Introduction
1Le sport est souvent associé à des valeurs positives en termes de santé et de bien-être physique, psychologique et social [1, 11, 19], de sorte que, en France comme ailleurs, de nombreuses actions de prévention l’ont présenté comme une alternative à l’usage de drogues. En effet, diverses enquêtes épidémiologiques récentes suggèrent que la pratique sportive pourrait avoir un « effet protecteur » contre la consommation de tabac, d’alcool et de drogues [16, 17]. Toutefois, d’autres recherches parviennent à des conclusions plus nuancées, en distinguant le type de substance consommée [24], le type de pratique sportive considérée [8], tandis qu’une autre étude observe une part importante d’anciens sportifs de haut niveau parmi les patients suivis dans des centres de soins pour toxicomanes [15].
2La disparité des résultats obtenus tient donc pour une part à l’hétérogénéité des pratiques observées, qui vont du simple exercice physique, seul ou entre amis, à la compétition de haut niveau. Cette disparité pointe la nécessité de mieux définir la pratique sportive en tenant compte de plusieurs paramètres (discipline pratiquée, niveau de compétition, contexte de la pratique) et en contrôlant des facteurs tels que l’âge et le sexe [9, 20, 23]. Si un nombre croissant d’enquêtes vise à étudier les consommations de tabac, d’alcool et de cannabis en population générale, ces usages restent relativement peu explorés sur des jeunes compétiteurs caractérisés par une activité intensive.
3Dans ce contexte, l’Observatoire Régional de la Santé de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), en partenariat avec la Direction Régionale et Départementale de la Jeunesse et des Sports PACA et l’Institut National du Sport et de l’Éducation Physique, a réalisé en 2002-2003 une enquête auprès des sportifs âgés de 16 à 24 ans inscrits dans les pôles France et Espoirs de la région PACA ou présents lors des stages régionaux organisés par les ligues. Les principaux objectifs de cette enquête étaient de quantifier leurs consommations de tabac, d’alcool et de cannabis, et d’identifier les facteurs associés à ces usages.
Données et méthode
Population
4L’étude concernait deux groupes de sportifs âgés de 16 à 24 ans. Le premier était composé d’athlètes inscrits dans l’un des 45 pôles France et Espoirs de la région PACA. Les pôles sont des structures d’entraînement et de formation réservées aux sportifs inscrits sur les trois listes reconnues par le Ministère de la jeunesse et des sports : haut niveau, espoirs, partenaires d’entraînement. Cinq pôles ont été exclus car ils s’adressaient à des sportifs de plus de 24 ans (1 pôle d’aéronautique), ou de moins de 16 ans (1 pôle de gymnastique, 2 pôles de basket-ball et 1 pôle de tennis). Le second groupe était formé de jeunes sportifs pratiquant une discipline regroupant plus de 5 000 licenciés (seuil fixé afin de limiter le nombre de sportifs à interroger [5]), repérés sur leur potentiel ou leurs résultats au niveau régional, non inscrits dans les pôles, et regroupés lors des stages organisés par les ligues durant l’année 2002-2003. Parmi les 28 disciplines sélectionnées dans ce groupe, 16 ont été enquêtées, 8 n’avaient pas de stage régional pendant la période de l’enquête, 2 regroupaient des sportifs âgés de moins de 16 ans et 2 ne correspondaient pas à la population visée en terme de pratique intensive. Au total, pour les deux populations, 34 disciplines sont concernées.
