1 D’ici à 2050, la proportion de personnes âgées aura plus que doublé dans la totalité des pays du Sud. Le vieillissement de la population, avancé en Amérique latine, en Asie du Sud et au Maghreb, aura également débuté en Afrique subsaharienne. La plupart des pays du Sud vont donc devoir faire face aux problèmes sociaux liés à une croissance rapide du nombre de personnes âgées dans un intervalle de temps relativement court, mettant à l’épreuve la capacité d’adaptation des sociétés concernées (Velkoff et Kowal, 2007 ; Pison, 2009). Cette gérontocroissance sera accompagnée de fortes modifications des structures par âge.
2 L’Afrique est encore aujourd’hui un continent jeune. L’Afrique subsaharienne le sera pour un certain temps encore, car la fécondité reste en moyenne relativement élevée, surtout en milieu rural (Gendreau et al., 2002). Mais même si le poids relatif des personnes âgées restera relativement faible dans les décennies à venir, parmi les défis démographiques auxquels devra faire face l’Afrique subsaharienne figure l’augmentation à venir du nombre de personnes âgées, qui sera particulièrement forte au cours des quatre prochaines décennies (Guengant, 2007). Quant aux pays du Maghreb, où la transition démographique est en voie d’achèvement, ils connaîtront un fort vieillissement démographique dans les prochaines décennies, caractérisé à la fois par une forte gérontocroissance et par une augmentation du poids relatif de la population âgée dans la population totale. Au Maroc par exemple, le poids relatif des personnes de 60 ans et plus sera équivalent, dans 30 ans, à celui de la population âgée en France aujourd’hui.
3 Ainsi, du fait de baisses inégales de la fécondité, d’une mortalité relativement élevée dans certaines régions et de la mobilité de la population, de fortes différences de régimes démographiques existent sur le continent africain, entre pays, mais aussi au niveau infranational, notamment entre milieux urbain et rural. Ces structures démographiques variées reflètent la diversité des structures domestiques et familiales ainsi que celle des caractéristiques socioéconomiques, politiques et religieuses des différents pays. Les conditions de vie des personnes âgées sont liées à l’ensemble de ces éléments. Faire face aux conséquences sociales du vieillissement dans les pays dans lesquels il est déjà amorcé, et les anticiper dans les autres, nécessite une meilleure connaissance des conditions de vie des personnes âgées, des solidarités mobilisées en situation de dépendance, des relations intergénérationnelles complexes qui accompagnent la vieillesse.
4 Les politiques publiques à l’égard des personnes âgées sont inégalement développées sur le continent africain. Dans de nombreux pays à revenu faible ou intermédiaire, le système de protection sociale ne couvre qu’une minorité de la population, à savoir principalement les fonctionnaires et les travailleurs du secteur formel (Apt, 2002). En revanche, les travailleurs du secteur informel, les familles qui vivent de l’agriculture et de l’élevage, la grande majorité de la population, n’ont souvent aucune protection sociale et, par conséquent, une fois arrivés aux « grands âges » ils risquent de sombrer dans la misère s’ils ne peuvent plus travailler, de façon temporaire ou définitive. Les personnes âgées connaissent des difficultés d’accès aux soins inhérentes à leurs revenus faibles ou inexistants et aux carences des infrastructures sanitaires de leur pays. L’accès à un revenu minimal est loin d’être garanti. Sur le continent africain, seuls quelques pays ont mis en place un système de retraite non contributif. Ainsi, à l’île Maurice, en Afrique du Sud et dans quelques autres États d’Afrique australe, tous les citoyens de plus de 60 ans ont droit à une retraite minimale et ce, même en l’absence de cotisation. Sur le reste du continent, la grande majorité des personnes âgées ne bénéficient pas de pension de retraite. Au Maghreb, les régimes contributifs ne couvrent que partiellement la population, mais les situations sont contrastées, avec une couverture qui ne concerne aujourd’hui, selon le pays, que 20 à 38 % des personnes de plus de 60 ans (Dupuis et al., 2009). Il peut également exister de fortes disparités au niveau infranational ; au Maroc par exemple, une très faible part des personnes âgées résidant en milieu rural (et des femmes en général) perçoivent actuellement une pension de retraite. En l’absence de politique publique spécifiquement dédiée aux personnes âgées, il reste usuel pour l’heure de se reposer exclusivement sur ses proches dans la vieillesse.
