Introduction
1Le gouvernement français a fait des jeunes une cible privilégiée des programmes de prévention en santé publique et présente les addictions comme l’un des axes prioritaires. Cet article vise à identifier les facteurs sociodémographiques et psychosociaux associés aux intentions de ne pas consommer ou de réduire ses consommations de substances psychoactives chez les jeunes.
2Les trois principaux produits expérimentés et consommés par les jeunes Français sont l’alcool, le tabac et le cannabis. En France, en 2014, seulement 8,0 % des adolescents âgés de 17 ans n’ont expérimenté aucun de ces trois produits [1].
3L’alcool est la première substance psychoactive en termes de niveau d’expérimentation, d’usage occasionnel et de précocité d’expérimentation. À 17 ans, l’expérimentation concerne 89 % des garçons et des filles, la première ivresse intervenant en moyenne à l’âge de 15 ans, sans évolution depuis une quinzaine d’années [1]. En 2014, 32 % des jeunes de 18 à 25 ans et 30 % des 20-25 ans déclaraient des alcoolisations ponctuelles importantes (API), c’est-à-dire six verres ou plus en une seule occasion, au moins une fois par mois. Ces chiffres apparaissent en hausse par rapport à 2010, de manière plus marquée chez les filles, même si les garçons restent plus souvent concernés [2]. En 2011, les jeunes Français de 16 ans affichent une prévalence d’API supérieure à la moyenne européenne [3].
4Si le tabac se situe derrière l’alcool en termes d’expérimentation, il est le premier produit psychoactif consommé quotidiennement à l’adolescence et au début de l’âge adulte. En 2014, 26,8 % des hommes et 21,8 % des femmes de 15-19 ans et respectivement 44,8 % et 32,5 % des 20-25 ans sont des fumeurs quotidiens [4]. Une tendance à la hausse de la consommation de tabac chez les jeunes a été observée depuis les années 2007-2008, tendance retrouvée dans d’autres pays européens, alors qu’aucune hausse n’avait été observée entre 2003 et 2007 dans toute l’Europe.
5Le cannabis est quant à lui le premier produit psychoactif illicite consommé. En 2014, 47,8 % des adolescents de 17 ans ont déjà fumé au moins une fois du cannabis [1]. Les usages réguliers de cannabis (au moins dix fois dans le mois) concernent 8 % des 18-25 ans en 2014 [5]. À 15 ans, les adolescents français se situent parmi les premiers consommateurs de cannabis avec les jeunes canadiens, tchèques, suisses, américains et espagnols [6].
6La consommation excessive de ces substances peut avoir des effets délétères sur la scolarité et l’avenir socioprofessionnel des jeunes, sur le développement émotionnel et cognitif et plus globalement sur la santé. Sont principalement visées les consommations excessives d’alcool et de cannabis dont nous savons qu’elles affectent les processus de maturation du cerveau à l’adolescence avec un risque accru chez les plus jeunes [7]. Si le tabac ne présente pas les mêmes risques sur le plan du développement affectif et cognitif, il représente néanmoins un risque majeur de surmortalité à l’âge adulte, ainsi qu’un facteur associé à l’expérimentation du cannabis.
7Dans ce contexte, la prévention des consommations de substances psychoactives chez les jeunes se présente comme l’un des principaux enjeux de santé publique. Deux logiques de prévention complémentaires sont généralement mobilisées : d’une part la prévention de l’expérimentation et d’autre part, selon une approche de réduction des risques, la diminution ou l’arrêt des consommations. Nous avons ainsi tenté d’identifier les principaux déterminants psychosociaux de l’expérimentation et de la réduction des consommations d’alcool, de tabac et de cannabis auprès d’un échantillon de 3652 jeunes de 15 à 25 ans interrogés par internet.
8Les déterminants psychosociaux de la consommation de substances que nous avons considérés sont empruntés à la Théorie du Comportement Planifié (TCP) [8]. La TCP a montré sa pertinence pour la prédiction des consommations de drogue, de tabac ou d’alcool [9]. Selon la TCP, le comportement d’un individu est déterminé par l’intention de réaliser ce comportement, l’intention étant elle-même déterminée par les attitudes, les normes sociales et le contrôle comportemental.
