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Comment adapter les droits familiaux aux évolutions des carrières féminines ?

1 L es écarts de retraite entre hommes et femmes étaient importants dans le passé. Qu’en est-il aujourd’hui ?

2 Les écarts de pension entre hommes et femmes demeurent importants : pour les générations nées avant 1944, c’est-à-dire les générations qui sont aujourd’hui presque entièrement parties à la retraite, la pension de droit propre (hors réversion) des femmes ne représente en moyenne que la moitié de celle des hommes [1].

3 Vous avez néanmoins raison de rappeler que les écarts de pension étaient encore plus importants dans le passé. En effet, ces écarts se réduisent au fil des générations : le ratio rapportant la pension moyenne de droit propre des femmes à celle des hommes progresse avec le temps.

4 Souvenons-nous aussi qu’autrefois, beaucoup de femmes « au foyer » n’avaient pas acquis de droits à la retraite et ne percevaient aucune pension de retraite. Cette situation tend à disparaître. Parmi les générations qui sont actuellement à la retraite, il semblerait qu’environ une femme mariée sur dix ne perçoive pas de pension de retraite [2]. D’une part, il devient rare qu’une femme ne travaille jamais au cours de sa vie (l’inactivité permanente ne concernera plus à terme qu’environ une femme sur vingt). D’autre part, les femmes « au foyer » ont pu, à partir des générations nées dans les années 1930, acquérir des droits à la retraite grâce à l’AVPF (assurance vieillesse des parents au foyer).

5 Malgré les écarts importants de pension de droit propre, les écarts de niveau de vie sont relativement limités. Le niveau de vie des femmes âgées vivant seules est inférieur de 10 à 20 % à celui des hommes et des femmes âgées vivant en couple. En effet les veuves, qui sont de loin les plus nombreuses, bénéficient de pensions de réversion. Or, nous avons vérifié que le système français de réversion garantit, en moyenne, le maintien du niveau de vie antérieur au décès du mari [3]. Si les veuves ont néanmoins un niveau de vie inférieur à la moyenne, c’est parce qu’elles appartiennent à des générations plus âgées

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Malgré les écarts importants de pension de droit propre, les écarts de niveau de vie sont relativement limités.

7 ayant des pensions plus faibles et que le veuvage est plus fréquent et plus long chez les femmes d’ouvriers que les femmes de cadres. Elles ont aussi nettement moins de patrimoine que les couples. Quant aux femmes divorcées ou célibataires parmi les générations actuellement à la retraite, elles sont encore peu nombreuses, et elles appartiennent à des milieux sociaux relativement favorisés, d’où un niveau de vie relativement satisfaisant.

8 Quelles sont les principales raisons de ces écarts de pension ?

9 Les écarts de pension de droit propre reflètent les écarts sur le marché du travail : premièrement, le taux d’activité des femmes est inférieur à celui des hommes, d’où des durées d’assurance plus faibles ; deuxièmement, les femmes travaillent plus souvent à temps partiel, ce qui joue sur le salaire de référence (ou, dans la fonction publique, sur le coefficient de proratisation) ; troisièmement, les salaires horaires des femmes sont inférieurs à ceux des hommes, d’où également des salaires de référence plus faibles.

10 Ainsi, en dépit des droits familiaux qui majorent la durée d’assurance, les femmes aujourd’hui à la retraite n’ont validé en moyenne que 131 trimestres de durée d’assurance tous régimes contre 161 trimestres pour les hommes (y compris droits familiaux), soit 30 trimestres d’écart [4]. En effet, elles ont souvent cessé leur activité définitivement ou pendant une longue période suite à la naissance de leurs enfants. Elles ont en outre effectué une grande partie de leur carrière à une époque où les écarts de salaire entre hommes et femmes étaient importants (entre 1950 et 1975 ils étaient de l’ordre de 35 % dans le secteur privé).

11 La participation des femmes au marché du travail a augmenté depuis le début des années 1970. Les femmes concernées commencent seulement à partir à la retraite. Peut-on anticiper à terme un rattrapage des droits des hommes par les femmes ?

