie le maintien dans les lieux et compromet un relogement éventuel. Le décalage entre ce que prescrit la procédure et les attentes réelles des familles est ainsi à l'origine de conflits autour de la mise en  uvre de la loi visant la suppression du risque.

22 Par ailleurs, un deuxième élément à l'origine de crispations réside dans le fait que grâce au dépistage du saturnisme, les familles qui s'étaient senties auparavant délaissées par les institutions se voient tout à coup l'objet d'une forte attention, comme l'explique une assistante sociale de la DASS : « Les familles se retrouvent avec une foule de gens qui viennent les voir : LHVP [19], PMI [20], travailleurs sociaux, opérateurs médico-sociaux... C'est vrai que la famille se dit : si les enfants sont plus en danger, le cas ne sera plus urgent. Je vais retomber dans les oubliettes. Alors que là, tout le monde s'occupe de nous. Enfin mon cas est au grand jour ! ». En quelque sorte, le saturnisme rend « visibles » les dossiers aux yeux des institutions. Cette mobilisation, souvent considérée comme providentielle par les familles, les conduit à interpréter la maladie comme une chance à saisir, ce qu'exprime la mère d'une petite fille intoxiquée : « Dans ma tête, je me suis dit que maintenant si je demande un relogement maintenant, ça peut marcher ! ». Pour les personnes qui ont tenté depuis longtemps d'attirer l'attention des institutions, c'est donc à ce moment précis qu'il leur semble possible de « parier » sur le saturnisme.

23 Toutefois, si la réalité qui vient d'être décrite permet de comprendre une bonne partie des oppositions, il faut également prendre en considération des cas pour lesquels la mobilisation des institutions a au contraire été très limitée, ou alors inefficace. Il ne serait pas difficile de trouver des exemples où celles-ci, loin de se mobiliser, ont laissé les enfants dans un environnement dangereux. Pour ces familles, l'entrée dans une attitude de contestation n'a évidemment rien à voir avec l'idée d'une mobilisation providentielle, au contraire. Il s'agit plutôt de « forcer la main » aux institutions restées sourdes à leurs attentes. Ainsi, ces situations de blocage, qui sont souvent à l'origine de fortes intoxications, sont elles aussi un contexte propice à l'émergence de conflits. Ces familles se tournent couramment vers des associations militantes qui les poussent dans certains cas à mener les institutions en procès pour demander réparation.

24 On comprend ici la logique selon laquelle les familles peuvent glisser vers le conflit : plus elles sont enfermées dans un parcours de précarité et ont attendu dans l'espoir d'un relogement, plus elles sont tentées par une stratégie d'opposition aux institutions. Le facteur temps semble donc essentiel. Il faut maintenant étudier plus précisément les différents types d'attitudes des familles face aux institutions.

DE L'ACCEPTATION À LA LUTTE

25 Différents types de rapports des familles aux institutions peuvent être identifiés : l'« adhésion volontaire », l'« adhésion résignée » et le « refus d'adhésion [21] ». Si la quasi-totalité des familles concernées se ressemblent socialement (elles occupent des emplois non qualifiés, sont en grande partie d'origine immigrée et partagent une situation d'extrême précarité par rapport au logement), les « vraies » lignes de fracture se situent au niveau de la détention d'un titre de séjour, du temps passé en France, du statut d'occupation du logement et des capitaux culturels (elles maîtrisent plus ou moins bien le français et n'ont pas toutes les mêmes facilités d'adaptation au pays d'accueil). Or, ces clivages ne sont pas sans effet sur leur positionnement par rapport aux institutions.

