CAIRN.INFO : Matières à réflexion

INTRODUCTION

1L’idée que l’expérience sexuelle est devenue le lieu central de la construction morale de soi en Occident, avancée dans le second volume de l’Histoire de la Sexualité (Foucault, 1984) peut être prise à la fois comme un résultat, comme une hypothèse et comme un programme de recherche. Avec le christianisme, cette construction morale a longtemps impliqué l’acquisition d’une connaissance de soi, préalable à la mise en œuvre d’une ascèse et d’une éthique. Ainsi, au Moyen Age, à l’aveu de la sexualité en confession succédait l’épreuve périodique de la pénitence et de la purification (Foucault, 1976 ; Flandrin, 1981). Discours théologique et pratique pénitentielle constituaient alors un système fortement intégré, qui proposait un traitement unitaire du sujet. Lorsqu’au XIXe siècle la médecine se substitue à la théologie comme savoir de référence sur la sexualité [1], la construction du sujet commence à s’effectuer de manière plus fragmentée à travers les discours et les disciplines qui traitent du normal et de l’anormal. À l’époque contemporaine, qui veut reprendre après Foucault le projet d’une histoire du sujet désirant se trouve face à un véritable défi sociologique, en raison de la diversification toujours plus grande des discours sur la sexualité, de la multiplication des savoirs et des pratiques de soi, de l’apparition de mouvements sociaux comme le mouvement féministe et le mouvement homosexuel qui ont politisé l’intimité, et de la complexification des trajectoires affectivosexuelles. Dans la construction de soi, le difficile effort pour se connaître, se situer vis-à-vis des autres et se comprendre, par la quête individuelle des discours et des savoirs qui permettent de mettre en cohérence des expériences intimes de plus en plus diversifiées (Lahire, 1998), l’emporte désormais sur l’ancienne préoccupation éthique de mise en conformité de l’individu avec un idéal moral absolu.

LA DIVERSIFICATION DES EXPERIENCES DE LA SEXUALITE

2Reconnaître la diversité des expériences en matière de sexualité n’est nullement célébrer une prétendue efflorescence et libération des identités sexuelles, hors de tout cadre, contexte ou « dispositif », qui atténuerait le poids de la construction sociale. Même les formes apparemment les plus idiosyncratiques et les plus nouvelles des comportements sexuels résultent d’une élaboration sociale, qui les inscrit inévitablement dans des univers socio-culturels et dans des classes de trajectoires biographiques [2]. La nouveauté contemporaine est qu’il n’est plus possible de se représenter la socialisation à la sexualité comme l’imposition unilatérale d’un ensemble de normes et de valeurs sociales dominantes. Dans un ouvrage récent, Jeffrey Weeks et Janet Holland indiquent : « Les changements des dernières décennies, qui ont permis l’émergence d’une sociologie de la sexualité, ont également transformé la manière dont les sexualités sont vécues. Il n’est plus possible, si cela a jamais été le cas, de se représenter notre société comme une forme hégémonique dont tout ce qui s’écarte serait déviance. Aujourd’hui, de plus en plus, il faut reconnaître que la sexualité est autant l’effet de l’élaboration et de l’invention des acteurs que la résultante de régulations macro-sociales ». (Weeks et Holland, 1996, p. 6 ; traduit par nous, M.B). Ce qui se trouve mis en cause, c’est une vision unitaire du développement psycho-sexuel [3], de même que l’idée d’une imposition pure et simple du comportement sexuel par la culture.

3La diversification des expériences et des trajectoires sexuelles, affectives et conjugales invite à reprendre more sociologico la question foucaldienne de la place de la sexualité dans la construction de soi et dans la construction de la culture. Si, dans les dernières décennies, et en lien avec l’affaiblissement de l’armature institutionnelle de la vie privée, dont le déclin du mariage est une des manifestations, la sexualité est devenue un élément de plus en plus fondamental dans la construction du sujet social, il reste qu’il existe des manières bien différentes de lui donner sens et de l’inscrire dans les biographies. On fait ici l’hypothèse qu’il existe des configurations distinctes, en nombre limité, qui associent de manière stable des pratiques de la sexualité et des représentations de soi. Ces types d’orientation intime constituent de véritables cadres mentaux, qui délimitent l’exercice de la sexualité, définissent le sens qui lui est donné et indiquent le rôle que la sexualité joue dans la construction de soi. Les orientations intimes sont au fondement de classements sexuels des individus, qui ne se réduisent pas aux classements sociaux habituels ni aux appartenances héritées (classes sociales, groupes culturels, genre, groupes d’âge), bien qu’ils puissent leur être liés ; elles prennent leur source dans des processus biographiques et font corps avec les individus, justement parce qu’elles naissent d’expériences vécues en première personne. Ainsi le fait que certains individus ne puissent pas concevoir d’expérience sexuelle non liée à la conjugalité est à la fois conséquence et cause d’un ensemble d’expériences biographiques, qui activent des enseignements formels ou informels reçus depuis l’enfance, dans la famille et hors de la famille. Éminemment sociaux, ces processus biographiques ne peuvent pas être considérés comme des choix personnels libres, mais ce ne sont pas non plus de simples déterminations transmises. Les orientations intimes constituent un niveau social intermédiaire qui, simultanément, subit l’influence de fonctionnements macro-sociaux et joue un rôle original dans les processus de mise en cohérence du sujet.

LES ORIENTATIONS INTIMES, OU LES MODES DE CONSTRUCTION DE SOI PAR LA SEXUALITE

4Définir les orientations intimes implique de les distinguer d’un certain nombre de notions apparemment proches. Elles ne doivent être confondues ni avec les « orientations sexuelles », ni avec les classements épidémiologiques, ni avec les classements socio-sexuels spontanés. La classification en termes d’orientation sexuelle, qui distingue homosexuels, hétérosexuels, bisexuels, apparue au siècle dernier dans le champ de la sexologie et de la psychiatrie, avant d’être reprise dans l’enquête de Kinsey, puis par des « militants de la sexualité », enfin par des épidémiologistes, est critiquable en raison de la force de son lien originel avec la question de la normalité, et pour la confusion qu’elle introduit entre le registre des pratiques et celui des identités, qu’elle tend à réduire à une question de choix d’objet sexuel (Katz, 1995 ; Halperin, 1990 ; Costa, 1996) ; la place démesurée accordée à la question du sexe des partenaires (Giami, 1999) fait que cette classification n’a qu’un pouvoir descriptif et analytique limité, ne serait-ce que parce que l’une des catégories regroupe à elle seule 95% de la population. Une autre manière de classer les individus en fonction de leur comportement sexuel, couramment utilisée aujourd’hui en épidémiologie, consiste à distinguer les individus selon la taille de leur réseau de partenaires (monopartenaires vs multipartenaires) : prises hors de contexte, ces catégories, de nouveau, ne disent rien sur les significations que revêtent les comportements. Il existe enfin dans toutes les sociétés et les cultures des catégories de classification des individus en fonction de leur apparence et de leurs attitudes en matière sexuelle (Fry, 1982 ; Parker, 1991 ; Bozon, Heilborn, 1996 ; Prieur, 1998) ; dans les pays de culture latine, les hommes sont souvent classés selon leur degré de virilité (le macho vs l’efféminé), les femmes selon leur posture morale (la femme honnête vs la femme facile). Ces dichotomies révèlent que la production sociale des comportements sexuels est liée à la construction des rapports de genre (Bozon, 1999), mais elles n’ont évidemment pas une très grande valeur descriptive dans les sociétés contemporaines.

5Notre effort pour identifier des attitudes stables en matière de sexualité présente des traits communs avec le travail de Luc Boltanski sur les formes élémentaires de l’amour (Boltanski, 1990), dont l’objectif et la méthode étaient ainsi présentés : « Pour accéder aux compétences cognitives des personnes ordinaires, son objet de prédilection, l’anthropologue peut procéder à une série de va-et-vient entre la tradition et les intuitions que lui livrent ses informateurs » (p. 149, op. cit.). Les formes élémentaires de l’amour sont moins vues comme des affects et des sentiments que comme des formes du lien social, des états dans lesquels les individus sont plongés dans la relation aux autres et des modes d’interaction avec ces derniers. S’écartant des formulations des modernes, qu’il juge trop complexes et trop entremêlées, Boltanski décide de s’appuyer principalement sur les outils forgés par la tradition grecque, pour distinguer trois variétés d’amour. La philia est une sorte de bienveillance mutuelle, fondée sur une pratique stricte de la réciprocité entre partenaires, et qui implique donc une égalité entre ces derniers. L’éros trouve sa détermination première dans le désir, expression d’un sentiment de privation, et traduit le désir d’acquérir l’objet (l’être) aimé ; entre l’amant et l’être aimé, aucune réciprocité n’est a priori envisageable. L’agapé, enfin, est une sorte de bienveillance universelle, qui peut être manifestée en présence de n’importe quelle personne ; elle est indépendante du désir et ignore le calcul, dont la philia est généralement porteuse. Il est possible de décrire de nombreuses situations qui mettent en relation des personnes qui ne sont pas dans le même état l’une vis-à-vis de l’autre. Les problèmes d’interprétation de la situation qui en découlent mènent à malentendus, accusations et conflits. Dans toutes les relations entre individus impliquant un contact sexuel, abondent ces conflits d’interprétations, explicites ou implicites.

6Pour dégager les orientations intimes des individus, c’est-à-dire leurs manières élémentaires de se situer et de se connaître à travers la sexualité, nous avons décidé de nous appuyer, à la différence de l’auteur d’Amour et Justice, sur la complexité des arrangements contemporains de la sexualité. De même que l’apparition d’une sphère autonome de la sexualité ne remonte qu’à la seconde moitié du XIXe siècle, la diversification des orientations intimes est un phénomène récent. Elle ne peut être abordée sans tenir compte de la complexification des trajectoires biographiques, et de la diversification, également contemporaine, des savoirs et des discours sur l’individu. Mais ce sont moins les origines des discours tenus sur la sexualité ou la description « objective » des trajectoires sexuelles qui nous importent ici, que les usages que les individus font de la sexualité et les cohérences qu’ils donnent à leurs expériences sexuelles. Les débats publics et privés sur la sexualité peuvent souvent être lus comme des confrontations entre orientations intimes antagoniques, c’est-à-dire des divergences sur la définition même de ce que la sexualité est ou doit être. De même, les recherches sur la sexualité, qui se sont diversifiées, ne peuvent pas échapper à une interrogation sur les définitions qu’elles utilisent, dans la mesure où aucune définition ne s’impose à tous (Giami, 1991 ; Le Gall, article dans ce numéro). Même les travaux en sciences sociales sur la sexualité correspondent à des constructions de la sexualité, et donc à des orientations, qui peuvent diverger radicalement, pour des raisons qui ne sont pas avant tout d’ordre idéologique.