12 Les femmes de la génération du baby-boom (nées après 1945), qui prennent actuellement leur retraite, ont acquis davantage de droits à la retraite que les générations précédentes. D’une part, elles ont davantage participé au marché du travail, ne s’arrêtant de travailler que pour élever leurs enfants en bas âge. L’inactivité féminine, autrefois permanente ou durable, a pris la forme d’interruptions d’activité suite aux naissances dont la durée s’est réduite au fil des générations. L’allocation parentale d’éducation, devenue depuis 2004 le complément de libre choix d’activité (CLCA) de la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje), a favorisé une durée d’interruption de trois ans à partir du deuxième enfant. D’autre part, les femmes qui prennent actuellement leur retraite ont bénéficié de carrières salariales plus favorables. En effet, les écarts de salaire (à temps complet) entre hommes et femmes se sont nettement réduits entre 1975 et 1995 : depuis 1995, ils sont d’environ 20 % dans le secteur privé et 15 % dans le secteur public. Il en résulte une vive progression des pensions féminines au fil des générations (de l’ordre de 2 à 3 % par an) qui contribue beaucoup à l’effet noria d’élévation du niveau des pensions au fil du temps.

13 Cependant, malgré ces progrès indéniables, on ne peut guère espérer un rattrapage des droits des hommes par les femmes, du moins pour les générations qui prendront leur retraite dans les 30 prochaines années. Les projections réalisées à l’aide du modèle Destinie de l’Insee anticipent que les écarts de pension de droit propre entre hommes et femmes seront encore de l’ordre de 30 % pour les générations nées dans les années 1950 (celles qui vont prendre leur retraite dans les 10 prochaines années), puis de l’ordre de 20 % pour les générations nées dans les années 1970 [5]. Cette tendance est générale en Europe. En effet, les femmes conserveront une durée d’activité inférieure à celle des hommes, du fait des interruptions d’activité suite aux naissances, et des salaires inférieurs aux hommes, du fait de la persistance des écarts salariaux.

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On ne peut guère espérer un rattrapage des droits des hommes par les femmes, pour les générations qui prendront leur retraite dans les 30 prochaines années.

15 Les interruptions d’activité suite aux naissances demeurent fréquentes aujourd’hui : 38 % des femmes ne travaillent pas après une première naissance, 51 % après une deuxième et 69 % après une troisième [6]. En effet, les normes sociales demeurent dissymétriques quant au travail féminin. Selon les enquêtes Conditions de vie et Aspirations des Français du Crédoc, la majorité des enquêtés déclare qu’il est « plutôt préférable qu’un seul des deux parents s’arrête momentanément de travailler » ou « réduise son temps de travail » ; ce parent étant presque toujours la mère, tandis que les partisans de choix symétriques (« les deux parents continuent leur activité » ou « les deux parents réduisent leur temps de travail ») demeurent minoritaires. Les politiques publiques sont allées dans le sens de cette opinion majoritaire. L’instauration de prestations familiales compensant les interruptions d’activité, à savoir l’allocation parentale d’éducation (APE), puis le complément de libre choix d’activité (CLCA), a favorisé le retrait des femmes du marché du travail suite aux naissances [7].

16 Dans ces conditions, la progression de l’activité féminine marque le pas aux âges de la maternité. Certes, les interruptions d’activité tendent toujours à se réduire en fréquence et en durée au fil des générations, mais cette évolution se ralentit. En extrapolant cette tendance, les dernières projections de population active de l’Insee anticipent que les taux d’activité des femmes demeureront inférieurs à ceux des hommes entre 25 et 45 ans, alors qu’ils convergeront après 45 ans.

17 En outre, cette lente progression de l’activité féminine a été contrecarrée par le développement de l’emploi à temps partiel. Si 15 % des femmes étaient à temps partiel au début des années 1980, cette part a doublé et est stable aux alentours de 30 % depuis la fin des années 1990.