L'ADHÉSION AUX INSTITUTIONS

26 Les familles déclarant adhérer aux attentes des institutions entretiennent de bonnes relations avec ces dernières. Très réceptives aux mesures de précaution contre le plomb, elles ont parfaitement compris l'enjeu de la maladie et se sont approprié les conseils des opérateurs médico-sociaux. Loin de refuser la procédure, elles aimeraient au contraire que les institutions prennent davantage de mesures pour éliminer le risque. En cela, elles sont en conformité avec la dimension du cadre moral prenant en compte la « responsabilité parentale ». Toutefois, cette adhésion n'est pas exempte de stratégie. Isabelle Coutant relève à propos des squatteurs leur capacité à jouer sur les classements dont ils sont l'objet et à mobiliser un véritable « capital de conformité » : « Les “marginaux”, à condition de connaître les normes auxquelles ils sont censés se conformer, peuvent adopter différentes stratégies visant à influencer la perception de ceux qui pourraient les stigmatiser comme déviants. Ils sont en mesure de favoriser leur propre classement dans la catégorie “bon squatteur” » (Coutant, 2000). Les familles proches de l'« adhésion » font preuve d'une telle stratégie d'adaptation. Ceci s'observe par exemple dans leur approche du militantisme. Sachant que l'engagement n'est pas bien considéré par les institutions, beaucoup hésitent à s'engager ou, si elles le font, ne le mettent pas en avant dans leurs relations avec ces dernières. Le père d'un enfant intoxiqué explique bien sa réticence : « On s'est pas encore inscrits [au DAL], mais moi je doute un peu. Parce que déjà, avec la confiance qui règne entre [le chargé de mission de la mairie] et les habitants du 4, rue du Roi Doré, moi je... Je peux pas me permettre de faire quelque chose dans le dos comme ça. » Un autre point sur lequel on retrouve cette stratégie d'adaptation concerne l'« investissement » dans la maladie. Les parents se rapprochant du type de l'« adhésion » affirment tous ne pas avoir songé à utiliser le plomb pour le relogement ou pour obtenir des papiers. Enfin, ils mettent tout en  uvre pour approfondir leur intégration et s'adapter aux normes sociales françaises.

27 Ces familles tendent donc à se comporter de la manière la plus conforme à ce qui est attendu d'elles pour correspondre au plus près au profil valorisé par les acteurs institutionnels, se situant principalement dans la partie « positive » du cadre moral. Toutefois, derrière cette adhésion commune, leur vision des institutions n'est pas homogène. Deux sous-types principaux dans leur façon d'adhérer aux institutions peuvent être distingués : l'« adhésion volontaire » et l'« adhésion résignée ».

L'adhésion volontaire

28 Les familles se rapprochant du type de l'« adhésion volontaire » sont généralement des familles immigrées arrivées en France depuis relativement peu de temps. Aussi, leur confiance n'est pas entamée : elles ont une vision positive des institutions chargées de la lutte contre le saturnisme et des institutions françaises d'une manière générale et font confiance à ces dernières pour résoudre leur situation de crise. Surtout, étant souvent dans des situations particulièrement précaires au niveau administratif (irrégularité par rapport à l'occupation du logement, aux papiers, à l'emploi...), elles sont conscientes de leurs difficultés et considèrent que les institutions françaises leur apportent une aide relativement satisfaisante, même si elle apparaît assez restreinte. Par exemple, pour un père squatteur, cette aide consiste en quelque sorte en une non intervention : la mairie a le mérite de ne pas les expulser du squat. De même, une mère squatteuse pense qu'elle ne peut revendiquer aucun droit : « Ils ne sont pas obligés de le faire », affirme-t-elle en faisant allusion aux quelques aides apportées par la mairie. En outre, cette vision positive des institutions va de paire avec un certain optimisme dans la façon de considérer sa situation de manière générale. Les familles se rapprochant du type de l'« adhésion volontaire » considèrent leur situation comme une étape quasi normale dans un parcours difficile avant d'accéder pleinement aux avantages offerts par la société française.

29 Cette confiance dans les institutions françaises a évidemment un impact important quant au type de relation noué avec ces dernières. Les familles qui croient en l'action institutionnelle ont moins la tentation d'utiliser le « plomb ». Ne rejetant pas la procédure, elles sont peu attirées par une action militante. Réciproquement, ces familles correspondant au cadre moral (à l'exception parfois de la dimension du respect de la loi), elles sont « bien vues », puisque non suspectées d'instrumentaliser la maladie ou de porter une quelconque responsabilité dans l'intoxication de leurs enfants. C'est sur cette vision positive, cette estime mutuelle que se fonde la « confiance réciproque ».

