? Vieillesse illégitime ou retraite intégrée ?
1L’immigration a longtemps été associée au travail et l’immigré confondu avec l’image de l’homme jeune en quête d’emploi. Ces représentations sont désormais contredites par le développement de l’immigration féminine et par l’évidence du vieillissement des immigrés dont le rythme s’est accru au cours des dernières décennies. Le recensement de 1999 a fait apparaître en effet un net vieillissement de la population immigrée en France, dont l’âge moyen est passé en dix ans de 43,7 ans à 45,9 ans. Le nombre des moins de 20 ans a diminué de 22 % et celui des 40 ans et plus a augmenté davantage que dans le reste de la population (Glaude, Borrel, 2002). Ce vieillissement a été accéléré par l’arrivée à l’âge de la retraite de la grande vague d’immigration des années soixante, la plus importante de l’histoire migratoire en France (Blanc-Chaléard, 2001), dont une grande partie y est demeurée. Dans quelles conditions, objectives et subjectives, les immigrés vivent-ils leur retraite ? Comment celle-ci se situe-t-elle dans le processus d’intégration ? L’objet de ce travail est d’apporter des éléments de réponse à ces questions, en étudiant les modes de vie et les formes d’intégration des retraités immigrés et leur double rapport au pays d’origine et à la France.
2Au temps de la retraite, l’expérience migratoire a déjà une longue histoire, marquée par des changements au fil des années, comme en témoignent les récits de vie de migrants dont l’histoire célèbre du paysan polonais en Amérique (Thomas, Znaniecki, 1918) est emblématique. L’expérience migratoire est en effet évolutive; elle se transforme au cours du temps et continue de façonner la vie des migrants pendant des années et à travers les générations. Dans sa dimension imaginaire et symbolique, le processus migratoire se déploie comme « phénomène de longue durée », se constituant dans une « topographie multidimensionnelle » (Bahloul, 2000). Et nombreux sont les immigrants qui conservent des activités et des engagements qui les relient à des personnes et à des lieux extérieurs aux frontières de l’État-nation dans lequel ils résident.
3Mais la retraite ne sonnerait-elle pas le glas de l’« imaginaire du retour » ? C’est la thèse d’Abdelmalek Sayad, selon qui vieillir en terre d’immigration signifie la fin de « l’illusion du provisoire » et de celle du retour au pays. La retraite, en ce qu’elle a de « définitif », ferait éclater les contradictions d’une immigration que ne justifie plus « l’alibi du travail ». Sayad interprète le non-retour comme une double rupture, avec la communauté d’origine et avec la communauté des émigrés qui sont repartis. Les immigrés vivant leur retraite en France ressentiraient « […] sur le tard, de manière très vive, leur isolement, c’est-à-dire, sur le fond, l’effet de la double exclusion qui les frappe (et que souvent ils avaient recherchée) » (Sayad, 1986).
4La vision d’une vieillesse, d’une certaine façon illégitime en pays d’immigration, développée par Sayad dans les années quatre-vingt, est reprise dans des écrits récents : « L’immigré qui a perdu son travail s’éloigne par là-même de ses compatriotes. Ses racines affectives plongent toujours dans son pays, où, pourtant, il ne reviendra pas. Il se sent en quelque sorte doublement marginalisé (ici et là-bas)» (Témime, 2001). L’auteur décrit cette situation comme « marginalisation durable », « mal incurable ».
5La représentation pessimiste d’une retraite assimilée à une « mort sociale » a longtemps prévalu (Guillemard, 1972). Elle n’a plus guère d’échos à notre époque, les conditions de retraite s’étant considérablement améliorées à bien des égards. Celle d’une retraite doublement mortifère pour les immigrés résiste-t-elle à l’épreuve des faits ?