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Certes les interruptions d’activité tendent toujours à se réduire en fréquence et en durée au fil des générations, mais cette évolution se ralentit.

19 Quant aux écarts salariaux (en termes de salaires à temps complet ou de salaires horaires), on observe qu’ils ont pratiquement cessé de se réduire depuis le milieu des années 1990.

20 Les sources les plus importantes de cette inégalité salariale sont liées à des phénomènes de ségrégation (les femmes n’occupent pas les mêmes emplois que les hommes), eux-mêmes largement issus de normes sociales et de leur traduction dans le partage des tâches domestiques et familiales entre les femmes et les hommes (il est possible que le choix des filières d’éducation puis du secteur d’activité soit orienté par la perspective d’avoir à concilier activité et famille). Ces effets se retrouvent dans la plupart des autres pays européens, même dans les pays qui étaient le plus « en avance » en termes de réduction des écarts dans un passé récent, comme la Suède ou le Danemark.

21 Les écarts de salaire peuvent également être vus comme une conséquence des interruptions ou des réductions d’activité suite aux naissances. En effet, ils sont limités en début de carrière, puis s’accroissent au fur et à mesure que l’on avance en âge. En particulier, les interruptions d’activité ont un impact très négatif sur la suite des carrières salariales [8].

22 Au total, la moindre acquisition de droits à la retraite par les femmes, en termes de durée d’activité ou de salaires, apparaît liée à la dissymétrie persistante des rôles conjugaux et parentaux. Si l’on additionne le temps consacré au travail professionnel et le temps consacré au travail domestique (éducation des enfants et tâches ménagères), les femmes travaillent globalement à peu près autant que les hommes entre 15 et 60 ans ; mais les femmes effectuent toujours une grande partie du travail domestique, de sorte que le temps total qu’une femme consacre à son activité professionnelle au cours de sa carrière ne représente en moyenne que deux tiers du temps qu’un homme y consacre [9].

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La moindre acquisition de droits à la retraite par les femmes, en termes de durée d’activité ou de salaires, apparaît liée à la dissymétrie persistante des rôles conjugaux et parentaux.

24 Plusieurs réformes de retraite ont été mises en œuvre depuis le début des années 1990. Pensez-vous qu’elles aient accentué les écarts à la retraite entre hommes et femmes ?

25 Évaluer l’impact des réformes des retraites selon le sexe est délicat. En effet, chacune des trois réformes votées en 1993, 2003 et 2010 ont modifié plusieurs paramètres en même temps ou pris plusieurs dispositions. Prise isolément, chaque mesure a généralement un impact clairement différencié selon le sexe. Cependant, l’effet global est difficile à appréhender faute d’études disponibles sur le bilan sexué des réformes. Étant donné que certaines mesures sont favorables aux femmes, tandis que d’autres sont favorables aux hommes, les réformes successives n’ont pas manifestement avantagé l’un ou l’autre sexe. Par exemple, selon une étude récente de la Cnav, la réforme de 2010 relèverait autant l’âge moyen de départ à la retraite au régime général pour les hommes que pour les femmes [10].

26 La complexité et la superposition des règles de calcul des pensions peuvent aboutir à des résultats contre-intuitifs. Une illustration est fournie par une étude de la Cnav évaluant l’impact de la réforme de 1993 sur les montants des pensions versées par le régime général [11]. L’évolution des paramètres décidée en 1993 semble a priori défavorable aux femmes. L’allongement de la durée d’assurance exigée pour le taux plein ou pour obtenir un coefficient de proratisation de 100 % affecte davantage les femmes, qui ont des durées d’assurance plus courtes que les hommes. Le calcul du salaire de référence sur les 25 meilleures années plutôt que sur les 10 meilleures années affecte davantage les assurés à carrière courte (si la durée de carrière est inférieure à 25 ans, toutes les années de salaires sont désormais prises en compte). Mais, paradoxalement, l’étude révèle que la réforme de 1993 affecte davantage la pension moyenne pour les hommes (- 6,9 %) que pour les femmes (- 4,6 %), pour les retraités liquidant leur pension entre 1994 et 2003. En effet, pour de nombreuses femmes, la baisse de la pension a été neutralisée par le minimum contributif.