30 Toutefois, le temps passant, si leurs conditions de vie objectives ne s'améliorent pas et que les promesses des institutions restent vaines, ces familles risquent d'évoluer vers l'« adhésion résignée » puis vers le « refus d'adhésion ».

L'adhésion résignée

31 Les familles qui se rapprochent de l'« adhésion résignée » n'entrent pas directement en conflit avec les institutions mais ont une vision nettement moins positive de ces dernières. Bien qu'elles ne rencontrent pas des situations plus dramatiques que les familles précédentes, elles vivent l'« épreuve » du mal-logement sur un mode beaucoup plus douloureux, sans que cela mène toutefois à une crise ouverte.

32 Ceci tient à deux éléments principaux. Soit elles disposent d'un statut (papiers, travail...) qui fait qu'elles considèrent l'accession à un logement digne de leurs attentes comme un droit : en ce sens, elles vivent leurs conditions de vie comme une injustice. Soit le facteur temps (elles sont souvent en France depuis plus longtemps que les familles proches de l'« adhésion volontaire ») et les espoirs déçus ont généré chez elles une forte amertume. En effet, ces familles ont fréquemment déployé ce que Nadia Rezkallah appelle un « activisme multiforme » (Rezkallah, Epelboin, 1997), c'est-à-dire qu'elles ont multiplié en vain les démarches pour obtenir un relogement. L'expression « c'est tombé dans les oubliettes » utilisée par l'une des personnes traduit bien le fait qu'elles se sentent abandonnées par les institutions. Aussi, c'est souvent la lassitude qui transparaît dans les entretiens avec ces familles, voire un ressentiment envers les institutions chargées du logement. En effet, « usées » par leurs multiples tentatives malheureuses, elles ont couramment l'impression que leur situation n'est plus entre leurs mains et font preuve d'un certain fatalisme. Toutefois, elles n'entrent pas en conflit avec les institutions. Le fait qu'elles correspondent souvent à ce que les acteurs institutionnels appellent des « entrées habitat » [22] et que leurs enfants ne soient donc pas fortement intoxiqués est sans doute à prendre en considération pour expliquer cette attitude.

33 La confiance des familles dans les institutions commence donc à s'émousser mais, du fait de leur conformité au cadre moral, elles restent bien vues de ces dernières. Le type de la « confiance relative » repose sur cet écart entre ces visions réciproques.

34 D'une manière générale, les familles se rapprochant de l'« adhésion » sont en conformité avec le cadre moral des institutions mais leurs cas correspondent souvent à une faible urgence sanitaire : en effet, soit l'accessibilité au plomb dans le logement est limitée, soit les parents prennent les mesures de précaution adéquates pour limiter l'intoxication de leurs enfants ou encore ils acceptent les travaux palliatifs, ce qui diminue automatiquement l'intoxication des enfants et l'urgence de leur cas. De fait, ces familles ne sont pas prioritaires pour le relogement.

35 Le passage du type de l'« adhésion » à celui du « refus d'adhésion » n'est ensuite pas obligatoire : certaines personnes ne s'opposent jamais aux institutions malgré leur ressentiment. Il est difficile d'identifier les facteurs les conduisant à persévérer dans l'« adhésion ». Il semble cependant, on l'a dit, que le niveau d'intoxication de l'enfant soit un élément essentiel, de même que le fait de continuer à croire en la justice du système : ceux qui pensent que les institutions font de leur mieux pour résoudre leur situation et sont par ailleurs pleinement satisfaits de l'action de ces dernières dans d'autres domaines que le logement (au niveau de l'école, des différentes aides attribuées...) ont plus de réticences à s'opposer. Il en est de même pour ceux qui sont dans l'attente d'un autre statut social et qui considèrent que cette évolution résoudra leurs problèmes de logement.

