CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Les études sur l’immigration ont été largement orientées sur la question de l’intégration dans la société d’accueil, objet de débats récurrents et de multiples théories (Dewitte, 1999; Schnapper, 2001; Resch, 2001). Une des nombreuses dimensions de l’intégration porte sur les formes de sociabilité et en particulier sur la nature et le volume des échanges qu’entretiennent les immigrés avec la société d’installation.

2Les principales données empiriques sur cette question ont été fournies par l’enquête de l’Ined réalisée il y a une dizaine d’années sur plusieurs groupes d’immigrés, sélectionnés selon les pays d’origine parmi les plus représentés en France. La sociabilité y est étudiée à l’aide de plusieurs indicateurs concernant les rapports à autrui, dans et hors de la sphère domestique, et visant à évaluer leur dimension « communautaire », définie en l’occurrence par la préférence donnée à la fréquentation de personnes de même origine ethnique (Tribalat, 1996). Les résultats ont montré notamment que le milieu social et le niveau scolaire déterminaient fortement les mélanges de populations (Tribalat, 1996, p. 227).

3Nous nous intéressons ici à un aspect de la « sociabilité primaire », celle qui porte sur les liens forts établis en dehors du ménage, parmi les immigrés vivant en France, ayant atteint l’âge de la maturité [1] et de la vieillesse (de 45 à 70 ans). Nous utilisons à cet effet la récente enquête sur le passage à la retraite des immigrés (PRI) (Attias-Donfut, 2004). La notion de « sociabilité primaire » se réfère à la distinction établie par Merton entre, d’une part, les liens interpersonnels établis sur un plan individuel et de manière informelle, la « sociabilité primaire », et d’autre part les relations requises par une structure, dans un cadre institutionnel, donc plus formelles et plus collectives, la « sociabilité secondaire » (Merton, 1949,1965).

4Depuis plus d’un demi-siècle, les études gérontologiques se sont intéressées à la sociabilité des personnes âgées, en raison de l’importance du support social face à deux risques majeurs de la vieillesse, la solitude et la maladie (Litwak, Szelenyi, 1969; Tunstall, 1971). Deux principales dimensions ont été plus particulièrement explorées : le soutien émotionnel, à la fois moral et affectif, et le soutien instrumental qui inclut divers types d’aides dans la vie quotidienne, notamment les soins [2], les aides domestiques, matérielles et informationnelles (Antonucci, 1990; Litwin, 1996). L’analyse de la sociabilité des immigrés ne se distingue pas intrinsèquement de celle des personnes âgées. N’a-t-on pas dit des vieillards qu’ils sont des « immigrés dans le temps »?

5Le vieillissement pose en effet, comme l’immigration, des problèmes d’adaptation à la fois aux changements de la vie personnelle, de l’identité et de la position sociales, ainsi qu’aux changements de la société elle-même. Il reste que la spécificité des analyses relatives aux immigrés est de mettre en jeu le rapport à la citoyenneté et à la culture, les modalités de la double appartenance au pays d’origine et au pays d’accueil. Le regard porté sur des immigrés relativement âgés, qui ont par conséquent une assez longue durée de vie en France, a l’avantage du recul du temps et permet d’évaluer le processus d’intégration à un stade avancé.

6Nous étudierons ici le réseau de personnes très proches, le premier cercle de la sociabilité primaire, incluant parents et amis. Nous avons cherché à évaluer dans quelle mesure il inclut des personnes de la même origine géographique, de France ou d’ailleurs. Les membres de la famille étant généralement (mais pas toujours) de même origine, on peut s’attendre à trouver dans le réseau de proches une proportion relativement importante de personnes de même origine. Nous considérerons comme signe de contact significatif avec la société d’accueil l’inclusion de Français d’origine, ou encore de « natifs » [3], tandis que la restriction du réseau de proches aux seules personnes originaires du même pays serait plutôt un indice de sociabilité communautaire.

7L’interprétation en termes de sociabilité intégrée vs communautaire, à partir de la composition du réseau de liens forts, a nécessairement des limites dans la mesure où l’on ne prend pas en compte les liens « faible s » dont les fameuses analyses de Granovetter ont démontré la force et l’efficacité (Granovetter, 2000). La difficulté technique de recenser de plus larges cercles du réseau social à partir des questionnaires individuels (et les contraintes de coût et de temps inhérentes aux larges enquêtes généralistes, du type de la nôtre) nous a amenés à privilégier le premier cercle de relations en dehors des membres du ménage, recensés par ailleurs.

8La composition de ce réseau extra-nucléaire est révélatrice, de notre point de vue, des autres formes de sociabilité élargie, constituées d’une plus grande partie de liens faibles, si l’on admet qu’entretenir des relations d’intimité en dehors du ménage est signe d’une capacité à se lier et à construire puis à entretenir un capital social plus large. Il faut rester prudent avant de conclure à une plus ou moins grande intégration à la société française. L’intégration dans un milieu constitué de personnes de même origine, s’il dénote parfois un repli communautaire et une fermeture aux autres, peut aussi être pour beaucoup un passage nécessaire vers l’intégration à la société en général.

9Le travail présenté ici n’a d’autre ambition que de contribuer à éclairer quelques aspects de la sociabilité des populations immigrées, portant sur ce type de liens forts. Il s’inscrit dans le cadre d’un travail au long cours, fondé sur l’enquête présentée dans une autre partie de ce volume (Attias-Donfut et al., 2004) dont la perspective est beaucoup plus large. Cette enquête renseigne notamment sur d’autres aspects de la sociabilité, comme les solidarités potentielles en cas de besoin, les solidarités réelles, sous forme d’échanges de services ou d’argent, la participation aux associations ou bien encore les relations aux médias.

10L’organisation de cet article est la suivante. La première partie présente l’information disponible sur le réseau primaire dans cette enquête sur les personnes nées hors de France. La deuxième décrit l’existence d’un réseau de liens forts et l’influence sur ce dernier des caractéristiques des enquêtés. La troisième partie présente ensuite la composition de ce réseau social. Outre l’importance de sa nature familiale, nous cherchons également à déterminer l’homogénéité ethnique des membres du réseau. Enfin, la dernière partie s’intéresse à l’impact de la trajectoire migratoire sur la composition de ce réseau, à la fois dans ses dimensions familiales et communautaires.

? Les données

11Concernant le thème qui nous intéresse, l’enquête renseigne sur l’existence et la composition d’un réseau de personnes très proches [4]. La technique utilisée a consisté en un « générateur de noms », par lequel l’enquêté était invité à lister les personnes avec lesquelles il ou elle entretient des relations d’affinité. L’intitulé de la question fait référence à des personnes de l’entourage qui ne vivent pas avec l’enquêté et qui sont vraiment importantes pour ce dernier, des amis, des connaissances, des collègues ou des membres de la famille avec lesquels l’enquêté a des contacts, des activités, et échange des confidences. Dans le cas où le réseau social comprenait effectivement des liens forts, un maximum de huit personnes pouvait être enregistré [5].

12Pour chacune des personnes citées, outre la nature du lien, selon qu’il s’agit d’un lien de parenté, de voisinage ou d’amitié, on connaît son sexe, son âge, son pays d’origine, sa profession et la distance à laquelle elle habite. C’est cette information sur l’entourage proche qui fait l’objet d’un examen approfondi dans cet article. La méthode des générateurs de noms, l’une des plus anciennes et des plus classiques méthodes d’étude des réseaux, nous permet de décrire l’« étoile » des relations de chaque personne (Degenne, Forsé, 1994). Celle que nous avons adoptée ne fournit aucune information sur les connexions éventuelles entre les membres d’une même étoile (la densité du réseau), ni bien entendu les connexions entre les étoiles, l’échantillon portant sur des individus séparés, sélectionnés de façon aléatoire. La consigne que nous avons introduite, à savoir ne retenir que les personnes n’habitant pas dans le même logement, vise à enrichir l’information sur la sociabilité intime et son degré d’ouverture à la société française. Le réseau de proches s’additionne à celui que constituent les membres du ménage dont on suppose, par définition, qu’ils entretiennent des relations importantes entre eux.

