Introduction
1La prise en charge de la crise suicidaire constitue un enjeu essentiel dans la prévention des tentatives de suicide (TS) et du suicide, une priorité affirmée au plan national ainsi qu’en région, notamment en Provence-Alpes-Côte d’Azur au travers du Programme Régional de Santé des Jeunes (PRS-J). Dix à quarante pour-cent des jeunes suicidants récidivent, dont la moitié dans l’année suivant la TS [6, 15, 16, 19, 21, 22]. Laurent et al. ont observé, dans une étude prospective, que le risque de décès était 7 fois plus élevé chez les jeunes suicidants que dans la population générale de même âge [23].
2Près de 90 % des jeunes suicidants entrant en contact avec le système de soins passent par les urgences hospitalières [11]. Les services d’urgences (SU) et les établissements constituent donc un maillon fondamental dans la chaîne de prise en charge qui s’instaure lorsqu’un suicidant entre en contact avec le système de soins. Un groupe de professionnels, réuni sous l’égide de l’Agence Nationale d’Accréditation et d’Évaluation en Santé (ANAES), a établi des recommandations pour la prise en charge hospitalière des adolescents après une TS [2].
3Cet article présente les résultats d’une enquête effectuée en région Provence-Alpes-Côte d’Azur de février à juin 2002 pour évaluer l’adéquation entre ces recommandations et les pratiques de prise en charge des jeunes suicidants accueillis au sein des établissements hospitaliers habilités à accueillir des urgences. Elle s’est déroulée simultanément avec un audit clinique de l’ANAES portant sur les TS admises aux urgences hospitalières, quel que soit l’âge.
Méthode
4Dix-huit établissements hospitaliers volontaires sur les 50 habilités à accueillir des urgences en région Paca ont participé à l’enquête. Ces 18 établissements représentaient, en 2001, 45 % de l’activité d’accueil des SU hospitaliers dans cette région et se répartissaient selon trois types de SU :
5– 6 Services d’Accueil des Urgences (SAU) sur les 8 présents dans la région (72 % de l’activité totale des SAU de la région) : ils disposent d’un plateau technique permettant d’accueillir tous types d’urgences ;
6– 2 POles Spécialisés d’Urgences (POSU) sur 3 (62 % de l’activité totale des POSU de la région) : en Provence-Alpes-Côte d’Azur, ils sont spécialisés dans l’accueil des urgences pédiatriques ;
7– 11 Unités de Proximité, d’Accueil, de Traitement et d’Orientation des Urgences (UPATOU) sur 39 (30 % de l’activité totale des UPATOU de la région) : ces services sont chargés d’accueillir les urgences et d’orienter celles que leur plateau technique ne permettrait pas de traiter vers les 2 types de SU précédents.
8Nous avons inclus les suicidants âgés de 11 à 25 ans admis de façon consécutive dans ces SU sur une période de 3 mois. Les patients décédés au cours de la prise en charge et ceux dont l’état clinique somatique ne permettait pas une prise en charge psychiatrique (par exemple, poly-traumatisme) étaient exclus de l’enquête. Pour chaque patient admis pour TS, un questionnaire a été complété par un professionnel de soins référent (médecin, psychiatre, infirmière) chargé de coordonner le recueil de données. Ce questionnaire anonyme portait sur :
- les caractéristiques individuelles des suicidants (sexe, catégorie d’âge, situation scolaire et/ou professionnelle, mode de vie, pathologie mentale) et les caractéristiques de la TS : moyen utilisé, récidive et gravité somatique évaluée avec l’échelle de Classification Clinique des Malades des Urgences (CCMU) [8] ;
- les modalités de la prise en charge évaluées selon les 16 critères définis par l’ANAES [2] ; ces critères concernent la prise en charge initiale aux urgences, la prise en charge hospitalière, la coordination des soins et la préparation à la sortie du patient suicidant.
Résultats
Caractéristiques de l’échantillon
9Au total, 393 cas de TS ont été observés sur la période d’étude ; 2 patients ont été admis deux fois. Deux questionnaires ont été exclus car les informations concernant les caractéristiques individuelles du patient n’étaient pas renseignées. Les analyses qui suivent concernent 391 cas de TS consécutives. Les SAU ont accueilli près d’un jeune suicidant sur deux (48,8 %), les UPATOU plus d’un sur trois (38,6 %) et les POSU 12,5 %.
