CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Les familles immigrées ne correspondent guère à l’image de la « famille incertaine » annoncée par Louis Roussel (1999). On y retrouve bien des traits de la famille traditionnelle (que l’on a tendance à reléguer un peu trop vite dans un passé révolu), avec souvent une forte division sexuelle et générationnelle des rôles et des statuts. Mais elles ont aussi de fortes spécificités dues à la migration. Familles transnationales, réparties sur deux ou plusieurs pays, elles investissent des territoires réels et imaginaires qui mêlent les langues et les cultures, mais séparent plus radicalement les générations qui appartiennent irrémédiablement à des mondes différents. De plus, l’idée convenue selon laquelle aux parents immigrés succède une deuxième génération, née au pays d’adoption, qui serait elle sédentaire, se confondant avec les autres autochtones, ne s’applique pas à tous.

2On sait qu’un certain nombre d’enfants d’immigrés sont nés au pays d’origine. Certains y sont restés, d’autres sont venus et repartis, d’autres enfin, nés en France, ont émigré au pays natal ou ailleurs, participant de la multipolarisation[1] et de la densification de l’espace migratoire (Ma Mung, 1996). Les parcours migratoires de ces enfants sont aussi divers que mal connus. Comment se distinguent-ils de ceux des enfants d’immigrés nés et élevés en France ? Comment et pourquoi ont-ils eu une histoire différente ? Les inégalités de destins migratoires au sein de cette génération résultent-elles de conditions socioéconomiques, culturelles ou bien d’un ensemble de circonstances ? Dans l’enchevêtrement de parcours de vie chaotiques, le maintien des relations et des solidarités intergénérationnelles devient encore plus difficile. Quelles peuvent en être les conséquences, d’une part pour les parents qui vieillissent loin de leurs enfants (ou tout du moins une partie d’entre eux), d’autre part pour les enfants séparés durablement des parents et dont le parcours de vie ne peut manquer d’en être affecté ?

3L’actualité mondiale est marquée par l’accélération et les modifications internes des mouvements de populations ( cf. notamment Simon, 1995). La globalisation favorise en outre le développement de « parentalités transnationales », à savoir « le déploiement dans l’espace de liens entre parents et enfants » (Le Gall, 2005, p. 38). Dans ce contexte, et compte tenu de la vivacité des débats sur les politiques européennes à l‘égard du regroupement familial, de telles questions ont leur importance. Rappelons que la France, pays d’immigration de longue date, occupe à ce titre une position particulière en Europe et représente en quelque sorte un terrain d’expérience et de connaissances concernant le vieillissement des immigrés et leurs relations intergénérationnelles, qu’elles s’établissent dans ou hors des frontières. Son histoire de l’immigration se confond avec celle de la constitution de sa population, du « creuset français », selon l’expression de Gérard Noiriel (1988), qui assimile aussi la France à une « Amérique de l’Europe », au sens où «… les habitants d’aujourd’hui sont tous, pour peu que l’on remonte plus ou moins loin dans le temps, issus de l’immigration » (Noiriel, 1992, p. 43).

4Certes, ces vagues d’immigration se sont succédé dans la longue durée, et on en retient surtout dans l’histoire contemporaine la dernière grande période décisive, « celle qui débute au XIXe siècle avec l’immigration de masse liée à la révolution industrielle » (Noiriel, 1992, p. 44), et qui a connu sa vague la plus massive dans les années 1960 et jusqu’à la crise de 1973. Un coup d’arrêt a alors été porté à l’immigration de travail. L’immigration familiale a pris le relais et s’est largement développée depuis. Le droit à l’immigration familiale a été légalement confirmé par un décret pris le 29 avril 1976 (Weil, 2004). Au cours de ces dernières années, les flux d’entrée pour motif familial constituent près de 60% des nouveaux immigrants annuels, selon les statistiques de l’Ined (Le Bras, 2005). Le regroupement familial concerne principalement les conjoints et les enfants des personnes établies en France, immigrées ou pas, ayant ou non la citoyenneté française.

5Dans cet article, nous limiterons notre investigation aux enfants d’immigrés, aux inégalités de leurs parcours migratoires et à leurs déterminants. Nous faisons l’hypothèse que les enfants laissés au pays sont en quelque sorte des « laissés pour compte » et qu’ils cumulent des désavantages par rapport à ceux qui ont été regroupés ou qui sont nés en France. Nous nous interrogeons aussi sur les conséquences possibles de ces séparations entre parents et enfants pour les uns et les autres. Notre analyse s’appuie sur les résultats des données de l’enquête menée en France sur le passage à la retraite des immigrés, comportant des informations sur les immigrés [2], leurs parents et leurs enfants [3] (enquête PRI, cf. encadré, p. 102).

Enquête sur le vieillissement et le passage à la retraite des immigrés en France (enquête PRI)

L’enquête réalisée en France en 2003 sur les immigrés âgés de 45 à 70 ans vise à donner une vision d’ensemble de la population immigrée, quel que soit le pays de naissance, en incluant dans son champ un échantillon représentatif de l’ensemble des personnes nées étrangères à l’étranger. Elle permet ainsi une analyse comparative entre les immigrés originaires de différents pays. Son approche est de traiter des différents types d’expérience migratoire dans la perspective du parcours de vie, ou life course (Jasso, 2003).
L'enquête a été réalisée par questionnaire Capi (assisté par ordinateur), administré au domicile de l'enquêté par des enquêteurs de l'Insee; l’entretien a duré en moyenne 1h30. L’échantillon a été construit à partir du recensement de la population par tirage aléatoire de personnes de 45 à 70 ans nées à l’étranger et d’origine étrangère, sur l’ensemble du territoire. Au total, 6211 questionnaires complets et validés ont été réalisés. La taille de l’échantillon est suffisamment importante pour permettre des études spécifiques sur les immigrés originaires de trois pays du sud de l’Europe, Espagne, Italie et Portugal, et de trois pays du nord de l’Afrique, Algérie, Maroc et Tunisie. La Turquie qui, parmi les autres pays, est celui qui compte le plus grand nombre de représentants, peut pour certains traitements globaux être aussi distinguée. Les autres pays sont regroupés par grandes zones géographiques.
Cette démarche a été adoptée pour tenir compte des courants migratoires importants au niveau intra-européen et extra-européen et saisir la diversité des trajectoires migratoires.
En se centrant sur la phase de vie de la maturité et du passage à la retraite, on sélectionne en même temps des cohortes issues de vagues migratoires avec des profils et des provenances spécifiques correspondant à une période précise de l’histoire récente des migrations, la plus grande période d’immigration de l’histoire française, celle qui va de la fin des années 1950 au début des années 1980. Cette enquête, centrée sur le vieillissement et le passage à la retraite, traite aussi de plusieurs aspects de la vie familiale et sociale (évolution des relations intergénérationnelles, réseaux sociaux, identité ethnique et professionnelle). Des informations très détaillées sont demandées à l’enquêté sur ses enfants, qu’ils résident ou non en France, ce qui permet de décrire la famille dans sa quasi-totalité [4].
Techniquement, les données de l’enquête se répartissent en deux catégories regroupées dans deux fichiers distincts, mais reliés entre eux. Pour construire le corpus de données concernant les enfants, on considère que chaque enfant décrit par l’enquêté compte pour une observation. À partir du fichier « parent », on génère ainsi un second fichier comprenant l’ensemble des enfants, ce qui signifie qu’un parent avec quatre enfants contribue pour quatre observations à ce nouvel échantillon. Le fichier enfant comprend 19285 enfants, regroupant des fratries complètes. On peut donc comparer chaque enfant à ses parents ainsi qu’à ses frères et sœurs.

6Dans un premier temps, l’enjeu des relations entre générations dans les familles transnationales est analysé dans ses implications théoriques et socioéconomiques. Les familles immigrées sont ensuite décrites dans leur diversité démographique et territoriale, sur la base des résultats de l’enquête PRI. Puis une typologie des parcours migratoires des enfants est élaborée et présentée selon les différentes origines des immigrés. Enfin, ces parcours sont étudiés en fonction des caractéristiques des enfants et des familles et de leur milieu social et culturel, en mettant en évidence leurs inégalités et les facteurs de ces inégalités. En conclusion, quelques pistes de réflexion sont proposées sur la réussite sociale des enfants d’immigrés, selon leurs trajectoires migratoires, et les implications possibles de ces résultats dans les relations entre « générations transfrontalières ».

? L’enjeu des relations entre générations dans les familles transnationales

7La migration altère profondément les mécanismes de transmission entre générations, alors même que cette transmission revêt une importance cruciale. Le choc du déracinement et ses conséquences persistent de nombreuses années et se répercutent sur les nouvelles générations. Ils exacerbent l’ambivalence qui caractérise toute relation entre générations (Lüscher, Lettke, 2002). Comme l’a montré A. Sayad, l’immigré, tiraillé entre deux mondes, projette sur ses enfants le rapport paradoxal qu’il entretient à l’égard de sa migration. Il leur transmet un choix impossible entre des identités contradictoires, ce qui en fait des « enfants illégitimes » (Sayad, 1979). La complexité des rapports entre les immigrés et leurs enfants a été reconnue dès les premières réflexions, au début du XXe siècle, sur la vie des immigrants aux États-Unis. Oscar Handlin (1951), reconstituant l’histoire des dizaines de millions d’immigrants venus en Amérique, observe finement comment un écart se forme entre les parents migrants et leurs enfants qui n’ont pas eu à payer le prix de la traversée des frontières et des civilisations. Cet écart s’élargit à mesure que les enfants s’extirpent du cocon familial et s’exposent aux influences extérieures, l’école et la rue parachevant la séparation symbolique des générations.

8Quand elle se réalise, la réussite que les parents souhaitent pour leurs enfants creuse encore plus profondément le fossé entre eux. Les immigrés eux-mêmes, en quittant géographiquement leurs parents, s’en sont progressivement et sûrement éloignés culturellement, et ils doivent à leur tour assister, impuissants, à mesure qu’ils vieillissent, à la prise de distance de leurs enfants. Ces contradictions et tensions dans la succession des générations font partie de phénomènes fréquents, sinon universels, dans toute migration. Ils n’excluent cependant pas le maintien de fortes solidarités entre générations, dont la nécessité se renforce en situation migratoire. Par exemple, les envois d’argent des immigrants à leurs pays d’origine, qui représentent des flux financiers considérables, sont largement dirigés vers les parents et, le cas échéant, vers les enfants restés au pays, comme le montrent des enquêtes sur la question (Attias-Donfut, Wolff, 2008). De telles enquêtes sont encore assez peu nombreuses, malgré le développement important du thème des solidarités intergénérationnelles dans la littérature sociologique et économique. Sandra Torres (voir ce numéro, p.16-37) souligne à juste titre la relative rareté des études sur les relations intergénérationnelles parmi les migrants et l’intérêt de développer l’exploration de ce champ.

