CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Dictionnaire des inégalités Alain Bihr et Roland Pfefferkorn, Paris, Armand Colin, 2014, 448 p.

1 Pourquoi répertorier les inégalités ? Parce qu’à l’évidence, depuis la fin des Trente Glorieuses, elles se multiplient, en Europe et dans le monde. Selon les auteurs, l’inversion de la dynamique de réduction des inégalités sociales enregistrée après la Seconde Guerre mondiale est due au néolibéralisme triomphant dans l’ensemble des pays économiquement forts. Celui-ci légitime les inégalités au nom de la liberté d’entreprendre. Les chercheurs de toutes disciplines associés à cet ouvrage ont jugé important de lister ces inégalités sociales et économiques, et surtout d’en décrypter la dynamique.

2 Cette publication revendique le nom de « dictionnaire ». Son originalité tient à son caractère analytique plutôt qu’empirique, ainsi qu’à son approche pluridimensionnelle et internationale. Depuis les années 1970, les analyses traditionnelles en termes d’inégalités entre classes sociales ont été élargies et complexifiées par la prise en compte d’autres inégalités.

3 Huit champs d’étude sont ainsi abordés : inégalités entre classes, entre sexes, entre âges et générations, entre nationalités et ethnies, inégalités sociospatiales, inégalités au niveau mondial (entre États ou continents), débats autour du concept d’inégalité sociale mettant aux prises les principaux courants philosophiques et politiques contemporains, questions de méthode posées par l’étude et la mesure des inégalités.

4 Une part importante est consacrée aux inégalités liées à l’âge. L’âgisme, qui révèle une vision péjorative des seniors dans la société, est évoqué tout comme les inégalités face à l’emploi, le concept de génération et les inégalités intragénérationnelles du point de vue de la santé ou de l’isolement. Les inégalités face à l’âge de la retraite, la vieillesse et la perpétuation des inégalités antérieures, le vieillissement et les inégalités de genre ou de situation géospatiale ne sont pas oubliés.

Vieillir à travers les âges : retraites et dépendance Comité d’histoire de la Sécurité sociale, La Documentation française, 2014, 140 p. (coll. Politiques sociales) http://www.ladocumentationfrancaise.fr/

5 Cet ouvrage, issu d’une journée d’études réunissant en 2012 historiens et juristes, a l’ambition d’examiner le traitement du vieillissement des personnes âgées en France dans ses aspects chronologiques, philosophiques, idéologiques et juridiques.

6 Dans la première partie, les auteurs retracent les politiques de prise en charge des personnes âgées au XXe siècle à l’aune du considérable allongement de l’espérance de vie, tout en s’inquiétant de l’affaiblissement de l’État-providence. Un des contributeurs plaide pour une reconnaissance juridique de la vieillesse en tant que catégorie à part entière, au-delà des droits des personnes âgées, allant jusqu’à l’avènement d’un droit original de la personnalité.

7 La deuxième partie explore la maturation des régimes de retraite vers la prévoyance obligatoire et met en avant le rôle de catalyseurs des deux dernières guerres, du fait des lacunes du système social et de la reconstruction à opérer. Les auteurs reviennent sur la création en 1941 de l’allocation aux vieux travailleurs salariés. C’est elle en effet qui fonde le régime de répartition.

8 La troisième partie s’intéresse à la question du bien vieillir et à la gestion du patrimoine en milieu rural ainsi qu’à la problématique de l’isolement des personnes âgées et du soutien familial.

9 L’analyse de la genèse des régimes de retraites et de la prise en charge de la dépendance liée à l’âge révèle une complexité bien présente à chaque étape du processus législatif. La diversité des situations individuelles et familiales face à l’avancée en âge implique un traitement social et juridique également complexe. Les enjeux d’aujourd’hui sont déterminés : garantir dans la durée des retraites décentes, prendre en charge la dépendance à domicile et aussi en Ehpad, conjuguer les attentes des personnes âgées vis-à-vis de la société avec celles du corps social.

Innommable et innombrable. De la vieillesse considérée comme une épidémie Jean-Jacques Amyot, Paris, Dunod, 2014, 264 p.

10 Alors que la littérature dominante considère l’allongement de la durée de la vie comme une chance pour notre société (dans son rapport de 2013, Luc Broussy disait que ce dernier « est un extraordinaire progrès de civilisation »), l’auteur prend ici le contre-pied du courant classique et analyse le caractère épidémique et dangereux de la vieillesse. J.-J. Amyot part du principe que l’individu vieillissant ne peut être réduit à un homo economicus. Il interpelle les individus sur leurs capacités à tirer profit du surplus de vie considérable qui leur est alloué depuis plus d’un siècle.

11 La réflexion s’organise autour de trois axes. Le premier vise à démontrer la difficulté de nommer la vieillesse. Elle se décompose en plusieurs tranches d’âge (qui vont de 60 à 100 ans, soit du « déclin » au « retour en enfance ») et elle fait l’objet de dénominations évolutives. Le troisième âge a fait une place au quatrième, le terme de « vieillards » à celui de « vieux », d’« aînés », de « seniors » ou de « personnes âgées ». La classe des « personnes âgées dépendantes » ajoute une référence qui met à distance la population considérée, comme un « exorcisme verbal ».