10L’échantillon comportait une majorité de filles (tableau I). Celles-ci étaient 4,2 fois plus nombreuses que les garçons entre 11 et 16 ans et 2,5 fois entre 18 et 25 ans (p = 0,03). La majorité des TS n’engageait pas le pronostic vital (classes I à III de la CCMU). Une pathologie mentale a été diagnostiquée chez 206 patients (52,7 %). Un suicidant sur trois environ avait récidivé (34,8 %), un sur deux était scolarisé et environ 1 sur 3 ne vivait pas avec ses parents. L’intoxication médicamenteuse était le moyen le plus utilisé pour la TS, suivie de l’utilisation d’un instrument tranchant, les autres moyens étant bien moins fréquents. Seuls quatre patients sur dix ont été pris en charge plus de 24 heures (39,6 %) et un sur dix est sorti contre avis médical (10,7 %).
Caractéristiques de l’échantillon et facteurs associés à la moindre réalisation des critères de prise en charge des jeunes suicidants (enquête en Provence- Alpes-Côte d’Azur, 2002)

Caractéristiques de l’échantillon et facteurs associés à la moindre réalisation des critères de prise en charge des jeunes suicidants (enquête en Provence- Alpes-Côte d’Azur, 2002)
Réalisation des critères de l’ANAES
11Concernant la prise en charge initiale (critères 1 à 4, tableau II), les critères étaient réalisés en moyenne dans 95,1 % des cas (86,6 % à 99,2 %). Concernant le déroulement de l’hospitalisation (critères 5 à 10), les critères étaient réalisés en moyenne dans 67,0 % des cas (58,9 % à 73,9 %). Enfin, les critères concernant la préparation à la sortie (11 à 15) et le suivi après la sortie (critère 16) étaient réalisés dans 52,7 % des cas en moyenne (25,7 % à 86,7 %).
Taux de réalisation des critères de prise en charge des jeunes suicidants (enquête en Provence-Alpes-Côte d’Azur, 2002)

Taux de réalisation des critères de prise en charge des jeunes suicidants (enquête en Provence-Alpes-Côte d’Azur, 2002)
Facteurs associés à la réalisation des critères de l’ANAES
12Le sexe, la gravité somatique de l’acte suicidaire, le nombre de récidives, le mode de vie, l’activité professionnelle et/ou scolaire et le moyen utilisé pour la TS n’étaient pas associés à la réalisation des critères (analyse multiple, tableau I). Une association à la limite de la signification a été observée entre l’âge et le score de réalisation des critères, ce dernier étant plus faible chez les adolescents les plus âgés (p = 0,07).
13Par ailleurs, la prise en charge en UPATOU, l’absence d’un diagnostic de pathologie mentale, une durée d’hospitalisation de moins de 24 heures et une sortie contre avis médical étaient très significativement associés à la moindre réalisation des critères.
Discussion
14Cette étude est la première évaluant les pratiques de prise en charge des jeunes suicidants dans des établissements hospitaliers en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Les proportions respectives de filles, d’intoxications médicamenteuses et de récidives de TS dans l’échantillon étaient similaires aux résultats publiés dans la littérature [1, 4, 5, 7, 9, 10, 12, 15, 18, 19, 20, 21]. La prévalence élevée des troubles mentaux chez les jeunes suicidants a été soulignée par plusieurs auteurs [3, 4, 7, 13, 14, 19, 28].
15Les recommandations de l’ANAES concernant la prise en charge hospitalière des jeunes suicidants s’articulent autour de plusieurs axes : initialisation rapide d’une évaluation psychiatrique, coordination de la prise en charge (celle-ci doit comporter une évaluation du risque de récidive et de l’environnement socio-familial du suicidant), préparation à la sortie et suivi après la prise en charge hospitalière.
16Nous avons observé que la prise en charge initiale (accueil aux urgences, entretien avec un psychiatre) était réalisée dans des conditions conformes aux recommandations de l’ANAES, dans la grande majorité des cas. Par contre, les critères concernant la prise en charge hospitalière étaient moins fréquemment réalisés : notamment, l’évaluation du risque de récidive n’a pas été effectuée dans 41,1 % des cas (tableau II). Cependant, une analyse de régression logistique multiple ciblée sur les facteurs associés à la non réalisation de ce critère a montré sa meilleure prise en compte lorsqu’une pathologie mentale était diagnostiquée (OR = 0,6 ; IC95 % = 0,4-0,9). Il est possible que la moindre réalisation de ce critère soit, en partie, liée au manque d’outils d’évaluation du risque suicidaire adaptés aux jeunes suicidants et à une utilisation par des omnipraticiens [2]. Un outil pour répondre à ces besoins, l’échelle de gravité des conduites suicidaires, a été développé et testé en France mais il concerne les adultes [17] et la question chez les jeunes reste entière [30].
