CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1Il existe désormais un consensus selon lequel la santé mentale d’une population fait non seulement partie intégrante de sa santé globale, mais participe aussi à son développement économique, social et humain. D’après l’Organisation Mondiale de la santé (OMS), les problèmes de santé mentale constituent une grande charge en termes de morbidité en Europe affectant plus d’un adulte sur quatre au cours de la vie [1], les troubles de l’humeur représentant à eux seuls la troisième cause des « années de vie corrigées de l’incapacité », c’est-à-dire la somme des années de vie perdues dues à une maladie et des années de vie vécues avec une incapacité.

2L’ampleur de ces troubles justifie la nécessité de mettre en place un système de surveillance de la santé mentale et de ses déterminants afin d’aider à la planification d’une politique de prise en charge adaptée et de contribuer à l’évaluation de programmes, à l’information et à la prévention.

3La surveillance épidémiologique consiste essentiellement à décrire, comparer et suivre des indicateurs sanitaires au sein d’un même pays et permet des comparaisons internationales. Elle présuppose l’existence d’outils de mesure fiables et reproductibles, de dispositifs valides et de moyens suffisants. Cette surveillance est basée sur la collecte répétée de données au travers d’enquêtes épidémiologiques et s’effectue aussi à partir de données de mortalité et de données médico-administratives de recours aux soins telles que les données de remboursement de psychotropes, d’hospitalisation à partir du programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) et d’attribution du bénéfice de la prise en charge du ticket modérateur au titre d’une affection de longue durée pour pathologies psychiatriques graves (ALD23). D’autres sources de données, par exemple le système de déclaration obligatoire, les registres de pathologie, les déclarations de médecins sentinelles, utiles pour la surveillance d’autres pathologies (infectieuses, cardiovasculaires, cancers) ne sont pas disponibles pour les pathologies psychiatriques (à l’exception de deux registres localisés des handicaps de l’enfant incluant les troubles envahissants du développement).

4Dans cet article, nous proposons de faire un état des lieux de la surveillance de la santé mentale en France, décrire les données disponibles, examiner leur pertinence, leurs limites, et comparer avec les données d’autres pays. Pour illustrer, nous donnerons quelques résultats issus de différentes sources de données, certains résultats étant présentés pour la première fois.

Les sources des données

Les enquêtes épidémiologiques

Population générale

5La première grande enquête d’épidémiologie psychiatrique en population générale a été l’Epidemiological Catchment Area menée auprès de 20 000 personnes au début des années 1980 aux États-Unis. Pour la première fois, un questionnaire d’entretien structuré diagnostique a été élaboré pour être administré par des enquêteurs non cliniciens. Depuis, d’importants progrès ont été faits pour améliorer la fiabilité du recueil des données et celle du diagnostic inter-juges [2]. Les critères diagnostiques utilisés sont basés sur deux grands systèmes nosographiques : la classification internationale des maladies (CIM) de l’OMS et le manuel diagnostique et statistique (DSM) de l’American Psychiatric Association. Ainsi, l’amélioration des méthodes utilisées dans les enquêtes de santé mentale (procédures opérationnelles, questionnaires structurés, taille et représentativité des échantillons…) a permis l’essor de l’épidémiologie psychiatrique en population générale.

6Plusieurs pays dont les États-Unis, la Grande Bretagne, la Finlande, le Canada et l’Australie ont mis en place un système de surveillance de la morbidité psychiatrique à partir d’enquêtes spécifiques répétées en population générale. En France, depuis une quinzaine d’années, sept enquêtes nationales en population générale ont exploré la prévalence de troubles de santé mentale par des questionnaires structurés, soit lors d’enquêtes spécifiques de santé mentale [3-6], soit par l’inclusion d’un questionnaire au sein d’une enquête multithématique telle que le Baromètre santé [7] ou l’enquête Santé et Protection Sociale (ESPS) [8]. Cependant, la diversité méthodologique rend ces enquêtes difficilement comparables entre elles. Seul le Baromètre santé permet de suivre l’évolution de la prévalence de l’épisode dépressif caractérisé (EDC) en population générale grâce à la passation du Composite international diagnosis interview–short form (CIDI?SF) avec la même méthodologie en 2005 puis en 2010. De plus, les antécédents de tentative de suicide font l’objet d’un suivi en population générale dans les Baromètres santé [9].

7Par ailleurs, des enquêtes d’ampleur nationale (enquêtes décennales santé) se sont intéressées à d’autres indicateurs de santé mentale, sans toutefois utiliser de questionnaires diagnostiques qui permettent de produire des données pour la surveillance de la dépression caractérisée. Ainsi, la mesure de la symptomatologie dépressive a été réalisée avec l’échelle du Centre for Epidemiological Studies (CES-D) dans l’enquête décennale santé 2003 [10] et l’enquête handicap-santé de 2008-2009 a utilisé l’échelle Mental Health Inventory (MHI-5) pour la mesure de la détresse psychologique. Ànoter que ce dernier indicateur a également été introduit dans le Baromètre santé 2010.

8Dans les enquêtes françaises, le recueil des pathologies a systématiquement concerné les troubles de l’humeur et les divers troubles anxieux n’ont été abordés que dans l’European Study of the Epidemiology of Mental Disorders (ESEMeD) [4] et dans l’enquête Santé Mentale en Population Générale (SMPG) [11]. Les troubles psychotiques, de par leur prévalence basse et la spécificité des modalités de mesure, peuvent difficilement être étudiés dans des enquêtes en population générale et ne l’ont jamais été en France.

