CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Le Viêt Nam connaît depuis le début du XXIe siècle un déséquilibre des naissances en faveur des garçons. Si le phénomène est récent en comparaison d’autres pays asiatiques, il est également très marqué, puisqu’il naît actuellement 113 garçons pour 100 filles à l’échelle nationale [1] (General Statistics Office, 2014). Ce déséquilibre est lié à la pratique de la sélection sexuelle prénatale, qui traduit une préférence pour les garçons conduisant une partie de la population à recourir à une forme extrême de discrimination, l’avortement des fœtus de sexe féminin.

2Ces pratiques s’expliquent par le privilège accordé par la société vietnamienne aux fils. Ceux-ci sont investis d’une valeur symbolique dont ne bénéficient pas les filles même si celles-ci négocient désormais leur part dans le contrat intergénérationnel en soutenant activement leurs parents âgés (Barbieri, 2009 ; Bélanger et Pendakis, 2009 ; Truong, 2009 ; Guilmoto et Loenzien, 2014) et que leurs capacités de soin sont appréciées. Chez les Kinh, l’ethnie majoritaire, les garçons incarnent la patrilinéarité (Rydström, 2002, 2003). La transmission de la lignée s’opère de père en fils (Khuât, 2009). Les hommes doivent engendrer un héritier mâle qui s’occupera à son tour du culte des ancêtres puisqu’un défunt sans culte risque de devenir une âme errante et sans « biens », donc démunie dans l’au-delà (Pham, 1999). Ce rôle symbolique explique également la corésidence patrilocale, particulièrement dans le Nord du pays (Guilmoto, 2012), qui génère là encore le besoin d’un fils pour soutenir ses parents âgés. En échange de cette responsabilité, en « compensation » (Bélanger et Li, 2009), le fils aîné hérite traditionnellement de la maison principale, dans laquelle se trouve l’autel des ancêtres. Au Sud du pays, le peuplement est historiquement proche des traditions bilatérales du Sud-est asiatique et les familles sont plus flexibles vis-à-vis de ces traditions patrilinéaires (Do, 1991 ; Haines, 2006).

3Malgré cette préférence ancienne pour les garçons, aucun comportement discriminatoire ne nuisait à la survie des petites filles jusqu’au début des années 2000 (Bélanger, 2002 ; UNFPA, 2012). Mais à ce facteur de demande (la préférence pour les garçons) s’est ajouté un facteur de pression (la faible fécondité) et un facteur d’offre (l’accès aux technologies de reproduction) (Guilmoto, 2009, 2012). En effet, les couples vietnamiens veulent s’assurer la naissance d’un fils dont le rôle économique mais surtout symbolique demeure primordial, risquent de ne pas en avoir en raison de la préférence pour une descendance restreinte, mais peuvent choisir le sexe de leurs enfants grâce aux nouvelles technologies de reproduction. Si l’Assemblée Nationale vietnamienne a voté une Ordonnance de Population en 2003 – avant même que le déséquilibre du rapport de masculinité à la naissance ne soit avéré à l’échelle nationale – dont l’un des objectifs était de prohiber l’identification du sexe du fœtus par échographie et l’avortement sexo-sélectif, cette prohibition est difficile à faire respecter. Ces avortements représentent une petite proportion de ceux [2] pratiqués au Viêt Nam [3], mais ce comportement qui demeure minoritaire [4] entraîne des conséquences importantes, notamment dans la structure de la population.

4À partir de trois enquêtes qualitatives menées dans différentes provinces, cet article se propose d’analyser plus précisément comment la disponibilité des nouvelles technologies de reproduction a stimulé le recours à la sélection sexuelle prénatale. Dans un contexte où l’offre de soins s’est développée selon une logique de marché plutôt que de santé publique depuis le Dôi Moi [5], ces technologies ont été détournées de leur objectif initial pour être mobilisées parmi une myriade de stratégies visant à satisfaire des objectifs reproductifs genrés. Ce n’est plus seulement la nature qui explique la composition de la descendance : avec la contraception, l’avortement et, désormais, l’échographie, celle-ci peut se construire. Ces nouvelles technologies augmentent la pression qui pèse sur les couples pour avoir un fils, puisqu’ils n’ont plus l’excuse du hasard pour légitimer son absence. Une attention particulière sera portée aux différences entre les zones urbaines et le Nord, où la pratique des avortements sexo-sélectifs s’est développée en premier et le plus fortement (Becquet et Guilmoto, 2018 ; Bélanger et al, 2003), et les zones rurales et le Sud du pays.

La loi du marché : le développement de l’offre de soins autour de la préférence pour les garçons

5L’échographie s’est fortement développée dans les années 2000 au Viêt Nam. Après plusieurs décennies de politiques encourageant la planification familiale, puis la mise en place d’une limitation des naissances à deux enfants en 1988, l’État a alors opéré un glissement pour se concentrer sur la « qualité » de la population. Si la stratégie pour la période 2001-2010 avait pour objectif de stabiliser l’accroissement de la population et d’améliorer sa qualité de vie, celle de 2011-2020 a pour but d’améliorer la « qualité de la race » (chất lượng giống nòi), afin de développer économiquement le pays et d’améliorer sa compétitivité. La « qualité » de la population se mesure aux aspects « physiques, mentaux et spirituels (thể chất, trí tuệ, tinh thần) » des individus, soit leur santé, leur éducation et leur comportement (Phinney et al., 2014 : 447). Cet objectif s’inscrit dans l’idéal du bien commun de l’idéologie communiste vietnamienne : il faut une population de « qualité » pour développer l’économie nationale, qui sera alors en mesure d’assurer une bonne santé et une bonne éducation à tous les citoyens (Phinney et al., 2014).

6Comme l’explique cependant Tine Gammeltoft dans sa monographie sur le recours à la sélection prénatale des fœtus présentant une malformation, cet objectif s’inscrit dans un contexte historique particulier (Gammeltoft, 2014). De nombreux Vietnamiens subissent les conséquences de « l’agent orange », un défoliant extrêmement toxique épandu dans les forêts vietnamiennes par les Américains pendant la guerre et qui cause encore aujourd’hui de nombreuses maladies et malformations. Selon Gammeltoft, le discours sur une « population de qualité » relève moins de l’eugénisme que d’une méthode pour cacher le fait que les inégalités économiques grandissantes rendent le handicap difficile à assumer dans de nombreuses familles ; en insistant sur l’horreur des conséquences de l’agent orange, dont sont responsables les Américains, l’État cherche à masquer sa difficulté à pallier ces inégalités. Ce discours a stimulé le développement des soins prénataux, et notamment celui, rapide et intense, de l’échographie, dont l’utilisation est encouragée pour détecter les anomalies et sélectionner des individus « sains ».