9Les relations entre les générations se compliquent quand la migration sépare parents et enfants, ou quand les enfants d’immigrés migrent à leur tour, situations qui pour être minoritaires ne sont pas rares, comme le montrent les résultats de notre étude.

10Une meilleure connaissance de ce sujet est en effet de nature à enrichir la compréhension des processus générationnels. La migration joue comme un verre grossissant et rend plus visibles certains phénomènes comme l’ambivalence ou le fossé entre générations évoqués ci-dessus. Elle révèle aussi les effets des facteurs culturels dans les formes et les pratiques de solidarité. À cet intérêt épistémologique s’ajoutent des enjeux socioéconomiques et géopolitiques. Les échanges internationaux des migrants passent par des réseaux sociaux et familiaux dont les liens les plus forts sont constitués par ceux qui unissent les générations. Elles établissent de puissantes passerelles au-dessus des frontières, entre les régions, les pays, les langues et les cultures. Les économies et les développements des pays d’émigration en sont affectés (Ma Mung, 1996), ainsi que les relations économiques et politiques entre les États. Certains États fournisseurs d’émigrants se sont d’ailleurs montrés réticents au regroupement familial, de crainte qu’il ne favorise la sédentarisation et entraîne une diminution des transferts financiers, comme le note Patrick Weil (2004, p. 131).

11Les relations entre générations dans les familles immigrées représentent un enjeu d’autant plus important que les immigrés ont en général beaucoup d’enfants, surtout ceux de la première génération. Les résultats de l’enquête PRI, présentés ci-dessous, le confirment.

? Diversité démographique et territoriale des familles d’immigrés

? Un grand nombre d’enfants

12Installés de longue date en France, les immigrés de 45 ans et plus ont quasiment tous fondé une famille. Ils ont eu, en grande majorité, des enfants, et en grand nombre : 3,34 en moyenne par famille [5]cf. tableaux 1 et 2).

Tableau 1.

Description des enfants par zone d’origine des parents

Tableau 1.
Tableau 1. Description des enfants par zone d’origine des parents Afrique Turquie Europe Europe Afrique Europe Variables sub- Asie et Moyen- Ensemble de l’Est du Sud du Norddu Nord saharienne Orient 51,6%Garçons 52,4% 50,1% 49,5% 51,4% 51%52,2% 50,3% Filles 47,6% 49,9% 50,5% 48,6% 49,7% 49%48,4%47,8% Nombre moyen 2,38 2,17 2,51 4,51 3,87 3,11 3,343,75 de garçons et filles 1,24 1,12 1,31 2,26 1,92 1,60 1,70Nombre moyen de garçons 1,88 1,14 1,05 1,19 2,25 1,95 1,51 1,64Nombre moyen de filles 1,86 1,09 1,06 1,10 1,00 0,98 1,06 1,04Sex-ratio 1,01 28,34 28,78 29,06 23,79 19,16 23,32 25,27Âge moyen 24,08 31,31 31,74 32,54 30,40 25,59 27,94 30,52Âge de l’aîné 29,35 25,02 25,42 25,13 16,18 12,17 18,14 19,29Âge du dernier né 17,90 6,29 6,32 7,41 14,21 13,42 9,80 11,22Âge aîné - âge dernier né 11,46 2,3%3,9% 1,6% 15,6%7,0% 5,4% 5,6%Enfants de moins de 10 ans 4,5% 12,8%15,9% 12,4% 38,8%26,9% 30,3% 22,7%Enfants de 10 à 19 ans 22,1% 37,6%31,2% 35,7% 31,6%37,7% 39,5% 37,0%Enfants de 20 à 29 ans 49,1% 34,9%36,2% 39,1% 10,4%22,7% 20,0% 27,2%Enfants de 30 à 39 ans 22,1% 12,4%12,9% 11,2% 3,6%5,8% 4,8% 7,5%Enfants de 40 ans et plus 2,2% 90,7%85,5% 93,0% 82,5%90,8% 90,7% 90,4%Enfants du couple 90,2% 7,8%12,2% 5,7% 13,7%7,2% 6,6% 7,6%Enfants de l’enquêté 7,5% 1,6%2,3% 1,3% 3,9%2,0% 2,7% 2,0%Enfants du conjoint 2,3% 37,8%35,3% 43,6% 14,7%24,8% 22,7% 30,6%Présence de petits-enfants 36,9% Nombre moyen 0,69 0,600,77 0,440,74 0,29 0,790,54 de petits-enfants Âge moyen 9,29 8,03 8,398,73 7,579,90 7,85du premier petit-enfant 7,37 Âge moyen du 6,81 4,91 5,606,17 5,016,98 5,82 4,53 dernier petit-enfant 901 89385498 920516 1375 19285Nombre d’observations 868 Source: Cnav PRI 2003.

Description des enfants par zone d’origine des parents

Cnav PRI 2003.
Tableau 2.

Description des enfants par pays d’origine des parents

Tableau 2.
Tableau 2. Description des enfants par pays d’origine des parents Autres Espagne Portugal Maroc Algérie TunisieVariables Italie pays 52,8%Garçons 51,3% 50% 49,8% 51,3% 51%53,5% Filles 48,7% 50% 50,2% 48,7% 49%47,2%46,5% 2,53 2,47 2,52 4,55 4,77 3,69 3,02Nombre moyen de garçons et filles 1,35 1,31 1,29 2,28 2,37 1,89 1,54Nombre moyen de garçons 1,18 1,17 1,23 2,27 2,39 1,80 1,48Nombre moyen de filles 1,15 1,12 1,05 1,00 0,99 1,05 1,04Sex-ratio 31,25 29,90 27,06 21,74 25,70 22,76 23,74Âge moyen 34,81 33,21 30,59 28,47 32,64 27,76 28,47Âge de l’aîné 27,24 26,14 23,06 13,77 18,02 16,43 18,46Âge du dernier né 7,57 7,07 7,53 14,71 14,62 11,33 10,02Âge aîné - âge dernier né 1,2%1,5% 1,9% 4,9%9,6% 6,9%Enfants de moins de 10 ans 7,7% 11,2%9,1% 15,4% 21,9%31,5% 31,5%Enfants de 10 à 19 ans 26,8% 33,0%26,0% 44,1% 36,3%39,4% 38,3%Enfants de 20 à 29 ans 36,9% 42,2%46,5% 31,8% 29,4%15,7% 18,4%Enfants de 30 à 39 ans 22,2% 12,4%17,0% 6,8% 7,6%3,8% 4,8%Enfants de 40 ans et plus 6,3% 93,5%93,1% 92,7% 89,8%92,1% 90,7%Enfants du couple 86,7% 5,5%5,5% 5,8% 7,7%6,4% 7,8%Enfants de l’enquêté 10,5% 1,0%1,4% 1,5% 2,5%1,5% 1,5%Enfants du conjoint 2,8% 49,1%26,8% 45,2% 18,8%38,8% 30,2%Présence de petits-enfants 22,2% 0,54 0,69 0,410,78 0,680,89 0,41Nombre moyen de petits-enfants 8,34 7,88 7,898,91 8,309,63 7,56Âge moyen du premier petit-enfant 5,75 5,62 6,206,30 4,856,67 4,53Âge moyen du dernier petit-enfant 1646 3413 48662425 11981410 4327Nombre d’observations

Description des enfants par pays d’origine des parents

13Le nombre d’enfants est plus élevé parmi les personnes originaires du Maghreb et d’Afrique subsaharienne : 4,51 en moyenne pour les natifs du Maghreb, 3,87 pour ceux d’Afrique. Les familles venues de Turquie, d’Orient et d’Asie ont en moyenne de 3,11 à 3,75 enfants. Celles issues des différentes régions d’Europe en ont moins : entre 2,17 et 2,51 en moyenne. Il y a peu de différences entre les pays d’Europe du Sud. Les familles originaires du Portugal ont autant d’enfants que celles venues d’Espagne ou d’Italie, environ 2,5. Ces taux, incluant tous les enfants vivant en France ou ailleurs, ne sont pas superposables aux indices démographiques de fécondité qui, rappelons-le, sont calculés pour les femmes uniquement. Ils prennent en compte celles qui n’ont pas d’enfants et se réfèrent à des cohortes précises. Dans notre enquête, hommes et femmes sont comptabilisés, le nombre d’enfants étant la somme des enfants de chacun des conjoints, dont certains ont eu des enfants d’une précédente union [6].

14Considérer tous les enfants vivants est nécessaire pour décrire la structure des familles et situer chacun dans sa fratrie. L’existence de frères et sœurs (ou de demi-frères ou sœurs), leur nombre et la place de chacun dans la fratrie a une influence dans l’intégration familiale et sociale. C’est la composition totale des familles qu’il convient donc de prendre en compte dans l’analyse. Elle correspond à une réalité plus tangible que l’indice de fécondité, notion abstraite. Dans les familles immigrées originaires d’Europe, le nombre d’enfants paraît plus élevé en moyenne que dans la population d’ensemble de la France et a fortiori de celle de leurs pays d’origine, dont l’indice de fécondité est inférieur à celui de la France. Il y a certes un effet de génération, mais il semble que la forte fécondité des immigrés européens ne se réduise pas à cet effet. Le contexte français encouragerait-il la natalité ? Ou encore est-ce la migration elle-même qui favoriserait la natalité ? Autrement dit, le projet migratoire serait-il associé à un projet familial, impliquant les générations futures ? Projet collectif, la migration ne prendrait alors tout son sens qu’à travers les enfants.

? Sur l’ensemble des enfants, 78% font partie d’une famille nombreuse

15La définition administrative de la famille nombreuse en France est trois enfants et plus. En fonction de ce critère, une grande majorité des enfants d’immigrés, soit 78% d’entre eux, appartiennent à une famille nombreuse. Et 60% de la génération des enfants appartiennent à une fratrie de quatre et plus, ce qui représente plus du tiers des familles. La dissymétrie structurelle des générations fait que, même lorsque le nombre de grandes familles est minoritaire, les enfants faisant partie de fratries nombreuses peuvent devenir majoritaires à la génération suivante. Ainsi, alors que les personnes originaires du Maghreb représentent près d’un tiers des immigrés de leur génération, leurs enfants forment près de la moitié de la « seconde génération ».