7Les orientations intimes en matière de sexualité s’élaborent dans les trajectoires biographiques et les expériences, abouties et inabouties, de construction de soi (Lagrange et Lhomond, 1997, p. 35-36). Mais si les expériences et les trajectoires possibles sont apparemment infinies, les places que la sexualité peut occuper dans la vie des individus se ramènent à quelques cas de figure. Trois usages élémentaires de la sexualité dans la construction de soi sont décrits dans cet article : l’un qui situe l’individu à l’intersection de liens avec de multiples partenaires, le second qui prend le désir comme manifestation et repère de l’existence individuelle, et le dernier dans lequel l’échange (ou le service) sexuel est le cœur d’une réalité qui lui est supérieure, la relation conjugale. La théorie des orientations intimes fournit une grille de lecture utile pour analyser des situations sociales de concurrence ou de conflit ouvert entre interprétations de la sexualité, ou des fonctionnements individuels clivés, liés soit à la coexistence d’espaces primaires et d’espaces secondaires de la sexualité soit à des glissements biographiques.

TROIS TYPES D’ORIENTATIONS INTIMES : RESEAU SEXUEL, DESIR INDIVIDUEL, SEXUALITE CONJUGALE

8Dans les sociétés contemporaines, il y a plusieurs manières de qualifier les rôles que la sexualité joue dans la vie et dans la construction identitaire des individus. Dans tous les cas, il importe cependant d’éviter de considérer la sexualité comme une fonction autonome, qui aurait en soi une existence incontestable et objective (Gagnon, 1990 ; Bozon, Giami, 1999). Sexualité est un nom donné à des constructions sociales, désignant des constellations très diverses de pratiques, d’interactions, d’émotions et de représentations, qui délimitent des territoires de relations d’ampleur plus ou moins grande et donnent lieu à des processus de construction de soi variés. La sexualité peut se vivre ainsi de façon extravertie et visible, ou inversement de manière discrète et secrète. Les individus peuvent valoriser le renouvellement des partenaires ou inversement leur stabilité. La sexualité est appréhendée par les sujets comme une composante intrinsèque de leur personnalité, ou bien comme un attribut ou une propriété des relations qu’ils nouent. D’autres traits pourraient être pris en compte, mais il n’est pas certain qu’ils permettent d’enrichir la description. Les propriétés retenues conduisent à un nombre fini de configurations. On propose de distinguer trois familles d’orientations intimes, correspondant à des logiques et à des représentations suffisamment éloignées pour que l’on puisse les décrire comme des types distincts, à partir de leurs manifestations extrêmes : on les qualifie ici de modèle du réseau sexuel, de modèle du désir individuel et de modèle de la sexualité conjugale.

LE MODELE DU RESEAU SEXUEL

9Le modèle du réseau sexuel, que l’on peut aussi nommer modèle de la sociabilité sexuelle, n’est pas l’orientation la plus répandue, mais c’est un paradigme de référence important. Il se caractérise par une tendance à l’extériorisation de l’intimité qui va en apparence à l’encontre du mouvement séculaire de privatisation de la sexualité [4] (Elias, 1973). Dans ce type d’orientation intime, l’activité sexuelle apparaît aux individus comme une composante ordinaire de leur sociabilité, génératrice de capital social mais également créatrice de liens d’interdépendance. La sexualité constitue ici un élément central d’identité sociale, voire un trait d’identité professionnelle. Le renouvellement des partenaires est fréquent et n’est pas du tout clandestin. Philippe Adam montre que cette extériorisation est typique d’une partie des homosexuels, ceux qui se sentent le plus liés à la « communauté gay », et estiment que leur orientation sexuelle est une part essentielle de leur identité, qui doit absolument être assumée publiquement (Adam, 1999 ; Adam, dans ce même numéro ; Coxon, 1995). Ces derniers ont des nombres de partenaires plus élevés que la moyenne des homosexuels, vivent moins souvent en couple et fréquentent souvent les lieux de sociabilité gay typiques (bars, saunas, boîtes).

10On peut rattacher également à cette orientation le comportement d’hétérosexuels à partenaires multiples, fréquents dans certains milieux professionnels, pour lesquels la sexualité, la séduction et toutes les formes de mise en scène de soi fonctionnent comme modes d’acquisition de capital social et donc comme éléments de reconnaissance. Loin d’être dissimulé, le comportement sexuel et amoureux est mis en avant. En France par exemple, les professions de l’art, de l’information et du spectacle sont les représentants typiques de cette disposition sexuelle extravertie. Parmi les hommes et femmes en couple c’est dans cette catégorie sociale que l’on rencontre la proportion la plus élevée de multipartenaires (Bozon, 1997). La « séduction » et les succès amoureux des hommes de pouvoir peuvent aussi être interprétés comme une extériorisation statutaire de la sexualité, relativement licite dans les pays du sud, y compris la France.

11Le journal du cinéaste, journaliste et écrivain Michel Polac (Polac, 2000), qui fait une large place à la description de ses expériences intimes, est un document de premier ordre sur ce type d’orientation [5]. L’auteur commente ses nombreuses aventures, entre lesquelles s’intercalent quelques relations plus durables. Évoquant sa vie sexuelle, il se réfère souvent à ses partenaires féminines comme à un ensemble ou à un groupe, dont il aime à être connu et à pouvoir disposer quand l’envie lui en prend (« un vivier »). Inversement, sa hantise est d’être seul et oublié d’elles, voire de se trouver englué dans une liaison stable qui l’éloigne de son groupe. Il « s’amuse » (p. 90) à tenter de retrouver la liste des femmes avec qui il a eu des rapports sexuels. Il commente ainsi sa situation présente : « Il m’aura fallu attendre la cinquantaine pour vraiment organiser ma vie sans plus de problèmes…Aujourd’hui j’ai un carnet d’adresses plein de belles amies que je peux rappeler quand j’ai envie, un luxe dont se vantaient devant moi certains journalistes, photographes don Juan dans la trentaine que je n’imaginais pas imiter un jour et si tard … » (p. 91). En de nombreux endroits du texte, il critique l’expérience et l’idée même du couple, et tout ce qui lui associé : « L’idée de couple m’est définitivement étrangère » (p. 141). « Au diable les illusions d’amour, et ses drames puérils » (p. 239). Il relativise également l’importance du désir, et surtout de la conquête, qu’il ne conçoit que rapide : « Je regrette un peu ma sérénité : au moment où les femmes s’offrent avec tant de facilité – beaucoup trop, encore qu’entre deux excès je préfère celui-ci, car je détestais le temps où il fallait conquérir…Certaines femmes me paraissent gagnées sans que j’aie besoin de les baiser pour en être sûr – et c’est là où la part de jeu se révèle plus importante que le désir. J’avais toujours cru ne pas être un collectionneur, j’avais toujours cru être mû par un vrai désir, eh bien non, c’est plus mélangé que ça » (p. 150-151). La relation avec les partenaires du carnet d’adresses est caractérisée, au moins idéalement, par la durabilité (la relation avec une partenaire est éventuellement mise en sommeil, jamais rompue), et par la fidélité (qui n’a rien à voir ici avec l’exclusivité). « Heureusement mes amoureuses ne m’abandonnent pas…Si j’ai réussi quelque chose en vieillissant, c’est de plaire aux femmes. Je veux dire de créer une profonde amitié confiante qui résiste au temps » (p. 112). La fidélité est paradoxalement liée à l’intermittence plutôt qu’à la continuité : « J’ai aimé que G. m’ait appelé pour me demander simplement – après dix ans – “je peux venir ce soir ?”, ait rappliqué et se soit donnée en silence, sitôt la porte refermée. La séance fut d’un érotisme torride. Puis, il est vrai, elle n’a pas pu résister au désir de me parler de son dernier amant. Nous avons néanmoins refait l’amour puis elle est repartie. J’espère son appel à la rentrée » (p. 481). Avoir un rapport sexuel avec une femme est créateur d’un lien particulier qui, selon l’auteur, n’existe pas entre hommes et qui peut prendre divers noms – amitié, amitié amoureuse, connivence, complicité : « Faire l’amour permet de gagner quelques années dans l’amitié entre un homme et une femme » (p. 108), « Lorsque je me retrouve avec deux ou trois amies qui ont fait un jour ou l’autre l’amour avec moi, et même s’il ne se passe plus rien entre nous sur ce plan depuis longtemps, je me sens une complicité avec elles toutes » (p. 110-111). La sexualité est ainsi créatrice d’une sociabilité, qu’elle contribue à entretenir et qui ne se limite pas à la pratique sexuelle. Cette sociabilité sexuelle joue une fonction importante dans la construction de soi de l’auteur du Journal.

12Il existe un dernier ensemble de sujets pour lesquels l’extériorisation de la sexualité est directement une affaire d’identité professionnelle : les travailleurs et travailleuses du sexe, prostitué(e)s, travestis et autres qui, dans une optique marchande, sont tenus d’exhiber des signes visibles de leur profession, afin de réaliser un nombre élevé de prestations, c’est-à-dire de contacts avec des clients (Welzer-Lang et al., 1994 ; Prieur, 1996 ; Mathieu, 1999). Dans l’espace de la prostitution, le statut des travailleurs et travailleuses du sexe est lié à celui de leurs clients. L’extériorisation de la sexualité s’accompagne ici d’une forte hétéronomie des sujets.

13Le modèle de la sociabilité sexuelle, dans lequel le sujet acquiert son unité et sa consistance par ses liens visibles à de multiples partenaires, prend des formes très différenciées en fonction des rapports de genre, et plus généralement de la place des individus dans les rapports de classe. Le réseau sexuel peut constituer une ressource et un élément de prestige et aller de pair avec une position dominante du sujet. On peut emprunter des exemples à d’autres sociétés. Ainsi la position d’homme polygame en Afrique est un statut de dominant, par rapport aux femmes mais aussi aux hommes non polygames. Dans la société Na de Chine, qui ne connaît ni le mariage ni la paternité, les relations entre hommes et femmes prennent la forme de « visites furtives », et le fait de visiter de nombreuses femmes ou d’être visitée par de nombreux hommes procure un grand prestige (Cai Hua, 1997). En raison de l’absence d’institutionnalisation et de valorisation sociale de la relation conjugale dans cette société, c’est donc le modèle du réseau sexuel qui est considéré comme l’orientation intime la plus légitime pour les femmes comme pour les hommes. Inversement l’inscription dans un réseau sexuel peut impliquer une situation de dépendance unilatérale, une réputation dévalorisante ou une véritable stigmatisation. Dans la « communauté » homosexuelle, le réseau peut fonctionner comme ressource et contre-handicap pour des individus discriminés. Pour les femmes en revanche, dans la plupart des sociétés, le fait d’avoir un réseau sexuel est un élément stigmatisant, qui signale la femme facile ou la prostituée. Seules les stars peuvent parfois échapper à cette dévalorisation. Même si le modèle du réseau sexuel ne concerne directement qu’un nombre d’individus assez faible, il a une grande importance dans les représentations sociales. Par ailleurs il entre souvent en combinaison avec des orientations plus classiques.

