1La santé des immigrés préoccupe les institutions médico-sociales en raison des nombreuses situations de précarité que connaissent certains d’entre eux, notamment au début de leur séjour en France, en raison également des difficultés qu’ils risquent de rencontrer dans l’accès aux soins, même si la législation le leur garantit. Difficultés de langage, méconnaissance des codes culturels, manque d’information, comportements discriminatoires à leur égard sont autant d’obstacles qui contribuent à la dégradation de l’état de santé des personnes marginalisées et contre lesquels de multiples actions sont entreprises par des professionnels et des mouvements associatifs (Migrations Santé, 2003). À ce titre, la santé des immigrés représente un objet d’étude spécifique (Dunn, Dyck, 2000). Si l’on ajoute à cela qu’ils ont en moyenne de moindres niveaux d’éducation et de salaire que la population générale, on peut s’attendre à de plus mauvais états de santé, les conditions socio-économiques – revenu, niveau d’éducation, nature de l’occupation notamment – figurant parmi les principaux déterminants de la santé (Dunn, Dyck, 2000; Turell et al., 1999; Tubiana, 2002). Il est en effet courant de supposer que cette population présente des risques plus élevés que les autochtones en matière de santé (Khlat et al., 1998; Ronellenfitsch, Razum, 2004).
2Mais, paradoxalement, de nombreuses études menées dans plusieurs sociétés industrialisées montrent que les immigrés sont en moyenne en meilleure santé que les personnes natives du pays d’accueil (voir par exemple Swallen (1997) aux États-Unis; Chen et al. (1996a et b); Bourbeau (2002); McDonald, Kennedy (2004) au Canada; Razum et al. (1998) en Allemagne). Ce phénomène, qualifié d’effet de sélection des immigrés en bonne santé (healthy immigrant effect) est observé en employant divers indicateurs de santé depuis les taux de mortalité généraux et/ou spécifiques jusqu’aux auto-évaluations de l’état de santé général en passant par différents indicateurs de morbidité. Au Canada par exemple, deux études de Chen et al. (1996a et b) ont montré que les immigrés récents, ceux qui sont présents depuis moins de dix ans, possèdent non seulement une espérance de vie plus longue que celle des natifs mais également un plus faible risque de déclarer des problèmes chroniques et des incapacités de long terme. L’existence de l’effet de sélection des immigrés en bonne santé ne fait toutefois pas l’objet d’un consensus. Certains auteurs n’obtiennent pas d’écarts significatifs entre l’état de santé des natifs et des immigrés (Dunn, Dyck, 2000), voire observent des disparités en défaveur de ces derniers. C’est le cas de Uniken Venema et al. (1995) pour les Pays-Bas, de Pudaric et al. (2003) pour la Suède et de Wild et McKeigue (1997) pour la Grande-Bretagne [1]. Par ailleurs, plusieurs travaux ont montré que l’écart de santé entre les natifs et les immigrés, à l’avantage de ces derniers, se réduit jusqu’à disparaître éventuellement avec l’augmentation de la durée de résidence dans le pays d’accueil (Chen et al., 1996; Perez, 2002; McDonald, Kennedy, 2004 ; Ronellenfitsch, Razum, 2004).
3En France, les quelques travaux disponibles semblent étayer l’idée d’une sélection des immigrés en bonne santé. Mizrahi et al. (1993) ont comparé la santé des Français à celle des étrangers et des naturalisés à l’aide des données cumulées des enquêtes « Santé et protection sociale » (SPS) des années 1988 et 1991. S’ils constatent qu’en moyenne et à âge égal, l’état de santé des étrangers est meilleur que celui des Français à la fois en termes de pronostic vital et de niveau moyen d’invalidité, en revanche, les naturalisés s’avèrent en moins bonne santé. À partir de données différentes, Khlat et Courbage (1995) ont établi que l’espérance de vie des immigrés marocains est sensiblement supérieure à celle des hommes demeurés au Maroc et des natifs. Mais les auteurs observent une surmortalité des femmes ayant émigré du Maroc par rapport aux natives. S’appuyant sur l’enquête Santé Insee de 1991-1992, Khlat et al. (1998) constatent que, toutes causes confondues, le taux de morbidité est moins élevé parmi les immigrés d’origine maghrébine que parmi les autochtones, l’avantage étant particulièrement marqué pour les hommes. Compte tenu des résultats disponibles, Khlat et Darmon (2003) estiment qu’il existe en France un effet de sélection des immigrés en bonne santé, au moins pour ce qui concerne les hommes provenant de pays méditerranéens.
4Il existe une autre piste de recherche intéressante pour comprendre les éventuelles spécificités de la santé des immigrés. Elle consiste à s’interroger sur ses déterminants afin d’établir s’ils sont identiques aux déterminants de la santé de la population générale ou s’il existe des caractéristiques qui leur sont propres, susceptibles d’affecter leur état de santé (Dunn, Dyck, 2000). Une hypothèse peut être formulée : la santé des immigrés dépendrait en partie de leur état de santé passé, des conditions sanitaires qu’ils ont rencontrées et des habitudes comportementales acquises dans leur pays d’origine, telles leurs habitudes alimentaires par exemple. Cela pourrait expliquer des différences (de santé) avec les natifs à statut démographique et socio-économique comparable et permettrait d’évaluer dans quelle mesure le pays d’émigration agit sur l’état de santé des immigrés en France, une fois contrôlés les effets des principales variables socio-économiques.
5Le présent article propose d’aborder cette question à l’aide des données de l’enquête « Passage à la retraite des immigrés » (PRI) réalisée par la Caisse nationale d’assurance vieillesse et l’Insee en 2002-2003. Cette enquête permet de disposer d’un échantillon de 6211 individus représentatifs des immigrés âgés de 45 à 70 ans résidant en France en 2003. Dans ce cadre, l’objectif de l’article est double. Dans un premier temps, nous étudions les déterminants de la perception qu’ont les immigrés de leur santé en cherchant à mettre en évidence le rôle éventuel de facteurs spécifiques au phénomène migratoire, à savoir la durée de résidence en France et la région d’émigration. La question sous-jacente est d’essayer de savoir si la santé des immigrés dépend essentiellement, comme celle de la population générale, de facteurs socio-économiques ou s’il existe des éléments qui amènent à considérer les immigrés comme un groupe spécifique au regard des risques affectant la santé. Dans un second temps, nous nous interrogeons sur les conséquences d’une santé défaillante sur le temps que leur consacrent leurs proches. La population des immigrés vieillissants en France se distingue de la population générale en matière de transferts monétaires par une générosité orientée à la fois dans les sens des ascendants et des descendants (Attias-Donfut et al., 2004). La question que nous soulevons est de savoir si les aides qu’obtiennent les immigrés dépendent essentiellement de leur état de santé ou si elles constituent une contrepartie des versements monétaires qu’ils effectuent. Cette application nous permet par ailleurs de comparer la capacité prédictive des deux mesures de santé que nous utilisons pour l’étude des facteurs déterminants du temps consacré aux immigrés.
6L’article suit le plan suivant. Après la description des données de l’enquête PRI, détaillant les questions qui se rapportent à l’évaluation de la santé, il est structuré en trois parties. La première présente l’état de santé des immigrés en fonction de leurs principales caractéristiques démographiques et socio-économiques. La santé est évaluée à l’aide de deux indicateurs. L’un porte sur l’état de santé général, estimé par les enquêtés eux-mêmes sur une échelle qualitative allant de « très bon » à « très mauvais ». L’autre mesure la prévalence des problèmes de santé physique, handicap ou maladie, responsables de difficultés dans la vie quotidienne.
