CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Deux faits démographiques majeurs sont en voie de transformer l’Europe du XXIe siècle, le vieillissement des populations et l’immigration. Deux évolutions fortement liées entre elles, mais généralement considérées séparément et indépendamment l’une de l’autre. À la fin du XXe siècle, l’Europe a connu un tournant historique. Alors que la plupart de ses pays étaient fournisseurs d’émigrants, ils se sont transformés en pays d’immigration. L’Europe est devenue une des premières régions de destination des mouvements migratoires. Si l’Espagne, l’Italie ou le Portugal sont les exemples les plus notoires de cette mutation, beaucoup d’autres, comme les pays scandinaves, se trouvent à leur tour dans la situation inédite d’accueillir et de gérer un nombre croissant d’immigrants. Avec le vieillissement des baby-boomers, les populations européennes vont continuer de vieillir et d’accueillir un nombre toujours plus élevé d’immigrés. Mais, même avec un solde migratoire positif, elles vont décroître à plus ou moins brève échéance. Cette évolution paraît inéluctable, indépendamment de celle de la natalité. Ainsi, la population française, en dépit de son taux de fertilité relativement élevé, est appelée à décliner, comme les autres, avec la disparition de la génération des baby-boomers [1].

2Le marché du travail est fortement marqué par ces deux processus, vieillissement et immigration. La diminution relative des générations d’âge actif peut certes être compensée, comme on peut l’observer en Allemagne et au Japon, par une mobilisation et une formation adéquate du vivier de main-d’œuvre inemployée (des femmes, des travailleurs âgés, des demandeurs d’emploi). Mais dans la plupart des pays, la diminution du nombre d’actifs a eu pour conséquence une demande accrue de main-d’œuvre étrangère.

3Les pressions et les contraintes de l’emploi ne sont pas les seules formes d’interaction entre ces deux mouvements démographiques. Il se produit des effets en chaîne dont on n’évalue pas encore toute la portée. Parmi les grandes tendances dont on commence à mesurer l’ampleur figurent l’immigration pour des emplois de service auprès de personnes âgées, les migrations de retraite, les migrations de retour, le regroupement familial de parents d’immigrés et autres formes de « migrations tardives », ainsi que les phénomènes liés au vieillissement des immigrés dans les pays d’installation.

4Ce volume de Retraite et Société rassemble des contributions qui en présentent quelques aspects. Il n’a pas l’ambition d’englober l’ensemble des interactions entre les processus de vieillissement et les phénomènes migratoires, mais d’attirer l’attention sur ces questions importantes et encore insuffisamment traitées.

Le vieillissement de la population peut-il être compensé par l’immigration ?

5Un rapport des Nations Unies, paru en 2000, préconisant des « migrations de remplacement », comme solution au vieillissement de la population, a soulevé de nombreuses critiques. La principale objection qui lui a été adressée est que le processus de vieillissement est inéluctable. L’allongement de l’espérance de vie, qui en est désormais la cause principale, est aussi signe de progrès social. Quant à la baisse de la natalité, qui contribue au vieillissement de la population, elle est également liée à l’émancipation des femmes. Dans tous les pays, y compris ceux qui ont traditionnellement une forte fécondité comme les pays arabes ou l’Iran, les femmes ont moins d’enfants et plus de diplômes. Il y a certes des variations de l’indice de fécondité d’un pays à l’autre et d’une période à l’autre, mais elles restent limitées dans une étroite fourchette et, quelles que soient ses évolutions, elles ne peuvent pas renverser la tendance au vieillissement de la population. Il en est de même de l’immigration, qui ne peut ni inverser ni stabiliser cette tendance, mais tout au plus la ralentir (Léridon, 2000 [2] ). Le recours à l’immigration reste la principale solution à la pénurie de main-d’œuvre, qu’elle résulte d’une demande accrue en période de croissance économique ou d’une insuffisance de l’offre, en cas de décroissance de la population.