6Qu’est-ce qui justifie l’interrogation sur la « légitimité » à la fois pour l’immigré, pour ses proches et pour l’environnement social, de vieillir au pays d’immigration ? Poser cette question est en contradiction avec la signification de la retraite comme salaire différé, un droit acquis par une vie de travail. C’est aussi méconnaître le puissant pouvoir intégrateur des retraites, dont témoigne leur histoire et celle des conquêtes sociales. En Allemagne, les premières retraites ont été créées par Bismarck, à la fin du XIXe siècle, pour pacifier et rallier les classes ouvrières dans le cadre de la construction de l’unité allemande. Et dans les Antilles françaises, l’effet assimilateur des retraites et de la protection sociale a bien été perçu par les mouvements autonomistes ou indépendantistes qui se sont montrés, sinon réticents, du moins ambivalents à l’égard des revendications sociales (Attias-Donfut, Lapierre, 1997). Comme toute forme de protection sociale et plus encore que les autres, les retraites constituent une propriété collective; elles englobent leurs ressortissants dans un « nous » identitaire et remplissent une fonction d’intégration et d’unification nationale (Noiriel, 1992).
7Nous formulons l’hypothèse d’une « vieillesse intégrée » des immigrés en France, aux antipodes de l’idée d’une « vieillesse illégitime », la retraite exerçant une action d’intégration nationale. Pour tester cette hypothèse, nous analysons ici les conditions de vie des immigrés retraités, notamment leur niveau de vie et la façon dont ils occupent et perçoivent leur retraite. Leur positionnement par rapport à la France et à leur pays d’origine, les liens qu’ils entretiennent ici et là, ainsi que quelques indicateurs d’intégration complètent ce tableau de la situation des immigrés en France.
8Cette analyse s’appuie sur les résultats d’une récente enquête [1], la première du genre étendue aux retraités immigrés, dont la méthode et les objectifs sont présentés dans l’encadré.
9L’observation des données objectives fournies par l’enquête est un préalable à l’étude des appréciations subjectives que les immigrés portent sur leur situation actuelle et à l’analyse de leurs projets. Pour obéir à cette logique, notre article présentera d’abord très succinctement leurs caractéristiques sociodémographiques (âge, sexe, situation de famille), les conditions dans lesquelles ils sont partis en retraite et les changements que celle-ci a introduits dans leur façon de vivre. Nous considèrerons ensuite la manière dont les immigrés évaluent et ressentent leurs rapports à la France et à leur pays d’origine.
? Caractéristiques sociodémographiques des retraités
10Parmi les immigrés de 45 à 70 ans, 20,6 % sont à la retraite, c’est-à-dire qu’ils perçoivent une pension de retraite de quelque nature qu’elle soit, ce qui exclut les inactifs(ves), y compris parmi les conjoint(e)s de retraité(e)s. Cette proportion varie selon les régions d’origine et elle est plus importante parmi les Européens puisque c’est parmi eux qu’on trouve le taux le plus élevé des 55 ans et plus. Les structures d’âge selon les pays d’origine reflètent les successions dans le temps des vagues d’immigration, des plus anciennes venues d’Europe aux plus récentes venues d’Afrique ou d’Asie (cf. tableau1, p. 16). Plus de la moitié des retraités (58,7 %) vivent en France depuis plus de trente ans (21 % depuis plus de quarante ans).
Présentation de l’enquête
L’enquête sur le vieillissement et le passage à la retraite des immigrés en France (PRI), a été menée entre novembre 2002 et février 2003 sur une population immigrée de 45 à 70 ans, résidant en France, définie par le lieu de naissance (hors de France) et la nationalité de naissance (non française), ce qui n’exclut pas les Français par acquisition de la nationalité mais exclut les Français nés à l’étranger. Cette enquête, qui avait pour objectif principal d’étudier les processus de passage de la vie active à la retraite des immigrés, en reconstitue aussi les parcours de vie, migratoire, professionnel et familial, et traite de leurs projets de retraite et de leur vie pendant la retraite.
Cette enquête a été réalisée dans les douze régions de la France métropolitaine qui regroupent 90% de la totalité de la population cible. L’échantillon a été obtenu par sondage aléatoire réalisé par l’Insee à partir du recensement de la population de 1999; 12000 « fiches adresses » ont été tirées. La collecte a été réalisée par les enquêteurs de l’Insee, en entretien face-à-face d’une durée moyenne d’une heure et demie, avec un questionnaire sur un micro-ordinateur portable (Capi). L’échantillon final est constitué de 6211 personnes vivant en ménage ordinaire.