LE REFUS D'ADHÉSION

36 Les familles enracinées dans un parcours de précarité ou dont les enfants ont été gravement intoxiqués sont en général proches du type du « refus d'adhésion ». Certaines d'entre elles ont connu des situations difficiles bien avant que la problématique du saturnisme n'intervienne : elles peuvent alors ne pas passer par le type de l'« adhésion » pour entrer d'emblée en conflit avec les institutions en charge de la lutte contre la maladie. Pour les familles qui se sont d'abord rapprochées de l'« adhésion », le passage vers le « refus d'adhésion » peut s'effectuer du fait de la déception qui naît face à l'inaboutissement des démarches ou du fait d'un changement de leur situation objective. Ce changement peut apparaître à travers la détérioration de leurs conditions de vie (par agrandissement du ménage, dégradation du logement...) ou peut relever d'une évolution de la situation sociale des personnes, par exemple par l'obtention d'un nouveau statut (titre de séjour, nationalité française, travail...). Dans ce dernier cas, l'entrée dans une attitude plus conflictuelle face aux institutions est à relier au fait que les personnes s'aperçoivent que l'obtention d'un statut social ne leur permet pas d'accéder à une trajectoire vertueuse en matière de logement et que les institutions ne les prennent pas plus en compte. En d'autres termes, l'équation selon laquelle le logement de qualité découle d'une situation administrative régulière et de l'insertion sur le marché du travail est brisée. La révolte et l'opposition semblent alors la seule issue. Il faut donc distinguer les familles qui entrent en conflit par « usure » de celles qui font l'expérience de la « crise de statut ».

37 Les familles faisant l'expérience de la désillusion face à l'action des institutions expriment un fort sentiment de frustration et se sentent abandonnées par ces dernières. Elles ont pris conscience du fait que les procédures « classiques » pour le relogement sont inefficaces et que seules les procédures d'urgence payent. Aussi, poussées par une logique « du derniers recours », elles mettent de plus en plus en avant le risque sanitaire dans leurs rapports avec les institutions et en viennent à refuser la procédure. Ces familles ont en effet souvent été confrontées à une longue attente dans des conditions de vie extrêmement difficiles, ont subi des travaux palliatifs qui se sont avérés inefficaces et n'ont pas amélioré leur situation et ont vu leurs enfants continuer à s'intoxiquer. De fait, elles finissent par ne plus penser qu'au relogement, toute autre mesure leur semblant dénuée de sens. Le cas de cette famille qui a fait une demande de logement il y a dix ans et occupe son appartement depuis 1983 est exemplaire. Avant qu'une partie de la famille ne soit relogée (il s'agit d'un ménage polygame), ils vivaient à trois adultes et dix enfants dans 40 m2. Un rapport de l'association DEM [23] témoigne de leur lassitude : « Mme X est fermée. Ils en ont marre d'être hébergés pour les travaux. La famille est désabusée et fatiguée de toutes les démarches à faire. »