27 Par ailleurs, les effets des réformes sur les femmes dépendent de la génération considérée et, pour les générations futures de retraités, ils pourraient être différents de ceux auxquels on pense spontanément. Si les effets des réformes sont différenciés selon le sexe, c’est souvent parce que la durée d’assurance moyenne des femmes est inférieure à celle des hommes et que, de ce fait, les femmes partent moins souvent que les hommes à la retraite dès l’âge minimum et plus souvent à l’âge du taux plein. Ainsi, l’allongement de la durée d’assurance exigée pour le taux plein (suite aux réformes de 1993 et de 2003) affecte a priori plutôt les femmes ; la décote (réformée en 2003) affecte plutôt les femmes tandis que la surcote (instaurée en 2003) bénéficie plutôt aux hommes ; le dispositif de retraite anticipée pour carrière longue (créé en 2003) concerne surtout les hommes ; suite à la réforme de 2010, le relèvement de l’âge minimum légal de 60 à 62 ans a plus d’impact sur les hommes, tandis que le relèvement de l’âge du taux plein de 65 à 67 ans en a plus sur les femmes. Mais tous ces effets devraient s’estomper au fil des générations. En effet, les projections issues du modèle Prisme de la Cnav indiquent que, pour les générations nées après 1960 qui partiront à la retraite après 2020, la durée d’assurance moyenne des femmes devrait rejoindre - voire dépasser - celle des hommes. Les effets issus du différentiel de durée d’assurance entre hommes et femmes pourraient donc disparaître ou même s’inverser pour les générations nées après 1960. Le législateur en a tenu compte lors du vote de la réforme de 2010 [12].

28 Le système de retraite comporte aujourd’hui des mécanismes qui permettent de tenir compte de l’impact des enfants sur les carrières des femmes, les droits familiaux. Certains pensent que ce n’est pas au système de retraite d’intervenir pour corriger les inégalités liées au marché du travail ? Qu’en pensez-vous ? Pourquoi faudrait-il corriger ces inégalités en particulier ?

29 Il est en principe préférable de corriger les inégalités entre hommes et femmes en amont, en agissant sur le marché du travail, plutôt qu’en aval, en introduisant dans le système de retraite des dispositifs de redistribution, tels que les droits familiaux. Mais nous devons prendre acte du fait que les écarts sur le marché du travail persistent pour les générations actuellement en âge de travailler. Ainsi, compte tenu des droits à la retraite déjà acquis à ce jour, les femmes appartenant à ces générations auraient des pensions de droit propre très inférieures à celles des hommes en l’absence de redistribution au niveau du système de retraite. Et ce, quand bien même les évolutions futures du marché du travail permettraient de réaliser de nouveaux progrès en matière de parité.

30 Or, avec la fragilisation des unions conjugales, les inégalités de pensions de droit propre entre hommes et femmes seront moins acceptables pour les générations futures de retraités que pour les générations actuelles de retraités. Nous avons vu que, pour les générations actuelles de retraités, le divorce et le célibat sont rares, si bien que les inégalités de pensions entre hommes et femmes n’aboutissent pas in fine à des inégalités importantes de niveau de vie entre hommes et femmes au moment de la retraite. En effet, dans un contexte de couples mariés stables, la faiblesse des pensions féminines de droit propre ne pose problème qu’en cas de veuvage, et les pensions de réversion assurent le maintien du niveau de vie du couple antérieur. Avec la montée du divorce, puis du célibat au fil des générations, de plus en plus de femmes vivront seules au moment de la retraite sans percevoir de pension de réversion. Elles ne pourront compter que sur leur pension de droit propre. En outre, le divorce et le célibat concerneront les retraitées de tous les milieux sociaux (et pas seulement les femmes les plus favorisées comme c’est le cas parmi les générations à la retraite). Il y aura donc un risque de paupérisation des femmes divorcées ou célibataires vivant seules au moment de la retraite.