17L’évaluation de l’environnement socio-familial était aussi moins fréquemment réalisée. Même si cette évaluation ne doit pas nécessairement être réalisée par un travailleur social selon l’ANAES, ce résultat est à rapprocher du faible recours aux travailleurs sociaux pour effectuer cette évaluation, observé dans l’étude Prémutam réalisée en 1995-97 auprès d’hôpitaux de plusieurs régions en France (Aquitaine, Bretagne, Midi-Pyrénées, Nord-Pas-de-Calais et Rhône-Alpes) [27].
18Les critères concernant la préparation à la sortie étaient les moins fréquemment réalisés. Ceci peut apparaître préoccupant car l’absence de préparation à la sortie favorise un manque de continuité dans la prise en charge. Il est en effet important d’établir des liens entre l’équipe hospitalière et les intervenants extérieurs afin d’accroître l’observance de la prise en charge mise en place à la suite de l’hospitalisation des suicidants [2, 24, 29].
19La réalisation de l’ensemble de ces critères étaient significativement associée à des facteurs de type structurel (le type d’établissement). La moindre réalisation des critères de prise en charge au sein des UPATOU peut s’expliquer par le fait que ces services ne disposent pas de moyens équivalents à ceux des POSU et SAU (présence continue d’un psychiatre par exemple). Elle peut aussi refléter un manque de formation des équipes soignantes de ces services concernant la prise en charge des jeunes suicidants.
20Des facteurs individuels étaient aussi fortement associés à la réalisation des critères. Le score de réalisation des critères était plus élevé chez les suicidants pour lesquels une pathologie mentale avait été diagnostiquée. La présence d’une pathologie mentale est un facteur de risque de comportement suicidaire et de récidive de TS. L’ANAES recommande ainsi une hospitalisation des jeunes suicidants chez lesquels une pathologie mentale a été diagnostiquée afin de renforcer leur prise en charge. Les résultats de notre étude suggèrent une meilleure prise en charge hospitalière de ces jeunes. Toutefois, l’absence d’association entre le score de réalisation des critères et la présence ou non d’une récidive chez les jeunes suicidants semble confirmer la prise en compte inadéquate de ce facteur de risque que nous soulignions plus haut. Ceci contraste avec le Programme Régional de Santé des Jeunes (PRS-J) de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur dont une des priorités est de prévenir les récidives de TS chez les jeunes suicidants.
21Une association à la limite de la signification a été observée entre l’âge et le score de réalisation des critères (p = 0,07), ceux-ci étant moins fréquemment réalisés chez les adolescents âgés de 18-25 ans. Ce résultat peut s’expliquer probablement par le fait que les adolescents les plus âgés représentent une population moins observante, un des principaux problèmes rencontré chez les jeunes suicidants : le pourcentage de sorties contre avis médical était significativement plus élevé chez les sujets les plus âgés (p < 10–3). La moindre adhésion des suicidants plus âgés à la prise en charge a été observée dans d’autres études [24]. En effet, ces derniers, contrairement aux plus jeunes (mineurs), sont moins enclins à suivre une thérapie ou moins à même de le faire parce que les « demandes » sociales ou celles liées au cursus scolaire ou au travail sont plus importantes que chez les plus jeunes adolescents [24]. Les adolescents plus âgés sont par ailleurs plus à même d’agir sur le cours de leur prise en charge. Les interactions avec leur environnement changent : les parents, les enseignants et les services sociaux peuvent être moins motivés et moins à même d’influer sur leur comportement que sur celui d’adolescents plus jeunes. Enfin, certains auteurs ont montré que l’attitude et le comportement des soignants peuvent avoir une influence sur l’adhésion des jeunes suicidants à la prise en charge. Des évaluations répétitives, des périodes d’attente trop longues et un manque de communication peuvent favoriser le développement d’attitudes négatives des patients à l’égard du système de soins. Les attentes vis-à-vis de la prise en charge peuvent être très différentes entre les patients et les soignants : ces derniers peuvent notamment ne pas attendre de changements significatifs avant plusieurs mois, contrairement aux patients. Ceci peut conduire à une perte de confiance des patients dans l’équipe de soins et à la perception, par les soignants, que les patients sont peu motivés pour le traitement [29].
22Enfin, le score de critères était d’autant plus faible que la durée de la prise en charge était courte ou que les jeunes suicidants étaient sortis contre avis médical, indépendamment des autres variables. Ce résultat a aussi été observé isolément pour la réalisation de l’évaluation socio-familiale et environnementale (critère 9) qui nécessite la mobilisation de l’entourage et la planification de rendez-vous.