9La comparaison de la situation française avec certains pays européens est réalisable à partir d’ESEMeD [4] qui a aussi été menée en Belgique, Allemagne, Italie, Pays-Bas et Espagne en 2000-2003 [12]. ESEMeD fait partie des enquêtes Mental Health Survey Initiative mises en place avec une méthodologie standardisée par l’OMS et l’école de santé publique de Harvard dans actuellement une trentaine de pays du monde [13].

Autres populations

10La surveillance en santé mentale au travers d’enquêtes épidémiologiques est peu développée dans les autres populations en France. Chez les enfants et les adolescents, les études épidémiologiques étant rares, nous ne disposons pas d’indicateurs de prévalence des troubles mentaux dans ces populations. En effet, chez les enfants, seules deux enquêtes ponctuelles ont été réalisées dans des écoles primaires, la première en 1994 dans la ville de Chartres [14] et la deuxième en 2004 en région PACA [15].

11Dans la population adolescente, les échelles mesurant la symptomatologie dépressive sont parfois utilisées dans des études ponctuelles [16-17] mais seule la consommation de tabac, d’alcool, de cannabis et d’autres drogues fait l’objet d’un suivi régulier lors d’enquêtes en milieu scolaire (European School Survey Project on Alcohol and Other Drugs et Health Behaviour in School-aged Children) ou lors de la journée d’appel (Enquête sur la Santé et les Consommations lors de l’Appel de Préparation À la Défense) [18-20].

12Dans la population des personnes sans domicile, deux enquêtes ont eu lieu à Paris en 1996 [21] et en région parisienne en 2009 [22]. Par ailleurs, une enquête nationale a été menée en 2004 pour mesurer les troubles psychiatriques chez les détenus [23]. Dans ces deux dernières études, la passation d’un questionnaire structuré a été complétée d’une évaluation clinique par un psychologue avec débriefing ultérieur et codage des troubles par un psychiatre dans l’étude des sans-domicile, et par deux cliniciens (psychiatre et psychologue) dans l’étude en milieu pénitentiaire.

Les bases médico-administratives

13La base de données de mortalité établie à partir des certificats de décès et gérée par le Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDC) de l’Inserm constitue la source de référence pour la surveillance de la mortalité par pathologie en France. Les décès sont codés depuis 2000 selon la CIM-10. Dans le domaine de la santé mentale, la surveillance des suicides est effectuée depuis 30 ans par le CépiDC. Les indicateurs sont présentés pour l’ensemble de la population et par sexe : effectifs de décès par suicide, part des décès par suicide dans la mortalité générale, taux de décès brut et standardisé selon la structure d’âge de la population française (1990) et ratios de mortalité selon le sexe (standardisation sur la population européenne de 1976 pour les comparaisons internationales) [24].

14Les autres bases médico-administratives ont été conçues pour gérer les ressources et les activités. Collectées de façon routinière et systématique, les données issues de ces bases ont l’avantage d’être disponibles rapidement et de couvrir tout le territoire. Leur inconvénient majeur réside dans le fait que les informations qui s’y trouvent restent limitées au strict nécessaire pour les besoins administratifs (sexe, âge et lieu de résidence). Elles contiennent donc peu d’informations pertinentes en termes de déterminants sanitaires. Toutefois, certaines bases de l’assurance maladie permettent indirectement d’informer sur le statut socio économique par l’affiliation à la Couverture Maladie Universelle Complémentaire. Les informations sur les pathologies ne sont pas présentes dans toutes les bases de données et lorsqu’elles existent, leur qualité dépend des habitudes de codage des praticiens, codage pouvant lui-même être soumis aux conditions de tarifications et de remboursement des prestations. Malgré ces limites, les bases médico-administratives constituent une source de données intéressante pour la surveillance en santé publique [25].

15Le PMSI, mis en place depuis 20 ans en France dans tous les établissements de soins de courte durée en médecine, chirurgie et obstétrique (MCO), a pour objectif principal de mettre en relation l’activité médicale et les moyens de fonctionnement des établissements. Actuellement, les indicateurs pour la surveillance en santé mentale issus du PMSI-MCO sont le nombre d’hospitalisations pour tentative de suicide (TS) selon l’âge et le sexe, la part des modalités opératoires dans les TS, les taux bruts et standardisés d’hospitalisation pour TS (standardisation selon la structure de sexe et d’âge de la population française de 1999), ainsi que le taux de réadmission pour TS.

16Depuis 2008, un système similaire de recueil de données administratives et médicales a été mis en place pour tout patient admis en hospitalisation psychiatrique (RIM-psy). Une expertise préalable de la valeur des données recueillies est nécessaire, comme cela fut le cas pour le PMSI-MCO, avant d’envisager une surveillance à partir de cette source de données.

17Le système de recueil Oscour sur les passages dans les services d’urgence hospitaliers a été mis en place en 2004 par l’Institut de Veille Sanitaire avec une montée en charge progressive. Fin 2009, il intégrait 220 services représentant 40 % des passages totaux en services d’urgence hospitaliers au niveau national. Actuellement, ce système n’est pas utilisé pour la production d’indicateurs en santé mentale mais pour compléter le système PMSI.