LE MODELE DU DESIR INDIVIDUEL

14Dans un second modèle, qu’on peut intituler modèle du désir individuel, le surgissement régulier du désir, accompagné de la conquête (réelle ou fantasmée) de l’objet désiré, est une des conditions du maintien de l’identité intime du sujet. Un travail de réassurance périodique et de restauration de soi s’effectue dans et par le corps, à partir de la manifestation périodique du désir. Dans cette orientation moins extériorisée et plus tournée vers l’individu lui-même, un renouvellement fréquent des partenaires n’est pas indispensable et le désir sexuel est souvent interprété comme une pulsion : il s’agit plutôt en réalité d’un usage narcissique de la sexualité. Ici, le désir a surtout une signification pour l’individu désirant, même s’il se porte généralement vers un partenaire précis, et/ou qu’il comporte le désir d’être désiré par lui/elle. Mais ni la représentation traditionnelle du désir comme eros, dans laquelle le sujet aspire à combler un manque par la possession de l’objet désiré, ni la formulation moderne freudienne, qui lie la constitution du désir à la recherche de l’expérience de satisfaction [6], ne traduisent pleinement l’importance « ontologique » du désir sexuel pour l’individu. C’est le retour régulier du désir, c’est-à-dire l’activation périodique de la disposition à désirer/être désiré, qui confirme l’individu dans sa continuité. Dans cette logique, plaisir et satisfaction ne sont que des effets dérivés, et non les buts de l’action. La conquête fait généralement partie de cette construction « individualiste », dans la mesure où elle renforce la matérialité du désir en lui procurant un prolongement efficace, ainsi qu’une confirmation par le désir d’un(e) autre, mais elle compte moins que l’élan initial de l’individu. Et les bénéfices éventuels de la conquête, c’est-à-dire la possession physique de l’objet désiré ou l’établissement d’une relation durable, sont encore plus secondaires dans cette vision de la sexualité. Les dysfonctionnements qui surgissent dans ce contexte tiennent d’abord à la perte ou à la diminution du désir chez l’individu, et en second lieu à son incapacité à conquérir, c’est-à-dire à susciter le désir chez l’autre. S’identifiant narcissiquement à l’émergence et à la réalisation de son désir, l’individu se trouve profondément atteint par ces intermittences, qui provoquent flottement ou crise personnelle.

15Quelques exemples de sexualité strictement construite sur le désir individuel peuvent être pris. Cette orientation se retrouve par exemple chez des hommes et des femmes qui ont des rapports avec des personnes de leur propre sexe, mais ne se sentent pas nécessairement liés à une communauté gay ou lesbienne. L’œuvre de l’écrivain Hervé Guibert, disparu en 1991, est un témoignage extrême de cette attitude a-relationnelle à l’égard de la sexualité, selon un critique qui écrit : « L’œuvre de Guibert est un aveu ininterrompu des exigences, des douleurs, des plaintes, des plaisirs de son homosexualité. Chaque désir, chaque érection, chaque orgasme, constituent une nouvelle assurance de la réalité du désir – c’est-à-dire la seule preuve de l’existence. L’écriture est une longue masturbation. Pour Guibert, l’écriture, la vie et le sexe sont une même réalité, une même continuité. Qu’il cesse d’écrire ou de bander, et c’est sa vie qui s’arrête » (Gaussen, 2000). Le roman de Michel Houellebecq, Les Particules Élémentaires, paru en 1998, offre une autre représentation littéraire [7], particulièrement pessimiste, de ce « narcissisme » du désir. L’un des deux personnages principaux, Bruno, professeur de lettres, a été décrit par la critique comme « obsédé par la sexualité », cependant que son frère, Michel, chercheur scientifique, apparaissait totalement dépourvu de désirs. Plus précisément, Bruno est un individu qui observe en permanence et avec minutie les mouvements du désir dans son corps, la plupart du temps sans que s’établisse la moindre relation avec une partenaire. La peur du déclin du désir est omniprésente. La pratique la plus fréquemment décrite chez lui est la masturbation, même pendant la brève durée de son mariage, où il n’arrive pas à vivre ses désirs de façon coordonnée avec sa femme. Le seul épisode heureux est son aventure avec Christiane, une femme un peu plus âgée, professeur de sciences naturelles, qui lui fait découvrir à un peu plus de quarante ans la possibilité pratique de vivre son désir dans le cadre d’une relation suivie. Le récit de la relation, qui épouse strictement le point de vue de l’homme, suit les étapes du désir masculin, d’abord intermittent, puis de plus en plus régulier. Il se déclare amoureux d’elle, manifestement par reconnaissance pour les possibilités qu’elle lui offre. Elle l’introduit aux milieux échangistes, lui fait découvrir la plage échangiste de Cap d’Agde (voir Welzer-Lang dans ce même numéro), et il s’aperçoit que ses capacités physiques augmentent : « Bruno s’aperçut avec ravissement qu’il avait une nouvelle érection, moins d’une heure après avoir joui…. ; il s’en expliqua en des termes empreints d’un enthousiasme naïf » (p. 271). Toute la manière dont le personnage est décrit illustre en somme la possibilité contemporaine de décrire l’ensemble de l’expérience d’un individu à partir de la simple séquence de ses désirs, ce qui traduit particulièrement bien une orientation individualiste à l’égard de la sexualité.

16Une variante de cette manière de vivre la sexualité apparaît dans l’œuvre d’Annie Ernaux, Se Perdre (Gallimard, 2001), journal intime d’une année de la vie de l’auteure, centré sur la chronique d’une passion amoureuse [8]. Le thème central est le désir de la narratrice pour un diplomate soviétique en poste à Paris, dont elle attend les appels. Ce désir consiste moins en une excitation physique qu’en une attente fiévreuse et douloureuse, dont le livre constitue le récit sans cesse recommencé : « Après-midi. État d’attente terrible. Au sens de besoin, de vide. Désir non physique, repérable dans mon corps – je ne « mouille » pas, par exemple – mais je suis psychologiquement creuse, séparée de moi-même à pleurer » (p. 155). Le vide de l’attente et de l’absence appellent l’écriture : « Je ne peux compter que sur les mots pour remplir le vide » (p. 166). La vie et le texte se présentent comme un cycle : l’attente et les rêves, l’appel téléphonique, la présence physique de l’homme, le souvenir de la présence, l’attente de nouveau. « Attente atroce, je corrige des copies dans la fièvre, m’occuper à quelque chose. Attendre l’appel, la voix, qui dit aussitôt que j’existe, que je suis désirée » (p. 54-55). Contrairement à l’attente, le souvenir immédiat des rencontres est très physique, tous les mots et les gestes, sexuels ou non, recevant une interprétation. À mesure que l’histoire se déroule, les phases d’attente se font de plus en plus douloureuses : la narratrice anticipe la baisse du désir physique chez son amant, évalue les délais qui s’allongent de plus en plus entre les rencontres et est de plus en plus obsédée par la jalousie à l’égard d’autres femmes qu’il pourrait rencontrer. Le journal comprend également l’évocation récurrente d’épisodes amoureux passés avec d’autres hommes, et une anticipation de la séparation, vide irréparable qui introduit le thème du vieillissement et de la mort. Après le retour de l’amant dans son pays, l’attente, qui était malgré tout « toujours l’espérance, toujours la vie » change de sens : « Maintenant cette douleur-même n’est plus possible. Il n’y a que le vide devant moi » (p. 252). Dans le journal d’Annie Ernaux, le désir individuel, intimement lié à la vie et au sentiment de continuité du sujet, a pour caractéristique d’être largement hétéronome, puisqu’il consiste principalement en un désir d’être désiré par un homme, qui n’équivaut pas pour autant à la recherche d’une relation conjugale.

17À l’époque contemporaine, le modèle d’une sexualité fondée sur le désir individuel est de plus en plus présent parmi les couples hétérosexuels. Le développement d’une sexualité d’individus, même s’il s’inscrit dans un mouvement séculaire d’émergence d’une société d’individus (Elias, 1991), est un phénomène historiquement récent. Il faut y voir d’abord un des avatars de la diffusion au XXe siècle de l’idéal du mariage d’amour, puis du couple d’amour quand l’institution matrimoniale entre elle-même en crise (de Singly, 1987 et 1993). Plus précisément, c’est quand la possibilité d’une sexualité juvénile, non directement liée à l’entrée en couple, devient une réalité pour les femmes également qu’une vision plus individualiste de la sexualité peut émerger plus massivement (Lagrange, 1998). À partir des années 1970, en France, une caractéristique nouvelle des histoires amoureuses est la sexualisation rapide de la relation après la rencontre, et la disparition du modèle de la fréquentation chaste pré-matrimoniale : « Alors que traditionnellement la sexualité ne pouvait trouver sa place que dans le cadre d’un couple (presque) déjà formé, le développement de la précocité correspond à l’irruption d’une sorte d’« individualisme sexuel » (ou d’une sexualité d’individus), au sens où l’existence de rapports sexuels entre individus n’est plus subordonnée à l’existence préalable du couple » (Bozon, 1991, p. 86). D’autres traits de l’évolution récente de l’activité sexuelle signalent ce mouvement d’ensemble vers une vision plus individuelle du désir sexuel. La comparaison entre une enquête sur les comportements sexuels menée en 1970 (Simon, 1972), et une enquête sur le même thème menée en 1992 (Bozon, Leridon, Riandey, 1993) fait apparaître par exemple le recul de la norme de l’orgasme simultané chez les hommes et surtout chez les femmes, qui indique une forme de reconnaissance de l’autonomie des désirs et des plaisirs des partenaires. La comparaison montre aussi une progression de la déclaration de pratiques auto-érotiques, en particulier chez les femmes, même si elle reste à un niveau incomparablement plus faible que pour les hommes.

18Dans les couples hétérosexuels, même si globalement un individualisme du désir est devenu plus acceptable socialement, les deux conjoints sont loin d’être également porteurs de ce modèle. Quand le couple se stabilise, ce sont les hommes qui continuent souvent à donner l’interprétation la plus individualiste de la sexualité conjugale (Bozon, 1998a). Cela se traduit par des attentes plus grandes en matière de fréquence d’activité sexuelle, par une tendance à prendre l’initiative des rapports sexuels qui croît avec la durée du couple, par le désir d’expérimenter des scénarios nouveaux que le (la) partenaire ne partage pas forcément (Duncombe et Marsden, 1996). L’existence de relations extraconjugales, qui restent généralement clandestines (inconnues du partenaire, comme du réseau de sociabilité) peut entrer dans ce travail de réassurance individuelle par la sexualité. Une nuance, plus présente chez les femmes, de cette sexualité de restauration du soi est le désir de susciter régulièrement le désir, c’est-à-dire de séduire, soit dans le couple, soit dans des relations extraconjugales, soit en situation monoparentale.

19Une autre manifestation de la prégnance contemporaine du modèle du désir individuel est l’arrivée sur le marché, à la fin des années 1990, du Viagra, qui représente justement une forme de médicalisation du désir sexuel (Bajos, Bozon, 1999 ; Giami, 1998). La découverte de la pilule bleue et l’intérêt qu’elle a suscité trahissent un ensemble d’attentes et de préoccupations spécifiques, qui se rattachent clairement à l’orientation vers le désir individuel, l’objectif premier étant d’obtenir une continuité et une prévisibilité du désir physique masculin, et d’éliminer la « panne » sexuelle, traitée comme trouble ou dysfonctionnement. Ce rêve de normalisation du désir exerce une fascination ambiguë sur l’ensemble des sujets qui partagent une perception individualiste du désir, et suscite une méfiance prononcée parmi ceux/celles qui ont une vision plus relationnelle de la sexualité, même si la promotion du produit s’appuie largement sur l’argument que le Viagra serait au service du couple.