38 Ces personnes éprouvent une véritable ranc ur envers les institutions. Surtout, elles interprètent l'immobilisme de ces dernières face à leur situation comme le reflet de la condition réservée aux immigrés dans la société française. Elles vivent donc l'épreuve du saturnisme avec un fort sentiment de discrimination, cet aspect expliquant en partie le fait qu'elles entrent en conflit avec les institutions. Par ailleurs, elles se positionnent en victimes face à celles-ci. Dans ce contexte, la seule solution pour se faire entendre et obtenir réparation devient la dénonciation, la confrontation. Aussi, loin de tomber dans l'apathie ou le renoncement, ces familles s'écartent largement de la stratégie d'adaptation aux attentes des institutions évoquée précédemment. Une partie d'entre elles s'oriente notamment vers le militantisme. C'est le cas de ce père squatteur dont le fils est fortement intoxiqué qui, dirigé par l'AFVS, pousse son combat jusqu'à mener les institutions devant les tribunaux pour obtenir réparation du préjudice qu'il estime avoir subi. Ayant finalement obtenu une régularisation provisoire et un relogement, il témoigne une reconnaissance infinie aux associations : « C'est les associations qui ont tout bâti pour nous. S'il n'y avait pas les associations pour s'occuper de nous, c'était fini pour nous ! ». Généralement dans des situations particulièrement critiques, couramment en situation de non-droit [24], ces familles sont mal vues par les institutions car elles se situent sur la partie négative de l'axe matérialisant la conformité à la loi mais aussi car elles tentent de bouleverser l'ordre légitime des demandeurs de logement (dans le sens où leur engagement consiste à établir une pression par le biais du plomb pour « passer devant les autres »). Elles mettent en outre peu en avant les diverses dimensions de la « responsabilité parentale » que nous avons pointées, s'appliquant plutôt à démontrer les manquements des institutions à leur égard. De même, il leur est souvent reproché de ne pas beaucoup se mobiliser pour rendre leur logement plus « vivable » malgré les conditions de vie précaires qu'il implique et de faire preuve d'un certain laisser-aller. Elles sont donc celles dont la responsabilité parentale est la plus questionnée par les acteurs institutionnels.

39 Un profil tout à fait différent est celui des familles faisant l'expérience de la « crise de statut ». À l'inverse des précédentes, elles sont en situation d'exiger des droits du fait de leur statut social : elles ont généralement un titre d'occupation, disposent d'un titre de séjour régulier ou sont de nationalité française et exercent une activité professionnelle. Elles considèrent alors qu'il existe un décalage insupportable entre leurs conditions de vie et leur « valeur sociale ». Ce décalage peut être rapproché de celui qui existe parfois entre l'« identité réelle » et l'« identité virtuelle » (Goffman, 1975). Dans le cas de la « crise de statut », l'image que l'individu se fait de lui-même (du fait de sa trajectoire et de l'avenir qu'il projette) est supérieure à celle que lui renvoient ses conditions de vie. Cette situation est alors vécue comme une injustice : ces familles se considèrent privées de ce à quoi elles pensent avoir légitimement droit, c'est-à-dire, ici, un logement adapté à leurs attentes. Cette lettre écrite par une occupante qui a refusé les travaux palliatifs dans son logement est éclairante : « Comme je vous l'ai dit le 25 novembre, je veux un relogement définitif sinon rien. Je ne peux pas accepter votre proposition [de travaux]. J'ai le droit à un relogement. Je suis prioritaire. Maintenant je suis une citoyenne française. » Les rapports de ces familles avec les institutions sont alors particulièrement tendus puisqu'elles ressentent un tel sentiment d'injustice qu'elles sont souvent prêtes à tout. Ainsi, les familles faisant l'expérience de la « crise de statut » sont sans doute les moins faciles à cerner pour les acteurs institutionnels : d'un côté elles sont en concordance avec la dimension de l'intégration et celle du rapport à la loi mais, d'un autre côté, elles tendent à « utiliser » le plomb pour parvenir à leurs fins.

40 Dans l'ensemble, les familles proches du type du « refus d'adhésion » ne sont pas en conformité avec le cadre moral et entretiennent des relations très tendues avec les institutions. Le type du « rapport conflictuel » repose donc sur des objectifs antagonistes de la part des deux parties : volonté de préserver une certaine cohérence dans le système d'attribution des logements pour les uns, volonté d'accéder à de meilleures conditions de vie par tous les moyens pour les autres. Pour autant, puisque la politique de relogement au titre du saturnisme se fonde sur le risque d'intoxication, le fait d'adopter une attitude offensive en exigeant le relogement et en refusant toute solution alternative visant à supprimer le risque met la pression sur les institutions. Aussi, les familles qui se rapprochent du « refus d'adhésion » sont de fait plus aidées que celles qui se comportent conformément aux attentes institutionnelles.

