1 Dans les années 1960 et 1970, le taux de pauvreté des personnes âgées était élevé en France, particulièrement au sein de la population des femmes seules âgées, veuves pour la plupart [1]. Il était alors clair que le système de réversion n’était pas suffisant et que le décès du conjoint se traduisait souvent par une situation matérielle difficile pour les veuves (Brocas, 2004). Ce constat émis à plusieurs reprises depuis la publication du rapport de la Commission d’étude sur les problèmes de la vieillesse en 1962 a conduit à un assouplissement, au régime général, des règles d’attribution de la réversion, et à des hausses successives du taux de réversion : ce taux est passé de 50 à 52% en 1982, et de 52 à 54% en 1995. Le mouvement se poursuit, puisqu’il a été décidé de relever ce taux pour le porter à 60% à compter du 1er janvier 2010 [2]. Parallèlement, les régimes complémentaires se sont développés, et ces derniers versent généralement des réversions au taux de 60% sans conditions de ressources.
2Aujourd’hui, la pauvreté a fortement reculé chez les personnes âgées, et notamment chez les veuves. Néanmoins, le niveau de vie moyen de ces dernières demeure un peu en deçà de celui du reste de la population, et leur taux de pauvreté reste sensiblement plus élevé. On peut alors se demander si cette faiblesse relative du niveau de vie des veuves résulte d’une insuffisance des dispositifs de réversion, qui ne leur permettraient pas de conserver leur niveau de vie antérieur au décès du mari, ou bien si elle relève d’effets de structure, par exemple l’appartenance des veuves à des générations anciennes, plus pauvres.
3Si les travaux empiriques sur la variation de ressources suite au décès du conjoint sont nombreux dans la littérature étrangère (Hurd, 1989; Hurd, Wise, 1989; Holden, Kim, 2001; Holden, Brand, 2003; Burkhauser et al., 2005; Sevak, Weir, Willis, 2003), ils sont rares en France, à l’exception de ceux de Delbès et Gaymu (2002). Une analyse sur cas types de la variation de niveau de vie suite au décès du conjoint a cependant été menée récemment par Bonnet et Hourriez (2009, voir p. 72 de ce numéro). Ils mettent en évidence que pour les générations de femmes à la retraite actuellement concernées par le veuvage, le niveau de vie suite au décès du conjoint devrait être en moyenne peu différent de celui qui prévalait avant le décès. Il peut cependant y avoir une perte ou un gain par rapport au niveau de vie antérieur au décès selon les situations individuelles. Le paramètre le plus déterminant est le ratio entre la retraite propre du survivant et celle du défunt. La perte de niveau de vie est ainsi maximale pour les veuves n’ayant pas ou peu de droits propres. La plupart des veufs actuels, en revanche, auraient un niveau de vie supérieur après le décès dès lors que leurs droits propres sont souvent plus élevés que ceux de leur conjointe et que la diminution de la taille des ménages est à leur avantage.
4Cet article complète l’approche par cas types de Bonnet et Hourriez (2009) en apportant des éléments empiriques de deux ordres. Il s’agit tout d’abord de déterminer si, lors d’un passé récent, les personnes veuves âgées de 65 ans et plus ont vu ou non leur niveau de vie diminuer en moyenne lors du décès de leur conjoint. On s’interroge aussi sur les facteurs socio-économiques pouvant jouer un rôle, et sur l’existence de catégories connaissant des gains ou des pertes de niveau de vie importants. Il s’agit ensuite de quantifier le rôle de cette variation de ressources suite au décès du conjoint dans les écarts de niveau de vie entre personnes veuves et mariées, ce qui permettra d’en déduire l’importance des effets de structure. Ce travail s’appuie sur les enquêtes « Revenus fiscaux » (ERF) 1996-2001. Il est important de souligner qu’on laisse de côté dans le cadre de cet article la question du veuvage précoce. Cette problématique mérite une étude à part entière, les situations de pauvreté étant particulièrement fréquentes parmi les jeunes veuves et veufs, bien plus que parmi les veuves et veufs âgés [3].
Données utilisées et champ de l’étude
5Une des difficultés pour étudier les conséquences économiques du veuvage réside dans la disponibilité des données. Il faut en effet disposer de données de panel permettant de suivre les individus, et de données sur les revenus suffisamment détaillées. Par ailleurs, le veuvage étant un événement « rare » [4], l’échantillon de population doit être suffisamment grand. Il n’existe en France que peu de données de ce type, à l’exception de celles du panel européen (partie française de l’European Community Household Panel, ECHP ). Pour des raisons liées à la taille de l’échantillon des décès observés dans le panel européen et aux erreurs sur les revenus lors des déclarations dans les enquêtes auprès des ménages pouvant perturber l’exploitation des données en longitudinal [5], nous avons mobilisé une autre source : les ERF ( cf. encadré). Ces dernières présentent l’avantage important d’enregistrer des données administratives de revenus, a priori moins bruitées que les déclarations dans les enquêtes (Burkhauser, Holden, Myers, 1986). Les données fiscales peuvent être affectées de biais liés à la législation (omission d’éléments de revenus non imposables, tels que les majorations de montants de pension pour trois enfants, ou les pensions d’anciens combattants, etc.) ou à l’évasion fiscale, mais ces erreurs sont systématiques et ne perturbent pas trop l’exploitation en longitudinal, contrairement au bruit qui affecte les déclarations dans les enquêtes auprès des ménages. Par ailleurs, reposant sur les enquêtes « Emploi », l’échantillon est de taille importante et peut être suivi sur trois ans, l’enquête « Emploi » étant renouvelée par tiers chaque année. Enfin, les ERF prennent en compte l’ensemble des ressources du ménage, même si les revenus du patrimoine financier sont sous-estimés (Legendre, 2004).
Les enquêtes « Revenus fiscaux » de l’Insee
On peut, à l’aide des ERF, calculer plusieurs types de revenus :
- le revenu déclaré correspond à la somme des revenus déclarés au fisc avant abattements (revenus d’activité salariée ou indépendante, indemnités de chômage, pensions alimentaires, d’invalidité ou de retraite, et revenus du patrimoine). Ces revenus sont nets de cotisations sociales et de contribution sociale généralisée (CSG) déductible;
- le revenu disponible correspond au revenu déclaré auquel on ajoute les prestations non imposables (imputées) et auquel on soustrait les impôts directs (impôt sur le revenu net d’avoir fiscal ou de crédit d’impôt, taxe d’habitation, CSG non déductible et contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS)).
Une des principales limites [6] des ERF tient à l’absence d’information sur certains revenus du patrimoine non déclarés (revenus du patrimoine exonérés d’impôt sur le revenu ou imposés au prélèvement libératoire [7] ), car, par définition, ils n’apparaissent pas sur la déclaration fiscale. L’ERF 2001 ne collecterait ainsi que 12% à 23% des revenus des valeurs mobilières enregistrés par la comptabilité nationale, et à peu près 50% des revenus des patrimoines immobiliers (Legendre, 2004). La dernière ERF 2006 pallie cette absence d’information en ajoutant désormais au revenu des ménages les revenus générés par différents produits financiers non recensés par la source fiscale et estimés (Goutard, Pujol, 2008).
6On ne considère dans cet article que les individus en couple mariés sans enfant [8] dans le ménage et les veufs et veuves vivant seuls, âgés de 65 ans et plus [9]. Pour simplifier la lecture du texte, on les qualifiera respectivement de couples et de personnes veuves. On laisse en particulier de côté la question du veuvage précoce, lorsque le décès intervient en cours de vie active et/ou que des enfants sont encore à la charge du conjoint survivant. C’est une question à part entière, qui ne relève pas uniquement de la problématique de la pension de réversion [10]. Par ailleurs, les décès étudiés dans le cadre de cet article sont intervenus entre 1997 et 2001, soit sous la législation des pensions de réversion en vigueur avant la réforme de 2003. Cette dernière a assoupli un certain nombre de conditions pour l’attribution de la réversion et a en particulier supprimé la condition de cumul entre droits propres et pension de réversion (Albert, Bridenne, 2006; apRoberts, 2008). Sans s’étendre sur les conséquences de ces modifications, on peut dire que la législation avant la réforme de 2003 était sensiblement plus contraignante pour la population étudiée dans le cadre de cet article (couples de retraités et veufs/veuves vivant seul(e)s, âgés de 65 ans et plus). Les baisses de niveau de vie suite au décès du conjoint potentiellement observées auraient ainsi été un peu moins prononcées avec la législation post-2003.
Un niveau de vie des veuves actuellement en dessous de la moyenne de la population
7On observe aujourd’hui que, contrairement au passé, les veuves ne constituent plus en moyenne une population globalement défavorisée, bien que leur niveau de vie demeure légèrement en dessous de la moyenne. Beaucoup moins nombreux [11], les veufs ont un niveau de vie un peu au-dessus de la moyenne. Ainsi, si l’on prend comme référence le niveau de vie médian des couples mariés de personnes âgées (65 ans ou plus), le niveau de vie médian des veuves âgées vivant seules est inférieur de 14% tandis que celui des veufs vivant seuls est supérieur de 5% ( cf. tableau 1). Il est bien évident que ces résultats moyens masquent la diversité des situations et d’éventuels cas de précarité. Ainsi, en 2004, le taux de pauvreté des veuves de plus de 75 ans vivant seules demeure un peu supérieur à la moyenne de la population : 6,3% contre 5,3% avec le seuil de pauvreté à 50% de la médiane, ou bien 14% contre 10% avec le seuil de pauvreté à 60% de la médiane [12] (Cor, 2007a).
Niveau de vie moyen et médian des plus de 65 ans, selon la situation matrimoniale