? Qui déclare un réseau social ?

? La non-généralité des liens forts en dehors du ménage

13Un peu plus du tiers des enquêtés ne déclare aucun lien fort (cf. tableau 1). Il peut s’agir soit de personnes isolées, soit de personnes qui ont déjà suffisamment de liens avec les membres composant le ménage (par exemple lorsque celui-ci inclut des ascendants et/ou des descendants), ou encore de personnes ayant des réticences à parler de leur réseau d’intimes avec « l’étranger » que personnifie l’enquêteur. La taille du ménage a une incidence significative sur le réseau mais celle-ci ne joue qu’à la marge. Les personnes habitant seules, représentant 10% de l’ensemble, sont à peine moins nombreuses à ne déclarer personne (31,2 %) que celles qui vivent en couple (32,8 %) ou dans un ménage de trois ou quatre personnes (33,6%), et même dans un ménage de cinq personnes et plus (38,4%).

14L’absence de lien déclaré ne signifie pas pour autant la solitude puisque le sentiment de solitude n’est guère plus répandu parmi ceux qui ne déclarent personne. C’est surtout le fait de vivre seul qui engendre ce sentiment : 28 % disent l’éprouver souvent, 35 % parfois et 37 % jamais, tandis que ceux qui ne vivent pas seuls sont plus des deux tiers à n’éprouver jamais de sentiment de solitude. Si l’on s’intéresse aux écarts par sexe, les données indiquent que les femmes éprouvent en général un sentiment de solitude et vivent seules un peu plus souvent que les hommes. Il arrive à 44% des femmes de se sentir seules parfois ou souvent, alors que cette proportion est de seulement 25% pour les hommes. Cet écart est certes dû en partie au plus grand nombre de femmes sans conjoint (surtout des veuves). En pratique, lorsqu’ils vivent effectivement seuls, les hommes souffrent tout autant de la solitude que les femmes. Mais parmi les personnes en couple, les femmes la ressentent plus souvent que les hommes [6].

15En ce qui concerne le réseau, trois enquêtés sur dix indiquent un seul membre dans ce réseau social, et deux sur dix en mentionnent deux. Finalement, seulement 15% des réseaux sont composés d’au moins trois membres. La définition des personnes qui sont « vraiment importantes » a également pu poser problème, seuls les liens très forts devant a priori faire l’objet d’un enregistrement. Ces nombres sont assez faibles si on les compare à d’autres enquêtes sur le même type de liens, d’amitié et de confidence. Parmi les travaux que rapportent Degenne et Forsé (1994), on trouve une certaine convergence du nombre moyen de liens forts, s’élevant à trois par enquêté, que ce soit dans une enquête américaine réalisée en 1985 ou dans une étude française menée un peu plus tard (Ferrand, 1991). De même, Héran (1988) évaluait le nombre d’amis très proches à une moyenne comprise entre trois et quatre, d’après des analyses tirées d’enquêtes de l’Insee. La moyenne que nous avons enregistrée est de deux. Mais en ayant éliminé les membres du foyer qui, pour 90% des enquêtés, comprend au moins une autre personne, on a nécessairement réduit cette moyenne d’au moins un. On peut donc considérer que ce résultat s’inscrit dans une régularité statistique assez remarquable.

Tableau 1

La taille du réseau social

Tableau 1
Tableau 1 La taille du réseau social Taille du réseau ‡ 40 1 2 3 Europe 8,629,6 30,3 21,2 10,3 Europe du Nord 15,122,9 28,7 17,8 15,6 Pas de nationalité française 13,824,4 27,9 17,3 16,6 Nationalité française 17,420,4 29,9 18,6 13,8 Europe du Sud 7,530,5 30,8 21,9 9,3 Pas de nationalité française 6,632,2 32,2 21,0 8,0 Nationalité française 9,127,1 28,3 23,6 11,9 Europe de l’Est 7,433,7 28,5 20,4 10,0 Pas de nationalité française 7,337,5 29,2 16,7 9,4 Nationalité française 7,531,6 28,2 22,4 10,3 Afrique 5,039,4 31,8 17,9 5,9 Afrique du Nord 4,840,8 31,9 17,5 5,0 Pas de nationalité française 3,542,9 31,9 17,0 4,7 Nationalité française 8,535,0 31,9 18,8 5,8 Afrique centrale et Sud 6,331,7 31,1 19,9 11,0 Pas de nationalité française 7,029,0 32,7 21,5 9,8 Nationalité française 5,435,1 29,2 17,9 12,5 Amérique 15,125,4 23,0 25,4 11,1 Pas de nationalité française 14,331,8 19,1 23,8 11,1 Nationalité française 15,919,1 27,0 27,0 11,1 Proche-Orient et Turquie 7,936,1 29,0 18,3 8,7 Pas de nationalité française 4,140,0 29,4 18,2 8,2 Nationalité française 15,828,1 28,0 18,3 9,8 Asie 5,339,4 30,6 17,6 7,1 Pas de nationalité française 6,340,2 34,6 11,0 7,9 Nationalité française 4,940,4 27,6 21,2 5,9 Ensemble 7,134,3 30,7 19,6 8,3 Source : Enquête PRI, Cnav, 2003.

La taille du réseau social

Enquête PRI, Cnav, 2003.

16L’existence d’un tel réseau, d’après la déclaration des enquêtés, varie fortement selon l’origine géographique et la nationalité (cf.tableau 1, p. 55). Aucun lien n’est déclaré pour 30 % des gens nés en Europe et 40 % de ceux nés en Afrique et en Asie. La dimension culturelle apparaît clairement entre le nord et le sud de l’Europe. Pour les originaires d’Europe du Nord, le réseau social comprend plus souvent au moins un membre que pour ceux originaires d’Europe du Sud. Il y a également un clivage entre les personnes originaires du Maghreb et celles originaires d’Afrique noire, ces dernières ayant sensiblement plus de liens forts. Des effets similaires s’observent sur le nombre de personnes déclarées. Pour les natifs d’Europe du Nord, la proportion de réseaux avec au moins trois membres est de près de 20%, contre 17% pour ceux d’Europe du Sud et 11% pour ceux nés en Afrique. Enfin, ce sont les personnes nées en Amérique qui ont le réseau de plus grande taille.

17Outre ces effets liés à l’origine ethnique [7], l’acquisition de la nationalité française a une incidence réelle. L’absence de liens concerne 24,4 % des Européens du Nord sans la nationalité française, mais 20,4% de ceux qui ont cette nationalité. Cet écart s’observe pour toutes les zones à l’exception de l’Afrique noire et de l’Asie. Les effets sont particulièrement prononcés en Orient [8] et en Amérique, avec un écart d’environ dix points de probabilité en fonction de la possession de la nationalité française. Les effets sont ensuite moins marqués pour la taille du réseau qui semble cependant un peu plus dense lorsque l’enquêté détient la nationalité française.

? Les déterminants de l’existence de ce réseau

18Le recours à l’analyse économétrique permet de dégager les principaux facteurs qui influencent la probabilité que le réseau de proches ne soit pas vide. Les trois premières colonnes du tableau 2 précisent les déterminants d’un réseau social non nul par un modèle de type Probit, la quatrième est une régression linéaire afin d’expliquer la taille de ce réseau.