? Une large dispersion dans l’âge des enfants

16Le large éventail d’âge des parents (45-70 ans) se traduit par un éventail encore plus large de l’âge des enfants, qui va de 0 à plus de 40 ans, avec une forte concentration entre 10 ans et 39 ans (pour 87% d’entre eux). Plus du tiers des enfants sont à l’âge de l’entrée dans la vie adulte, entre 20 et 29 ans.

17La famille nombreuse diffère aussi des « petites familles » par la dispersion des âges des enfants, dont l’ampleur est dans certains cas de l’ordre d’une génération [7]. Les âges des enfants sont inégaux selon les pays d’origine, comme ceux des parents, dont ils découlent. Ainsi, l’âge moyen de l’aîné est le plus élevé parmi les Européens du Sud et en particulier parmi les enfants d’Italiens (34,8 ans en moyenne). On sait qu’ils sont issus d’une immigration plus ancienne et que leurs parents sont donc eux-mêmes plus âgés. Les enfants des familles d’origine portugaise, faisant partie d’une immigration plus récente, sont un peu plus jeunes que dans les familles venant d’Espagne ou d’Italie [8]. La proportion d’enfants de moins de 10 ans est faible – moins de 2% dans les trois groupes – celle des enfants de 10 à 19 ans un peu plus élevée dans les familles portugaises (15% contre 9% parmi les Italiens et 11% les Espagnols) et il y a une différence en sens inverse dans celle des plus de 40 ans : ils sont 6,8% parmi les originaires du Portugal, 12,4% d’Espagne et 17% d’Italie. Plus de 70% des enfants des familles issues de ces trois pays ont entre 20 et 39 ans.

18Mais l’âge des parents ne joue pas seul : l’âge à la procréation joue également et fortement. Par exemple, les Africains sont plus jeunes que les autres groupes d’immigrés et ont aussi des enfants plus tôt. C’est parmi eux qu’on trouve le plus d’enfants très jeunes : l’âge de leurs derniers-nés est de 12,2 ans en moyenne, celui de leurs aînés de 25,6 ans. Les âges moyens des derniers-nés varient plus fortement selon les origines que ceux des premiers-nés [9]. Ayant autour de 25 ans dans les familles venant d’Europe, ils ont en moyenne 16 ans dans celles d’Afrique du Nord et 18ans dans les familles d’Asie, de Turquie et des pays du Proche-Orient.

19Au total, la moyenne d’âge de l’ensemble des enfants étudiés ici est de 25 ans, variant de 19 ans parmi les enfants d’Africains à 29 ans parmi ceux des Européens du Sud. Pour une partie de ces familles, mais seulement pour une minorité, de nouvelles naissances vont survenir, augmentant le nombre de la « descendance finale ». Compte tenu de la distribution de l’âge des enfants, dont seuls 5,6% ont moins de 10 ans, le nombre supplémentaire d’enfants devrait être minime, excepté dans les familles africaines qui comptent 15,6% de moins de 10 ans. Ces jeunes enfants ne sont que 7% parmi les Nord-Africains et leur proportion est encore plus faible parmi les Européens, variant de 1,6 (Europe du Sud) à 3,9 (Europe du Nord).

? Familles recomposées et familles monoparentales plus nombreuses parmi celles originaires d’Afrique subsaharienne

20En moyenne, un peu plus de 10% des enfants déclarés par les enquêtés ne sont affiliés biologiquement qu’à un des deux conjoints du couple qu’ils forment (ou du dernier en date pour les personnes devenues seules). Cette proportion est la plus élevée parmi les Africains (17,5%) et la plus basse parmi les Européens du Sud (7%), les Africains du Nord se situant en position moyenne, à 10% [10].

21Considérons à présent le nombre d’enfants vivant dans un foyer monoparental, défini comme celui d’un parent seul habitant avec des enfants encore jeunes, en retenant le seuil d’âge à moins de 20 ans, soit 19 ans. 83% de ces enfants de moins de 20 ans, vivant dans un foyer monoparental, vivent avec leur mère. Le parent d’un foyer monoparental est ici, comme partout ailleurs, en général une femme, à l’exception d’une petite minorité de foyers composés du père et de ses enfants. C’est parmi les personnes originaires d’Afrique que se comptent le plus de familles monoparentales. Celles-ci évoluent avec le temps sous forme de cohabitation prolongée de l’enfant au domicile parental.

22Leurs enfants sont nés en majorité en France, mais plus de 30% sont nés au pays d’origine (ou très rarement dans un autre pays), avant ou même après la migration du parent. Il reste que 90% des enfants vivent en France, proportion qui varie selon le pays natal des parents.

? Parcours migratoires des enfants

? 10% des enfants résident hors de France

23Parmi les avantages que présente le recueil des informations sur les enfants d’immigrés auprès de leurs propres parents, la connaissance du lieu où chacun d’eux demeure n’est pas le moindre. Elle nous apprend que près de 10% de ces enfants ne vivent pas en France, 7,5% résidant au pays d’origine et 2,2% dans un pays tiers ( cf. graphique, p.110). La proportion d’enfants vivant hors de France varie selon l’origine : elle est de 13% parmi les Africains, 11% parmi les Européens de l’Est, 10% parmi les Maghrébins, et 9% parmi les Asiatiques. Les natifs de Turquie et des pays du Proche-Orient ont plus rarement leurs enfants hors des frontières, et ils regroupent en France 95% de leurs enfants. Mais ce sont les Européens du Sud dont les enfants habitent le plus souvent en France. C’est particulièrement vrai des Italiens. Seuls 2,2% de leurs enfants résident au pays d’origine et 2% dans un autre pays.

Le lieu de vie des enfants

figure im3
Le lieu de vie des enfants

Le lieu de vie des enfants

24Le cas des personnes originaires d’Europe du Nord est atypique en raison du nombre important de migrations tardives, migrations d’affaires et migrations de retraite, qui impliquent l’arrivée en France de personnes d’âge mûr pouvant avoir, à la date de la migration, des enfants déjà adultes. Ces migrants font partie de ceux que Z. Bauman (1998) qualifie de global nomads, des personnes hautement qualifiées, venues pour occuper des emplois ou saisir des opportunités à la hauteur de leurs qualifications et compétences. Près d’un quart de leurs enfants ne résident pas en France, 16% vivent au pays d’origine et près de 8% dans un autre pays.

? Migrations de la seconde génération

25Sur l’ensemble des enfants qui ne vivent pas en France, 23% environ résident ailleurs que dans le pays d’origine. Dans certains cas, c’est la majorité des enfants, ou presque, qui habitent hors du pays d’origine : 53% pour les immigrés originaires de Turquie et 49% pour ceux d’Europe de l’Est. Dans d’autres cas, c’est une minorité substantielle : 37% pour ceux d’Asie, 29% pour ceux d’Afrique, mais seulement de l’ordre de 10% pour ceux du Maghreb.

26Ces données révèlent une tendance des enfants d’immigrés qui ne suivent pas leurs parents en France à émigrer eux-mêmes. Dans ce contexte où parents et enfants vivent dans des pays et parfois sur des continents différents, y aurait-il transmission du trait migratoire, surtout quand le milieu social y est propice ? Pour repérer les facteurs à l’origine de ces mouvements, nous analysons à présent les différents modèles de parcours migratoires des enfants ( cf. tableaux 3 et 4).

Tableau 3

Trajectoire migratoire des enfants par zone d’origine des parents

tableau im4
Tableau 3.Trajectoire migratoire des enfants par zone d’origine des parents Afrique Turquie Europe Europe Afrique Europe sub- Asie et Moyen- EnsembleVariables de l’Est du Sud du Norddu Nord saharienne Orient 67,6%Nés en France 81,8% 67,1% 65,2% 55,2% 49,7% 69,5%62,4% Nés dans le pays d’origine 16,9% 32,2% 29,5% 36,8% 48,1% 28,3%28,1%29,1% 8,5% 4,3% 1,3% 0,7% 5,3% 7,9% 2,2% 2,2%Nés dans un autre pays 76,0%Vivent en France 88,8% 94,1% 89,7% 86,9% 94,3% 91,3% 90,4% 16,2%Vivent dans le pays d’origine 4,3% 9,0% 9,2% 2,6% 5,5% 7,5%6,2% 7,8%Vivent dans un autre pays 5,0% 1,6% 1,3% 3,9% 3,0% 3,2% 2,2% Nés en France, vivent en Francea 57,2% 78,4% 66,3% 64,0% 54,3% 48,8% 67,7%65,1% Nés ailleurs, vivent en Francea 18,9% 23,6% 15,7% 23,5% 22,9% 40,0% 42,5% 22,7% Nés en France, vivent ailleursa 5,2% 3,4% 0,8% 1,2% 0,9% 0,9% 1,8%2,5% Nés ailleurs, ont vécu 6,9% 5,8% 1,8% 2,1% 2,4% 2,3% 3,8% 2,5% en France, vivent ailleursa Nés ailleurs, n’ont jamais 11,9% 0,7% 7,4% 9,5% 2,5% 4,0% 5,3%2,9% vécu en France, vivent ailleursa 30,7% 20,9% 17,9% 30,8% 33,0% 23,9% 46,5% 26,8%Pas de nationalité françaiseb 79,1%69,3% 82,1% 67,0%69,2% 76,1% 73,2%Nationalité françaiseb 53,5% 516901 5498 13758938 920 19285Nombre d’observations 868 Source: Cnav PRI 2003. a Le terme «ailleurs» regroupe ceux qui sont nés/vivent au pays d’origine et dans un autre pays. b Fréquences calculées seulement pour les réponses renseignées (l’information est très souvent manquante pour les moins de 18 ans).