7Selon les données du Ministère de la Santé, le nombre d’échographies est ainsi passé de 1 million en 1998 à 3,7 millions en 2002 et 10,8 millions en 2007 [6] (Guilmoto et al., 2009). Cette nouvelle technologie s’est développée alors que le rôle économique et social central de l’État s’est modifié au cours du Dôi Moi et que les individus sont désormais responsables de leurs décisions productives et reproductives (Werner, 2009). Parmi les nombreuses réformes lancées au cours de cette période figure en effet, en 1986, celle du système de santé, qui autorise les centres de santé privés et a ainsi créé de nouveaux coûts pour les populations. Le faible niveau de revenus des soignants a entraîné par ailleurs une forte corruption, les patients devant s’acquitter de nombreuses commissions pour être soignés (Vian et al., 2012).

8Dans ce contexte de libéralisation économique, le marché des échographies s’est révélé très lucratif ; les cliniques privées disposant de machines échographes se sont multipliées autour des hôpitaux. Dans les années 1990, les structures de santé en milieu urbain achetaient des machines d’occasion, qu’elles revendaient ensuite pour 10 à 20 % du prix d’achat aux cliniques privées en milieu rural. Cependant, aujourd’hui des machines neuves sont importées principalement du Japon ou des États-Unis et coûtent entre 1,2 et 1,5 milliard de VND, soit entre 60 000 et 75 000 USD (Tran, 2012). Les cliniques privées sont ainsi équipées de machines plus neuves et modernes que les hôpitaux publics, machines qui sont remboursées en une ou deux années tout au plus, malgré les tarifs très bas des examens. Dans les cliniques privées que j’ai visitées à Hai Duong en octobre 2012, on payait 2 USD pour une échographie 2D et 5 USD pour une échographie 3D. Le développement de l’offre d’examens échographiques a ainsi été « motivé par la loi du marché plutôt que par la politique de santé » (Gammeltoft et Nguyễn, 2007 : 166, ma traduction). Les médecins pratiquent une échographie à chaque visite prénatale et certains praticiens dans le secteur privé vont même jusqu’à recommander la pratique d’une échographie par mois (Gammeltoft et Nguyễn, 2007 ; Tran, 2012).

9Le développement de ces examens prénataux a trouvé une résonance particulière dans le contexte de faible fécondité et de préférence pour les garçons. D’une part, l’échographie est utilisée à des fins de reproduction, en s’inscrivant à la fois dans un spectre de techniques et de pratiques traditionnelles destinées à concevoir un garçon et de stratégies reproductives pour s’assurer la naissance d’un fils. D’autre part, la préférence pour les garçons est utilisée par les praticiens de santé à des fins commerciales. Deux utilisations de l’échographie ont émergé : la première, pré-conceptionnelle, visant à détecter la période d’ovulation pour concevoir un garçon, et la seconde, post-conceptionnelle, cherchant à déterminer le sexe du fœtus.

10L’offre médicale développée autour de la sélection prénatale, qu’elle soit pratiquée à cause d’un handicap ou du sexe, est en pleine expansion dans la société vietnamienne actuelle. Les cliniques les plus réputées sont celles où les médecins savent détecter les malformations fœtales, la période d’ovulation et déterminer le sexe du fœtus. Il faut parfois prendre rendez-vous plusieurs jours à l’avance et les femmes parcourent des dizaines de kilomètres pour être examinées dans une clinique renommée, souvent détenue par un médecin travaillant dans un hôpital public. À Hanoi, une véritable compétition s’installe entre les cliniques, qui doivent être capables de diagnostiquer le sexe du fœtus le plus tôt possible dans la grossesse, afin d’attirer les patients. Les praticiens des cliniques privées révèlent donc le sexe du fœtus malgré l’illégalité de la pratique. L’ensemble des femmes interrogées pendant les enquêtes qualitatives ayant des enfants de moins de 10 ans, à Ninh Thuân comme à Hanoi et Hai Duong, en zone urbaine comme en zone rurale – ainsi que les clients rencontrés dans les salles d’attente des cliniques privées –, ont confié avoir eu connaissance du sexe du fœtus grâce aux échographies. C’est moins le cas dans les hôpitaux publics en raison de contrôles plus stricts : les médecins travaillant pour l’État n’ont donc aucun intérêt à prendre ce risque, d’autant plus que leur salaire ne dépend pas du nombre de patients vus en consultation. Au contraire, les praticiens du secteur privé sont réticents à arrêter de déterminer le sexe des fœtus, car ils risquent alors de perdre leur patientèle (Gammeltoft, 2014).

Données et méthodologie

11Les enquêtes se sont déroulées entre les mois d’octobre 2012 et novembre 2013 dans trois provinces, sélectionnées d’abord parce qu’elles présentaient des taux différents de naissances masculines. La première enquête a eu lieu à Hai Duong en octobre 2012 (province ayant un rapport de masculinité à la naissance égal à 120,2 dans le recensement de 2009) ; la seconde s’est déroulée en janvier 2013 à Ninh Thuân (rapport égal à 110,8 en 2009) ; et la troisième enquête a été menée en novembre 2013 dans la province de Hanoi (rapport égal à 113,2 en 2009).

12Par ailleurs, ces trois provinces présentaient chacune des particularités qui paraissaient intéressantes à exploiter. Ainsi, à Hai Duong le déséquilibre des naissances masculines et féminines est l’un des plus forts du pays. La pression pour avoir un fils y semble exacerbée. Située au cœur du delta du fleuve Rouge, cette province est le berceau de la civilisation Kinh (ethnie majoritaire et patrilinéaire), dont elle est peuplée à 99,6 % (Ministry of Planning and Investment et General Statistics Office, 2010). Pour tenir compte des différences entre les comportements reproductifs en milieu urbain et rural et en particulier du fait que le déséquilibre des naissances entre garçon et fille est plus fort en milieu rural (Ministry of Planning and Investment et General Statistics Office, 2011), j’ai enquêté dans le district de Viêt Hoa (dans la ville de Hai Duong) et le district de Thanh Hà (rural). La seconde enquête a eu lieu à Ninh Thuân pour plusieurs raisons. Tout d’abord, c’est dans cette province que se trouvait la dernière principauté Cham, matrilinéaire, jusqu’en 1832 et que demeure encore une grande partie de ses descendants. Colonisée par les Kinh relativement récemment, Ninh Thuân se situe ainsi au croisement de deux systèmes de normes, patrilinéaires et matrilinéaires. Elle présente également l’avantage d’avoir peu fait l’objet de travaux de recherche en comparaison de la région du fleuve Rouge. Là encore, j’ai enquêté dans un district urbain, la ville de Phan Rang et un district rural, Ninh Hai. Enfin, la troisième enquête a eu lieu à Hanoi. Puisque la préférence pour les garçons semblait fortement liée au culte des ancêtres et au soutien des parents âgés, j’ai voulu questionner à nouveau ces raisons dans cette province urbanisée et entourant la métropole où on peut imaginer que la transmission de la propriété ou la corésidence se pensent autrement. Trois districts ont été enquêtés : le district urbain de Hà Dông, le district péri-urbain de Dông Anh et le district rural de Ung Hòa, afin d’élargir les catégories socioéconomiques des personnes inclues dans l’échantillon.

