LA PLACE DES POLITIQUES PUBLIQUES DANS LA GENTRIFICATION
1La notion de gentrification a fait l’objet de nombreux travaux et discussions dans la sociologie urbaine depuis les années soixante. Des travaux récents français et anglosaxons se dégage une définition large de la gentrification comme un processus graduel de transformation des quartiers populaires par l’investissement de groupes sociaux appartenant aux couches moyennes et supérieures (Authier, 2003 ; Bidou, 2003 ; Smith, 1996) : après une phase de déclin immobilier et économique, un quartier connaît une phase rapide de changement qui affecte le cadre bâti, le niveau des prix immobiliers, le peuplement, la fréquentation des espaces et des équipements publics. Aux pionniers, dotés en capitaux culturels plus qu’économiques (artistes, étudiants, intellectuels précaires) succèdent des couches moyennes et supérieures de niveau de salaires élevés. Nous nous appuierons ici sur cette définition mais, à partir du cas spécifique du quartier de la Goutte d’Or à Paris, nous en discuterons les modalités de diffusion de deux points de vue : (1) le rôle des politiques publiques dans un processus souvent considéré comme inéluctable, (2) la temporalité du changement social et les conflits créés dans ce temps long de gestation qui ne débouche pas automatiquement sur un état stabilisé.
2(1) Si les travaux portant sur la gentrification ont discuté la part relative de la transformation de l’offre immobilière ou de l’expression d’une nouvelle demande sociale dans les facteurs explicatifs de ce processus (Bidou, 2003 ; Dansereau, 1985), peu ont mis en avant le poids des politiques et des discours publics. Or l’action publique en quartiers anciens se légitime le plus souvent par un discours de revalorisation construit sur une description du « déclin urbain » identifiée à un certain cadre bâti, une certaine population, une certaine commercialité, une atmosphère urbaine (Beauregard, 2003).
3(2) La gentrification correspond à un moment particulier de diversification sociale de la population d’un quartier (Levy, 2002). Elle engendre à ce titre des rapports entre les groupes sociaux allant de la conflictualité à l’évitement, à la co-présence ou à l’alliance. Ces différentes modalités des rapports sociaux renvoient à des états différents du processus de gentrification, à la diversité des profils des gentrifieurs et à l’histoire sociale et spatiale singulière de chaque quartier. Le processus de gentrification ne saurait ainsi être décrit comme un processus uniforme débouchant à coup sûr sur une situation stabilisée. Il est possible de considérer le changement à l’œuvre comme un état transitoire et fragile au cours duquel les processus d’invasion/succession (faire venir ses semblables) ne sont pas assurés et se traduisent de façon inégale dans l’espace géographique du quartier. Ce moment de l’entre-deux, entre attentes et réalités, entraîne la mobilisation des discours et de l’action publique attestant d’une « dégradation » ou d’une « revalorisation » du quartier. Les représentations du quartier qui sont alors produites par différents types d’acteurs se coordonnent avec plus ou moins de conflictualité. Ce sont tout à la fois l’étude d’un changement social urbain en cours et les discours qui l’accompagnent qui se trouvent au centre de notre étude sur le quartier de la Goutte d’Or à Paris.
4Que notre étude se soit portée sur Paris n’est pas fortuit. En effet, la politique municipale parisienne de l’est parisien se trouve partagée entre l’héritage d’une démarche planiste et équipementière d’investissements dans des zones d’aménagement concertés, un plan programme de l’est parisien, décidés dans les années 1980, et une volonté de mixité qui implique l’arrivée de nouvelles couches moyennes dans les quartiers populaires et le soutien de leur installation par la municipalité de gauche élue en 2001. Si ce second volet politique qui encourage la réhabilitation de l’habitat ancien est plus développé aujourd’hui en raison de la pénurie de terrains à bâtir et du renchérissement des prix immobiliers, le quartier de la Goutte d’Or, un des secteurs les plus populaires de la capitale, témoigne après vingt ans de politiques urbaines d’une transformation sociale limitée. Il offre donc une situation propice à l’étude de cette phase transitoire. Nous montrerons d’abord comment s’y expriment encore faiblement les premiers signes de la gentrification. Puis nous aborderons l’évolution du discours de la municipalité depuis le début de la décennie soixante-dix, allant de la description d’un quartier d’habitat en déclin à la problématisation de la question de l’espace public. Alors que le quartier semble à peine amorcer une phase de changement social, les discours municipaux les plus récents en appellent à la « mixité sociale », à une transformation sociale et commerciale et promettent un changement qui tarde à venir. Nous montrerons comment la situation d’incertitude entraîne des attentes contradictoires et l’exaspération des tensions sociales. Nous avons pour ce faire privilégié les discours exprimés dans les arènes publiques : conseils de quartier, réunions de concertation, affichages de rue ou journaux. Ce choix marginalise les représentations des habitants absents de ces espaces, en particulier les populations les plus fragiles socialement ou d’origine étrangère, moins organisées et participant peu aux instances participatives. C’est donc la scène publique à laquelle se réfère notre étude et non le quartier dans son ensemble dont on aurait interrogé les éléments considérés comme « représentatifs ». Nous avons essentiellement mis en scène deux groupes d’habitants parties prenantes du processus de gentrification, construits respectivement à partir de représentations communes, peurs, craintes et espoirs vis à vis de la transformation en cours ou attendue du quartier. Ces deux groupes appartiennent à la vaste catégorie des couches moyennes mais se différencient par leurs trajectoires résidentielles, leurs rapports à la sphère politique et leurs modes de constitution et d’organisation interne.
1. UN QUARTIER POPULAIRE CENTRAL, UN ESPACE EN ATTENTE DE CHANGEMENT
5Le quartier de la Goutte d’Or se constitue au XIXe siècle sur la base d’un lotissement spéculatif destiné dès l’origine à accueillir des populations ouvrières. Ce quartier populaire central connaît vite un processus de densification et de paupérisation et devient un lieu d’accueil de l’immigration. C’est dans ce contexte que l’opération de rénovation/réhabilitation est engagée par la municipalité parisienne au début des années quatre-vingt.
MARGINALISATION PROGRESSIVE D’UN QUARTIER POPULAIRE CENTRAL
6À trois kilomètres au nord de l’île de la Cité, la Goutte d’Or offre l’image, en apparence paradoxale, d’un quartier bien délimité ouvert aux courants de circulation extérieurs. Il bénéficie de coupures qui l’isolent (voies ferrées, emprise hospitalière) mais aussi d’une accessibilité facilitée par les transports. La proximité du grand pôle touristique de Montmartre, de la gare du Nord et le développement commercial autour des boulevards Barbès et Rochechouart offrent au quartier une situation privilégiée.
7Le quartier de la Goutte d’Or s’est développé sur la route royale qui relie Paris à Saint-Denis. Il commence à s’urbaniser vers 1824 avec l’autorisation de lotir en dehors des limites reconnues de l’agglomération. Réalisé à l’époque des lotissements prestigieux de Beaugrenelle et de Passy, il est d’abord une simple extension d’un faubourg déjà constitué le long des voies de passage. Mais c’est vraiment en 1840 que le développement prend de l’importance avec l’arrivée du chemin de fer. La Goutte d’Or devient une cité d’accueil pour les ouvriers des fonderies et ateliers mécaniques de la Chapelle. Les travaux haussmanniens achèvent la physionomie du quartier, par la création du boulevard Barbès à l’ouest, la place du Château-Rouge au nord-ouest et la construction autour de l’église Saint-Bernard vers 1860 à l’est. Avec l’hôpital Lariboisière au sud, ces trois lieux quadrillent le quartier.