Niveau de vie moyen et médian des plus de 65 ans, selon la situation matrimoniale
8Le niveau de vie moyen des veufs est supérieur de 8% à celui des couples mariés. Celui des veuves est inférieur de 16% en moyenne à celui des femmes mariées de 65 ans et plus.
9Si on ne reviendra pas sur cette question par la suite, il faut cependant noter, comme il est rappelé et détaillé dans Cor (2008b), que « l’écart entre le niveau de vie moyen des veuves et celui des couples âgés apparaîtrait sans doute plus important si l’on prenait en compte l’intégralité des revenus du patrimoine, et non plus seulement les revenus du patrimoine mentionnés sur la déclaration fiscale ( cf. encadré, p. 109). Les veuves âgées de 65 ans ou plus possèdent en effet 2,5 fois moins de patrimoine (en moyenne ou en médiane) que les couples de 65 ans ou plus [13]. Le patrimoine immobilier possédé au titre de la résidence principale est deux fois moins élevé en moyenne. En effet, seulement 50% d’entre elles possèdent leur résidence principale, contre 75% des couples, leur logement est de moindre valeur, et elles n’en possèdent parfois qu’une partie s’il y a démembrement du patrimoine lors de la succession. Ceci est en partie compensé par le fait qu’elles sont souvent usufruitières de tout ou partie de leur résidence principale [14]. Ainsi, si le patrimoine possédé en pleine propriété est fortement réduit, le loyer fictif dont jouissent les veuves est plus conséquent. Au total, les écarts de revenus par unité de consommation entre veuves et couples ne semblent pas plus importants pour les loyers fictifs que pour les retraites [15]. En revanche, la prise en compte du patrimoine de rapport devrait accentuer l’écart entre le niveau de vie moyen des veuves et celui des couples âgés. En effet, le patrimoine de rapport des veuves (placements financiers, autres biens immobiliers ou fonciers) étant trois fois moins élevé en moyenne que celui des couples, les revenus tirés de ce patrimoine seraient environ trois fois moins importants pour les veuves, et les revenus par unité de consommation environ deux fois plus faibles.
10Une des raisons à l’écart de niveau de vie observé entre les veuves et les couples âgés est que les veuves sont en moyenne plus âgées que les femmes mariées. Cependant, les écarts de niveau de vie se retrouvent à tous les âges dans des proportions comparables ( cf. tableau 2).
Niveau de vie moyen des femmes de plus de 65 ans, selon la situation matrimoniale et l’âge