13Ces trois enquêtes qualitatives reposent sur des entretiens semi-directifs approfondis, qui ont été conduits après obtention de l’accord du comité d’éthique du Ministère de la Santé [7]. Un protocole de recherche détaillé (objectifs, méthodologie, caractéristiques des personnes à interroger, emploi du temps détaillé à la mi-journée, budget) a ensuite dû être transmis à l’Office pour la Population et la Planification Familiale, qui a organisé chaque enquête et choisi les participants, selon les critères que j’avais élaborés (un échantillon comprenant autant d’hommes que de femmes et de parents ayant au moins un fils ou des filles uniquement). Si l’étude a été étroitement contrôlée en amont, les autorités n’ont ensuite demandé aucun droit de regard sur les entretiens et les résultats. Être introduite par les autorités locales aurait pu provoquer la méfiance des personnes interrogées, mais il a semblé que cela induisait au contraire une certaine confiance, car je n’étais plus seulement une inconnue, chercheure étrangère, arrivant dans un village pour interroger des gens sur des aspects intimes de leur vie personnelle. Mon statut d’universitaire européenne, venant enquêter dans un pays lointain sur un phénomène que les enquêtés qualifiaient eux-mêmes de « féodal », à l’instar du discours étatique (Becquet et Luu, 2017), crée forcément une certaine distance. Le fait que mon interprète et moi étions deux femmes non mariées a été sujet à de nombreuses plaisanteries mais cela nous a aussi permis d’être celles qui ne détenaient pas le savoir et qui étaient là pour apprendre.

14Des hommes et des femmes ont été interrogés séparément sur leur profil socio-économique, leur mariage, leurs comportements reproductifs (utilisation de la contraception, détermination du sexe de leurs enfants par échographie et usage global de cette technique de soins prénataux, expérience de l’avortement), ainsi que sur des normes et des pratiques sociales et culturelles spécifiques (le culte des ancêtres, l’héritage et l’aide aux parents âgés) et leur connaissance de la problématique de la masculinité des naissances. Ces entretiens ont été réalisés avec l’aide d’une interprète qui m’a assistée durant les trois enquêtes. Des entretiens de groupe exclusivement féminins ou masculins ont également été organisés afin d’analyser plus finement les rapports familiaux intergénérationnels et la pression familiale et communautaire qui s’exerce autour du sexe de l’enfant à naître. Les échantillons rassemblaient des personnes ayant seulement des filles et d’autres ayant un ou plusieurs fils. Les parents de garçons n’ont pas été mélangés à ceux ayant exclusivement des filles pour ne pas entraver la parole de ces derniers, qui rapportent souvent une gêne et des moqueries lors des réunions de village. À Hai Duong, j’ai interrogé quinze femmes âgées de 25 à 51 ans et quatorze hommes de 28 à 55 ans, d’origine Kinh. L’échantillon de Ninh Thuân comprenait deux hommes de 36 et 39 ans et quatorze femmes de 28 à 44 ans d’origine Kinh, et quatorze hommes de 28 à 52 ans et deux femmes de 25 à 33 ans d’origine Cham. À Hanoi, des entretiens individuels et deux entretiens de couples ont été effectués avec six hommes âgés de 28 à 34 ans et six femmes âgées de 25 à 42 ans, tous d’origine Kinh. L’ensemble de ces personnes étaient mariées.

15J’ai également interrogé des praticiens exerçant dans les hôpitaux de province et des cliniques privées, afin de me renseigner sur la détermination du sexe des fœtus lors des échographies. À Hai Duong, j’ai également discuté informellement avec plusieurs femmes dans les salles d’attente de l’hôpital provincial de Chu Linh et d’une clinique privée à proximité.

16Ces trois enquêtes ont eu lieu pendant deux séjours de 8 mois chacun au Vietnam, qui ont permis l’apprentissage (toutefois insuffisant pour des entretiens approfondis) de la langue et la compréhension du contexte culturel, politique et économique du pays au-delà du sujet particulier de la recherche. Mener ces enquêtes dans trois provinces a permis de distinguer les attitudes régionales et de mettre en lumière une grande hétérogénéité. J’ai ainsi approfondi l’analyse de l’utilisation des technologies prénatales au Viêt Nam menée par Tine Gammeltoft et ses collègues vietnamiens dans de nombreux travaux cités tout au long de cet article.

17Examinons maintenant la manière dont les méthodes pour concevoir un fils d’une part et assurer la naissance d’un fils d’autre part, sont employées et négociées par les couples vietnamiens.

Les différentes méthodes pour concevoir un garçon

18Les couples ont recours à diverses méthodes pour concevoir un garçon, considérant qu’il faut se préparer et anticiper, parfois des mois avant la conception, pour ne pas laisser le hasard décider du sexe de l’enfant à naître. Engendrer un garçon s’apparente à un savoir-faire, qui se transmet entre pairs.

Un éventail de méthodes traditionnelles

19Huyên (25 ans), mère de deux filles et habitant dans le district rural de Ung Hoa à Hanoi, explique qu’elle veut avoir un troisième enfant et qu’elle a appris « comment concevoir un fils » avec des mères de garçons. En effet, ce sont souvent les épouses qui se renseignent et échangent des informations, selon l’idée que la reproduction est une « histoire de femmes » et qu’elles sont responsables de la descendance. Ces différentes méthodes varient des recettes populaires, assimilées à des savoirs ancestraux, aux techniques médicales, valorisées puisque scientifiques et donc « modernes ». Huyên déclare ainsi que pour s’assurer de concevoir un garçon, elle compte associer plusieurs méthodes détaillées dans un guide édité par la « Youth Publishing House » qu’elle s’est procurée. Il existe par exemple plusieurs régimes alimentaires fondés sur la croyance que des aliments salés ou incarnant la force masculine comme le bœuf, renforcent les spermatozoïdes portant le chromosome Y et préparent le corps de la future mère pour qu’il accueille un embryon masculin. Les quatre extraits suivants d’une discussion collective avec six femmes n’ayant que des filles sont significatifs des représentations et des pratiques alimentaires auxquelles se soumettent les femmes.