L’enquête apporte des informations sur les caractéristiques sociodémographiques et économiques de l’enquêté, son histoire migratoire, son entourage familial et son réseau social ainsi que sur les aides et les transferts économiques dont il est le centre. Sont également traités le passage à la retraite et les projets de retraite qui incluent les intentions de maintien, de retour, de « va-et-vient » entre la France et le pays d’origine. Enfin, sont étudiés les attitudes et opinions sur la retraite, le rapport à la famille, à la religion, à la société d’accueil et au pays d’origine.
Le choix d’interroger les immigrés venant de tous pays pose la question de la pertinence de la notion d’« immigré ». Prise dans son sens strictement démographique, elle recouvre une grande diversité de situations selon les pays d’origine, la catégorie sociale et le niveau d’éducation, du plus bas au plus élevé. Les immigrés représentent une grande partie de la planète et une pluralité de métiers. Qu’y a-t-il donc de commun sous ce vocable qui justifie de les englober dans un seul ensemble à étudier ? C’est sans doute cette diversité même qu’il convient de prendre en compte pour en restituer la richesse, masquée par la représentation uniformisante, fréquemment associée au terme d’immigré. Ils ont cependant en commun la rupture introduite dans le cours de la vie par la migration et ses aléas. Signe de notre époque, la mobilité internationale se fait dans une temporalité nouvelle, les nouvelles technologies de communication et d’information raccourcissant l’espace et le temps des migrations.
Il est clair que seuls les pays les plus représentés pourront faire l’objet d’une étude spécifique, ce que nous permet la taille de l’échantillon pour les immigrés originaires des trois pays du sud de l’Europe (Espagne, Italie et Portugal) et du nord de l’Afrique (Algérie, Maroc et Tunisie).
La Turquie qui, parmi les autres pays, a le plus grand nombre de représentants peut, pour certains traitements globaux, être aussi distinguée. Les autres pays seront donc regroupés par grandes zones géographiques. Les migrants originaires d’Europe, qui sont encore les plus nombreux dans les tranches d’âge considérées par l’enquête, seront différenciés selon qu’ils sont originaires du nord (ex-Union des Quinze) ou des autres pays européens (majoritairement ceux de l’est).
Le choix des 45-70 ans cible la phase de vie de la maturité et du passage à la retraite. Il permet d’étudier des cohortes issues de vagues migratoires avec des profils et des provenances spécifiques à une période précise de l’histoire récente des migrations. Pour concentrer dans l’échantillon un nombre optimum de migrants correspondant aux flux les plus significatifs, il a fallu tenir compte des structures par âge des différents groupes de pays. L’âge de 45 ans permet d’inclure des ressortissants d’Afrique noire et du Maghreb, dont la structure d’âge est plus jeune que celle des Européens de migration plus ancienne. Au niveau supérieur de la tranche d’âge, celui de 70 ans est un seuil au-delà duquel un échantillon d’immigrés aurait été très déséquilibré, avec une très faible minorité de représentants de pays d’Afrique et d’Asie et une très grande majorité d’Italiens et d’Espagnols. Le nombre de personnes de plus de 70 ans parmi la plupart des groupes d’immigrés est en effet encore faible.
11L’analyse qui suit porte principalement sur ces migrants retraités de 70 ans et moins, composés d’une majorité d’hommes (67,1 % de retraités contre 32,9% de retraitées). Une telle dissymétrie des sexes est due au fait que beaucoup de femmes âgées de 55 à 70 ans n’ont jamais travaillé et ne sont donc pas comptées parmi les retraitées. Hommes et femmes ont cependant la même structure d’âge. Parmi les femmes retraitées, on relève un nombre important de veuves (25,8 %), de divorcées (14,7 %) et peu de célibataires (2,4%). Les femmes mariées ne sont que 56 %, alors que 86% des hommes retraités sont mariés, et 42,6% de l’ensemble des retraités ont un conjoint lui-même retraité (cf. tableaux 2 à 4).
12Le nombre moyen d’enfants des retraités immigrés est élevé, de l’ordre de 3,2, un tiers des migrants retraités ayant 4 enfants et plus, seuls 8% n’ayant pas d’enfant (cf. tableau 5, p. 18).
Les migrants retraités selon la région d’origine