8La densification du quartier résulte de deux formes d’urbanisation complémentaires : une construction spontanée le long des rues anciennes et autour des anciens octrois sur les parcelles agricoles, et la création de lotissements spéculatifs avec création de nouvelles rues. Le quartier est caractérisé par l’étroitesse des rues et la faible surface des parcelles, conséquence directe des lotissements spéculatifs. Il n’a pas néanmoins été classé dans les îlots insalubres de Paris repérés en 1920 selon des caractéristiques sanitaires et sociales (Fijalkow, 1998). 65
9Dans l’après-guerre, ce quartier fortement concerné par la mise en œuvre de la loi de 1948 se spécialise dans l’hébergement des populations immigrées d’Afrique du Nord et le développement des hôtels meublés (Toubon et Messamah, 1990). On assiste au découpage en chambres individuelles des appartements, afin d’échapper à la réglementation des loyers et de rentabiliser le patrimoine.
10À partir de 1962, sa structure démographique reflète celle d’un quartier d’immigration : la Goutte d’Or recueille progressivement, parmi les quartiers de Paris, la part la plus importante d’étrangers (11,74% des chefs de ménages en 1962,34,8% en 1982). Il conserve une part importante d’ouvriers (51% des actifs en 1962,49% en 1982). Son parc de logement est essentiellement constitué de petits appartements locatifs, anciens et sans confort (50% sans WC intérieurs en 1962). Il se dépeuple : 38 000 habitants en 1962,29 000 en 1982. Il faut attendre le début des années quatrevingt pour que la municipalité parisienne annonce et mette en œuvre un projet de rénovation-réhabilitation qui consiste dans un premier temps en la reconstruction au sud (secteur Goutte d’Or proprement dit) d’un ensemble de 900 logements sociaux et en l’incitation à la réhabilitation du parc privé au nord. Dans un deuxième temps le projet s’étend au nord du quartier (secteur dit de Château-Rouge) s’appuyant alors sur un remodelage urbain à la parcelle privilégiant la patrimonialisation urbaine du quartier (Bacqué et al., 2005). Quels sont les effets de ces politiques publiques ? Dans quelle mesure amorcent-elles un processus de gentrification du quartier ? Nous aborderons successivement plusieurs dimensions de ces transformations, l’amélioration du bâti et la place du quartier dans le marché immobilier, la diversification sociale et l’évolution du tissu commercial.
AMELIORATION DU PARC DE LOGEMENTS ET PRESSION IMMOBILIERE
11L’opération de rénovation urbaine se traduit en premier lieu par l’augmentation du parc locatif d’habitations à loyer modéré (HLM) qui passe de 5% à 13% entre 1990 et 1999. Celui-ci est essentiellement concentré dans le sud du quartier même si une série d’opérations plus ponctuelles sont en cours ou en projet dans la partie nord. Quant à la réhabilitation, l’Opération Programmée d’Amélioration de l’Habitat a, au nord, généré d’importants travaux de structure, solidifié des immeubles en co-propriété, valorisé le patrimoine des propriétaires locaux, mais elle n’a pas radicalement transformé le paysage [1]. À l’échelle des neuf périmètres Iris qui composent le quartier dans son ensemble, la part de logements construits avant 1948 passe de 98% à 73% entre 1990 et 1999. L’inconfort se réduit de 26% à 15% du parc. Ces quelques chiffres témoignent d’une amélioration significative du parc de logement du quartier et d’une implantation plus importante d’HLM. Sous la pression des habitants, ce parc social a largement contribué au relogement des populations expulsées. La politique de peuplement de l’Office Public d’Aménagement et de Construction de la ville de Paris (OPAC) conjuguée avec la typologie des logements (nombre de grands logements) a contribué à y regrouper des ménages aux faibles revenus et pour une bonne part d’origine étrangère (Merlot, 2006). C’est du côté du parc privé et dans le nord du quartier que s’annoncent des transformations sociales. Les procédures de démolition/reconstruction ponctuelles et le soutien de la municipalité aux propriétaires réhabilitant leur patrimoine constituent pour les nouveaux propriétaires des signes de renouveau. L’augmentation des prix immobiliers témoigne de l’intégration de la Goutte d’Or dans un marché parisien de plus en plus tendu au sein duquel le quartier présente un éventail de prix accessibles à des populations à revenus moyens que la promesse du changement urbain attire. Ces ménages arrivent dans le quartier par un choix économique raisonné, ce qui n’est pas sans effet sur la nature de leur investissement social (Mandel, 2005). La Goutte d’or fait partie des quartiers parisiens où la hausse des prix immobiliers a été la plus forte, ces cinq dernières années, mais cette augmentation semble autant résulter du contexte immobilier parisien que de la transformation propre du quartier. Comment ces évolutions se tradui-sent-elles dans la structure socio-professionnelle ?
UN ELARGISSEMENT DE LA DIVERSITE SOCIOPROFESSIONNELLE
12L’étude de l’évolution de la part des catégories socioprofessionnelles entre 1990 et 1999 montre des changements timides en comparaison de la dynamique parisienne mais attestant d’un élargissement de la diversification sociale du peuplement. Bien qu’elles soient deux fois moins représentées à la Goutte d’Or que dans l’ensemble de Paris, les catégories supérieures disposent en 1999 d’un plus grand nombre d’implantations qu’en 1990, notamment dans les franges est et ouest du quartier. La part des ouvriers et employés diminue mais ceux-ci restent en 1999, mieux représentés dans le secteur sud où l’habitat social est important. On observe également dans l’ensemble du quartier une diminution de la part des populations étrangères, tout particulièrement dans la zone de rénovation urbaine, au sud du secteur.
13Mais si l’on recherche un processus de remplacement des milieux populaires et étrangers par des couches moyennes et supérieures non étrangers, aucun secteur de la Goutte d’Or ne semble vraiment concerné. Seul l’Iris où figure l’église Saint-Bruno (au centre du quartier) et qui est le secteur ancien le plus préservé du quartier, se rapproche d’une évolution de ce type. Ce lotissement post-haussmannien d’immeubles en pierre de taille, abritant une école privée, s’illustre par une augmentation des cadres et professions intellectuelles, une baisse de la part d’étrangers, la présence de couples sans enfant, une augmentation sensible des populations de niveaux de diplômes élevés.
14En dehors de cet Iris, un seul autre, le plus à l’ouest du secteur, répond partiellement à une telle logique. On y trouve aussi des couples sans enfant et des catégories socioprofessionnelles supérieures bien dotées en diplômes ; la part de cadres supérieurs y augmente sur un terrain où ils sont déjà bien représentés en 1990 mais la baisse de la population étrangère y reste modérée. Ce scénario est sensiblement le même à l’extrême est du quartier où la présence de population étrangère reste importante. Or, ce type d’espace constitue le prototype des lieux les plus sensibles du quartier si l’on en juge par l’éclosion des associations qui portent, comme nous le verrons plus loin, au-devant de la scène publique les difficultés de cohabitation.