6Dès lors qu’il est devenu évident que le vieillissement est une réalité à laquelle les sociétés doivent s’adapter et qu’il est illusoire de chercher les moyens de le prévenir, la question n’est plus de savoir si l’immigration est ou non une solution au vieillissement. Il convient plutôt de s’interroger sur l’organisation des âges de la vie dans la société, dans l’entreprise, dans la famille, et sur les moyens de faire correspondre l’évolution sociale, culturelle, et celle des mentalités, à l’évolution démographique. Le défi du vieillissement ne peut être éludé. Ses conséquences doivent être lucidement analysées dans tous les domaines et, en ce qui nous concerne dans ce volume, sur les phénomènes migratoires.

7En quoi le vieillissement produit-il de nouvelles formes d’immigration ? Et comment les comportements migratoires évoluent-ils au cours du cycle de vie ? Ces questions ont été peu traitées à ce jour, sans doute du fait que la migration internationale a longtemps concerné en Europe les hommes âgés de 20 à 35 ans, dont on pensait qu’ils retourneraient ensuite au pays d’origine. Cette situation a changé. Le regroupement familial a favorisé l’installation définitive des immigrés et le développement de l’immigration féminine. La démographie des populations immigrées se transforme, elle s’étend désormais à tous les âges et de plus en plus aux femmes.

Des immigré(e)s pour s’occuper des personnes âgées

8Les besoins d’aide croissants aux personnes très âgées conjugués à l’insuffisance de personnel et de membres de l’entourage disponibles pour y répondre, entraînent un fort développement des migrations féminines de travail dans le secteur d’aide et de soins aux personnes âgées.

9En Italie, ce phénomène a pris une telle ampleur que, comme l’expliquent dans ce volume Giovanni Lamura et ses coauteurs, on assiste à une véritable « ethnicisation » du secteur de soins et d’aide aux personnes âgées. La même tendance apparaît, à des degrés divers, dans la plupart des pays d’Europe les plus riches, où la demande de personnel gérontologique est la plus solvable. Dans les pays scandinaves, c’est aussi principalement dans ce secteur que se développe une nouvelle forme d’immigration, extérieure aux traditionnels circuits migratoires entre pays nordiques. Dans ces sociétés, le système très développé de protection sociale prend une place importante dans le marché du travail, et le vieillissement de la population accroît la demande et le manque de main-d’œuvre. On observe alors une politique officielle, active, d’immigration sélective pour faire face à ces besoins. À la différence de l’Italie, où ce sont les familles qui font appel à des immigrées (souvent sans papiers), dans les pays scandinaves, l’État et les institutions de protection sociale les recrutent de façon tout à fait légale, et mettent en place des programmes de formation pour répondre aux besoins du secteur d’aide et de soins aux personnes âgées [3].

10En France, le secteur des aides et services à la personne et de la domesticité emploie un nombre important de femmes immigrées, depuis longtemps. Les données dont on dispose à ce sujet remontent au début du XXe siècle. C’est une tendance longue, qui fait partie de l’histoire séculaire de l’immigration en France. Ces emplois sont souvent occupés par les épouses des hommes venus travailler dans d’autres secteurs. Ce fait bien connu est peu mis en valeur dans l’histoire de l’immigration. Le statut dévalorisé de ce secteur, son caractère majoritairement féminin expliquent sans doute le peu d’intérêt qu’il a soulevé dans la littérature sur les migrations en France. Il n’en demeure pas moins que la même tendance existe aujourd’hui encore, mais de façon moins lisible, compte tenu de l’absence de statistiques sur l’origine ethnique ou géographique du personnel des services et sur les institutions prenant en charge des personnes âgées [4]. L’enquête réalisée en 2003 après des immigrés de plus de 45 ans en France (enquête PRI [5] ) montre que parmi les femmes immigrées actives, plus d’un tiers sont employées dans ce secteur, alors que dans l’ensemble des femmes actives en France, ce taux n’est que de 10%.