Les migrants retraités selon la région d’origine
Répartition des retraités selon l’âge et le sexe

Répartition des retraités selon l’âge et le sexe
Femmes retraitées selon l’âge et le statut matrimonial

Femmes retraitées selon l’âge et le statut matrimonial
Hommes retraités selon l’âge et le statut matrimonial

Hommes retraités selon l’âge et le statut matrimonial
Nombre d’enfants des immigrés retraités

Nombre d’enfants des immigrés retraités
? Conditions de départ à la retraite
13L’âge auquel les immigrés ont pris leur retraite varie selon les catégories socioprofessionnelles. La retraite précoce, avant 60 ans, concerne plus souvent les employés, cadres et professions intellectuelles (supérieures ou intermédiaires) que les indépendants, artisans, commerçants ou agriculteurs, ce qui correspond à ce que l’on observe régulièrement par ailleurs (Martin-Houssart, Roth, 2002). Mais les ouvriers prennent leur retraite un peu plus tard que les autres salariés (employés, cadres et professions intermédiaires), ce qui est cette fois contraire aux tendances observées dans la population générale (Martin-Houssart, Roth, 2002). Comme il apparaît plus loin, l’âge de liquidation de la retraite est tributaire du nombre d’années travaillées, les périodes d’interruptions de travail, dans le passé, entraînant un report de l’âge de la liquidation des droits. À cet égard, les différences entre les immigrés d’origines distinctes reflètent en grande partie la singularité de leurs compositions socioprofessionnelles.
14Au moment de leur demande de retraite, la moitié des personnes avait déjà cessé de travailler, souvent depuis plusieurs années : elles étaient en préretraite, au chômage, en longue maladie ou connaissaient une autre forme d’inactivité (cf. tableau 6).
Statut d’activité au moment du passage à la retraite

Statut d’activité au moment du passage à la retraite
15Évalués ainsi rétrospectivement à partir des témoignages des immigrés retraités, ces taux d’inactivité au moment de la retraite ont été inférieurs à ceux de la population générale. Les statistiques de la Cnav indiquent à ce sujet, depuis plus d’une décennie, un taux bien plus important d’inactifs parmi les demandeurs de retraite. En 1990,60,3% des hommes et 70 % des femmes ne travaillaient plus au moment de liquider leurs droits (Tourne, 1992). Ces taux se sont maintenus dans des proportions comparables jusqu’à présent. Cela confirme la tendance mise en évidence dans la comparaison entre les processus de passage à la retraite des immigrés de 55 à 65 ans et ceux de la population générale de même âge. Les premiers ont un taux d’activité [2] plus élevé (51,1% contre 37,2 % dans la population générale de même âge). Quant au taux d’emploi [3], il est de 39,7 % parmi les migrants de 55 à 65 ans contre 34 % pour la population générale. Il est clair que le taux de chômage des immigrés âgés est lui aussi plus important que dans la population générale mais, pourtant, il n’annule pas leur plus fort taux d’activité.
16L’inactivité avant la retraite (préretraités, chômeurs ou autres inactifs) varie fortement selon les sexes. Ainsi, 19,5% des hommes étaient déjà en préretraite au moment de la liquidation de leur retraite tandis que les femmes, plus nombreuses à connaître une « autre forme d’inactivité » (21%), se trouvaient plus rarement dans cette situation (6,1%). L’inactivité varie aussi selon les catégories socioprofessionnelles (cf. tableau 7, p. 20). Elle est la plus importante parmi les ouvriers (57,9%), et diminue avec l’élévation du statut : 44,9% parmi les employés et 43,2% chez les cadres et professions intellectuelles supérieures ou intermédiaires. Les agriculteurs, artisans et commerçants passent beaucoup plus souvent directement de l’activité à la retraite (respectivement 85,8% et 73,8%).
Statut d’activité au passage à la retraite selon les catégories professionnelles

Statut d’activité au passage à la retraite selon les catégories professionnelles
17La cessation d’activité préalable à la retraite a affecté différemment les secteurs professionnels. Les questions portant sur l’appartenance, à un moment de la carrière, à l’un ou à l’autre des différents régimes de Sécurité sociale, permettent d’identifier quelques secteurs professionnels. Rappelons toutefois que ces données sont indicatives et ne préjugent pas la fréquence d’appartenance à plusieurs régimes.
18Le tableau 8 fait apparaître que ceux qui ont appartenu à la fonction publique sont, sans surprise, les plus nombreux à avoir été en activité au moment de la retraite, soit 78,2%. Les affiliés à la Cancava (artisans) étaient pour près des deux tiers au travail (62,8%), les ressortissants de l’Organic (commerçants) l’étaient à 58,5%, tandis que ceux du régime des mineurs n’étaient que 42,5 % dans cette situation. La grande majorité des retraités (89%) a fait partie du régime général et, parmi eux, 47,4% étaient en activité au moment de la retraite, ce qui reste supérieur aux taux que l’on observe pour l’ensemble des ressortissants du régime général (en 1990, ces taux s’élevaient respectivement à 39,7% pour les hommes et à 30% pour les femmes).
Part des actifs employés au moment de la retraite selon les régimes déclarés