7Dans la seconde partie, nous effectuons une analyse économétrique des déterminants de ces deux mesures de santé. Nous nous efforçons, d’une part, de mettre en évidence les effets des variables socio-économiques face aux variables dite d’immigration (Newbold, Danforth, 2003), à savoir la région d’origine et la durée de résidence en France (ou durée de migration) et, d’autre part, de vérifier la sensibilité des résultats au type de mesure de santé employé. La troisième partie étend l’analyse précédente aux effets de la santé sur la mobilisation du réseau familial et social des immigrants. Elle vise à confronter les besoins – appréciés à partir des déficiences de santé – aux aides dispensées par l’entourage et les services professionnels.
8Les données de l’enquête PRI L’enquête PRI, réalisée entre novembre 2002 et février 2003 par la Caisse nationale d’assurance vieillesse et l’Insee [2], s’intéresse aux conditions et aux modalités du passage à la retraite des immigrés (Attias-Donfut, 2004). Elle a été menée auprès de personnes désignées par tirage aléatoire, à partir du recensement Insee de 1999, parmi les ménages comportant au moins une personne immigrée âgée entre 45 et 70 ans au moment de l’enquête. L’échantillon ainsi constitué comporte 6211 individus dont 46,4% sont des femmes et dont les âges moyen et médian s’établissent respectivement à 55,8 et 55 ans. Il est représentatif de la population immigrée résidant en France métropolitaine en 2003, c’est-à-dire de l’ensemble des personnes nées étrangères à l’étranger appartenant à la tranche d’âges sélectionnée.
9Le questionnaire de l’enquête PRI recueille des informations sur les caractéristiques démographiques, économiques et sociales des immigrés ainsi que sur la nature et la configuration de leurs réseaux familial et social. Il comporte aussi plusieurs questions relatives à la santé, toutes les réponses étant données par les enquêtés eux-mêmes. Deux de ces questions permettent d’obtenir des mesures synthétiques de la santé. L’une demande aux enquêtés de juger leur état de santé actuel en le situant parmi cinq catégories mutuellement exclusives : « très bon », « plutôt bon », « moyen », « plutôt médiocre », « très mauvais ». L’autre relève l’existence éventuelle de maladies ou de handicaps responsables de difficultés dans la vie de tous les jours. Bien que ces mesures soient toutes deux effectuées par les enquêtés, elles diffèrent par au moins deux aspects. En premier lieu, la mesure de santé à cinq modalités est une mesure générale qui peut être affectée à la fois par des aspects physiques et mentaux (voir par exemple Shields, Shooshtari, 2001). La seconde, concernant les maladies et handicaps, est plus spécifique car elle fait explicitement référence à des limitations dans les capacités fonctionnelles des personnes. En second lieu, cette dernière mesure peut sembler moins subjective que la première précisément parce qu’elle est établie en citant des problèmes de santé précis (maladies et handicaps). Elle conserve néanmoins une certaine part de subjectivité puisque les enquêtés demeurent les seuls interprètes de la notion de « difficultés dans la vie de tous les jours ». Outre ces deux mesures synthétiques de santé, l’enquête PRI interroge les immigrés sur la fréquence des sentiments de dépression. Ces informations sont complétées par des éléments plus spécifiques concernant la santé et ses conséquences. Pour les individus qui travaillent ou ont travaillé dans le passé, il est possible de connaître la proportion de ceux qui déclarent souffrir ou avoir souffert de problèmes de santé spécifiquement liés au travail. Pour ceux qui reportent des maladies ou des handicaps, le questionnaire demande de préciser la nature des limitations d’activité en résultant (difficultés à faire les courses, sa toilette, à se déplacer, etc.) et des services reçus à domicile en conséquence (soins infirmiers, assistance à domicile, aide ménagère, etc.). Les immigrés sont également interrogés sur les aides qu’ils reçoivent de leurs proches pour leurs tâches quotidiennes, la fréquence de ces aides et l’identité des aidants. Il est donc possible de savoir dans quelle mesure le réseau familial et social se mobilise autour de ceux dont la santé est défaillante.
? La santé des immigrés
10L’évaluation générale de leur santé par les individus eux-mêmes est un indicateur largement utilisé dans les études sur la santé. Sa validité pour comparer les niveaux de santé au sein d’une population est largement établie. Cette évaluation subjective est cependant marquée par des normes culturelles. Celles-ci existent manifestement entre les femmes et les hommes, ces derniers étant davantage enclins à surévaluer leur état de santé (ou à en minimiser les problèmes), conformément à la norme de virilité. Il convient donc d’en tenir compte quand on mesure l’écart de santé entre les sexes. Ces influences culturelles s’exerçant de façon uniforme sur des personnes faisant partie d’une même culture, elles ne remettent pas en question les comparaisons au sein d’une population homogène. Il n’en est pas de même dans les comparaisons internationales. On ne peut utiliser l’indicateur de santé reportée pour comparer des populations de pays et de culture différents sans corriger les biais culturels dans l’expression de l’évaluation de la santé, comme cela a été réalisé dans la récente enquête sur les personnes de plus de 50 ans dans dix pays européens (Jürges, 2005). De même, si on utilise cet indicateur subjectif pour comparer la santé des immigrés vivant en France, il convient de tenir compte des variations culturelles des normes d’expression, ce qui n’est pas simple en raison de l’acculturation progressive ou partielle à la société française. Compte tenu de ce facteur culturel, les deux mesures de santé utilisées ici seront confrontées. Rappelons que l’une est basée sur le critère subjectif; l’autre, relativement plus objective, porte sur l’existence de handicaps. Selon la première mesure, un peu plus de la moitié des immigrés, plus précisément 52,3%, s’estiment en bonne ou très bonne santé. Les femmes ont moins tendance à déclarer une bonne santé subjective (48,3%) que les hommes (55,8%). Selon la seconde mesure, 29,1% des femmes et 27,1% des hommes font état de maladies ou de problèmes de santé occasionnant des difficultés dans la vie quotidienne.
? Comparaison des immigrés avec la population générale
11L’enquête PRI concernant une population exclusivement composée d’immigrés, nous avons mis en parallèle les résultats de l’évaluation subjective de la santé avec ceux obtenus auprès de la population générale dans une autre enquête. Pour cela, nous avons utilisé les résultats de l’enquête « Emploi du temps » (EDT) de l’Insee, réalisée de février 1998 à février 1999, dont l’intérêt est d’évaluer la santé perçue à l’aide d’une question similaire à celle employée dans l’enquête PRI. L’enquête EDT s’appuie sur un échantillon représentatif de 8616 ménages au sein desquels 15441 personnes de plus de 15 ans sont interrogées. Plusieurs précautions doivent être prises pour effectuer une telle comparaison. Tout d’abord, même si les questions employées sont semblables, la comparabilité des résultats des deux enquêtes peut être sujette à caution, car elles ne sont pas effectuées au cours de la même période. En outre, la question posée étant subjective, le contexte de l’enquête peut avoir une incidence sur les résultats. Remarquons surtout que la composition socio-économique diffère dans les deux populations, le taux de travailleurs manuels étant plus élevé parmi les immigrés, ce qui ne peut manquer d’affecter les résultats sur l’état de santé.
Santé générale subjective des immigrés et de la population générale