20Dans ce type d’orientation intime, les sentiments amoureux pour le (la) partenaire et la prise en compte de son plaisir ne sont pas du tout absents, mais ils prennent une teinte plus narcissique qu’altruiste (Bourdieu, 1998, p. 26-27). D’une manière générale, cette orientation à l’égard de la sexualité se caractérise moins par une attitude active en relation aux partenaires, qu’elle n’implique pas toujours, que par le fait qu’elle renvoie à l’individu une connaissance sur lui-même. Cette propriété réflexive de la sexualité individualisée s’observe notamment à la phase d’initiation sexuelle, chez les garçons, pour lesquels les expériences sexuelles ont alors valeur d’apprentissage personnel. Chez les sujets vieillissants, la sexualité vécue, ses intermittences, voire sa disparition sont également un important révélateur de l’évolution des capacités de l’individu, guetté avec appréhension par les hommes comme par les femmes (Peixoto, 1997). Le plus souvent, les sujets qui adhèrent à une vision très individuelle du désir sexuel doivent cependant composer avec des partenaires qui ont un usage beaucoup plus relationnel de la sexualité.

LE MODELE DE LA SEXUALITE CONJUGALE

21Dans le troisième modèle, celui de la sexualité conjugale, l’activité sexuelle n’est pas perçue comme révélant des choix, des préférences ou des orientations personnelles. L’échange sexuel est au service d’une construction conjugale ou sentimentale qui l’englobe et la contient (dans tous les sens du terme). L’idée d’une activité sexuelle extraite de son enveloppe relationnelle ou matrimoniale est considérée dans cette optique comme immorale ou risquée. Une des formulations les plus anciennes et durables de cette représentation peut être trouvée dans la théologie augustinienne de la chair ( Ve siècle), qui théorise le refus de la concupiscence (désir) et du plaisir, et limite l’activité sexuelle à l’œuvre de procréation voulue par Dieu et la nature (Le Goff, 1991 ; Bozon, 1999). L’institution, aux XIIe - XIIIe siècle, du mariage chrétien monogame et indissoluble complète cette construction d’un cadre fixant strictement les limites de la sexualité licite : tout est fait pour éviter que cette dernière se répande hors de son lit. Au sein du couple marié, il existe un droit mutuel de chaque conjoint au corps de l’autre, qui concerne aussi bien les femmes que les hommes, et que l’on a parfois dénommé le « devoir conjugal ». L’institution sociale et religieuse du mariage est ce qui donne droit à l’activité sexuelle ; elle crée la barrière qui sépare la bonne sexualité et la descendance légitime de toutes les formes d’immoralité. S’appuyant sur des contrôles sociaux et religieux et des sanctions, la norme de fidélité et l’interdit de l’adultère sont des normes absolues, qui contribuent à l’ordre du monde [9].

22De nombreux auteurs (Ariès, 1973 ; Elias, 1973 ; Luhmann, 1982 ; Roussel, 1989 ; de Singly, 1987 et 1993) ont décrit les évolutions multiséculaires des mœurs vers une privatisation et une « affectivation » des comportements conjugaux et familiaux, une sécularisation de la sexualité et une désinstitutionnalisation du mariage. À l’époque contemporaine, le modèle de construction conjugale de la sexualité persiste, mais il n’est plus adossé à l’institution matrimoniale. Une des conséquences de la diffusion de l’idéal du mariage d’amour, puis du couple d’amour, est que le rapport de dépendance qui liait traditionnellement la sexualité au mariage s’est trouvé complètement inversé. L’échange sexuel, étayé sur le lien amoureux, est devenu un moteur interne de la conjugalité moderne (Bozon, 1991 ; Bozon, 1998a). Il joue d’abord un rôle fondateur dans la construction initiale de l’union, que traduit bien le rythme élevé de l’activité sexuelle dans les couples naissants. Quand le couple se stabilise, notamment avec la naissance d’enfants, l’activité sexuelle conjugale acquiert un rôle nouveau, se muant en un rituel privé de confirmation et d’entretien du lien. Ce rôle est devenu central à l’époque contemporaine en raison du déclin de l’encadrement institutionnel de la vie privée : il peut être assumé avec une fréquence de rapports sexuels bien moindre que dans les débuts du couple. La sexualité est ainsi à la fois le produit et l’aliment de la relation.

23Pour les individus situés dans cette orientation conjugale, l’évolution et les fluctuations de la vie sexuelle commune fournissent des indications précises sur l’état du couple : la sexualité est en somme un signifiant privé du signifié relationnel ou affectif. Ainsi un refroidissement de l’activité sexuelle conjugale suscite automatiquement une interrogation sur l’avenir de la relation. Rouage de l’union, l’échange sexuel peut aussi être explicitement mis en œuvre pour résoudre des problèmes conjugaux non sexuels (les « réconciliations sur l’oreiller »). Enfin les rapports sexuels font partie des habitudes conjugales (Kaufmann, 1993 et 2001) ; par leur caractère répétitif et leur intégration dans une routine quotidienne, ils tendent, comme elles, à se banaliser et peuvent finir par se « démotiver » aux yeux des conjoints eux-mêmes. Dans l’orientation conjugale contemporaine, en raison de l’importance symbolique qu’a acquise l’activité sexuelle comme confirmation du couple, ce risque de démotivation sexuelle est devenu une préoccupation récurrente.

24Dans la variante contemporaine du modèle de la sexualité conjugale, l’exigence de fidélité continue à être présente, mais elle n’a plus le caractère d’un principe absolu. Ne correspondant plus à une censure sociale externe des actes contraires aux bonnes mœurs, elle prend désormais place, en tant qu’engagement consenti, dans le contrat interne des couples, dont elle constitue un des articles principaux. À l’époque contemporaine, la référence à la fidélité conjugale code les relations extraconjugales éventuelles des partenaires comme dangereuses pour le couple, plutôt que pour l’ordre social comme antan. Le renforcement paradoxal parmi les femmes de l’exigence de fidélité au fil des générations (Bozon, 1998b) est une conséquence logique de l’accroissement historique du rôle de l’échange sexuel comme ciment de la relation conjugale.

25La vision conjugale de la sexualité, qui n’est pas celle de tous les individus vivant en couple, implique une méfiance à l’égard du désir individuel. L’activité sexuelle est considérée comme résultant d’un mécanisme conjugal, qu’il implique d’ailleurs les partenaires de manière égalitaire ou inégalitaire. L’idée d’une sexualité qui serait principalement fondée sur le désir individuel pose problème dans l’orientation conjugale, dans la mesure où ce dernier introduit incertitude et risque de discontinuité. Plus généralement, bien que la vie sexuelle conjugale soit un signifiant de la relation, elle doit rester dissimulée aux tiers, sous peine d’affaiblir le couple : le simple fait pour l’un des conjoints d’en exposer le détail révèlerait un détachement à l’égard du couple. Dans la perspective conjugale, si la sexualité est évoquée, cela ne peut être que métaphoriquement [10], selon le procédé stylistique du tout pour la partie : ainsi les expressions « vie de couple », « relation amoureuse », sont des manières typiques de dire la sexualité et d’en fixer les limites sans en parler. Dans le roman de Camille Laurens, Dans ces bras-là (P.O.L., 2000), où la narratrice entreprend de raconter les hommes de sa vie, la métaphore conjugale de la sexualité est utilisée de façon originale, dans un monologue avec l’analyste : « Moi ce que je veux, c’est qu’on m’épouse. Que la forme de l’autre, son corps, son sexe, toute sa personne, se moule au plus près sur moi, autant que possible, autant que faire se peut, que faire l’amour se peut. “Se marier” n’a pas de sens, c’est bête. Se marier comme on marie des couleurs : s’apparier, aller ensemble. Être en accord, s’accorder. Se marier, c’est être deux. Non, moi je veux être épousée – je veux être dedans, je veux qu’on soit dedans… L’homme en moi. Avoir l’homme en moi. Être dans l’homme. Qu’on ne voie plus la limite. Qu’il n’y ait plus de limite. Je voudrais qu’on m’épouse. Parfaitement. Qu’on m’épouse parfaitement » (p. 145). « Épouser, être épousée » : la sexualité doit cesser d’être la réunion de désirs individuels pour se muer en une réalité supérieure où les limites s’abolissent entre l’un et l’autre.

26L’interprétation conjugale de la sexualité se manifeste dans la tendance qu’ont les femmes, dans les enquêtes sur les comportements sexuels, en réponse aux questions sur les nombres de partenaires sexuels qu’elles ont eus au cours de leur vie, à déclarer systématiquement des nombres sensiblement plus faibles que ceux des hommes et qui correspondent grosso modo au nombre de leurs unions et de leurs relations amoureuses importantes (Lagrange, 1991 ; Leridon, 1993 ; Bozon, 1998b). Dans l’optique conjugale, on ne peut compter que des relations (des constructions relationnelles), et il est impossible de « s’amuser » à faire la liste de ses partenaires sexuels, pratique banale en revanche dans le modèle de la sociabilité sexuelle. Une nouvelle de Doris Lessing, parue en 1953, « Comment j’ai fini par perdre mon cœur », illustre les ressorts de cette sélectivité et montre à quel point elle est liée à une vision conjugale de la sexualité, qui structure strictement la mémoire amoureuse. Au début de l’histoire, la narratrice indique qu’elle a déjeuné avec un homme puis pris le thé avec un autre. Ces hommes, qu’elle dénomme A et B, sont son « premier amour », avec qui elle a vécu plusieurs années, et son « second grand amour », qu’elle a rencontré beaucoup plus tard. Elle indique : « Entre A et B …intervinrent de nombreuses liaisons, ou expériences, mais qui ne comptaient pas » (p. 249). Plus loin : « Je ne compte ni les aventures ni les essais entre les deux » (p. 250). Sur cette manière de condenser son expérience amoureuse, elle indique : « Si l’on voulait examiner la situation de l’extérieur, sans rien savoir de l’intérieur, on pourrait considérer (peut-être, j’ai oublié) qu’il (= le second ) était le treizième, mais ce serait ignorer la vérité émotionnelle intime. Car nous savons tous que ces aventures ou complications qui interviennent entre des amours vraies (« serious loves »), même si elles se dénombrent par dizaines et s’étirent sur des années, ne comptent pas vraiment. Cette manière de voir les choses peut rendre malheureux un certain nombre de gens, car il est bien connu que ce qui n’importe pas vraiment pour moi pourrait fort bien compter pour vous. Mais il n’y a pas moyen de surmonter cette difficulté, car un vrai amour constitue l’affaire la plus importante d’une vie ou presque… » (p. 249). D’après l’auteure, c’est seulement lorsque l’on voit les choses « de l’extérieur », ce qui est le point de vue des rédacteurs de questionnaires d’enquêtes [11], que l’on peut compter des partenaires sans en omettre aucun. Mais si l’on observe la situation « de l’intérieur », c’est-à-dire du point de vue conjugalaffectif qui est celui de la narratrice, il serait impensable de ne pas distinguer radicalement les vraies amours (« l’affaire la plus importante d’une vie »), des expériences qui n’ont pas abouti, dont on peut dire rétrospectivement qu’elles ont un degré de réalité inférieur : ces dernières sont baptisées aventures, essais, complications, expériences… La mémoire peut légitimement jeter à la corbeille les aventures, qui ne sont que des esquisses ou des brouillons. Dans la logique conjugale, mettre toutes les expériences sexuelles sur le même plan serait choquant.