Part des actifs employés au moment de la retraite selon les régimes déclarés
19La durée d’inactivité au moment de la liquidation de la retraite était supérieure à cinq ans pour près de la moitié des hommes et les deux tiers des femmes, et inférieure à dix ans pour les trois quarts des retraités inactifs à cette date (cf. tableau 9). La durée de la phase transitoire d’inactivité augmente très sensiblement avec l’âge de la liquidation : 46 % de ceux qui ont liquidé leur retraite à 65 ans et plus étaient inactifs depuis cinq à neuf ans, tandis ceux qui ont pris leur retraite avant 60 ans l’étaient plus souvent depuis moins de quatre ans. Tous âges de liquidation confondus, les femmes sont plus nombreuses (38,1%) que les hommes (18,3 %) à avoir cessé de travailler depuis au moins dix ans, souvent pour des raisons familiales ou personnelles. Pour les hommes, cette situation est surtout la conséquence d’accidents du travail ou de maladies invalidantes. En effet, 52,1% des hommes retraités déclarent avoir souffert au cours de leur carrière d’une maladie professionnelle ou avoir été victimes d’un accident du travail; 19,9% des femmes retraitées étant dans ce cas.
Durée d’inactivité avant la retraite selon le sexe

Durée d’inactivité avant la retraite selon le sexe
? Appréciation par les retraités de la date à laquelle ils ont pris leur retraite
20Les résultats précédents nous amènent à porter un regard nuancé sur l’âge de prise de la retraite qui ne se confond pas avec l’âge de fin d’activité. En conséquence, les appréciations portées sur la date de prise de retraite ont des significations différentes selon que celle-ci marque l’arrêt de l’activité ou la fin d’une forme transitoire d’inactivité assortie d’allocations spécifiques de chômage, de préretraite ou d’inaptitude.
21On a demandé aux retraités s’ils pensaient avoir pris leur retraite au moment souhaité par eux ou, au contraire, trop tôt ou trop tard. Les réponses révèlent (cf. tableau 10) que la grande majorité des retraités (64,2 %) estiment avoir pris leur retraite à la date qu’ils souhaitaient. La proportion de satisfaits est la plus importante parmi ceux qui sont passés directement de l’activité à la retraite (70,3 %), tandis que ceux qui sont passés par une période transitoire d’inactivité auraient désiré liquider leurs droits plus tard, ce qui vaut surtout pour ceux qui étaient en longue maladie (42,3%) ou en situation de préretraite (30,1%). Cela est certainement dû au montant plus avantageux de certaines allocations de préretraite, d’invalidité ou de chômage par rapport à celui de la pension de retraite. Au contraire, seule une minorité aurait voulu partir plus tôt à la retraite, y compris parmi les personnes en activité.
Appréciation de la date de retraite selon le statut d’activité au moment de la retraite