Niveau de vie moyen des femmes de plus de 65 ans, selon la situation matrimoniale et l’âge
11En contrôlant non seulement l’âge mais aussi d’autres variables socio-démographiques de la femme, telles que la catégorie socio-professionnelle (CSP), celle du père [16] et le diplôme, l’écart entre le niveau de vie des veuves et celui des femmes mariées de mêmes caractéristiques est encore de 12,5% (régression du log du niveau de vie par les MCO). Deux raisons pourraient être avancées pour expliquer cet écart persistant :
- la variation des ressources liée au décès du conjoint;
- l’hétérogénéité inobservée, qui résulte notamment de la mortalité
différentielle selon le statut social. L’espérance de vie à 35 ans d’un
cadre est supérieure de 6 ans à celle d’un ouvrier pour les hommes,
mais de 2 ans seulement pour les femmes (Cambois et al., 2008). Par
conséquent, on s’attend à ce que les femmes des milieux ouvriers
soient veuves plus tôt et plus longtemps que les femmes des milieux
cadres. D’où une surreprésentation probable des femmes d’ouvriers
parmi les veuves, et des cadres parmi les retraités en couple. Les veuves
appartiendraient en moyenne à des milieux moins favorisés. Dans les
données transversales, il s’agit d’une caractéristique inobservée, car
nous ne connaissons pas la CSP du mari décédé. Cette question de la
sélection des veuves liée à la mortalité différentielle est souvent
évoquée dans les travaux sur le veuvage (McGarry, Schoeni, 2005;
Sevak, Weir, Willis, 2003). Une autre forme probable d’hétérogénéité inobservée pouvant expliquer la faiblesse du niveau de vie des veuves résulterait du veuvage précoce. En effet, ce type de décès concerne surtout les hommes peu qualifiés [17] et les pensions de réversion sont alors calculées sur la base d’une carrière inachevée. La date de décès du conjoint n’est pas connue dans les données transversales.
12Le premier aspect concernant la variation des ressources suite au décès du conjoint est l’aspect qui nous intéresse plus particulièrement dans le cadre de cet article, en lien avec la problématique du niveau de la pension de réversion. Afin de mesurer la variation des ressources d’un couple marié de personnes âgées lors du décès du conjoint, nous proposons deux approches concurrentes. Une première approche, dite longitudinale, consiste à exploiter le panel de l’ERF sur trois ans, pour comparer directement avant et après décès le revenu des ménages qui ont connu le veuvage. Une deuxième approche, dite en pseudo-panel, consiste à comparer le revenu moyen de couples dans lesquels on sait qu’un des deux conjoints va décéder l’année qui suit à celui des personnes devenues veuves la même année. Enfin, on analyse quelle part de l’écart constaté en coupe transversale entre le niveau de vie moyen des veuves et des couples âgés est imputable à la variation de ressources suite au décès du conjoint. Le reste est attribué à de l’hétérogénéité, qu’elle soit observée ou non.
Évaluation en panel sur trois ans de la variation de niveau de vie suite au décès du conjoint
13En s’appuyant sur le renouvellement par tiers de l’enquête « Emploi », il est possible de suivre les revenus des ménages pendant trois ans. Les données disponibles permettent de le faire sur deux échantillons de 25000 ménages, respectivement sur la période 1998-2000 et 1999-2001 ( cf. encadré, p.109). Pour les couples mariés qui ont connu un décès lors de l’année centrale, on va ainsi comparer les revenus du couple l’année civile qui précède le décès aux revenus du conjoint survivant l’année civile qui suit le veuvage. Disposer de trois ans permet de considérer les revenus de la personne veuve sur une année complète [18].
14Même si la taille de l’échantillon incite à la prudence, les femmes qui connaissent un décès au cours de la période 1997-2001 voient leur niveau de vie baisser en moyenne de 3% suite au veuvage. Les hommes connaissent un niveau de vie supérieur de 17% en moyenne après le décès de leur conjointe [19] ( cf. tableau 3, p. 116). Ils disposent presque toujours d’un niveau de vie supérieur après le décès, la diminution de la taille des ménages étant à leur avantage. Leur niveau de vie peut ainsi connaître une hausse dans de nombreux cas, sans qu’ils bénéficient de la pension de réversion. Il est important de rappeler que les variations de niveau de vie calculées sont dépendantes de l’échelle d’équivalence retenue. Avec l’échelle d’équivalence standard utilisée dans cet article, le niveau de vie est maintenu suite au décès si les revenus de la veuve ou du veuf représentent deux tiers des revenus du couple antérieur. Si l’échelle était différente, par exemple si on adoptait celle calculée par Bonnet et Hourriez (2009), qui apparaît plus adéquate dans le cas du veuvage, la baisse moyenne de niveau de vie serait plus importante, de 10% environ.
15Si le niveau de vie des veuves connaît une légère baisse en moyenne (environ 3%), cette baisse est de plus de 8% pour un quart d’entre elles ( cf. tableau 3, p. 116).
16Ces résultats sur la variation de niveau de vie suite au décès du conjoint sont cohérents avec ceux que l’on peut obtenir à partir de l’EIR ( cf. annexe 2, p. 128). Cette comparaison permet de mettre par ailleurs en évidence le fait que la prise en compte des transferts et de la fiscalité [20] dans l’ERF amortit les variations de niveau de vie par rapport à un calcul dans lequel on ne tiendrait compte que des revenus de retraite ajustés de la taille du ménage ( cf. annexe 2, p. 128).
Variation du revenu disponible et du niveau de vie, avant (t-1) et après veuvage (t+1)

Variation du revenu disponible et du niveau de vie, avant (t-1) et après veuvage (t+1)
17Conformément aux analyses sur cas types (Bonnet, Hourriez, 2009), avoir des ressources propres (essentiellement une pension de retraite) qui représentaient une part élevée du revenu du ménage avant le veuvage diminue la probabilité de connaître une baisse du niveau de vie ( cf. tableau 4). En revanche, alors qu’on pourrait s’attendre à un effet du statut du conjoint décédé (secteur public ou secteur privé) compte tenu des règles de la réversion, cette variable n’a pas d’effet significatif. Les taux de réversion sont plus généreux pour les salariés du privé que pour le secteur public, mais il existe une condition de ressources dans le régime de base [21]. Il faut cependant noter que la variable indique le fait d’avoir travaillé dans le secteur public, l’administration et/ou les collectivités locales mais ne renseigne pas sur l’appartenance à la Fonction publique [22]. Enfin, parmi les autres variables de niveau social susceptibles d’expliquer la variation de niveau de vie suite au décès, le revenu avant décès, la CSP du conjoint et celle du survivant n’ont pas d’effet. Le maintien du niveau de vie semble ainsi assuré en moyenne pour l’ensemble de la population des veuves, à l’exception de celles dont les revenus propres représentaient une faible part des revenus totaux du couple.
Probabilité de connaître une baisse du niveau de vie suite au décès du conjoint

Probabilité de connaître une baisse du niveau de vie suite au décès du conjoint
Évaluation en pseudo-panel de la variation de niveau de vie suite au décès du conjoint
18L’exploitation longitudinale sur trois ans présentée précédemment conduit à un échantillon limité de 147 événements de veuvage. Afin de conforter les résultats obtenus, nous retenons une deuxième approche permettant d’évaluer la variation moyenne ou médiane du niveau de vie suite au décès du conjoint. On compare le revenu de couples dans lesquels on sait qu’un des deux conjoints, âgés de 63 ans et plus, va connaître le veuvage l’année qui suit, au revenu de veufs (veuves) âgé(e)s de 65 ans et plus qui viennent de connaître le décès de leur conjoint l’année qui précède. On construit ainsi un pseudo-panel en suivant plusieurs cohortes correspondant à plusieurs années de décès. Concrètement, pour une année n donnée, on observe dans l’ERF de l’année (n-1) les couples pour lesquels on sait que l’homme (la femme) va décéder entre mars de l’année (n) et mars de l’année (n+1) [23]. Puis on observe dans l’ERF de l’année (n+1) les veuves récentes dont on sait qu’elles viennent de perdre leur mari entre mars de l’année (n) et décembre de l’année (n) [24]. La comparaison des statistiques relatives à ces deux sous-populations permet de déterminer si la population de femmes retraitées devenant veuves connaît ou non une dégradation de son niveau de vie moyen ou médian suite au décès. Une analyse symétrique est menée pour les hommes devenant veufs.
19Les résultats sur la variation de niveau de vie suite au décès du conjoint ( cf. tableau 5) sont proches de ceux obtenus sur le panel de trois ans ( cf. tableau 3, p. 116). Le niveau de vie des femmes devenues veuves sur la période connaît une baisse moyenne de 3% alors que les hommes devenus veufs voient leur niveau de vie augmenter de 14% en moyenne ( cf. tableau 5).
Variation du revenu disponible et du niveau de vie, avant (t-1) et après veuvage (t+1) – pseudo-panel