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Avec la montée du divorce, puis du célibat au fil des générations, de plus en plus de femmes vivront seules au moment de la retraite sans percevoir de pension de réversion.

32 Pour adapter le système de retraite à la fragilisation des unions conjugales, il est possible d’envisager un aménagement des droits conjugaux, comme l’extension de la réversion à certains couples non mariés, ou bien l’instauration d’un partage des droits à la retraite en cas de divorce à l’instar du rentensplitting allemand [13]. Mais ces aménagements ne suffiront pas à éliminer le risque de paupérisation des femmes seules à la retraite, car la fragilisation des unions conjugales se traduit par un recul global de la vie en couple, d’où une moindre efficacité des droits conjugaux quelle que soit la forme qu’ils prennent. La solution passe plutôt par un renforcement des droits propres des femmes à travers des dispositifs non contributifs, tels que les droits familiaux. Les droits familiaux liés aux enfants ont d’ailleurs tendance à se développer dans les pays européens depuis une vingtaine d’années [14].

33 Une autre question est de savoir s’il existe des raisons de corriger spécifiquement les inégalités de pension entre hommes et femmes plutôt que les autres inégalités de pension. Autrement dit, est-il souhaitable d’introduire des droits familiaux ciblés vers les femmes, afin de rapprocher autant que possible la pension moyenne des hommes et des femmes ? Les inégalités de pension entre hommes et femmes sont liées, comme nous l’avons vu, à la dissymétrie des rôles masculin et féminin, résultant en particulier de la maternité et de la prise en charge de l’éducation des enfants par les femmes. Or, les enfants apportent des externalités positives à la collectivité : ils constituent un investissement en « capital humain » pour l’avenir de la production économique et ils assurent en partie la pérennité des systèmes de retraite par répartition par le renouvellement des générations. Il paraît donc souhaitable de compenser l’investissement des femmes dans l’éducation des enfants.

34 Qu’adviendrait-il si l’on renonçait à compenser le temps consacré par les femmes aux enfants dans le cadre du système de retraite ? Cette évolution est parfois préconisée en faisant l’hypothèse que cela inciterait les couples à un partage des tâches plus égalitaire et conduirait les femmes à s’investir davantage sur le marché du travail. À supposer que la législation en matière de retraite ait un impact sur les comportements des jeunes couples (ce qui ne va pas de soi), les femmes intégreraient alors le fait de devoir travailler davantage et réduiraient en contrepartie le temps consacré aux tâches domestiques, sans que l’on ait la certitude que leur désengagement dans la sphère domestique serait compensé par une plus grande implication des hommes. Il y a un risque que les tâches domestiques socialement utiles, notamment l’éducation des enfants, ne soient alors plus effectuées ni par les hommes ni par les femmes.

35 Les principaux dispositifs de droits familiaux sont l’assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) et la majoration de durée d’assurance (MDA). Sous quelle forme ces dispositifs assurent-ils une compensation ? Pensez-vous qu’ils soient suffisants ?

36 La pension d’un assuré dépend principalement de sa durée d’assurance et de son salaire. En l’absence de dispositifs de redistribution, les femmes seraient désavantagées par rapport aux hommes, à la fois en termes de durée et de salaire.

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En l’absence de dispositifs de redistribution, les femmes seraient désavantagées par rapport aux hommes à la fois en termes de durée et de salaire.

38 Grâce aux deux dispositifs de droits familiaux que vous citez, l’AVPF et la MDA, les femmes valident des trimestres supplémentaires qui majorent leur durée d’assurance. L’AVPF permet, sous conditions, de valider au régime général les périodes d’interruption ou de réduction d’activité (avec un salaire au Smic), pour les parents ayant un enfant en bas âge ou d’au moins 3 enfants. Créée en 1972, elle sera pleinement montée en charge pour les générations nées après 1955. La MDA augmente la durée d’assurance des femmes [15] affiliées au régime général de 2 ans par enfant, quel que soit leur parcours d’activité. Les fonctionnaires et affiliés des régimes spéciaux bénéficient aussi de majorations de durée d’assurance, dont les règles sont différentes.