27Un autre trait typique de l’orientation conjugale en matière de sexualité est la difficulté persistante qu’éprouvent les acteurs à reconnaître l’existence d’une violence sexuelle entre partenaires au sein de couples établis, comme si la violence sexuelle ne se manifestait qu’hors de la sphère conjugale et, qu’au sein du couple, la sexualité ne pouvait exprimer que la cohésion. Très inscrites dans la défense de l’orientation conjugale, des institutions comme la Justice ou la Police ont beaucoup de mal à aborder la violence sexuelle dans le couple, et les femmes, qui en sont les premières victimes, ont une difficulté particulière à la déclarer (Jaspard et groupe ENVEFF, 2001). L’orientation intime conjugale peut se manifester dans des contextes plus ou moins inégalitaires des rapports entre les sexes. Dans un système de genre très hiérarchique, en milieu populaire à Porto Alegre au Brésil, les femmes accordent une grande importance à la sexualité conjugale, mais ne mentionnent jamais leurs propres désirs (Leal, Boff, 1996). Elles voient leur rôle, pour assurer la continuité du couple, comme étant de se mettre au service de l’homme [12], de faire ce qui lui plaît et d’attendre de lui en retour un comportement carinhoso (affectueux). Dans son étude sur les couples homosexuels féminins de classe moyenne à Rio de Janeiro, Maria Luiza Heilborn décrit un fonctionnement conjugal assez égalitaire, dans lequel « l’amitié » entre les femmes partenaires est fortement mise en avant et où la composante sexuelle de la relation, bien que présente, est peu visible (Heilborn, 1992 et 1995). Fréquente chez les femmes hétérosexuelles, notamment dans un premier couple, l’orientation conjugale n’est pas absente chez leurs conjoints : en France, les hommes qui ont connu une initiation sexuelle relativement tardive ont par la suite un parcours sexuel et conjugal bien plus « rangé » que la moyenne, tendent plus que les autres à associer sentiment amoureux et activité sexuelle, et ont en définitive un rythme beaucoup moins élevé d’activité sexuelle que les « précoces », tout au long de leur vie (Bozon, 1993).

28Dans l’orientation intime conjugale, la sexualité occupe une place paradoxale : alors que l’activité sexuelle joue un rôle central dans la construction sociale du couple, elle est tenue de rester secrète et perd toute valeur hors de la conjugalité. Plus généralement, les tenants du modèle conjugal tendent à condamner la représentation de la sexualité.

LE PAYSAGE CONTRASTE DES ORIENTATIONS INTIMES.

29Loin d’être une fonction biologique qui aurait une transcription psychologique et sociale immédiate, la sexualité renvoie à des configurations sociales, dont les composantes et les limites font question : il n’y a ni discipline ni discours unique qui en traite et la frontière du sexuel et du non sexuel est impossible à établir, si bien que les territoires même qu’elle occupe dans la vie sociale ou dans la vie des individus sont objet de débat et de contestation. Ces configurations, que nous dénommons orientations intimes, ne désignent pas des types psychologiques distincts, mais des logiques sociales d’interprétation et de construction de la sexualité, c’est-à-dire des manières de la définir et d’en user, qui s’expriment aussi bien en des représentations et des normes culturelles, qu’en des modes d’interaction entre partenaires ou des affects liés à la sexualité. Aux trois modèles qui viennent d’être détaillés, correspondent par exemple des définitions contrastées du territoire occupé par le soi, des modes de connaissance du sujet, des systèmes de normes, mais aussi très concrètement des dysfonctionnements redoutés ou des pratiques sexuelles valorisées. Dans le modèle du réseau sexuel, c’est le lien d’ego à de multiples alter, partenaires sexuels passés, présents et futurs, qui tisse le sentiment de l’existence sociale et personnelle du sujet. À ce modèle qui définit un sujet sociable, à la sexualité extériorisée, craignant avant tout l’isolement, s’oppose le modèle du désir individuel, dans lequel le moteur de la construction du sujet est le retour périodique en lui du désir et de son accomplissement ; le sujet s’observe avant tout lui-même, l’activité sexuelle sert à la restauration de soi, et ce que l’individu redoute le plus est l’étiolement du désir. À cette orientation « narcissique », s’oppose le modèle de la sexualité conjugale, dans lequel les aspirations de l’individu sont dirigées vers la construction d’un ego conjugal : l’activité sexuelle ne s’imagine pas hors de ce cadre, et son déroulement informe les partenaires sur l’état de la dyade conjugale. La crainte principale est le refroidissement de la relation, dont les conséquences pour la continuité du couple peuvent être très concrètes à une époque de grande mobilité conjugale.

30L’existence de trois lectures très contrastées de la sexualité peut conduire à des conflits d’interprétation radicaux, soit au plan politique ou macro-social (comment réguler ou représenter la sexualité ?), soit au plan interindividuel (que veut chacun des partenaires dans un rapport sexuel ?). Au plan intra-subjectif, on observe des clivages internes, qui font coexister ou s’affronter plusieurs interprétations de la sexualité chez un même individu, et des glissements biographiques, qui font se succéder plusieurs perspectives au fil du temps. Ce sont les mêmes tensions que l’on retrouve au plan culturel, au plan des interactions sociales et au plan individuel.

CONFLITS D’INTERPRETATION AUTOUR DE LA SEXUALITE.

31L’identification des orientations intimes contribue à une compréhension interne des enjeux de la sexualité, tels qu’ils sont vécus par les sujets. Elle permet aussi d’éclairer nombre de disputes autour de la sexualité, qui ne s’expliquent ni comme des différences entre les groupes sociaux classiques ni comme des oppositions politiques entre des conservateurs ou des progressistes de la sexualité. On retrouve l’approche de L. Boltanski, lorsqu’il montre que les arguments échangés dans des débats civiques et politiques renvoient à l’existence chez les acteurs de « cités » (c’est-à-dire de conceptions du lien social) radicalement hétérogènes (Boltanski et Thévenot, 1987 et 1989), et que par ailleurs des débats plus « privés » révèlent des conceptions de l’amour, c’est-à-dire du lien privé, qui peuvent être incompatibles (Boltanski, 1990). Les disputes sur la sexualité sont particulièrement nombreuses : elles prennent pour une part la forme de débats ou de conflits publics, mais elles peuplent aussi les relations interpersonnelles.

LES REPRESENTATIONS DE LA SEXUALITE EN QUESTION.

32La prise en compte de l’hétérogénéité des orientations intimes éclaire par exemple l’évolution des contenus et l’impact des campagnes de prévention de la transmission du VIH. Ces campagnes tiennent des discours qui, implicitement ou explicitement, proposent des conceptions de la sexualité. En France, de la fin des années 1980 (début des campagnes) jusqu’à la moitié des années 1990, l’objectif était de faire passer l’idée selon laquelle le sida concernait tout le monde, tout en promouvant l’usage du préservatif pour tous en toutes circonstances. L’audacieuse campagne de l’été 1995, qui portait largement la marque du discours d’Act Up (Paicheler, 2000), allait plus loin dans la mesure où elle donnait non seulement une visibilité à l’homosexualité, mais également à des comportements de multipartenariat hétérosexuel comme homosexuel : ainsi les slogans caractéristiques de cette campagne, destinés à promouvoir le préservatif, comme « Quand vous faites l’amour avec Sophie, pensez à Valérie » ou « Vous le trouvez craquant ? Dites-vous que ses ex aussi… », s’inscrivaient sans équivoque dans le modèle du réseau sexuel, où le renouvellement des partenaires (parfois dénommé liberté sexuelle) est le comportement de référence. L’usage systématique du préservatif est un moyen de préserver ce mode de vie. Ces messages sont incompréhensibles ou irrecevables dans une orientation de sexualité conjugale, où la sexualité est entièrement au service de la relation et où le préservatif paraît un intrus [13], comme le serait un partenaire supplémentaire. Dans la seconde moitié des années 1990, les contenus des campagnes évoluent et se mettent à présenter des situations de risque dans le cadre d’une orientation conjugale : certains messages mettent en scène par exemple le début d’une nouvelle relation entre deux partenaires, en recommandant l’usage du préservatif dans la période initiale puis, lorsque la relation se stabilise, la réalisation d’un double test simultané avant son abandon. Le message est non seulement plus élaboré qu’à la période précédente, mais il a aussi partiellement changé d’orientation, puisqu’il se situe désormais dans la perspective de la construction (ou de la reconstruction) d’une relation.

33Au Brésil, pays fortement touché par l’épidémie de sida, de nombreuses actions de prévention communautaires ont été mises en place à l’initiative d’ONG. Dans un atelier de prévention du sida, organisé parmi les élèves, originaires d’un milieu très populaire, d’un cours du soir à São Paulo (Paiva, 1996), l’objectif donné à l’activité des animateurs était de faire émerger des « sujets sexuels », « capables d’être les agents régulateurs de leur propre vie sexuelle » (Paiva, art. cit., p. 2). Dans le langage des orientations intimes, on pourrait dire qu’il s’agit d’inciter les participants à prendre des distances à l’égard d’une orientation strictement relationnelle (ou conjugale) vis-à-vis de la sexualité, dominante en milieu populaire au Brésil, qui ne facilite pas la prise en compte des aspirations et des risques individuels, et de les guider vers une perspective de gestion individuelle de leur vie sexuelle, prenant en compte désir personnel et nécessités de prévention. On retrouve ici dans un tout autre contexte culturel et social cette volonté des acteurs de santé publique d’« agir » sur les orientations intimes. Si des adaptations peuvent être suggérées aux comportements, il semble néanmoins que transformer les orientations intimes des individus soit largement hors de portée d’une action publique (Bozon, 1998b).

34Le débat scientifico-social entre sexologues sur la source des dysfonctionnements sexuels, sur la légitimité des non-médecins à traiter des troubles sexuels et sur l’importance à accorder au Viagra dans les traitements fait également apparaître une confrontation entre orientations intimes (Giami, 1998 ; Giami, de Colomby, voir article dans ce même numéro). Les divergences entre sexologues ne sont évidemment pas indépendantes des disciplines de formation des intéressés (médecine spécialisée ou générale vs psychologie). À ceux qui expliquent les dysfonctionnements sexuels principalement par des causes physiologiques et organiques, ce qui les conduit à voir dans les troubles du désir un problème de santé individuel et curable, s’opposent ceux qui tendent plutôt à les interpréter et à les traiter comme des perturbations de la relation, ce qui les conduit par exemple à proposer des psychothérapies ou des sexothérapies de couple. L’apparition du Viagra affaiblit le « camp » du traitement conjugal, qui est aussi le pôle non-médical parmi les sexologues.

35Un débat social important, que l’on n’approfondira pas ici, est celui qui porte sur le contenu et les acteurs légitimes d’une éducation sexuelle de la jeunesse (Greydanus et al, 1995 ; CSIS, 1999). Dans l’éducation sexuelle, l’orientation conjugale est toujours dominante, et les comportements que nous rattacherions à la perspective du désir individuel ou du réseau sexuel y sont volontiers pris pour cible, comme exemples d’irresponsabilité. Le débat se situe plutôt entre les tenants d’une perspective conjugale traditionnelle, insistant sur le rôle de la famille dans la transmission des valeurs et recommandant que l’engagement conjugal précède l’entrée dans la sexualité (ce qui est l’orientation de l’éducation sexuelle dans la moitié des écoles secondaires américaines, par exemple) et une perspective d’éducation aux relations entre les sexes, très développée dans les pays scandinaves, moins focalisée sur le mariage et l’engagement conjugal que sur la responsabilité des acteurs. Mais même dans sa variante non traditionnelle, l’éducation à la sexualité est étroitement liée à l’apprentissage de la conjugalité, de la contraception et de la parentalité. Une conséquence en est que les orientations intimes non conjugales, qui ne sont transmises ni dans la famille ni à l’école, ne peuvent être expérimentées que comme transgression par les acteurs.