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Ma grande sœur m’a dit qu’elle devait suivre des régimes scientifiques qui comprennent plus de nourriture salée, du poisson séché et du bœuf. Tout cela combiné à des médicaments chinois prescrits par des médecins traditionnels et le calcul de la bonne date pour avoir des rapports sexuels.
Selon les gens, les femmes doivent être plus faibles que les hommes pour qu’un garçon soit fabriqué. Donc, les femmes ne doivent pas manger d’aliments nutritifs, alors que les hommes si. C’est ce qu’on entend par le bouche à oreille, chez les gens ici.
Du poisson séché et de la nourriture salée. Très salée.
Celles qui veulent avoir un fils vont essayer tout ce que les gens vont leur dire de faire, par exemple ma sœur a bu de l’eau minérale, mangé du bœuf ou des pousses de soja tous les jours. Elle a calculé ses cycles menstruels et la date de l’ovulation pour tomber enceinte d’un garçon. Elle a fait tout ce que les gens lui ont dit de faire, mais au final elle est encore tombée enceinte d’une fille.
(Entretien collectif, district urbain de Viêt Hoa, province de Hai Duong)

21Le guide de la « Youth Publishing House » contient également une liste de médicaments traditionnels destinés à « renforcer la santé » des hommes et un calendrier basé sur les cycles menstruels pour déterminer le jour de l’ovulation. Huyên veut également recourir aux tests d’ovulation urinaires vendus sur le marché. Elle a par ailleurs entendu parler de l’acidité de l’utérus, qui ne permettrait pas aux spermatozoïdes portant le chromosome Y de survivre lorsqu’elle est trop élevée et qui peut être mesurée dans les cliniques. Huyên et son époux ont ainsi décidé de recourir à l’ensemble des techniques qu’ils connaissent afin de mettre toutes les chances de leur côté pour que ce troisième enfant soit enfin le garçon tant désiré. Différentes méthodes sont également décrites dans des magazines féminins ou sur des sites internet, relatives aux actes sexuels et à l’heure des rapports. D’autres calendriers tels le calendrier perpétuel, qui utilise l’astrologie pour planifier toutes sortes d’évènements, sont également utilisés pour concevoir un garçon. Ainsi Van (55 ans), père de 4 filles dans le district rural de Hai Duong explique :

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Dans le calendrier perpétuel publié chaque année, il est écrit quels mois les gens peuvent avoir un garçon ou une fille selon ce qu’ils préfèrent.

23Van se sert de ce calendrier pour chaque décision importante qu’il doit prendre ; il l’a par exemple utilisé pour savoir quand commencer la construction de sa maison.

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Les informations de ce calendrier sont basées sur les vieux livres chinois et la dernière partie indique quand concevoir le sexe désiré, à partir des expériences passées des anciens rois et du calendrier lunaire. On calcule selon l’âge de la femme.

25Enfin, certaines femmes consultent un voyant ou un médecin traditionnel, qui prescrit des plantes après avoir tâté le pouls de la future mère. Chinh (42 ans), vivant dans le district urbain de Ha Dong à Hanoi, a ainsi voyagé dans la province de Hung Yên pour rencontrer un médecin réputé et recommandé par ses amies. À cette époque, son mari et elle avaient deux filles âgées de 13 et 11 ans et Chinh avait accouché d’un fils mort-né après sa fille aînée ; ils ne désiraient pas d’autre enfant, mais leurs familles, notamment les frères de son époux, insistaient pour qu’ils aient un garçon. Pourtant, il était difficile pour elle de tomber enceinte après toutes ces années et d’éduquer à nouveau un enfant (elle avait 37 ans et son époux 41). Le médecin de Hung Yên lui a prescrit différents médicaments et elle est effectivement tombée enceinte d’un garçon, mais elle a fait une fausse couche quatre mois plus tard. Elle est retournée voir le médecin et lorsqu’elle est retombée enceinte pour la cinquième fois, c’était une fille, âgée de 5 ans au moment de l’entretien.

26Si Chinh confie qu’elle « n’a pas eu de chance », parce qu’elle a donné l’adresse à d’autres amies qui ont réussi à avoir un fils, elle précise toutefois qu’elle « sait comment concevoir des garçons » et que pour cette raison leurs voisins ont arrêté de les railler. Chinh précise que c’est ainsi que son mari se rassure : leurs fils n’étaient pas destinés à « s’installer dans leur maison ». Elle ajoute que leur fille aînée ayant un fils, si elle n’est pas mère d’un garçon, elle est toutefois grand-mère d’un garçon. Bien qu’elle ait uniquement des filles, elle dit être différente des autres femmes du village car elle a pu fabriquer deux garçons ; elle est donc capable. Ces explications de Chinh rejoignent de nombreux témoignages recueillis, selon lesquels les mères n’ayant pas de fils sont estimées être « incapables de donner naissance », témoignages qui apparaissent également dans l’étude de Danièle Bélanger sur la préférence pour les garçons dans un village du Delta du Fleuve Rouge (Bélanger, 2002). Les capacités des femmes, selon le principe élaboré par Amartya Sen puis développé par Martha Nussbaum (2000), s’inscrivent dans un système patrilinéaire, dans lequel la maternité n’est accomplie que lorsqu’un garçon est conçu.

27Pour se conformer à la norme, les couples et plus particulièrement les femmes, doivent avoir un fils pour perpétuer la lignée, ou au moins montrer qu’elles emploient toutes les méthodes disponibles pour essayer d’en concevoir un ; de cette manière elles peuvent légitimer l’absence d’un garçon. L’extrait suivant illustre ainsi l’agentivité des femmes face aux normes et aux pressions.