39 Pour les générations qui prennent actuellement leur retraite, l’AVPF et la MDA compensent en partie les écarts de durée. Pour les générations futures de retraitées, compte tenu de la progression de l’activité féminine et de la montée en charge de l’AVPF, ces deux droits familiaux devraient même compenser intégralement les écarts de durée d’assurance : comme nous l’avons indiqué plus haut, la durée d’activité (ou durée cotisée) des femmes nées après 1960 demeurera en moyenne sensiblement inférieure à celle des hommes, mais la durée moyenne validée y compris AVPF et MDA devrait rejoindre, voire dépasser celle des hommes.

40 Ainsi, à législation inchangée, ce sont les écarts de salaire – intégrant les effets du temps partiel – qui deviendront à l’avenir la cause principale des écarts de pension entre hommes et femmes, du moins dans les régimes de base. Or, ces écarts ne sont pas ou peu compensés. Si les minima de pension [16] bénéficient davantage aux femmes qu’aux hommes, ils ne jouent que sur le bas de la distribution des salaires. En outre, dans le haut de la distribution des salaires, les régimes complémentaires représentent la majeure partie de la retraite. Or, l’AVPF et la MDA n’apportent pas de points supplémentaires dans les régimes complémentaires ; ces droits permettent seulement aux femmes d’obtenir plus facilement le taux plein et d’éviter ainsi un coefficient d’abattement.

41 On peut dès lors s’interroger sur la pertinence de droits familiaux qui risquent de surcompenser à l’avenir les écarts de durée, alors qu’ils ne compensent pas ou peu les écarts de salaire. Cette question se pose surtout pour les femmes actives sans interruption depuis la fin des études jusqu’à la retraite, lesquelles sont de plus en plus nombreuses au fil des générations. Dans ce cas, il est fréquent que les trimestres de MDA s’avèrent inutiles, ou bien qu’ils soient utilisés pour partir plus tôt à la retraite au taux plein, à l’encontre des objectifs de prolongation de l’activité des seniors. Les droits familiaux ne permettent alors pas de réduire les écarts de pension entre hommes et femmes.

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Les droits familiaux risquent de surcompenser à l’avenir les écarts de durée, alors qu’ils ne compensent pas ou peu les écarts de salaire.

43 Le Conseil d’orientation des retraites (COR), dans son 6e rapport consacré à la question des droits familiaux et conjugaux, a examiné des perspectives d’évolution de ces droits. Pourriez-vous nous les rappeler ? Plutôt qu’une évolution des droits existants, pourrait-on envisager d’autres formes de droits familiaux ?

44 Le COR a distingué les aménagements à court terme et les évolutions à plus long terme des droits familiaux.

45 À court terme, le 6e rapport publié fin 2008 mentionnait la nécessité d’adapter rapidement la MDA du régime général (initialement réservée aux femmes) aux dispositions de l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme relatives à l’égalité entre les hommes et les femmes, compte tenu de la position de la cour de cassation à ce sujet. Le COR formulait des propositions pour adapter la MDA tout en évitant une extension de celle-ci à l’ensemble des pères qui, outre son coût probablement très élevé, remettrait en cause l’objectif même visé par le dispositif. Depuis la publication du rapport du COR, les règles d’attribution de la MDA ont effectivement été modifiées pour les pensions prenant effet à partir du 1er avril 2010. Ce dispositif est scindé en deux : la majoration maternité, d’un an par enfant, est attribuée à la mère ; la majoration d’éducation, d’un an par enfant, est attribuée à la mère, sauf si le père a élevé seul l’enfant (enfants nés avant le 1er janvier 2010), ou à l’un des deux parents au choix du couple (enfants nés après le 1er janvier 2010). En l’absence de choix formulé par le couple dans les 4 ans et 6 mois suivant la naissance, la majoration d’éducation est attribuée à la mère par défaut. Il sera donc intéressant d’observer si les nouveaux parents optent effectivement pour un partage de la MDA entre père et mère. Le rapport mentionnait aussi certains ajustements techniques pour l’AVPF (aménagement de la condition de ressources…).