41 D'une manière générale, cette typologie montre que les individus, même les plus précaires, ne sont pas des acteurs passifs mais disposent au contraire d'une certaine marge de man uvre. Comme l'affirme Vincent Dubois, les usagers ne se contentent pas de ce que l'institution est officiellement chargée de leur fournir et l'utilisent à d'autres fins : « Tout n'est pas domination et les allocataires ne sauraient être compris en les rapportant simplement à la catégorie homogénéisante de “dominés” » (Dubois, 1999). On peut interpréter les trois types mis en évidence comme une « carrière » [25]. En effet, le plus souvent, les familles proches de l'« adhésion » aux institutions, confrontées à l'inefficacité de leurs démarches, évoluent vers l'« adhésion résignée » puis parfois vers le « refus d'adhésion ». Or, on a vu que plus les familles avancent dans cette « carrière de déviance », plus elles ont de chances que leur dossier de relogement aboutisse. Celui-ci est en effet pris en compte quand leur situation vient coïncider avec le critère de l'urgence sanitaire [26] et quand les travaux palliatifs deviennent inenvisageables pour des raisons techniques ou du fait de l'opposition des parents. La révolte des familles augmentant parallèlement à l'avancement des dossiers dans la file d'attente des demandeurs de logement, l'attitude des familles tournée vers le « refus d'adhésion » coïncide souvent avec l'urgence sanitaire et avec une bonne place dans la file d'attente. La politique de lutte contre le saturnisme vient alors « débloquer » les dossiers. Comme le dit une personne du PACTE : « Le saturnisme est un accélérateur des dossiers ». On peut donc relever une contradiction à cette organisation : si l'on formule les choses avec un certain cynisme, ce n'est qu'au moment où la situation des familles s'est « suffisamment » détériorée ou quand leur confiance dans les institutions est finalement brisée, rendant leur adhésion aux mesures de prévention ou de suppression du risque impossible, que le relogement devient la seule issue. Les effets pervers d'une politique individualisée uniquement fondée sur l'urgence qui renonce à toute approche globale apparaissent ici.