Santé générale subjective des immigrés et de la population générale
(suite)

(suite)
12Le graphique 1 confronte les résultats obtenus dans les enquêtes PRI et EDT pour les différentes classes d’âges en distinguant les femmes (graphique 1a) et les hommes (graphique 1b). Les résultats indiquent clairement que la population autochtone est plus satisfaite de sa santé que ne le sont les immigrés qui restent vivre en France. La proportion de personnes se déclarant en bonne ou très bonne santé est plus élevée chez les premiers que chez les seconds, quels que soient l’âge et le sexe. Symétriquement, les personnes estimant leur santé moyenne voire médiocre ou très mauvaise sont relativement plus nombreuses parmi les immigrés que parmi les natifs, l’ampleur des écarts constatés étant parfois très important. L’échantillon PRI comportant principalement des immigrés dont la durée de résidence en France est souvent importante, il n’est pas possible de déterminer si les migrants qui arrivent en France ont initialement une moins bonne santé subjective que les natifs ou si les résultats du graphique 1 traduisent un effet d’altération de la santé avec la durée de travail et de résidence en France [3].
Statistiques descriptives relatives aux maladies ou handicaps causant des difficultés dans la vie quotidienne*

Statistiques descriptives relatives aux maladies ou handicaps causant des difficultés dans la vie quotidienne*
? Diversité des états de santé des immigrés
13Les immigrés constituent un groupe à l’état de santé très hétérogène. Qu’elle soit appréciée à travers le report de maladies ou de handicaps responsables de difficultés dans la vie de tous les jours (cf. tableau 1, p. 97), les corrélations entre la santé et les caractéristiques sociodémographiques sont sensiblement les mêmes. Il y a une forte corrélation positive entre le niveau de vie (estimé ici subjectivement) ou le niveau d’éducation d’une part et la perception de la santé générale d’autre part. De même, la fréquence des problèmes physiques de santé se réduit sensiblement avec l’élévation du niveau de vie subjectif et du niveau d’éducation. Enfin, les immigrés qui travaillent sont relativement plus nombreux à déclarer un état de santé « bon » ou « très bon » que les retraités ou les individus en âge d’activité mais sans emploi ou inactifs. L’âge et la durée de résidence en France sont associés à une altération progressive de la santé, sachant que les effets propres de chacune de ces variables peuvent se confondre.
14La ventilation des résultats selon l’origine géographique des immigrés conduit aussi à des conclusions analogues, que l’on utilise le critère subjectif ou la mesure de santé physique. Les problèmes de santé sont moins répandus parmi les hommes et les femmes venant d’Europe du Nord, d’Afrique subsaharienne et d’Asie et plus fréquents parmi les immigrés d’Europe du Sud, d’Afrique du Nord et d’Orient.
Statistiques descriptives de la santé générale subjective*

Statistiques descriptives de la santé générale subjective*
Proportion d’ouvriers ayant des difficultés de santé en fonction des pays d’origine

Proportion d’ouvriers ayant des difficultés de santé en fonction des pays d’origine
Proportion de personnes ayant des difficultés de santé selon la catégorie socioprofessionnelle

Proportion de personnes ayant des difficultés de santé selon la catégorie socioprofessionnelle
Santé morale et problèmes de santé associés à l’activité professionnelle (en %)

Santé morale et problèmes de santé associés à l’activité professionnelle (en %)
15Dans le tableau 3, est indiquée la ventilation par sexe et par âge d’autres indicateurs de santé disponibles dans l’enquête PRI. Il s’agit de la proportion d’immigrés se disant fréquemment déprimés et de ceux qui déclarent avoir subi au cours de leur vie professionnelle des problèmes de santé liés à leur travail.
16Le sentiment de dépression est beaucoup plus répandu parmi les femmes que parmi les hommes. En revanche, il semble peu corrélé avec l’âge. S’il y a bien une augmentation de la proportion d’immigrés se déclarant fréquemment déprimés entre 45 et 55 ans, pour les âges plus élevés cetteproportion paraît se stabiliser. De même, les variables décrivant d’éventuelles difficultés d’intégration, et qui peuvent par conséquent se traduire par des problèmes d’accès aux soins, affectent négativement la santé subjective. Les personnes chez lesquelles les enquêteurs relèvent des difficultés à s’exprimer en français et ceux qui s’estiment victimes de discriminations en France ont une plus grande tendance à déclarer que leur santé n’est pas bonne.
? Travail, santé et différence des sexes
17Le risque de souffrir de problèmes de santé handicapant la vie quotidienne est plus faible chez les immigrés qui travaillent que parmi les sans-emploi ou les retraités. L’effet du travail et plus généralement du statut d’activité sur la santé doit cependant être interprété prudemment, en raison des biais d’endogénéité, liés au fait que la participation au travail et l’état de santé peuvent être déterminés simultanément (Tessier, Wolff, 2004). Si le travail peut contribuer au maintien d’une bonne santé, à travers des contrôles fréquents par exemple, avoir une bonne santé est probablement un facteur qui aide à l’obtention d’un emploi. De plus, les évaluations subjectives de santé risquent d’être faussées, au niveau même de la déclaration : des personnes qui ne travaillent pas peuvent être incitées à déclarer être en mauvaise santé afin de justifier leur statut (Bound, 1991).
18Le risque de handicap est très largement déterminé par la catégorie socioprofessionnelle : sa prévalence est trois fois plus élevée parmi les ouvriers que parmi les cadres et professions intellectuelles supérieures (cf. graphique 2, p. 98). Par ailleurs, presque la moitié des hommes (48,4%) disent avoir été victimes d’un accident du travail, connu une maladie professionnelle ou des problèmes de santé liés à leur activité professionnelle. Seulement 16,1% des femmes se trouvent dans le même cas. Cet écart entre les sexes explique sans doute pourquoi, parmi les immigrés qui ne travaillent pas, les hommes font plus souvent état que les femmes de maladies et de handicaps responsables de difficultés dans la vie de tous les jours. La lourde détermination de la santé par le travail serait-elle à l’origine des différences de santé selon le pays d’émigration ? Pour tester cette hypothèse, nous avons ventilé l’état de santé des seuls ouvriers selon les pays d’origine. À l’exception d’un plus faible taux de problèmes de santé parmi les Africains du sud du Sahara et un taux plus élevé parmi les Turcs et les personnes originaires du Proche-Orient, il n’y a guère de différences significatives. La prévalence des handicaps est à peu près comparable parmi les ouvriers, qu’ils viennent d’Europe ou d’Afrique du Nord (cf. graphique 3, p. 100). L’usure au travail serait donc à l’origine d’une part importante des différences de santé des immigrés selon les pays d’origine.
19La santé des femmes apparaît moins bonne que celle des hommes, quelles que soient les caractéristiques étudiées, à l’exception du statut d’activité. Les hommes n’ayant jamais travaillé ou ne travaillant pas depuis longtemps sont plus fréquemment affectés par des maladies et des handicaps que les femmes dans la même situation, ce qui n’est pas surprenant. De nombreuses femmes, venues dans le cadre du regroupement familial, ne travaillent pas, bien qu’en bonne santé, tandis qu’un homme sans travail, ce qui reste rare, l’est souvent pour des raisons de santé.
20Globalement, quel que soit l’indicateur de santé retenu, les statistiques descriptives font apparaître de nettes différences selon les sexes et l’origine géographique des immigrés. Ces relations sont-elles encore valables lorsque l’on contrôle les effets des différences socio-économiques entre les hommes et les femmes et entre les pays d’origine ?
? Déterminants de la santé. Analyses économétriques
21Pour isoler et distinguer les effets des facteurs socio-économiques de ceux des variables culturelles, nous avons mené une analyse économétrique des déterminants de la santé des immigrés [4], sur les deux mesures de santé présentées précédemment.
22Rappelons que l’état de santé subjectif est évalué sur une échelle à cinq modalités : « très bon », « plutôt bon », « moyen », « plutôt médiocre » ou « très mauvais ». Dans notre traitement statistique, cette mesure à cinq modalités est convertie en une variable dichotomique, conformément à une approche fréquente (Dunn, Dyck, 2000; McDonald, Kennedy, 2004), de façon à étudier la probabilité de reporter une santé « moins que bonne », autrement dit, de classer son état de santé parmi les catégories « moyen », « plutôt médiocre » ou « très mauvais ». Cette probabilité est caractérisée à l’aide de modèles probit binomiaux estimés par maximisation de la vraisemblance.
23La seconde mesure de santé porte sur l’existence de problèmes de santé, maladies ou handicaps, responsables de difficultés dans la vie quotidienne. Bien que ces problèmes soient évalués par les enquêtés eux-mêmes, et que les perceptions puissent être empreintes d’une certaine subjectivité, cette mesure est plus objective que la précédente.
24Nous estimons dans un premier temps l’influence des principales caractéristiques décrites à l’aide des variables suivantes : le sexe de l’enquêté, sa classe d’âge, le fait qu’il vive ou non en couple, son niveau d’éducation, son pays d’origine et son niveau de vie apprécié subjectivement. Cette dernière variable a été préférée à la mesure du revenu actuel car ce dernier est potentiellement un déterminant endogène de la santé, l’état de santé d’une personne pouvant par exemple affecter sa productivité et son taux de salaire, et aussi parce que la santé dépend probablement plus du revenu permanent, c’est-à-dire du revenu de long terme, que du revenu actuel (McDonald, Kennedy, 2004).
? Influences respectives du statut socio-économique et de la culture d’origine sur l’état de santé
25Quels que soient les pays d’origine, le niveau d’éducation et le niveau de vie subjectif déterminent fortement la perception de la santé. Les plus instruits et les plus riches ont plus de chances d’avoir une meilleure santé. À l’inverse, l’avancée en âge augmente significativement la probabilité d’un état de santé général dégradé. Il en va de même du fait d’être une femme, l’effet étant significatif au seuil de 1%, ou de ne pas vivre en couple, significatif au seuil de 5%.
Les déterminants de la santé générale subjective1