Recueil des données
5Les données ont été recueillies de février 2002 à avril 2003 à l’aide d’un questionnaire anonyme auto-administré complété avant ou après un entraînement sous la supervision d’un enquêteur professionnel. Celui-ci insistait sur le caractère anonyme de l’enquête et précisait que les données ne seraient pas analysées par discipline. Les sportifs étaient ensuite dispersés dans la salle ou sur le terrain d’entraînement afin de compléter le questionnaire seul. Les données remplies étaient déposées dans une urne pour garantir la confidentialité des réponses. Le questionnaire portait sur les caractéristiques socio-démographiques des participants (sexe, âge), leur pratique sportive (discipline, niveau, durée hebdomadaire de pratique), leurs sorties au cours des 30 derniers jours (avec ou sans l’entourage sportif), leurs troubles psychologiques éventuels et le soutien familial disponible (pouvoir compter sur sa famille en cas de difficultés morales). Concernant les consommations de tabac, d’alcool et de cannabis, sept indicateurs ont été retenus :
- usage de tabac : usage occasionnel ou quotidien (fumer, au moment de l’enquête, au moins 1 cigarette de temps en temps), usage quotidien (fumer au moins 1 cigarette par jour) et usage élevé (fumer au moins 10 cigarettes par jour) ;
- usage d’alcool : usage occasionnel (avoir consommé de l’alcool au moins 1 fois dans le mois), usage répété (avoir consommé de l’alcool au moins 3 fois dans le mois) et usage régulier (avoir consommé de l’alcool au moins 10 fois dans le mois) ;
- usage occasionnel de cannabis : avoir consommé du cannabis au moins une fois dans l’année.
Analyses statistiques
6Les caractéristiques sportives et non sportives des filles et des garçons, ainsi que leurs usages respectifs de produits psychoactifs, ont été comparés à l’aide de tests d’indépendance (?2 de Pearson). Ensuite, les facteurs associés au tabagisme, aux consommations d’alcool et de cannabis ont été étudiés à l’aide de huit régressions logistiques multiples, avec sélection des variables explicatives pas à pas ascendante (seuil d’introduction : p = 0,15 ; seuil d’élimination : p = 0,10, test du ratio de vraisemblance). Les six premières régressions ont été faites séparément chez les filles et chez les garçons et les variables expliquées étaient les suivantes :
- fumer au moment de l’enquête au moins 1 cigarette de temps en temps versus ne pas fumer ;
- avoir consommé de l’alcool au moins 1 fois dans le mois versus jamais ;
- avoir consommé du cannabis au moins 1 fois dans l’année versus jamais. Les deux dernières régressions s’intéressent à des usages de tabac et d’alcool plus fréquents en excluant des analyses les « non consommateurs ». Dans ces deux modèles, les variables expliquées étaient :
- fumer au moins 1 cigarette par jour versus fumer 1 cigarette de temps en temps ;
- avoir consommé de l’alcool au moins trois fois dans le mois versus de 1 à 2 fois. Le test de Hosmer-Lemeshow a été utilisé pour valider l’adéquation des modèles. Les interactions de premier ordre ont été testées [13]. Les analyses ont été effectuées avec le logiciel SPSS 11.0®.
Résultats
Caractéristiques sportives et non sportives des jeunes interrogés
7Sur 1 028 sujets éligibles, 839 ont complété le questionnaire (82 %), 179 (21 %) étaient absents ou injoignables (la plupart du fait d’un déplacement pour une rencontre ou en compétition) et 10 (1 %) ont refusé de participer à l’étude. Deux questionnaires ont été exclus des analyses car ils étaient incomplets. L’analyse porte finalement sur 837 sportifs dont 319 filles (38,1 %) et 518 garçons (61,9 %), d’une moyenne d’âge de 17,9 ans (tableau I). Les garçons sont plus souvent inscrits dans les pôles et ils pratiquent plus fréquemment des disciplines collectives. Parmi les jeunes interrogés, 63,1 % ont déclaré pratiquer plus de 8 heures de sport par semaine et 69,5 % des participants ont déclaré un niveau de compétition national ou international. Les sorties sans l’entourage sportif et l’absence d’un soutien familial (pouvoir compter sur sa famille en cas de difficultés morales) sont plus fréquents parmi les filles, pour lesquelles le score de détresse psychologique est également plus élevé.
Caractéristiques sportives et non sportives des jeunes des pôles et des stages des ligues, PACA 2002-2003 (% en colonnes)

Caractéristiques sportives et non sportives des jeunes des pôles et des stages des ligues, PACA 2002-2003 (% en colonnes)
Facteurs associés à la consommation de tabac, d’alcool et de cannabis
8Le tabagisme s’avère plutôt féminin, mais l’écart avec les garçons se réduit à mesure que le niveau d’usage considéré s’élève. L’usage d’alcool est significativement plus masculin quel que soit le seuil choisi. L’usage de cannabis est similaire pour les deux sexes (tableau II).