Variation du revenu disponible et du niveau de vie, avant (t-1) et après veuvage (t+1) – pseudo-panel
20De même que sur les données en panel, nous essayons de mettre en évidence certaines variables pouvant avoir une influence sur la variation du niveau de vie suite au décès du conjoint ( cf. annexe 3, p.132). Cependant, aucune des variables retenues ne semble influer significativement sur la variation de niveau de vie. Notons que la seule variable qui jouait significativement en panel, à savoir la part de la femme dans les retraites du couple, n’est pas disponible en pseudo-panel [25].
Quels effets de structure dans les écarts de niveau de vie entre personnes veuves et personnes mariées ?
21Deux raisons avaient été avancées au début de l’article pour expliquer
l’écart de 16% entre le niveau de vie moyen des veuves et celui des
femmes mariées de plus de 65 ans : la variation de ressources suite au
décès du conjoint et des effets de structure liés à la génération ou à
l’hétérogénéité observée ou inobservée (personnes issues de milieux
aisés surreprésentées dans les couples âgés, et personnes issues de
milieux populaires ou personnes ayant connu le veuvage en cours de vie
active surreprésentées parmi les veuves). La décomposition du ratio entre
le niveau de vie moyen (ou médian) des couples et celui des personnes
veuves (selon l’égalité I ci-dessous) permet de quantifier le rôle des deux
effets de variation de ressources et de structure, sans toutefois pouvoir
distinguer à ce stade l’ampleur de l’hétérogénéité inobservée [26]


22ratio entre le niveau de vie de l’ensemble des veuves et le niveau de vie
de l’ensemble des couples, tel qu’il est mesuré en coupe transversale
dans l’ERF n (revenus de l’année civile n et observation de la situation
démographique en mars n+1 [27] ).

23ratio entre le niveau de vie de l’ensemble des veuves [28] et le niveau de vie
des veuves « récentes », c’est-à-dire des individus qui étaient en couple
marié sans enfant en mars (n-1) et sont veufs en décembre (n-1).

24ratio entre le niveau de vie des couples dont un des deux conjoints va
décéder entre mars (n+1) et mars (n+2) et le niveau de vie de l’ensemble
des personnes âgées qui sont en couple marié en mars (n+1).

25Ce dernier ratio compare, en coupe transversale, le niveau de vie des individus devenus veufs entre mars (n-1) et décembre (n-1), au niveau de vie des couples dans lesquels le conjoint va décéder entre mars (n+1) et mars (n+2). On devrait obtenir des résultats proches de ceux issus des calculs sur le pseudo-panel, après correction de l’effet noria. En effet, pour obtenir des grandeurs comparables au numérateur et au dénominateur, il faut corriger ce ratio de (1+g)², g étant l’effet noria des niveaux de vie (taux de croissance du niveau de vie moyen au fil des générations, en euros constants). En effet, les couples considérés au dénominateur vont connaître un veuvage en (n+1), c’est-à-dire deux ans plus tard que les individus au numérateur, devenus veufs en (n-1). Le paramètre g est un peu supérieur à 1% par an (Cor, 2007b).
Décomposition du ratio de niveau de vie (veuves/couples) pour les femmes

Décomposition du ratio de niveau de vie (veuves/couples) pour les femmes
26Ainsi, pour les veuves, l’écart de 16% en moyenne de leur niveau de vie par rapport à celui des couples mariés (terme 1) s’expliquerait pour un peu plus du tiers par la variation de leur niveau de vie suite au décès du conjoint (terme 4) [29]. Le reste est attribuable à des effets de structure (termes 2 et 3), en particulier à la différence de niveau de vie qui prévalait avant le veuvage entre couples mariés et couples mariés concernés par le veuvage.
Décomposition du ratio de niveau de vie (veufs/couples) pour les hommes