Appréciation de la date de retraite selon le statut d’activité au moment de la retraite
22Les retraités qui ont connu des périodes de travail clandestin ont été obligés d’attendre plus longtemps pour liquider leur retraite afin de ne pas subir l’abattement consécutif à une insuffisance d’annuités. L’importance de ce travail souterrain a été évaluée à l’aide de la question suivante : « Vous est-il arrivé de travailler en France sans Sécurité sociale ?» 15,3% des retraités ont répondu par l’affirmative, les femmes plus souvent que les hommes (23,1 % au lieu de 11,2 %). Ils ont eu une carrière professionnelle plus discontinue, 25,8 % attestant de fréquentes périodes d’interruption (contre 12%). Enfin, un quart de ceux qui ont travaillé « au noir » auraient souhaité prendre leur retraite plus tôt, contre un sur dix de ceux qui n’ont jamais été employés illégalement.
23Le jugement sur le déroulement de leur parcours professionnel est lié à l’appréciation que donnent les migrants du moment de leur départ. Ceux qui font le bilan d’une carrière en progression sont bien plus nombreux à considérer être partis au bon moment (67,6%) que ceux qui la jugent « irrégulière » (51,3%). Ils auraient aussi plus souvent souhaité partir plus tôt (24,8 % contre 10,1%).
24Les résultats présentés dans cette section montrent que, comparés aux Français d’origine, les immigrés âgés affichent un taux d’activité plus élevé et partent plus tardivement à la retraite, malgré un chômage plus important et une plus longue durée de précarité avant la retraite. Cela se vérifie également pour les ouvriers, bien que leur situation soit plus précaire que celle des autres catégories d’immigrés. Enfin, si les deux tiers estiment être partis au bon âge, celui qu’ils avaient désiré, près d’un quart auraient souhaité retarder l’âge de leur retraite, davantage pour prolonger la phase de transition (préretraite ou autre) qu’en raison de l’intérêt pour l’activité professionnelle proprement dite.
? Changements consécutifs à la retraite
? La baisse des revenus
25Un des changements majeurs, attendu ou redouté, provoqué par la retraite, est son incidence sur le niveau de revenu. Interrogés à ce sujet, 46,5 % des retraités estiment que leur niveau de vie a baissé depuis le passage à la retraite et près de 50 % trouvent qu’il n’a pas changé. Il reste 3,5 % pour lesquels il aurait augmenté. Au total donc, plus de la moitié des migrants considèrent que la retraite n’a pas entraîné de diminution de leur niveau de vie. Ces résultats sont surprenants à première vue, si l’on considère que le passage à la retraite se traduit en général par une baisse significative des revenus (Legris, Lollivier, 1996; Börsch-Supan, 1997). Ils paraissent pourtant corroborés par le tableau 11 (p. 24) qui met en parallèle le niveau de vie subjectif des retraités et des non-retraités : il en ressort des situations sensiblement du même ordre chez les uns et les autres (le test du Chi2 indique des différences non significatives).
26La comparaison étant effectuée à l’aide de données transversales, et non pas longitudinales, les résultats peuvent être affectés par des effets de génération, les actifs d’aujourd’hui n’ayant pas nécessairement le même niveau de vie que ceux d’hier.
Niveau de vie subjectif des retraités et des non-retraités

Niveau de vie subjectif des retraités et des non-retraités
27Plusieurs hypothèses peuvent contribuer à expliquer ce constat. En premier lieu, il est possible que joue un effet de sélection. En effet, on peut penser que ceux dont le niveau de vie à la retraite est le plus bas sont retournés au pays, ce qui semble effectivement plausible si l’on en juge par le plus faible niveau de pension moyen versé aux retraités résidant hors de France, attesté par les statistiques de la Cnav [4]. En second lieu, le niveau de vie subjectif est à la fois fonction du revenu et des besoins de consommation. Or, il est possible que les dépenses des retraités diminuent elles aussi progressivement au cours du temps, par exemple lorsqu’ils accèdent à la propriété (52,9% des retraités sont propriétaires non-accédants contre 30,9% parmi les non-retraités) ou lorsque les enfants quittent le domicile parental, si bien que le niveau de vie reste relativement stable en dépit d’une baisse des revenus (Delbès, Gaymu, 1999).
28Le revenu des immigrés et, plus précisément, la croissance de ce revenu avec la durée de la migration sont parfois considérés comme une variable indicative du degré d’intégration dans la société d’accueil (Lalonde, Topel, 1997). Nous avons reporté sur le tableau 12 les appréciations de niveau de vie subjectif données par les migrants selon la durée de leur séjour en France.
Niveau de vie subjectif selon la durée de la migration

Niveau de vie subjectif selon la durée de la migration
29On constate que les personnes qui déclarent le plus fréquemment des niveaux de vie élevés sont celles dont les durées de migration sont soit les plus courtes, soit les plus longues. Les durées de migration très courtes sont le fait de personnes venues en France dans le cadre d’opportunités de carrière, souvent de haut niveau ou pour y vivre leur retraite, ce qui implique généralement des ressources importantes. Parallèlement, ceux dont la durée de séjour en France est très longue ont eu davantage de chances d’accomplir une carrière professionnelle continue. Ce sont aussi ceux qui se déclarent le moins fréquemment pauvres ou très pauvres.
Évolution du niveau de vie à la retraite et niveau de vie subjectif

Évolution du niveau de vie à la retraite et niveau de vie subjectif
30Le tableau 13 montre que la perception du niveau de vie subjectif est corrélée avec le sentiment d’évolution du niveau de vie à la retraite : plus un migrant estime être pauvre, plus la probabilité qu’il déclare un niveau de vie réduit après le passage à la retraite est élevée. Cela s’explique probablement par la composition des revenus selon le niveau de vie. Ceux qui déclarent un niveau de vie élevé possèdent sans doute d’autres sources de revenus que les seuls revenus salariaux.
31Le tableau 14 décrit la perception du changement de niveau de vie lors du passage à la retraite selon la composition des revenus du foyer.
Évolution du niveau de vie à la retraite et revenus du foyer