19Nous regardons tout d’abord l’impact des caractéristiques sociodémographiques des enquêtés. De manière très claire, la déclaration d’un réseau social est sensiblement plus fréquente chez les femmes. Les célibataires ont une probabilité un peu plus élevée d’avoir un réseau nul, tandis que les veufs, et dans une moindre mesure les divorcés et séparés, peuvent davantage compter sur des tiers. Pour les veufs, on peut voir soit une substitution du conjoint par d’autres types de relations, soit un effort accru des tiers pour soutenir la personne veuve après le deuil. Quant aux célibataires, c’est sans doute la situation d’immigration qui rend plus difficile l’établissement de liens, sans le support de la famille. En effet, en l’absence d’immigration, le célibat favoriserait plutôt la constitution d’une densité de relations extra-familiales qui s’accumulent au cours des années. Mais le vieillissement a aussi un effet contraire d’amenuisement du réseau relationnel. L’incidence de l’âge n’est cependant pas linéaire. C’est surtout aux âges les plus élevés que l’enquêté n’indique aucun lien fort, l’effet d’âge se cumulant en fait à celui de la retraite. La fin des relations liées au travail, la disparition progressive des proches à mesure du vieillissement, le rétrécissement de l’activité sociale, tout cela contribue à l’appauvrissement du réseau relationnel.

Tableau 2

Les déterminants de la déclaration d’un réseau social

Tableau 2
Tableau 2 Les déterminants de la déclaration d’un réseau social OLSProbitProbit Probit Variables t-testcoef.t-testcoef.coef. t-test coef. t-test Constante 7,76 1,1201,52 0,1910,150 1,73 0,227 1,97 Femmes 5,79 0,2185,55 0,1980,201 5,76 0,199 5,62 Âge Moins de 50 ans Réf.Réf.Réf. Réf. De 50 à 54 ans 0,08 0,0040,81 0,0410,044 0,89 0,043 0,86 De 55 à 59 ans - 0,12- 0,007- 0,49- 0,028- 0,001 - 0,01 - 0,022 - 0,41 De 60 à 64 ans - 2,07- 0,140- 2,19- 0,139- 0,107 - 1,78 - 0,130 - 2,15 65 ans et plus - 2,20- 0,157- 3,27- 0,220- 0,180 - 2,91 - 0,209 - 3,33 Statut Célibataire 1,29 0,112- 1,80- 0,147- 0,149 - 1,84 - 0,148 - 1,82 matrimonial Marié Réf.Réf.Réf. Réf. Séparé, divorcé 1,17 0,0761,16 0,0720,086 1,39 0,076 1,22 Veuf 1,78 0,1322,43 0,1720,171 2,43 0,173 2,44 Nombre de parents - 1,16- 0,033- 0,20- 0,0050,003 0,12 - 0,005 - 0,20 Nombre d’enfants - 1,37- 0,014- 2,79- 0,026- 0,034 - 3,82 - 0,027 - 2,86 Nombre de frères et sœurs - 0,67- 0,004- 1,43- 0,009- 0,010 - 1,62 - 0,009 - 1,41 Éducation Aucune Réf.Réf.Réf. Réf. Primaire 0,85 0,0490,92 0,0490,084 1,65 0,048 0,92 Secondaire BEPC 1,09 0,0761,52 0,0980,109 1,76 0,096 1,53 Secondaire BEP-CAP 4,47 0,3473,12 0,2280,244 3,52 0,231 3,27 Secondaire Bac 4,91 0,4203,59 0,2910,262 3,40 0,298 3,73 Supérieur 9,00 0,7215,38 0,4110,372 5,37 0,416 5,54 Problèmes de santé 3,50 0,1412,83 0,1080,114 3,01 0,108 2,84 Revenu annuel De 0 à 10 000 e Réf.Réf.Réf. Réf. De 1 0 000 à 1 5 000 e - 0,82- 0,0430,67 0,0330,033 0,68 0,034 0,70 De 1 5 000 à 2 5 000 e 1,63 0,0822,06 0,0960,108 2,34 0,097 2,08 De 2 5 000 à 3 5 000 e 4,44 0,2544,34 0,2370,250 4,60 0,238 4,36 Plus de 35000 e 3,66 0,2424,25 0,2720,293 4,59 0,274 4,28 Propriétaire 2,83 0,1152,03 0,0770,112 3,13 0,085 2,28 Durée de la présence en France (10e-2) 0,17 0,0360,19 0,037 Possède la nationalité française 2,33 0,0961,13 0,045 Difficultés avec la langue française 1,69 0,0651,20 0,044 Pays de Europe de Nord Réf.Réf.Réf. naissance Europe du Sud - 0,74- 0,0600,43 0,0350,041 0,52 Europe de l’Est - 3,43- 0,376- 2,26- 0,241- 0,221 - 2,10 Afrique du Nord - 2,98- 0,254- 1,27- 0,107- 0,097 - 1,18 Afrique du Sud - 1,93- 0,201- 0,29- 0,029- 0,016 - 0,15 Amérique - 0,92- 0,131- 0,51- 0,073- 0,066 - 0,47 Orient - 1,83- 0,211- 1,36- 0,150- 0,134 - 1,22 Asie - 5,49- 0,579- 3,69- 0,373- 0,348 - 3,49 Nombre d’observations 6 2786 2786 278 6 278 Log vraisemblance – R2 0,078- 3 871,4- 3 889,1 - 3 872,8 Source : Enquête PRI, Cnav, 2003.

Les déterminants de la déclaration d’un réseau social

Enquête PRI, Cnav, 2003.

20Le nombre de parents, d’enfants et de collatéraux dont disposent les personnes donne une mesure des opportunités de liens forts. Néanmoins, les liens reportés ne doivent pas faire partie du ménage, si bien que ces membres de la famille vont se substituer dans une certaine mesure aux liens forts extérieurs au ménage. Les résultats vont plutôt dans ce sens. Si l’existence de parents n’exerce aucune incidence significative, la probabilité d’avoir un réseau non vide diminue avec le nombre d’enfants et de collatéraux. Avoir un problème de santé accroît sensiblement la probabilité d’avoir quelqu’un dans le réseau de liens forts. Cela suggère que le besoin favorise le lien, ou au moins la conscience du lien. Il peut s’agir d’un confident qui va partager les moments délicats ou bien d’un tiers amené à rendre service et à apporter un soutien.

21Le capital culturel et économique influence fortement le réseau social. L’appartenance à un réseau social croît au fur et à mesure que le niveau de diplôme de l’enquêté s’élève. L’effet est très net pour ceux qui ont suivi des études supérieures. De manière analogue, plus le revenu est élevé et plus on mentionne de relations fortes [9]. Enfin, le statut de propriétaire augmente la probabilité d’un réseau non nul, avec deux interprétations possibles. D’un côté, la propriété de son logement induit un effet de patrimoine, rejoignant en cela l’effet richesse observé via le niveau de revenu. De l’autre, la propriété peut traduire l’intégration dans la société française, les propriétaires étant sans doute davantage amenés à rester jusqu’à la fin de leurs jours en France et donc davantage impliqués socialement. Cet effet positif des différents éléments du statut social dans l’existence et l’intensité du réseau social confirme des résultats obtenus dans d’autres enquêtes. Contrairement à une vulgate persistante, la sociabilité des classes populaires est moins développée que celle des catégories favorisées et est davantage restreinte aux membres de la parentèle (Pitrou, 1992; Coenen-Huther et al., 1994).

22Il est aussi possible que les effets obtenus traduisent des différences de comportements selon les zones géographiques d’origine des enquêtés. Par exemple, les personnes originaires d’Afrique vont appartenir à des fratries relativement plus grandes que celles originaires d’Europe du Nord. Les différences dans les niveaux d’éducation par pays d’origine sont aussi à l’œuvre. Afin de rendre compte de cette hétérogénéité, des variables relatives aux pays d’origine sont introduites dans la régression. Cela ne modifie pas les conclusions précédentes : les impacts respectivement négatifs pour l’âge et la santé et positifs pour le diplôme et le revenu demeurent, quels que soient les pays d’origine. Le poids de certains facteurs explicatifs tend à diminuer, en particulier pour les nombres d’enfants et de collatéraux. En ce qui concerne les différences selon les pays d’origine, elles tendent également à se réduire. Les principaux écarts sont observés pour les originaires d’Europe de l’Est et d’Asie par rapport aux personnes originaires d’Europe du Nord.