Consommations de tabac, d’alcool et de cannabis chez les sportifs, PACA 2002-2003 (% en colonnes)

Consommations de tabac, d’alcool et de cannabis chez les sportifs, PACA 2002-2003 (% en colonnes)
9Les résultats des régressions logistiques montrent une association significative entre l’âge et la consommation d’alcool, aussi bien chez les garçons que chez les filles (tableau III). Pour les deux sexes, une fois l’effet de l’âge contrôlé, les différents usages s’avèrent indépendants du type d’encadrement (pôles et stages des ligues). La pratique intensive (au moins 16 heures par semaine) est corrélée négativement au tabagisme et à l’usage occasionnel de cannabis chez les filles, mais positivement au tabagisme chez les garçons. La pratique de la compétition à un niveau international ou olympique est associée à un usage de tabac plus fréquent chez les filles et la pratique d’une discipline collective est corrélée au tabagisme chez les garçons. L’absence de soutien familial et un score de détresse psychologique plus élevé sont aussi des facteurs associés aux usages de substances psychoactives (uniquement chez les garçons pour le premier). Enfin, l’effet de la sociabilité est significatif pour les consommations de tabac et de cannabis chez les filles et l’usage d’alcool chez les garçons (tableau III).
Facteurs associés à la consommation de tabac, d’alcool et de cannabis, régressions logistiques multiples – PACA 2002-2003 (Odds ratios [IC à 90 %], n = 837)

Facteurs associés à la consommation de tabac, d’alcool et de cannabis, régressions logistiques multiples – PACA 2002-2003 (Odds ratios [IC à 90 %], n = 837)
10Lorsque les analyses sont effectuées parmi les fumeurs ou les consommateurs d’alcool, en ajustant les modèles sur l’âge et le sexe, les facteurs relatifs à la pratique sportive s’avèrent non corrélés avec le tabagisme quotidien et la pratique d’une discipline collective devient associée à la consommation d’alcool (au moins trois fois par mois) (tableau IV). Les sorties avec l’entourage sportif sont corrélées négativement avec le tabagisme quotidien, tandis que celles avec l’entourage non-sportif sont associées à la consommation d’alcool.
Facteurs associés à la consommation de tabac et d’alcool parmi les consommateurs, régressions logistiques multiples – PACA 2002-2003 (Odds ratios [IC à 90 %])

Facteurs associés à la consommation de tabac et d’alcool parmi les consommateurs, régressions logistiques multiples – PACA 2002-2003 (Odds ratios [IC à 90 %])
Discussion
11Avant de discuter nos résultats, rappelons que l’échantillon de cette étude ne représente pas l’ensemble des jeunes sportifs inscrits dans les pôles France et Espoirs ou présents lors des stages organisés par les ligues à l’échelle nationale. Néanmoins, les jeunes sportifs recrutés dans les pôles sont originaires de l’ensemble des régions françaises. Très peu de refus ont été enregistrés et le taux de participation est élevé. Les motifs d’absence au moment de l’enquête sont liés aux déplacements en compétition pour l’essentiel. On ne peut donc exclure que ces sportifs aient un niveau de pratique plus élevé. Par ailleurs, une étude ciblée sur les sportifs de haut niveau a montré que leurs usages de tabac, d’alcool et de cannabis sont largement inférieurs à ceux déclarés par la population générale au même âge et sur la même aire géographique [21].