Décomposition du ratio de niveau de vie (veufs/couples) pour les hommes
Conclusion
27Cet article étudie la variation du niveau de vie des retraités en couple sans enfant suite au décès de leur conjoint. Pour cela, deux méthodes ont été utilisées pour estimer la perte moyenne ou médiane de revenus lors du décès, en utilisant les données des enquêtes « Revenus fiscaux » 1996 à 2001, permettant d’observer les personnes devenues veuves à cette date. Ces deux méthodes conduisent à des résultats très proches. Même si la taille de l’échantillon incite à la prudence, pour les femmes, la variation du niveau de vie suite au décès du conjoint est faible, mais légèrement négative en moyenne comme en médiane, autour de - 3%. Cette baisse est cependant de plus de 8% pour un quart d’entre elles, en particulier parmi les femmes n’ayant pas de droits propres. Pour les hommes, la variation moyenne ou médiane du niveau de vie est nettement positive : entre + 14% et + 22%.
28Les dispositifs français de réversion permettent donc globalement de maintenir à peu près le niveau de vie des veuves, même si ce n’est pas un objectif clairement affiché (Cor, 2008b). Pour les hommes veufs, qui disposent de droits propres élevés, la pension de réversion permettrait d’aller au-delà du maintien du niveau de vie. La question se pose de savoir s’il en sera de même pour les futures générations de femmes retraitées, qui auront davantage travaillé et se seront constitué des droits propres plus importants, quoique toujours inférieurs à ceux des hommes (Crenner, 2008). L’ensemble de ces résultats sont cohérents avec ceux obtenus par des analyses sur cas types menées par ailleurs (Bonnet, Hourriez, 2009).
29Les résultats concernant la variation de niveau de vie dépendent de l’échelle d’équivalence retenue. Dans cet article, nous avons utilisé l’échelle d’équivalence standard, qui considère que le maintien du niveau de vie correspond à une baisse des revenus de 33% pour le ménage. Les résultats seraient sensiblement différents si on raisonnait à l’aide d’une échelle d’équivalence tenant compte par exemple de la mobilité réduite des veuves suite au décès du conjoint et du fait qu’elles n’ajustent donc pas la taille de leur logement à la baisse (Bonnet, Hourriez, 2009).
30Enfin, on observe que l’écart de 16% constaté au cours de la période étudiée entre le niveau de vie moyen de l’ensemble des veuves de plus de 65 ans et les couples mariés de plus de 65 ans n’est que peu lié à la baisse des ressources lors du veuvage. Au-delà des effets de génération, les effets de sélection liés notamment à la mortalité différentielle (surreprésentation parmi les couples âgés de personnes issues de milieux aisés et de personnes issues de milieux populaires parmi les veuves) jouent un rôle important, qui nécessite cependant des investigations supplémentaires afin de pouvoir en quantifier l’ampleur. Cette question est laissée à de futures recherches.
31Remerciements
32 Nous remercions Carine Burricand (Drees) pour l’annexe 1, réalisée à partir des données de l’Échantillon interrégimes des retraités (EIR). Nous remercions également Agnès Gramain (Université Paris Dauphine), Yves Guégano et le secrétariat général du Conseil d’orientation des retraites pour leurs commentaires, les deux rapporteurs de la revue, ainsi que Pascal Chevalier (Division Revenus, Insee) pour l’accès aux données des enquêtes « Revenus fiscaux » (ERF). Nous restons bien évidemment seuls responsables des erreurs pouvant subsister.
Annexe 1 - Limites de l’utilisation du panel européen des ménages et des enquêtes « Revenus fiscaux » pour étudier la variation de niveau de vie suite au veuvage
33 Le panel européen
34 Le panel européen est en théorie la meilleure source pour étudier la variation du revenu lors du décès du conjoint, puisque les individus sont suivis année par année pendant huit ans même s’ils déménagent, avec un questionnaire complet sur les revenus et les conditions de vie. Malheureusement, cette source souffre de deux limites. D’une part, la taille de l’échantillon est limitée (le panel s’efforce de suivre un échantillon d’environ 11000 adultes répartis initialement dans 7000 ménages), de sorte que l’on enregistre peu de veuvages [30] (Ahn, 2004). D’autre part, la mesure des revenus de chaque ménage interrogé est affectée d’un bruit important. En effet, lorsqu’un enquêteur interroge un ménage sur ses ressources, de nombreuses erreurs aléatoires peuvent survenir : oubli ou au contraire double compte d’une source de revenus (erreur potentiellement fréquente pour les retraités, qui perçoivent souvent des pensions provenant de plusieurs régimes de retraite); confusions (montants mensuels/trimestriels/annuels, euros/francs/anciens francs); erreur sur la définition du revenu (montants bruts/nets à payer/imposables); précision variable des sources d’information (les revenus peuvent être communiqués à l’enquêteur à partir d’un document tel qu’un relevé de retraite ou la déclaration fiscale, ou bien de mémoire avec des erreurs d’arrondi); information imparfaite au sein du ménage (lorsqu’un individu répond pour son conjoint). Ces erreurs ne sont pas propres au panel européen, car elles concernent toutes les enquêtes par questionnement direct auprès des ménages [31]. Mais elles prennent une grande importance lorsque l’on exploite les données longitudinalement [32]. Une manière de résoudre cette difficulté consisterait à comparer la moyenne des revenus observés pendant au moins trois années consécutives après le veuvage à la moyenne des revenus observés trois années avant le veuvage. Mais alors l’échantillon de décès exploitables se réduirait considérablement.
35Les enquêtes « Revenus fiscaux »
36 L’utilisation des ERF dans le cadre de ce travail sur la variation de niveau de vie suite au décès du conjoint n’est pas non plus exempte de difficultés. Dans un certain nombre de cas, en effet, l’appariement entre l’enquête « Emploi » et les fichiers fiscaux échoue parce qu’on ne retrouve pas la déclaration fiscale pour l’année n d’un individu présent à l’enquête « Emploi » de mars (n+1). En moyenne, le taux d’échec d’appariement se situe entre 8 et 9%, d’où des biais possibles. Ainsi, le non-appariement est un peu plus important pour les personnes veuves (en particulier les femmes [33] ). Cela peut provenir du fait que certains individus âgés à faibles ressources ne remplissent pas toujours leur déclaration fiscale [34]. Non imposables, ne payant pas d’impôts et ne recevant pas de prestations logement ou famille, ces individus négligent de remplir leur déclaration. Il se pourrait alors que l’ERF surestime le niveau de vie moyen des personnes âgées, et en particulier des personnes veuves. Toutefois, au vu d’une comparaison entre l’ERF et l’EIR ( cf. encadré, p. 126), cette surestimation reste limitée, et elle apparaît à peine plus importante pour les veuves que pour les autres retraités, de sorte qu’elle ne devrait pas trop affecter l’estimation de la variation de niveau de vie suite au veuvage.
37Par ailleurs, le panel de l’enquête « Emploi », dans la mesure où l’échantillon est renouvelé par tiers, est un panel de logements et non d’individus. Une seconde cause de « perte » d’individus résulte de leur déménagement éventuel pour un autre logement ordinaire ou pour une entrée en institution. On ne les retrouverait donc pas d’une enquête « Emploi » sur l’autre. Cette attrition pourrait être problématique dans le cadre de notre travail si elle était liée à la fois au décès du conjoint et à la variation de niveau de vie. Par exemple, si suite au décès du conjoint, les veuves connaissant la baisse de niveau de vie la plus importante déménageaient, nos résultats pourraient être biaisés. D’après la littérature existante, il ne semble pas cependant que nous soyons confrontés à ce type de problème. Envisageons successivement trois types de mobilité suite au décès du conjoint : vers un autre logement ordinaire, vers une institution ou chez les enfants. Concernant ces deux dernières, le décès du conjoint ne semble pas accroître la probabilité d’entrer en institution (Metzger et al., 1997), ni celle d’une corésidence avec les enfants (Bonnet, Gobillon, Laferrère, 2007). Par ailleurs, en ce qui concerne les mouvements vers des logements ordinaires, si devenir veuve accroît la probabilité de déménager, cette probabilité est indépendante du revenu pour les veuves récentes (Bonnet, Gobillon, Laferrère, 2007). L’attrition liée au déménagement ne semble donc pas pouvoir induire de biais sur nos résultats.
Distribution comparée des pensions de retraite dans l’échantillon interrégimes des retraités 2004 et dans l’enquête « Revenus fiscaux » 2004
Cette surestimation de la distribution des retraites apparaît plus importante parmi les veuves. L’écart sur la retraite moyenne atteint 8,3% sur le champ des veuves âgées de 65 ans et plus. Cet écart se retrouve à tous les niveaux de la distribution, mais il est plus important pour les petites retraites. En effet, le niveau du premier décile est supérieur de 11% dans l’ERF à celui issu de l’EIR ( cf. graphique ci-contre). On peut avancer plusieurs raisons à cette surestimation des niveaux de pension de retraite dans l’ERF. Comme mentionné dans l’annexe 1, les personnes à faible niveau de vie, dont une partie ont de faibles retraites même si les deux sous-populations ne se recouvrent pas, peuvent ne pas remplir de déclaration fiscale. Par ailleurs, l’ERF couvre seulement les ménages ordinaires, alors que l’EIR comprend aussi les pensions versées aux personnes en institution. Ces dernières sont plus âgées, plus souvent des femmes et avec de plus faibles niveaux de ressources que les personnes de plus de 65 ans en ménage ordinaire (Delbès, Gaymu, 2005; Eenschooten, 2001). Ce phénomène prend une importance accrue pour les veuves. Ainsi, d’après le recensement de 1999,24,2% des veuves âgées de 85 ans et plus vivent hors ménage. Enfin, même si l’effet est marginal, la perception de retraites en provenance de caisses étrangères (par exemple, par des retraités étrangers résidant en France) mais déclarées en France, ou encore de retraites surcomplémentaires d’entreprise, peuvent jouer à la hausse sur le niveau de pension moyenne, puisque ces retraités n’apparaissent pas dans l’EIR.
Comparaison des distributions de pensions des veuves (droits directs et droits dérivés) dans l’EIR et l’ERF 2004

