CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1En France, la lutte contre les inégalités sociales de santé a récemment été réaffirmée comme un objectif phare de la Stratégie Nationale de Santé et repris par la loi de modernisation du système de santé de 2016. Au niveau régional, elle constitue, depuis la loi de 2009 portant réforme de l’hôpital, et relative aux patients, à la santé et aux territoires, l’un des axes fondateurs des politiques conduites par les Agences Régionales de Santé (ARS) [1]. La majorité des programmes régionaux de santé élaborés depuis la mise en place des Agences présente cet objectif comme stratégique [2] mais il reste à ce jour, peu étudié dans sa mise en œuvre.

2Le présent article propose d’analyser de manière contextualisée, un dispositif hospitalier de prévention et de promotion de la santé sur la prise en compte des inégalités sociales de santé, au regard d’une politique globale de santé et de ses différents échelons de mise en œuvre territoriale.

3Les stratégies d’action sur les inégalités sociales de santé décrites par la littérature comme étant les plus pertinentes s’intéressent à l’effet sur le gradient de santé [3]. Celui-ci traduit un continuum des liens entre états de santé et situations sociales et économiques et non une dichotomie entre des extrêmes caractérisés par un état de santé dégradé pour une situation socio-économique délétère versus un bon état de santé pour une situation socio-économique favorable. Chaque individu, chaque groupe de population est donc concerné par cet inégal état de santé de fait. L’action sur le gradient social de santé interroge le type de stratégie à adopter pour être le plus efficace, toucher toute la population, et répondre à ses besoins spécifiques. Dans cette perspective, deux types d’action peuvent être distinguées. D’une part, les actions dites « universelles » adressées à tous et susceptibles de toucher le plus grand nombre, mais qui peuvent engendrer des effets pouvant aggraver les inégalités sociales de santé car plus favorables pour les catégories aisées. D’autre part, les actions plus ciblées sur les populations les plus en difficulté, permettent d’agir sur les écarts de santé, mais excluent la plus grande partie de la population qui ne se situerait pas à cette extrémité. Pour autant, l’appréhension des effets d’une intervention sur les inégalités sociales de santé, sa conception même, interrogent les milieux professionnels et peinent à trouver une réponse auprès des milieux académiques. La proposition d’agir sur les inégalités sociales de santé par la mise en œuvre de mesures universelles proportionnées définie par Marmot s’est révélée porteuse d’espoir. Cependant, si la proposition reste séduisante, la principale difficulté qui en découle réside dans le modus operandi de telles mesures qui restent pour l’instant relativement théoriques et soulèvent par ailleurs nombre de questions : comment, par exemple, évaluer les besoins spécifiques des groupes de populations ? Comment définir les « seuils » d’application d’une mesure X à une mesure Y entre les différents groupes ? Finalement, quel gradient appliquer à la mesure elle-même [4] ?

4L’introduction des mesures universelles « proportionnées » comme mode d’action sur les inégalités sociales de santé et leur gradient a permis d’envisager les interventions de santé publique sous un angle nouveau [5, 6]. La philosophie sous-jacente à ce type d’actions relève de la justice sociale. Il s’agit de délivrer des services de manière adaptée (proportionnée) à la hauteur des besoins de chaque individu ou chaque groupe d’individus au sein d’une population dans le cadre de la délivrance d’un service ou d’un accès universel pour tous. Par exemple, des mesures éducatives adressées de manière spécifique à des enfants en fonction de leurs difficultés d’apprentissage dans le cadre d’une scolarité ouverte à tous constituent des mesures universelles proportionnées. Ces mesures, selon Marmot, relèvent essentiellement d’une responsabilité politique à même d’inclure des mesures adaptées à chaque situation individuelle. En France, la loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016 stipule que « la Nation définit sa politique de santé afin de garantir le droit à la protection de la santé de chacun. […] Elle tend à assurer […] la réduction des inégalités sociales et territoriales et l’égalité entre les femmes et les hommes et à garantir la meilleure sécurité sanitaire possible et l’accès effectif de la population à la prévention et aux soins ». Cette responsabilité est dévolue aux Agences Régionales de Santé et laisse une réelle autonomie à chaque institution quant aux dispositifs qu’elle souhaite promouvoir et permet un certain degré de liberté quant aux modalités de mises en œuvre des actions définies comme prioritaires.