Évolution du niveau de vie à la retraite et revenus du foyer
32Comme on pouvait s’y attendre, ce tableau atteste que les personnes possédant d’autres sources de revenus que les revenus d’activité (revenus fonciers ou financiers) sont celles pour lesquelles le passage à la retraite entraîne le moins souvent une réduction du niveau de vie. 36% des personnes qui perçoivent des loyers ou des fermages (contre 50,9% qui n’en perçoivent pas) estiment que ce passage a entraîné une baisse de leur niveau de vie. Par ailleurs, 63,9% des migrants qui perçoivent des allocations logement déclarent être dans ce cas, contre 47,2% de ceux qui n’en bénéficient pas.
33Enfin, soulignons que près de 7% des migrants retraités, âgés de 70 ans et moins, perçoivent le minimum vieillesse (cf. tableau 15). À titre de comparaison, en 1998, le minimum vieillesse était versé à 2% des personnes de la population générale de 60 à 64 ans et à 4% de celles qui avaient entre 65 et 69 ans (Cöeffic, 2000).
Retraites perçues

Retraites perçues
? Évolution déclarée de la pratique des activités de loisirs
34La retraite est aussi et surtout un temps « libéré du travail », favorisant le développement des activités de loisirs et autres activités non marchandes. Le suivi longitudinal est certes la méthode la plus rigoureuse pour évaluer les changements des pratiques au passage à la retraite, plus fiable que les données rétrospectives recueillies auprès des retraités. Cependant, les résultats de différentes enquêtes, longitudinales ou transversales, montrent une même tendance générale : « l’effet retraite » se traduit par une augmentation sensible des activités de loisirs et de la participation aux associations, au début de la retraite, et l’effet contraire, imputable au vieillissement, conduit à leur baisse progressive au fil du temps (Attias-Donfut, Renaut, Rozenkier, 1989 ; Delbès, Gaymu, 2004).
35Dans notre enquête, les personnes interrogées ont été invitées à comparer, pour une liste donnée d’activités, leur pratique avant et après la retraite. Ces données rétrospectives comportent bien sûr une part importante de subjectivité dans l’évaluation du « plus », du « moins » ou du « mêm e ». Il convient donc de les interpréter dans ce sens, comme un regard porté par des individus sur leur retraite et un engagement personnel, plus ou moins fort, dans certains domaines de leur vie quotidienne.
Évolution de la pratique des activités

Évolution de la pratique des activités
36Les résultats présentés dans le graphique 1 (les statistiques par sexe sont données dans le tableau 16) montrent clairement un « effet retraite » ressenti par les enquêtés qui va davantage dans le sens d’une progression que d’une régression de toutes les activités; mais, dans certains cas, la continuité domine.
37Phénomène bien connu, la consommation des médias, journaux, télévision, augmente à la retraite pour la grande majorité des hommes et des femmes. Ce qui est moins habituel, c’est l’importance de l’accroissement du temps consacré à la famille, cité aussi par une forte majorité des deux sexes. Viennent ensuite les travaux manuels, incluant des occupations domestiques, qui suscitent sans surprise un surcroît d’intérêt à la retraite, avant même les voyages et les vacances qu’un enquêté sur trois déclare pratiquer « plus » depuis sa retraite.
Évolution de la pratique des activités

Évolution de la pratique des activités
38Les activités culturelles et associatives sont bien moins populaires, plus de deux sur trois ne s’y adonnant pas du tout. Pour les premières, c’est la continuité qui domine, mais les secondes paraissent plutôt en progression à la retraite et même un peu plus chez les femmes (18% en pratiquent davantage) que chez les hommes (16,5%).
39Peut-on dire que les immigrés auraient plutôt tendance à vivre une retraite « active »? Pour répondre à cette question, nous avons construit un indicateur d’engagement dans les activités à partir de la combinaison des réponses sur l’ensemble de la liste. L’engagement est défini comme « fort » pour ceux qui déclarent participer au moins à trois des activités citées. Il est « faible » dans le cas contraire. Le graphique 2 (p. 30) – et le tableau 17 (p. 31) – montre que plus de la moitié se situe dans un engagement fort, mais avec des inégalités selon les pays d’origine. Parmi les originaires du Maghreb, ce taux varie de 43 à 47 %, alors qu’il s’élève à 63 % chez les Italiens.
Pourcentage des retraités « actifs » selon le pays d’origine