46 À long terme, afin de dresser des pistes d’évolution des droits familiaux, le Conseil a tout d’abord rappelé les différents objectifs des droits familiaux. Il a mis en avant l’objectif visant à compenser les effets des enfants sur les carrières des mères, tout en soulignant qu’il était important de ne pas inciter les femmes à se retirer trop longtemps du marché du travail. Il a également noté que les droits familiaux jouent aujourd’hui un rôle important pour réduire les inégalités de fait entre les hommes et les femmes lors de la retraite. L’objectif de redistribution en faveur des familles est également jugé important, les droits familiaux de retraite s’inscrivant dans le cadre d’une politique familiale globale. Enfin, l’objectif de redistribution vers les plus bas revenus par le biais des droits familiaux est également pris en considération.

47 S’agissant de la MDA, si l’on souhaite mieux prendre en compte les effets des enfants sur les femmes qui ne s’interrompent pas, une évolution possible consisterait à transformer à terme une partie de la MDA en une majoration de montant de pension, réservée de fait aux femmes. Cette majoration de pension pourrait être proportionnelle, compensant simplement les écarts de salaires entre hommes et femmes, ou bien forfaitaire, dans un souci de redistribution vers les bas salaires.

48 L’AVPF pourrait devenir un véritable dispositif de compensation des interruptions ou des réductions d’activité pour jeune enfant. Pour cela, il faudrait simplifier le dispositif et mieux le relier aux interruptions ou réductions d’activité pour jeune enfant. En effet, l’AVPF est aujourd’hui un dispositif très complexe pour les assurés, car la législation actuelle superpose des conditions d’activité, de perception de prestations familiales, et de ressources du ménage. Ces conditions sont en outre différentes selon la situation conjugale (couple ou parent isolé). Ainsi, l’AVPF peut être accordée à certaines femmes travaillant à temps plein (parents isolés) ou, au contraire, ne pas être accordée à certaines femmes interrompant leur activité suite aux naissances (couples à hauts revenus). L’AVPF peut aussi être versée, pour les parents de trois enfants et plus, sur de longues périodes allant bien au-delà des trois ans de l’enfant. Aussi, le COR suggérerait de réduire la durée des interruptions compensées au titre de l’AVPF pour éviter un éloignement durable du marché du travail, en compensant les interruptions courtes à un bon niveau.

49 Enfin, en plus de l’AVPF et de la MDA, il existe un troisième dispositif important de droits familiaux : les majorations de montants pour les parents de trois enfants et plus (+10 % au régime général). Ce dispositif bénéficiant aux pères comme aux mères (en proportion du montant de leur pension), il ne réduit pas les écarts entre hommes et femmes. Il répond à un objectif spécifique de redistribution vers les parents de familles nombreuses, qui s’inscrit dans la politique familiale française. Le COR a exploré différents aménagements du dispositif, qui ont fait l’objet, au sein du Conseil, d’appréciations divergentes au regard du principe de redistribution. Tout en maintenant ce dispositif ciblé sur les parents de familles nombreuses, il pourrait être rendu plus redistributif, soit par l’intégration des majorations dans l’assiette de l’impôt sur le revenu, soit par le passage de majorations proportionnelles à des majorations forfaitaires. Le COR, attaché à l’objectif de redistribution en faveur des familles nombreuses, est plus réservé sur un redéploiement du dispositif en faveur de l’ensemble des parents (ou de l’ensemble des mères, dans une optique de redistribution vers les femmes), qui consisterait à attribuer des majorations plus faibles dès le premier enfant.