11Le développement des migrations féminines de travail prive souvent la famille laissée au pays du soutien essentiel que représentent ces femmes « pivot », même si elles compensent leur absence par des envois d’argent [6]. Le recours aux grands-parents a des effets ambigus : s’ils sont parfois bénéfiques, lorsqu’ils endossent le rôle des parents, une fois ceux-ci partis, cette relation n’est pas toujours favorable au développement des enfants. Les pays de l’ex-Europe de l’Est sont particulièrement concernés en tant que fournisseurs de main-d’œuvre dans ce secteur, ainsi que les pays du Maghreb, d’Afrique, et certaines parties de l’Asie. Les femmes qui s’expatrient ainsi ont parfois un bon niveau de qualification, ce qui entraîne une perte de capital humain pour le pays d’origine, cumulant les désavantages du brain drain (fuite des cerveaux) et du care drain (fuite des soins), comme le notent Lamura et al. dans ce volume. Pour certaines régions déshéritées, qui périclitent sous l’effet de l’émigration des forces vives que représentent ces hommes et ces femmes jeunes partis travailler ailleurs, les effets peuvent devenir catastrophiques, quand des enfants sont laissés dans des situations de pénurie de soins ou de formation scolaire. Un article du Monde du 13 janvier 2006 évoquait le drame vécu par les enfants roumains dont les parents partaient à la recherche de l’Eldorado à l’Ouest. Les régions les plus pauvres étant touchées, les écoles des villages ont fermé leurs portes et les aïeux ont un niveau culturel très faible. Les grands-parents sont alors impuissants à enrayer le mal-être de leurs petits-enfants. Ce même article chiffrait l’importance du phénomène, en prenant comme exemple la ville de Iasi, où 10000 enfants seraient concernés. Ces migrations ont aussi des conséquences économiques et sociales pour les pays receveurs : travail au noir, baisse du coût du travail, qualité inégale des soins, besoins en formation, en apprentissage de la langue, regroupement familial, et plus généralement tout ce que supposent l’accueil et l’intégration de nouvelles vagues d’immigration. Le risque croissant de déséquilibre entre pays de départ et pays d’accueil invite à une coopération européenne pour une action concertée entre les uns et les autres en vue de limiter les dégâts dans les pays de départ, comme le préconisent Lamura et ses coauteurs. Cela implique aussi d’inciter les politiques nationales à améliorer le système des soins de longue durée aux personnes âgées de façon à développer l’offre de travail interne et à limiter le besoin de recours à l’immigration dans ce domaine.