9L’attitude est l’opinion de l’individu à l’égard de la réalisation du comportement. Elle est fonction de croyances spécifiques concernant les conséquences positives ou négatives associées à la réalisation de ce comportement (e.g. ne pas commencer à fumer me permettra de rester libre, d’économiser de l’argent, d’être meilleur en sport…). La norme peut être définie comme le niveau perçu d’approbation ou de désapprobation des personnes importantes pour l’individu s’il réalisait le comportement. Enfin, le contrôle renvoie à la capacité ou la facilité d’adopter le comportement, en fonction des obstacles ou des leviers perçus.
10L’objet principal de cet article sera d’apprécier la contribution des variables sociodémographiques et psycho-sociales à la formation, (1) des intentions de rester non-consommateur (tabac et cannabis), (2) des intentions de diminuer (alcool et cannabis) ou d’arrêter (tabac) chez les jeunes consommateurs. Nous discuterons ces résultats afin d’apporter des éléments d’orientation et de réflexion pour la prévention des consommations de substances psychoactives chez les jeunes.
Méthodes
Recueil des données et échantillon
11Les données ont été recueillies via un questionnaire rempli en ligne. Les répondants ont été recrutés entre juillet et décembre 2012 au sein d’un access-panel d’internautes. Au total, 3652 jeunes âgés de 15 à 25 ans ont été interrogés. L’échantillon a été construit selon la méthode des quotas, appliquée aux variables sexe, âge, région, habitat et catégorie socioprofessionnelle (CSP) du chef de famille, et redressé selon la méthode du calage sur marge par procédure itérative, à partir des structures de redressement des données de l’enquête emploi 2011 de l’INSEE.
Mesures
Variables sociodémographiques
12Les variables sociodémographiques utilisées sont : le sexe (garçon ; fille), l’âge (15-17 ans ; 18-21 ans ; 22-25 ans), la CSP du chef de famille (CSP+ ; CSP- ; inactif), l’habitat (moins de 20 000 habitants ; de 20 000 à 99 999 habitants ; 100 000 habitants et plus) et le nombre de soirées auxquelles l’individu a participé au cours du dernier mois (0 ou 1 vs. 2 ou plus).
Comportements de consommation
13Les comportements de consommation mesurés sont les suivants : statut tabagique (fumeur ; non-fumeur) ; score de dépendance à la nicotine (pas ou faiblement vs. moyennement vs. fortement dépendant selon le Heaviness of Smoking Index (HSI) [10]) ; expérience d’alcoolisation ponctuelle importante (API), qui correspond au fait de boire six verres d’alcool ou plus en une même occasion, avec deux indicateurs : alcool 1 (API vie (au moins une fois au cours de la vie) vs. Non-API vie) et alcool 2 (API fréquentes = au moins 1 fois par mois vs. API très fréquentes = au moins une fois par semaine) ; consommation de cannabis (non-consommateur 30 derniers jours ; consommateur 30 derniers jours).
Déterminants psychosociaux
14Les déterminants psychosociaux (intention, attitude, norme et contrôle) ont été mesurés en référence à des comportements distincts selon les statuts de consommation : rester non-consommateur (tabac et cannabis, tableau I), diminuer sa consommation (alcool, cannabis) ou arrêter (tabac) (tableau II).
Rester non expérimentateur : items d’intention, d’attitude, de norme et de contrôle (tabac, cannabis)

Rester non expérimentateur : items d’intention, d’attitude, de norme et de contrôle (tabac, cannabis)
Diminuer/arrêter sa consommation : items d’intention, d’attitude, de norme et de contrôle (alcool, tabac, cannabis)

Diminuer/arrêter sa consommation : items d’intention, d’attitude, de norme et de contrôle (alcool, tabac, cannabis)
15Pour chaque item, les répondants ont exprimé leur degré d’accord sur une échelle de Likert en 5 points de « pas du tout d’accord » (= 1) à « tout à fait d’accord » (= 5). L’item relatif à l’interdiction de « drogue » par la famille (tableaux I et II) a été renseigné par une échelle de fréquence en 4 points de « Jamais » (= 1) à « Toujours ou presque » (= 4).