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En général, les gens lisent des livres qui montrent comment calculer le cycle menstruel, quand est l’ovulation. Mais l’efficacité de ces méthodes n’est pas très élevée, parmi les trois personnes qui ont essayé cette méthode, personne n’a réussi. Et quand ils ne réussissent pas, ils blâment leur destin. Encore une fois, on reçoit ce que Dieu nous donne.
(Thai, 1 garçon, district urbain de Viêt Hoa, province de Hai Duong)

La diffusion des techniques médicales

29En parallèle de ces méthodes traditionnelles se développent des techniques médicales supposées permettre la conception d’un garçon. Il existe ainsi une nouvelle mode sur le marché de la reproduction, rapportée par plusieurs personnes vivant en milieu urbain dans les deux régions du Nord du pays [8] : la détection de l’ovulation par échographie (siêu âm canh trứng). Cette technique était utilisée au départ dans le traitement de la stérilité, mais elle a été détournée pour que les couples puissent concevoir un garçon plutôt qu’une fille. En effet au début des années 70, un livre de Shettles et Rorvik intitulé Howto Choose the Sex of Your Baby devient populaire et explique que les spermatozoïdes portant le chromosome Y étant plus petits et rapides que ceux portant le chromosome X, un rapport sexuel ayant lieu à la fin de l’ovulation permet de concevoir un garçon. Cette théorie a toutefois été remise en cause par de nombreux scientifiques, puis a été définitivement rejetée par une étude menée sur 947 naissances à la fin des années 1990 (Gray et al., 1998). Il y a cependant aujourd’hui un fort consensus au sein de la communauté scientifique et médicale au Viêt Nam, qui promeut cette méthode. Les femmes doivent pratiquer une échographie tous les jours entre le douzième et le dix-huitième jour de leur cycle, chaque échographie coûtant 5 USD ; cela peut durer des mois avant qu’elles ne tombent enceintes. En plus des échographies, les médecins examinent le col de l’utérus, prescrivent des médicaments et donnent des conseils sur les régimes alimentaires à suivre ou les positions sexuelles. Ils récupèrent ainsi à leur compte des techniques ancestrales qui se transmettent entre amis, voisins et parents, en usant de leur autorité en tant que médecins et en utilisant un langage scientifique. S’il existe des méthodes non médicales et pouvant être pratiquées par les femmes seules pour déterminer la période d’ovulation, telles que l’examen de la glaire cervicale, celles-ci ne sont évidemment pas expliquées ou encouragées par les médecins.

30Il est évident que cette utilisation de l’échographie – détecter l’ovulation afin de concevoir un garçon – est lucrative bien qu’inefficace. Ayant l’avantage d’être moderne et scientifique, elle est cependant bon marché et accessible à de nombreux couples, contrairement à d’autres méthodes médicales telles que le tri des spermatozoïdes ou le tri des embryons avant une fécondation in vitro. Truc, mère d’un garçon dans le district urbain de Hà Dong à Hanoi, a en effet entendu parler de la procréation médicalement assistée, un service disponible à l’Hôpital National de Gynécologie-Obstétrique de Hanoi, qui permet de concevoir un fils, mais qui coûte extrêmement cher. Ces dernières méthodes semblent encore peu utilisées au Viêt Nam, d’autant plus que la sélection sexuelle prénatale est passible de poursuites judiciaires.

31Si l’utilisation de l’échographie comme outil de conception sexuée est récente et semble se développer en milieu urbain (Guilmoto et al., 2009), il apparaît toutefois qu’en milieu rural, les méthodes plus anciennes et traditionnelles sont encore principalement utilisées. Par ailleurs, la préférence pour les garçons est largement moins apparente et contraignante dans le Sud du pays et plus spécifiquement dans la province de Ninh Thuân, en raison des normes de parenté, flexibles et à tendance bilatérale – soit égalitaire entre les branches paternelles et maternelles (Becquet, 2016). Dans cette province, la détermination de l’ovulation par échographie n’a jamais été évoquée et une partie seulement des femmes ayant uniquement des filles ont confié recourir à des méthodes spécifiques pour concevoir un garçon, généralement en prenant conseil auprès de mères de garçons. Parmi ces méthodes a été citée plusieurs fois la technique du calcul de l’ovulation ; une mère a également expliqué que les médecins promouvaient cette technique, confirmant à nouveau le consensus autour de l’efficacité de cette méthode au sein du milieu médical vietnamien.

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J’ai eu un cours prémarital. Les docteurs de l’hôpital Tu Du [à Hô Chi Minh-Ville] nous ont appris à calculer les jours pour avoir l’enfant que l’on souhaite, pour que les gens ne pratiquent pas les avortements sexo-sélectifs, parce que le catholicisme interdit d’avorter. Les rapports sexuels juste après les règles ne vont pas entraîner de grossesse, sept jours après les règles ça donnera une fille et 14 ou 15 jours après ça donnera un garçon. Mon amie à Saigon a essayé et elle a donné naissance à un garçon et une fille.
(Anh, 40 ans, mère de deux filles dans la ville de Phan Rang, province de Ninh Thuân)

33Ces différentes méthodes préconceptionnelles, qui mêlent à la fois l’astrologie, la médecine traditionnelle et les techniques médicales plus récentes, sont utilisées en amont de diverses stratégies ayant pour but de s’assurer la naissance d’un fils : augmenter sa descendance, adopter un enfant du sexe désiré ou plus récemment recourir à un avortement sexo-sélectif.

La stratégie ‘moderne’ : le recours à l’avortement sexo-sélectif

L’émergence de la sélection sexuelle prénatale

34Les couples vietnamiens emploient depuis des décennies différentes stratégies pour avoir un fils : avoir un troisième voire un quatrième enfant, prendre une nouvelle épouse (mariage polygame), adopter un garçon ou faire adopter une fille [9]. Mais ces stratégies sont de plus en plus considérées comme « arriérées et féodales », selon le même vocabulaire utilisé pour qualifier la préférence pour les garçons, dans le discours étatique comme dans celui des individus. Le recours à la détermination du sexe du fœtus et à l’avortement sexo-sélectif apparaît au contraire comme une méthode moins défendable moralement mais plus « moderne », de s’assurer la naissance d’un garçon. Ici, le risque social de ne pas avoir de garçon est supérieur au risque moral de recourir à un avortement tardif [10], à la souffrance physique et psychique engendrée.

35Si jusqu’au début des années 2000 les appareils étaient de trop mauvaise qualité pour déterminer le sexe du fœtus avant 6 ou 7 mois de grossesse, ce n’est plus le cas depuis 2003 grâce aux échographies 3D [11] (Gammeltoft, 2014). C’est pour cette raison que la sélection sexuelle prénatale ne s’est développée au Viêt Nam que récemment. En effet, les femmes ont plus tendance à avoir recours à un avortement si le sexe est diagnostiqué à un stade précoce de la grossesse, car cela représente un danger moindre pour leur santé, mais également parce que l’acte semble moins difficile à assumer, comme le montrent les témoignages recueillis par Tran dans son étude anthropologique sur cette pratique (Tran, 2012). Par ailleurs, l’accessibilité de la sélection sexuelle prénatale a renforcé la pression sur les femmes, qui ont moins de raisons de ne pas « réussir » à avoir un fils. Do, 49 ans et mère de deux filles dans le district urbain de Viêt Hòa à Hai Duong, explique ainsi « qu’à [sa] génération, les choses étaient plus simples ». Dans ce contexte, nombreux sont les exemples d’avortement sexo-sélectif rapportés par les femmes interrogées.