18La constitution depuis 2004 d’un échantillon généraliste des bénéficiaires (EGB) par la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (Cnam-TS) permet le suivi des données de remboursement des prestations sur une durée prévue pour 20 ans. Cet échantillon résulte d’un sondage à 1/97e de la population protégée [26]. Initialement circonscrit à la population protégée par la Cnam-TS, l’EGB inclut depuis mi-2011 les trois principaux régimes d’assurance maladie, ce qui améliorera sa représentativité de la population française. L’EGB permet le suivi des consommations de psychotropes par classe thérapeutique selon le sexe et l’âge.

19Les pathologies chroniques lourdes et coûteuses peuvent être surveillées par le dispositif des affections de longue durée (ALD). Une liste de 30 affections dont les affections psychiatriques graves ouvre droit à ce dispositif. Les pathologies sont codées par les médecins-conseils de l’assurance maladie selon la CIM-10 et selon une table de codage spécifique pour les ALD [27]. Afin de suivre l’évolution du taux des ALD au cours du temps, une standardisation directe est effectuée en prenant pour référence la population de 1999.

20Chacune des bases médico-administratives donne une vision partielle mais complémentaire de la prise en charge des patients et elles présentent toutes des limites liées au fait qu’elles n’ont pas été conçues à des fins épidémiologiques. La surveillance des pathologies ne peut donc se faire qu’en mettant en relation et en perspective les différentes sources d’information.

Résultats

Des enquêtes épidémiologiques

21Le tableau I résume les sept enquêtes nationales qui ont eu lieu en population générale française entre 1996 et 2010. La variation méthodologique des études, bien qu’utilisant toutes des outils standardisés, a conduit à des résultats hétérogènes. Par exemple, dans les études menées depuis 2000, les prévalences de l’EDC au cours des 12 derniers mois variaient de 5à 7,8 % et la prévalence au cours du dernier mois et des deux dernières semaines variait entre 9 % et 12 % selon celles menées à la fin des années 1990.

Tableau I

Enquêtes nationales portant sur les troubles de santé mentale en population générale en France, 1996-2010

Tableau I
Depression Research in European Society (Depres) [3] Enquête santé et protection sociale (ESPS) [8] Santé mentale en population générale (SMPG) [5-11] European Study of the Epidemiology of Mental Disorders (ESEMeD) [4] Baromètre Santé [7] Anadep [6] Date du terrain 1996 1996-1997 1999-2003 2001-2003 2005 et 2010 2005 Promoteur Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes) Centre collaborateur OMS en santé mentale OMS Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes) Inpes Nombre de personnes interviewées 14 517 en France 18 289 Assurés sociaux 36 105 2 894 en France 16 833 en 2005 8 238 en 2010 6 498 Échantillonnage Quota sur panel Aléatoire (fichiers assurance maladie) Quota sur panel Aléatoire (fichiers téléphoniques) Aléatoire (fichiers téléphoniques) Aléatoire (fichiers téléphoniques) Thématiques Dépression Multithématique Santé mentale Santé mentale Multithématique Dépression Mode de passation Face à face Auto-questionnaire Face à face Face à face Téléphone Téléphone Taux de réponse Inconnu (panel) 68 % des ménages joints, 42 % de ceux tirés au sort Inconnu (personnes sollicitées dans la rue) 46 % ? 60 % 63 % Âge (ans) ? 18 ? 16 18-75 ? 18 15-75 15-75 Questionnaires MINI(1) MINI(1) MINI(1) WMH-CIDI(2) CIDI-SF(3) CIDI-SF(3) Prévalences (%) Épisode dépressif caractérisé 6 mois = 9,1 % 1 mois = 12,0 % 2 semaines = 11,1 % Vie = 21,4 % 12 mois = 6,0 % 12 mois = 7,8 % en 2005 comme en 2010 Vie = 17,8 % 12 mois = 5,0 % Troubles anxieux (au moins un) Actuels = 21,6 % Vie = 22,4 % 12 mois = 9,8 % Agoraphobie Actuels = 2,1 % Vie = 1,8 % 12 mois = 0,6 % État de stress post-traumatique Actuels = 0,7 % Vie = 3,9 % 12 mois = 2,2 % Phobie sociale Actuels = 4,3 % Vie = 4,7 % 12 mois = 1,7 % Phobie spécifique – Vie = 11,6 % 12 mois = 4,7 % Trouble anxieux généralisé 6 mois = 12,8 % Vie = 6,0 % 12 mois = 2,1 % Vie = 5,1 % Trouble panique Actuels = 4,2 % Vie = 3,0 % 12 mois = 1,2 % Dépendance à l’alcool Actuelle = 2,0 % Vie = 1,6 % 12 mois = 0,3 % (1) Mini International Neuropsychiatric Interview - (2) World Mental Health - Composite International Diagnosis Interview - (3) Composite International Diagnosis Interview – short form.

Enquêtes nationales portant sur les troubles de santé mentale en population générale en France, 1996-2010

22On note des prévalences plus élevées des troubles rapportées dans les enquêtes utilisant le questionnaire Mini International Neuropsychiatric Interview (MINI) par rapport à celles utilisant le Composite International Diagnosis Interview (CIDI). Cela serait en partie dû à la non-prise en compte par le MINI d’un critère diagnostique important, le retentissement des troubles sur l’activité de la vie quotidienne, tandis que la définition des troubles par le CIDI inclut ce critère. De plus, la formulation des questions, leur mode de passation, l’intégration du questionnaire dans une enquête généraliste ou dans une enquête spécifique à la santé mentale sont quelques uns des éléments qui contribuent à la variabilité dans les prévalences [28]. Il convient, par ailleurs, de signaler que la prévalence des EDC sévères mesurés par le CIDI apparaît plus concordante entre les différentes enquêtes, autour de 4-5 %.