5 Dans la plupart des pays, les femmes sont plus nombreuses que les hommes au moment de la vieillesse, et surtout plus isolées, du fait d’un veuvage précoce. Ce sont les femmes qui sont les plus vulnérables dans le processus de vieillissement démographique, en raison de ce déséquilibre social. Souvent plus exclues que les hommes du marché du travail à l’âge adulte, n’ayant pas toujours d’accès direct aux moyens de production dans le monde rural, elles doivent, plus que les hommes, compter sur d’autres personnes pour subvenir à leurs besoins dans la vieillesse.
6 Les inégalités sociales se construisent tout au long de la vie. À l’âge de la vieillesse, les ressources accumulées au fil de la vie permettent de compenser un moment les pertes de revenus entraînées par l’incapacité progressive. Les relations entre générations, incluant l’existence ou l’absence de solidarités privées, évoluent au gré des besoins et des moyens des uns et des autres, ainsi que de leur degré de proximité (Antoine, 2007). Mais les personnes âgées ont parfois investi tout au long de leur vie dans la consolidation d’un réseau social qui, du fait de chocs exogènes, n’est plus mobilisable au moment de la dépendance.
7 Dans les pays touchés par le Sida, certaines familles ne peuvent déjà plus prendre en charge tous leurs membres dépendants (Vignikin, 2007). La persistance de l’épidémie conduit des parents âgés à accompagner des enfants dans la maladie, subvenant à leurs besoins financiers, et à accueillir et élever leurs orphelins. De manière plus commune encore, la difficulté des jeunes générations à s’insérer sur le marché de l’emploi en milieu urbain ainsi que les conditions de travail et de logement sur place amènent les personnes âgées d’aujourd’hui à faire face aux besoins de leurs enfants et petits-enfants de plus en plus tard dans la vie. Cette inversion du sens des relations intergénérationnelles entraîne le maintien en activité d’hommes et de femmes de plus en plus âgés (Antoine, 2007).
8 Le vieillissement démographique amorcé dans certaines régions, prévu pour bientôt dans d’autres, va très probablement accentuer les changements en cours et renforcer les différences entre hommes et femmes aux âges les plus avancés. Hommes et femmes vont devoir faire face, à l’échelle des individus et des familles, aux changements économiques, sociaux et sanitaires qu’ajoute ce défi démographique. Ainsi, les différences de conditions de vie des personnes âgées, dans les contextes régionaux extrêmement variés représentés dans les pays du Sud, emprunts de forts clivages entre milieux rural et urbain, sont vouées à être confortées de manière plus radicale encore en l’absence de toute intervention étatique.
9 Dans ce contexte, la vieillesse elle-même est en mutation, et les représentations de la vieillesse méritent d’être réinterrogées. Lorsqu’elles existent, les politiques publiques ciblées sur les personnes âgées doivent évoluer et s’adapter à ces changements démographiques et sociaux. Mais, dans certains pays, elles sont encore embryonnaires, et leur mise en place nécessite une connaissance optimale des besoins et de leurs tendances.
10 Plus de travaux sur ce sujet sont nécessaires pour soutenir les démarches des États et des familles, qui tentent de s’adapter aux changements sociaux rapides attendus du fait du vieillissement démographique amorcé ou annoncé. Un réseau international de chercheurs s’est constitué autour de l’équipe Famille et Solidarités du Ceped [1]. Il se propose d’aborder la vieillesse et les conditions de vie des personnes âgées, dans le cadre des prémisses du vieillissement démographique dans les pays du Sud, en Afrique subsaharienne et au Maghreb en particulier, en croisant différents regards disciplinaires (démographie, anthropologie, économie, sociologie), à partir des sources existantes et à partir de nouvelles investigations de terrain. Trois échelles de travail seront développées, du local à l’international en passant par des comparaisons nationales structurées fondées sur l’analyse secondaire des données existantes (recensements, grandes enquêtes).
Notes
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[1]
Équipe Famille et Solidarités, Ceped – UMR 196, Université Paris Descartes - Ined-IRD.