Trajectoire migratoire des enfants par zone d’origine des parents

Cnav PRI 2003.
Tableau 4

Trajectoire migratoire des enfants par pays d’origine des parents

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Tableau 4.Trajectoire migratoire des enfants par pays d’origine des parents Autres Espagne Portugal Maroc Algérie TunisieVariables Italie pays 87,2%Nés en France 73,4% 60,4% 69,3% 78,3% 60,1%89,6% Nés dans le pays d’origine 26,2% 38,9% 30,1% 20,7% 34,0%11,1%8,3% 2,1% 1,8% 0,5% 0,8% 0,6% 1,0% 5,9%Nés dans un autre pays 95,5%Vivent en France 94% 93,3% 89,9% 88,8% 92,7% 87,2% 2,5%Vivent dans le pays d’origine 5,5% 8,4% 10,4% 5,6% 8,3%4,3% 2,0%Vivent dans un autre pays 1,7% 1,2% 1,8% 0,9% 1,7% 4,4% Nés en France, vivent en Francea 86,8% 70,0% 59,7% 68,6% 76,7% 58,1%83,2% Nés ailleurs, vivent en Francea 8,7% 10,9% 23,3% 30,2% 20,2% 16% 29,1% Nés en France, vivent ailleursa 2,9% 3,3% 0,7% 0,7% 1,6% 2,0%4,0% Nés ailleurs, ont vécu en France, 0,9% 1,5% 2,6% 1,7% 2,4% 2,0% 4,0% vivent ailleursa Nés ailleurs, n’ont jamais vécu 0,8% 0,8% 7,8% 8,0% 3,7% 6,8%0,5% en France, vivent ailleursa 9,8% 8,2% 29,7% 39,8% 27,6% 19,7% 31,7%Pas de nationalité françaiseb 91,8%90,2% 70,3% 72,4%60,2% 80,3%Nationalité françaiseb 68,3% 14101 646 2 425 43273413 1198Nombre d’observations 4 866 Source: Cnav PRI 2003. a Le terme «ailleurs» regroupe ceux qui sont nés/vivent au pays d’origine et dans un autre pays. b Fréquences calculées seulement pour les réponses renseignées (l’information est très souvent manquante pour les moins de 18 ans).

Trajectoire migratoire des enfants par pays d’origine des parents

Cnav PRI 2003.

? Des parcours multiples

27Quand les enfants vivent au pays d’origine, cela ne signifie pas toujours qu’ils y ont passé toutes leurs années depuis la naissance. Ils sont parfois retournés au pays après avoir vécu en France, qu’ils y soient nés ou non. Considérons tout d’abord leur lieu de naissance : il s’agit de la France pour plus des deux tiers, du pays d’origine de leurs parents pour 28% et d’un autre pays pour seulement 2% en moyenne. Certaines vagues d’immigration sont marquées par une plus forte mobilité internationale [11]. Les enfants nés dans un tiers pays sont relativement plus nombreux parmi les familles originaires de Turquie et du Proche-Orient (7,9%), d’Afrique subsaharienne (5,3%), et d’Europe de l’Est (4,3%). Les moins mobiles à cet égard sont surtout les Maghrébins (0,7%), les Européens du Sud (1,3%) et les Asiatiques (2,2%).

Enfant né en France et vivant en France

28La situation la plus fréquente reste celle des enfants nés en France et qui y vivent. Ils sont majoritaires dans tous les groupes, excepté parmi les familles originaires d’Asie où ils ne représentent que 48,8% des enfants. On les trouve dans 84% des familles au total, dans plus de 90% de celles venant d’Europe du Sud et dans plus de 85% de celles d’Afrique du Nord (où ils représentent les deux tiers des enfants).

Enfant né hors de France et vivant en France

29Une autre situation assez fréquente caractérise les enfants qui, nés hors de France, que ce soit ou non au pays de l’un ou l’autre des parents, vivent en France. Ils sont en moyenne un peu moins d’un quart, mais concernent 35% des familles. Très nombreux parmi les Asiatiques (42,5% des enfants et 62% des familles), les Turcs et les Orientaux (40% des enfants et 51% des familles), ils représentent une forte minorité parmi les Marocains (30% et 54%), les Algériens (20% et 42,5%), les Africains (22,9% et 44%), les Européens de l’Est (23,6% et 30%) et les Portugais (23,3% et 30%). Ils sont bien moins nombreux parmi les Espagnols (11% et 17%), les Italiens (9% et 13%), et les Tunisiens (16% et 30%). Ils sont parfois venus en même temps que leurs parents, mais le plus souvent ils ont rejoint une mère ou un père déjà installé, dans le cadre du regroupement familial.

Enfant né hors de France et n’ayant jamais vécu en France

30Le troisième modèle, le cas d’enfants nés hors de France et n’ayant jamais vécu en France, est bien moins fréquent : il regroupe 5% du total des enfants. Rare parmi les Européens du Sud (de l’ordre 0,7%, concernant 0,1% des familles), il est en revanche plus présent parmi les Africains (9,5%, répartis dans 15% des familles), les Algériens et les Marocains (8%, dans respectivement 8% et 6% des familles) et moins parmi les Tunisiens (4% et 5%). Mais c’est parmi les Européens du Nord qu’il est le plus fréquent : près de 12% de leurs enfants sont dans ce cas, et ils appartiennent à 13% des familles.

Enfant né en France et en étant parti; enfant né hors de France, ayant vécu en France et en étant parti

31Enfin les deux derniers modèles, très minoritaires, mais représentés dans tous les groupes, concernent les enfants qui ont émigré de France, d’une part ceux qui y sont nés et en sont partis (1,8% au total), d’autre part ceux qui ne sont pas nés en France, mais y ont vécu et en sont partis. Ces derniers sont un peu plus nombreux, 2,5% au total. L’émigration des enfants est donc un peu plus fréquente quand ils sont nés ailleurs. Ce sont du reste principalement les enfants d’immigrés d’origine européenne qui quittent la France (12% des Européens du Nord, 8% de ceux de l’Est), mais ceux qui n’y sont pas nés le font un peu plus souvent. Une exception est offerte par les descendants des personnes originaires d’Europe du Sud : ils sont 3,4% à être partis alors qu’ils sont nés en France et 1,8% quand ils sont nés ailleurs. Ces pays d’origine ont beaucoup évolué depuis l’émigration des parents. Ils sont devenus à leur tour des pays d’immigration, susceptibles d’attirer aujourd’hui les enfants de ceux qui en sont partis.

32Ces deux modèles sont plus rares parmi les immigrés non européens : ceux qui, nés en France, ont émigré, représentent moins de 1% des enfants d’immigrés maghrébins, africains, orientaux et asiatiques. Quand ils ne sont pas nés en France mais y ont vécu, ils sont de l’ordre de 2% pour l’Afrique du Nord, l’Afrique subsaharienne, la Turquie et l’Orient, et un peu plus nombreux pour l’Asie (3,8%) et l’Amérique (5,6%). Nous verrons plus loin que ces catégories renvoient à des tendances très contrastées dans les migrations des jeunes.

? Les inégalités au sein de la fratrie et selon le pays de naissance

? Caractéristiques des enfants selon leurs modèles migratoires

33Les différentes trajectoires migratoires ne se distribuent certes pas au hasard entre les enfants. Il y a d’abord des inégalités entre enfants d’une même fratrie. Des considérations d’âge, de sexe, de rang dans la fratrie ou, le cas échéant, de filiation, interviennent dans le fait que certains des enfants vivent ou non dans le même pays que leurs parents, qu’ils y restent ou qu’ils en partent. Il y a également des inégalités entre les familles : celles qui ont tous leurs enfants à proximité, celles qui sont séparées d’eux ou d’une partie d’entre eux, ou celles qui peuvent les aider à venir, à rester ou à partir selon les cas. Ces données ne peuvent manquer d’être relatives au pays, au contexte politique ou économique, et à la date de la migration, en même temps qu’au milieu social des familles. Une première approximation sur la totalité des enfants, toutes origines confondues, peut néanmoins s’avérer significative de certains traits propres à chacun des modèles dégagés ci-dessus ( cf. tableau 5).

Tableau 5.

Description des enfants, suivant leur trajectoire

Tableau 5.
Tableau 5. Description des enfants, suivant leur trajectoire Trajectoire migratoire des enfants Nés Nés Nés ailleurs,Nés ailleurs, Nés ailleurs, en France, n’ont jamaisont vécu en France, vivent vivent vécu en France,en France, vivent Caractéristiques des parents en France ailleurs vivent ailleursvivent ailleursen France Garçons 51% 51,8% 43% 47,7% 50,4% Filles 49% 48,2% 57% 52,3% 49,6% 3,15Nombre moyen de garçons et filles 3,94 2,16 2,90 3,57 1,61Nombre moyen de garçons 2,01 0,95 1,45 1,78 1,54Nombre moyen de filles 1,93 1,21 1,45 1,79 1,05Sex-ratio 1,04 0,79 1,00 0,99 23,18Âge moyen 29,45 30,22 33,32 28,53 29,05Âge de l’aîné 33,18 33,37 36,08 34,29 18,62Âge du dernier né 20,50 25,59 24,30 18,25 10,43Âge aîné - âge dernier né 12,68 7,78 11,78 16,04 25,9%Proportion d’aînés 39,2% 41,6% 50,2% 29,6% 36,1%Proportion de derniers-nés 15% 35,1% 20,3% 18,2% 7,5%Enfants de moins de 10 ans 1,6% 0,3% 0% 4,1% 28,3%Enfants de 10 à 19 ans 12% 2,8% 3,1% 14% 37,7%Enfants de 20 à 29 ans 36% 44,7% 27% 33,6% 22,5%Enfants de 30 à 39 ans 35,5% 43,5% 49% 35,4% 4%Enfants de 40 ans et plus 14,8% 8,7% 20,9% 13% 92,3%Enfants du couple 89,8% 91,6% 80,8% 71,9% 5,7%Enfants de l’enquêté 8% 6,7% 16,3% 26,7% 2%Enfants du conjoint 2,2% 1,7% 2,9% 1,4% 5,5%Pas de nationalité française 55,6% 20% 82,9% 99,5% 94,5%Nationalité française 44,4% 80% 17,1% 0,5% 13051Nombre d’observations 4375 356 478 1025 Source: Cnav PRI 2003.

Description des enfants, suivant leur trajectoire

Cnav PRI 2003.

? Des inégalités entre les fils et les filles

34Tout d’abord, la distribution par sexe montre une répartition classique au sein du premier modèle, « né en France et vit en France », avec 51% d’hommes et 49% de femmes, ce qui correspond aux taux de naissance de référence dans toute population. Mais on ne retrouve pas le même rapport chez les enfants qui sont nés ailleurs et vivent en France, où les femmes sont légèrement sous-représentées (avec une proportion égale à 48,2%). À l’inverse, quand l’enfant est né ailleurs et vit ailleurs sans avoir jamais vécu en France, les filles sont légèrement plus représentées (49,6%). Ces deux observations vont dans le même sens, à savoir que les garçons apparaissent un peu privilégiés par rapport aux filles pour rejoindre les parents immigrés en France.