23Les premiers résultats comparatifs des Baromètres santé 2005 et 2010, utilisant une méthodologie identique, mettent en évidence une grande stabilité dans la prévalence au cours des 12 derniers mois de l’EDC à 7,8 % (tableau II). Toutefois, l’analyse par sexe et par âge montre quelques fluctuations, en particulier la prévalence chez les hommes de 35-54 ans est passée de 5,4 % en 2005 à 7,3 % en 2010 (p < 0,01).

Tableau II

Prévalence de l’épisode dépressif caractérisé en population générale en France à partir des Baromètres santé 2005 et 2010

Tableau II
Ensemble Hommes Femmes 2005 2010 2005 2010 2005 2010 n = 16 883 (%) n = 8 238 (%) n = 7 078 (%) n = 3 686 (%) n = 9 805 (%) n = 4 552 (%) Total 15-75 ans 7,8 7,8 5,1 5,6 10,4 10,0 15-19 ans 7,0 6,4 4,5 3,7 9,7 9,3 20-34 ans 9,1 10,1 6,4 7,0 11,9 13,2 35-54 ans 8,9 9,0 5,4 7,3 12,3 10,7 55-75 ans 5,3 4,7 3,6 2,6 6,8 6,6

Prévalence de l’épisode dépressif caractérisé en population générale en France à partir des Baromètres santé 2005 et 2010

24Les comparaisons européennes réalisées à partir d’ESEMeD font ressortir une prévalence plus élevée d’EDC et de troubles anxieux en France par rapport aux autres pays. La prévalence de la dépendance à l’alcool sur un an était similaire à 0,3 % [29,30]. Celle de l’EDC sur un an était globalement de 3,9 % dans l’ensemble des six pays s’échelonnant de 3,0 % en Italie et en Allemagne à 6,0 % en France. En ce qui concerne l’ensemble des troubles anxieux, la prévalence sur un an était de 6,4 % allant de 5,1 % en Italie à 9,8 % en France. Pour certains troubles anxieux, seuls les Pays-Bas ont présenté des prévalences supérieures à celles de la France pour l’état de stress post?traumatique (2,5 %), la phobie spécifique (5,2 %) et le trouble panique (1,3 %).

25L’étude de Chartres auprès de 2 441 enfants de 8 à 11 ans a estimé la prévalence des troubles mentaux à 12,4 % répartis en 5,9 % pour les troubles émotionnels et 6,5 % pour les troubles du comportement [14]. Dans l’étude en PACA auprès de 1 308 paires composées d’enfants de 6 à 11 ans et de leurs parents, lorsque les enfants rapportaient leurs troubles, les prévalences des troubles dépressifs, des troubles de conduites et de l’hyperactivité avec déficit de l’attention étaient estimées, pour chacun des troubles, à environ 9 % et celles des troubles anxieux à environ 12 % tandis que parmi les parents, 9,8 % ont estimé que leurs enfants présentaient des troubles émotionnels ou de conduites [15].

26Les prévalences des troubles psychiatriques issues des études françaises de populations sans domicile et de détenus sont présentées dans le tableau III. La prévalence des troubles dépressifs caractérisés était comparable dans les trois enquêtes, de l’ordre de 20 %. Celle des troubles psychotiques dans la population des sans-domicile ne différait pas significativement entre 1996 et 2009, respectivement 16 % et 13 % [IC 95 % : 9. Beck F, Guilbert P, Gautier A Baromètre santé 2005. Saint Denis : Institut National de Prévention et d’Éducation pour la Santé 2007.-20. Legleye S, Spilka S, Le Nezet O, Beck F, Godeau E. Tabac, alcool et cannabis durant la primo adolescence Résultats du volet français de l’enquête HBSC 2006. Tendances 2008;591-4. Disponible à partir : http://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/eftxsto4.pdf] [21. Kovess V, Mangin LC. The prevalence of psychiatric disorders and use of care by homeless people in Paris. Soc Psychiatry Psychiatr Epidemiol 1999;34(11):580-7., 22. Laporte A, Douay C, Détrez MA, Le Masson V, Le Méner E, Chauvin P. SAMENTA. Rapport sur la santé mentale et les addictions chez les personnes sans logement personnel d’Île-de-France. Paris : Observatoire du Samusocial de Paris 2010:225. Disponible à partir de : http://observatoire.samusocial-75.fr/PDF/Samenta/SAMENTA.pdf]. Parmi les détenus hommes, la prévalence des troubles psychotiques était de 17 % et ne différait pas significativement de celle retrouvée chez les hommes (15 % [IC 95 % : 9. Beck F, Guilbert P, Gautier A Baromètre santé 2005. Saint Denis : Institut National de Prévention et d’Éducation pour la Santé 2007.-25. Koné Péfoyo AJ, Rivard M, Laurier C. Importance de la surveillance en santé publique et utilité des données administratives. Rev Épidemiol Santé Publique 2009;57(2):99-111.]) dans l’enquête auprès des sans-domicile en 2009 [22. Laporte A, Douay C, Détrez MA, Le Masson V, Le Méner E, Chauvin P. SAMENTA. Rapport sur la santé mentale et les addictions chez les personnes sans logement personnel d’Île-de-France. Paris : Observatoire du Samusocial de Paris 2010:225. Disponible à partir de : http://observatoire.samusocial-75.fr/PDF/Samenta/SAMENTA.pdf, 23. Falissard B, Loze JY, Gasquet I, Duburc A, de Beaurepaire C, Fagnani F, et al. Prevalence of mental disorders in French prisons for men. BMC Psychiatry 2006;6(33):1-6.].