5Sur la base de ces constats, cet article interroge, à partir d’un exemple, les actions menées au niveau régional par les Agences Régionales de Santé en matière de réduction des inégalités sociales de santé. Il propose de dépasser une approche fondée sur l’étude isolée de dispositifs visant la réduction des inégalités sociales de santé en montrant l’importance de l’articulation entre les actions mises en œuvre localement et le contexte global (territorial et national) dans lequel elles s’inscrivent et qu’elles contribuent à produire. C’est le rapport national/local qui est ici interrogé. Pour ce faire, deux modèles théoriques ont été mobilisés : l’un permettant d’analyser les effets d’une intervention sur les inégalités sociales de santé, le second, d’interroger les principes de l’universalisme proportionné. Les objectifs sont d’analyser :

  • les stratégies mobilisées par un dispositif spécifique visant la réduction des inégalités sociales de santé ;
  • la manière dont ce dispositif s’inscrit dans le cadre d’une politique générale, eu égard aux principes de l’universalisme proportionné.

Méthode et cadres d’analyse

Présentation du dispositif

6Un dispositif mis en œuvre au niveau local a été identifié comme exemple pour illustrer le propos.

7Ce dispositif consiste en un appel à projet destiné aux établissements sanitaires. Il permet le financement d’actions de prévention et de promotion de la santé au premier plan desquelles la réduction des inégalités sociales de santé. Le texte de l’appel à projet guide la mise en œuvre d’actions destinées à s’intégrer dans des plans nationaux déclinés au niveau régional (PNNS, plan cancer…). Il se décline également par rapport aux priorités régionales déclinées dans les différents schémas du projet régional de santé (PRS, SROS, schéma de prévention, PRAPS…). Ces actions ciblent les comportements de santé, plus spécifiquement liés à la prévention primaire et secondaire des maladies cardio-vasculaires et des cancers. Elles visent à développer l’information, la sensibilisation, à mettre en place des ateliers collectifs autour des facteurs de risques liés au tabac, à l’alimentation et l’activité physique, définis comme des thèmes prioritaires. D’autres thèmes peuvent également être abordés, tels que l’environnement, la vaccination, la politique des médicaments selon les mêmes modalités d’action (tableau I).