36Même aux Nations Unies, la sexualité est devenue un objet politique légitime. À la Conférence Internationale sur la Population et le Développement du Caire (1994), un droit à la santé reproductive et sexuelle (concept qui était déjà utilisé par l’Organisation Mondiale de la Santé ou le Fonds des Nations Unies pour la Population) avait été (difficilement) reconnu. Un pas supplémentaire a été franchi à la Conférence Mondiale sur les Femmes de Pékin (1995), qui a débattu des « droits en matière de sexualité » ( sexual rights ). La vigueur des débats et la force des oppositions ont montré qu’il existe un camp conservateur (pays musulmans conservateurs et pays chrétiens conservateurs, influencés par le Saint Siège) pour lequel les droits des femmes (et des hommes), y compris dans le domaine sexuel, se situent strictement dans le cadre de la famille et ne sont pas à proprement parler des droits individuels (Bozon, 1995). Défendu par les pays de l’Union Européenne, le texte qui a été finalement adopté proclame en revanche un droit individuel à disposer de soi-même en matière sexuelle : « Les droits fondamentaux des femmes comprennent leur droit à exercer un contrôle et à décider de façon libre et responsable dans les domaines qui concernent leur sexualité, y compris la santé sexuelle et reproductive, hors de toute coercition, discrimination et violence » (paragraphe 97 de la Plateforme d’Action). Le système des positions et des arguments dans ce débat reproduit au plan d’une conférence politique internationale la logique de l’opposition des orientations intimes : à une représentation plus individualiste de la sexualité, tempérée dans le texte de la Plateforme d’Action par un appel « au partage [entre hommes et femmes] de la responsabilité du comportement sexuel et de ses conséquences », s’oppose un modèle de contrôle familial et conjugal de la sexualité, s’exerçant particulièrement sur les adolescentes et les femmes mariées.

37Dans les représentations sociales dominantes, on rencontre deux manières concurrentes mais complices d’interpréter l’évolution des comportements en matière de sexualité au cours des dernières décennies. D’un côté, la sexualité contemporaine est dénoncée car elle entraînerait le nomadisme sexuel des individus, la tyrannie du plaisir et du désir [14], la permissivité [15] des mœurs, voire la « dévirilisation » des hommes. Ces critiques s’appuient sur une perspective conjugale stricte pour condamner radicalement, comme manifestation typique d’une perte de valeurs contemporaine, les comportements et les attitudes que nous avons rattachés à la perspective du réseau et à celle du désir. Mais cette grille de lecture peut fort bien être renversée et les transformations contemporaines être lues positivement comme une « révolution sexuelle » [16], consacrant le droit au plaisir, l’égalité sexuelle entre femmes et hommes, dans le cadre d’un accès généralisé à la contraception ; selon cette interprétation quelque peu messianique, qui peut être rattachée à l’orientation du désir individuel ou à celle de la sociabilité sexuelle, c’est au contraire la période précédente qui doit être considérée comme un âge de répression, d’hypocrisie et de tabou. Les changements contemporains sont beaucoup moins radicaux que les deux interprétations rivales ne le laissent entendre (Bozon, Leridon, Riandey, 1993). Ces lectures engagées se réfèrent en réalité moins à des données vérifiables qu’elles ne révèlent des jugements de valeur opposés, inscrits dans des orientations de référence qui façonnent étroitement le regard sur la sexualité [17].

DIFFICULTES D’INTERACTION ENTRE PARTENAIRES ET DIVERGENCES D’ORIENTATION INTIME

38Les deux partenaires d’une interaction amoureuse ou sexuelle ne diffèrent pas seulement par leurs propriétés sociales ou physiques, ni par leurs traits psychologiques, mais souvent également par leurs attentes à l’égard de la relation et leurs idées sur la place que la sexualité y occupe. Pourtant chacun tend à oublier que dans une relation on a toujours affaire à quelqu’un d’autre que soi-même. Les lectures, convergentes ou non, que les partenaires ont de la situation, construisent et traduisent leurs orientations intimes, et influent sur la dynamique de l’interaction [18].

39Divers travaux ont montré que dès l’époque de l’initiation sexuelle, les divergences de conceptions entre hommes et femmes pouvaient être assez grandes (Bozon, 1993 ; Bozon et Heilborn, 1996 ; Lagrange et Lhomond, 1997). Cela apparaît nettement quand l’on examine le déroulement du premier rapport sexuel. Parmi les raisons qui ont poussé à avoir un rapport avec le (la) premier(e) partenaire, les garçons de 15 à 18 ans déclarent plus souvent le désir, l’attirance ou la curiosité, alors que les filles indiquent plus généralement l’amour et la tendresse : 59% des garçons contre 34% des filles indiquent le premier ensemble de motifs, et 38% contre 61%, respectivement, le second (Lagrange, Lhomond, op. cit., p. 176). Un exemple emprunté à une enquête par entretien, réalisée en 1995, fait apparaître, du point de vue du partenaire masculin, les conséquences de cette divergence (Bozon, 1998c, p. 48). Marc, originaire d’un milieu aisé, âgé de 27 ans au moment de l’enquête, revient sur ses premières expériences sexuelles, qui ont pris place dans une relation avec une femme un peu plus jeune que lui : « C’était très ritualisé. Quand je la voyais, je savais que c’était pour faire l’amour. Parce que j’aimais ça. Disons que j’avais acquis suffisamment de confiance en moi et que mon rapport au corps féminin était beaucoup plus sûr… J’aimais faire l’amour parce que je prouvais aussi ma force, mon potentiel. Et j’investissais ma sexualité très fortement avec elle. Peut-être parce que je n’étais pas sûr au début … ». L’enquêté signale cependant un fort décalage entre ses attentes et celles de son amie : « Elle était gentille avec moi, elle m’écoutait, elle me parlait. Elle était très tendre, elle posait sa tête sur moi comme ça. À un moment donné, ça m’a mis plutôt mal à l’aise… J’aurais voulu plutôt qu’elle soit mon égale… Je pense qu’elle était plus amoureuse que moi je ne l’étais, capable de s’assujettir à une situation bien plus que moi… J’aurais voulu qu’elle soit comme moi, qu’elle ne s’assujettisse pas, qu’elle soit mon copain… Avec les filles, moi ce qui m’intéressait, c’était d’être copain. L’idée de couple, moi, c’est quelque chose qui ne marchait pas trop. » La relation s’interrompt assez vite, en raison de cette différence de conception de la situation : alors que l’homme est très concentré sur l’apprentissage de sa sexualité et sur la découverte du corps féminin, son amie aspire à une relation affective et quasi-conjugale. On sait qu’une bonne part des premiers rapports sexuels laissent de mauvais souvenirs ou sont considérés comme des échecs, en particulier par les femmes (Le Gall, Le Van, 1999). Si l’inexpérience des partenaires est évidemment souvent en cause, celle-ci est souvent plus douloureusement vécue lorsqu’elle s’accompagne de grandes différences d’attentes entre eux.

40Plus généralement, on peut dire que les malentendus entre partenaires sur la signification des rapports sexuels sont un élément fréquent de la dynamique de la relation, le non-ajustement des attentes n’empêchant nullement l’interaction sexuelle. Dans le roman d’Alice Ferney, La conversation amoureuse (2000), qui a pour originalité de décrire le déroulement d’une histoire extraconjugale de ses prémices à son aboutissement en confrontant sans cesse le point de vue des deux protagonistes sur la situation, les incompréhensions et désajustements apparaissent comme le ressort principal de l’interaction amoureuse. La description du premier rapport sexuel illustre bien la banalité de l’expérience du malentendu. La femme se rend chez l’homme à l’invitation de ce dernier, très intimidée même si elle a longtemps désiré ce moment. « Quand je me prépare pour vous rencontrer, j’ai peur, dit-elle…. J’ai peur de vous déplaire, j’ai peur de votre inconstance, j’ai peur que ce qui a été ne soit plus et ne puisse pourtant pas ne pas avoir été…. Elle se demanda s’il l’avait écoutée parce que, ensuite, quand elle eut fini, il chuchota : Un de mes amis doit passer, je lui ai dit que je dînerais dehors, mais je ne veux pas, s’il vient, qu’il voie de la lumière. Chose qui n’avait aucun rapport avec ce qu’elle avait dit et qui le préoccupait bien plus » (p. 392-393). Pendant le rapport lui-même, elle essaie de lui faire dire qu’il l’aime, en vain. Il lui répond que non, en l’embrassant dans l’oreille. « Elle se désunissait sous les baisers. Cet homme qui l’avait séduite venait de refuser de lui dire qu’il l’aimait. Mais, pour ce qui n’était qu’un instant, son désir valait son amour » (p. 396). Les gestes de l’amant sont sûrs et délicats. Il l’embrasse follement, il murmure son prénom, elle est amoureuse. « Mais elle sentait qu’il aurait pu être pareil auprès d’une autre. Elle dit : Ce sont les femmes que vous aimez. La féminité. Pas moi spécialement. Il sourit. Vous vous trompez, dit-il. Je ne vis rien de semblable avec personne, dit-il. Mais vous vivez d’autres choses, dit-elle avec regret. Oui, expira-t-il…. Comme il semblait heureux ! Son visage était hardi dans le sourire. Cette jovialité la fit frémir. Elle était déjà accablée à l’idée qu’il faudrait le quitter et il trouvait la force de rire. Il vit bien qu’elle était malheureuse. Il la serra contre lui sans rien dire… Il ne pouvait rien pour elle. L’étreinte révélait la différence entre eux ». (p. 402). Le caractère ponctuel de l’acte sexuel dans une relation extraconjugale est plus difficile à vivre pour ceux ou celles qui vivent la sexualité dans une orientation relationnelle (conjugale).

41Même au sein des couples constitués, les investissements des conjoints dans la sexualité tendent à diverger, et ce de plus en plus avec le temps (Bozon, 1998a). Lorsqu’on leur demande lequel des deux partenaires avait le plus envie du dernier rapport sexuel, peu d’hommes et de femmes en couple indiquent que le désir féminin prévalait. Les femmes, plus que les hommes, déclarent que c’est le désir masculin qui était dominant, alors que les hommes sont plus nombreux que les femmes à dire que l’envie du rapport était partagée entre les deux partenaires. Mais à mesure qu’augmente la durée de la vie conjugale, les déclarations de désir féminin et de désir partagé déclinent, et surtout les « divergences » entre partenaires augmentent. Alors que les réponses étaient assez proches parmi les couples qui n’avaient pas encore d’enfants, un fort décalage dans les perceptions que les hommes et les femmes ont de leurs rapports sexuels se fait jour dans les couples qui ont de jeunes enfants : les femmes interprètent les rapports qui se déroulent à ce moment-là comme découlant du désir qu’en a l’homme, alors que les hommes continuent souvent à y voir une activité également désirée par l’un et l’autre. Tout se passe comme si les premières considéraient que leur désir personnel et leur participation active étaient moins indispensables à la vie sexuelle du couple, l’activité sexuelle étant considérée comme un mécanisme conjugal qui fonctionnerait même en l’absence de leur désir. Après la naissance des enfants, les hommes déclarent plus souvent que leurs partenaires que le désir était partagé, mais cela n’indique pas nécessairement chez eux une attitude conjugale. Ils sont en effet également deux fois plus nombreux que les femmes à déclarer qu’« on peut avoir des rapports sexuels avec quelqu’un sans l’aimer ». Les rapports sexuels apparaissent ici comme un rituel de confirmation de l’individu (plutôt que du couple), dans lequel ce dernier s’attend à ce que le désir de son partenaire réponde au sien, ce que nous avons qualifié de modèle du désir individuel. Ainsi, même dans des couples durables, qui fondent une famille, la coexistence d’orientations divergentes à l’égard de la sexualité est un fait banal. Il est largement illusoire, voire normatif, de croire que le fait de vivre ensemble conduise nécessairement des conjoints à se créer un univers commun de sexualité. Le thème de la difficulté à comprendre la perspective ou l’orientation du partenaire en matière de sexualité et les conseils pour surmonter les difficultés naissant de cette incompréhension sont d’ailleurs un des thèmes favoris des journaux féminins, qui n’est pas absent non plus des journaux masculins.