Méthodes d’analyse
16Dans un premier temps, sont présentées les prévalences des comportements de consommation au sein de notre échantillon.
17Notre analyse principale vise à identifier les facteurs associés aux intentions d’adopter les comportements par le biais de régressions logistiques multiples. Pour chaque comportement, deux modèles ont été réalisés. Dans le premier modèle, sont incluses les variables sociodémographiques et comportementales, dans le deuxième modèle, sont ajoutées les variables psychosociales (attitude, norme et contrôle). Le premier modèle permet d’identifier les profils associés à une intention positive. Le second modèle permet d’apprécier la contribution des variables psychosociales à la prédiction de l’intention. Les analyses sont conduites via le logiciel Stata 10.0.
Résultats
Description des comportements de consommation par produit
18Dans l’échantillon, 45,1 % des 15-25 ans déclarent avoir déjà connu des alcoolisations ponctuelles importantes (API) au cours de la vie et 18,7 % déclarent une API au moins une fois par mois.
19L’échantillon compte près de 30 % de fumeurs parmi les 15-25 ans. La majorité d’entre eux (68,5 %) sont faiblement ou pas dépendants, 24,9 % sont moyennement dépendants et 6,6 % sont fortement dépendants. Enfin, 3,1 % des 15-25 ans interrogés sont consommateurs réguliers de cannabis et 31,9 % l’ont déjà expérimenté.
Intention et déterminants de l’intention de rester non-consommateur
Niveaux d’intention par âge, sexe et produit
20S’agissant du tabac, 94 % des 15-25 ans non-fumeurs interrogés ont « tout à fait » l’intention de rester non-fumeurs au cours des 30 prochains jours. La proportion de filles « tout à fait d’accord » avec l’affirmation est plus élevée chez les 22-25 ans que chez les 15-17 ans (96,9 % vs 91,8 %, p < .01).
21Concernant le cannabis, la proportion de jeunes ayant « tout à fait » l’intention de rester non-consommateur est de près de 89 %, sans différence significative selon le sexe. Cette proportion est plus importante chez les 22-25 ans que chez les 15-17 ans (91,3 % vs 85,8 %, p < .01) quel que soit le genre.
Déterminants de l’intention de rester non-consommateur
22Concernant les déterminants sociodémographiques et comportementaux (tableau III, modèles 1), parmi les jeunes déclarant ne pas fumer de tabac et après ajustement sur les autres caractéristiques sociodémographiques et comportementales, l’intention de rester non-fumeur de tabac est plus importante chez les filles que chez les garçons (odds ratio (OR) = 1,9), et chez les jeunes n’ayant pas consommé de cannabis au cours du dernier mois que chez ceux en ayant consommé (OR = 3,0). Chez les filles, il apparaît également un lien significatif entre l’âge et l’intention de rester non-fumeuse, cette intention étant plus fréquente dans la tranche d’âge plus élevée de l’échantillon (22-25 ans). Chez les garçons, après ajustement, aucune variable n’est significativement associée à l’intention de rester non-fumeur de tabac.
23Concernant l’intention de rester non-consommateur de cannabis, la variable la plus fortement associée est le fait de se déclarer fumeur ou non-fumeur de tabac. Les non-fumeurs de tabac ont ainsi trois fois plus de chance que les fumeurs de déclarer avoir l’intention de rester non-consommateur de cannabis que les fumeurs, cette association étant observée pour les deux sexes. Après ajustement, c’est d’ailleurs la seule variable associée chez les garçons à l’intention de rester non-consommateur de cannabis. Chez les filles, l’intention de ne pas expérimenter le cannabis augmente avec l’avancée en âge, est plus forte dans les milieux sociaux favorisés et parmi celles ayant déjà vécu une API au cours de la vie.