Tableau I

Détail des actions caractéristiques du dispositif

Objectifs du cahier des charges pour les principaux facteurs de risque ciblésObjectifs du cahier des charges sur d’autres thèmes pouvant être ciblés par des actions
Maladies chroniques et vieillissement
Tabac et autres addictions ➟ Objectif : Améliorer la connaissance, le repérage et l’orientation des personnes ayant des conduites addictives
Ex. : d’activité : Sensibilisation, formation au repérage précoce et intervention brèves des personnels, actions de communication
Environnement ➟ Objectifs :
  • Améliorer la qualité de l’air intérieur pour les publics les plus jeunes
  • Réduire les expositions environnementales pour les nouveaux-nés notamment dans l’environnement intérieur
Ex. d’activités : diagnostic qualité, formations/sensibilisations…
Politique du médicament ➟ Objectif : optimiser la prescription médicamenteuse chez la personne âgée et prévenir l’iatrogénie et les risques médicamenteux
Ex. d’activité sensibilisation des professionnels et des usagers
Alimentation – Activité physique ➟ Objectifs :
  • Améliorer le dépistage et le suivi de la dénutrition
  • Contribuer à la promotion de l’allaitement maternel
  • Promouvoir l’activité physique
Ex. : d’activité : créer des environnements favorables pour les patients et le personnel de l’établissement, développer l’accès des personnes obèses ou en surpoids à l’activité physique adaptée
Chutes chez la personne âgée ➟ Objectifs :
  • Accompagner le retour à domicile des personnes âgées
  • Mener des actions d’information et de formation en direction des professionnels de l’aide à domicile
Ex. d’activité diagnostic/évaluation gérontologique, actions d’éducation aux gestes de la vie quotidienne, formations/sensibilisations, coordination des professionnels…
Périnatalité/petite enfance ➟ Objectifs :
  • Développer à partir des services de maternité et/ou de pédiatrie des actions d’éducation pour la santé à destination des parents
  • Améliorer l’accès et la prise en charge des personnes en demande d’IVG
Ex. d’activité ateliers collectifs, campagnes d’informations, formations du personnel de l’accueil, actions d’éducation à la vie affective et sexuelle
Cancers
➟ Objectif : Conforter les actions de promotion de dépistage des cancers
Ex. : d’activité : campagne de communication, information/sensibilisation grand public et à destination du personnel
Vaccination ➟ Objectif : Promouvoir la vaccination promotion du carnet de vaccination électronique (CVE), outil de suivi de la couverture vaccinale, campagnes d’informations…
Santé mentale ➟ Objectif : Promouvoir la santé mentale sensibilisation des agents d’accueil, formations au repérage de la souffrance psychique, repérage, supports et/ou actions de communication…
Santé des plus démunis ➟ Objectif : Aller vers les publics en difficultés permettre l’accès des actions de prévention « thématiques » ci-dessus aux personnes en difficultés en lien avec la PASS, le service social de l’établissement, le centre d’examens de santé, les acteurs sociaux extérieurs à l’établissement, les professionnels libéraux…

Détail des actions caractéristiques du dispositif

8Concernant les populations destinataires, le dispositif cible particulièrement les populations vulnérables mais s’adresse également aux populations dans leurs lieux de vie (une école, une entreprise, un Établissement d’Hébergement de Personnes Agées Dépendantes) ainsi qu’aux professionnels qui interviennent auprès d’eux. Le périmètre d’action des professionnels porteurs du dispositif s’étend de l’enceinte de l’établissement sanitaire à l’ensemble de son territoire d’implantation, dans une volonté d’ouverture et d’actions externalisées.

9Des entretiens menés auprès d’une diversité d’acteurs territoriaux ont permis d’identifier le dispositif étudié ici (tableau II). Il était pertinent pour servir d’exemple concret d’une intervention institutionnelle pouvant agir sur les inégalités sociales de santé.

Tableau II

Caractéristiques du dispositif

DimensionsDescription du dispositif
1Population
  • Personnes sur leurs lieux de vie
  • Professionnels
  • Personnes en situation de précarité
2Déterminants principalement visés
  • Facteurs proximaux des maladies cardiovasculaires et des cancers
3Actions directes
  • Prévention primaire
    • Sensibilisation, information, éducation en santé, vaccination
  • Prévention secondaire
    • Dépistage
4Stratégies locales dans lesquelles s’insèrent le dispositif
  • Déclinaison de contrat de pôle
  • Inclusion dans les Contrats Locaux de Santé
  • Coopération interdisciplinaire
  • Approche globale de la santé
5Stratégies régionales dans lesquelles s’insèrent le dispositif
  • Schéma Régional de Prévention
  • Schéma Régional de l’Organisation des Soins
  • Programme Régional d’Accès à la Prévention et aux Soins
  • Schéma régional d’addictologie
  • Plan régional Nutrition Activité Physique

Caractéristiques du dispositif

Mobilisation des cadres d’analyse de l’action sur les inégalités sociales de santé

10Deux cadres de réflexion et d’analyse ont été mobilisés et sont présentés en figures 1 et 2.