35C’est principalement parmi ceux qui sont partis ailleurs, qu’ils soient nés en France ou qu’ils y aient vécu, que le déséquilibre des sexes est évident. Ce sont surtout les filles qui ont émigré ou qui sont reparties. Elles sont 57% à le faire quand elles sont nées en France et 52,3% quand elles sont nées ailleurs et ont vécu en France. De multiples raisons peuvent expliquer ce fait, notamment le mariage au pays, mais aussi le fait de suivre un conjoint partant travailler à l’étranger. Finalement, quelles qu’en soient les raisons, ce sont un peu plus souvent les filles que les fils qui ne vivent pas dans le même pays que les parents.

? Des inégalités selon la filiation : les enfants de couples dissociés restent plus souvent au pays

36Ceux des enfants qui ne sont jamais venus en France appartiennent à des fratries très nombreuses, de presque six enfants en moyenne. Ce sont les plus nombreuses par rapport aux autres modèles. Il n’est donc pas étonnant d’y trouver un écart d’âge important entre l’aîné et le cadet, de plus de 16 ans en moyenne, bien que les âges moyens ne soient pas plus élevés que dans les autres modèles [12]. Ils font partie de fratries où l’équilibre entre filles et garçons est normal, avec un léger avantage aux garçons (avec un ratio de 1,02). Comme cela a été observé précédemment, il semble que les filles soient restées au pays légèrement plus souvent que les garçons. Par ailleurs, 28% de ceux qui sont restés au pays sont issus de couples dissociés.

37La différence est remarquable avec les enfants qui, étant nés hors de France, y sont venus (accompagnant les parents ou les rejoignant). Parmi eux, seuls 10% ont des parents séparés. Le choix des enfants venus rejoindre le parent immigré en France s’est opéré au détriment de ceux qu’il a eus avec un conjoint dont il s’est séparé, surtout quand il a beaucoup d’autres enfants. Certes, on peut aussi imaginer que l’immigration peut être un facteur de risque de dissociation du couple. La séparation géographique pourrait favoriser la séparation tout court. On peut supposer que certains immigrés arrivés seuls en France, laissant femme et enfants au pays, reconstituent une nouvelle famille en France et ne font pas venir les enfants issus du précédent couple, surtout quand il s’agit de filles.

? Les enfants venus avec leurs parents ou qui ont bénéficié d’un regroupement familial

38Les enfants nés ailleurs et vivant en France, qu’ils soient venus seuls, avec leurs deux parents ou dans le cadre du regroupement familial avec un seul parent, font aussi partie de familles très nombreuses, un peu moins cependant que dans le cas précédent, puisque celles-ci comprennent en moyenne près de cinq enfants. L’éventail d’âge au sein de ces fratries est en moyenne de 12,7 années. Les fratries ont un sex-ratio correspondant à la norme, mais il semble que le nombre de garçons venus en France soit légèrement plus élevé.

39La configuration des deux précédents types de parcours migratoires montre que, dans les familles qui ont des enfants nés ailleurs, la sélection de ceux qui viennent en France se fait un peu selon la taille de la famille. Quand elles sont trop nombreuses, tous ne peuvent pas venir. Ceux qui viennent sont d’abord ceux qui appartiennent à un couple stable, avec une légère prédilection pour les fils.

? Le cas particulier des enfants nés en France et qui sont partis

40Les enfants nés en France et qui en sont partis se distinguent clairement de tous ceux qui vivent hors de France : ils appartiennent à des fratries moins nombreuses, marquées par une prépondérance des filles : le sex-ratio [13] y est de 0,89 (alors qu’il est de 1,01 dans les fratries de ceux et celles qui sont nés en France et vivent en France). Ces fratries sont plus âgées que pour ceux qui ne sont pas partis (ou qui n’ont jamais vécu en France) et ont un intervalle d’âge plus resserré. Enfin, et c’est là un point important, ce sont pour la plupart des enfants du couple formé par l’enquêté, au même titre que ceux qui sont nés en France et y sont restés. Leur profil se rapproche davantage de ceux qui sont nés et restés en France que de tous ceux qui vivent ailleurs, mais il s’en différencie en ce qu’ils font partie de fratries plus petites, avec une dominante féminine. Par ailleurs, ils sont plus âgés, ce qui augmente la propension à émigrer. Ce type de migration évoque les nouvelles tendances migratoires qui se développent depuis peu parmi les jeunes Européens, qu’ils soient ou non fils d’immigrés, et qui sont favorisées par la globalisation et l’espace européen sans frontières (Bagnoli, 2007).

? Les enfants nés ailleurs, qui ont vécu en France et en sont repartis

41Enfin le dernier modèle, celui des enfants qui sont nés ailleurs, ont vécu en France et en sont repartis, se différencie des autres par l’âge élevé des fratries : 33 ans en moyenne, l’aîné ayant 36 ans et le cadet 24 ans. La distribution d’âge révèle un taux élevé de plus de 40 ans au sein de ces fratries, de plus de 20%, contre seulement 3% de moins de 20 ans. Les fratries sont nombreuses, leur taille moyenne est d’environ 4,5. Elles comptent un peu plus de filles que la norme, avec un sex-ratio de 0,98, mais les femmes restent surreprésentées parmi ceux qui sont repartis vivre ailleurs. Enfin, il y a dans ce modèle, comme dans celui des enfants qui n’ont jamais vécu en France, un plus grand nombre d’enfants issus de couple dissociés, de l’ordre de 20%. Y aurait-il une plus grande distance avec les parents qui favoriserait la décision de quitter la France ? Il est difficile de répondre à ce stade de l’analyse. On voit néanmoins qu’il y a des profils familiaux différents parmi les enfants qui partent selon qu’ils sont nés en France ou non.

? Inégalités selon le milieu social et le lieu d’origine

42Nous analysons à présent les différents profils migratoires, non plus du point de vue des enfants mais de celui des familles et de leurs caractéristiques.

? Territoires des familles transnationales

43Sur la totalité des enfants d’immigrés, un sur dix vit hors de France, comme nous l’avons vu, mais la proportion de familles concernées est bien plus élevée et varie fortement selon le pays d’origine. Ainsi, plus d’une famille sur cinq originaire d’Afrique subsaharienne (22%) a au moins un enfant au pays d’origine ou dans un autre pays. La plupart de celles-ci ont à la fois des enfants en France et ailleurs (16% des familles africaines). Seules 6% de ces familles ont tous leurs enfants hors de France.

44L’importance des enfants vivant hors de France dans les familles africaines correspond à une pratique traditionnelle courante en Afrique : la circulation des enfants entre foyers apparentés ou le placement temporaire d’enfants dans des familles non apparentées. Cette pratique se perpétue largement en milieu rural, tout en diminuant en milieu urbain (Vandermeersch, 2006). Différentes enquêtes ont mis en évidence l’ampleur de cette pratique dans différents pays. Elle est attestée dans environ un cinquième des ménages au Cameroun, en République centrafricaine ou au Burkina-Faso, un quart environ en Côte-d’Ivoire, et dans près d’un tiers des ménages au Sénégal et au Togo (Messan, 2006). Elle a pour but d’assurer aux enfants un meilleur destin, en leur faisant quitter la campagne pour la ville, en leur permettant d’être scolarisés [14] ou au contraire de travailler, occupant souvent des fonctions économiques ou domestiques. Dans certains cas, ils sont confiés par des parents qui vont à l’étranger.

45Finalement, les familles dont tous les enfants sont nés en France représentent, toutes origines confondues, 59% de la totalité des familles d’immigrés, tandis que pour près de 15% des familles, une partie des enfants est née en France et que, pour 26%, aucun des enfants n’est né en France. Sur le nombre moyen d’enfants (3,3), 2,3 sont nés en France et 1 est né ailleurs (généralement au pays d’origine).

46Les naissances en France les plus nombreuses se comptent bien entendu dans les groupes à forte natalité : les Africains (2,5 en France et 1,3 en dehors), les Nord-Africains (3 en France et 1,5 en dehors), les Asiatiques (1,8 en France et 1,9 en dehors). Le nombre moyen d’enfants par famille résidant en France est inférieur au nombre total d’enfants, la différence étant de l’ordre de 0,5 pour les familles d’Afrique du Nord et subsaharienne (et d’Europe du Nord) et de 0,3 pour celles d’Asie et d’Amérique, de 0,1 pour celles d’Europe du Sud, de l’Est et d’Orient ( cf. tableau 6, p.120).

Tableau 6.

Description des trajectoires migratoires des enfants, suivant les caractéristiques des parents

Tableau 6.
Tableau 6. Description des trajectoires migratoires des enfants, suivant les caractéristiques des parents Trajectoire migratoire des enfants Nés Nés ailleurs,Nés ailleurs,Nés Nés ailleurs, en France, n’ont jamaisont vécu enen France, vivent vivent vécu en France,France, viventvivent en Caractéristiques des parents en France ailleurs vivent ailleursailleursFrance Habitat avant la migration Grande ville 33,5% 34,4% 34,0% 33,3% 30,0% 25,9%Petite ville 24,5% 26,1% 24,5% 21,0% 40,6%Campagne, village 41,1% 39,9% 42,3% 49,0% Statut d’occupation à la migration 21,9%Scolaire, étudiant 3,3% 20,5% 1,9% 2,1% 41,3%Travail 49,7% 52,5% 49,0% 45,3% 6,6%Chômage 7,1% 3,4% 11,1% 23,1% 30,2%Inactif 39,9% 23,6% 38,1% 29,5% Intention à la migration 34,8%Rentrer au pays à terme 41,1% 43,0% 46,4% 45,1% 32,2%Rester définitivement en France 42,0% 28,4% 35,4% 39,3% 18,3%Pas de projet précis 16,0% 17,4% 16,7% 14,9% 14,7%Autre 1,0% 11,2% 1,5% 0,7% Situation financière dans l’enfance 22,8%Pauvre, très pauvre 28,0% 22,8% 26,2% 40,4% 26,4%Très juste 22,3% 22,8% 21,8% 22,8% 37,0%Moyen 35,3% 34,0% 34,1% 28,6% 13,8%À l’aise 14,3% 20,5% 18,0% 8,2% 13051Nombre d’observations 4375 356 478 1025 Source: Cnav PRI 2003.

Description des trajectoires migratoires des enfants, suivant les caractéristiques des parents

Cnav PRI 2003.

? Influence du milieu social et des conditions de la migration des parents sur le parcours migratoire des enfants

47Les circonstances de la migration des parents ainsi que leur situation socioéconomique ont une incidence majeure sur le parcours migratoire des enfants. Cela est particulièrement évident dans le cas des enfants nés au pays et qui ne sont jamais venus en France. Leurs parents, souvent issus de la campagne, connaissaient aussi des conditions plus difficiles au moment de la migration, avec une forte proportion subissant déjà le chômage (23%). Beaucoup venaient de familles pauvres – 40% selon leurs déclarations. Ces situations ont sans doute pesé fortement sur le choix de partir en laissant des enfants au pays, même si certains parents nourrissaient déjà au moment du départ le projet de s’installer définitivement en France (39%). Mais d’autres, plus nombreux (45%), avaient l’idée de retourner à terme au pays.