23Afin d’évaluer l’influence de l’intégration à la société française sur l’existence de liens forts, nous avons ensuite introduit dans la régression trois variables supplémentaires significatives, à savoir la durée de présence en France [10], l’acquisition de la nationalité française et l’existence de difficultés avec la langue française. Si les deux premières variables exerçaient une incidence positive sur l’existence d’un réseau social, ce serait signe de l’impact positif de l’intégration sur sa probabilité. Les résultats observés vont dans ce sens mais les estimateurs ne sont toutefois pas significatifs. La trajectoire migratoire a assez peu d’impact sur la constitution d’un réseau de liens forts, qui serait davantage fonction des événements courants qui affectent l’enquêté (tels le veuvage ou bien des problèmes de santé par exemple) ou de l’intégration dans la communauté d’origine établie en France. Quant à la troisième variable (avoir des difficultés avec la langue française), elle augmente plutôt la probabilité d’entretenir au moins un lien fort. Il est possible que les personnes ayant ces problèmes de communication soient amenées à resserrer leurs liens avec des proches de leur pays d’origine.

24Enfin, nous avons cherché à expliquer la taille du réseau social à partir d’une régression linéaire. Les résultats sont peu différents de ceux obtenus pour expliquer l’existence de liens forts. La taille du réseau social est plus grande pour les femmes et pour les veufs ou veuves, alors qu’elle diminue pour les personnes de plus de 60 ans. Les effets liés au nombre d’enfants et de collatéraux ne sont désormais plus significatifs, alors que les niveaux de diplôme et de revenu exercent une incidence positive particulièrement forte sur le nombre de membres du réseau social. Ce dernier croît également avec le statut de propriétaire. Si la durée de la présence en France ne joue pas dans la régression, la taille du réseau est accrue pour ceux qui possèdent la nationalité française. Enfin, les écarts géographiques sont plus marqués pour la dimension du réseau social. Relativement aux originaires de l’Europe du Nord, la taille est plus petite pour ceux d’Europe de l’Est, d’Afrique du Nord et d’Asie, et dans une moindre proportion pour les personnes nées dans l’Afrique subsaharienne et en Orient.

? La composition du réseau de liens forts

25L’analyse précédente fait abstraction de la composition du réseau de proches et masque probablement certains effets, en particulier ceux relatifs à la dimension culturelle de l’intégration. Par exemple, des personnes ayant des difficultés avec la langue française peuvent très bien avoir un large réseau de parents ou amis originaires du même pays. Lesdonnées de l’enquête PRI permettent de connaître la composition de ce réseau de liens forts. Afin de le décrire, nous avons individualisé le fichier initial portant sur les enquêtés, de telle sorte que chaque lien fort compte désormais pour une observation. Le nouveau fichier ainsi obtenu comporte 8 226 observations, qui correspondent à 4 127 enquêtés. Nous avons alors calculé la répartition des caractéristiques des membres du réseau de deux façons, d’une part à partir des 8 226 observations, d’autre part en faisant la moyenne par enquêté [11].

? Les liens très forts : une part importante de frères et sœurs

26La composition du réseau exclut, par définition, les membres du ménage. Néanmoins, les liens de parenté restent présents puisqu’ils représentent près de 40% du réseau social (cf. tableau 3). Ces liens sont à la fois intergénérationnels, avec les enfants et dans une moindre mesure les parents, et intragénérationnels, les frères et sœurs étant cités dans 20% des cas. La part des liens intergénérationnels est en deçà de ce qui existe dans les réseaux de solidarité, surtout parmi les personnes âgées dont le réseau familial potentiel se déploie principalement le long de l’axe de la filiation (Attias-Donfut, Rozenkier, 1997). Les autres membres familiaux, oncles, tantes et cousins notamment, représentent près de 8%. Les 60% restants correspondent à des amis et à des voisins. Ces liens très proches sont donc recrutés à la fois dans et hors de la parenté. Ils contribuent à former ce que Bonvalet (2003) appelle la « famille entourage », constituée de liens électifs, englobant tous les proches avec lesquels existent des liens de solidarité, ce qui est plus large que le réseau préférentiel que nous avons pris comme objet d’analyse.

Tableau 3

Caractérisation du réseau social

Tableau 3
Tableau 3 Caractérisation du réseau social Variables Par enquêtéEnsemble Lien Parents 3,73,8 Enfants 6,77,8 Frères et sœurs 20,220,6 Autre famille 8,57,8 Amis et voisins 60,960,0 Pays d’origine France 36,339,4 Europe 27,627,6 Afrique 28,125,0 Autres 8,08,0 Sexe Homme 49,348,9 Femme 50,751,1 Âge Moins de 40 ans 13,514,8 De 40 à 49 ans 24,024,2 De 50 à 59 ans 33,232,4 De 60 à 69 ans 19,318,4 Plus de 70 ans 9,910,2 Profession Indépendant 8,69,0 Profession supérieure 11,914,0 Profession intermédiaire 12,313,3 Employé 21,522,2 Ouvrier 28,325,7 Inactif, autre 17,415,8 Distance Moins de 1 km 27,124,3 De 1 à 9 km 29,428,5 De 10 à 49 km 22,022,5 De 50 à 499 km 11,312,7 Plus de 500 km 10,112,0 Effectif 4 1278 226 Source : Enquête PRI, Cnav, 2003.

Caractérisation du réseau social

Enquête PRI, Cnav, 2003.

27Le pays d’origine des membres du réseau est la France dans un peu moins de 40% des cas. L’Europe (hors France) et l’Afrique viennent ensuite dans des proportions similaires, légèrement supérieures à 25%. L’importance de la part des Français natifs dans le réseau social peut être vue comme un indicateur de l’intégration de ces personnes nées hors de France. Néanmoins, pays d’origine et lieu de résidence sont deux réalités bien distinctes, et il devient intéressant de prendre en compte la distance géographique entre les lieux d’habitat des personnes qui entretiennent des liens forts. Ces relations sont surtout établies avec des individus qui vivent à proximité. Plus de 55 % des membres du réseau habitent ainsi à moins de dix kilomètres, et cette proportion excède 75 % si l’on étend la zone géographique à cinquante kilomètres. En fait, les liens forts avec des personnes qui résident à l’étranger sont relativement rares puisque la proportion de personnes vivant au-delà de cinq cents kilomètres est de l’ordre de 10%. Il faut voir là le signe d’une homogénéité à la fois culturelle et sociale, les enquêtés déclarant dans leur réseau relationnel des personnes de leur origine mais vivant à proximité.

28Les résultats sont plus mitigés pour les autres caractéristiques. Le réseau social comprend à peu près autant d’hommes que de femmes, et les âges les plus représentés se situent entre 40 et 60 ans. On peut noter laplus faible part des plus de 60 ans : l’immigration aurait-elle pour conséquence un déficit de liens intergénérationnels, notamment avec les plus âgés ? Cela est fort probable car de tels liens sont souvent noués de longue date et au cours de la jeunesse. Par ailleurs, le seuil de 60 ans étant généralement celui de la retraite, tout se passe comme si les relations nouées au travail prenaient subitement fin avec l’achèvement de l’activité professionnelle proprement dite. Enfin, pour la catégorie sociale des membres du réseau, les deux classes les plus représentées sont les employés et les ouvriers.

? Des réseaux différenciés selon le pays d’origine

29Il s’agit ici de mesurer l’hétérogénéité de la composition du réseau social en fonction de la région d’origine des enquêtés. L’analyse se fait suivant huit zones géographiques, une étude plus fine de l’homogénéité ethnique par pays étant réalisée par la suite (cf. tableau 4, p. 64).