Figure 1

Exemple de mesures contre les inégalités sociales par stratégies et populations ciblées (adapté des Diderichsen et al. 2008)

Figure 1
Effet attendu selon les stratégies d’action sur les ISS Réduction du gradient de santé Rattrapage de l’écart entre les extrêmes 1 Stratégie visant l’ensemble de la population I : mesures de prévention structurelle, légale, économique, normative II : politique sociale universelle avec un accès équitable aux services et un complément de revenu 2 Stratégie ciblant des groupes de populations III : mesures de prévention structurelles dans des zones économiquement défavorisées IV : mesures sociales incluant les interventions en faveur du logement et de l’emploi pour des personnes marginalisées 3 Stratégie ciblant des individus présentant un risque particulier V : dépistage, conseils et traitement par le secteur des soins de premier recours pour les citoyens de tous âges ayant un risque particulier VI : mesures portées par les professionnels des secteurs sanitaires et sociaux à destination des enfants à risque et groupe marginalisés, incluant ceux ayant des problèmes de santé mentale

Exemple de mesures contre les inégalités sociales par stratégies et populations ciblées (adapté des Diderichsen et al. 2008)

Figure 2

Application du cadre théorique de l’universalisme proportionné de Carey et al. (2015) au dispostif de prévention dans le contexte national français

Figure 2

Application du cadre théorique de l’universalisme proportionné de Carey et al. (2015) au dispostif de prévention dans le contexte national français

11Afin de caractériser l’action du dispositif sur les inégalités sociales de santé, nous avons utilisé la classification de Diderichsen et al. [7] (figure 1). Cette classification permet de caractériser les effets d’une intervention sur les inégalités sociales de santé. Elle s’appuie, tout d’abord, sur la description des stratégies mises en œuvre classées en fonction de leurs populations cibles : ensemble de la population, groupes de population, individus présentant un risque particulier. Elle décrit ensuite deux modes d’action possibles pour agir sur les inégalités sociales de santé : i) réduction du gradient de santé (c’est-à-dire une diminution des écarts proportionnels entre les états de santé constatés au sein d’une population dans son ensemble), ii) rattrapage des écarts de santé constatés entre différents groupes de population. En fonction de ces deux critères, la classification propose six interventions-types (figure 1). Dans le cadre de notre étude, nous avons appliqué cette classification au dispositif de prévention et de promotion de la santé décrit selon ses caractéristiques, afin de déterminer son mode d’action privilégié sur les inégalités sociales de santé, entre réduction du gradient et rattrapage des écarts de santé par rapport à des stratégies plutôt universelles (type I ou II) ou plutôt ciblées (type V et VI).

12Afin d’analyser l’action du dispositif eu égard aux principes d’application de l’universalisme proportionné dans une perspective politique globale, nous avons utilisé le cadre de Carey et al. [8] (figure 2). Les auteurs proposent un cadre d’application des mesures universelles proportionnées, en considérant un principe de subsidiarité entre les différentes échelles d’intervention. L’action d’une intervention visant le gradient social de santé, donc les inégalités sociales de santé, est ici appréhendée, non pas à l’échelle de l’intervention mais de manière globale. Chaque niveau d’action politique compense et complète son action, vient en subside l’un de l’autre pour couvrir l’ensemble des domaines d’action possible. Pour Carey et al., le niveau national est l’échelon principal dévolu au déploiement des politiques universelles s’adressant à l’ensemble de la population sans discrimination. Il peut comporter des mesures dites adaptatives pour certains groupes de populations mais il reste un dispositif national pouvant possiblement concerner tous les individus d’une population. Le niveau régional, quant à lui, couvre des actions dites de « sélection positive », c’est-à-dire prodigue des mesures ciblées sur des groupes spécifiques dans le cadre de la déclinaison spécifique d’une politique universelle. À un niveau plus fin, l’échelon infra-territorial, ici l’échelon local considéré comme le plus proche des individus, s’adresse lui, aux « particularismes », c’est-à-dire aux besoins les plus spécifiques des populations, évalués à une échelle individuelle. L’usage de ce cadre induit l’adoption d’une vision contextualisée des stratégies d’action sur les inégalités sociales de santé déployée par une intervention mise en contexte.