Les parents d’immigrés

12Le regroupement familial prévu dans le cadre des lois sur l’immigration concerne essentiellement les conjoints et les enfants des immigrés déjà installés dans un pays d’accueil et fait peu de place aux parents. C’est ce qui ressort de la législation suisse, comme le montrent Claudio Bolzmann et ses coauteurs dans ce volume. Si cette législation paraît très rigoureuse à cet égard, elle ne fait pas exception en Europe. Le regroupement des générations est rendu particulièrement difficile par les restrictions légales dans beaucoup de pays. En France, ces restrictions ont été plus ou moins sévères selon les époques. Ainsi, parmi les immigrés de plus de 45 ans, donc déjà installés de longue date, 28% ont au moins un parent, père ou mère, vivant en France. Pour une vision plus complète de ce phénomène, il convient de tenir compte de ceux dont les parents ont vécu et fini leurs jours en France, ce qui porte ce taux à plus d’un tiers des immigrés. Leur présence constitue une puissante source d’enracinement pour leurs enfants [7]. Le regroupement familial des ascendants est décidé et entrepris par ceux qui sont déjà installés au pays d’accueil et qui ont acquis une situation financière qui leur permet de prendre en charge leurs parents lorsque ceux-ci sont démunis de ressources. Cette contrainte économique pénalise les familles modestes et limite leur recours à la solidarité familiale, lorsqu’un parent âgé a besoin d’aide ou quand au contraire il pourrait aider ses enfants. Ce phénomène, dont l’importance est mise en évidence en Suisse par les travaux de Claudio Bolzmann et ses coauteurs, reste encore largement méconnu dans beaucoup de pays et mériterait d’être mieux pris en compte dans les politiques de migration, comme élément important de l’intégration et du bien-être des familles immigrées. Ces auteurs soulignent la nécessité de repenser dans ce contexte la notion même de famille. Même lorsqu’il s’agit, non des parents, mais des enfants d’immigrés, le regroupement familial subit de fortes contraintes économiques. La dispersion des générations à travers les frontières en est un des effets. La norme habituelle qui veut que les enfants soient élevés avec le ou les parents jusqu’à l’âge adulte pour prendre ensuite progressivement leur autonomie, est bousculée par la migration. La contribution de Claudine Attias-Donfut et François-Charles Wolff, dans ce volume, révèle que 10% des enfants d’immigrés vivant en France n’habitent pas eux-mêmes en France et que certains n’y ont jamais vécu. Cette dispersion entraîne à son tour des conséquences dans la destinée des générations et des inégalités sociales selon les parcours migratoires.

Autres migrations tardives

13La migration de parents d’immigrés, survenant généralement dans la maturité ou la vieillesse, implique des processus d’intégration spécifiques à cette période de la vie. En effet, la migration prend des significations différentes selon la phase de vie au cours de laquelle elle intervient. L’âge à la migration est un élément important du profil migratoire et conditionne en partie le déroulement ultérieur de la vie des migrants. Aux différentes étapes de la vie correspondent des motifs et des formes migratoires spécifiques. Quand la migration intervient dans l’enfance, c’est dans le cadre d’une migration familiale, ou d’un regroupement familial. À la fin de l’adolescence et au cours de la jeunesse interviennent les migrations pour études et formations. Le début de l’âge adulte est l’âge des migrations de travail, qui représentent la grande majorité de l’ensemble des migrations. Le mariage ou la mise en couple peuvent être un motif de migration. Il y a aussi des migrations professionnelles tardives, des migrations d’affaires, impliquant des professionnels de haut niveau, ayant l’expérience de la maturité. Enfin, le passage à la retraite, propice aux changements de lieux de vie, occasionne des migrations d’un tout autre type, les migrations de retraite.

14Quand les migrations sont précoces, lorsqu’elles ont eu lieu dans l’enfance, le pays de destination est vécu comme le pays de l’enfance et il est plus facilement objet d’identification. La durée de résidence y contribue, ainsi que la nature de l’expérience personnelle que le migrant a de la société dans laquelle il vit et les liens interpersonnels qu’il y a établis. La sociabilité de l’enfance et de l’adolescence, la scolarité, l’apprentissage culturel et l’association à des groupes de jeunes, constituent de puissants pouvoirs intégrateurs. Dans ce cas, la relation avec le pays d’origine est soit distendue, soit largement imaginaire. Quand au contraire les migrations sont plus tardives, le lien avec le pays d’origine, dans lequel s’est effectuée la socialisation de l’enfance, a plus de chances de rester fort. Il s’exprime par des va-et-vient fréquents et aussi, parfois, par des retours définitifs.

15Les « migrations de retour » de ceux qui, ayant passé tout ou partie de leur vie professionnelle en dehors de leur pays d’origine, y retournent pour une deuxième carrière ou pour y passer leur retraite, sont-elles en accroissement, comme le suggère un récent rapport de l’OCDE [8] ? L’allongement de la vie, d’une part, l’intensification des mouvements migratoires de toute nature, d’autre part, ne peuvent en effet qu’amplifier les différents types de mobilités au cours de la deuxième partie de la vie et au moment de la retraite.