30La nature même du réseau diffère selon l’origine de l’enquêté. Pour les Européens du Nord, le réseau comprend avant tout des amis et voisins, dans plus de trois cas sur quatre, donc des relations de proximité ou de nature amicale ou professionnelle. La famille n’est pas totalement absente mais il s’agit surtout des frères et sœurs (13,3%). Pour les originaires d’Europe du Sud, la parentèle prend une part plus importante puisqu’elle représente près de 40% des proches. Les enfants sont plus fréquemment cités mais ce sont surtout les frères et sœurs qui constituent des liens forts, les amis et voisins restant majoritaires (60%).

31Si les personnes nées en Amérique et dans les pays de l’Est ont un profil assez semblable à ceux de l’Europe du Nord, avec néanmoins plus d’enfants et de parents dans le réseau pour ces dernières, la situation est différente pour les personnes nées en Afrique du Nord. Le réseau est davantage tourné vers la famille, surtout des frères et sœurs. Les amis, voisins ou collègues ne constituent plus que 54% du réseau, une situation analogue à celle de la population d’origine asiatique. Quant aux originaires d’Afrique noire, leurs réseaux sont moins « famili-centrés »: ils comptent 63% d’amis. Ils comportent relativement moins d’enfants que les autres pays du Sud et du Maghreb car ils sont aussi plus jeunes et ont moins d’enfants adultes ayant quitté le domicile parental. Ils comprennent en revanche une part plus grande d’autres membres de la parentèle, signe de plus forts liens avec la famille élargie.

32Les caractéristiques démographiques et sociales des membres du réseau sont aussi sensiblement différentes selon les pays d’origine, même si ces caractéristiques traduisent en fait une assez forte homogénéité sociale. La distance géographique varie de façon très significative. Les Européens du Nord ont des réseaux plus étendus géographiquement : près de 20 % des personnes qui leur sont très proches vivent éloignées à plus de cinq cents kilomètres. La ressemblance est forte avec les originaires d’Amérique qui se caractérisent aussi par un réseau davantage féminin, avec une position sociale affirmée, et dont une partie significative des membres sont vraisemblablement dans le pays d’origine. Les différences sociales sont très marquées puisque les indépendants et les professions supérieures contribuent pour 40% au réseau des originaires d’Europe du Nord et d’Amérique. À l’inverse, pour les originaires d’Europe du Sud, les relations fortes exercent surtout des professions d’employés et d’ouvriers. Pour cette catégorie, le réseau est moins féminin, même si les femmes demeurent majoritaires, et ses membres habitent beaucoup plus près de l’enquêté. Plus de 60 % des membres du réseau habitent en effet à moins de dix kilomètres. Un profil similaire caractérise les Européens de l’Est, mais avec une part accrue des professions supérieures et intermédiaires dans le réseau.

Tableau 4

Composition du réseau social selon le pays de naissance

Tableau 4
Tableau 4 Composition du réseau social selon le pays de naissance Sourc e : Enquête PRI, Cnav, 2003.

Composition du réseau social selon le pays de naissance

33Pour les originaires d’Afrique, d’Orient et d’Asie, le réseau social devient beaucoup plus masculin, en particulier pour les personnes nées dans le sud de l’Afrique. Les membres du réseau sont aussi nettement plus jeunes. Au moins 40 % des membres ont moins de 50 ans, alors que cette proportion n’excédait pas 30% dans le cas de l’Europe du Nord ou du Sud. Le réseau social des Africains est plus populaire, avec plus d’une personne sur deux ayant le statut d’employé ou d’ouvrier. Quelques différences apparaissent avec l’Asie où l’on note une part plus importante de professions supérieures et avec l’Orient où les inactifs et les indépendants sont plus nombreux. Enfin, pour toutes ces régions du monde, les membres du réseau sont avant tout des personnes proches sur le plan géographique, souvent à moins de dix kilomètres.

? Une forte homogénéité ethnique des membres du réseau

34À un niveau plus désagrégé, nous avons cherché à mesurer le degré d’homogénéité sociale et ethnique du réseau social déclaré par les enquêtés, en croisant le pays d’origine des membres du réseau social avec le pays de naissance de l’enquêté. Nous avons gardé la décomposition précédente suivant huit grandes zones, en distinguant également les six principaux pays contributeurs à la population des personnes nées hors de France et vivant en France [12]. Le tableau 5 (p. 66) met en évidence deux résultats principaux.

35En premier lieu, la proportion de personnes originaires de France dans le réseau social varie fortement selon les pays d’origine. Parmi les personnes originaires d’Europe du Nord, la proportion de Français s’élève à 52,6%. Elle est à peu près du même ordre de grandeur pour l’Europe du Sud et de l’Est ainsi que pour l’Amérique qui confirme ici sa similitude avec l’Europe. Néanmoins, certaines disparités par pays subsistent, en particulier pour les personnes originaires de l’Europe du Sud. Ainsi, la proportion de natifs français dans le réseau est forte pour les Italiens (60,4%) et pour les Espagnols (53,2%), alors qu’elle est bien plus restreinte pour les Portugais (30,8%). Mais le clivage est plus marqué encore avec l’Afrique, l’Orient et l’Asie où la part de natifs dans le réseau est inférieure à 25%. Ici, les écarts entre pays ne sont pas très grands, le taux moyen étant à peu près identique pour le Maroc, l’Algérie et la Tunisie. Ces écarts sont avant tout culturels et ne peuvent être expliqués par la seule barrière de la langue, au regard des résultats que l’on obtient pour les pays d’Europe du Sud.

Tableau 5

L’homogénéité ethnique du réseau social

Tableau 5
Tableau 5 L’homogénéité ethnique du réseau social Sourc e : Enquête PRI, Cnav, 2003.

L’homogénéité ethnique du réseau social

36En second lieu, il existe une remarquable homogénéité ethnique dans la composition du réseau. Connaître le pays d’origine de l’enquêté renseigne très largement sur les origines des membres du réseau. Lephénomène de « diagonalisation » dans le tableau 5 est remarquable. Près de 40% du réseau social des gens originaires d’Europe du Nord comprennent des personnes de cette même origine, et ce taux excède 50 % pour l’Europe du Sud. L’homogénéité ne s’observe pas en réalité à ce niveau agrégé mais surtout par pays. Par exemple, 3 5 % des personnes nées en Italie ont un réseau composé d’Italiens; le taux est de 40 % pour les Espagnols et de 65% pour les Portugais. Cette homogénéité est encore plus forte pour l’Afrique du Nord qui joue aussi au niveau agrégé. Ainsi, le taux de similitude s’établit à 75% pour les Maghrébins, avec notamment 72% de personnes nées au Maroc qui indiquent des membres d’origine marocaine, et 66% d’Algériens d’origine dans les réseaux des Algériens [13]. L’homogénéité est aussi très forte parmi les originaires de Turquie, du Proche-Orient et d’Asie, puisqu’elle se situe autour de 70%.

? L’influence de la trajectoire personnelle sur le réseau social

? Le rôle de l’histoire migratoire

37Les écarts observés par origine témoignent de l’influence probable de l’histoire migratoire dans la composition du réseau familial. Pour l’explorer, nous avons retenu trois variables supplémentaires, à savoir la possession de la nationalité française, l’âge à la migration, et le premier motif déclaré pour la migration (cf. tableau 6, p. 68).