24Dans les seconds modèles (intégration des déterminants psychosociaux – tableau III, modèles 2), les trois déterminants (attitude, normes et contrôle) apparaissent fortement associés à l’intention de rester non-fumeur de tabac, ou de ne pas expérimenter le cannabis, et ce pour les deux sexes.
Déterminants sociodémographiques et comportementaux (Modèles 1) et déterminants sociodémographiques, comportementaux et psychosociaux (Modèles 2) de l’intention de rester de rester non-fumeur et de l’intention de rester non consommateur de cannabis (régressions logistiques multiples)

Déterminants sociodémographiques et comportementaux (Modèles 1) et déterminants sociodémographiques, comportementaux et psychosociaux (Modèles 2) de l’intention de rester de rester non-fumeur et de l’intention de rester non consommateur de cannabis (régressions logistiques multiples)
* : p < 0,05 ; ** : p < 0,01 ; *** : p < 0,001.25Concernant le tabac, parmi les trois déterminants psychosociaux considérés, le déterminant le plus important de l’intention de rester non-fumeur de tabac est l’attitude (OR = 8,3), suivie du contrôle (OR = 2,2) et de la norme (OR = 1,8). Les liens observés dans le modèle 1 avec le sexe, la consommation de cannabis et la fréquence des soirées chez les filles, ne sont plus significatifs après ajustement sur les déterminants psychosociaux. Les associations observées précédemment s’expliquaient donc en partie par des différences en termes d’attitude, de normes et de contrôle. En revanche, le lien observé entre l’intention de rester non-fumeur et l’avancée en âge se renforce après ajustement sur les variables psychosociales et devient significatif sur le total de l’échantillon. Enfin, il apparaît que l’intention de rester non-fumeur est plus fréquente chez les garçons sortant une fois ou moins par mois (OR = 2,0) que chez ceux déclarant deux soirées ou plus par mois.
26Dans le modèle portant sur le cannabis, les trois déterminants psychosociaux présentent tous un lien significatif avec l’intention de ne pas expérimenter ce produit, le contrôle perçu obtenant l’OR le plus important (4,8). L’interdiction de la consommation de « drogue » au sein de la famille est également associée positivement, sur l’ensemble de l’échantillon à l’intention de ne pas expérimenter (OR = 1,3). Par ailleurs, l’effet observé de la CSP dans le premier modèle chez les filles disparaît après ajustement sur les variables psychosociales. Pour les filles, le fait d’avoir déjà vécu une expérience d’API reste positivement associé à une plus forte intention de rester non expérimentateur. Le fait d’être non-fumeur de tabac reste globalement lié à l’intention de rester non expérimentateur de cannabis sur l’ensemble de l’échantillon (OR = 2,5), le lien étant significatif chez les filles uniquement. Chez les garçons, toujours après ajustement, un nouveau lien apparaît entre le nombre de sorties et l’intention. Le fait de sortir une fois ou moins par mois, comparé à une fréquence plus élevée de sorties est positivement associé à l’intention de rester non expérimentateur. Enfin le lien entre l’âge et l’intention de rester non expérimentateur, dans le sens d’une augmentation de la proportion d’intention de rester non expérimentateur avec l’avancée en âge, se renforce après ajustement sur les variables psychosociales et devient significatif chez les garçons.