Tableau III

Enquêtes portant sur les troubles de santé mentale dans la population des personnes sans domicile en Île-de-France et carcérale en France

Tableau III
Population enquêtée Sans domicile [21] Santé mentale et addiction chez les personnes sans logement personnel (Samenta) [22] Population carcérale [23] Date du terrain 1996 à Paris 2009 en Île-de-France 2004 en France Nombre de personnes interviewées 715 840 700 Échantillonnage Tirage au sort des services d’aide puis des personnes présentes le jour de l’enquête Tirage au sort des services d’aide puis des personnes présentes le jour de l’enquête Tirage au sort des établissements pénitentiaires puis des personnes présentes le jour de l’enquête Mode de passation Questionnaire en face à face puis Réponses aux questionnaires relues par un psychiatre pour les troubles psychotiques Questionnaire en face à face puis Entretien clinique par psychologue puis Débriefing et cotation post-entretien avec un psychiatre Questionnaire en face à face avec un psychiatre et un psychologue clinicien, cotation indépendante par les deux cliniciens puis Diagnostic consensuel Questionnaires CIDI(1) MINI(2) MINI(2) Taux de réponse (%) 64,2% 71,0 % 57,0% Hommes (%) 84,7% 65,1% 100% Troubles dépressifs majeurs 20,2% 12 mois Sévères: 4,5% Non sévères: 15,8% actuels 24,0% Actuels Trouble bipolaire (vie) 3,6% 3,1% Épisode maniaque (vie) 3,6% 3,6% Troubles anxieux (actuels) 12,3% 29,4% Agoraphobie 10,0% État de stress post-traumatique 4,2% 14,2% Phobie sociale 11,0% Trouble obsessionnel compulsif 5,5% Trouble anxieux généralisé 4,0% 17,7% Trouble panique 5,1% Autres troubles anxieux 6,2% Troubles psychotiques (vie) 16,0% 13,2% 17,0% Schizophrénie 14,9% 8,4% 6,2% Troubles délirants 1,1% 3,5% 5,3% Troubles schizo-affectifs 2,6% Autres troubles psychotiques 1,3% 0,2% Dépendance à l’alcool 14,9% 12 mois 21,0% actuelle 11,7% actuelle Dépendance aux drogues 10,3% 12 mois 17,5% actuelle 14,6% actuelle (1) Composite International Diagnosis Interview. (2) Mini International Neuropsychiatric Interview. (3) Prévalence au cours de la vie pour trouble bipolaire.

Enquêtes portant sur les troubles de santé mentale dans la population des personnes sans domicile en Île-de-France et carcérale en France

Des bases de mortalité et hospitalières : suicides et tentatives de suicide

27La surveillance de la mortalité par suicide réalisée par le CépiDC a révélé une diminution globale du taux de suicide en France métropolitaine de 20 % en 25 ans. Néanmoins, avec l’enregistrement de 10 423 décès par suicide en 2006 représentant un taux standardisé de 16,0 pour 100 000 habitants (25,2 pour 100 000 hommes et 8,2 pour 100 000 femmes), la France reste l’un des pays européens où la mortalité par suicide est la plus forte. L’analyse montre que la baisse n’a pas concerné les 45-54 ans dont le taux de suicide a augmenté depuis 2000 (+ 2,2 % chez les femmes et + 8 % chez les hommes). Les suicides restent aux trois-quarts masculins tous âges confondus [24].

28L’exploitation du PMSI permet de suivre les nombres et taux d’hospitalisation pour TS. De 2004 à 2007, chaque année, entre 90 000 et 98 000 hospitalisations pour TS ont été enregistrées en France métropolitaine. Si les suicides sont plus fréquents chez les hommes, les TS sont plus fréquentes chez les femmes (65 % des séjours). Les taux standardisés d’hospitalisation pour TS sont présentés dans le tableau IV. Ils sont environ dix fois celui du suicide (× 5 chez les hommes et × 25 chez les femmes).

Tableau IV

Taux standardisés(1) d’hospitalisation pour tentative de suicide en France métropolitaine de 2004 à 2007 selon le sexe (pour 100 000 habitants)

Tableau IV
2004 2005 2006 2007 Hommes 121,9 120,4 117,1 136,1 Femmes 211,6 208,3 197,8 228,7 Ensemble 168,3 165,9 158,8 184,0 (1) Standardisation directe selon la structure de l’âge de la population française en 1999.

Taux standardisés(1) d’hospitalisation pour tentative de suicide en France métropolitaine de 2004 à 2007 selon le sexe (pour 100 000 habitants)

29Les taux bruts d’hospitalisation pour TS sont présentés selon le sexe et l’âge dans la figure 1. Chez les femmes, avant 15 ans, les taux pour 100 000 étaient autour de 140 avant de connaître un pic avoisinant 430 chez les adolescentes de 15-19 ans. Ils diminuaient ensuite progressivement jusqu’à la classe des 25-29 ans avant de remonter jusqu’à environ 310 chez les 40?49 ans pour redescendre progressivement avec l’âge.