UNE TRANSFORMATION COMMERCIALE FRAGILE
15C’est sans doute l’appareil commercial qui affiche le plus la nature populaire et multi-ethnique du quartier. Il représente un des principaux marchés africains à l’échelle de la région parisienne. Une étude menée en 1994 et en 1999 en montre la diversité. Le secteur de la Goutte d’Or, au sud, se singularise par les commerces de vêtements et de tissus alors que ceux de Château-Rouge, au nord, sont plutôt alimentaires. En 1999, on constate pour l’ensemble de la zone une diminution du nombre de commerces de vêtements et tissus ainsi que de gros alimentaire, connu pour attirer une clientèle au-delà du quartier. On observe en même temps une augmentation des commerces d’alimentation générale à Château-Rouge. Selon les experts (Apur, 2003), cette offre commerciale est « particulièrement orientée vers une clientèle à dominante non européenne et notamment de culture africaine, antillaise et dans une moindre mesure maghrébine ». Elle attire, en particulier le samedi, une clientèle parisienne et francilienne, souvent d’origine étrangère, au sein de laquelle les hommes sont majoritaires et qui se déplace le plus souvent en transports en commun. Cette fréquentation induit une occupation dense de l’espace public tant par l’affluence des consommateurs que par l’utilisation de la rue par les commerces.
16La disparition ou la transformation de cet appareil commercial constitue un objectif sous-jacent des différentes opérations d’urbanisme qui se heurtent cependant à un tissu économique bien portant et à des pratiques sociales ancrées. Les projets les plus récents affichés par la municipalité et présentés en conseil de quartier ont été la création d’une « rue du design » annonçant une transformation radicale de la vocation commerciale et la réalisation, aux portes de Paris, d’un marché des cinq continents qui permettrait de reloger, hors du quartier, une partie des commerces dits ethniques. Le commerce en effet focalise plaintes et revendications d’une partie des habitants, tout au moins de ceux qui s’expriment publiquement. Sont dénoncés la surdensité de sa fréquentation, les activités illicites qui l’accompagnent comme la vente à la sauvette, le manque de qualité des produits et surtout l’absence des produits quotidiens européens. Parmi les nouveaux propriétaires interrogés pour cette enquête, la plupart ne fréquentent d’ailleurs pas les commerces du quartier. L’affichage de projets municipaux contribue à rendre plausible une transformation commerciale qui s’annonce faiblement et à renforcer l’attente de ces habitants. Quelques nouveaux commerces, comme une boutique de vin tenue par un ancien intermittent du spectacle, un magasin d’art africain, une boîte de jazz ou encore l’installation d’un cabinet d’architecture sur rue, témoignent du début d’un processus de transformation commerciale qui reste encore bien fragile.
17Au total, le quartier de la Goutte d’Or est bien entré dans un processus de changement social qui se marque par la modernisation de l’habitat, l’intégration du quartier dans le marché immobilier parisien, la part croissante des couches moyennes et supérieures, une transformation encore très fragile de l’appareil commercial. Cette transformation repose autant sur les politiques municipales de rénovation et de valorisation du quartier que sur la pression du marché parisien. Elle ne reste que très partielle et contribue à construire ou confirmer une géographie sociale au sein du quartier. Surtout, elle demeure bien en deçà des effets d’annonce de la municipalité qui affiche un projet de « mixité » sociale, en termes de peuplement comme de gestion de l’appareil commercial et de l’espace public.
2. LE QUARTIER COMME « PROBLEME PUBLIC » : DIAGNOSTIC MUNICIPAL DE DECLIN, VOLONTE RECURRENTE DE TRANSFORMATION ET ANNONCE DE LA GENTRIFICATION
18Pour comprendre comment les tensions locales évoquées jusqu’ici ont pu naître, il convient d’opérer un retour en arrière et de montrer comment la volonté de transformation sociale du quartier est exprimée dès les années 1970 par la municipalité. Ce discours construit le quartier comme un « problème public », concentrant des problèmes sociaux reflétés par l’habitat. Il évolue progressivement vers la question de la sécurisation des espaces publics. Mais ce discours du déclin promet en même temps un changement.
SPATIALISATION DES PROBLEMES SOCIAUX
19Dès 1977, l’Atelier parisien d’urbanisme (APUR) s’inquiète de la concentration des populations les plus pauvres et des étrangers dans l’est et le nord-est, tout en relevant prudemment que « bien que le terme mérite d’être convenablement interprété, on assiste à un « embourgeoisement » progressif d’une bonne partie de la capitale. » [2] La notion de ghetto commence à apparaître de façon récurrente dans les analyses urbaines : « Les immigrants qui viennent avec leur famille devraient pouvoir s’intégrer à la communauté urbaine où ils vivent, ainsi que pour la plupart ils le recherchent, sans provoquer la création de sortes de ghettos. Mais, faute de moyens par rapport au niveau des loyers actuellement pratiqués, ils sont amenés à se concentrer dans des logements petits et inconfortables situés dans les quartiers du centre rive droite, de l’Est et du Nord-Est, tel que le quartier de la Goutte d’Or. » [3] Ce quartier, identifié par les « caractéristiques socioprofessionnelles de la population et le surpeuplement des logements nécessitera un plus grand degré d’engagement de la puissance publique » [4].
20Le Plan Programme de l’Est parisien, en 1983, précise « l’existence de poches d’inconfort et d’îlots sensibles ». Ces secteurs, « bâtis pour l’essentiel au XIXe siècle pour accueillir une population modeste et dont les immeubles, d’une qualité limitée au départ, ont été mal entretenus sont aujourd’hui très dégradés. » Tout en relevant les problèmes scolaires, le plan élabore une typologie des territoires : « abords d’opération publiques où se manifestent parfois des actions de squattage ; secteurs dont le domaine bâti ancien a été peu et mal entretenu et s’est même souvent dégradé ; « quasi ghettos » (ChaIon, Goutte-d’Or, Château--Rouge) ». [5]
FOCALISATION SUR LES QUESTIONS D’HABITAT
21Dès lors, le discours municipal relaie une stigmatisation négative essentiellement fondée sur l’habitat. Les délibérations municipales qui décident de l’opération font surtout état des données du recensement et de l’aspect extérieur des immeubles. La Ville se préoccupe surtout de la « vétusté » du parc immobilier, des « mauvaises conditions d’habitabilité », de « l’abandon d’anciens occupants aux ressources modestes » et de « l’installation d’une population moins exigeante composée principalement de travailleurs migrants ». « Ce mouvement de population, couplé au développement anarchique des copropriétés, a déclenché un processus accéléré de dégradation gangrenant l’ensemble du quartier ». Occupations illégales de locaux vacants, prostitution, garnis clandestins, délinquance motivent donc le but ultime : « valoriser la partie sud en vue d’obtenir une mutation physique et surtout sociologique » (19 septembre 1983) [6]. C’est ce discours imagé (la gangrène et la mutation) relevant d’un vocabulaire hygiéniste qui justifie l’opération de rénovation. La question de la diversification du peuplement du quartier est sous-jacente mais elle n’est pas abordée officiellement. La pression des associations et les difficultés opérationnelles conduise la municipalité et l’OPAC de Paris à reloger une part significative des habitants dans le quartier. Par ailleurs, la Ville, sous la pression des associations et de l’opposition municipale de gauche, s’engage, au titre du développement social des quartiers, à un « effort d’intégration des immigrés et de formation de jeunes » (Délibération 10 janvier 1983). L’objectif final vise donc à « restaurer et à reconstruire le quartier » (Délibération 19 septembre 1983). Le thème de « la sauvegarde de l’ordre public » constitue la toile de fond de l’opération : « le développement de la délinquance, l’insécurité grandissante entraînent un pourrissement de la situation sociologique du quartier. Les citoyens paisibles étant progressivement chassés par des marginaux » (Délibération 19 septembre 1983). S’il ne s’agit pas de transformer le peuplement du quartier, il convient d’en réguler la vie sociale au profit des « bons citoyens ». La construction d’un commissariat de police au cœur de la rénovation est symbolique de cette préoccupation.