Notes

  • [1]
    À Paris, il y a 100 000 demandes de logements sociaux dont 40 000 nouvelles chaque année pour 8 000 logements environ attribués chaque année.
  • [2]
    Association des Familles Victimes du Saturnisme.
  • [3]
    Les opérateurs médico-sociaux sont chargés de l'interface entre les institutions et les familles. Ils s'occupent notamment de l'accompagnement social de ces dernières. À Paris, il en existe quatre : Pour Loger, Uraca, SOS Habitat et Soins, Développement Enfance du Monde. Il s'agit le plus souvent d'associations aux activités humanitaires ou sociales.
  • [4]
    Selon l'article L. 1334.1 du code de la santé publique : « Tout médecin qui dépiste un cas de saturnisme chez une personne mineure a l'obligation, après avoir informé la personne exerçant l'autorité parentale, de le porter à la connaissance, sous pli confidentiel, du médecin inspecteur de santé publique de la DDASS du département ».
  • [5]
    Dosage du taux de plomb dans le sang de l'enfant.
  • [6]
    Direction des Affaires Sanitaires et Sociales.
  • [7]
    Direction de l'Urbanisme, du Logement et de l'Équipement.
  • [8]
    Remarquons que la mairie de Paris étant propriétaire de nombreux immeubles insalubres occupés par des familles, sa responsabilité est également engagée. Dans ce cadre, ses services interviennent aussi dans la procédure de lutte contre le saturnisme.
  • [9]
    Elle peut se graduer très précisément par le taux de plomb dans le sang de l'enfant. Actuellement, le seuil à partir duquel est un enfant est considéré comme intoxiqué est fixé à 100 microgrammes/litre.
  • [10]
    L'article 12 bis-11 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 permet sous certaines conditions la délivrance d'une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » pour raisons médicales.
  • [11]
    En effet, en cas d'accessibilité au plomb, la procédure (l'article 123 de la loi de lutte contre les exclusions) ne prescrit que des travaux palliatifs visant à supprimer le risque.
  • [12]
    Direction du Logement et de l'Habitat de la Ville de Paris.
  • [13]
    Droit Au Logement.
  • [14]
    Une association comme l'AFVS revendique d'utiliser le plomb pour obtenir un relogement ou des papiers. Les acteurs se refusent souvent à admettre l'efficacité des pressions associatives, mais il est évident que celles-ci sont prises en compte, notamment du fait de la peur des scandales médiatiques. Les procès menés par l'AFVS contre les institutions (accusées d'omission de porter secours) ont fait l'objet d'une forte médiatisation qui met évidemment la pression sur ces dernières.
  • [15]
    « L'objectif [de la logique de statut] est d'aider les plus démunis au nom de l'idée de justice sociale et des devoirs de la collectivité à l'égard des nécessiteux, sans toutefois conduire à une modification substantielle de la structure existante. » (Paugam, 2002).
  • [16]
    Selon un article paru dans Le Monde du 06/11/1999, un ménage sur cinq refuse les travaux dans un premier temps. Un rapport de la DULE datant de 1998 pointe quant à lui que sur 231 dossiers, 34 familles ont refusé les travaux d'urgence.
  • [17]
    « La déviance n'est pas une qualité de l'acte commis par une personne, mais plutôt une conséquence de l'application, par les autres, de normes et de sanctions à un “transgresseur”. Le déviant est celui auquel cette étiquette a été appliquée avec succès et le comportement déviant est celui auquel la collectivité attache une étiquette. » (Becker, 1985).
  • [18]
    Habitat Santé Développement.
  • [19]
    Laboratoire d'Hygiène de la Ville de Paris.
  • [20]
    Protection Maternelle Infantile.
  • [21]
    Il existe en plus des types présentés une attitude très marginale correspondant à une certaine passivité face aux institutions, mais que l'on ne détaillera pas faute d'avoir pu réaliser des entretiens avec ces familles souvent arrivées récemment en France, très peu intégrées et peu enclines à s'exprimer. D'après le témoignage des acteurs institutionnels, elles acceptent les travaux palliatifs mais sont assez peu mobilisées autour des mesures de précautions et des conseils délivrés. On peut penser que plus tard, épaulées par une association ou du fait d'une meilleure insertion, ces personnes vont évoluer vers l'un des autres types présentés ci-dessous.
  • [22]
    Plomb dans le logement ou les parties communes, mais pas nécessairement intoxication des enfants.
  • [23]
    Développement Enfance du Monde.
  • [24]
    Cf. tableau 1 : les familles adhérant à l'AFVS sont plus souvent en situation de non-droit que les familles dont se chargent les opérateurs médico-sociaux.
  • [25]
    Selon H. S. Becker : « Cette notion désigne les facteurs dont dépend la mobilité d'une position à une autre, c'est-à-dire aussi bien les faits objectifs relevant de la structure sociale que les changements dans les perspectives, les motivations et les désirs de l'individus. » (Becker, 1985).
  • [26]
    Il faut rappeler que l'ensemble des familles confrontées au saturnisme est éligible au relogement prioritaire. En ce sens, les stratégies des familles impliquent avant tout une hiérarchisation au sein des cas prioritaires : ces dernières n'usurpent pas une place à laquelle elles ne peuvent prétendre. Soulignons d'ailleurs que, quand l'urgence sanitaire n'est pas justifiée et que la demande des familles semble illégitime aux acteurs, ceux-ci peuvent utiliser des moyens coercitifs, comme mener les parents en procès ou les menacer de placer leurs enfants.

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Pascale Dietrich-Ragon
Equipe de recherche sur les inégalités sociales (ERIS)
Centre Maurice Halbwachs (CNRS/EHESS/ENS/Université de Caen)
Pascale.Dietrich-Ragon@ens.fr
Mis en ligne sur Cairn.info le 10/09/2009
https://doi.org/10.3917/soco.075.0131
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