CLIVAGES INTERNES ET GLISSEMENTS BIOGRAPHIQUES CHEZ LES INDIVIDUS.

42La netteté des conflits d’interprétations de la sexualité qui s’expriment au plan culturel, comme au plan des relations interpersonnelles, ne doit pas faire oublier la force des tensions intrasubjectives : les sujets eux-mêmes peuvent être divisés entre plusieurs orientations. Dans la plupart des cas, ces tensions n’entretiennent qu’un léger « bouillonnement » de surface chez les individus, mais chez certains elles peuvent conduire à une véritable organisation clivée des territoires individuels de la sexualité. L’existence de ces cloisonnements internes n’est pas un phénomène nouveau, dû aux évolutions contemporaines de la sexualité. Elles s’appuient d’abord sur les barrières anciennes mises en place par les contrôles sociaux de la sexualité (censure de l’homosexualité, difficulté de divorcer, contrôle de la sexualité des femmes, opposition du mariage et du hors-mariage), qui ont défini durablement une pratique licite et des espaces de transgression. Les clivages internes peuvent être décrits également comme une des conséquences de la logique cumulative des cheminements biographiques, qui conservent l’empreinte d’acquis biographiques anciens, même lorsque des expériences récentes vont dans un tout autre sens (Mannheim, 1928).

43Dans une organisation clivée de la sexualité individuelle, il existe une hiérarchisation des espaces où se déploie l’activité sexuelle – une scène primaire, dominante ou officielle, et une (ou des) scène(s) secondaire(s), dominée(s), clandestine(s) – et à chacun de ces espaces correspond une orientation intime différente. Les orientations intimes ne sont donc pas au même plan, l’une d’elles étant reconnue, l’autre devant rester secrète. L’expression de double vie, parfois employée, ne doit pas faire croire à un équilibre, car seule l’une des vies est visible et notoire, quand bien même la seconde serait considérée comme correspondant au véritable « soi intime » (de Singly, 1996). Plusieurs exemples peuvent être donnés. Une prostituée peut mener parallèlement à son activité de commerce du sexe une vie conjugale « rangée », mais celle-ci demeure cachée à ses clients, comme à l’État, qui considère systématiquement le partenaire comme proxénète (Py, 1999). À Rio de Janeiro, dans le cadre, confidentiel, d’un programme d’appui aux hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes (programme Praça Onze), certains sujets se déclarent « bisexuels » (Ferro, 1999) ; cette auto-dénomination cachée, qui traduit un secret rigoureusement gardé et une séparation absolue des espaces, correspond pour ces hommes à une situation d’étanchéité entre une vie officielle et respectable, généralement d’homme marié exhibant les signes extérieurs de la masculinité la plus incontestable, et des moments volés ou clandestins, consacrés le plus souvent à des aventures dans des lieux de drague homosexuelle (avec des travestis ou d’autres hommes). D’un univers à l’autre, ce n’est pas seulement le sexe des partenaires, mais tout le style de l’activité sexuelle qui change. Un troisième exemple de séparation des « genres », amplement représenté dans la littérature française du XIXe siècle, est celui du bourgeois qui conjugue une activité sexuelle modérée (« conjugale ») avec la mère de ses enfants et une relation active, axée sur le plaisir, avec la maîtresse qu’il entretient.

44Le fait pour un homme, ou pour une femme, d’avoir une vie sexuelle conjugale et une vie sexuelle parallèle ne correspond plus nécessairement à une organisation clivée, selon la définition que nous en avons donnée. Le chapitre consacré à l’extraconjugalité [19] dans Libres ensemble. L’individualisme dans la vie commune (de Singly, 2000) traduit bien le fait qu’il ne s’exprime pas forcément dans la relation parallèle une orientation profondément différente de celle qui prévaut dans la relation principale. Certains individus mènent une vie quasi-conjugale avec leur partenaire secondaire, « résolvant le problème [de l’inflation des attentes à l’égard du conjoint] en divisant le travail entre deux “partenaires”, l’un plus chargé du rôle social de conjoint et de parent, et l’autre plus chargé d’apporter les satisfactions relationnelles et sexuelles » (de Singly, op. cit., p. 204). D’un autre côté, la pratique fréquemment attestée à l’ère du sida, parmi les homosexuels comme parmi les hétérosexuels, d’utiliser des préservatifs dans les relations secondaires et de ne pas en utiliser dans la relation principale (Messiah, 1996) n’est nullement l’indice d’un clivage interne de l’individu, mais plutôt celui d’un comportement coordonné, qui révèle souvent une orientation intime unique, celle qui valorise le renouvellement périodique du désir de l’individu, au sein comme en-dehors d’une relation stable : une importante minorité des personnes interrogées dans l’enquête ACSF (les hommes plus que les femmes) pensent qu’« au cours de son mariage, on peut avoir quelques aventures avec quelqu’un d’autre ». Dans les couples homosexuels masculins, qui reconnaissent plus explicitement la possibilité de partenaires supplémentaires, cette protection coordonnée a acquis un caractère de norme (Kippax et al., 1993). Plus généralement la capacité à vivre bien la séparation des scènes sexuelles et à y voir un enrichissement, plutôt qu’une mise en cause du l’unité du sujet, est liée aux modèles du désir individuel ou du réseau sexuel, cependant que la tendance à percevoir l’engagement dans plusieurs scènes sexuelles comme une insupportable fragmentation intérieure ressort clairement de l’orientation conjugale.

45Toute la tradition occidentale, celle du christianisme, de la courtoisie médiévale et de l’amour-passion du XVIIe siècle français (Ariès et Béjin, 1984 ; Nelli, 1963 ; Luhmann, 1982), avait imprimé dans les esprits et théorisé l’idée d’une différence radicale de nature entre le mariage (qui produit des enfants légitimes) et les relations hors du mariage (qui produisent des sentiments, du plaisir, éventuellement des bâtards). Amorcée avec le romantisme, la grande évolution du XXe siècle, que l’on n’approfondira pas ici, a été d’introduire choix personnel, désir et plaisir dans la relation conjugale, et donc de contribuer à tarir une source essentielle de cloisonnement intime des individus (de Singly, 1993). Depuis les années 1960, de grandes transformations, en lien avec le mouvement des femmes, ont affecté la situation de ces dernières dans la société et dans la famille : la diffusion de la contraception, l’augmentation de leur niveau d’instruction, l’accroissement de leur participation au marché du travail, la plus grande facilité à divorcer ont élargi considérablement leur autonomie matérielle et personnelle. Cependant la disparition de la peur de la grossesse intempestive et des pratiques de précaution qui lui étaient directement liées n’a pas développé parmi les femmes une forte aspiration à une sexualité déclinée principalement sur le mode du désir individuel, mais a renforcé au contraire chez elles l’exigence d’une conjugalité stricte (même sans papiers !), qui tolère moins les écarts des partenaires (Bozon, 1998b).

46La coexistence en un même individu de plusieurs orientations intimes n’entraîne pas forcément une organisation clivée de son existence. Cette coexistence peut en effet être provisoire et être liée à une phase de transition biographique, comme dans le multipartenariat de transition, lors de la période qui précède ou qui suit une séparation conjugale, avant une remise en couple. Cependant une part de ceux (celles) qui se séparent d’un conjoint ne forment pas de nouveau couple, ou passent un certain temps sans conjoint : l’expérience de vie sans conjoint après une expérience conjugale peut conduire à un glissement de l’orientation intime et à un abandon définitif du modèle de la sexualité conjugale. Il existe aussi des situations plus permanentes où des individus dont l’orientation dominante paraît sans équivoque gardent en veilleuse un certain nombre d’aspirations, qui parfois peuvent revenir au premier plan. Ainsi dans le journal déjà cité de Michel Polac, qui représente un exemple très net de modèle de réseau sexuel, des périodes brèves de fonctionnement conjugal, apparemment assez classiques, sont mentionnées. On peut signaler inversement, dans le cadre d’une vie conjugale standard, les cas d’aventures « sans conséquences ».
* * *

47Les comportements et les représentations en matière de sexualité s’organisent en configurations cohérentes mais distinctes, qui sont tout à la fois des manières de délimiter le sexuel, des modes d’interaction entre partenaires, et des usages sociaux de la sexualité, c’est à dire des façons de relier le non-sexuel au sexuel. La mise en évidence de ces orientations intimes contribue à ébranler un peu plus la représentation « positiviste » (ou essentialiste) de la sexualité, si prégnante dans les représentations sociales : il faut redire après l’auteur de L’Histoire de la Sexualité que la sexualité n’est pas une fonction biologique dont la signification serait immuable et dont les réalisations comportementales ne seraient limitées que par les barrières (les censures) de la culture. Au contraire, tout dans la sexualité est construit socialement. Cela signifie d’abord que les limites de ce qui est considéré comme sexuel varient non seulement d’une société à l’autre, mais également au sein d’une même société. À l’époque contemporaine, les territoires de la sexualité se construisent à partir de la diversité des trajectoires biographiques et des savoirs sur la sexualité, plus que sur les héritages sociaux et les cadres institutionnels. Ils s’organisent autour de nœuds de relations significatives, d’extension et de structure variables : le modèle du désir individuel délimite un territoire différent du modèle de la sexualité conjugale ou de celui de la sociabilité sexuelle. Dans la lignée de Foucault, on peut dire que la sexualité est la porte de la subjectivité, ou de la connaissance de soi, même si elle n’a aucune signification propre. De fait, le sexuel se borne à dire le non-sexuel. Mais il a la propriété de pouvoir symboliser et fixer durablement, au plus près des corps, ce qui a du poids dans les vies : être reconnu par des autres multiples, être intégré dans une dyade stable, ou bien être autonome, responsable et comptable de soi-même…