Intention et déterminants de l’intention de réduire ou d’arrêter ses consommations
Niveaux d’intention par âge, sexe et produit
27Dans l’échantillon, 27,5 % des jeunes ayant déjà consommé six verres d’alcool ou plus au cours d’une même soirée déclarent avoir l’intention de diminuer leur consommation d’alcool en soirée au cours des 30 prochains jours (10,1 % « tout à fait d’accord » et 17,5 % « plutôt d’accord »). Cette proportion est plus élevée chez les 15-17 ans (35,9 %) que chez les 18-21 ou 22-25 ans (respectivement 26,5 % et 27,4 %). Les jeunes fumeurs interrogés sont plus de 30 % (33,7 % des garçons et 27,8 % des filles) à déclarer avoir l’intention d’arrêter de fumer au cours des 30 prochains jours (16,4 % « tout à fait d’accord » et 14,3 % « plutôt d’accord »). Chez les garçons, cette proportion augmente avec l’âge (24,7 % des 15-17, 32,5 % des 18-21 et 39,5 % des 22-25 ans), ce qui n’est pas le cas chez les filles. Enfin, parmi les consommateurs réguliers de cannabis, 34,7 % (16,6 % « tout à fait d’accord » et 18,1 % « plutôt d’accord ») déclarent avoir l’intention de diminuer leur consommation de cannabis au cours des 30 prochains jours.
Déterminants de l’intention de réduire ou d’arrêter ses consommations
28Au sein des jeunes déclarant des API fréquentes (au moins une fois par mois), après ajustement sur les déterminants sociodémographiques et comportementaux, l’intention de diminuer sa consommation d’alcool en soirée au cours des 30 prochains jours dépend uniquement de l’âge, dans le sens où les jeunes majeurs ont significativement moins l’intention de diminuer leur consommation d’alcool en soirée que les 15-17 ans (tableau IV). Ce lien avec l’âge se retrouve chez les garçons mais n’atteint pas le seuil de significativité chez les filles. La seule autre variable associée à l’intention de réduire sa consommation d’alcool en soirée est la fréquence des API chez les garçons : ceux déclarant des API très fréquentes (au moins une fois par semaine) ont en proportion significativement plus l’intention de diminuer leur consommation d’alcool en soirée (OR = 0,6) que ceux ayant des API moins fréquentes (au moins une fois par mois mais moins d’une fois par semaine).
: Déterminants sociodémographiques et comportementaux (Modèles 1) et déterminants sociodémographiques, comportementaux et psychosociaux (Modèles 2) de l’intention de diminuer sa consommation d’alcool en soirée, d’arrêter de fumer et de diminuer sa consommation de cannabis (régressions logistiques multiples)

: Déterminants sociodémographiques et comportementaux (Modèles 1) et déterminants sociodémographiques, comportementaux et psychosociaux (Modèles 2) de l’intention de diminuer sa consommation d’alcool en soirée, d’arrêter de fumer et de diminuer sa consommation de cannabis (régressions logistiques multiples)
* : p < 0,05 ; ** : p < 0,01 ; *** : p < 0,001.29Concernant le tabac, la seule variable significativement associée à l’intention d’arrêter de fumer chez les jeunes est la dépendance à la nicotine, dans le sens où les fumeurs peu dépendants ont davantage l’intention d’arrêter de fumer dans les 30 prochains jours que les fumeurs fortement dépendants (OR = 3,2). Cependant, cet effet de la dépendance sur l’intention d’arrêt n’est significatif que chez les filles. Enfin, nous observons chez les garçons un effet de l’âge sur l’intention d’arrêter de fumer : les plus de 21 ans ont en proportion plus souvent l’intention d’arrêter de fumer dans les 30 prochains jours (OR = 2,5) que les moins de 18 ans.
30Concernant l’intention de diminuer sa consommation de cannabis, aucun lien significatif n’est observé avec les variables sociodémographiques ou comportementales. Il faut cependant noter que la taille de l’échantillon de consommateurs réguliers est faible (n = 95). Les analyses n’ont d’ailleurs pas été conduites par sexe en raison de cette taille insuffisante.