48Le contraste est évident avec les enfants nés en France et résidant ailleurs, dont les parents sont souvent issus de familles aisées, urbanisées. Nombre de ces parents étaient étudiants au moment de leur immigration (20%). Ils avaient néanmoins plus souvent le projet de repartir à terme et étaient moins disposés, à leur arrivée en France, à y rester définitivement (28%). Cette attitude s’est-elle transmise aux enfants, qui eux sont partis ? Le fait est que les enfants nés en France et résidant ailleurs ont plus souvent des parents qui envisageaient de repartir au pays, à leur arrivée en France.

49Du fait qu’ils appartiennent à un milieu aisé, leur profil se rapproche d’une nouvelle catégorie de jeunes migrants européens définis par des modèles individualisés de mobilité internationale, comme choix de vie. « Papillons », « nomades » ou « jockers » selon la typologie proposée par A. Bagnoli (2007) à leur sujet, ils partent pour faire des expériences (papillons), voir du pays (nomades), étudier ou tenter leur chance pour un job (jockers), et éventuellement revenir. Ils ne s’inscrivent pas dans des vagues migratoires portées par des réseaux et des filières, comme la plupart des immigrés de la génération précédente.

50Quant aux enfants qui sont venus en France, puis en sont repartis, ils ont eux aussi plus souvent des parents qui pensaient retourner au pays à plus ou moins longue échéance. C’est un ensemble plus hétérogène que le précédent, comprenant aussi bien des familles modestes que des familles aisées, mais généralement urbanisées.

51Plus souvent d’origine rurale que dans le modèle précédent, les enfants nés au pays d’origine des parents et qui résident en France font partie de familles peu aisées, mais relativement urbanisées (34% viennent des grandes villes, 24% de petites villes et 41% de la campagne). Leurs parents sont plus souvent venus avec le projet de s’installer définitivement en France (42%). Beaucoup sont arrivés en accompagnant une mère inactive venue rejoindre son conjoint déjà installé en France, dans le cadre du regroupement familial.

52Le comportement migratoire des enfants apparaît ainsi, dans tous les cas, influencé par l’attitude des parents à l’égard de leur propre installation en France, et face au dilemme de partir.

? Situation dans l’enfance et profil migratoire

53La question de la façon dont s’est passée leur enfance se pose d’abord pour ceux qui n’ont jamais vécu en France et ont donc été séparés du parent immigré interrogé et parfois de leurs deux parents : ils ont en majorité vécu jusqu’à l’âge de 12 ans avec un seul parent, resté également au pays (44%). 37% ont néanmoins passé ces premières années avec leurs deux parents et une petite minorité a vécu avec le seul parent enquêté (4,7%), ce qui signifie que ce dernier est arrivé tardivement en France dans les deux derniers cas. Quant aux autres situations, les grands-parents parents sont mentionnés dans près de 10% des cas, qu’ils aient été les principaux éducateurs ou qu’ils aient partagé ce rôle avec l’un ou l’autre des parents.

54Les grands-parents interviennent également un peu plus souvent, quoique toujours de façon très minoritaire, auprès de ceux qui sont nés hors de France, ont vécu en France, et vivent ailleurs. Ces derniers ont néanmoins vécu jusqu’à l’âge de 12 ans avec leurs deux parents, pour près des trois quarts. En ce qui concerne les autres profils migratoires, la très grande majorité a passé son enfance avec ses deux parents ( cf. tableau 7).

Tableau 7.

Caractérisation de la vie de l’enfant jusqu’à 12 ans, suivant la trajectoire (en %)

Tableau 7.
Tableau 7. Caractérisation de la vie de l’enfant jusqu’à 12 ans, suivant la trajectoire (en %) Trajectoire migratoire des enfants Nés ailleurs, Nés Nés Nés ailleurs,Nés n’ont jamais ailleurs, en France, ont vécu en France, vécu vivent vivent en France,vivent en France, Enfant ayant vécu principalement en France ailleurs vivent ailleursen France vivent ailleurs Avec le parent enquêté et son conjoint 96,53 89,12 94,10 73,64 37,32 Avec le parent enquêté seulement 1,71 4,07 1,12 7,11 4,70 1,33Avec l’autre parent seulement 4,41 2,25 12,97 43,66 0,10Avec le parent enquêté et des grands-parents 0,27 0,84 1,05 1,84 Avec l’autre parent et des grands-parents 0,07 0,18 0,00 1,05 5,01 0,03Avec les grands-parents 1,12 1,12 2,72 4,19 0,02Avec un autre membre de la famille 0,32 0,32 0,84 1,64 0,20Autre 0,50 0,50 0,63 1,64 100Total 100 100 100 100 Source: Cnav PRI 2003.

Caractérisation de la vie de l’enfant jusqu’à 12 ans, suivant la trajectoire (en %)

Cnav PRI 2003.

? Inégalités des niveaux scolaires et des situations socioéconomiques des enfants selon leurs parcours migratoires

55La mobilité géographique des enfants d’immigrés a des répercussions évidentes sur leurs destins scolaires, professionnels et sur leurs situations socioéconomiques. Ces destins orientent à leur tour des choix de partir ou de rester, dans des interactions complexes. En comparant l’ensemble des enfants de plus de 16 ans selon le type de parcours migratoire, on constate en effet des contrastes évidents entre eux dans leurs niveaux d’éducation.

56Considérons tout d’abord les trois groupes les plus importants :

  • les enfants nés en France et vivant en France;
  • ceux qui vivent en France mais n’y sont pas nés;
  • ceux qui sont nés et restés au pays d’origine.

57La distribution des niveaux d’études montre une situation nettement plus élevée des premiers par rapport aux deux autres et surtout par rapport au troisième, le plus désavantagé.

58Les enfants nés en France et vivant en France de plus de 16 ans sont encore étudiants pour 27% d’entre eux. 20% ont le niveau du baccalauréat et plus du quart a un niveau d’études supérieures (26%). Parmi ceux qui sont restés au pays, qui sont en moyenne plus âgés, les étudiants sont moins nombreux (12%); 45,7% n’ont pas de diplôme, 11% ont le niveau du baccalauréat et 15,6% ont un niveau d’études supérieures. Quant à ceux qui, nés à l’étranger, sont venus en France, ils sont dans une position intermédiaire entre les deux précédents groupes. Ils ont un niveau d’études supérieur à ceux qui sont restés au pays, mais inférieur à ceux qui sont nés en France : 6% ont le niveau du baccalauréat et 21,5% un niveau d’études supérieures. Comparés à ceux qui sont nés en France, ils comptent moins d’étudiants (14%).

59Les deux derniers groupes, plus minoritaires, se détachent nettement de l’ensemble des enfants, surtout ceux qui sont nés en France et vivent hors de France, dont la majorité a un niveau d’études supérieures (58%). 14% d’entre eux ont même atteint un niveau de troisième cycle et près de 13% sont encore étudiants. Parmi ceux qui sont nés hors de France, y ont vécu et en sont partis, le palmarès des études est un peu moins flatteur, mais il en est assez proche. On y dénombre près de 40% d’études supérieures, et seuls 7,5% sont encore étudiants.

60L’éducation permet ainsi de caractériser les profils de ces enfants d’immigrés. Les plus diplômés, ceux qui sont nés en France et vivent ailleurs, s’inscrivent dans une logique de « fuite des cerveaux ». Cette migration sélective des plus diplômés s’observe aussi pour ceux qui sont nés ailleurs, sont passés par la France et vivent ailleurs, qui sont aussi parmi les plus diplômés : il peut s’agir d’enfants venus compléter leur scolarité en France et repartis au pays pour vendre leurs compétences, ou bien ils peuvent appartenir à des familles fortement diplômées et inscrites dans des migrations répétées entre différents pays.

61Ceux qui sont nés ailleurs et qui vivent en France sont moins diplômés : ils peuvent être des enfants plus jeunes, arrivés plus tard dans le cadre du regroupement familial, mais il est aussi très vraisemblable que ceux qui sont nés ailleurs ont relativement plus de difficultés d’intégration et d’adaptation scolaire au cadre français (langue différente, autres pratiques scolaires, etc.). Ces résultats confirment la validité de distinguer dans les analyses statistiques la génération 2 de la génération 1,5, l’une née en France de parents immigrés et l’autre venue en France dans l’enfance (Simon, 2007).

62Enfin, il y a ceux qui ne sont jamais venus en France. Leur niveau d’éducation est bien plus faible. Beaucoup n’ont pas de diplôme, ce qui traduit un système éducatif moins avancé au pays d’origine. Sans doute ont-ils aussi eu moins d’incitation familiale à étudier que ceux qui sont élevés en France.

63Ces niveaux scolaires différenciés conditionnent la réussite sociale ultérieure des enfants. Pour mieux observer les effets des différentes trajectoires, nous les examinons à présent parmi les seuls enfants de plus de 25 ans, et en différenciant les garçons des filles. On s’attend naturellement à de fortes différences de réussite socioéconomique des enfants en fonction de leur parcours ( cf. tableaux 8 et 9).

64Le tableau 8 montre que parmi les fils, la proportion de cadres est trois fois plus forte parmi ceux qui sont nés en France et vivent ailleurs que dans la moyenne. Il s’agit donc bien d’expatriés qualifiés. De même, il y a beaucoup plus de cadres parmi ceux qui ont été de passage en France (vraisemblablement sous l’effet de la formation qu’ils y ont acquise). Parmi ceux qui sont nés ailleurs et vivent en France, les ouvriers sont dans une proportion beaucoup plus grande que parmi les enfants nés en France et vivant en France (48,8% contre 36%). Ceux qui sont nés en France et vivent ailleurs ont un taux de chômage particulièrement bas, alors que ce taux est le plus élevé pour les enfants nés et restés au pays d’origine.