Les déterminants de la santé générale subjective1
26L’influence de l’origine géographique des immigrés sur la santé déclarée demeure significative après contrôle des facteurs socio-économiques. Dans nos régressions, nous avons retenu, comme modalité de référence, le fait d’avoir émigré d’un pays d’Europe du Sud. Les émigrants d’Europe de l’Est, d’Afrique subsaharienne et surtout d’Europe du Nord ont une moindre propension que ceux d’Europe du Sud à déclarer que leur santé générale n’est pas bonne. Les personnes provenant d’autres régions du monde, Afrique du Nord, Asie, Turquie et Proche-Orient, ne se distinguent pas significativement de ceux d’Europe du Sud de ce point de vue.
27Les résultats sont quelque peu différents si on considère non plus la santé subjective mais la probabilité de souffrir d’une maladie ou d’un handicap entraînant une gêne dans la vie quotidienne. Le tableau 5 (cf. p. 106) met toujours en évidence les effets traditionnels des variables socio-économiques sur la santé « objective ». La probabilité de souffrir de problèmes de santé est d’autant moins grande que le niveau de vie subjectif ou le niveau d’éducation sont élevés. Elle augmente avec l’âge et est aussi significativement plus importante chez les femmes, bien que le coefficient associé à cet effet soit faible. Cela s’explique par la plus grande fréquence de maladies professionnelles et d’accidents du travail parmi les hommes immigrés, qui réduit la différence entre hommes et femmes. Ces dernières restent néanmoins un peu plus souvent handicapées que les hommes. En revanche, l’origine géographique des immigrés a un effet plus faible que celui constaté pour la mesure subjective. Les différences s’estompent entre les originaires d’Europe du Sud et de l’Est. Quant à ceux d’Europe du Nord, ils ne diffèrent que faiblement de ceux du Sud (modalité de référence), l’effet n’étant significatif qu’au seuil de 10%. Les émigrants d’Afrique subsaharienne restent toujours, de façon très significative, en meilleure santé, quel que soit le critère.
28Par ailleurs, contrairement à ce que l’on obtient pour la mesure subjective, la fréquence des handicaps et des maladies est significativement plus faible parmi les originaires d’Afrique du Nord et d’Asie que parmi ceux d’Europe du Sud.
Les déterminants des problèmes physiques de santé (maladies, handicaps)1

Les déterminants des problèmes physiques de santé (maladies, handicaps)1
29Ces résultats révèlent des différences culturelles dans l’appréciation de la santé. Les originaires d’Europe du Nord et de l’Est auraient tendance à surestimer leur état de santé tandis que ceux d’Afrique du Nord auraient plutôt tendance à le sous-évaluer.
30Il est donc difficile de déterminer dans quelle mesure l’effet de l’origine traduit des différences « réelles » de santé et dans quelle mesure il résulte de différences culturelles dans la manière d’évaluer subjectivement la santé générale. Dans le premier cas, les écarts pourraient éventuellement s’expliquer par des paramètres socio-économiques que nous n’avons pas contrôlés dans nos régressions. Il pourrait par exemple s’agir de différences en matière de possibilités d’accès aux soins, celles-ci pouvant être liées à des éléments économiques (affiliation à une mutuelle, par exemple) ou sociaux (discriminations plus ou moins fortes subies par différents groupes d’immigrés) ou bien encore associées à une plus ou moins grande facilité d’accéder à l’emploi.
? Les déterminants de la santé des femmes et des hommes
31Étudions à présent les déterminants de la santé subjective et objective des femmes et des hommes pris séparément (cf. tableaux 6, p. 108 et 7, p. 109), en introduisant l’effet de la catégorie socioprofessionnelle. Pour ces analyses économétriques, le niveau d’éducation est exclu en raison de sa forte corrélation avec la catégorie socioprofessionnelle. L’intérêt du recours à cette dernière est de faire ressortir un possible effet de pénibilité du travail. La situation de référence est le fait de ne jamais avoir travaillé dans le secteur formel, ce qui correspond à une catégorie importante parmi les femmes immigrées, surtout en provenance de pays musulmans. En revanche, cette catégorie n’est guère représentée parmi les hommes, elle n’a été maintenue qu’en vue de garder les mêmes modalités que pour les femmes [5].
32Les résultats obtenus, que ce soit pour les hommes ou pour les femmes, indiquent un effet significatif de certaines CSP sur la probabilité de s’estimer en mauvaise santé et d’avoir des handicaps, les travaux les plus pénibles étant associés aux catégories « ouvriers » et « employés de service », avec toutefois quelques nuances selon le sexe.
Les déterminants de la santé générale subjective (incluant les CSP)1

Les déterminants de la santé générale subjective (incluant les CSP)1
Les déterminants de la santé générale objective (incluant les CSP)1