31Dans le deuxième modèle (intégration des déterminants psychosociaux), concernant l’alcool, les trois déterminants (attitude, norme et contrôle) sont significativement associés à l’intention de diminuer le nombre de verres bus en une soirée, aussi bien chez les filles que chez les garçons, le lien le plus fort étant observé pour les attitudes (OR = 2,6). Le seul lien persistant entre les deux modèles suite à l’ajustement sur les variables psychosociales, se retrouve chez les garçons, pour qui le fait d’avoir très fréquemment des API correspond à une plus grande intention de diminuer sa consommation (OR = 0,4) indépendamment des dimensions d’attitude, de norme ou de contrôle. Après ajustement du modèle sur les variables psychosociales, deux nouvelles variables – la CSP du chef de famille et la fréquence des soirées – présentent un lien significatif (sur le total de l’échantillon) avec l’intention de diminuer sa consommation d’alcool en soirée. À attitude, normes et contrôle équivalents, l’intention de diminuer sa consommation d’alcool est ainsi associée à un milieu socio-économique favorisé (mesuré par la CSP ; OR = 1,7), ainsi qu’à une moindre fréquence des soirées (OR = 2,2). Enfin, le lien avec l’âge, observé dans le modèle 1 parmi les garçons, n’est plus significatif après ajustement sur les variables psycho-sociales. Concernant le tabac, parmi les déterminants psychosociaux et après ajustement sur les variables sociodémographiques, seules les variables d’attitude (OR = 3,4) et de contrôle (OR = 2,0) sont positivement associées à l’intention d’arrêter de fumer pour les deux sexes. Le lien avec un âge plus élevé (22-25 ans) est maintenu chez les garçons après ajustement sur les déterminants psychosociaux alors que l’association observée avec la dépendance physiologique au tabac disparaît.
32Pour finir, concernant le cannabis, après intégration des déterminants psychosociaux au modèle de régression, nos données suggèrent que seule l’attitude présente un lien significatif (OR = 3,3) avec l’intention de diminuer sa consommation de cannabis.
Discussion
33Notre échantillon est comparable à la population générale des 15-25 ans en termes sociodémographiques. Il se distingue cependant en termes de consommation de substances psychoactives et d’usages à risque. Les répondants affichent des prévalences d’usage plus faibles qu’en population générale [2, 4, 5] avec moins de fumeurs de tabac, moins d’expérimentateurs et de consommateurs réguliers de cannabis, ainsi qu’une moindre prévalence d’alcoolisations ponctuelles importantes. Rappelons que les données présentées ne visent pas à fournir une estimation précise des niveaux d’usage ou d’intention, mais à analyser les relations entre variables et éclairer les mécanismes psychosociaux sous-jacents à la formation de l’intention et, subséquemment, aux changements de comportement.
34Concernant les 15-25 ans non-consommateurs, chacune des trois variables psychosociales considérées (attitude, normes et contrôle) contribue de façon significative à expliquer l’intention de rester non-consommateur (tabac et cannabis), avec une prédominance du rôle des attitudes pour le tabac et du contrôle perçu pour le cannabis. La norme relative à l’influence des personnes importantes pour soi est, pour le tabac et le cannabis, un déterminant significatif de l’intention de rester non-consommateur ; la présence d’une norme familiale d’interdiction des « drogues » étant également associée à une moindre intention d’expérimenter le cannabis. Les différences d’intention observées selon le genre (proportion d’intention de rester non-consommateur plus importante chez les filles que chez les garçons) s’expliquent en partie par des différences de perception sur les dimensions d’attitudes, de normes et de contrôle. Un des résultats les plus saillants concernant l’analyse des déterminants de l’intention de rester non-consommateur de tabac et de cannabis est le renforcement des effets de l’âge après ajustement sur les variables psychosociales. Ainsi, à attitude, contrôle et norme équivalents, plus les individus sont jeunes et plus les intentions de rester non-consommateur sont faibles. Il apparaît également, après contrôle de l’ensemble des variables sociodémographiques, psychosociales et comportementales, que des facteurs de nature environnementale (le nombre de soirées par mois) influencent, essentiellement chez les garçons, les intentions d’expérimenter aussi bien le tabac que le cannabis. Enfin, un dernier résultat est le lien globalement observé entre la consommation actuelle de tabac et l’intention d’expérimenter le cannabis, confirmant ainsi que la prévention du tabagisme est un moyen efficace de prévenir la consommation de cannabis.