Notes

  • [1]
    Voir Andrieux V. et Chantel C., « Les retraites perçues fin 2008 », Études et résultats n° 758, Drees, 2011.
  • [2]
    En 2000, 16 % des femmes mariées nées avant 1920 ne déclaraient au fisc aucune pension de retraite. Cette proportion baisse régulièrement au fil des générations (10 % pour les femmes mariées nées entre 1930 et 1934). Voir « Le niveau de vie des veuves et des divorcées », Secrétariat général du COR, document n° 5 de la réunion du 27 juin 2007.
  • [3]
    Voir Bonnet C. et Hourriez J.-M., « Veuvage, pension de réversion, et maintien du niveau de vie suite au décès du conjoint : une analyse sur cas types » et « Quelle variation du niveau de vie suite au décès du conjoint ? », Retraite et société, n° 56, 2008.
  • [4]
    Voir Andrieux V. et Chantel C., « Les retraites perçues fin 2008 », Études et résultats, n° 758, Drees, 2011.
  • [5]
    Voir Bonnet C. et Hourriez J.-M., « Inégalités entre hommes et femmes au moment de la retraite en France », in Regards sur la parité, Insee Références, 2012.
  • [6]
    Voir Pailhé A. et Solaz A., « Vie professionnelle et naissance : la charge de la conciliation repose essentiellement sur les femmes », Population et sociétés, n° 426, Ined, 2006.
  • [7]
    Thomas Piketty avait mis en évidence les effets de l’extension de l’APE au deuxième enfant dans les années 1990. Plus récemment, Sévane Ananian a montré que le CLCA, ouvert en 2004 dès le premier enfant pour une durée de 6 mois, a conduit à une baisse de 5 points du taux d’activité des mères d’un premier enfant âgé de moins de 9 mois. Voir Ananian S., « L’activité des mères de jeunes enfants depuis la mise en place du complément de libre choix d’activité », Études et résultats, n° 726, Drees, 2010.
  • [8]
    Voir Lequien L., « L’impact sur les salaires de la durée d’une interruption de carrière suite à une naissance », Insee, Annales d’économie et de statistique (à paraître).
  • [9]
    Résultats issus de l’enquête Emploi du temps 2010 de l’Insee. Ils sont donc basés sur les comportements observés en 2010 à tout âge.
  • [10]
    Voir Beurnier P., Couhin J. et Grave N., « La réforme des retraites 2010 : quelles conséquences pour le régime général ? », Cadr@ge, n° 15, Cnav, 2011.
  • [11]
    Bridenne I. et Brossard C., « Les effets de la réforme de 1993 sur les pensions versées par le régime général », Retraite et société, n° 54, Cnav, 2008.
  • [12]
    Lors du vote de la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites, le relèvement de 65 à 67 ans de l’âge du taux plein, qui était perçu comme défavorable aux femmes, a été accompagné d’une disposition conservant l’âge du taux plein à 65 ans pour les mères de trois enfants ayant réduit ou interrompu leur activité. Mais cette disposition ne concerne que les femmes nées en 1955 ou avant. En effet, pour les générations suivantes, le relèvement de l’âge du taux plein cessera d’être particulièrement défavorable aux femmes ayant interrompu leur carrière pour élever des enfants, grâce notamment à la montée en charge de l’AVPF.
  • [13]
    Le 6e rapport du COR « Retraites : droits familiaux et conjugaux » publié en 2008 passe en revue les évolutions possibles des droits conjugaux.
  • [14]
    Voir Bonnet C. et Geraci M., « Comment corriger les inégalités de retraite entre hommes et femmes ? L’expérience de cinq pays européens », Population et sociétés, n° 453, Ined, 2009.
  • [15]
    Ce droit est partiellement ouvert aux hommes depuis 2010 (cf. infra).
  • [16]
    Les minima de pension (minimum contributif au régime général et minimum garanti dans la fonction publique) portent à un minimum (proratisé en fonction de la durée) la pension des assurés à faible salaire de référence.
Entretien avec 
Jean-Michel Hourriez
Responsable des études au COR et chercheur associé à l’Ined
Réalisé en mars 2012 par 
Catherine Bac
(Cnav)
et 
Carole Bonnet
(Ined)
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
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Mis en ligne sur Cairn.info le 04/10/2012
https://doi.org/10.3917/rs.063.0167
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