Les déterminants de la santé générale objective (incluant les CSP)1
33Chez les femmes, comparées aux « femmes au foyer », les ouvrières et employées de service sont en plus mauvaise santé subjective et objective. Les autres catégories d’employées et les professions indépendantes ont globalement le même état de santé (les indépendantes étant légèrement plus handicapées), tandis que les cadres se déclarent nettement en meilleure santé subjective (effet très significatif), mais ne sont pas en meilleure santé objective. Par ailleurs, le fait de travailler ou non au moment de l’enquête a un impact significatif et quelque peu paradoxal puisque les femmes au travail se déclarent très nettement en meilleure santé que celles qui ne travaillent pas et ont moins de handicaps. Certes, bien que les métiers les plus répandus, emplois de service et ouvrières, aient des effets négatifs sur la santé des femmes, seules celles qui sont en bonne santé sont capables d’assumer une activité professionnelle. Emploi et santé s’impliquent mutuellement, ce sont deux variables endogènes, comme cela a été analysé précédemment pour les hommes.
34La santé se dégrade avec l’âge, mais de surcroît la durée de la migration a un impact négatif : cela signifie sans doute que plus les immigrés, hommes ou femmes, sont exposés aux effets du travail et plus leur santé a tendance à se dégrader. Le même phénomène s’observe pour les hommes uniquement dans les modèles statistiques incluant la profession, tandis que le croisement de la santé et de la durée de migration ne le montre pas.
35De nombreux autres facteurs interviennent. Déclarer une santé « moins que bonne » est fortement corrélé avec les difficultés à s’exprimer en français, avec le sentiment de dépression et aussi avec l’existence de handicaps. La santé subjective est indépendante du sentiment de subir des discriminations en France, qui est en revanche corrélé avec les problèmes de santé objective : cela serait-il l’expression de difficultés de recours aux soins et services dont ont besoin les personnes souffrant de handicaps ?
36Les femmes en couple déclarent une plus mauvaise santé que les femmes sans conjoint, l’effet étant cependant assez faible et disparaissant quand on considère la santé objective. Cela supposerait-il l’existence d’une incidence négative de la vie de couple sur le moral d’une partie des femmes ?
37Enfin, l’influence du pays d’origine subsiste après contrôle de toutes ces variables, mais son effet est plus prononcé sur la santé subjective. Du coté de celles qui se déclarent en meilleure santé, se trouvent les femmes d’Europe du Nord et de l’Est, et du côté de celles qui se déclarent en plus mauvaise santé, les femmes originaires d’Afrique du Nord. Les autres femmes, d’Europe du Sud et de toute autre origine, ne se différencient pas à cet égard. Pour ce qui concerne la santé objective, mesurée par les problèmes occasionnés dans la vie quotidienne, les choses sont différentes : la meilleure santé est attestée par les femmes venant d’Asie, puis par celles d’Afrique subsaharienne et ensuite, à un moindre degré, d’Europe du Nord. En dehors de ces trois groupes, il n’y a pas de différence de santé des femmes selon qu’elles viennent d’Europe du Sud ou de l’Est, d’Afrique du Nord, d’Orient ou de Turquie. Ces différences suggèrent que la santé est sous-évaluée par les femmes venant d’Asie, d’Afrique du Nord ou d’Afrique subsaharienne, tandis qu’elle serait surévaluée par celles qui viennent d’Europe de l’Est.
38Chez les hommes, les cadres sont en meilleure santé objective et subjective. L’incidence de la catégorie « ouvrier » est particulièrement marquée dans l’évaluation subjective tandis que, dans la mesure objective, ouvriers, employés et personnels de service se différencient peu et sont en plus mauvaise santé que les indépendants et les cadres. La durée de la migration exerce une influence significativement négative sur l’état de santé général déclaré, en particulier pour les très longues migrations (supérieures à trente années de résidence).
39Les classements par pays diffèrent parmi les hommes : la meilleure évaluation positive de la santé est autant le fait des Africains que des Européens du Nord et, à un moindre degré, des Européens de l’Est. Les autres, qu’ils viennent d’Europe du Sud, d’Afrique du Nord, d‘Asie ou d’Orient, ne se différencient pas entre eux. Quant aux problèmes de santé ayant des répercussions dans la vie quotidienne, ils apparaissent significativement plus souvent parmi les originaires d’Europe du Sud et d’Orient. Ainsi les hommes originaires d’Asie et d‘Afrique du Nord auraient tendance à sous-évaluer leur santé.
40Les comparaisons des états de santé selon l’origine ne sont donc pas les mêmes selon qu’elles sont fondées sur des critères subjectifs ou objectifs de santé, ce qui confirme le poids des variables culturelles dans la perception de la santé. Cela montre aussi que les facteurs socio-économiques, et en particulier le travail et le niveau de vie, prennent le pas sur les différences liées à l’origine, sans les annuler totalement.
? Âge et durée de résidence en France
41Les variables décrivant l’origine géographique et la durée de résidence représentent des facteurs propres à la condition d’immigré (Dunn, Dyck, 2000). C’est pourquoi il est important de s’interroger sur la signification des effets qui leurs sont associés.
42Selon l’un des enseignements des régressions que nous avons réalisées, les immigrants résidant en France ne peuvent être considérés comme un groupe homogène en référence à leur santé. Les différences constatées avec la mesure indiquant des problèmes physiques de santé (maladies, handicaps) suggèrent que l’influence de l’origine ne se limite pas à la manière d’évaluer sa santé. D’autres facteurs culturels entrent en jeu, tels que le régime alimentaire par exemple (Darmon, Khlat, 2001). Et comme nous l’avons souligné précédemment, nous ne pouvons exclure des explications liées à des écarts dans la plus ou moins grande facilité d’intégration des individus selon leur pays d’émigration.
43Le vieillissement se traduit certes par une détérioration de la santé, la proportion d’immigrés estimant avoir une santé « médiocre » ou « très mauvaise » augmentant progressivement avec l’âge. La durée de résidence en France semble en outre un facteur aggravant de la santé subjective. Les immigrés « récemment » arrivés, c’est-à-dire ceux qui résident en France depuis moins de quinze ans, sont 6,2% à faire état d’une santé altérée (catégories « médiocre » et « très mauvaise ») alors que la proportion correspondante atteint 14,2% parmi ceux arrivés en France depuis plus de trente ans. Bollini et Siem (1995) concluent à la possible existence d’un « effet d’usure », à l’issue d’une revue internationale des travaux relatifs aux problèmes d’accidents du travail et de handicaps dans la population des immigrés. Ils soutiennent que les immigrés occupent des emplois dans lesquels ils sont particulièrement exposés aux risques professionnels. La durée d’exposition augmentant naturellement avec la durée de travail dans le pays d’accueil, un « effet d’usure », au sens de Bollini et Siem, est en effet plausible.
44Une autre explication possible est avancée par McDonald et Kennedy (2004) qui observent un effet négatif de la durée de la migration sur la santé physique des immigrés au Canada. Au cours de leur séjour, ces derniers deviennent de plus en plus familiers avec le système de soins du pays d’accueil et il est probable que leur accès aux soins s’améliore avec le temps. La durée de la migration pourrait alors traduire le fait que, dans la mesure où ils recourent plus fréquemment aux services de santé, les immigrés arrivés plus anciennement ont plus de chances que leurs problèmes de santé soient identifiés et diagnostiqués. Selon cette seconde explication, l’effet de la durée de résidence sur les problèmes de santé serait un artefact qui ne repose pas sur un réel impact en termes de santé [6].
45Il est difficile de départager ces deux explications. D’après nos estimations, l’âge augmente la prévalence des problèmes de handicap et de maladie, principalement durant la période de fin de vie active (50-59 ans), ce qui va dans le sens de « l’effet d’usure ». Les immigrés de 55-59 ans déclarent plus fréquemment avoir une santé altérée que ceux de 45-49 ans. En revanche, l’effet de l’âge n’est pas significatif pour ceux âgés de 60 à 64 ans et ne paraît pas plus important pour ceux de 65-70 ans comparés à leurs homologues de 50 à 59 ans. Il semble donc que la période de fin d’activité soit un facteur aggravant des problèmes de santé, ce qui est compatible avec l’hypothèse selon laquelle les activités professionnelles des immigrés peuvent, à long terme, être néfastes à leur santé. L’effet particulier de l’âge, qui semble adopter un profil en cloche plutôt que suivre une évolution linéaire, peut aussi être lié à un effet de sélection. Un mauvais état de santé peut éventuellement constituer un motif de retour au pays d’origine (Perez, 2002). Cependant, le nombre important de chômeurs dans cette tranche d’âges a une incidence sur ces résultats : parmi les hommes, les chômeurs ne sont que 42,7% à être en bonne ou très bonne santé contre 66,1% des actifs. Parmi les femmes, 61,7% des actives occupées sont en bonne ou très bonne santé contre seulement 41,1% des chômeuses (femmes sans emploi depuis moins de dix ans). Les difficultés de la phase de précarité précédant la retraite sont sans doute à l’origine des discontinuités de l’état de santé observées dans cette tranche d’âges.
46L’effet de la durée de la résidence se modifie quand on évalue la santé physique et que l’on prend en compte les catégories professionnelles. Cet effet est annulé pour les femmes et limité aux durées comprises entre 15 et 29 ans pour les hommes. Ainsi que nous l’avons suggéré, la variable indiquant la période de résidence semble corrélée à la durée d’exercice d’un travail et se rapporterait aux hommes de 50 à 59 ans, venus en France comme jeunes adultes et non aux immigrés de cet âge venus tardivement ni à ceux qui sont venus très jeunes, ces derniers ayant moins souvent exercé des métiers pénibles.
? L’utilisation des services de santé
47L’utilisation des services de santé constitue un indicateur important de la situation sanitaire d’une population pour au moins deux raisons. Premièrement, on peut s’attendre à une corrélation entre l’état de santé d’une population et le recours aux soins. Deuxièmement, l’utilisation des services de santé peut être considérée comme un proxy des possibilités d’accès aux soins (Mormiche, 1995).
48Dans l’enquête PRI, l’utilisation des services de santé est appréciée à l’aide de trois indicateurs : le nombre de visites chez un généraliste, chez un spécialiste et le nombre de personnes ayant effectué au moins un séjour d’une nuit à l’hôpital, ces visites et séjours étant comptabilisés pour les douze derniers mois. Certaines de ces données sont également recueillies dans les enquêtes SPS de l’Irdes, ce qui permet de comparer la situation des immigrés à celle des autochtones.
? Les visites chez le médecin
enquête PRI, Cnav, 2003, pour la population des immigrés et enquête SPS, Irdes, 2000, pour l’ensemble de la population.