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Près de chez moi, un couple avait trois filles et vient d’avoir un fils. Avant ce garçon, ma voisine a avorté d’une fille. Même si elle a 40 ans, elle a continué d’essayer jusqu’à ce qu’un fils naisse. Elle ne voulait pas continuer, mais elle a dû essayer à cause de ses beaux-parents, pas à cause de son mari.
(Quyên, 36 ans, mère de deux garçons, district rural de Thanh Hà, province de Hai Duong)

37Si aucune expérience individuelle n’a été directement mentionnée, l’acte étant illégal, chaque femme et chaque homme interrogé à Hai Duong connaît une voisine, une sœur ou une cousine qui a eu recours à la sélection sexuelle prénatale.

38

Ma cousine a deux filles de 11 et 6 ans. Cette année, elle a essayé d’avoir un fils, mais elle a dû attendre que le fœtus ait 12 semaines pour connaître le sexe. Elle a fait une échographie, qui a montré que c’était une fille. Elle n’a pas cru au résultat. À la 14e semaine de grossesse, elle a vérifié encore et a trouvé le même résultat. Elle ne le croyait toujours pas. Pour être sûre, elle est allée voir une voyante qui lui a aussi dit que c’était une fille. À la fin, elle a décidé d’avorter.
(Entretien collectif avec six hommes ayant des fils, district rural de Thanh Hà, province de Hai Duong)

39Dans le second extrait qui suit, la pratique est sous-entendue puisque ce témoignage intervient lors d’un échange précis sur les avortements sexo-sélectifs.

40

Dans mon voisinage, la plupart des couples qui ont deux filles ont réussi à avoir un garçon cette année[12]. Ça a motivé les gens. Aujourd’hui, beaucoup de couples ont un fils comme troisième enfant. L’année dernière dans mon district, sur une douzaine de femmes qui ont eu un troisième enfant, une seule a eu une fille, les autres ont donné naissance à des garçons.
(Entretien collectif avec six femmes ayant uniquement des filles, district urbain de Viêt Hoa, province de Hai Duong)

41Dans la province de Hanoi également, l’ensemble des personnes enquêtées connaît des cas d’avortement sexo-sélectif. Thuy (district rural de Ung Hoa) raconte par exemple que sa cousine a avorté de deux fœtus féminins après sa première fille. Sous la pression de son entourage et de son mari qui « lui parle mal », elle est tombée enceinte une quatrième fois et a décidé de garder cet enfant quel que soit son sexe. Dans le même district, Dai et Huyen, jeunes parents de deux filles, expliquent que lorsque la pression est trop forte, les couples ayant deux filles peuvent avoir recours à l’avortement sexo-sélectif et que cela peut se justifier plus facilement pour un troisième enfant que pour le premier ou le second. Chinh, qui vit dans le district urbain de Hà Dong, raconte également qu’elle a vu de nombreux cas d’avortements sexo-sélectifs à l’hôpital 103, où elle faisait ses échographies. Ces avortements étaient pratiqués au cinquième mois de grossesse, parfois avec des médicaments, entraînant des complications [13].

42Au contraire, à Ninh Thuân aucun cas d’avortement sexo-sélectif n’a été rapporté par les personnes interrogées. Si l’analyse des entretiens a montré que les pressions sociale et familiale pesant sur la naissance d’un garçon semblaient moins fortes dans cette province, le rapport de masculinité à la naissance y est aussi déséquilibré (110,8 garçons pour 100 filles dans le recensement de 2009), ce qui témoigne du recours par une partie de la population à la sélection sexuelle prénatale. Il est donc possible que cette pratique soit moins assumée : les personnes interrogées définissent la préférence pour les garçons comme un comportement féodal, associé à la patrilinéarité stricte du Nord.

Avoir un fils en premier

43De nombreux couples ont également exprimé le désir d’avoir un fils en premier, parce que cette naissance masculine permet ensuite de ne pas se soucier du sexe du ou des enfants suivants, voire de n’avoir qu’un seul enfant, comme en témoigne Quy (25 ans, district urbain de Hà Dong à Hanoi), la jeune mère d’un garçon âgé de trois semaines au moment de l’entretien. Elle explique qu’elle avait décidé avec son mari de n’avoir qu’un enfant, et qu’ils voulaient donc être sûrs que ce soit un garçon ; elle a ainsi pratiqué sept échographies durant sa grossesse pour vérifier le sexe. Chuong (34 ans, district rural de Ung Hoa à Hanoi), raconte également qu’après la naissance de son premier fils, il ne désirait plus d’enfant, puisque son devoir était accompli. Chit sa femme, ajoute qu’avoir un seul enfant facilite son éducation mais qu’il est plus agréable pour les enfants d’être deux ; de plus les parents de Chuong ont insisté pour qu’un deuxième enfant soit conçu, et ils ont donné naissance à un deuxième garçon six ans plus tard. Chit aurait préféré avoir une fille, mais elle ne veut pas risquer d’avoir un troisième garçon. Le fait de ne pas avoir le garçon que l’on désire entraîne beaucoup de couples à avoir un enfant supplémentaire mais il n’en va pas de même pour les filles. Désirer un garçon s’apparente ainsi à un besoin, désirer une fille, à une envie. Dans le contexte actuel de faible fécondité, certains couples ne veulent qu’un enfant tout en s’assurant que celui-ci est un fils ; ce phénomène risque de s’accroître, notamment dans les grandes villes où les taux de fécondité diminuent fortement.

44Avoir un fils en premier constitue également une grande fierté, comme l’expliquait déjà Mai (1991) au début des années 1990, notamment pour les hommes. Can (32 ans, père d’un fils de deux ans dans le district urbain de Hà Dong à Hanoi) explique ainsi que, comme tous les hommes qu’il connaît, il voulait avoir un fils en premier. Truc, jeune mère de 24 ans d’un petit garçon dans le district urbain de Hà Dong à Hanoi, explique qu’elle voulait un fils en premier, selon le « raisonnement traditionnel que c’est une sécurité ». Son mari et elle étaient heureux d’avoir un fils en premier, mais ses beaux-parents plus encore, alors qu’ils n’ont pas eu l’air aussi contents quand sa belle-sœur a eu une fille. Elle ajoute qu’elle aimerait bien avoir un deuxième fils dans cinq à sept ans, quand son aîné, âgé d’un an, aura grandi. Ainsi, pour d’autres parents, c’est même le fait d’avoir deux fils qui est préféré ; une fratrie composée de deux garçons constitue une « assurance » au cas où l’un d’eux décéderait, dans un accident de la route par exemple – les personnes interrogées décrivant leurs fils comme ayant des comportements plus à risque que leurs filles.