Migrations de retour

16Les migrations de retour sont au cœur des politiques migratoires, comme le notent les auteurs du rapport de l’OCDE. Elles sont aussi au centre de la problématique associant vieillissement et migrations. Selon les résultats de l’étude de l’OCDE, les retours au pays d’origine interviennent le plus souvent dans les cinq ans qui suivent l’arrivée des migrants. Les principales raisons en sont : « échec de l’intégration au pays d’accueil; préférence des individus pour leur pays d’origine; réalisation d’un objectif d’épargne; évolution des opportunités d’emploi dans le pays d’origine, grâce à l’expérience acquise à l’étranger » (OCDE, 2008). La probabilité de retour diminue fortement à mesure que la durée de séjour augmente, pour s’accroître ensuite, légèrement, à l’âge de la retraite. L’enquête PRI, déjà citée, montre que les désirs de retour sont très faibles, excepté parmi les ressortissants du Portugal et d’Afrique subsaharienne. Les données présentées par le rapport de l’OCDE sur les retours effectifs montrent que parmi les immigrés portugais de 60 à 65 ans résidant en France en 1995, près de 17% étaient retournés au Portugal en 2001, mais seulement 3,5% des immigrés d’origine espagnole. Dans l’enquête PRI de 2003,10% des actifs d’origine portugaise et 3% de ceux d’origine espagnole avaient émis le projet de retour au moment de la retraite. La relative concordance entre les intentions exprimées et les pratiques effectives amène à considérer que ces migrations de retour s’inscrivent dans un projet de vie, formulé et préparé de longue date. Il implique souvent l’achat d’un logement au pays de retour ainsi que le maintien et l’entretien d’un réseau social par de fréquents va-et-vient. Il reste que les migrations de retour au moment de la retraite sont généralement beaucoup moins fréquentes que celles qui interviennent après un court séjour, avant que ne se produise un processus d’enracinement – familial surtout, mais aussi professionnel – dans le pays d’installation. Les effets des politiques migratoires sur ces retours semblent faibles, car les facteurs d’ordre personnel et familial sont déterminants. Le degré d’attraction du pays d’origine joue également, et bien plus fortement que les éventuelles incitations au retour proposées par les pays de résidence. Quel peut être, dans ces conditions, le rôle effectif du « fonds européen pour les retours » établi en 2007 dans le cadre du programme de « solidarité et de gestion des flux migratoires »? Comme le précise le rapport de l’OCDE de 2008, cette action a pour objectif d’aider les États membres à stimuler les retours volontaires et à lever les obstacles institutionnels qui les freinent. Dans ce cadre, la perspective la plus intéressante est dans la participation des migrants au développement des pays d’origine et dans l’intensification des échanges internationaux, favorisant les transferts de compétences et de technologies.

Migrations de retraite

17Un certain nombre de « jeunes retraités » changent de pays principalement pour y passer leur retraite. Leur nombre est difficile à estimer avec précision en raison de la plus grande difficulté à localiser ces retraités qui habitent souvent des petites villes et s’absentent fréquemment pour voyager ou faire des séjours au pays, dans un mode de vie généralement de « transmigrant ».

18Parmi les immigrés de plus de 60 ans résidant en France, 5% sont venus après l’âge de 50 ans, certains pour rejoindre la famille ou pour affaires, d’autres simplement attirés par le pays et le climat. Ces migrations de retraite proviennent essentiellement de l’Europe du Nord et sont le fait de personnes vivant en couple, appartenant aux catégories professionnelles élevées et d’un niveau d’éducation supérieur. Les études menées en Grande-Bretagne ont montré que les Britanniques pratiquent depuis longtemps des migrations de retraite de longue distance et internationales et que cette tendance s’accentue. En 1997,763000 citoyens britanniques recevaient leurs pensions de retraite outre-mer [9]. En France, certains se fixent en Normandie, en Bretagne, ou dans des régions méridionales plus ensoleillées comme la Dordogne. Par comparaison, les Français paraissent bien plus sédentaires.