38Pour ceux qui n’ont pas la nationalité française, la proportion de personnes originaires de France dans le réseau diminue fortement. Elle n’excède pas 30%, alors qu’elle est supérieure à 45% dans le cas contraire. C’est surtout l’origine géographique qui importe puisque les effets de distance ne sont pas différents selon que l’enquêté possède ou non la nationalité française. Pour les Français, le réseau est plus souvent féminin, et il est un peu plus jeune pour ceux qui ont une nationalité étrangère. Ce résultat s’explique sans doute par un effet d’âge puisqu’il faut une certaine durée de séjour avant d’obtenir la nationalité française. La proportion de professions supérieures est relativement plus élevée parmi ceux qui ont la citoyenneté française, tandis que les ressortissants étrangers en France sont davantage liés au milieu ouvrier.

Tableau 6

Composition du réseau social selon la trajectoire migratoire

Tableau 6
Tableau 6 Composition du réseau social selon la trajectoire migratoire Sourc e : Enquête PRI, Cnav, 2003.

Composition du réseau social selon la trajectoire migratoire

39L’âge à la migration joue également un rôle important. On s’attend à ce qu’une personne arrivée jeune en France ait eu l’occasion de nouer des liens forts avec des Français. Elle serait donc davantage intégrée. Lesdonnées confirment largement cette hypothèse, avec des écarts très significatifs. Pour ceux qui sont entrés en France avant l’âge de 10ans, la proportion de Français dans le réseau s’élève à 67,8%. Celle-ci décroît linéairement ensuite, égale 40 % pour un âge d’entrée entre 10 et 19 ans, 33% entre 20 et 29 ans, et 23% après 30 ans. En revanche, les liens cités varient peu, même si l’on peut noter que les enfants rentrent davantage dans le réseau au fur et à mesure que l’âge à la migration s’élève. Deux autres effets méritent l’attention. D’une part, on trouve davantage de professions supérieures aux deux extrémités de l’âge d’entrée en France. Pour les âges élevés, cela correspond aux migrations qualifiées. D’autre part, ceux qui sont entrés plus tardivement en France gardent davantage de liens forts avec les personnes du pays d’origine [14].

40Enfin, l’analyse par motif de migration vient renforcer les conclusions précédentes. Si cette variable a peu d’incidence sur le type de liens forts, la proportion de Français d’origine est plus faible pour ceux qui sont venus en France en raison du travail ou à la faveur du regroupement familial. Le réseau comprend davantage d’hommes lorsque le motif est lié à des considérations professionnelles (59,2%), mais davantage de femmes lorsqu’il s’agit d’un motif familial (69,2%). Les écarts par sexe sont ici très importants. En cas d’une venue en France pour des raisons liées à des guerres ou à l’insécurité du pays, le réseau comprend plus de professions supérieures, alors qu’il y a beaucoup plus d’ouvriers pour un motif de travail. Enfin, lorsqu’il s’agit d’un regroupement familial, les inactifs sont surreprésentés. Ces caractéristiques des membres du réseau ne font que refléter celles des répondants car les liens d’affinités sont fortement homophiles.

? Des affinités fondées sur le sexe, l’âge, le milieu social

41Il nous reste à mesurer le poids des similitudes entre les membres de son réseau et les caractéristiques sociodémographiques de l’enquêté, sexe, âge et catégorie sociale. L’homogénéité apparaît de nouveau forte (cf. tableau 7, p. 70).

Tableau 7

Composition du réseau social selon les caractéristiques individuelles

Tableau 7
Tableau 7 Composition du réseau social selon les caractéristiques individuelles Sourc e : Enquête PRI, Cnav, 2003.

Composition du réseau social selon les caractéristiques individuelles

42La composition par sexe des réseaux est impressionnante. Les hommes comptent plus de 75% d’hommes dans leur réseau social. Réciproquement, les réseaux des femmes sont féminins à 78%. Ces effets ne sont pas seulement culturels dans la mesure où ils s’observent pour toutes les origines géographiques. Ainsi, les liens forts comprennent 83 % de femmes pour une femme originaire d’Europe du Nord, 78,5 % d’Europe du Sud, et 79,1 % d’Afrique du Nord. Une recherche menée en Angleterre a mis en évidence une tendance similaire, excepté parmi les veufs âgés qui se confient plutôt à des amies et, dans une moindre mesure, parmi les veuves qui ont aussi préférentiellement des amis (Ogg, 2003). Une autre différence marquante concerne la catégorie sociale des membres du réseau. Pour un homme, les liens forts sont surtout des personnes actives ou ayant exercé une activité, avec une part assez grande d’ouvriers et, dans une moindre mesure, d’indépendants et de professions supérieures. Pour une femme, environ 25% des relations fortes correspondent à des personnes inactives. Les professions supérieures y sont moins nombreuses, au profit des employés. La structure par sexe des catégories sociales entre dans l’explication de ces écarts.

43Le poids des relations familiales croît avec l’âge, les personnes les plusâgées faisant plus souvent référence à leurs enfants. La proportion moyenne d’enfants dans le réseau est par exemple de 5,7% pour les 50-54 ans, mais elle est de 13,5 % pour les plus de 65 ans. Également, la proportion de frères et sœurs diminue avec l’âge, ce qui peut s’expliquer par des décès des collatéraux aux âges plus avancés. Les enquêtés les plus jeunes déclarent plus souvent des relations masculines, sans doute ici des migrations liées au travail. L’homogénéité s’observe également sur la composition par âge du réseau. Plus l’enquêté vieillit et plus la proportion de personnes âgées dans son réseau s’accroît. Cet effet est assez massif, bien que contrebalancé par la mention fréquente de leurs enfants par les personnes plus âgées. Les femmes font aussi plus souvent référence aux enfants dans leurs liens forts.

44Enfin, les professions supérieures ou intermédiaires étendent davantage leurs relations proches en dehors de la famille, aux amis, tandis que les employés et les ouvriers citent davantage les enfants. Les écarts par sexe sont importants. Les indépendants et les professions supérieures ont un réseau surtout masculin (sans doute plus professionnel), de même que les ouvriers, alors que les employés et les inactifs ont un réseau surtout composé de femmes. L’homogénéité du milieu social des membres du réseau est significative, avec une forte similitude des catégories professionnelles. La proportion d’indépendants s’élève à 26,7% pour les enquêtés indépendants, alors qu’elle n’excède pas 10% pour les autres catégories. Ce phénomène est encore plus marqué pour les professions supérieures et les ouvriers, avec des taux égaux à 49,2% et 48,5% [15].

45Ces résultats sont congruents avec les résultats de précédentes enquêtes sur les relations affinitaires, rapportées par Degenne et Forsé (1994). L’étude de Maisonneuve et Lamy de 1990, comparée à celle de 1960, a montré que les affinités entre catégories professionnelles et niveau d’instruction restaient fortes, de même que les similitudes de niveau de vie entre amis (Maisonneuve, Lamy, 1993). Par ailleurs, les amis sont souvent choisis parmi les relations de voisinage, ce qui facilite les fréquentations (Lazarsfeld, Merton, 1954). Dans notre enquête, outre les relations de voisinage, il y a aussi des relations à distance, surtout au sein des membres des professions supérieures. Ces derniers entretiennent plus souvent que les autres catégories sociales des relations fortes avec des personnes éloignées, 22,2% des membres de leurs réseaux habitant à plus de cinq cents kilomètres, sans doute dans le pays d’origine. Cela est à rapprocher du taux élevé de « transmigration », correspondant à des situations de va-et-vient entre la France et le pays d’origine, qui les caractérisent d’après les données de cette même enquête.

? Réseaux familiaux et communautaires

46Pour finir, nous avons cherché à distinguer les deux principaux traits structurels qui caractérisent la composition du réseau social, les dimensions familiale et communautaire. Parmi les enquêtés qui font état de liens forts, 31,9 % ont un réseau constitué exclusivement de membres de la famille, 53 % exclusivement de non familiaux et 15 % de membres appartenant à ces deux univers. Une seconde dimension porte sur l’origine géographique de ces liens forts. Les données indiquent que dans 45,3% des cas, l’origine des enquêtés est la même que celle des liens forts cités. À l’inverse, les origines sont différentes dans 34,8% des cas (où il s’agit en grande partie de Français natifs). Enfin, le réseau est composé à la fois de personnes du même pays et de pays différents pour un enquêté sur cinq.