45Ce désir d’avoir un fils en premier se transforme en stratégie reproductive lorsque les couples ont recours à l’avortement sexo-sélectif dès leur première naissance, ce dont témoigne le rapport de masculinité fortement déséquilibré dès le premier rang (Becquet et Guilmoto, 2018). Une partie des couples anticipe ainsi le hasard biologique et construit sa descendance. Comme l’explique un obstétricien interrogé dans la province de Hung Yen, ces couples « veulent gagner dès la première bataille » (UNFPA, 2011 : 44, ma traduction).

Analyse de l’ADN fœtal

46Par ailleurs, une nouvelle méthode se développe depuis quelques années, le NIPT (non-invasive prenatal testing), qui consiste à analyser l’ADN fœtal circulant dans le sang de la mère et permet notamment de déterminer le sexe de l’embryon à partir de 8 à 10 semaines d’aménorrhée [14]. Les témoignages recueillis à Hanoi en novembre 2013 ont montré que cette technique était pratiquée au Viêt Nam, mais il semble qu’elle soit encore peu développée. Des recherches sur internet en octobre 2018 ont permis de trouver plusieurs laboratoires vietnamiens qui proposent des examens sanguins en début de grossesse afin de détecter des anomalies fœtales, notamment en fonction du sexe. Contrairement à d’autres pays où la détermination du sexe par test sanguin fait l’objet de publicité, notamment dans le système de santé privé (Zeng et al., 2016), elle n’est pas mise en avant sur ces sites mais apparaît comme secondaire, ce qui est certainement lié à l’illégalité de cette pratique dans la loi vietnamienne. Si elle est moins coûteuse que la détection d’anomalies telles que la trisomie 21, elle est toutefois proposée exclusivement dans un « package » de tests visant à détecter plusieurs anomalies, dont le moins cher coûte environ 250 USD (6 millions de VND). Selon les témoignages recueillis à Hanoi en 2013, cette analyse de sang peut se pratiquer pour environ 100 USD. Ce coût reste dissuasif pour une majorité de Vietnamiens, mais il est vraisemblable que les plus aisés y ont accès, de la même manière qu’ils ont été les premiers à recourir aux échographies pour déterminer le sexe au début des années 2000 (Bélanger et al., 2003). Toutefois, si la méthode d’analyse de l’ADN fœtal venait à se développer, ce qui est probable dans les années à venir, on peut imaginer qu’elle deviendrait populaire et faciliterait le recours aux avortements sexo-sélectifs, en permettant le diagnostic du sexe à un stade plus précoce de la grossesse.

Conclusion

47Si les femmes pouvaient autrefois justifier n’avoir pas eu de fils en prouvant qu’elles ont essayé de nombreuses méthodes traditionnelles pour en concevoir, il semble que le développement de techniques médicales réduise cette légitimation. La reproduction est de moins en moins assimilée au hasard ; le contrôle de la fécondité est valorisé, autrefois par des campagnes étatiques promouvant une descendance restreinte, aujourd’hui pour obtenir la composition sexuelle idéale. Les méthodes utilisées sont de plus en plus « scientifiques ». Dans ce sens, recourir à des techniques médicales, telles que la mesure de l’acidité de l’utérus ou l’échographie pour déterminer le jour exact de l’ovulation, c’est exercer un contrôle maximum et démontrer sa « modernité ». De même, utiliser l’avortement sexo-sélectif pour construire sa descendance permet de se conformer aux injonctions politiques, sociales et familiales d’une descendance restreinte comportant un garçon, même si cela suppose d’enfreindre la loi.

48Dans ce contexte, un marché médical s’est développé autour de la préférence pour les garçons, permettant une planification étroite de la conception. Cependant ces méthodes sont relativement coûteuses et ce sont surtout les classes plus aisées, en milieu urbain, qui y ont recours. Les données les plus récentes, issues de l’enquête intercensitaire de 2014, montrent toutefois que la pratique se diffuse au sein des classes les moins aisées et dans les régions épargnées jusqu’alors (Becquet et Guilmoto, 2018). Si Bryant (2002) suggère que la baisse de la fécondité aurait pu induire un affaiblissement de la patrilinéarité, il semble que le progrès médical a en réalité engendré un renforcement de la préférence pour les garçons, notamment dans les comportements reproductifs. Il ne s’agit pas toutefois de considérer ces technologies comme une cause de la discrimination prénatale, mais plutôt comme un moyen (Croll, 2000).

49Parce que la maternité est le devoir féminin par excellence, ce sont les femmes qui sont responsables de la « qualité » des nouveau-nés ; il existe de nombreux livres de conseils relatifs à la grossesse afin que les enfants naissent sains, pour le bien collectif et le bien-être de la nation (Werner, 2009 ; Gammeltoft, 2014). De la même manière et malgré les recherches médicales qui prouvent que le sexe d’un enfant à naître est déterminé par le sperme d’un homme et non l’ovule d’une femme, elles sont considérées comme responsables en premier lieu de la naissance d’un fils parmi une descendance restreinte, pour le bien-être familial (Mai, 1991 ; Khuât, 2009). En comparaison de leur époux, les femmes sont d’autant plus sensibles à cette pression que leur position est plus instable dans leur belle-famille ; si les hommes semblent plus vulnérables aux moqueries de la communauté, la pression de la famille pèse surtout sur les femmes. Leur valeur est souvent associée à leur fonction reproductive et elles acquièrent leur légitimité en enfantant un garçon. Elles ont donc un intérêt particulier à mettre en place des stratégies reproductives afin d’assurer la naissance d’un garçon. Mes entretiens montrent toutefois une diversité d’attitudes face à ces stratégies : dans un contexte où sont à l’œuvre une pluralité de normes, la marge de manœuvre des femmes varie selon leur milieu social, leur milieu de vie ou leur âge. Elles n’adhèrent pas forcément au discours dominant et instrumentalisent parfois les normes plutôt que de les intérioriser : mettre en avant l’emploi des méthodes disponibles pour concevoir un garçon permet de justifier un éventuel échec tout en prouvant sa « vertu » au regard de l’ordre moral dominant.