enquête PRI, Cnav, 2003, pour la population des immigrés et enquête SPS, Irdes, 2000, pour l’ensemble de la population.
49 Le graphique 4 indique le nombre de visites moyen chez un médecin généraliste durant les douze derniers mois pour les immigrés et pour les Français de métropole selon l’âge et le sexe. Il montre que les consultations de généralistes sont plus fréquentes chez les femmes que chez les hommes, cette tendance étant observable pour les immigrés comme pour l’ensemble de la population française, l’écart variant entre une et deux visites supplémentaires selon l’âge. Comme on pouvait s’y attendre, le graphique 4 indique aussi que le nombre annuel de consultations croît avec l’âge. À l’exception de la classe d’âges 65-70 ans, les hommes immigrés consultent plus que l’ensemble des hommes. Le constat est plus contrasté chez les femmes : le nombre de consultations chez les immigrées est tantôt supérieur tantôt inférieur à celui des autres femmes selon la classe d’âges considérée. Néanmoins, il semble que globalement l’écart entre les immigrés et l’ensemble de la population tend à se réduire avec l’âge. Pour les 65-70 ans, les consultations sont moins nombreuses chez les immigrés, hommes ou femmes, alors qu’on observe le phénomène inverse chez les 45-49 ans.
50Ce constat peut sembler étonnant dans la mesure où les immigrés sont, d’après les résultats exposés précédemment, en moins bonne santé que les Français. On pourrait donc s’attendre à ce que les premiers aient plus fréquemment recours que les seconds aux services de santé. Or cette hypothèse est également infirmée lorsque l’on considère les consultations de spécialistes (cf. graphique 5).
Recours au spécialiste (au cours des douze derniers mois)

Recours au spécialiste (au cours des douze derniers mois)
51Le graphique 5 concernant les visites chez des médecins spécialistes confirme le fait que les femmes consultent plus que les hommes. La croissance du nombre de consultations avec l’âge, bien que toujours visible, est à la fois moins sensible et moins progressive que dans le cas des visites aux généralistes. Le point le plus remarquable cependant est la nette sous-consommation des immigrés par rapport aux natifs. L’écart est particulièrement important chez les femmes où il varie entre 1,2 et 2,2 visites selon l’âge, l’écart maximum atteignant une visite pour les hommes.
52Finalement, si on analyse le recours aux médecins en tenant compte à la fois des consultations de spécialistes et de généralistes, les résultats obtenus corroborent les observations de Mizrahi et al. (1993) comparant les immigrés à la population française à partir des données des enquêtes SPS de 1988 et 1991. D’une part, la sous-consommation des immigrées est vérifiée pour toutes les classes d’âge, à l’exception des plus jeunes pour lesquelles le niveau de recours au médecin est identique à celui des femmes autochtones. D’autre part, on observe une surconsommation masculine des immigrés par rapport aux natifs durant les âges de la vie professionnelle, soit entre 45 et 60 ans, et une sous-consommation chez les plus âgés. Selon Mizrahi et al. (1993), la surconsommation durant la vie professionnelle pourrait s’expliquer par les accidents du travail, les immigrés occupant plus souvent des professions manuelles et à risques.
? L’hospitalisation
53Si les femmes font un usage plus fréquent que les hommes des consultations de médecins, le constat est quelque peu différent en ce qui concerne les séjours à l’hôpital. Les femmes ayant passé au moins une nuit à l’hôpital durant les douze derniers mois sont relativement plus nombreuses que les hommes pour les tranches d’âge les plus jeunes (cf. graphique 6). La proportion d’hommes hospitalisés croît cependant rapidement avec l’âge au point de devenir plus importante que chez les femmes aux âges élevés (65-70 ans). On remarque par ailleurs, parmi les hommes comme parmi les femmes, deux périodes principales d’accroissement du taux d’hospitalisation, la première se situant aux âges les plus jeunes entre les classes d’âge 45-49 ans et 50-54 ans (+5,2% pour les hommes et +2,8% pour les femmes), et la seconde aux âges les plus élevés, entre 60-64 ans et 65-70 ans (+4,5% pour les hommes et +2,6% pour les femmes).
Proportion de personnes ayant effectué un séjour d’au moins une nuit à l’hôpital

Proportion de personnes ayant effectué un séjour d’au moins une nuit à l’hôpital
54La progression rapide des taux masculins d’hospitalisation à partir de 45 ans et le dépassement des taux féminins est aussi caractéristique de la population d’ensemble (HCSP, 2002). Le dépassement y est même plus précoce puisqu’il intervient dès 45 ans (Mouquet, 2000; Drees, 2003). Les comparaisons sont cependant malaisées car les statistiques de la population française portent sur les séjours dans les services de soins de courte durée et concernent des taux d’hospitalisation correspondant à un nombre de séjours pour 1000 résidents. Les taux présentés pour les immigrés indiquent les proportions de personnes ayant passé au moins un séjour de plus d’une nuit à l’hôpital. Le graphique 6 renseigne donc sur le taux de diffusion des séjours hospitaliers mais il ne permet pas de saisir l’éventuelle augmentation du nombre de séjours par personne.
? L’accès aux soins
55Les résultats précédents suggèrent que les immigrés ne consomment pas dans l’ensemble plus de soins que l’ensemble de la population, malgré un état de santé globalement moins bon. Cela pourrait suggérer qu’ils ont une moins bonne couverture des frais de santé. Mais l’enquête PRI révèle au contraire que les immigrés possèdent une bonne couverture de base, seuls 0,3% d’entre eux ne bénéficiant pas de la Sécurité sociale (cf. tableau 8). Néanmoins, nous ne disposons pas d’informations sur les mutuelles et les assurances complémentaires.
Couverture sociale de base chez les immigrés*