Résultats

13L’analyse du dispositif de prévention et de promotion de la santé utilisé comme exemple, au regard des critères de classification des interventions de Diderichsen (figure 1) le situe au niveau des interventions-types V et VI de la classification. En effet, il s’adresse principalement à des individus qui présentent des facteurs de vulnérabilité spécifiques, classant l’intervention parmi les « stratégies populationnelles ciblant les individus présentant un risque particulier ». La description des actions proposées – éducatives sanitaires, informatives, de sensibilisation, ateliers collectifs – relève de mesures d’éducation pour la santé et de prévention ciblées sur des facteurs de risque qui s’adressent à des populations de tous âges (enfants, adultes, personnes âgées) (tableau I). Elle place donc le dispositif étudié au niveau des interventions de type V. D’après ces critères, celui-ci agit donc sur le gradient de santé. Néanmoins, ces mesures portées par des professionnels du secteur sanitaire visent également des populations à risques spécifiques, notamment les enfants et les personnes en situation de précarité, situent ici le dispositif dans le cadre des interventions de type VI et place plutôt le dispositif dans des stratégies d’action visant le rattrapage des écarts de santé entre groupes de population. Le mode d’action du dispositif sur les inégalités sociales de santé n’offre donc pas une vision tranchée ; son efficacité sur le gradient social de santé n’est pas strictement affirmée.

14Toutefois, si l’on considère le dispositif au regard des principes de subsidiarité tels que décrits dans le cadre analytique de l’universalisme proportionné de Carey et al., de nouveaux éléments d’analyse apparaissent. Tout d’abord, le dispositif étudié vise à répondre à des besoins ciblés localement et s’inscrit ainsi dans des « particularismes », échelon le plus proche de la population et de ses besoins. Au niveau régional, l’Agence joue un rôle d’opérateur dans la « sélection positive », principalement à travers une mission de planification. En effet, elle organise les soins, la prévention, l’offre médico-sociale, sur l’ensemble d’un territoire régional et propose des déclinaisons spécifiques dans les zones les plus déficitaires (figure 2). L’adaptation peut ici être individuelle mais sa déclinaison en est planifiée à un échelon territorial régional. Dans une perspective plus globale, le dispositif s’insère dans une politique nationale d’accès au soin et à la prévention à la fois universelle et ciblée via des dispositifs comme la CMU, et le tiers-payant qui sont eux-mêmes réajustés au niveau régional grâce aux mesures de types Permanence d’Accès aux Soins de Santé (PASS) et consultations décentralisées.

Discussion

15Cet article souligne l’importance du cadre d’analyse choisi pour étudier l’impact des actions locales de prévention et de promotion de la santé et montre qu’il est nécessaire de les contextualiser pour en appréhender toute la portée.

16Les effets sur les inégalités sociales de santé décrits par l’analyse classent le dispositif étudié parmi les interventions ayant un effet sur le gradient de santé et sur le rattrapage des écarts de santé. Pourtant, ce dispositif propose une approche ciblée des interventions dont l’action sur les inégalités sociales de santé reste insuffisante si elle reste la seule stratégie d’action [9, 10]. Des stratégies universelles (type I ou II) sont effectivement peu mobilisées. Par ailleurs, le dispositif ne cible pas directement les déterminants structuraux qui l’amèneraient à agir plus largement sur le gradient. S’il incite les porteurs de projet à adopter une vision globale de la santé, il ne propose pour autant qu’une action visant essentiellement les inégalités d’accès à la prévention et aux soins pour des risques spécifiques. Dès lors, une analyse du dispositif conduite de manière isolée, en dehors de tout contexte, pourrait conduire à conclure qu’il n’agit que faiblement sur les inégalités sociales de santé. À l’inverse, comme le montrent les résultats de ce travail, une approche contextualisée, qui tient compte des politiques menées aux niveaux local, régional et national, permet d’en saisir toute la portée à condition que celles-ci soient pensées et mises en œuvre de manière intégrée et cohérente avec tous les niveaux.