Comparaison des distributions de pensions des veuves (droits directs et droits dérivés) dans l’EIR et l’ERF 2004
Annexe 2 - Variation des ressources suite au décès du conjoint : évaluation à partir de l’Échantillon interrégimes des retraités (EIR)
38L’EIR est le résultat d’une opération statistique visant à reconstituer le montant de la retraite globale tous régimes. Le système de retraite français est en effet composé de différents régimes dépendant du statut professionnel des individus. Cela conduit de nombreux retraités à bénéficier de pensions en provenance de plusieurs régimes d’affiliation et seule une base de données telle que l’EIR permet de reconstituer l’intégralité de la pension de l’individu. Afin de constituer cette base, la quasi-totalité des organismes de retraite obligatoires de base comme complémentaires, sont interrogés pour obtenir les données sur les avantages de retraite d’un échantillon anonyme d’individus. Afin de suivre l’évolution des pensions de retraite au fil du temps, l’EIR se présente sous la forme d’un panel et est renouvelé tous les quatre ans depuis 1988. La dernière vague, réalisée en 2004, comprend un échantillon de 146000 individus retraités, âgés de 54 ans et plus ( cf. Burricand, Deloffre, 2006 pour des informations plus détaillées sur l’EIR).
39L’objectif est ici d’utiliser l’EIR afin de disposer d’éléments permettant de confronter les résultats obtenus sur l’ERF concernant la variation de niveau de vie suite au décès du conjoint. L’EIR ne mesurant que les retraites et non les autres ressources du ménage (prestations, revenus du patrimoine, etc.), on ne peut étudier que la variation des revenus de retraite par unité de consommation.
40L’EIR présente trois avantages principaux : un large échantillon de retraités, le recueil auprès des régimes concernés de l’ensemble des droits de l’individu, et la distinction des différents avantages de pension (droit direct, droit dérivé, avantages accessoires, minimum vieillesse), ce qui permet de raisonner sur un champ cohérent avec celui de l’ERF. A contrario, il s’agit de données purement administratives et peu d’informations sociodémographiques sont disponibles. En particulier, on ne connaît pas la retraite du conjoint lorsqu’il est vivant. Néanmoins, comme nous allons le voir, l’EIR permet souvent, pour les veuves, de reconstituer la retraite du conjoint défunt.
41Reconstitution de la pension de retraite du conjoint décédé à partir de la pension de réversion perçue par le conjoint survivant, à partir des données de l’EIR
42 Dans un régime de retraite sans condition de ressources pour le bénéfice de la pension de réversion, le niveau de cette dernière permet de reconstituer la pension de droit direct du conjoint décédé [36]. Il suffit en effet d’appliquer le taux de réversion en vigueur dans le régime d’affiliation du défunt. La situation est plus complexe dans le cas des régimes soumettant le bénéfice de la réversion à une condition de ressources (tels le régime général, les régimes alignés et la CNAVPL [37] ) [38]. En effet, si on ne dispose que du montant de la réversion et du droit direct, il est impossible de reconstituer la pension du décédé, les autres revenus (revenus d’activité, du patrimoine personnel) intervenant dans la condition de ressources n’étant pas connus. Cependant, pour la CNAVTS [39], on dispose dans l’EIR d’une variable « droit théorique », correspondant au montant théorique de la pension de réversion, avant tout écrêtement, et avant la comparaison au minimum de pension ou au maximum de pension, soit 54% de la pension de droit direct du conjoint décédé. On peut donc appliquer le calcul précédent pour les bénéficiaires d’une pension de réversion écrêtée. Cette variable n’est cependant disponible que pour le régime général.
43Au final, le champ retenu est donc celui des régimes pour lesquels on peut reconstituer la somme des pensions de retraite dont bénéficiait le couple avant le décès du conjoint. Plus précisément, sont concernés les monoréversés des régimes Cnav, Fonction publique, régimes spéciaux et CNRACL [40], ou les polyréversés dont toutes les pensions de réversion appartiennent à l’un de ces régimes [41]. On exclut les bénéficiaires d’un droit dérivé à la MSA [42], au RSI [43] et à la CNAVPL (soit environ un tiers des bénéficiaires d’une pension de réversion en 2004), pour lesquels nous ne disposons pas d’informations suffisantes pour recalculer la pension de droit direct du conjoint décédé.
44Une autre restriction de champ correspond à l’absence d’information lorsque la condition de ressources conduit au non-versement d’une pension de réversion au régime général. Si la situation de veuvage de ces individus est repérée par le versement de droits dérivés par les régimes complémentaires, il est cependant impossible de reconstituer la pension Cnav. Ce cas est assez peu fréquent chez les femmes (environ 5% des veuves) mais il l’est beaucoup plus chez les hommes (40% des veufs retraités ne perçoivent pas de droit dérivé) (Burricand, 2007). Par ailleurs, par construction, l’EIR ne recense que les individus percevant une pension de droit direct ou de droit dérivé. On ne peut donc identifier les individus veufs d’un conjoint n’ayant jamais travaillé et ne percevant pas de droit dérivé. Ce cas est bien évidemment plus répandu parmi les hommes. Ces deux raisons nous conduisent à n’exploiter l’EIR que sur le sous-champ des femmes veuves.
45À partir de l’EIR, la variation moyenne des revenus de retraite ajustés à l’aide de l’échelle d’équivalence standard est légèrement supérieure à celle obtenue à partir de l’ERF ( cf. tableau ci-après) [44].
Variation des revenus de retraite ajustés avant et après veuvage

Variation des revenus de retraite ajustés avant et après veuvage
46Avoir un conjoint qui était fonctionnaire est synonyme d’une probabilité de connaître une baisse de son revenu ajusté moins importante suite au décès du conjoint (modèle 1, tableau ci-dessous). La condition de ressources qui s’exerce dans le secteur privé limite le montant de la réversion et, ainsi, limite les variations à la hausse du niveau de vie. L’absence d’effet du secteur obtenue dans le travail sur l’ERF ( cf. tableau 4, p. 117) tient à l’agrégation dans la variable « salariés du secteur public » de fonctionnaires et de non-fonctionnaires, l’attribution de la pension de réversion pour ces derniers étant régie par les mêmes règles que pour les salariés du secteur privé. En effet, on retrouve ce dernier résultat si on utilise la même agrégation dans l’EIR (modèle 2, tableau ci-après).
Probabilité de baisse des revenus de retraite ajustés après le veuvage, selon la définition du statut de salarié du public