19D’après les données de 2002 des fichiers administratifs du régime général de retraite, seulement 63396 de ses retraités nés en France résidaient hors de France, soit moins d’un dixième des retraités britanniques à l’étranger. Ce nombre s’est sans doute accru avec la récente vogue, en France, d’aller vivre sa retraite sous le ciel (et le soleil) du Maroc. Les accords internationaux en matière de protection sociale pouvant faciliter ce type de migrations sont encore insuffisants, notamment en ce qui concerne la couverture « santé ». Mais le développement d’accords internationaux de sécurité sociale vise à favoriser les mobilités internationales des retraités, que ce soit pour des migrations de retour ou pour des migrations de retraite. Compte tenu des évolutions politiques dans ce domaine, on peut se demander si leur nombre ne va pas prendre une extension telle qu’elle pourrait conduire à une spécialisation des pays européens entre ceux du Nord fournissant des retraités et ceux du Sud les accueillant, à l’image de ce que l’on observe en Espagne depuis quelques décennies.

20Les migrations tardives, de retraite ou de retour, ou les migrations de travail en pleine maturité, sont généralement le fait de personnes ayant des ressources économiques, des compétences et un niveau de vie plutôt élevés. Elles posent néanmoins de nouveaux problèmes aux pays d’accueil pour faire face au vieillissement accéléré de certaines régions : aménagement de l’espace et des services dans le cas des migrations de retraite; problèmes d’intégration des nouveaux venus, ne parlant pas la langue du pays et n’ayant pas eu l’opportunité de nouer de liens sociaux en dehors de la famille, pour les parents d’immigrés. Enfin, pour les uns et pour les autres, la question des soins de santé et de leur couverture sociale se pose.

Le vieillissement des immigrés

21L’immigration temporaire reste actuellement limitée en Europe, les installations permanentes étant majoritaires malgré les incitations politiques au retour. Les immigrés vieillissent donc à leur tour dans les sociétés vieillies d’Europe. La France présente à cet égard un exemple édifiant, étant ancien pays d’immigration et par conséquent un des premiers en Europe à être confronté à la gestion de la retraite et du vieillissement d’un grand nombre d’immigrés.

22La retraite des immigrés soulève la question de la coordination internationale des régimes de retraite, des actions d’information, des procédures de paiement, de la distribution d’allocations, coordination d’autant plus nécessaire que nombre d’immigrés ont travaillé dans deux ou plusieurs pays et y ont acquis des droits à la retraite. La diversité des régimes, des législations, des procédures administratives, au niveau européen et davantage encore au niveau international extra-européen, pose des défis importants aux systèmes de protection sociale. Des méthodes ouvertes de coordination sont élaborées à l’échelon européen pour aider les États providence à créer un minimum d’échanges entre eux (sans parler de l’introuvable harmonisation) tout en assurant la pérennité de leur mission sociale et en garantissant leur viabilité financière (deux exigences contenues dans le concept de sustainability ). De plus, la « portabilité » des pensions de retraite est loin d’être universelle et varie selon les législations nationales; la plupart des pays de l’OCDE permettent néanmoins aux immigrés de recevoir leur retraite dans leur pays d’origine, mais avec parfois une décote substantielle (ainsi les immigrés d’Allemagne qui retournent en Turquie ou en Tunisie reçoivent une retraite diminuée de 30%) [10].