23Dans notre étude, près d’un suicidant sur deux a quitté l’établissement moins de 24 heures après l’hospitalisation et un sur dix est sorti contre avis médical. Si le défaut d’adhésion des patients à une prise en charge en milieu hospitalier est flagrant en ce qui concerne les sorties contre avis médical, la fréquence des sorties précoces soulève la question d’un manque d’adhésion des soignants à la prise en charge hospitalière des jeunes suicidants [7, 24], malgré un accord professionnel pour la recommander [2]. Il est important de rappeler que celle-ci contribue à réduire le défaut d’observance de la suite des soins, le taux de récidives de TS et celui de suicides et qu’elle favorise une meilleure adaptation sociale [15, 19, 25, 26]. Mais pour être efficace, sa durée ne doit pas être trop courte, comme le recommande l’ANAES [2].
24Cette enquête ayant été réalisée simultanément avec un audit clinique de l’ANAES, la participation des établissements était basée sur le volontariat. L’audit clinique était assorti de l’engagement des établissements d’élaborer un plan d’amélioration des pratiques de prise en charge des suicidants. La démarche de ces établissements témoigne d’un investissement important vis-à-vis de ce problème de santé publique ce qui peut être lié à leur recrutement de suicidants et avoir un retentissement sur l’implication des équipes de soignants sur la prise en charge des suicidants. Les 18 établissements ayant participé à cette enquête représentaient près de la moitié de l’activité d’urgences hospitalières de la région : leur recrutement de patients suicidants est donc probablement plus important, en moyenne, que celui des 32 autres établissements habilités à recevoir des urgences. Un second volet d’enquête a été mis en œuvre auprès de ces derniers afin de vérifier si le nombre de jeunes suicidants accueillis et les modalités de leur prise en charge diffèrent ou non des caractéristiques des 18 établissements ayant participé à la présente enquête.
25Par ailleurs, les critères 5, 6, 12, 13 et 15 (tableau II) ont été moins bien renseignés, ce qui était lié à des durées d’hospitalisation courtes ou à des sorties contre avis médical. Une hospitalisation trop courte ajoute, à l’effet délétère sur le contenu de la prise en charge, celui d’une moindre « traçabilité » des pratiques.
Conclusion
26Les résultats de la présente enquête soulignent un certain nombre de points à améliorer dans la prise en charge des jeunes suicidants : moins de la moitié des jeunes suicidants ont bénéficié d’une prise en charge hospitalière de plus de 24 heures et, dans un nombre de cas non négligeable, la prise en charge n’a pas pu être réalisée dans des conditions satisfaisantes, tout particulièrement concernant la préparation à la sortie. Nos résultats indiquent que le risque de récidives n’était pas évalué de façon systématique ni pris en compte dans la prise en charge, alors qu’il s’agit d’une des priorités du PRS-J en Provence-Alpes-Côte d’Azur.
27L’amélioration de la prise en charge des jeunes suicidants lors d’un séjour en établissement hospitalier passe par la formation du personnel soignant et des programmes de sensibilisation des suicidants et de leurs proches sur la crise suicidaire chez l’adolescent et les moyens qu’il peut utiliser lors d’un comportement suicidaire. Divers programmes ont été testés avec un certain succès à l’étranger : des protocoles de rappel des patients non observants [29], la réalisation de films vidéo expliquant le comportement suicidaire chez l’adolescent et les principes de la prise en charge et la mise en place de thérapeutes de crise, joignables 24 heures sur 24, servant de lien entre le patient, sa famille, et les équipes soignantes intra et extra-hospitalières [24]. Un renforcement de l’organisation et des moyens est également nécessaire dans certains établissements.
REMERCIEMENTS
Cette étude a été réalisée dans le cadre du Programme Régional de Santé « Santé des enfants et des jeunes ». Les auteurs remercient les membres du comité de pilotage pour leur aide et leur soutien et les établissements qui ont participé à cette étude.Notes
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[1]
Observatoire Régional de la Santé Provence-Alpes-Côte d’Azur, 23, rue Stanislas Torrents, 13006 Marseille, France.
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[2]
INSERM Unité 379, 23, rue Stanislas Torrents, 13006 Marseille, France.
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[3]
Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales des Bouches-du-Rhône, Marseille (13).
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[4]
Direction Régionale des Affaires Sanitaires et Sociales Provence-Alpes-Côte d’Azur, Marseille (13).