Probabilité de baisse des revenus de retraite ajustés après le veuvage, selon la définition du statut de salarié du public
Annexe 3 - Évaluation de la variation de niveau de vie sur le pseudo-panel
47De même que sur les données en panel ( cf. tableau 3, p.116), nous
essayons de mettre en évidence certaines variables pouvant avoir une
influence sur la variation du niveau de vie suite au décès du conjoint à
partir du pseudo-panel. Pour cela, nous procédons à l’estimation
suivante sur deux sous-échantillons indépendants

On note Nn le niveau de vie moyen (ou médian) de l’année de revenus fiscaux n considérée. D(n) et M(n) signifient respectivement décembre et mars de l’année n. Les deux sous-populations correspondent respectivement aux veuves récentes et aux couples dans lesquels un des deux conjoints va décéder.
48Ceci nous permettra de déterminer le ratio recherché:

Les résultats de l’estimation sont présentés dans le tableau ci-contre.
Estimation de la variation de niveau de vie suite au décès du conjoint, pseudo-panel des veuves

Estimation de la variation de niveau de vie suite au décès du conjoint, pseudo-panel des veuves
Notes
-
[1]
En 1970, le taux de pauvreté des personnes âgées de 70 ans et plus, population composée aux deux tiers de femmes (et parmi elles, de 62% de veuves) était le double de celui de l’ensemble de la population (soit 37% avec un seuil de pauvreté à 50% de la médiane) (Insee, 2001).
-
[2]
L’article 74 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2009 prévoit de porter, dans le régime général et les régimes alignés, les pensions de réversion servies aux veuves et aux veufs disposant de faibles pensions de retraite à 60% de la retraite du conjoint décédé, grâce à la création d’une majoration de ces pensions de réversion. Cette majoration sera attribuée aux titulaires de pensions de réversion âgés d’au moins 65 ans et dont les droits propres et les droits dérivés sont inférieurs à un seuil qui sera fixé par décret à 800 euros.
-
[3]
Le taux de pauvreté des veuves de moins de 55 ans s’élève ainsi à 28% entre 2002 et 2005 (contre 12% en population générale). En outre, la pauvreté liée au veuvage précoce n’est pas l’apanage des femmes, puisque le taux de pauvreté des veufs de moins de 55 ans est de 20% (Cor, 2008a). Le seuil de pauvreté retenu est de 60% du niveau de vie médian (source : moyenne des enquêtes Insee-DGI, Revenus fiscaux 2002 à 2005).
-
[4]
D’après les données de l’état civil en 2003, le risque de perdre son conjoint dans l’année s’élève pour les femmes (resp.pour les hommes) à 1,2% (resp.0,3%) à 60 ans, à 2,8% (resp.0,8%) à 70 ans et à 8,1% (resp.2%) à 80 ans.
-
[5]
On renvoie le lecteur à l’annexe 1, p. 124, pour une explication plus détaillée des limites de cette enquête dans le cadre de ce travail.
-
[6]
D’autres limites de l’enquête apparaissent lors de son utilisation spécifique dans le cadre de cet article. Elles sont recensées dans l’annexe 1, p. 124.
-
[7]
Ces derniers ne sont recueillis sur la déclaration fiscale qu’à compter des revenus 1999, mais n’ont pas été exploités dans les enquêtes 1996 à 2001 en raison de leur manque de fiabilité.
-
[8]
En 2003-2004, seuls 2% des retraités ont encore des enfants à charge (Girardot, Tomasini, 2008).
-
[9]
Se restreindre à la population des 65 ans et plus conduit à ne considérer qu’environ 75% des événements de veuvage (données 2003). Considérer les 65 ans et plus est induit par la volonté de travailler sur le système de retraite.
-
[10]
On se reportera aux travaux du Conseil d’orientation des retraites pour des éléments sur le veuvage précoce (Cor, 2008b) ainsi qu’à Delaunay-Berdaï (2005).
-
[11]
En 2001, d’après les données de l’état civil, les hommes représentent 15% de l’ensemble de la population veuve. En revanche, toujours en 2001, ils représentent 28% des effectifs devenus veufs dans l’année. La différence entre les données en stock et en flux s’explique par une surmortalité des hommes veufs (Thierry, 1999) et des probabilités de remariage plus élevées que pour les veuves (Delbès, Gaymu, 1997).
-
[12]
Le taux de pauvreté des veuves âgées apparaîtrait plus faible si l’on intégrait l’ensemble des revenus du patrimoine et si des loyers fictifs étaient imputés aux propriétaires (Cor, 2007b).
-
[13]
Insee, enquête « Patrimoine 2004 ».
-
[14]
13% des veuves sont usufruitières de leur résidence principale, soit un total de 63% de veuves propriétaires ou usufruitières.
-
[15]
Si l’on imputait un loyer fictif aux propriétaires et aux usufruitiers, sur la base de 3% de la valeur moyenne des logements possédés par les veuves ou par les couples âgés (calculs Cor sur la base de l’enquête « Patrimoine 2004 »), ce loyer imputé s’élèverait en moyenne à environ 2 200 € pour les veuves, contre 3 800 € pour les couples (soit 2500 € par unité de consommation). Le loyer imputé par unité de consommation apparaît ainsi inférieur de 13% à celui des couples. Pour mémoire, l’écart moyen de niveau de vie entre veuves et couples âgés est également de 13%, sur la base des revenus hors loyers imputés et hors revenus du patrimoine non soumis à l’impôt sur le revenu (source : moyenne des enquêtes Insee-DGI, Revenus fiscaux 2000-2004). La prise en compte des loyers imputés n’affecterait donc pas l’écart de niveau de vie entre veuves et couples âgés.
-
[16]
On ne dispose pas pour les veuves, en coupe transversale, de la CSP du conjoint décédé. La CSP du père donne cependant une information sur le milieu social dans lequel la femme évolue (Vanderschelden, 2006).
-
[17]
Ainsi, d’après Bouhia (2008), 6,7% des hommes nés entre 1940 et 1946 et cadres dans le secteur privé à 36 ans sont décédés avant 60 ans, contre 14,3% de ceux employés ou ouvriers non qualifiés.
-
[18]
Les données sur le revenu de la veuve l’année du décès sont difficilement exploitables. En effet, une partie porte sur la période de vie en couple et une partie sur la période de vie isolée.
-
[19]
La comparaison avec les études menées sur d’autres pays reste difficile. La variation de niveau de vie dépend du champ des configurations familiales retenues, du dispositif de réversion et des distributions jointes de pension de retraite de l’homme et de la femme au sein du couple. Burkhauser et al. (2005) mettent cependant en évidence une baisse du niveau de vie pour les femmes dont le conjoint est décédé au-delà de 70ans d’environ 7% aux États-Unis, 4% au Canada et 20% au Royaume-Uni. En Allemagne, le revenu ajusté par l’échelle d’équivalence reste sensiblement le même qu’avant le décès du conjoint. L’échelle d’équivalence retenue dans ces travaux est cependant un peu plus basse (elle est égale à ? N, N étant la taille du ménage). Ces baisses de niveau de vie seraient moins prononcées si les calculs avaient été réalisés avec l’échelle d’équivalence standard retenue dans cet article.
-
[20]