ESPACES PUBLICS ET MIXITE SOCIALE COMME NOUVEAUX ENJEUX
22Vingt ans plus tard, à l’occasion d’une extension de l’opération au nord, vers Château-Rouge, Paris Projet présente une vision du quartier cette fois centrée sur les espaces publics. La diversité de la population n’est plus mise en scène à l’aide de données démographiques, de statistiques sur l’habitat ou l’école, mais se fonde sur l’étude des commerces posés comme problème. Dans un numéro spécial se consacrant aux « quartiers anciens, approches nouvelles », l’auteure, Directrice de l’Aménagement urbain, concède que « ce quartier présente de nombreuses qualités urbaines et, particulièrement, même s’il n’est pas réellement homogène, une indiscutable harmonie du paysage : alignements et rythme parcellaire réguliers, volumétries modérées, matériaux communs et mêmes familles de factures architecturales ». Néanmoins, « l’évolution des modes de vie, la concurrence des grandes surfaces, la baisse importante de la population du quartier ont considérablement réduit les besoins de commerces de proximité (…) les biens et services s’adressant en priorité à une clientèle de familles immigrées dépassent largement les limites du quartier. S’ils lui confèrent une ambiance pittoresque, ils génèrent aussi une spécialisation et un ensemble de nuisances-bruits, embouteillages, voire problèmes d’hygiène – qui accélèrent la déqualification du quartier. » [7]
23Cette approche paysagère et harmonieuse du quartier-village se transforme vite en une dénonciation plus directe « des dysfonctionnements dans l’espace public ». Un changement de discours, plus alarmiste, montre alors l’ambition municipale de se soucier des interactions quotidiennes et non du seul habitat. Ce changement de discours s’accompagne de l’émergence de la notion de mixité sociale, thématique récurrente dans les politiques nationales de l’habitat mais qui prend ici une importance particulière. On émet le vœu que « la Goutte d’Or reste un quartier populaire même si l’on voit émerger de nouvelles couches de populations plus favorisées accédant à la propriété. » [8]
24Cette transformation du discours municipal renvoie directement aux résistances que rencontre le processus de transformation, qu’il soit porté par la construction de logements sociaux, la réhabilitation de l’habitat ancien ou l’action commerciale. Elle témoigne de l’intégration de la critique émanant des associations d’habitants qui revendiquent la prise en compte de la valeur patrimoniale du quartier et se soucient moins de la dimension sociale. Elle s’inscrit dans des rapports de force politique droite/gauche. Sous la municipalité de droite c’est le député socialiste de l’arrondissement qui pousse la ville à s’inscrire dans le cadre de la politique de la ville alors largement déléguée aux associations du quartier et leur servant de tremplin de développement. Le changement de majorité municipale en 2002 se traduit par une réappropriation et un recentrage du développement social urbain au sein de l’appareil municipal et par la mise en œuvre d’un plan d’urgence dans la partie nord du quartier qui se transformera en projet de « rénovation » soutenu par l’Agence Nationale de Rénovation Urbaine (ANRU). De fait, alors que la politique chiraquienne des années quatre-vingt a, sous la pression des associations et de l’opposition municipale, conforté le peuplement social et ethnique du quartier par la réalisation d’un parc social et le relogement des familles, la municipalité de gauche tente d’engager, par une série d’opérations ponctuelles, une transformation sociale plus radicale. Les opérations de logement mixent divers programmes dont des programmes à loyers intermédiaires (PLI) destinés aux couches moyennes ou des programmes réalisés par la Foncière qui ne sont pas des logements sociaux au sens strict [9]. L’attribution des logements sociaux fait l’objet d’une attention particulière et d’une dérogation qui permet à la municipalité d’arrondissement d’en réserver un tiers à des couches moyennes. Les projets de transformation de l’appareil commercial visent une transformation majeure de l’espace économique et public. Tous ces projets participent d’une « prophétie créatrice » (Merton, 2001) qui met à l’horizon un changement social attendu. On observe par contre une relative continuité dans la prégnance d’un discours sécuritaire qui fait alternativement appel au rappel à l’ordre ou à l’action sociale. Ce contexte est relayé par la presse locale et nationale qui alterne entre des reportages insistant sur l’insécurité (ce qui est fréquent depuis 1983) et d’autres révélant les mutations du quartier et les opportunités immobilières qu’il recèle. À coté des descriptions du milieu de la drogue (« l’enfer des crackeurs » (Le Monde, 1er mars 2005), on trouve « La lente métamorphose de la rue Myhra » (Le Parisien, 30 novembre 2004) ; « Vers une vie de château » (Métro, 26 novembre 2004), « Barbès en quête d’une nouvelle virginité » (Vingt minutes, 18 mars 2003) ; « Barbès redevient habitable » (Les Échos, 19 novembre 2002). Une telle dichotomie rencontre la diversité des représentations habitantes, qui, en retour, pèsent lourdement sur les orientations en apparence contradictoires du pouvoir municipal.
3. LE DISCOURS DES ASSOCIATIONS D’HABITANTS : DE LA BONNE VOLONTE SOCIALE A LA CONQUETE
25Nous avons abordé les représentations habitantes de façon partielle à travers le discours des associations ou de groupes d’habitants constitués. Cette analyse ne saurait ainsi rendre compte de l’ensemble des points de vue mais elle nous semble à même de montrer l’évolution des représentations dans le temps et les principales lignes de clivage qui traversent le groupe des habitants « actifs » dans le quartier. Dans son analyse des rapports sociaux à Belleville, Patrick Simon (1997) opposait les « transplantés » et les « multiculturels » afin d’appréhender les différences de rapport au quartier et de pratiques sociales. Les premiers habitent le quartier par commodité ; les deuxièmes par choix, « dans une recherche de proximité avec les classes populaires et les immigrés ». À partir d’une analyse des trajectoires résidentielles dans le quartier Saint-Georges à Lyon, Jean-Yves Authier propose une autre typologie qui distingue trois catégories de nouveaux habitants : les accédants culturels, jeunes couples actifs disposant d’un capital culturel élevé accédant à la propriété après une période de forte mobilité résidentielle selon une logique culturelle et symbolique ; les accédants techniques, moins jeunes et issus des franges supérieures de la classe ouvrière pour qui l’accession à la propriété relève davantage d’une logique fonctionnelle ; et les nouveaux locataires qui constituent une population jeune, souvent étudiante, exerçant parfois des emplois précaires pour qui l’arrivée dans le quartier répond à une logique fonctionnelle mais dont les modes d’investissement local possèdent une forte dimension culturelle. De ces deux typologies nous pouvons retenir que les trajectoires résidentielles des ménages, la nature de leur projet résidentiel, leur statut de propriété induisent une attente, des modes d’investissement différents au quartier et des représentations divergentes d’une coexistence sociale et ethnique vécue comme imposée ou comme une richesse. Nous appuyant sur ces résultats en y ajoutant la dimension temporelle du moment d’arrivée et le lieu de résidence dans le quartier, nous avons pour notre part privilégié une approche en termes de mobilisation collective tentant d’appréhender la constitution de groupes à travers l’analyse des cadres de la mobilisation (Cefaï, Trom, 2001). Cela nous conduit à centrer notre analyse sur deux groupes d’habitants et à évoquer, sans nous y attarder, un troisième groupe plus marginal dans les débats publics.