47Ces deux dimensions ne sont pas indépendantes l’une de l’autre, les membres de la famille étant pour la plupart originaires du même pays, en dehors des cas assez fréquents d’hétérogénéité conjugale (38,6% des conjoints des enquêtés sont nés en France et 5,8% dans un autre pays que le pays de naissance de l’enquêté). On peut donc s’attendre à ce que la proportion de personnes de la même origine soit d’autant plus grande que le réseau se caractérise par une dimension familiale importante. Les données le confirment très largement. Ainsi, lorsque tous les liens forts n’ont aucune relation avec la famille, on dénombre 37 % de membres du même pays d’origine et 48,5% d’une origine différente. En revanche, lorsque les liens forts sont seulement familiaux, la proportion de personnes du même pays d’origine devient beaucoup plus importante (68,4 %) [16]. Enfin, lorsque l’on observe à la fois des personnes de la famille et des membres extérieurs à la famille parmi les liens forts, le réseau comporte un cumul de liens communautaires et extra-communautaires dans 56,5% des cas.

48Le tableau 8 (p. 74) présente les distributions de ces deux grandes caractéristiques des réseaux, selon différentes variables. On y retrouve la confirmation de résultats exposés précédemment sous d’autres formes. Le réseau social est davantage centré sur la famille dans les couches les plus modestes de la population, aux niveaux d’éducation primaire et secondaire. Les hommes sont moins ouverts que les femmes aux amitiés extra-familales. Les différences d’âge sont assez faibles en ce domaine. Les plus de 60 ans ne se limitent pas plus aux liens familiaux que les plus jeunes, mais ils ont plus de liens extra-communautaires. Les propriétaires ont aussi plus souvent des liens extra-communautaires ou mixtes, tandis que ceux qui ont la nationalité française citent bien plus souvent uniquement des personnes non originaires de leur pays.

49Le lieu d’habitat n’a que peu d’incidence sur la composition familiale ou extra-familiale, excepté parmi ceux qui vivent en milieu rural (village ou hameau) qui sont plus nombreux à se lier en dehors de la famille et surtout hors de leur communauté d’origine (plus de deux fois plus que dans leur communauté). Au contraire, les habitants des grandes villes et surtout des banlieues ont plus souvent un réseau intracommunautaire. C’est bien entendu l’effet de la concentration urbaine des personnes de même origine dans un même quartier. Quant aux différences selon les pays d’origine, on y retrouve les mêmes modèles dégagés précédemment : d’un côté une plus forte proportion de proches d’origines diverses parmi les Européens, à l’exception des Portugais et des originaires du continent américain, de l’autre une composition plus communautaire des réseaux au sein des autres groupes, excepté les Africains qui partagent également leurs liens affinitaires entre natifs du même pays, d’un autre pays ou les deux ensemble.

Tableau 8

Les dimensions familiales et communautaires du réseau social

Tableau 8
Tableau 8 Les dimensions familiales et communautaires du réseau social Dimension familiale Dimension communautaire Variables Sans Les deuxfamille Famille Les deux Intra Extra 48,151,5 52,7 44,3 54,3 47,9Sexe Homme 52,048,5 47,3 55,7 45,7 52,1Femme 27,324,5 23,0 29,9 24,9 23,4Âge Moins de 50 ans 24,124,1 26,5 25,1 26,7 23,3De 50 à 54 ans 21,721,4 19,5 20,4 20,7 20,1De 55 à 59 ans 13,414,9 14,5 13,6 14,0 16,1De 60 à 64 ans 13,615,1 16,5 11,0 13,8 17,165 ans et plus 5,45,2 3,6 4,9 3,7 5,4Statut Célibataire 78,276,9 81,8 80,4 83,8 73,2matrimonial Marié 9,510,4 7,5 8,7 6,5 12,5Séparé, divorcé 6,97,6 7,1 6,0 6,0 8,8Veuf 11,610,8 10,5 14,9 4,3 20,1Âge à la De 0 à 9 ans 24,120,5 25,4 21,7 21,3 22,4migration De 10 à 19 ans 43,445,1 43,7 41,5 46,4 41,4De 20 à 29 ans 20,823,6 20,5 22,0 28,0 16,130 ans et plus 10,014,3 18,2 8,1 22,4 7,2Éducation Aucune 28,731,8 37,4 28,5 37,4 30,1Primaire 13,113,9 14,8 12,8 13,5 15,2Secondaire BEPC 12,811,5 12,0 17,0 9,9 15,8Secondaire BEP-CAP 10,68,6 7,9 9,6 6,9 9,5Secondaire Bac 24,819,8 9,6 24,1 10,0 22,3Supérieur 39,345,2 51,8 39,3 58,0 35,4Propriétaire Non 60,754,8 48,2 60,7 42,0 64,6Oui 19,319,8 19,1 18,0 20,7 17,4Logement En grande ville 23,128,0 28,4 23,0 31,8 24,1En banlieue 21,821,0 22,5 24,8 21,8 22,4En moyenne ville 16,616,0 17,5 16,0 15,8 17,3En petite ville 19,215,2 12,6 18,3 9,9 18,8Village, hameau 57,462,0 65,6 56,6 73,8 50,3Nationalité Non 42,638,0 34,4 43,4 26,2 49,7française Oui 12,310,6 3,9 10,4 3,9 12,0Pays de Europe du Nord 43,739,1 39,4 41,3 33,6 44,9naissance Europe du Sud 12,812,0 11,2 12,6 6,5 18,2Italie 13,611,6 9,0 12,1 6,9 14,5Espagne 17,015,3 18,9 16,3 20,1 11,8Portugal 4,54,7 3,5 4,7 2,9 6,1Europe de l’Est 22,627,4 38,0 25,2 40,8 21,5Afrique du Nord 9,911,9 18,7 9,6 17,8 10,6Algérie 8,010,6 13,5 10,2 16,5 6,9Maroc 4,74,9 5,8 5,5 6,4 4,0Tunisie 6,06,4 5,5 7,9 6,6 6,2Afrique du Sud 3,82,8 1,1 3,1 1,1 2,9Amérique 3,94,4 3,2 3,7 4,8 2,7Proche-Orient et Turquie 3,34,6 5,5 3,7 6,3 3,7Asie Sourc e : Enquête PRI, Cnav, 2003.

Les dimensions familiales et communautaires du réseau social

? Conclusion

50Dans cet article, nous nous sommes intéressés aux liens forts qui composent le réseau social des personnes nées hors de France. Il s’agit là d’une facette particulière de la sociabilité, qui ne doit pas faire oublier ses autres dimensions sous forme de l’entraide réelle ou bien encore de la solidarité mobilisable en cas de besoin. Ce réseau de liens forts est décrit à partir de l’enquête PRI sur les personnes nées hors de France et vivant en France en 2003. Les différents résultats de notre étude empirique peuvent être interprétés à plusieurs niveaux.

51À un niveau général et indépendamment des spécificités identitaires des populations étudiées, ce travail apporte une vision de la variabilité des réseaux primaires en fonction de la vie familiale et des caractéristiques des individus. Nos résultats illustrent de façon frappante le vieil adage « dis-moi qui tu fréquentes et je te dirai qui tu es ». Les femmes se lient aux femmes et les hommes aux hommes, les unes et les autres choisissent leurs très proches dans leur tranche d’âge et leur milieu social. Les classes populaires font preuve d’un plus grand familialisme, avec une sociabilité moins large et plus centrée sur la famille que celle des classes plus élevées dans la hiérarchie sociale. Il faut souligner par ailleurs la part importante des frères et sœurs dans ces liens affinitaires, les immigrés appartenant plus souvent à des « grandes familles » que les autochtones. Enfin, si la taille des réseaux d’intimes apparaît assez faible, elle est comparable ou à peine inférieure, compte tenu des différences de techniques d’enquête, à celle que de précédentes études avaient révélée dans des populations non sujettes à la migration. Ainsi, tant par la taille que par la structure familialiste et homophile des réseaux, les résultats obtenus ne semblent pas différents de ceux de la population générale.