Figure 1

Taux d’hospitalisation pour tentative de suicide par sexe et classe d’âge en France métropolitaine, 2004-2007

Figure 1

Taux d’hospitalisation pour tentative de suicide par sexe et classe d’âge en France métropolitaine, 2004-2007

30Chez les hommes, les taux de séjours hospitaliers pour TS augmentaient avec l’âge pour atteindre un maximum de 210 pour 100 000 chez les 35-39 ans, puis redescendre progressivement. On note cependant une remontée des taux au-delà de 75 ans venant dépasser légèrement ceux des femmes.

31Cette prépondérance des taux féminins dans les TS est retrouvée dans la littérature internationale [31]. La comparaison avec les données d’hospitalisation en Irlande et au Canada montre une même allure de la courbe selon le sexe et l’âge avec un pic important à 15-19 ans chez les femmes et un taux masculin dépassant le taux féminin aux âges extrêmes [32-34] tandis qu’en Angleterre, le pic est retrouvé chez les femmes de 16-24 ans [35].

32L’utilisation des données d’Oscour enregistrant les passages dans les services d’urgence hospitaliers a permis d’estimer que 63,2 % des passages aux urgences pour TS en 2007 avaient débouché sur une hospitalisation (17,2 % en psychiatrie et 45,9 % dans des unités médicales ou chirurgicales). Le transfert en unités médicales ou chirurgicales a concerné 41,7 % des passages aux urgences pour TS parmi les hommes et 46,4 % parmi les femmes. Cette information, couplée aux données d’hospitalisation pour TS issues du PMSI-MCO, a permis d’estimer le nombre total de recours aux urgences hospitalières pour TS avec ou sans hospitalisation en 2007 à 219 814 [IC à 95 % : 200 948-243 257] répartis en 83 550 [74 707-95 069] recours masculins et 136 264 [126 242-148 189] recours féminins.

Des bases de l’assurance maladie : ALD et remboursements de psychotropes

33Les pathologies psychiatriques graves (ALD23) sont classées au quatrième rang de l’ensemble des ALD après les maladies cardiovasculaires, les tumeurs et le diabète [27]. Pour les trois principaux régimes d’assurance maladie, le tableau V montre l’évolution pour les années 2005 à 2007 du nombre d’ALD23 et de leur taux pour 100 000 habitants ainsi que celle du nombre et du taux des nouvelles admissions en ALD23 pour la même période.

Tableau V

Nombre d’ALD et taux standardisé(1) d’ALD pour 100 000 habitants, nombre et taux standardisé d’admissions en ALD pour 100 000 habitants par sexe en France entière, 2005-2007

Tableau V
Nombre et taux standardisé d’ALD Nombre et taux standardisé d’admissions en ALD 2005 2006 2007 2005 2006 2007 Hommes ALD23 449 217 1 470,8 451 876 1 468,1 467 801 1 506,5 45 143 148,9 42 702 138,7 47 766 154,4 Schizophrénie 75 228 251,0 76 135 252,8 77 925 257,2 4 699 16,1 3 618 12,3 3 901 13,2 Troubles psychotiques autres 63 806 209,5 64 883 211,5 67 333 217,7 6 110 20,4 4 931 16,2 5 469 18,0 Troubles de la personnalité 90 983 295,2 86 016 276,8 86 007 274,3 8 460 28,0 7 013 23,0 8 417 27,4 Troubles dépressifs 45 422 140,8 47 746 145,8 51 542 154,9 7 543 23,6 9 331 28,6 10 663 32,4 Troubles bipolaires 29 603 93,0 31 108 96,6 33 356 102,5 3 113 10,0 2 949 9,4 3 295 10,5 Tb envahissants du développement 15 484 52,7 17 035 57,8 19 184 64,9 2 064 7,1 2 612 9,0 2 972 10,2 Troubles mentaux et de comportement dus à l’utilisation d’alcool et de toxiques 28 561 91,7 29 067 92,5 30 314 95,4 5 768 18,8 5 673 18,3 6 324 20,3 Troubles anxieux 23 434 73,3 21 966 67,7 21 357 64,9 1 632 5,2 1 397 4,4 1 548 4,9 Retard mental 54 422 179,7 55 038 180,7 57 249 186,6 3 115 10,6 2 900 9,8 2 956 9,9 Femmes ALD23 554 061 1 671,5 556 445 1 657,4 574 217 1 688,9 48 655 146,9 49 421 146,6 55 376 163,0 Schizophrénie 45 089 137,1 45 022 135,9 45 534 136,1 1 984 6,2 1 564 4,9 1 671 5,2 Troubles psychotiques autres 75 234 224,5 75 602 223,2 77 366 225,8 5 501 16,7 4 793 14,3 5 232 15,4 Troubles de la personnalité 117 167 349,9 111 389 328,9 111 441 325,4 8 836 27,0 7 365 22,1 8 501 25,3 Troubles dépressifs 111 205 323,7 118 240 339,1 128 773 364,0 17 029 49,9 20 950 60,3 24 120 68,9 Troubles bipolaires 58 469 172,4 61 093 178,1 65 186 188,0 5 063 15,2 4 688 13,9 5 405 16,0 Tb envahissants du développement 6 886 22,0 7 171 22,8 7 718 24,5 648 2,1 830 2,7 870 2,8 Troubles mentaux et de comportement dus l’utili sation d’alcool et de toxiques 11 309 33,7 11 634 34,3 12 065 35,1 2 010 6,1 1 995 6,0 2 222 6,6 Troubles anxieux 58 548 170,7 55 048 158,2 53 116 150,4 2 804 8,3 2 634 7,8 2 591 7,5 Retard mental 47 366 145,7 47 848 146,3 49 061 148,9 2 202 7,0 2 115 6,7 2 201 6,9 (1)Standardisation sur la population France entière 1999.