35L’ensemble de ces résultats milite pour un travail renforcé sur les déterminants psychosociaux. À caractéristiques sociodémographiques comparables, ceux n’ayant pas du tout l’intention de consommer dans un futur proche partagent des croyances plus négatives, vis-à-vis de la consommation de tabac et de cannabis (attitude), déclarent une pression normative plus forte à ne pas consommer, notamment de la part des parents dans le cas du cannabis, et enfin perçoivent moins de freins ou d’obstacles à rester non-consommateur (contrôle).
36Suivant ces enseignements, il semblerait utile d’identifier les croyances spécifiques (liées à des enjeux relationnels, identitaires, de valeurs ou encore sanitaires) relatives aux conséquences perçues de la consommation de tabac et de cannabis les plus saillantes chez les jeunes. Ces croyances, favorables ou défavorables à la consommation, pourraient faire l’objet d’actions visant soit à les modifier soit à les renforcer, via notamment des campagnes de communication à destination des jeunes, tout particulièrement pour prévenir la consommation de tabac. Nos données confirment aussi l’intérêt de travailler sur les normes, ce qui peut être fait par le biais de campagnes de communication ou encore via des interventions interactives s’appuyant sur l’influence positive de pairs non-consommateurs ou visant le développement des compétences de résistance à la pression des pairs à consommer [11-13]. Concernant l’implication du contrôle dans les processus de formation de l’intention, en particulier pour l’expérimentation du cannabis, nos résultats confortent la pertinence des approches visant à renforcer les capacités à faire face aux situations à risque de consommation (notamment en soirée). Enfin, nos données suggèrent d’axer les efforts de prévention en direction des non-consommateurs les plus jeunes qui sont en proportion moins nombreux que leurs aînés à avoir l’intention de rester non-consommateur de tabac ou de cannabis.
37Concernant les 15-25 ans déjà impliqués dans les consommations de substances psychoactives, l’attitude se présente comme un déterminant majeur des intentions d’arrêt/diminution des trois substances considérées (tabac, alcool et cannabis). Comme pour la prévention de l’expérimentation, il semble important d’identifier les croyances spécifiques favorables ou défavorables à l’arrêt, et de construire des interventions visant soit à les renforcer, soit à les modifier. Le contrôle qui est impliqué dans la diminution des consommations d’alcool et dans l’arrêt du tabac pourrait être renforcé par des actions de développement de compétences psychosociales (notamment de résistance à la pression des pairs, d’affirmation de soi et de prise de décision) mais également par la création d’environnements plus favorables. Enfin, l’effet observé de la norme, qui ne semble jouer que sur les intentions de réduire sa consommation d’alcool en soirée, suggère encore de travailler sur la résistance à la pression des pairs, mais également sur la diminution même du niveau de pression sociale (implicite ou explicite) à consommer. C’est d’ailleurs sur ces axes (incitation à boire et capacité à y résister) qu’avait choisi de communiquer une récente campagne de l’INPES en direction des adolescents (campagne internet « esquive la tise »).
38Les 18-25 ans sont, en proportion, moins nombreux que les plus jeunes à exprimer l’intention de diminuer leur consommation d’alcool au cours des soirées. Cette tendance disparaît après ajustement sur les variables psychosociales, ce qui confirme l’intérêt, entre autres, de travailler chez les jeunes adultes au renforcement des attitudes, des normes et des perceptions de contrôle favorables à la diminution des consommations d’alcool. Nous observons par ailleurs un effet négatif du nombre de soirées et, chez les garçons, un effet négatif d’un milieu social défavorisé sur l’intention de réduire sa consommation d’alcool au cours d’une soirée indépendamment des effets de norme, d’attitude et de contrôle. Ces résultats plaident d’une part en faveur de dispositifs de prévention renforcés au profit des catégories socioprofessionnelles les moins favorisées et d’autre part, du fait de l’impact négatif des habitudes ou comportements passés (API fréquentes), pour le développement de dispositifs de prévention et de promotion de la santé en amont de l’entrée dans les consommations ou les usages problématiques.