La fiscalité est par exemple plus avantageuse pour les personnes veuves puisqu’elles disposent d’une demi-part supplémentaire dès lors qu’elles ont élevé au moins un enfant.
-
[21]
Les taux de réversion sont de 50% dans les régimes de la Fonction publique, et de respectivement 54% pour le régime de base et 60% pour les régimes complémentaires, pour les salariés du secteur privé. Pour une description détaillée de la législation des pensions de réversion, on renvoie le lecteur à Cor (2008b).
-
[22]
En effectuant la même analyse à partir des données de l’EIR, on constate cette fois une influence du statut du conjoint décédé, les veuves de fonctionnaires connaissant moins souvent une baisse de leurs revenus de retraite ajustés suite au décès du conjoint ( cf. annexe 2, p. 128).
-
[23]
On rappelle que l’ERF de l’année (n-1), qui comporte les revenus de l’année civile (n-1), est appariée avec l’enquête emploi de mars (n). La composition démographique (couple ou veuve) est donc observée au mois de mars (n). C’est pourquoi on considère en fait la population des femmes connaissant le décès de leur mari entre mars (n) et mars (n+1), plutôt que la population des femmes dont le mari décède durant l’année civile (n).
-
[24]
Logiquement, on aurait dû considérer les décès entre mars (n) et mars (n+1), période retenue pour les couples. Cette restriction de période est cependant nécessaire, car on souhaite que les personnes veuves l’aient été durant toute l’année civile (n+1), c’est-à-dire qu’elles soient veuves au 31 décembre (n). Raisonner sur des individus connaissant le veuvage au début de l’année (n+1) aurait conduit à une estimation erronée de leur niveau de vie cette année-là. En effet, le revenu de l’année (n+1) aurait alors été constitué d’une partie portant sur la période de vie en couple et d’une partie sur la période de vie isolée.
-
[25]
Cette variable est observée dans l’échantillon des couples avant décès, mais pas dans l’échantillon des veuves récentes, pour lequel on ignore les caractéristiques du défunt dans un certain nombre de cas.
-
[26]
Un tel exercice demanderait des investigations supplémentaires et supposerait en particulier de pouvoir disposer de données de panel sur une période suffisamment longue.
-
[27]
Pour la population des veuves, parmi les personnes veuves en mars (n+1), on se restreint à celles qui étaient déjà veuves en décembre (n-1). On exclut ainsi les individus connaissant le veuvage l’année n. En effet, on ne dispose pas d’une estimation correcte de leur niveau de vie cette année-là, qui est constitué d’une partie portant sur la période de vie en couple et d’une partie sur la période de vie isolée.
-
[28]
Même restriction que dans la note précédente aux personnes déjà veuves en décembre n-1.
-
[29]
La variation de niveau de vie suite au décès du conjoint s’obtient, dans la décomposition présentée dans les tableaux 6 et 7, en multipliant le terme (4) par l’effet noria des niveaux de vie, égal à un peu plus de 1% par an. Ainsi, la variation de niveau de vie est égale à environ 0,94-0,95 (pour un effet noria compris entre 1,2% et 1,4%), une valeur proche de celle obtenue avec les deux méthodes précédentes. Partant de cette valeur, la variation de niveau de vie explique un peu plus d’un tiers de l’écart de niveau de vie moyen entre les personnes veuves et les couples mariés et non la moitié, comme le conduirait à penser l’utilisation du terme (4) non corrigé.
-
[30]
257 cas de décès de l’homme ou de la femme parmi l’ensemble des couples en huit ans, selon Ahn (2004).
-
[31]
Ainsi Hagneré et Lefranc (2006), en se basant sur les ERF, comparent les déclarations de salaires faites dans les enquêtes Emploi aux salaires reportés dans les déclarations fiscales. Ils en concluent que « si la qualité des déclarations de salaire en niveau se révèle particulièrement bonne […], en revanche, les données en différence apparaissent nettement plus bruitées, ce qui semblerait induire des biais économétriques importants ».
-
[32]
Supposons que l’écart type de l’erreur aléatoire représente environ 20% du revenu moyen mesuré. La variation du revenu du ménage entre deux années successives est donc mesurée avec une erreur dont l’écart-type est de 20%x 1,41= 28% du revenu moyen (en supposant que les erreurs aléatoires sont indépendantes d’une année à l’autre). Comme la variation de niveau de vie que l’on cherche à appréhender excède rarement 10%, l’erreur de mesure est souvent plus importante que la variation que l’on cherche à mesurer.
-
[33]
Par ailleurs, au sein de ces dernières, n’avoir jamais exercé d’activité professionnelle ou habiter dans une commune rurale accroît la probabilité de non-appariement (estimation à l’aide d’un modèle logit).
-
[34]
On ne dispose pas d’informations publiées sur cet aspect mais il semblerait qu’au global environ 2% des ménages ne remplissent pas de déclaration de revenus, proportion qui a beaucoup diminué depuis quelques décennies.
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[35]
Nous remercions Émilie Raynaud (Insee) pour nous avoir fourni la distribution des pensions de retraite issue de l’ERF 2004.
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[36]
À l’exception des individus divorcés, pour lesquels la pension de réversion issue de la pension de l’ex-conjoint décédé pourra être éventuellement partagée entre les différentes veuves survivantes au prorata des durées de mariage.
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[37]
Caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales (assurance vieillesse des membres des professions libérales).
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[38]
L’application de minima ou de maxima de réversion rend également plus complexe la reconstitution de la pension du défunt.
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[39]
Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés (régime de base des salariés du privé et des non-titulaires de la Fonction publique).
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[40]
Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales.
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[41]
Par analogie aux polypensionnés, bénéficiaires d’un droit direct dans plusieurs régimes de base, on parle de polyréversés pour les bénéficiaires d’un droit dérivé dans plusieurs régimes de base.
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[42]
Mutualité sociale agricole (régimes de base et complémentaires des exploitants agricoles et régime de base des salariés agricoles).
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[43]
Régime social des indépendants (régimes de base et complémentaires des artisans et des commerçants).
-
[44]
Les résultats de ce tableau sur l’ERF sont différents de ceux du tableau 2 (p. 113) car l’analyse porte ici uniquement sur les pensions de retraite, pour la comparaison avec l’EIR.