UN GROUPE ASSOCIATIF IMPLIQUE DANS LA GESTION DU QUARTIER
26Le premier groupe d’habitants est composé de responsables du tissu associatif de la Goutte d’Or, arrivés pour beaucoup dans la partie sud du quartier au début des années quatre-vingt. Ce tissu associatif est caractérisé par l’existence d’un noyau d’associations organisées au sein d’une coordination informelle mais reconnue comme un interlocuteur privilégié par les instances politiques. Ces groupes associatifs partagent une histoire commune engagée au cours des années soixante-dix quand un groupe d’habitants, issus pour la plupart de la mouvance du catholicisme social, s’organise pour améliorer la vie quotidienne dans le quartier [10]. La Goutte d’Or a déjà une histoire sociale et politique forte : lieu d’accueil des populations algériennes et de leurs organisations pendant la guerre d’indépendance, elle est dans les années soixante-dix un lieu privilégié d’intervention de groupes gauchistes et d’associations de défense des immigrés. Des intellectuels comme Jean-Paul Sartre ou Michel Foucault viennent y témoigner leur solidarité aux travailleurs immigrés alors que commence à émerger la question des sans-papiers. Mais ces associations et groupes politiques ont en général peu d’ancrage dans le quartier même si certaines sont à l’origine des premiers programmes d’alphabétisation. La Goutte d’Or est alors dénuée d’équipements sociaux hormis un club de prévention. La première mobilisation des habitants voit le jour autour de thématiques comme la prostitution, les mauvaises conditions de logements ou encore l’absence de structures pour accueillir enfants et mères de famille. Elle débouche vite sur la création de plusieurs associations qui fonctionnent sur la base de l’entraide et du bénévolat. Dans les années quatre-vingt-dix, les dispositifs de la politique de la ville leur délèguent tout un pan de la gestion sociale de la ville, favorisent leur développement mais aussi leur professionnalisation. Ce noyau associatif n’est pourtant pas homogène. Il renvoie à plusieurs cultures de la mobilisation collective d’une logique de service social, reposant sur une approche de solidarité qui prend sa source dans le catholicisme de gauche, à une approche décrite comme « communautaire », qui passe par la reconnaissance des populations habitant ou fréquentant le quartier et pose la question de la coexistence entre différents groupes sociaux, ou à une démarche culturelle qui s’inscrit à la fois dans la création et dans le travail social. Cette mobilisation associative a eu des effets substantiels sur la transformation du quartier, par la création de multiples services mais aussi par l’acquis qu’a représenté le relogement sur place d’une partie importante des ménages délogés. Une partie des propositions mises en avant par la municipalité de gauche après le changement de majorité en 2002 est issue des revendications associatives et d’ailleurs le président de la coordination des associations de la Goutte d’or est élu d’arrondissement et aujourd’hui maire-adjoint à l’urbanisme. Tout cela induit des relations de proximité avec la municipalité qui s’accompagnent néanmoins de tensions quant à la place des associations dans les processus de décision.
27Les militants associatifs sont essentiellement recrutés parmi les couches moyennes travaillant dans les champs du social et de l’éducation, dont le capital culturel est plus important que le capital économique ; la marge est ainsi souvent étroite entre militantisme et engagement professionnel. Il faut relever que les populations d’origine étrangère restent peu représentées au sein de ce groupe. Ce groupe se caractérise ainsi par une homogénéité sociale mais surtout des formes d’engagement militant et professionnel dans la contestation urbaine puis dans la gestion sociale du quartier.
UN RESEAU DE NOUVEAUX PROPRIETAIRES
28Le deuxième groupe est composé d’habitants arrivés plus récemment dans le quartier dans les îlots les plus « huppés ». Ce groupe s’est constitué par interconnaissance et cooptation. Un noyau s’est rencontré au sein d’une association, « Droit au calme », aujourd’hui en sommeil ; un autre est constitué de propriétaires arrivés à peu près au même moment dans un immeuble vendu par un marchand de biens et mobilisés pour un problème de drogue ; d’autres ont rejoint le groupe après un conseil de quartier où ils avaient constaté une convergence de vue. Ces individus se distinguent des membres du groupe précédent par des positions sociales plus élevées (des professeurs d’université ou chercheurs plutôt que des enseignants du secondaire) et une plus forte représentation des métiers liés aux médias ou à la sphère culturelle. Ils sont tous propriétaires, ce qui n’est pas le cas dans le groupe précédent. Surtout, ils entretiennent une relation très différente aux modes d’organisation collective et à l’institution municipale. Ils refusent ainsi la forme associative qu’ils considèrent comme contraignante et hiérarchique et préfèrent fonctionner en réseau. Un noyau d’une vingtaine de personnes se réunit dans un bar du quartier toutes les semaines et échange des informations, décide d’actions communes ponctuelles, prépare réunions et argumentations. Entre temps, les informations circulent par courrier électronique. Ce choix correspond à une volonté de « voir le bout de ses actes » (Ion, 1997), de pouvoir à tout moment rester maître de ses engagements vus de façon très individuelle.
29Ces « nouveaux » habitants mobilisent plusieurs types de ressources. Tout d’abord, des compétences politiques. Ils se positionnent tous d’emblée comme « à gauche » et plusieurs d’entre eux ont une expérience politique préalable. Ils savent donc évaluer un rapport de force, se faire entendre dans une réunion publique, trouver les canaux d’expression et de mobilisation publique par voie d’affiches, de pétitions ou de manifestations. Ils parlent d’égal à égal avec les élus locaux. Ils ont par ailleurs accès directement aux ressources médiatiques puisque plusieurs d’entre eux sont journalistes de quotidiens ou d’hebdomadaires connus. Enfin, leurs ressources culturelles leur permettent de se poser en experts, ou tout au moins en citoyens informés. Ils sont d’ailleurs parfaitement conscients de leur statut social et connaissent leurs atouts dans le débat public : « au fond, la vraie difficulté des autorités c’est qu’ils ont en face d’eux des gens qui peuvent parler (…) on est tous propriétaires parce que les locataires qui ne sont pas bien dans leur peau se disent qu’ils vont partir et les locataires qui sont en situation de faiblesse se disent qu’il ne vaut mieux ne pas se mettre à dos leur logeur. On est les seuls à n’avoir peur de personne et à être installés pour longtemps. Dans les HLM, ils peuvent subir des trucs invraisemblables et ils ne se plaignent pas parce que la plupart sont en retard dans leur loyer ». Cette objectivation de leur condition sociale et de leur statut de propriétaire s’accompagne parfois, comme en témoigne cet extrait d’entretien, d’un fort sentiment de légitimité dans le débat public. Ils estiment par ailleurs que leur stratégie de « reconquête du quartier » est vouée au succès même si les résultats se font un peu attendre : « Je pense qu’on va gagner à la longue. Il y a une logique…le mètre carré a triplé…à la fin, ça finit par peser. »
30Leur trajectoire résidentielle permet d’éclairer leurs relations au quartier et les ressorts de leur mobilisation. La plupart viennent d’un quartier parisien plus aisé et leur arrivée dans le quartier a correspondu à une première accession à la propriété. Ils ont acquis leur bien quelque temps avant le boom immobilier, profitant d’un marché encore relativement accessible, le seul accessible pour eux dans Paris. Leur choix résidentiel est ainsi un choix raisonné, lié à la conjoncture immobilière. Si la plupart racontent que la diversité et l’animation du quartier leur ont plu d’emblée malgré parfois quelques préventions dues à sa réputation, rares sont néanmoins ceux qui cherchaient à y habiter. Ce choix n’est pas dénué d’une stratégie immobilière : plusieurs soulignent qu’en visitant le quartier ils ont noté les travaux en cours et sont ainsi arrivés dans l’attente d’un changement social et urbain. Mais ce changement tardant, l’exotisme du quartier dont certains attendaient « des lieux à la fois maghrébins et africains plus joyeux » s’est pour beaucoup révélé difficile à vivre au quotidien. L’espoir a laissé place à la revendication et au sentiment d’une dégradation accrue du quartier depuis leur arrivée. Au total, ce groupe a en partage une condition sociale commune, une même histoire d’installation dans le quartier et surtout un ensemble de représentations, de craintes et d’espoir quant à l’avenir du quartier qui le conduit à des stratégies de conquête sociale.