50Comme dans le cas chinois, il n’y a pas de consensus au sein de la communauté scientifique pour déterminer si la politique de planification familiale a renforcé la préférence pour les garçons en limitant les stratégies reproductives des couples (Eklund, 2011). De la même manière, on peut se demander si le développement des technologies de reproduction a intensifié cette préférence, comme le suppose Tran (2012). Ce qui apparaît certain, c’est que l’amélioration technologique a renforcé la pression qui pèse sur les couples et les femmes, puisque le choix est désormais techniquement possible.

51Liens d’intérêts : l’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêts en rapport avec cet article.

Notes

  • [1]
    Le rapport de masculinité à la naissance est biologiquement égal à 105 naissances de garçons pour 100 naissances de filles dans l’ensemble du monde, sauf en Afrique subsaharienne où il se rapproche de 103 garçons pour 100 filles.
  • [2]
    Le recours à l’avortement est légal depuis 1954 dans le Nord et 1975 dans le Sud, jusqu’à 22 semaines de grossesse ; il est largement utilisé pour réguler la fécondité. En 1996 au Viêt Nam, 43,7 grossesses sur 100 se terminaient par un avortement, ce qui était l’un des ratios les plus élevés des pays les moins développés (Henshaw et al., 1999). Des données de 2003 suggèrent une diminution - 26 avortements pour 1000 femmes âgées de 15 à 39 ans (Sedgh et al., 2007) - mais il est difficile de trouver des données plus récentes et le chiffre de 40 % des grossesses se terminant par un avortement a été cité lors d’une conférence de gynécologie-obstétrique franco-vietnamienne en 2014 par des médecins de l’Hôpital National de Gynécologie-Obstétrique de Hanoi.
  • [3]
    Dans l’étude de Bélanger et Khuât (2009), les avortements sexo-sélectifs représentent 2 % de l’ensemble des avortements. Toutefois cette étude a été menée en 2003, avant que s’étende le recours à la sélection sexuelle prénatale, et elle porte sur un hôpital public, alors que les avortements sexo-sélectifs ont plus tendance à être pratiqués dans les cliniques privées.
  • [4]
    Le déséquilibre de 113 naissances de garçons pour 100 filles correspond à 3,7 % de naissances masculines en excès (8 naissances sur 213).
  • [5]
    Le Dôi Moi, ou Renouveau, correspond au processus de libéralisation et d’ouverture à l’économie de marché initié par le gouvernement vietnamien en 1986.
  • [6]
    À nouveau, ces chiffres sous-estiment très probablement le phénomène, puisque seules les données du secteur public sont disponibles, alors que de nombreuses échographies sont pratiquées dans les cliniques privées.
  • [7]
    Chaque personne interrogée a signé une autorisation après une présentation détaillée du contexte de l’enquête ; la confidentialité des témoignages recueillis a été préservée, notamment en anonymisant les données relatives à chaque entretien.
  • [8]
    Le professeur Nguyễn Đinh Cử, ancien directeur de l’Institute for Population and Social Studies à l’Université Nationale d’Économie de Hanoi, qui a conduit une étude en 2013 pour le GOPFP afin d’évaluer l’Ordonnance de Population de 2003 au bout de dix ans, m’a également confié que plusieurs cliniques privées promouvaient les échographies pour déterminer l’ovulation, dans un district urbain de la province de Lao Cai, située dans les zones montagneuses du Nord à la frontière de la Chine.
  • [9]
    Dans les familles du XIXe siècle, un couple sans fils pouvait choisir un neveu patrilinéaire parallèle pour corésider, prendre soin d’eux puis hériter. Ce type d’adoption au sein du clan patrilinéaire permettait ainsi la transmission de la lignée (Khuât, 2009 ;Mai, 1991). Une autre stratégie de « dérivation » est apparue au cours des entretiens : pour satisfaire leur désir de fils tout en se conformant à la limitation des naissances, des couples font adopter (seulement sur les registres officiels, pas dans les faits) une de leurs filles par un parent proche, afin d’avoir un troisième enfant.
  • [10]
    Ainsi, une étude (Wolf et al., 2010) montre que l’avortement semble moralement plus acceptable en début de grossesse parce que l’embryon est assimilé à un caillot de sang et non à un fœtus (les Vietnamiens parlent alors de « régulation menstruelle »).
  • [11]
    Les échographies en 3D sont surnommées les échographies des malformations (siêu âm dị tật).
  • [12]
    2012 était considérée comme une année exceptionnelle pour avoir des enfants et notamment des garçons, puisque c’était l’année du dragon d’or ; un enfant né sous le signe du dragon porte chance à sa famille. Dans l’astrologie chinoise, l’année du dragon a lieu tous les 12 ans et celle du dragon d’or tous les 60 ans.
  • [13]
    En effet, les avortements pratiqués après 18 semaines de grossesse sont parfois médicamenteux (Gammeltoft, 2014).
  • [14]
    La présence de marqueurs du chromosome Y dans le sang de la mère prouve que l’embryon ou le fœtus est masculin ; son absence est cependant moins fiable, surtout à un stade très précoce de la grossesse (Devaney et al., 2011).
Français

Le Viêt Nam connaît depuis le début du XXIe siècle un déséquilibre des naissances en faveur des garçons ; avec le recours à la sélection sexuelle prénatale, il naît actuellement 113 garçons pour 100 filles à l’échelle nationale. Cette pratique a émergé avec l’arrivée tardive des échographies de bonne qualité, qui se développent au sein du système de santé privé dans une logique de marché plutôt que de santé publique. La préférence pour les garçons est ainsi utilisée par les praticiens de santé à des fins commerciales : l’échographie est employée comme méthode pré- et post-conceptionnelle pour satisfaire des objectifs reproductifs genrés. Elle s’inscrit à la fois dans un spectre de techniques et de pratiques traditionnelles destinées à concevoir un garçon et de stratégies reproductives pour s’assurer la naissance d’un fils. Le développement des échographies constitue en réalité une contrainte puisque les couples n’ont plus l’excuse du hasard pour légitimer l’absence d’un fils parmi leurs enfants.

  • avortements sexo-sélectifs
  • échographie
  • nouvelles technologies de reproduction
  • préférence pour les garçons
  • système de santé privé
  • Viêt Nam

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Valentine Becquet
Démographe, Institut national d’études démographiques (Ined), 9 Cours des Humanités CS 50004, 93322 Aubervilliers Cedex, Paris, France
Mis en ligne sur Cairn.info le 13/01/2020
https://doi.org/10.1684/sss.2019.0153
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