65Parmi les filles (tableau 9, p.126), les contrastes entre les différentes trajectoires sont encore plus forts. Ainsi, les filles nées en France et qui vivent ailleurs sont de beaucoup les plus diplômées et occupent souvent un emploi de cadre ou dans les professions intermédiaires, comme les hommes, mais elles ont par ailleurs un taux d’inactivité un peu plus élevé que celles qui vivent en France. Les filles nées en France et vivant en France sont en moyenne plus diplômées que les garçons ayant le même profil migratoire et elles ont sensiblement plus souvent des diplômes de l’enseignement supérieur (premier et second cycle). Le statut d’activité différencie clairement celles qui vivent en France, très majoritairement sur le marché du travail, de celles qui vivent ailleurs, surtout de celles qui n’ont jamais vécu en France. Parmi ces dernières, près des deux tiers sont inactives et plus d’une sur deux est sans diplôme.

Tableau 8.

Caractérisation socio-économique des enfants, par trajectoire migratoire

Tableau 8.
Tableau 8. Caractérisation socio-économique des enfants, par trajectoire migratoire Garçons de plus de 25 ans Nés Nés ailleurs,Nés ailleurs,Nés Nés ailleurs, en France, n’ont jamaisont vécu enen France, vivent Ensemble vivent vécu en France,France, viventvivent en Variables en France ailleurs vivent ailleursailleursFrance Éducation Sans diplôme 12,4 20,1 8,3 21,5 36,8 16,7 9,6CEP - BEPC 10,7 8,3 11,7 17,5 10,5 34,7CAP - BEP 37,2 24,2 18,1 13,5 33,2 Baccalauréat 14,2 12,7 13,3 10,2 12,0 13,4 15,01er cycle supérieur 8,7 15,8 8,8 5,6 12,2 7,12e cycle supérieur 4,8 11,7 12,7 9,1 6,8 7,13e cycle supérieur 5,9 18,3 17,1 5,6 7,3 Occupation 2,8Étudiant 2,0 2,5 3,4 2,9 2,6 81,7Travail 82,6 93,3 79,0 67,3 81,2 10,6Chômage 9,6 0,8 7,8 12,0 10,0 0,8Inactif 1,6 1,7 3,9 12,0 1,9 4,1Autres 4,2 1,7 5,9 5,9 4,3 Catégorie sociale 4,8Indépendant 7,8 10,0 10,7 9,4 6,4 12,7Cadre 9,0 30,8 26,3 9,9 12,3 Profession 19,0 12,1 14,2 14,6 11,7 16,1 intermédiaire 21,0Employé 17,1 17,5 15,1 17.3 19,2 36,0Ouvrier 48,8 20,8 21,5 24,6 38,3 6,5Inactif 5,3 6,7 11,7 27,2 7,7 Niveau de vie Très à l’aise 4,5 3,9 12,8 8,0 3,6 4,6 32,4Plutôt à l’aise 25,5 41,0 26,4 16,2 29,1 47,1Moyen 51,9 40,2 46,8 34,8 47,6 13,4Juste 16,0 5,1 12,9 27,3 14,9 2,7Pauvre 2,7 0,9 6,0 18,0 3,8 Patrimoine Biens en France 4,9 5,6 4,3 1,5 0,3 4,7 et à l’étranger Biens en France 22,2 22,1 4,3 3,5 1,2 19,6 seulement Biens à l’étranger 0,4 0,6 29,9 28,9 20,4 3,6 seulement 72,5Aucune propriété 71,7 61,5 66,2 78,1 72,1 Nombre 2901 1600 120 205 342 5168 d’observations Source: Cnav PRI 2003.

Caractérisation socio-économique des enfants, par trajectoire migratoire

Cnav PRI 2003.
Tableau 9.

Caractérisation socio-économique des enfants, par trajectoire migratoire

Tableau 9.
Tableau 9. Caractérisation socio-économique des enfants, par trajectoire migratoire Filles de plus de 25 ans Nées Nées Nées ailleurs,Nées ailleurs,Nées ailleurs, en France, n’ont jamaisont vécu enen France, Ensemble vivent vivent vécu en France,France, viventvivent en Variables en France ailleurs vivent ailleursailleursFrance Éducation Sans diplôme 10,1 20,2 9,3 22,8 51,7 16,4 9,1CEP - BEPC 14,5 6,8 13,4 16,5 11,3 27,3CAP - BEP 27,6 16,2 21,0 6,0 25,3 Baccalauréat 17,5 13,8 14,9 10,3 9,9 15,5 16,51er cycle supérieur 9,8 16,2 8,0 6,9 13,5 12,72e cycle supérieur 9,9 23,6 14,7 6,9 11,9 6,83e cycle supérieur 4,2 13,0 9,8 2,1 6,1 Occupation 3,6Étudiante 3,4 4,4 5,4 1,5 3,5 71,4Travail 63,8 62,7 48,7 27,6 64,9 7,5Chômage 8,7 4,4 3,1 1,2 7,2 13,0Inactive 19,0 21,7 38,8 64,9 19,6 4,5Autres 5,1 6,8 4,0 4,8 4,8 Catégorie sociale 1,3Indépendante 2,4 5,6 5,4 3,9 2,1 10,4Cadre 6,0 20,5 14,3 4,5 9,2 Profession 20,5 14,4 19,9 10,7 9,3 17,5 intermédiaire 47,2Employée 44,0 32,3 23,2 12,0 42,4 9,8Ouvrière 19,2 8,1 13,4 4,5 12,3 10,9Inactive 14,0 13,7 33,0 65,8 16,5 Niveau de vie Très à l’aise 4,8 4,0 10,9 6,0 3,0 4,7 32,0Plutôt à l’aise 28,3 44,9 30,1 18,5 30,3 49,4Moyen 51,8 35,9 39,8 42,9 48,8 12,1Juste 13,9 7,7 18,5 23,7 13,6 1,7Pauvre 1,9 0,6 5,6 11,9 2,6 Patrimoine Biens en France 5,7 6,6 3,9 3,7 1,2 5,5 et à l’étranger Biens en France 26,4 26,8 4,5 1,9 0,0 23,0 seulement Biens à l’étranger 0,4 0,8 35,9 32,9 26,4 4,8 seulement 67,5Aucune propriété 65,9 55,8 61,6 72,3 66,7 Nombre 2811 1483 161 224 233 5012 d’observations Source: Cnav PRI 2003.

Caractérisation socio-économique des enfants, par trajectoire migratoire

Cnav PRI 2003

66Ainsi, une fois les effets de l’âge et du sexe neutralisés, on voit qu’il y a un gain à être né en France : ceux qui sont nés ailleurs et vivent en France ont moins souvent des diplômes du supérieur que ceux qui sont nés en France et vivent en France. Dans ce dernier cas, les enfants ont plus souvent une profession intermédiaire ou un statut d’employé. Ces constats rejoignent les résultats du panel français, qui a montré la bonne performance scolaire des enfants d’immigrés et leur forte mobilité intergénérationnelle ascendante (Vallet, 1997), dans laquelle « le temps est une donnée fondamentale du processus d’acculturation à la société française; qu’il s’agisse de la capacité à satisfaire aux exigences que le système éducatif impose, comme de la compréhension des normes scolaires » (Vallet, 1997). Ces résultats, ainsi que ceux qui se dégagent de l’enquête PRI, contredisent les représentations habituelles d’un handicap social qui serait spécifique aux enfants d’immigrés.

67Il n’en demeure pas moins de fortes inégalités parmi eux, des inégalités de formation et d’emploi qui se traduisent dans les disparités des niveaux de vie, comme le montrent les tableaux 8 et 9 (p. 125-126). Lorsqu’ils sont nés en France et vivent ailleurs, les enfants sont financièrement « à l’aise » (10% sont même « très à l’aise ») dans plus de la moitié des cas et, parmi les propriétaires, la majeure partie possède des biens à l’étranger. Ceux qui ont fait un séjour en France et en sont partis sont aussi plus souvent à l’aise que la moyenne de leur génération.

68La proportion d’enfants pauvres ou « justes » financièrement est beaucoup plus forte parmi les enfants restés au pays (jamais venus en France), et un peu plus de 20% seulement possèdent des biens (à l’étranger quasi exclusivement).

69Il y a enfin assez peu de différences dans le niveau de vie et dans la détention de biens pour les enfants vivant en France selon qu’ils sont nés en France ou ailleurs.

? Conclusion

70Les descriptions précédentes ont permis de mettre en évidence l’existence de parcours migratoires complexes parmi les enfants d’immigrés. On observe des inégalités certaines selon les pays de naissance, les milieux sociaux d’origine, la ville ou la campagne. Les plus pauvres des immigrés venant de pays émergents n’avaient pas toujours les moyens de regrouper tous leurs enfants, surtout parmi ceux qui viennent de la campagne. Cela concerne au premier chef les personnes originaires d’Afrique et du Maghreb, qui ont beaucoup d’enfants, dont une petite partie est restée au pays ou vit ailleurs. À ces inégalités se cumulent des inégalités de destins migratoires entre enfants d’une même fratrie. Les filles sont quelque peu désavantagées par rapport aux fils. Les enfants d’un couple désuni, dans les familles dissociées ou recomposées, sont plus souvent « laissés pour compte » au pays que les enfants de couples stables.

71Les enfants restés au pays d’origine sont en effet moins bien lotis, comme en témoigne leur moindre réussite scolaire et professionnelle ainsi que leur niveau de vie inférieur à celui de leurs frères et sœurs élevés en France. Ayant davantage de besoins, ils reçoivent aussi plus souvent des aides financières de la part de leurs parents [15]. La condition des enfants restés au pays ou qui y sont retournés reste néanmoins mal connue. Un tel constat avait déjà été fait il y a plus de 20 ans, dans une publication rassemblant les rares études à leur sujet (Charbit, Bertrand, 1986). Les quelques données disponibles suggéraient une situation moins bonne du point de vue de leur état de santé et de leur niveau d’éducation que celle des enfants vivant avec leurs parents au pays d’immigration. Les enfants « restés » bénéficient néanmoins de meilleures conditions de vie que les enfants du pays dont les parents n’ont pas migré, grâce aux aides économiques qu’ils reçoivent. Parmi les enfants vivant en France, ceux qui y sont nés apparaissent privilégiés par rapport à ceux qui sont venus dans l’enfance. Ces derniers ont dû affronter des problèmes d’adaptation, en raison de la différence de programme d’enseignement et de niveau d’un pays à l’autre, et aussi sans doute de problèmes linguistiques. Il est clair que les jeunes enfants séparés pendant une durée variable de leurs parents ou passant d’un pays à l’autre rencontrent des difficultés. Il en va tout autrement des mobilités internationales d’enfants adultes qui sont d’un tout autre ordre et font partie de projets de vie autonomes.