UNE COORDINATION DE MAL LOGES
31Le troisième groupe, sur lequel nous ne nous attarderons pas ici, nous servira simplement de contrepoint au regard des formes de mobilisation des couches moyennes car, si les couches populaires et les populations immigrées sont peu présentes dans le débat public, elles restent majoritaires dans le quartier et sont aussi réactives aux discours et aux politiques municipaux. Ce groupe est constitué de femmes étrangères ou d’origines étrangères, confrontées à des problèmes de logement et qui ont constitué une coordination des mal-logés. Comme le précédent, il n’est pas institutionnalisé et reste informel dans son mode de fonctionnement. Il se réunit également une fois par semaine mais dans le jardin public du quartier autour d’un repas improvisé. Il est animé par une jeune femme d’origine maghrébine, allocataire du Revenu Minimum d’Insertion (RMI) et relogée depuis peu par la municipalité dans un autre arrondissement. Ce qui unifie ce groupe, ce sont avant tout les mauvaises conditions de logement et la précarité que renforce l’incertitude apportée par les transformations urbaines du quartier. Mais c’est aussi la lutte quotidienne pour survivre et améliorer son cadre de vie, des formes d’entraide et de solidarité et une méfiance vis-à-vis des institutions et des associations à qui elles reprochent d’être « institutionnelles » et de participer au départ programmé des groupes les plus précaires et des étrangers du quartier. Par exemple, l’une de ses membres, qui dit-elle, a travaillé toute sa vie, habite un immeuble qu’elle a réussi à faire classer en insalubrité. Le propriétaire a essayé d’expulser sa famille manu militari mais elle a résisté avec l’aide d’un groupe d’une dizaine de femmes. Plusieurs ont fait des demandes de logement depuis plus de vingt ans. Elles contestent amèrement les attributions réalisées dans les dernières opérations de logement qui selon elles ne se font pas selon des critères sociaux. Leur mobilisation comprend une dimension protestataire, qui les amène par exemple à manifester à l’Hôtel de Ville pour demander des logements ou encore à intervenir bruyamment en conseil de quartier, à l’aide de casseroles et de tam-tam. Mais elles se voient interdites d’entrée de certaines réunions publiques et leur intervention y est marginalisée dans des débats où dominent les couches moyennes « blanches ». À cette dimension protestataire s’ajoute une dimen-75 sion de solidarité et de suivi des cas individuels ; à chaque réunion elles font le point sur les démarches entreprises par les unes et les autres, elles s’accompagnent à leurs rendez-vous respectifs.
DANS L’ATTENTE DE LA GENTRIFICATION... DES REPRESENTATIONS CONTRASTEES
32Le cadre de mobilisation de ces trois groupes et leurs registres d’argumentation sont ainsi bien différents mais, dans les trois cas, ils se construisent en réaction au discours municipal et dans une attente ou une crainte de la gentrification.
33Ainsi, c’est l’annonce d’un projet de rénovation du quartier par la municipalité qui contribue au début des années quatre-vingt à amplifier et à radicaliser la mobilisation associative dans la Goutte d’Or. Cette mobilisation locale est sans doute à éclairer par le contexte parisien de développement de mouvements urbains contre les opérations de rénovation au début des années soixante-dix et plus particulièrement par la démolition de l’îlot Chalon en bordure de la gare de Lyon [11] puis la rénovati n du XIVe. L’association Paris Goutte d’Or publie en juin 1984 le premier numéro de son journal (du même nom) : « le projet de la Ville de Paris : 12 immeubles détruits, un tiers des commerces en moins, 5 000 habitants à la rue ». La contestation de l’opération joue sur trois registres d’argumentation articulés. En premier lieu, les associations mobilisent contre-expertises et travaux scientifiques tels ceux réalisés par François Loyer pour l’APUR pour mettre en avant la valeur patrimoniale du site qui contredirait la démarche de démolition (Breitman et Culot, 1988). Par ailleurs, tout en reconnaissant « le parasitage par le quartier des trafiquants de drogue » elles contestent « le projet de raser le quartier pour déloger les habitants actuels modestes, immigrés en France » au nom d’un argumentaire social et demandent le relogement sur place des habitants délogés. Enfin, elles défendent la réputation du quartier et opposent l’image d’« un village » [12] aux représentations négatives diffusées par les médias nationaux et locaux. Vingt ans plus tard, leur discours est plus ambivalent au regard des discours et politiques municipales. Elles interrogent la pertinence du projet de création d’une « rue du design » en mettant en avant la difficulté de la greffe de la rue de la mode qui accueille de jeunes créateurs. Elles s’inquiètent aussi de la place des plus précaires et des marginaux dans un quartier rénové où disparaissent progressivement tous les interstices appropriables. Mais elles sont quasiment muettes sur l’objectif de mixité sociale (et ethnique) affirmé par la municipalité et qui est décliné par une série d’opérations dans le domaine commercial ou du logement. Certains responsables associatifs s’interrogent d’ailleurs à demi-mot sur « les effets de ghettoïsation » induits par la réalisation d’un parc social et les politiques de peuplement.
34Les annonces de la municipalité et ses premières actions envers le « logement indigne » ont également contribué à la mobilisation de la coordination des mallogés. Cette dernière prend acte de la dénonciation politique du problème mais s’inquiète du devenir des plus précaires dans le processus de transformation en cours.
35Le discours porté par les propriétaires occupants qui se mobilisent au début des années 2000 dans la partie nord du quartier porte quant à lui sur sa revalorisation et sa transformation en demandant à la municipalité de réaliser son programme. Ces habitants affichent des valeurs sensiblement différentes de celles défendues par le noyau associatif. Il s’agit de « rétablir la norme » selon une argumentation que la plupart qualifient de « républicaine ». Ce quartier, abandonné par la puissance publique, serait devenu un quartier de « non-droit » où « tout est possible ». Il s’agit donc d’y restaurer la norme et le droit. La plupart, en arrivant dans le quartier, ont découvert une pauvreté urbaine ancrée dans l’espace parisien et celle-ci leur est d’autant plus pénible qu’ils viennent de quartiers parisiens plus favorisés : « Je n’imaginais pas une seconde qu’on avait pu délaisser les gens de cette façon-là, qu’il y avait une espèce de non-droit dans ce quartier, avec tous les stigmates de la société, c’est à dire la pauvreté, l’immigration, le deal, les caïds, une espèce de renoncement, un discours extrêmement moralisateur à l’égard des gens qui gueulent. Je ne m’attendais pas à ce que tout cela soit dans cet état de délabrement social. » Ils revendiquent donc l’égalité de traitement, relevant par exemple que le nettoyage de rue était effectué deux fois plus souvent dans leur précédent quartier.
36Mais surtout, deux enjeux forts sont posés par ces habitants : celui du trafic et de la présence de consommateurs de drogues dans l’espace public et la fonction de marché africain à vocation régionale du quartier. La revendication d’égalité de traitement renvoie à des inégalités objectives et sans doute pour partie à une volonté des forces de police de contenir le trafic de drogue au sein d’un territoire délimité pour mieux le contrôler. Mais elle repose aussi sur une vision normative de ce que devrait être un quartier « populaire ».