12 Dans le deuxième axe sont regroupées les analyses des notions de dénombrement, de comptabilité, de quantification de la vieillesse. Elles traduisent, selon l’auteur, la vision abstraite et déshumanisée de la population vieille, nombreuse et en pleine expansion.

13 Dans le troisième axe est abordée de front la grande épidémie que serait la vieillesse. Cohorte de malades en sursis, virus tapi en chacun, accroissement et contagion, polypathologies et médicalisation, dégradation, catastrophe… À ces qualificatifs attachés à la santé, l’auteur adjoint les concepts de défiguration, de désordre ou d’affrontement social pour terminer sur l’idée d’une vieillesse « bouc émissaire », finalement salvatrice.

La société malade d’Alzheimer Michel Billé, Toulouse, Érès, 2014, 150 p. (coll. L’âge et la vie)

14 Le postulat de l’auteur est de considérer la maladie d’Alzheimer, si présente de nos jours, comme emblématique de notre société elle-même malade. M. Billé passe en revue les caractéristiques attachées au « mal vieillir » que résume la maladie. Il peut alors qualifier le malade de « vieillard symptôme » de la société, porteur des dysfonctionnements du corps social qui nous concernent tous. La sénescence, du fait du vieillissement de la population, devient un phénomène qui nous relie les uns aux autres. Le livre s’ouvre sur le constat de la négativité qui s’attache au malade. Sont évoqués le dégoût qu’il peut parfois inspirer, le drame personnel qu’il connaît, sa culpabilisation ou celle de ses proches, le vocabulaire péjoratif dont il fait l’objet, entre « démence » et « reste à vivre ». Le relatif échec thérapeutique vis-à-vis de la maladie est mis en regard de la prévention. Celle-ci viserait, selon l’auteur, à garantir le jeunisme dont s’enorgueillit notre société.

15 Tout au long des huit chapitres de l’ouvrage, le lecteur est invité à examiner les symptômes de la maladie : perte de repères spatio-temporels, troubles de l’identité, de la mémoire, de la relation et du langage, errance, perte de l’image de soi, préoccupations économiques. Ces constats cristallisés dans la maladie d’Alzheimer sont la source d’un nouveau paradigme de la société dont les éléments constitutifs sont l’éphémère, la dispersion, l’information au lieu de la mémoire, la connexion au lieu de la relation, la traçabilité au lieu de l’identité, l’individu au lieu de la personne, la déliaison au lieu de l’interdépendance.

16 Cette approche de la maladie comme « métaphore de notre fonctionnement sociétal », pessimiste à première vue, vise à la prise de conscience de ce mécanisme. Seule celle-ci permettra le changement indispensable de notre regard sur les malades d’Alzheimer, qui figurent parmi les personnes âgées les plus vulnérables.

Les négociations du soin. Les professionnels, les malades et leurs proches Simone Pennec, Françoise Le Borgne-Uguen et Florence Douguet, Presses universitaires de Rennes, 2014, 283 p. (coll. Le Sens social)

17 Cet ouvrage rend compte de la diversité des expériences dans la relation de soin, qu’elle ait lieu à domicile, au cabinet médical, ou à l’hôpital. Celle-ci repose sur l’ajustement de deux principes : celui de l’autonomie du malade, en sa qualité de personne (droit aux soins, à l’égalité de traitement, à la dignité) et en sa qualité d’usager du système sanitaire (droit à l’information, à la prise de décision avec le professionnel de santé) ; celui du devoir de soigner du médecin et des professionnels de santé, dans le respect de la déontologie et de l’objectivation de la relation médicale.

18 La relation qui se crée doit s’articuler avec la position des proches et de la famille tout au long du parcours de soins. La négociation qui s’engage aura à prendre en compte le doute et les incertitudes de la médecine qui vont souvent de pair avec les ambivalences du désir du malade dans les phases d’aggravation de la maladie ou de fin de vie.

19 L’ouvrage regroupe 21 contributions, de sociologues essentiellement, réparties selon 4 thématiques : soins négociés entre droits des malades et construction de la confiance ; arrangements du soin en situation de handicaps et de vulnérabilité ; limites des négociations en situation de maladies graves ; prises de décision et accompagnements de fin de vie.

20 La situation des personnes âgées est présentée dans deux contributions. La première traite de leur vulnérabilité spécifique en questionnant le rôle des mandataires judiciaires dans la relation qu’ils peuvent instaurer au domicile ou en institution avec les soignants, les acteurs sociaux et les proches. La seconde décrit les conditions de l’entrée en maison de retraite de personnes démentes et l’appréhension de leur identité de résidant, selon un « stéréotype » réducteur mais admis par les parents proches.

Simone Brunhes
Cnav
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Mis en ligne sur Cairn.info le 16/04/2015
https://doi.org/10.3917/rs.069.0183
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