39Enfin, concernant le cannabis, l’attitude se présente comme la seule variable associée à l’intention de diminuer sa consommation, suggérant ainsi qu’un travail sur les croyances, relatives aux effets positifs de la réduction des consommations ou aux effets négatifs du maintien d’une consommation régulière, serait pertinent pour réduire la consommation de cannabis.
Conclusions
40En premier lieu, nos analyses confirment l’intérêt de s’appuyer sur les facteurs psychosociaux et sociocognitifs pour mieux appréhender les comportements de santé. L’utilisation des variables d’intention, d’attitude, de norme ou de contrôle est d’ailleurs courante dans d’autres contextes nationaux pour expliquer les consommations de substances psychoactives chez les jeunes et construire des actions de prévention pour l’alcool [14, 15], le tabac [16, 17] ou le cannabis [18, 19]. L’intégration des variables sociocognitives (attitudes, normes, contrôle…) dans la modélisation des comportements de santé, offre l’opportunité d’identifier et de proposer des déterminants sur lesquels travailler aussi bien au niveau des individus que de leurs environnements. Notre investigation n’est cependant qu’une première étape dont il convient de préciser les limites ; la principale étant l’absence d’identification des croyances spécifiques qui sous-tendent les attitudes et les perceptions de contrôle. Quels sont précisément les avantages et désavantages perçus à adopter le comportement ? Quels sont les freins et les leviers perçus comme étant susceptibles de favoriser ou de gêner la mise en œuvre du comportement ? Ce travail nécessaire doit s’appuyer sur des enquêtes qualitatives de façon à identifier une liste de croyances, de freins et de leviers associés à l’adoption ou non des comportements (abstinence ou consommation) et sur des enquêtes quantitatives afin de déterminer, parmi ces croyances freins et leviers, lesquels sont les plus pertinents à travailler en fonction des segments de population concernés. Selon les déterminants identifiés, différentes catégories d’intervention peuvent être développées : des actions de communication quand il s’agit de renforcer ou modifier certaines croyances, des actions portant sur les environnements ou sur le développement de compétences pour agir sur les dimensions de contrôle, et des actions visant les parents et les pairs pour agir sur les aspects normatifs.
41Enfin, nos données confirment l’intérêt porté à l’intervention précoce visant à agir en amont de la survenue des problèmes ou des difficultés afin d’éviter ou au moins de retarder l’entrée dans les consommations de substances psychoactives. Ces recommandations entrent notamment en résonance avec celles de la récente expertise collective de l’Inserm [7] qui illustre, sous un angle pluridisciplinaire, la vulnérabilité des plus jeunes face aux addictions et l’intérêt de retarder le contact avec les produits. D’autre part, elles confortent la priorité mise chez les jeunes sur la prévention du tabagisme, cette dernière étant aussi un moyen de limiter les risques d’entrée dans la consommation de cannabis. Enfin, l’intérêt de considérer les inégalités sociales de santé, tout particulièrement pour l’alcool, est également souligné par nos résultats qui suggèrent des intentions plus faibles vis-à-vis de la réduction des alcoolisations ponctuelles intensives parmi les catégories socioprofessionnelles les moins favorisées.
42Aucun conflit d’intérêt déclaré
Notes
-
[1]
INPES (Institut National de Prévention et d’Éducation pour la Santé) – 42, boulevard de la Libération – 93203 Saint-Denis cedex.
-
[2]
Laboratoire parisien de psychologie sociale (LAPPS) – EA4386 – Université Paris – Ouest Nanterre – La Défense – 200 avenue de la République – 92000 Nanterre – France.
-
[3]
Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies – St Denis La Plaine – France.
-
[4]
ERES – Sorbonne Universités – UPMC Univ Paris 06 – INSERM – Institut Pierre Louis d’Épidémiologie et de Santé Publique (IPLESP UMRS 1136) – F75012 Paris – France.