37Cette image s’oppose à celle de la partie sud du quartier, considérée comme ghetto parce que perçue comme comportant trop de logements sociaux et d’étrangers [13]. Il s’agit donc de faire pression sur la municipalité pour éviter qu’elle ne fasse « comme à la Goutte d’or » (par opposition au quartier Château-Rouge) et d’investir principalement deux terrains, celui des commerces et celui de la toxicomanie [14]. La thématique de la mixité et de l’équilibre est au cœur de la stratégie de ces habitants, entendue ici comme le « retour » des couches moyennes. Celles-ci se posent d’ailleurs comme garantes du bon fonctionnement du quartier et de sa nécessaire transformation, pouvant éventuellement prendre la défense de plus démunis qui ont moins accès à la parole : « Il fallait que des gens comme nous viennent s’installer dans le quartier pour le tirer vers le haut ». Cette défense de l’égalité permet de revendiquer une bonne conscience sociale malgré l’objectif explicite de conquête du quartier et l’image de « bobos » qui leur est renvoyée par certains élus municipaux ou responsables associatifs.
38Enfin, cet appel à la responsabilité de la puissance publique passe par une dénonciation virulente du tissu associatif décrit comme « une technocratie », « des associatifs fonctionnarisés », un monde « à faible identité professionnelle qui se légitime et s’alimente du traitement de la pauvreté et n’a pas intérêt à ce que le quartier change ». L’appel aux associations s’apparenterait à une démission de l’État auprès de structures non contrôlées, selon un fonctionnement opaque et technocratique qu’il faudrait démocratiser. Ce clivage avec le noyau associatif de la Goutte d’or s’est focalisé sur la question du commerce et sur le traitement de la toxicomanie.
4. DES THEMES DE CONFLIT CENTRES SUR L’ESPACE PUBLIC
39Une des premières récriminations des nouveaux habitants porte sur l’appareil commercial du quartier et son évolution. Tous font la liste des petits commerces « traditionnels » remplacés par des commerces africains. Le fromager, le charcutier, le marchand de vin représentaient les repères d’un quartier qui de « populaire » s’est, selon eux, transformé en « africain ». La plupart ne font pas leurs courses dans le quartier. La foule qui envahit les rues à partir du vendredi, signe que le quartier n’appartient pas à ses seuls habitants et encore moins à ce groupe social, est devenue insupportable. Le modèle socialement correct du quartier-village pour les couches moyennes, construit sur une coexistence sociale pacifiée, à l’image du Montmartre d’Amélie Poulain, n’est plus de mise. Certains préconisent la fermeture de la station de métro Château-Rouge pour « rendre difficile l’accès au quartier » et une limitation de la circulation « pour rendre le quartier inaccessible [15] ». La plupart soutiennent la proposition de la municipalité de réaliser en périphérie un « marché des cinq continents » qui permettrait de délocaliser certains commerces africains, se posant, là encore, en représentants des habitants du quartier, y compris des plus pauvres, qui ont droit, comme les autres, à des commerces « de qualité ».
40Pour faire entendre leurs voix, ces habitants participent activement aux conseils de quartier où ils prennent aisément la parole. Lorsque la municipalité organise des groupes de travail sur l’aménagement d’un secteur commercial, ils s’y inscrivent et viennent protester mais aussi faire des propositions. Au cours de ces réunions, les professionnels et les copropriétaires présents échangent sur les moyens communs à mettre en œuvre pour contrôler les implantations commerciales. Ils s’accordent avec les techniciens de la municipalité pour les informer des cessions de bail et agir sur les syndics pour mieux réguler l’occupation des commerces dans les cours et sur la rue. Des stratégies pour faire intervenir la police, et même l’inspection du travail, sont évoquées. Sur cette thématique du commerce, les revendications de ce groupe d’habitants rencontrent bien les orientations municipales. Or on relèvera que les associations historiques de la Goutte d’or, qui s’étaient déjà mobilisées sur cette question, prennent peu parti dans ces débats qui mobilisent avant tout les résidents et les associations de Château-Rouge.
41Une autre question récurrente depuis la fin des années soixante-dix, celle de la place et de la visibilité des usagers de drogue dans l’espace public, représente un deuxième thème de conflictualité sociale, à côté de celle de la prostitution et de la sécurité. Le problème est posé dès les premières mobilisations dans les années quatrevingt qui dénoncent une aggravation de la situation après la démolition de l’îlot Chalon qui aurait conduit au déplacement du trafic. Plus récemment, les responsables associatifs qui interviennent dans le domaine de la toxicomanie indiquent que la démolition de squats, la transformation urbaine du quartier « a limité les interstices où les publics usagers de drogues avaient coutume de s’installer pour consommer et trouver du repos et accentué leur présence dans les espaces publics » [16]. Ils évaluent ainsi la présence de plus de 3 000 usagers de drogue circulant dans le quartier soit 10% de la population y habitant. La plupart sont consommateurs de crack, drogue consommée par les couches les plus précarisées ; ils occupent l’espace public, à certains points fixes, à diverses heures du jour et de la nuit, ce qui peut être à l’origine de nuisances sonores et d’un sentiment d’insécurité. Leur présence tolérée est cependant à l’origine d’une forte mobilisation policière [17] et d’incidents réguliers liés à des poursuites-arrestations dans le quartier dont le dernier en date, en mars 2005, s’est conclu par la mort d’un jeune homme suivie par une forte émotion et un bouclage policier du quartier.
42L’émergence de cette question comme problème conduit, au début des années 1980, à une première réponse associative et à la création, en 1987, d’un lieu associatif conçu comme « un lieu de médiation et lieu de rencontre entre professionnels et non professionnels » visant à faire travailler ensemble professionnels, usagers de drogue et habitants. En 1999, pour mettre fin à l’émiettement des dispositifs et des pratiques, un dispositif expérimental de coordination est mis en place, porté par la puissance publique mais s’appuyant sur l’ensemble des intervenants autour d’un projet partagé de réduction des risques (Fayman et al., 2003). Dans ce contexte une association, projetant d’étendre ses activités et de proposer des consultations psychiatriques aux consommateurs de drogue, négocie un bail avec un propriétaire privé. La réaction de certains riverains ne se fait pas attendre. Des affiches sont placardées dans la rue, une pétition circule au nom d’un collectif d’habitants du quartier de la Goutte d’Or-Château Rouge. Le conflit s’exprime et se débat publiquement lors de la tenue des « États généraux du crack » organisés par la Mairie de Paris et auxquels sont conviées toutes les institutions engagées dans la lutte contre la toxicomanie. Responsables associatifs, élus municipaux et Préfet tentent de désamorcer la controverse en indiquant qu’il n’y aura pas création de nouveau lieu d’accueil et en restreignant le projet associatif à une extension administrative [18].