12Du point de vue des caractéristiques sportives, les relations observées entre la pratique sportive et les usages des substances psychoactives les plus courantes sont contrastées. La divergence observée entre les deux sexes pour la relation entre durée de pratique hebdomadaire et tabagisme reste à expliquer, mais résulte peut-être d’une disparité entre filles et garçons du point de vue des disciplines pratiquées. La relation entre la pratique hebdomadaire et l’usage de tabac disparaît lorsque les analyses sont effectuées en excluant les « non consommateurs » de tabac. La pratique au niveau international ou olympique s’avère associée au tabagisme chez les filles. Cette relation entre niveau de compétition et usage de drogues a déjà été observée chez des jeunes en population générale [2]. Il est possible que nos résultats révèlent une instrumentalisation sexuellement différenciée des drogues dites « récréatives » : les jeunes sportifs pourraient utiliser de telles drogues pour lutter contre le stress et la pression avant les compétitions, sachant que de précédentes études suggèrent que pour gérer des difficultés psychologiques les filles préfèrent le tabac [22], tandis que les garçons opteraient plutôt pour l’alcool [12]. Dans cette perspective, les drogues récréatives pourraient être utilisées comme des dopants (l’alcool ayant déjà été par le passé utilisé comme dopant, dans certaines disciplines comme le cyclisme, la boxe, ou le tennis… [14]). Enfin, les sports collectifs sont plus souvent que les sports individuels associés à des usages de tabac chez les garçons et à des usages d’alcool plus fréquents parmi ceux qui en ont consommé au cours du dernier mois. Cette relation est souvent interprétée en rapport avec la sociabilité propre à certaines disciplines (la fameuse « troisième mi-temps » courante dans certains sports collectifs) [7]. Les comparaisons réalisées entre des sportifs de haut niveau et des jeunes de la population générale ne devraient donc pas se limiter aux usages de substances psychoactives, mais aussi explorer les motivations des uns et des autres.
13S’agissant des caractéristiques non sportives, l’effet de l’âge sur les consommations est positif, hormis pour l’usage de cannabis : dans la mesure où les jeunes interrogés ont de 16 à 24 ans, ce résultat suit celui des études longitudinales qui soulignent le caractère transitoire de cette dernière pratique, dont la prévalence augmente rapidement avec l’âge à l’adolescence, avant de se stabiliser puis de diminuer au passage à l’âge adulte [18]. L’absence perçue de soutien familial (surtout chez les garçons) ainsi que les difficultés psychologiques s’avèrent être de bons indicateurs des consommations. Enfin, comme en population générale, le rôle des pairs (et en particulier ici des pairs non sportifs) se vérifie pour l’usage des substances qui s’inscrivent généralement dans un contexte festif (alcool et cannabis) [6].
14Les relations observées entre les caractéristiques sportives et non sportives des enquêtés et leurs usages des substances psychoactives les plus courantes sont donc contrastées. Les différences notées entre les filles et les garçons montrent la nécessité de les distinguer dans l’analyse. De plus, il serait souhaitable que les actions de prévention développées en direction des jeunes sportifs prennent en compte la spécificité des sportifs ayant une pratique intensive, dont les motivations pour l’usage de produits psychoactifs dits « récréatifs » peuvent différer de celles de la population générale.
15FINANCEMENT
16Cette enquête a été financée par le Conseil Régional PACA et par la Direction Régionale et Départementale de la Jeunesse et des Sports de la région PACA.
REMERCIEMENTS
Nous remercions les présidents de ligue de la région PACA, le directeur du CREPS PACA et les directeurs des sites d’Aix-en-Provence, d’Antibes et de Boulouris, les responsables des pôles France et Espoirs, les cadres techniques et les entraîneurs qui ont apporté leur soutien à cette enquête, ainsi que les sportifs qui ont répondu aux enquêteurs.Notes
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[1]
Observatoire Régional de la Santé PACA-INSERM U379, 23, rue Stanislas Torrents, 13006 Marseille, France.
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[2]
Direction Régionale et Départementale de la Jeunesse et des Sports (DRDJS PACA), Marseille, France.
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[3]
Centre Régional d’Éducation Populaire et de Sports, Aix-en-Provence, France.
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[4]
Institut National du Sport et de l’Éducation Physique (INSEP), Paris, France.
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[5]
Une variété importante de disciplines était représentée en région PACA. Afin de limiter les coûts de déplacements pour recueillir les questionnaires un seuil a été fixé sur le nombre de licenciés.