23Mais il ne suffit pas d’assurer la sécurité socio-économique par les pensions, encore faut-il offrir des opportunités de bien-être social, ou, comme l’analyse Lewin-Epstein [11], une qualité de vie sociale (social quality), impliquant également la capacité à agir sur son environnement (social empowerment), une vie sociale satisfaisante (social cohesion), dans et hors la famille, et une participation sociale (social inclusion) que la position de « vieux » et d’« immigré » rend plus difficile, le monde du travail étant le principal mode d’insertion des immigrés. Le vieillissement des immigrés constitue un enjeu pour les politiques sociales, en France et en Europe, celui de penser et mettre en œuvre la diversité, dans tous les domaines de la vie sociale, conformément à l’article 13 du traité d’Amsterdam permettant de « prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l’origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge et l’orientation sexuelle ». Il reste encore beaucoup de chemin à faire pour appliquer pleinement ces principes dans l’élaboration des politiques sociales du vieillissement.

24Quelles peuvent être les implications de « l’âge de la migration » dans l’étude du vieillissement et de la vieillesse ? Cette question à la fois politique et épistémologique que pose Sandra Torres dans ce volume peut s’avérer féconde pour la gérontologie sociale, notamment, comme le souligne l’auteur, en ouvrant à la dimension culturelle de la vieillesse et du vieillissement. Le contexte migratoire donne un relief particulier au déroulement des parcours de vie (life course) et au fonctionnement des rapports intergénérationnels. Ce champ encore inexploré offre de nouvelles perspectives pour enrichir la connaissance gérontologique, et plus généralement, celle des âges et des générations, dans les sciences sociales.

Notes

  • [1]
    Héran F., 2007, Le temps des immigrés, Paris, Seuil.
  • [2]
    Léridon H., 2000, « Vieillissement démographique et migrations :quand les Nations Unies veulent remplir le tonneau des Danaïdes », Polulation et Sociétés, n° 358, Ined.
  • [3]
    Sandra Torres, “Swedish Elderly Care : a Look of What Characterizes and Challenges the Present Welfare System”, communication au séminaire “Migrant Labour in Eldercare Sectors. The Nordic Model”, Oslo, 22 septembre 2008; Tine Rostgaard, “Ethnic Diversity in Care Work. Danish Care for the Elderly in a Multicultural Perspective”, communication au séminaire “Migrant Labour in Eldercare Sectors. The Nordic Model”, Oslo, 22 septembre 2008.
  • [4]
    Une première évaluation statistique réalisée à la Cnav montre que parmi les personnels des associations d’aide à domicile intervenant auprès des personnes âgées en Île-de-France, plus d’un tiers sont nées à l’étranger.
  • [5]
    Attias-Donfut C., avec la collaboration de Daveau P., Gallou R., Rozenkier A., Wolff F.-C., 2006, L’enracinement. Enquête sur le vieillissement des immigrés en France, Paris, Armand Colin.
  • [6]
    Elles y trouvent aussi une forme d’accomplissement par la conquête de leur autonomie, comme c’est le cas des Philippines immigrées à Paris, enquêtées par Liane Mozère, « Domestiques philippines entrepreneurs d’elles-mêmes sur un marché mondial de la domesticité », Le Portique, Carnet 1-2005, (en ligne).
  • [7]
    Enquête PRI, in Attias-Donfut et al., op.cit.
  • [8]
    « Perspectives des migrations internationales », OCDE, 2008.
  • [9]
    King R., Warnes A., 2000, Sunset Lives. British Retirement Migration to the Mediterranean, Oxford, Berg; Warnes A., « Migrants âgés en Europe : parcours et statuts sociaux multiples », in Bonvalet C. (dir.), Vieillissement de la population et logement, stratégies résidentielles et patrimoniales, La Documentation française, 2007.
  • [10]
    OCDE, 2008, p. 231, citant Holzmann, Koettel et Chermetsky, 2005, “Portability Regimes of and Health Care Benefits for International Migrants : an Analysis of Issues and Good Practices,” Social Protection Discussion Paper Series, n° 0519, Londres, Home Office.
  • [11]
    Lewin-Epstein N., 2007, “Why Should We be Concerned About Migration ?”, News, issue 8, ERA-AGE.
Claudine Attias-Donfut
Cnav
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 10/11/2008
https://doi.org/10.3917/rs.055.0004
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