48Une propriété fondamentale des orientations intimes est leur hétérogénéité. Qu’il n’y ait pas de point de vue unique sur la sexualité n’est pas une nouveauté. Mais le fait qu’il existe des conceptions aussi hétérogènes du lien de soi à soi et de ce qui peut être dit de l’intime produit une incommunicabilité potentielle, dont il faut nécessairement tenir compte. Dans les débats ou les situations où la sexualité est en cause, il n’y a généralement pas d’accord quant à ce qui est scientifiquement observable, ce qui est représentable et ce qui est recommandable. Les observations des sciences sociales sur la sexualité constituent ainsi des constructions sociales très clivées. Les travaux de sociologie de la famille ne rencontrent jamais les recherches de sociographie des comportements sexuels, qui ignorent elles-mêmes les études anthropologiques sur les cultures sexuelles, ou les travaux sur l’homosexualité, militants ou non. Si les limites du représentable en matière de sexualité, par exemple dans la littérature ou au cinéma, sont en perpétuel mouvement, il reste que ces limites continuent à différer fortement en fonction des orientations de chacun. Ainsi dans l’orientation conjugale, même sous sa forme moderne la plus sécularisée, toute représentation d’acte sexuel explicite est soupçonnée d’entraîner une banalisation des « gestes de l’amour », si fortement associés à la conjugalité et à l’intimité qu’ils ne devraient jamais être visibles, en particulier par la jeunesse ; en revanche, dans l’optique du désir individuel ou de la sociabilité sexuelle, la production pornographique est considérée comme un produit relativement banal, qui ne peut pas être critiqué pour le fait de montrer des actes explicites, mais seulement parce qu’il présente le plus souvent des rapports caricaturaux entre hommes et femmes. Enfin lorsque des institutions et des professionnels tiennent des discours de conseil sur les comportements sexuels, par exemple dans le cadre de l’éducation sexuelle au collège ou de campagnes d’information sur la contraception ou sur le sida, une de leurs préoccupations est souvent de savoir si les messages atteignent leur public. Une difficulté tient souvent à la volonté de transmettre des messages spectaculaires ou simples, qui ne correspondent qu’à une perspective unique. Or savoir tenir compte de la diversité et de la complexité des orientations intimes, et de ce qu’elles impliquent pour les interactions sexuelles entre partenaires, est sans doute un des meilleurs moyens d’être entendu par ceux auxquels on s’adresse.

Notes

  • [*]
    Cet article a bénéficié des multiples suggestions de Michèle Ferrand, ainsi que des commentaires de Florence Maillochon et de Dominique Memmi. Qu’elles en soient sincèrement remerciées.
  • [1]
    L’autonomisation d’une sphère sexuelle et l’apparition du mot de sexualité remontent seulement à la seconde moitié du XIXe siècle. Ce sont le terme de chair et l’adjectif charnel qui désignaient jusque là un ensemble de problèmes strictement moraux.
  • [2]
    Il en va ainsi par exemple de l’échangisme contemporain, qui ne représente nullement une libération à l’égard de contraintes antérieures, bien au contraire. La manière dont les rapports de genre y sont mis en scène est par exemple tout à fait classique (voir article de Welzer-Lang, dans ce même numéro).
  • [3]
    L’idée était déjà exprimée par John Gagnon et William Simon en 1973, dans le contexte d’une critique à la tradition psychanalytique : « Le procès de développement psycho-sexuel, bien que composante universelle de l’expérience humaine, ne s’effectue assurément pas selon des modalités universelles. Même en ne tenant pas compte des formes extrêmes de diversité des cultures, des différences marquées s’observent à l’intérieur de notre propre société, qui requièrent non une description unitaire, mais les descriptions de différents procès de développement, caractérisant différentes fractions de la population » (Gagnon and Simon, 1973, p. 17 ; traduit par M.B.).
  • [4]
    Cette extériorisation de la sexualité est en partie le produit de mouvements de politisation du privé (comme le mouvement gay ), qui ont donné un sens politique à la divulgation d’expériences vécues jusqu’alors clandestinement. Le processus peut être présenté autrement : c’est parce que des acteurs à la sexualité très extériorisée ont investi le mouvement gay que ce dernier a adopté une posture revendicatrice sur la sexualité, alors que les premiers mouvements homosexuels avaient des positions beaucoup plus discrètes (voir Adam, 1997). La politisation de la vie privée par le mouvement féministe s’inscrit historiquement dans une logique différente : il s’agit moins de l’extériorisation d’une orientation intime réprimée que d’une revendication radicale d’autonomie et d’égalité dans les relations avec les hommes.
  • [5]
    Le texte de M. Polac n’offre pas une image moyenne (« représentative ») de son groupe social ; il s’agit bien d’un cas extrême, d’abord par la quantité des expériences narrées, mais surtout par l’acharnement réflexif de l’auteur qui s’est évertué pendant des décennies à décrire et à interpréter les expériences qu’il vivait. Il nous intéresse ici parce qu’il porte un éclairage cru sur des dispositions à l’égard de la sexualité qui sont généralement moins explicitées. Ce témoignage fournit ainsi les éléments qui permettent de construire un type.
  • [6]
    Dans l’article « Expérience de satisfaction » du Vocabulaire de la Psychanalyse (Laplanche, Pontalis, 1967), on lit : « L’image de l’objet satisfaisant prend une valeur élective dans la constitution du désir du sujet. Elle pourra être réinvestie en l’absence de l’objet réel (satisfaction hallucinatoire du désir). Elle ne cessera de guider la recherche ultérieure de l’objet satisfaisant ».
  • [7]
    Est-il licite d’utiliser la description d’un personnage de fiction dans un travail de sociologie des pratiques et des représentations ? Cette question a déjà été abordée par d’autres auteurs, comme par exemple François de Singly (de Singly, Charrier, 1989). L’œuvre de fiction offre au lecteur une vision du monde, en d’autres termes un scénario doté d’un minimum de vraisemblance et de cohérence. Tandis que la fiction doit pouvoir s’inscrire dans une trame narrative, un travail sociologique doit suivre une trame argumentative. Ce qui peut intéresser un sociologue dans un personnage de fiction est plus la cohérence qui lui est donnée par l’auteur que le naturalisme du détail.
  • [8]
    Cette histoire amoureuse avait déjà été l’objet d’un bref récit après coup, écrit un ou deux ans après la séparation ( Passion Simple, Gallimard, 1991). Ecrit au jour le jour, le journal accorde, quant à lui, une place bien plus grande à la sexualité vécue et à la souffrance liée à la passion.
  • [9]
    Historiquement, l’adultère a toujours été puni bien plus sévèrement lorsqu’il était le fait des femmes.
  • [10]
    Cette réticence à évoquer précisément l’activité sexuelle conjugale n’est pas forcément un phénomène universel. Dans une étude comparative franco-brésilienne, nous avions montré que les enquêtés brésiliens évoquaient leurs actes sexuels plus volontiers et de manière moins métaphorique que les Français (Bozon, Heilborn, 1996). Cette verbalisation plus marquée de la sexualité physique suggère moins un individualisme sexuel des partenaires qu’une forte perception de l’importance de la sexualité pour la relation conjugale.
  • [11]
    Il y a évidemment une affinité entre le point de vue de ceux qui réalisent des enquêtes sur les comportements sexuels à l’ère du sida, et le modèle du réseau sexuel. Prenant pour objet les situations porteuses d’un risque de contamination, les enquêtes des années 1990 accordent en effet une importance particulière au multipartenariat.
  • [12]
    En milieu populaire au Brésil, l’expression « fazer o serviço » (faire le service) est une des manières de dire « avoir un rapport sexuel ».
  • [13]
    Le refus réitéré par l’Église catholique de toute promotion de l’usage du préservatif est lié au soupçon, pas totalement infondé, que celle-ci contribuerait à ébranler la domination symbolique de l’orientation conjugale en matière de sexualité.
  • [14]
    La Tyrannie du Plaisir est ainsi le titre d’un essai de Jean-Claude Guillebaud (Seuil, 1998) dans lequel on peut lire : « Nomade, incertaine, boulimique et anxieuse, la sexualité contemporaine est d’abord anxieuse ». L’auteur invite à revaloriser la durée, l’autre, la famille.
  • [15]
    La réprobation de la permissivité ( permissiveness ) contemporaine est un thème plus fréquent dans les pays anglo-saxons, où la défense de la famille et de la morale sexuelle traditionnelles est un étendard politique et religieux des conservateurs ; le simple usage des termes de promiscuité et de permissivité, qui se traduisent mal en français, exprime le point de vue nostalgique de ceux qui rejettent les changements que d’autres saluent du nom de « révolution sexuelle » (Weeks, 1985).
  • [16]
    Pour un examen critique de l’expression de « révolution sexuelle », voir Bozon, 1998b, p.31-33.
  • [17]
    Les débats extrêmement animés sur la possibilité d’une représentation explicite des actes sexuels au cinéma (voir Frodon, 1998 et 2001) et les réactions très tranchées à l’égard des films qui s’aventurent sur cette voie (comme Romance de Catherine Breillat, 1998) révèlent bien l’hétérogénéité des orientations intimes du public, et la difficulté de tenir une position « compréhensive » ou équilibrée dans un débat où la sexualité est en cause.
  • [18]
    La sexualité joue un rôle décisif dans la construction et la légitimation des rapports de genre, et le genre contribue à structurer la sexualité. Ce double lien, dont nous avons traité dans d’autres travaux (Bozon, 1999), n’est pas l’objet du présent article. Aux trois grandes orientations intimes, qui constituent des types idéaux, se rattachent des individus des deux sexes : les femmes ne s’inscrivent pas toutes dans l’orientation conjugale, de même que les hommes ne sont pas tous dans la perspective du désir individuel. Cependant, les rapports de genre interviennent dans la manière dont les interactions entre partenaires de l’un et de l’autre sexe se régulent, quelle que soit leur orientation, et dans les appréciations sociales qui sont données du comportement sexuel des individus.
  • [19]
    Il s’agit du chapitre 10 « Avoir une vie ailleurs : l’extraconjugalité », écrit par François de Singly, avec Florence Vatin.
Français

Loin d’être une fonction biologique qui aurait une transcription psychologique et sociale immédiate, la sexualité renvoie à des configurations sociales, dont les composantes et les limites font question : il n’y a pas de frontière objective du sexuel et du non sexuel et les territoires même qu’elle occupe dans la vie sociale ou dans la vie des individus sont objet de débat et de contestation. Ces configurations, que nous dénommons orientations intimes, ne désignent pas des types psychologiques, mais des logiques sociales d’interprétation et de construction de la sexualité, c’est-à-dire des manières de la définir et d’en user, qui s’expriment aussi bien en des représentations et des normes culturelles qu’en des modes d’interaction entre partenaires ou des affects liés à la sexualité. Trois grandes orientations intimes ont été distinguées. Dans le modèle du réseau sexuel, la sexualité du sujet est extériorisée et l’individu est défini par son inscription dans un important réseau de partenaires. Dans le modèle du désir individuel, c’est avant tout le retour périodique du désir et de son accomplissement qui crée le sentiment de continuité du sujet. Enfin, dans le modèle de la sexualité conjugale, l’activité sexuelle n’a de sens que comme composante de la construction ou de l’entretien d’une relation dyadique. L’existence de trois lectures très contrastées de la sexualité peut conduire à des conflits d’interprétation radicaux, soit au plan politique ou macro-social (comment réguler ou représenter la sexualité ?), soit au plan interindividuel (que veut chacun des partenaires dans un rapport sexuel ?), soit enfin au plan intrapsychique (que faire quand plusieurs interprétations de la sexualité coexistent chez un même individu ?).

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Michel Bozon
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