17Le cadre de Carey et al., en proposant d’adopter une vision globale et en tenant compte des différentes échelles territoriales impliquées dans les actions de prévention et de promotion de la santé, apparaît comme un cadre d’analyse pertinent pour contextualiser un dispositif. Il met en avant le principe de subsidiarité, par ailleurs bien connu des politiques sociales en France [11] mais qui peut également s’appliquer aux interventions en santé. Quelle qu’elle soit, l’action territoriale mérite d’être pensée largement afin de prendre en compte ses effets sur les interventions de rattrapages des écarts de santé et d’appréhender ainsi l’impact global sur le gradient. Le dispositif doit être pensé en lien avec l’ensemble des actions, dispositifs, mesures et acteurs existants sur le territoire qu’il couvre.

18L’inscription territoriale du dispositif, passant, par exemple, par l’intégration des établissements de santé dans les contrats locaux de santé signés avec les élus du Territoire, ouvre la voie vers des actions plus larges, en lien avec les collectivités locales et territoriales, les secteurs sociaux, médico-sociaux et associatifs. Ces démarches positionnent le dispositif au cœur de stratégies d’action visant l’ensemble de la population d’un territoire spécifique. Cette ouverture vers l’extérieur constitue pour les établissements de soin et les professionnels, un changement de paradigme fort, marquant le passage d’une conception curative et préventive à une approche globale d’appréhension de la santé que l’ARS cherche, par le biais du dispositif, à encourager. Le développement actuel des Groupements Hospitaliers de Territoire (GHT) qui repositionnent les établissements de santé comme des centres de recours territoriaux, encourage les collaborations et les échanges entre établissements spécialisés, entre médecine de ville et hôpital et entre professionnels de santé eux-mêmes. Ces démarches rejoignent les attentes soulevées par deux défis majeurs de la santé publique actuelle, que sont la coordination et l’intégration territoriale.

19Cette dynamique territoriale est également en lien avec les politiques impulsées au niveau national. Ce dispositif répond en effet à deux orientations stratégiques de l’Agence qui sont de « développer la prévention dans un objectif de réduction des inégalités de santé » et « d’améliorer la transversalité, la lisibilité, la cohérence et la capacité du système de santé régional », proposée par le niveau national et réitéré par la loi de modernisation de notre système de santé. Il s’insère également dans plusieurs schémas ou programmes qui déclinent une politique nationale en matière de soins (Schéma Régional d’Organisation des Soins qui vise la prise en charge globale des patients) et répond à l’évolution du système de santé « vers une offre de prévention mieux intégrée à l’offre de soins de premier recours ». Il contient des objectifs visant à amener les équipes des établissements à aller à la rencontre des personnes démunies les plus éloignées du système sanitaire et social. Ceux-ci doivent en effet « concourir aux actions de médecines préventives et d’éducation pour la santé et à leur coordination » (Art. L.711-1). S’appuyant sur des dispositions légales, l’institution légitime ainsi le portage du dispositif par les établissements sanitaires et encourage par ailleurs l’évolution des pratiques soignantes vers des pratiques préventives.

20Le cadre proposé par Carey et al. (2014) a permis de contextualiser des actions ciblées. Mis en regard d’un contexte politique global, à la fois local, régional et national, le dispositif étudié prend une dimension universelle proportionnée. Pour autant, les approches universelles ne se limitent pas au cadre national. Les territoires peuvent aussi s’emparer de démarches universelles. Ici, l’analyse contextuelle peut être mobilisée à différentes échelles de mise en œuvre. Notre approche dépasse par ailleurs le cadre d’application de l’universalisme proportionné proposé par Carey et al. en offrant une vision dynamique de subsidiarité des différents échelons politiques. Ceux-ci ne sont pas compartimentés mais s’interpénètrent. Le dispositif ne prend sens que parce qu’il s’intègre dans une politique régionale, qui répond elle-même à une politique nationale. Ce résultat interroge par ailleurs la lisibilité de la politique nationale en matière d’inégalités sociales de santé. Les différentes initiatives actuellement fragmentées gagneraient à être investies de manière globale et cohérente au niveau national, régional et local. Afin d’en vérifier la mise en œuvre opérationnelle, cette étude théorique, qui présente les limites de l’analyse documentaire, pourrait être complétée par une étude de terrain visant à vérifier si cette modification de pratique a bien cours, quels types d’action et quels groupes de populations sont effectivement touchés par le dispositif. Par ailleurs, une étude comparative des dispositifs financés par l’appel à projet permettrait d’étudier l’influence du contexte dans la mise en œuvre et la déclinaison des actions recommandées. La vérification empirique des effets de cette démarche offre un terrain de recherche encore non exploré en France.