52La spécificité de la population étudiée tient à la composition ethnique des réseaux qui s’avère fortement liée aux processus migratoires, que cesoit dans la perspective des biographies individuelles (histoires migratoires) ou dans celle des processus d’intégration. La forte proportion parmi les intimes, apparentés ou non, de personnes originaires du même pays est remarquable. La plus ou moins grande ouverture des réseaux aux natifs français indique le degré de perméabilité des individus à la société d’installation. Elle témoigne du niveau d’intégration. Le fait que cette variable soit corrélée avec l’acquisition de la citoyenneté française, l’âge d’arrivée et la durée de séjour en France, confirme cette interprétation. L’origine géographique est fort discriminante à cet égard, la sociabilité de type communautaire étant plus fréquente dans certains groupes que dans d’autres, notamment parmi les originaires d’Afrique et de Turquie. Quelles que soient les identités ethniques, les caractéristiques sociologiques continuent d’exercer une différenciation dans la composition des réseaux, au sein de chaque groupe, et influencent leur plus ou moins grande perméabilité à la société française. Le poids des variables individuelles de sexe, d’âge, de niveau social et de situation familiale dans la composition du réseau subsiste au-delà des différences ethniques et au-delà même de la forte tendance à l’homophilie des relations affinitaires, qui correspond à des mécanismes psychologiques universels. Il n’en reste pas moins que la variable ethnique demeure significative dans tous les cas. On peut y voir le signe de la « société de l’entre-soi » que décrit Éric Maurin (2004), marquée par une « ghettoïsation » croissante. Mais c’est aussi l’expression d’une tendance propre à toute première génération d’immigrés qui tend à reconstruire dans son intimité un peu de son passé et de la culture de ses racines.

Notes

  • [1]
    Cette expression rend mal celle de middle age anglais. Il n’y a en effet pas de terme français qui lui soit équivalent pour désigner la phase du milieu de la vie, commençant autour de la cinquantaine et s’étendant à l’âge de la retraite, si ce n’est le terme contesté de « senior ».
  • [2]
    Notre enquête porte sur une population relativement jeune, de moins de 70 ans, si bien qu’elle se distingue de l’analyse du support social orienté vers les personnes en risque de perte d’autonomie. Néanmoins, elle ne saurait ignorer l’évolution de la sociabilité et de la structure des réseaux à mesure du vieillissement.
  • [3]
    Définir la notion d’immigré suppose de définir par opposition celle de non immigré. Le terme « français » est insuffisant, car un individu peut être à la fois français et immigré. L’expression « français de souche » est controversée pour son usage, idéologiquement marqué, tandis que « français d’origine » est imprécis et peut aussi évoquer les descendants d’émigrants français à l’étranger. Le terme exact, « indigène », est à son tour associé à un sens péjoratif, mais en direction inverse, car il a été principalement appliqué aux populations colonisées, ce qui est un dévoiement de sens. Comme souvent quand l’on traite de sujets sensibles, et en particulier sur le thème de l’immigration, le vocabulaire lui-même devient un champ de bataille idéologique, privant les sciences sociales de leurs outils de base.
  • [4]
    Pour les détails de cette enquête, se reporter à l’article p. 12-47 dans ce volume.
  • [5]
    En pratique, cette taille maximale de huit liens forts ne s’est pas avérée trop contraignante. D’après les données, on trouve seulement soixante personnes indiquant six liens forts, vingt-trois en indiquant sept et cinquante en indiquant huit.
  • [6]
    Est-ce dû à la moindre densité des relations sociales des femmes ou à la dissymétrie des relations dans le couple ? Cette question reste ouverte.
  • [7]
    L’adjectif « ethnique » désigne ici le lien à une société, un État-nation ou une communauté, dans une acception large de l’ethnicité. Ainsi, dans la suite de ce texte, on utilisera indifféremment (et de façon équivalente) les expressions « origine géographique » et « origine ethnique ».
  • [8]
    Par « Orient », nous entendons les pays du Proche-Orient et la Turquie.
  • [9]
    Le revenu étant ici mesuré au niveau du ménage, on aurait pu au contraire s’attendre à une relation inverse car celui-ci doit être relativement plus grand à mesure que le nombre d’adultes dans le ménage augmente. Dans ce cas, les membres du ménage pourraient suffire à constituer le réseau de liens forts. Mais, comme nous l’avons vérifié précédemment, la taille du ménage (pour significative qu’elle soit) ne modifie que peu la taille du réseau.
  • [10]
    Celle-ci est donnée par la différence entre l’âge et l’âge d’entrée en France.
  • [11]
    Cela permet de contrôler le fait que certains enquêtés contribuent davantage que d’autres aux statistiques d’ensemble en ce sens qu’ils déclarent davantage de membres dans leur réseau social. Puisque la taille est hétérogène suivant les ménages, l’homogénéité vraisemblable dans la composition du réseau vient perturber les statistiques descriptives obtenues à partir des 8226 observations. Néanmoins, le tableau 3 révèle que les deux distributions suivant les caractéristiques (par membre du réseau ou par enquêté) ne sont pas trop différentes l’une de l’autre.
  • [12]
    Ces six pays sont l’Espagne, l’Italie, le Portugal, l’Algérie, le Maroc et la Tunisie.
  • [13]
    Pour les personnes nées en Algérie, le réseau compte aussi 4% de Marocains et 2% de Tunisiens.
  • [14]
    La proportion de membres du réseau situés à plus de cinq cents kilomètres est de 15% pour ceux entrés après 30 ans en France, alors que ce taux est inférieur à 10% pour les âges d’entrée moins élevés.
  • [15]
    On observe que les plus vieux citent davantage les ouvriers, les plus jeunes davantage les employés, ce qui traduit assurément l’évolution de la structure des professions et de l’immigration dans le temps.
  • [16]
    Il y aurait alors près d’un tiers correspondant à des liens de parenté qui ne sont pas originaires du même pays, ce qui découle de l’hétérogamie de l’enquêté ou d’autres membres de sa famille.
Français

Cet article porte sur un aspect de la sociabilité des personnes immigrées, les liens personnels extérieurs au ménage, incluant parents ou amis, pouvant jouer un rôle de confident. Nouer des liens forts en dehors des membres du ménage est un signe d’intégration sociale, et inclure parmi ces proches des autochtones peut s’interpréter comme favorisant l’intégration à la société française. Cette étude est menée à partir des résultats de l’enquête sur le Passage à la retraite des immigrés (PRI) réalisée en 2003, auprès d’un échantillon national d’immigrés âgés de 45 à 70 ans. Les résultats font apparaître l’existence d’un tel réseau pour un peu plus des deux tiers des enquêtés. La taille de ces réseaux est, en moyenne, relativement restreinte. La forte tendance à l’homophilie se confirme sur tous les points, les personnes citées étant le plus souvent du même sexe que l’enquêté, de la même catégorie professionnelle, habitant à proximité et, de façon plus ou moins prononcée selon l’origine et la nationalité de l’enquêté, du même pays d’origine. La participation des autochtones à ces réseaux est plus significative parmi les immigrés arrivés jeunes en France, ayant acquis la nationalité française et originaires de pays européens.

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Claudine Attias-donfut
Cnav;
François-Charles WOLFF
Université de Nantes
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2007
https://doi.org/10.3917/rs.044.0049
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