Nombre d’ALD et taux standardisé(1) d’ALD pour 100 000 habitants, nombre et taux standardisé d’admissions en ALD pour 100 000 habitants par sexe en France entière, 2005-2007

34Chez les hommes, de 2005 à 2007, le nombre d’ALD23 est passé de 449 217 à 467 801 et le taux standardisé de 1 471 à 1 507 pour 100 000 hommes (+ 2,4 %). Une augmentation moins importante (+ 1,0 %) a été observée chez les femmes : 554 061 ALD23 en 2005 et 574 217 en 2007 donnant un taux standardisé respectif de 1 672 et de 1 689 pour 100 000 femmes.

35Chez les hommes, les troubles de la personnalité constituaient la plus fréquente cause d’ALD23 suivis de la schizophrénie et des autres troubles psychotiques. Chez les femmes, depuis 2006, les troubles dépressifs contribuent le plus aux ALD suivis des troubles de la personnalité et des troubles psychotiques autres que la schizophrénie.

36Les nouvelles admissions en ALD23 ont augmenté de 3,7 % chez les hommes (149 pour 100 000 hommes en 2005 et 154 en 2007) et de 10,9 % chez les femmes (147 pour 100 000 femmes en 2005 et 163 en 2007). Chez l’homme depuis 2006 comme chez la femme, les troubles dépressifs représentent le premier motif d’admission en ALD23 suivis des troubles de la personnalité.

37Une surveillance spécifique de la prescription de psychotropes dans la population des personnes âgées de 65 ans et plus a été mise en place au sein d’un groupe de coopération réuni à la Haute Autorité de Santé [4]. L’analyse des données de remboursement des psychotropes par les trois principaux régimes d’assurance maladie a permis d’établir qu’entre 2007 et 2009, chaque année, un tiers de la population âgée d’au moins 65 ans et près de 40 % à partir de 85 ans se voyaient prescrire des hypnotiques ou des anxiolytiques. S’agissant des antidépresseurs, 13 % des 65 ans et plus et 18 % des 85 ans et plus en ont consommé régulièrement (au moins 3 prescriptions dans l’année). Ces données étaient proches de celles publiées en 2000 par l’assurance maladie [36].

38La comparaison de l’évolution entre 1998 et 2002 de la consommation d’antidépresseurs a été effectuée par l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé pour la France métropolitaine, la Grande Bretagne et l’Allemagne en utilisant les données de vente hospitalière et ambulatoire, et en les rapportant aux doses définies journalières (DDJ) [37]. Ainsi en 2002, la DDJ/ 1 000 habitants par an d’antidépresseurs était de 18 479 pour la Grande Bretagne, 16 490 pour la France et 8 188 pour l’Allemagne. De plus, entre 1998 et 2002, la consommation d’antidépresseurs a connu une augmentation constante dans les trois pays (×1,7 en Allemagne, ×1,5 en Grande Bretagne et ×1,3 en France).

Discussion et perspectives

39La surveillance de la santé mentale au travers d’enquêtes répétées ou longitudinales reste encore à développer en France. Une des difficultés à laquelle est confrontée l’épidémiologie psychiatrique dans notre pays est actuellement le manque de consensus sur les méthodologies et les instruments de mesure des troubles selon les populations auxquelles on veut s’adresser et les troubles que l’on veut mesurer. En effet, la plupart des outils d’enquêtes disponibles, validés et utilisés internationalement (donc permettant des comparaisons) est basée sur l’approche syndromique des maladies mentales qui est le modèle retenu par les classifications DSM et CIM. Or, cette nosographie fait l’objet d’une controverse [38]. En France, il existe une certaine opposition à ne recourir qu’à ce modèle de représentation des affections psychiques, par exemple les praticiens français ont développé une classification alternative pour les troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent (CFTMEA) faisant davantage référence à la théorie psychanalytique en analysant les symptômes dans un contexte de fonctionnement psychique dynamique.

40Par ailleurs, l’interprétation des prévalences des troubles doit prendre en compte le caractère déclaratif des enquêtes et la signification clinique du trouble repéré n’est pas toujours évaluable, la présence d’un trouble ou de symptômes n’impliquant pas forcément un besoin de soins.

41Ces réserves étant faites, l’utilisation des mêmes méthodes et outils diagnostiques lors d’enquêtes répétées de santé mentale avec recueil des déterminants sociaux, professionnels et de recours aux soins permet une surveillance temporelle de la prévalence de chacun des troubles globalement et au sein des différentes sous-populations. Une illustration en est le Baromètre santé qui a étudié la prévalence de l’EDC en 2005 et 2010. Bien que la prévalence globale n’ait pas évolué, des différences semblent apparaître dans les classes d’âge actives, en particulier chez les hommes de 35 à 54 ans. Une analyse des déterminants socioéconomiques semble importante à effectuer afin de mieux caractériser ces évolutions.