Couverture sociale de base chez les immigrés*
56D’autres informations que la possession d’une couverture complémentaire peuvent renseigner sur les possibilités d’accès aux soins. Par exemple, s’exprimer plus ou moins correctement en français peut éventuellement affecter la capacité à recourir aux soins. L’enquête PRI recueille l’appréciation de l’enquêteur quant à la capacité de l’enquêté à parler français. Au total, il apparaît que 83,6% des immigrés interrogés parlent parfaitement français ou s’expriment avec quelques petits problèmes et que seuls 6,5% ne le parlent pas du tout ou très mal. En outre, l’examen des fréquences croisées ne révèle apparemment pas de corrélation entre la capacité à s’exprimer en français et le nombre de visites auprès de médecins. La langue ne semble donc pas constituer un obstacle pour accéder aux soins.
? Les aides pour raison de santé
57L’un des traits caractéristiques de la population des immigrés, comparée à la population générale, tient à la générosité dont elle fait preuve en termes de transferts monétaires tant en direction des enfants que des parents (Attias-Donfut et al., 2004). Par ailleurs, un nombre relativement important d’immigrés, 28% de l’échantillon, déclare être affecté par une maladie ou un handicap responsable de difficultés dans la vie quotidienne. On peut donc se demander si cette générosité monétaire leur permet, en contrepartie, de bénéficier des services de leurs proches lorsque leur santé est défaillante [7].
? Aides et aidants pour les tâches quotidiennes
58L’enquête PRI permet de savoir si les immigrés reçoivent une aide à domicile de la part de leurs proches pour leurs tâches quotidiennes et de connaître l’identité des aidants. Le tableau 9 (cf. p. 120) présente les caractéristiques des individus qui reçoivent de telles aides. Indépendamment de l’état de santé, presque un quart des immigrés déclare recevoir de l’aide des proches à domicile, la proportion de personnes aidées étant quasiment similaire chez les femmes (24,7%) et les hommes (24,9%). Ces aides sont sensiblement plus répandues parmi les personnes qui présentent des problèmes de santé puisqu’elles concernent 45% de ceux qui déclarent des maladies ou des handicaps et environ la moitié des immigrés qui estiment leur santé générale « médiocre » ou « très mauvaise ». Cependant, dès lors que la santé est dégradée, les femmes bénéficient plus fréquemment d’aide que les hommes, quel que soit l’indicateur de santé retenu.
59En ce qui concerne la provenance des aides, le tableau 10 (cf. p. 120) indique que celle-ci est principalement circonscrite à la famille proche. Les conjoints représentent 57,1% des aidants et les enfants 34,6%. Parmi ces derniers, les filles accordent beaucoup plus fréquemment de l’aide que les garçons, respectivement 25,8% et 8,8%. Cela est plus rare de la part des autres membres de la parentèle, parents ou beaux-parents, frères ou sœurs (1,4% et 1,3%). Au total donc, les personnes qui s’investissent pour venir en aide proviennent à 93,1% de la famille proche. Les personnes hors famille ne représentent quant à elles que 2,8% des aidants.
Les aides en temps dans les tâches quotidiennes

Les aides en temps dans les tâches quotidiennes
Identité des aidants à domicile pour les tâches quotidiennes

Identité des aidants à domicile pour les tâches quotidiennes
? Les déterminants des aides pour les tâches quotidiennes
60Pour cette étude, nous effectuons deux régressions utilisant chacune une des mesures de santé utilisées précédemment. La probabilité d’être aidé est évaluée à l’aide de modèles probit binomiaux estimés par maximisation de la vraisemblance.
61Parmi les variables explicatives, nous avons introduit les principales caractéristiques socio-économiques et démographiques des immigrés : être une femme, vivre en couple, l’âge, le niveau d’éducation, le statut d’activité et le quartile de revenu [8]. Nous avons également tenu compte de l’existence d’enfants et de leur lieu de résidence (au domicile de leurs parents ou à l’extérieur). Deux autres variables indiquent si les immigrés versent des aides monétaires ou s’ils en reçoivent. Le temps qui leur est consacré peut en effet être conçu comme un substitut aux aides monétaires ou comme une contrepartie des transferts monétaires effectués par les immigrés. Enfin, les régressions comportent aussi comme variables exogènes la durée de la migration et une mesure de l’état de santé.
62Les résultats des estimations sont reportés dans le tableau 11 (cf. p. 122). Dans le modèle 1, la santé est introduite par une variable dichotomique qui indique une santé jugée « médiocre » ou « très mauvaise ». La seconde colonne du tableau montre que le sexe n’a pas d’influence déterminante sur la probabilité d’être aidé mais que les immigrés vivant en couple bénéficient plus fréquemment d’une aide que les autres. Cela est normal puisque nous avons vu que les principaux aidants sont précisément les conjoints (cf. tableau 10).
63Globalement, la fréquence des aides est corrélée négativement avec le niveau d’éducation. Quant au revenu, son effet est discontinu. Les immigrés qui ont le plus de chances d’être aidés sont d’une part les plus pauvres, ceux qui appartiennent au premier quartile de revenu et d’autre part les plus riches (quatrième quartile). Ni l’avancée en âge ni le statut d’activité ne paraissent exercer d’effet particulier sur la probabilité de recevoir une aide. À l’inverse, la fréquence des aides varie selon le pays d’origine. Les émigrants d’Afrique du Nord et d’Orient sont ceux parmi lesquels les aides des proches sont les plus répandues.
Les déterminants de la probabilité de recevoir une aide à domicile1

Les déterminants de la probabilité de recevoir une aide à domicile1
64Il n’est pas surprenant que le fait d’avoir des enfants favorise ce type de soutien, tout particulièrement lorsque certains enfants vivent au domicile de leurs parents.
65Les immigrés qui effectuent des transferts monétaires sont les plus aidés, ce qui suggère que les autres en constituent parfois une contrepartie. À l’inverse, le fait de recevoir des transferts monétaires n’affecte pas la probabilité de bénéficier à domicile d’une aide de ses proches, laquelle ne s’y substitue donc pas.
66Les résultats du tableau 11 révèlent aussi que la durée de la migration est un facteur qui réduit significativement la probabilité de recevoir une aide lorsque la durée de résidence en France excède quinze années, l’effet ne semblant pas s’accroître au-delà. Ce constat peut éventuellement refléter que les immigrés installés en France depuis un certain nombre d’années sont plus susceptibles d’avoir recours à des aides extérieures (soins infirmiers à domicile, femme de ménage, etc.) que ceux qui sont arrivés plus récemment. Enfin, l’état de santé général apparaît comme le principal déterminant du bénéfice d’aides à domicile. Le fait d’estimer son état de santé général « médiocre » ou « très mauvais » augmente très sensiblement, et significativement, la probabilité d’obtenir de l’aide de ses proches.
67Que se passe-t-il lorsque la même régression est réalisée en substituant l’indicateur de problèmes physiques de santé à la mesure subjective de l’état de santé général (modèle 2)? Le tableau 11 indique que cette substitution n’a quasiment pas de conséquences sur les résultats. La similarité des coefficients et des niveaux de pertinence obtenus à partir des spécifications 1 et 2 est frappante. Tous les effets observés avec la mesure de santé générale sont aussi présents avec la mesure indiquant des maladies ou des handicaps [9]. Par ailleurs, les coefficients associés à ces deux mesures sont très proches l’un de l’autre. Du point de vue de la statistique du pseudo R2, la qualité de la seconde régression est cependant meilleure, ce qui n’est guère étonnant puisque la mesure de santé utilisée vise précisément à identifier les problèmes de santé qui sont susceptibles de créer un besoin d’aide pour les tâches quotidiennes. Néanmoins, l’analogie des résultats suggère que les deux mesures de santé peuvent être considérées comme de proches substituts. Le corollaire de cette conclusion est que la mesure de santé subjective dépend principalement des aspects physiques de la santé plutôt que d’aspects concernant la santé morale et/ou mentale (ce que suggérait le modèle 3 du tableau 4, p. 104).
? Les aides professionnelles
68La question portant sur les aides professionnelles éventuelles à domicile n’a été posée qu’aux personnes ayant déclaré des difficultés dans la vie quotidienne. Rares sont celles et surtout ceux qui reçoivent une forme ou l’autre de ces aides, qu’elles soient dispensées par des services publics ou qu’elles relèvent du marché. Les résultats présentés dans le tableau 12 montrent que les femmes en bénéficient un peu plus que les hommes. Les visites d’une infirmière libérale sont un peu plus répandues que les soins à domicile, qui sont faiblement diffusés, tout comme l’aide ménagère.
69Il faut tenir compte des valeurs culturelles, orientant la préférence sur la famille ou sur des services extérieurs, ainsi que de la plus ou moins grande facilité d’accès aux services. Il est difficile de départager ces facteurs de recours ou non aux services professionnels, d’autant qu’à l’âge des personnes enquêtées (70 ans et moins), ces types de services sont généralement peu diffusés. Ils s’adressent plus largement aux plus de 75, voire 80 ans.
Aides professionnelles reçues en cas de difficultés dans la vie quotidienne