Conclusion

21Les Agences Régionales de Santé se doivent par leurs missions, de contribuer à la réduction des inégalités sociales de santé. Néanmoins, la mise en œuvre d’interventions qui concourent à cet objectif reste un défi pour chaque institution. L’étude du dispositif hospitalier de prévention présentée ici propose une vision contrastée de son effet possible sur les inégalités sociales de santé et sur le gradient de santé, selon qu’il est considéré de manière isolée ou globale. L’adoption d’une vision systémique, telle que la propose Carey et al. aide à concevoir ce dispositif comme l’échelon local de la mise en œuvre de mesures universelles proportionnées, à même d’agir sur le gradient social de santé. Il est pour cela nécessaire de considérer l’ensemble des politiques, programmes et actions qui concourent à couvrir les besoins de toutes les populations dans un domaine donné. Dans une perspective universelle proportionnée, l’action sur le gradient social de santé des initiatives locales nécessite d’être pensée de manière coordonnée en lien avec le contexte et, selon le principe de subsidiarité en résonnance avec les stratégies déployées au niveau régional et national.

22Aucun conflit d’intérêt déclaré

Français

Introduction : La lutte contre les inégalités sociales de santé constitue depuis 2009 l’un des axes fondateurs des politiques conduites par les Agences Régionales de Santé (ARS). Le présent article interroge deux cadres d’analyse mobilisés pour l’étude des actions de prévention et de promotion de la santé. À partir de l’exemple d’un dispositif hospitalier de prévention et de promotion de la santé, il démontre la nécessité de prendre en compte les contextes locaux, régionaux et nationaux dans lesquels s’inscrivent les actions menées afin d’en appréhender la portée sur les inégalités sociales et de santé.
Méthodes : Une analyse qualitative de documents de programmation a été utilisée pour mener une analyse descriptive des effets attendus sur les inégalités sociales de santé selon la classification de Diderichsen et al. Le cadre d’application des mesures universelles proportionnées de Carey et al. a été utilisé pour analyser son action sur les inégalités sociales de santé dans une approche contextualisée au regard des politiques régionales et nationales.
Résultats : Le dispositif étudié, axé sur des actions ciblées mais ouvert sur le territoire, oscille entre stratégie de rattrapage des écarts et action sur le gradient pour agir sur les inégalités sociales de santé. En revanche, une analyse au prisme de l’approche universelle proportionnée réinterroge l’appréciation des effets d’une intervention sur les inégalités sociales de santé.
Discussion : La mise en œuvre d’interventions qui concourent à la réduction des inégalités sociales de santé reste un défi pour les institutions comme les Agences Régionales de Santé. Néanmoins, l’étude d’un dispositif hospitalier de prévention montre une vision contrastée de son effet possible sur le gradient de santé, selon qu’il est considéré de manière isolée ou globale. Cet article plaide pour une analyse contextualisée des dispositifs locaux qui visent la réduction des inégalités sociales de santé.

Mots-clés

  • inégalités sociales de santé
  • prévention
  • universalisme proportionnée
  • gradient de santé

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Blanche Le Bihan-Youinou
Univ Rennes, EHESP, CNRS, ARÈNES – UMR 6051 – F-35000 Rennes – France.
Jeanine Pommier
Univ Rennes, EHESP, CNRS, ARÈNES – UMR 6051 – F-35000 Rennes – France.
CNRS, ARÈNES – UMR 6051 – F-35000 Rennes – France.
Mis en ligne sur Cairn.info le 19/09/2018
https://doi.org/10.3917/spub.184.0025
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