42Il n’existe pas à l’heure actuelle de surveillance pérenne des troubles psychopathologiques dans les populations d’enfants et d’adolescents bien que les quelques données françaises concordent avec les données d’enquêtes internationales pour estimer que le taux des enfants d’âge scolaire souffrant de troubles émotionnels et comportementaux se situerait autour de 12 % [39]. Les grandes enquêtes actuelles ne comprennent pas de module consacré à la santé mentale hormis la vague 2003 du cycle triennal chez les adolescents de la classe de Troisième qui a donné lieu à la passation d’un questionnaire sur l’EDC. La répétition d’un même questionnaire dans la prochaine vague pourrait constituer un début de surveillance dans cette population.

43La surveillance des pathologies psychotiques et bipolaires est difficilement réalisable par le biais de grandes enquêtes répétées en population et nécessite des techniques d’enquêtes particulières dites de basse prévalence [40]. De plus, leur mesure impliquant l’adhésion de sujets souvent réfractaires à être inclus dans des études, ainsi que la nécessité d’entretiens de plusieurs heures par des cliniciens font que les enquêtes incluant ces pathologies sont très onéreuses et difficiles à mettre en œuvre en population générale. Il semble plus adapté de les développer au sein de populations ciblées où la prévalence de ces troubles est élevée, comme cela a été réalisé chez les sans domicile et chez les détenus. Ces premières enquêtes dont nous avons rapporté les résultats devront être répétées de façon régulière afin d’assurer une surveillance des pathologies psychiatriques dans ces populations.

44Malgré les limites dues à la finalité initiale de gestion de ressources des bases médico-administratives, ces sources sont essentielles au suivi des indicateurs de recours aux soins comme nous l’avons illustré dans les résultats, mais nécessitent d’être reliées entre elles et d’être améliorées. Par exemple les données actuelles sur les TS ne concernent que les hospitalisations en médecine ou chirurgie. Nous avons montré que l’intégration des données de passage aux urgences du dispositif Oscour multiplie par deux le nombre de TS ayant recours à l’hôpital et que 26 % des hospitalisations se font en psychiatrie. De fait, l’intégration des données du RIM-psy, si elles sont correctement renseignées, améliorera la quantification des hospitalisations pour TS et précisera le parcours de soins. Elle renseignera aussi sur les cormorbidités psychiatriques, la fréquence des récidives et les caractéristiques associées.

45De plus, la perspective de l’intégration des différentes bases d’hospitalisation dans l’EGB à court terme permettra d’assembler des données dispersées et mieux décrire les parcours de soins. De même, une amélioration notable serait l’introduction de la base des causes médicales de décès dans l’EGB car elle permettrait le suivi longitudinal des patients jusqu’au décès. Enfin la possibilité d’utiliser un identifiant commun issu du numéro de sécurité sociale pour le croisement des données d’enquêtes avec celles des bases médico-administratives améliorerait la qualité des données sur les pathologies en mettant en regard les données déclaratives d’enquête avec des données de consommation de soins et d’hospitalisation éventuelle.

Conclusion

46En France, les pathologies mentales présentent une morbidité et une mortalité importantes et nécessitent donc la consolidation du système de surveillance actuel. En l’absence de source de données autosuffisante, il apparaît indispensable de développer un système d’information multi-sources. C’est la confrontation de sources de données complémentaires qui permettra d’avoir une vision d’ensemble afin d’orienter la recherche et de cibler les populations vers lesquelles des actions de prévention doivent être dirigées en priorité.

47Aucun conflit d’intérêt déclaré

Remerciements

Nous tenons à remercier les trois régimes d’assurance maladie, la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (Cnam-TS), la Mutualité Sociale Agricole (MSA) et le Régime Social des Indépendants (RSI) de nous avoir transmis les données d’ALD et permis de les utiliser pour cette présente analyse.

Notes

Français

Résumé

L’objectif de la surveillance est d’aider à la planification, à l’information et à la prévention. Elle est basée sur la collecte répétée de données au travers d’enquêtes épidémiologiques et sur le suivi de données issues de bases médico-administratives. Cet article présente un état des lieux de la surveillance de la santé mentale en France, examine la pertinence et les limites des données recueillies. En population générale, la prévalence de l’épisode dépressif caractérisé (EDC) a été explorée dans sept enquêtes parmi lesquelles les Baromètres santé permettent un suivi à cinq ans d’intervalle. Les données de mortalité et d’hospitalisation permettent une surveillance des suicides et des tentatives de suicide (TS). Les bases de l’assurance maladie renseignent sur la consommation de psychotropes et les mises sous affection de longue durée pour pathologies psychiatriques graves (ALD23). La prévalence sur un an de l’EDC est restée stable à 7,8 % entre 2005 et 2010. Les données de mortalité montrent un taux de suicide de 16 pour 100 000 habitants. L’exploitation des données hospitalières montre que le taux d’hospitalisation pour TS est environ dix fois celui du suicide. Les données de recours aux urgences estiment à environ 220 000 annuels le nombre de TS ayant recours aux urgences. Actuellement, la dépression représente le premier motif de nouvelles admissions en ALD23. C’est la confrontation de sources de données complémentaires qui permet d’assurer une surveillance de la santé mentale en France et de cibler les populations vers lesquelles des actions de prévention doivent être dirigées en priorité.

Mots-clés

  • enquêtes épidémiologiques
  • morbidité hospitalière
  • mortalité
  • prévalence
  • psychotropes
  • suicide

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Mis en ligne sur Cairn.info le 09/02/2012
https://doi.org/10.3917/spub.110.0011
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