72Nous avons constaté que l’attitude des parents au moment de l’installation en France quant au choix de partir ou de rester a des répercussions sur le comportement migratoire ultérieur des enfants. Lorsqu’en arrivant en France, les parents n’avaient pas l’intention de s’y installer définitivement (mais y sont en réalité restés), les enfants ont davantage tendance à voyager, repartir ou émigrer ailleurs que lorsque les parents sont venus avec l’intention de rester (ce qu’ils ont fait). C’est là un des multiples aspects des influences directes ou indirectes qu’exercent les trajectoires des parents sur celles des enfants.

73Les comportements migratoires des enfants ne se résument certes pas à cette influence. Ils sont aussi déterminés par les grands changements sociaux qui marquent leur époque et bouleversent les flux migratoires dans le monde. De nouvelles formes de mobilité internationale plus individualisées se sont développées et font désormais partie de l’univers des choix de vie possibles, offerts aux jeunes appartenant plutôt aux milieux favorisés, ou dotés d’un bon niveau d’études. Il se trouve une minorité de ces néo-migrants parmi les enfants d’immigrés. On peut faire l’hypothèse que l’expérience migratoire des parents favorise de tels choix de vie, mais pour le vérifier il faudrait comparer les mobilités internationales des jeunes en France selon que leurs parents sont ou non immigrés.

74Qu’elles interviennent à la première ou à la deuxième génération, ces migrations ne sont pas sans conséquences sur l’environnement social et le réseau de solidarité des parents âgés. On tient généralement pour acquis que les familles immigrées apportent un soutien important aux vieux parents, compte tenu des normes de piété filiale plus prégnantes en Afrique, en Asie et en Orient que dans les pays européens. De plus, en Europe, elles seraient davantage en vigueur dans les pays du Sud qu’ailleurs. Si cette représentation comporte une part de réalité, elle ne tient pas compte des situations où les enfants sont éloignés de leurs parents, qui vivent finalement dans une certaine solitude. C’est le cas en France, principalement dans les foyers d’immigrés, peuplés de « faux célibataires », dont les enfants et la famille se trouvent au pays d’origine (Gallou, Rozenkier, 2006).

75La présence d’enfants au pays d’origine favorise les fréquents va-et-vient parmi leurs familles ainsi que les – rares – désirs de retour de leur(s) parent(s) vivant en France. Ces « générations transfrontalières » ont des implications qui vont bien au-delà du milieu familial, elles sont aussi à l’origine de puissants liens entre le pays d’installation et le pays d’origine. Elles ont des répercussions économiques et sociales, qui affectent les relations entre les pays et alimentent les transferts économiques et les échanges sociaux et culturels. Elles ont par là des implications politiques, en matière de relations entre les États.

76Les données présentées dans cet article éclairent certains aspects du non-regroupement familial, à travers les caractéristiques des enfants restés ou partis. Élément important des politiques migratoires, le regroupement familial concerne autant les pays de départ que les pays d’arrivée. Il représente un enjeu majeur à l’heure où se développent la libre-circulation des capitaux et des marchandises et la restriction de la circulation des hommes.

Notes

  • [1]
    Dispersion d’un même groupe d’émigrants dans différents pays d’accueil, ce qui correspond à la « diaspora », terme désignant habituellement la dispersion des Juifs dans le monde et qui est de plus en plus appliqué aux migrants de différentes origines.
  • [2]
    Cette enquête a été initiée par la Cnav et réalisée en collaboration avec l'Insee, sous la direction de C. Attias-Donfut. Ses résultats ont été publiés in Attias-Donfut et al., 2006.
  • [3]
    Les résultats des données recueillies sur les enfants des immigrés sont analysés dans un ouvrage à paraître (Attias-Donfut, Wolff, 2009), dont cet article est inspiré.
  • [4]
    Des informations sont également recueillies sur d’autres membres de la famille : père, mère, beau-père, belle-mère, frères et sœurs, conjoint, conjoints des enfants et petits-enfants. Les enfants d’immigrés peuvent être ainsi situés par rapport à deux générations antérieures, et dans leur fratrie.
  • [5]
    Ce nombre est calculé en excluant les 10% d’immigrés qui n’ont pas d’enfant.
  • [6]
    Autre différence avec les indices de fécondité, les chiffres présentés n’incluent pas les enfants décédés, qui sont comptés dans les indices démographiques quand ils sont nés viables. Dans notre enquête, 15,6% de la génération des enfants ont eu au moins un frère ou une sœur décédé.
  • [7]
    Les écarts moyens entre l’âge de l’aîné et celui du cadet sont plus élevés dans les familles originaires d’Afrique du Nord (14,2 ans en moyenne), d’Afrique (13,4 ans) ou d’Asie (11,2 ans), comptant plus de familles nombreuses, que dans celles originaires d’Europe du Sud (7,4 ans), ou de l’Est (6,3 ans).
  • [8]
    Les âges moyens étant respectivement de 27,29,9 et 31,3 ans, et l’écart d’âge entre l’aîné et le plus jeune étant à peu près le même (un peu plus de 7 ans).
  • [9]
    Dans les familles originaires d’Algérie, l’aîné a en moyenne 32,6 ans; il est plus âgé que l’aîné des familles de Tunisie (27,8 ans) ou du Maroc (28,5 ans).
  • [10]
    Ces taux paraissent néanmoins sous-évalués, car les hommes comme les femmes interrogés ont plus souvent déclaré avoir des propres enfants, non affiliés à leur conjoint, qu’ils n’ont déclaré d’enfants de leur conjoint issus d’une autre union. Les premiers représentent en moyenne 7,6%, et les seconds 2%. Si l’on devait pondérer les déclarations et redresser le taux d’enfants issus de couples désunis, on passerait ainsi de 10% à environ 17%.
  • [11]
    Les enfants nés ailleurs révèlent que les parents ont transité dans d’autres pays ou encore, dans le cas de conjoints d’origines différentes, il s’agit du pays de naissance d’un des conjoints. Les personnes originaires d’Europe du Nord et du continent américain ont des histoires migratoires plus diversifiées et atypiques et ont davantage d’enfants nés ailleurs (respectivement 8,5% et 7,5%).
  • [12]
    Ils le sont même moins, à l’exception de ceux qui sont nés et restés en France, qui incluent les très jeunes enfants.
  • [13]
    Quotient du nombre de garçons sur le nombre de filles calculé sur l’ensemble des enfants des familles où au moins un enfant est né en France et parti.
  • [14]
    Certains enfants sont confiés à des foyers vivant à l’étranger ou ayant émigré. Ainsi, quelques foyers immigrés en France élèvent des enfants qui ne sont pas leurs enfants biologiques. Cela souligne la différence de conception de la famille en Afrique, beaucoup moins basée sur les liens biologiques que dans la culture européenne.
  • [15]
    Ces résultats ont été mis en évidence dans une précédente étude basée sur la même enquête (Wolff et al., 2007).
Français

Les immigrés qui vieillissent en France ne bénéficient pas toujours de la présence de leurs enfants. Certains d’entre eux, nés au pays d’origine, y sont restés, d’autres sont venus et repartis, d’autres enfin, nés en France, ont émigré au pays d’origine ou ailleurs. Les parcours migratoires des enfants d’immigrés sont étudiés en fonction des caractéristiques des enfants et du milieu social et culturel des familles, en mettant en évidence leurs inégalités et les facteurs de ces inégalités. Les filles sont plus souvent laissées au pays d’origine que les fils; les enfants de parents séparés plus souvent que ceux de couples unis. Cette analyse s’appuie sur les résultats des données de l’enquête menée en France sur le passage à la retraite des immigrés, comportant des informations sur les immigrés, leurs parents et leurs enfants (enquête Pri). Elle débouche sur des pistes de réflexion sur les implications possibles de ces «générations transfrontalières» et sur la spécificité des relations intergénérationnelles en situation migratoire.

  1. ? L’enjeu des relations entre générations dans les familles transnationales
  2. ? Diversité démographique et territoriale des familles d’immigrés
    1. ? Un grand nombre d’enfants
    2. ? Sur l’ensemble des enfants, 78% font partie d’une famille nombreuse
    3. ? Une large dispersion dans l’âge des enfants
    4. ? Familles recomposées et familles monoparentales plus nombreuses parmi celles originaires d’Afrique subsaharienne
  3. ? Parcours migratoires des enfants
    1. ? 10% des enfants résident hors de France
    2. ? Migrations de la seconde génération
    3. ? Des parcours multiples
      1. Enfant né en France et vivant en France
      2. Enfant né hors de France et vivant en France
      3. Enfant né hors de France et n’ayant jamais vécu en France
      4. Enfant né en France et en étant parti; enfant né hors de France, ayant vécu en France et en étant parti
  4. ? Les inégalités au sein de la fratrie et selon le pays de naissance
    1. ? Caractéristiques des enfants selon leurs modèles migratoires
    2. ? Des inégalités entre les fils et les filles
    3. ? Des inégalités selon la filiation : les enfants de couples dissociés restent plus souvent au pays
    4. ? Les enfants venus avec leurs parents ou qui ont bénéficié d’un regroupement familial
    5. ? Le cas particulier des enfants nés en France et qui sont partis
    6. ? Les enfants nés ailleurs, qui ont vécu en France et en sont repartis
  5. ? Inégalités selon le milieu social et le lieu d’origine
    1. ? Territoires des familles transnationales
    2. ? Influence du milieu social et des conditions de la migration des parents sur le parcours migratoire des enfants
    3. ? Situation dans l’enfance et profil migratoire
  6. ? Inégalités des niveaux scolaires et des situations socioéconomiques des enfants selon leurs parcours migratoires
  7. ? Conclusion

? Bibliographie

  • 2006, L’enracinement. Enquête sur le vieillissement des immigrés en France, Armand Colin, Paris, 357 p.
  • ATTIAS-DONFUT C., WOLFF F.-C., 2008, “Patterns of intergenerational transfers among immigrants in France. A comparative perspective”, in C. Saraceno (ed), Families, Ageing and Social Policy, Cheltenham, Edward Elgar Publishing, à paraître.
  • ATTIAS-DONFUT C., WOLFF F.-C., 2009, Destins des enfants d’immigrés Paris, Stock, ouvrage à paraître.
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  • BAUMAN Z., 1998, Globalization. The Human Consequences, Polity Press, Cambridge, 136 p.
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  • HANDLIN O., 1951, The Uprooted. The Epic Story of the Great Migrations that Made the American People, New York, Grosset & Dunlap.
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Claudine Attias-Donfut
Cnav
François-Charles Wolff
Université de Nantes, Ined et Cnav
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Mis en ligne sur Cairn.info le 10/11/2008
https://doi.org/10.3917/rs.055.0099
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