43Cette réaction bien banale, qui renvoie à un réflexe de protection, semble intéressante à analyser du point de vue des arguments mis en avant. Elle met en scène l’opposition entre le noyau associatif de la Goutte d’Or, ici appuyé par les institutions et la municipalité, et un groupe d’habitants de Château-Rouge, mobilisé contre le projet. Les associations de la Goutte d’Or, bien que soulignant le manque de moyens accordés par la puissance publique, se mobilisent, banderoles en tête, devant la mairie du XVIIIe pour marquer leur soutien à l’association. Les institutions insistent sur les causes sociales de la toxicomanie, la difficulté et l’importance du travail fait, la défense de la stratégie de réduction des risques qui passe par l’accueil des toxicomanes. Quant aux habitants mobilisés, ils développent trois types d’argument. Sur le plan démocratique : ils ont été mis devant le fait accompli et ils demandent un référendum local. Ils dénoncent le manque de transparence de l’activité associative où « les évaluateurs sont les évalués » (intervention en réunion). En second lieu, ils critiquent la stratégie défendue par les institutions : les lieux d’accueil créent le public et « génèrent une toxicomanie de rue ». Ils remettent en cause sa professionnalité : « cet impressionnant dispositif n’a ni les locaux appropriés ni les compétences médicales requises pour mener une véritable politique de soins et de lutte contre la drogue » [19]. Enfin, ils dénoncent, en tant qu’habitants, une politique de « discrimination négative, réservée à des quartiers ciblés, véritable apartheid contre les plus faibles, aux forts relents de nostalgie coloniale, et liée à de sordides calculs financiers, ou de protection des beaux quartiers qui n’honorent personne » [20]. Ils se posent ainsi en défenseur de l’intérêt des plus fragiles car la toxicomanie de rue « génère des troubles intolérables à l’ordre public en particulier auprès des enfants, des adolescents et des personnes que leur âge ou leur condition sociale fragilise » [21] opposant un public fragilisé à un autre. Cette intervention dans le débat public, appuyée de tracts et pétitions, conduit à restreindre le projet de l’association et à politiser le débat. La question posée ici est bien celle de l’occupation sociale de l’espace public et de la place réservée aux marginaux dans la ville. On remarquera que ces conflits impliquent plutôt des activités de passage (commerces exotiques de pleinvent, deal et toxicomanie) que des problèmes résidentiels de cohabitation. Mais le soupçon selon lequel elles seraient encouragées par les résidents pauvres et immigrés du quartier est latent.
CONCLUSIONS
44Cette recherche nous permet de souligner l’importance des discours publics dans le processus de gentrification. Ceux-ci opèrent autant comme « prophétie autoréalisatrice » que comme arbitrage entre plusieurs groupes locaux disposant et mobilisant des ressources différentes. Reflets de l’entre-deux du changement social, entre annonce et réalité, ils articulent un récit optimiste et pragmatique qui, dans le cas de la Goutte d’Or, s’appuie sur les possibilités locales de régulation permises par le tissu associatif et la reconnaissance du statut populaire et d’immigration du quartier, et un discours catastrophiste qui dénonce la ghettoïsation et s’appuie sur la déception et l’inquiétude. Ces oppositions recouvrent des représentations différentes de ce qu’est et pourrait être un quartier populaire ou de mixité sociale. Leur confrontation est d’autant plus vive que la transformation sociale du quartier n’est ni achevée, ni assurée. À Paris, les discours municipaux se déploient entre ces deux images du quartier et de son devenir. Ils se construisent en discussion avec les différents acteurs privés et associatifs, car il convient à la fois de rassurer les habitants, d’attirer les investisseurs et de justifier une opération d’ampleur. La municipalité, en mettant en place des structures de concertation, développe un dispositif d’écoute et de régulation des conflits liés à la cohabitation sociale. C’est dans cette structure que s’engouffrent les nouveaux gentrifieurs qui reprennent à leur compte le discours de déclin par lequel la précédente municipalité avait initié l’opération à la fin des années 1970. Dès lors, la caractérisation des gentrifieurs par leur situation socio-économique, leur statut d’occupation et leurs trajectoires peut être complétée par une analyse des formes de mobilisation collectives et de la construction de représentations et de modes d’action communs.
45Enfin, la question de la gestion des espaces publics et de l’appareil commercial apparaît déterminante dans les processus de gentrification ; ce sont ces éléments autant que le logement qui fondent l’investissement des couches moyennes. L’évolution des enjeux posés à la Goutte d’or, de la question de l’habitat à celle de l’espace public et, partant, des commerces et de la toxicomanie, en est l’illustration. Est ainsi posé le problème du mode de construction des diagnostics institutionnels entre appel à la science et intégration de la critique émanant des mouvements sociaux.
46Au-delà du cas parisien, cette recherche confirme, comme l’avait déjà montré Jean-Yves Authier (2000), que la gentrification peut rester un processus inachevé qui ne débouche pas forcément sur le basculement social d’un quartier. Au cours de cette phase, plusieurs groupes sociaux se côtoient et se partagent l’espace, dont différentes générations de gentrifieurs. Ce constat permet de relativiser les descriptions caricaturales d’une ville à trois vitesses d’où disparaîtraient progressivement les configurations de quartiers de « mixité » sociale. Il met en évidence l’enjeu des représentations sociales et des discours politiques qui contribuent à mettre les groupes sociaux en tension. Il montre par ailleurs que les situations de mixité sociale, bien réelles, ouvrent sur des formes de cohabitation dans l’espace allant de la solidarité à la co-présence, à l’évitement ou au conflit. Jouent ici les effets de lieu, les histoires sociales et trajectoires résidentielles mais également les formes de construction de cette mixité, choisie ou imposée.
Notes
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[1]
Le montant total des travaux pour le secteur sud de la Goutte d’Or Sud s’élève à 47 M € pour une subvention publique de 14,2 M€. Pour le secteur nord dit Château-Rouge le montant des travaux est de 15,6 M€, pour une subvention publique de 3,6 M €.
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[2]
Collectif (1977) « Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme. Le diagnostic » Paris Projet n° 19-20 p. 18-19.
-
[3]
Ibid.
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[4]
Ibid., p. 132.
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[5]
Collectif (1983) « L’aménagement de l’est de Paris » Paris Projet n° 27-28, p. 11.
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[6]
Les dates entre parenthèses correspondent aux séances de débat du Conseil Municipal de Paris.
-
[7]
Barbe C. (2005) « Château-Rouge » Paris Projet n° 32-33 p 157.
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[8]
Rapport de présentation Agence Nationale de Renouvellement Urbain 2005.
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[9]
Bien que des dispositifs législatifs récents tendent à les compter comme logements sociaux, le plafond de revenu des ménages entrant dans ces logements peut être cinq fois supérieur aux Habitations à Loyer Modérés aidés par l’État.
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[10]
Église catholique Diocèse de Paris (1987) Cela se passe à la Goutte d’Or, brochure
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[11]
Selon certains acteurs, l’opération îlot Chalon, située à plusieurs kilomètres, a poussé toute une population marginalisée vers le Nord-Est parisien. Elle inquiète les associations locales par le volontarisme de la destruction et ses conséquences sociales pour les habitants.
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[12]
Titre d’un article de 1984 dans Paris Goutte d’Or.
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[13]
Concernant les étrangers cette représentation est en retard de dix ans sur la réalité puisque beaucoup d’îlots au nord de la zone de rénovation en comptent une plus large part. La présence visible du parc social en 2005, dans le secteur sud, mais non exclusivement conduit les personnes interrogées à confondre les deux variables.
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[14]
En fait, la question de la diversité commerciale a été soulevée dès le début des années 80 par les associations pionnières mais n’avait pas cette ampleur. La critique du plan de rénovation relevait l’absence de commerces de proximité. Dans le cas présent, c’est tout le quartier qui est visé par cette dénonciation qui fait appel aux autorités extérieures (Etat, police, municipalité et médias) et rejette toute perspective de régulation interne.
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[15]
Interventions de membres du groupe dans les groupes de travail portant sur l’aménagement du secteur Dejean.
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[16]
Intervention du Coordinateur de la Coordination Toxicomanie du XVIIIe à la CLC Goutte d’Or du 07/04/09.
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[17]
Fayman et al. décrivent une « tolérance malveillante » qui tente d’empêcher que ces pratiques ne s’étendent à d’autres quartiers.
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[18]
États généraux du crack, mardi 14 juin 2005.
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[19]
Communiqué du collectif des habitants du quartier de la Goutte d’Or, juin 2005.
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[20]
Ibid.
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[21]
Ibid.