Aides professionnelles reçues en cas de difficultés dans la vie quotidienne
? Conclusion
70L’analyse de la santé des immigrés âgés de 45 à 70 ans montre à l’évidence une grande diversité de situations. Si, globalement, la comparaison avec l’ensemble de la population indique un état de santé moins favorable pour les immigrés, c’est principalement dû aux conséquences du travail professionnel sur la santé des hommes et des femmes. Accidents du travail, maladies professionnelles, usure au travail touchent surtout les ouvriers et les femmes employées dans les services aux particuliers. Le poids déterminant du niveau d’éducation et du niveau de vie sur la santé, bien établi dans les recherches sur la santé, se confirme ici et explique en grande partie la variabilité observée. Il demeure une légère influence du pays d’origine, après contrôle des facteurs socio-économiques, les ressortissants d’Europe du Nord et d’Afrique subsaharienne (les hommes plus que les femmes) se distinguant par une meilleure santé, objective et subjective. On constate en revanche de plus larges différences dans l’appréciation de la seule santé subjective. La confrontation des résultats, obtenus respectivement en utilisant les indicateurs objectif et subjectif, met en évidence de grandes variations interculturelles dans l’expression même de l’évaluation de la santé.
71Les aides reçues pour faire face aux difficultés de la vie quotidienne engendrées par les problèmes de santé proviennent essentiellement de la famille très proche, conjoint ou enfant. Près d’un quart des enquêtés les mentionnent, tandis que les aides professionnelles sont plus rares (elles ne sont déclarées que par une faible minorité de ceux qui souffrent de handicaps). Il est vrai que l’âge relativement peu élevé de notre échantillon ne permet pas de rendre compte de la diffusion de ces aides qui sont généralement destinées à une population plus vieille.
72L’explication des différences de santé observées dans le cadre des migrations se réfèrent à quatre principales hypothèses, non exclusives : une éventuelle sélection des personnes en bonne santé, des habitudes culturelles entraînant des modes différents de vie et d’alimentation, des conditions de vie spécifiques dans la société d’installation et enfin des difficultés d’accès aux soins. Sur ce dernier point, les résultats de notre enquête ne soutiennent guère l’idée d’une sous-consommation médicale, ni d’un non-accès aux soins, en moyenne, si ce n’est un plus faible recours aux médecins spécialistes. Dans les consultations de généralistes ou les séjours à l’hôpital, il n’y a pas de différence significative entre les immigrés de 45 à 70 ans et l’ensemble de la population de même âge. Rappelons que la couverture maladie universelle a permis d’élargir la couverture sociale à tous, Français et étrangers, ce qui est unique en Europe.
73Malgré leurs conclusions apparemment opposées, nos données ne sont pas en contradiction avec les nombreuses études de cas qui ont fait apparaître des difficultés et des inégalités d’accès aux soins entre Français et étrangers (Giraux, 2003) parce qu’elles ne portent pas sur les mêmes populations. Ces études de cas sont fondées sur l’observation ou le suivi de populations particulières d’immigrés précaires, marginalisés, demandeurs d’asile, etc. Elles sont composées notamment de personnes arrivées depuis peu en France, de personnes sans papiers, ou des malades ayant recours à des services de santé spécialisés, atteints de tuberculose (Wluczka, 2003) ou d’autres pathologies graves (Douris, 2003). Elles échappent en grande partie à l’échantillon de notre enquête qui regroupe principalement des immigrés de longue date et en situation régulière. Notre enquête souligne néanmoins les plus grandes difficultés de santé des femmes immigrées, notamment de celles qui ont assumé des travaux pénibles. Les travaux domestiques en particulier ont des impacts négatifs sur leur santé qui risquent de s’aggraver avec l’âge.
Notes
-
[1]
Wild et McKeigue (1997) comparent les taux de mortalité de différents groupes d’immigrés avec la moyenne nationale et obtiennent des taux plus élevés chez les immigrés, à l’exception du groupe venant des Caraïbes.
-
[2]
Sous la direction de Claudine Attias-Donfut, avec la collaboration de Rémi Gallou et Alain Rozenkier, cette enquête a bénéficié des soutiens du Fasild, de l’Agirc-Arrco, de la MSA et de la Caisse des Mines.
-
[3]
Ce qui pourrait alors éventuellement s’expliquer par un effet de sélection par la santé si les immigrés qui retournent au pays au moment de la retraite par exemple sont majoritairement en bonne santé.
-
[4]
À notre connaissance, il n’y a pas eu, à ce jour, d’analyse sur les déterminants de la santé des immigrés.
-
[5]
Les raisons de la non-participation au marché formel du travail des hommes sont en principe liées à la santé; de plus, cette catégorie très peu représentée n’est même pas homogène. Mais les effets différenciés des autres CSP par rapport à cette catégorie de référence restent valides et ils sont particulièrement éloquents.
-
[6]
Les auteurs notent cependant que leurs données révèlent que le niveau d’utilisation des services de santé des immigrés converge rapidement vers celui des natifs, ce qui ne paraît pas conforme avec leur hypothèse d’explication de l’effet de la durée de résidence (McDonald, Kennedy, 2004).
-
[7]
On peut aussi s’interroger sur le fait que l’état de santé puisse être un déterminant d’aides monétaires. Toutefois, si les immigrés versent de nombreux transferts, ils en reçoivent très peu (Attias-Donfut et al., 2004). Il nous semble donc plus intéressant d’étudier le temps qui leur est consacré en relation avec l’état de santé.
-
[8]
Cette fois, le revenu est un indicateur plus pertinent que le niveau de vie subjectif puisque celui-ci peut déterminer directement la possibilité d’obtenir une aide extérieure telle qu’une aide ménagère ou des soins infirmiers par exemple.
-
[9]
À l’exception des effets de certaines tranches d’âges significatifs au seuil de 10% avec le premier modèle qui ne le sont plus avec le second modèle.