Pourcentage des retraités « actifs » selon le pays d’origine
40Les caractéristiques sociales jouent fortement, confirmant les résultats de précédents travaux : le niveau de vie, le niveau d’éducation et l’état de santé déterminent le degré d’engagement des retraités dans une retraite active, de même que le fait de vivre en couple (Paillat et al., 1989). Enfin, la retraite représente une plus grande rupture pour les femmes qui mettent à profit ce nouveau temps libre pour développer leurs activités de loisirs et leur participation sociale (cf. tableau 17).
Descriptif des populations selon le degré d’engagement

Descriptif des populations selon le degré d’engagement
? Regards sur la retraite
41Pour compléter ces données sur les changements des modes de vie à la retraite, une appréciation a été demandée aux enquêtés sur les avantages et les inconvénients de la retraite. Dans l’ensemble, les avantages prennent le pas sur les inconvénients : près de 23% ne trouvent aucun inconvénient à la retraite, 6,5% seulement ne lui trouvant aucun avantage (cf. graphiques 3 et 4).
Les avantages de la retraite

Les avantages de la retraite
42Le temps libre et le repos sont appréciés comme des avantages et recueillent près de la moitié des réponses. Si on y ajoute l’absence de contraintes horaires et l’absence de fatigue, ces quatre types d’avantages regroupent 67 % des réponses. Le faible taux de personnes signalant le manque d’occupations et l’ennui comme inconvénients de la retraite (cf. graphique 4), confirme la vision positive de la cessation d’activité. La fin du travail serait-elle donc ressentie comme une libération ? Le principal inconvénient de la retraite, cité par 28% des femmes et 31 % des hommes, est la baisse de revenus. Les problèmes liés à la vieillesse et à la maladie coïncident certes avec le temps de la retraite mais ils n’en découlent pas.
Les inconvénients de la retraite

Les inconvénients de la retraite
43Finalement, on peut regrouper les retraités en trois catégories (cf. tableau 18, p. 34) : une majorité (59 %) qui y trouve à la fois des avantages et des inconvénients, une forte minorité qui n’y voit que des avantages (27%) et une petite minorité pour qui la retraite ne présente que des inconvénients (13,4 %). Ces derniers se retrouvent surtout parmi ceux qui ont un mauvais état de santé (28%) et un bas niveau de vie (36%) tandis qu’à l’inverse, les « euphoriques » (ceux qui n’y voient que des avantages) sont 44% parmi ceux qui se disent en bonne santé et 39% parmi les personnes financièrement aisées. Les immigrés se différencient peu dans leurs appréciations de la retraite selon le pays d’origine : la vision négative est un peu plus fréquente parmi les Portugais (19%) que parmi les Marocains, Tunisiens et Italiens (11 %) et le nombre d’« euphoriques », plus élevé en Espagne qu’au Portugal (30% au lieu de 23%). Mais dans l’ensemble les écarts restent faibles et il apparaît que les immigrés, quel que soit leur pays d’origine, ont une perception plutôt positive de leur retraite.
Caractéristiques des retraités selon leur opinion sur la retraite

Caractéristiques des retraités selon leur opinion sur la retraite
? Rapport au pays d’origine et à la France
44Les retraités immigrés qui vivent en France se montrent globalement peu enclins à en partir un jour : seuls 1,7 % d’entre eux envisagent en effet cette possibilité. Quelle incidence cela a-t-il sur le rapport qu’ils entretiennent avec leur pays d’émigration ? Se montrent-ils nostalgiques ou particulièrement détachés du pays de leurs origines ?
? Nostalgie du pays d’origine
45La question « votre pays vous manque-t-il ? » (incluant quatre possibilités de réponse : « très souvent », « de temps en temps », « rarement » ou « jamais ») a permis d’apprécier les liens d’ordre affectif ou du moins très personnels qu’éprouvent les immigrés à l’égard de leur pays de naissance. Les retraités se révèlent en être les plus détachés. Seuls 7,4% disent qu’il leur manque « très souvent » alors que c’est le cas de 11,4 % des actifs occupés, 14,6 % des chômeurs et près de 18 % des femmes n’ayant jamais travaillé. La proportion des retraités qui répondent que leur pays d’origine ne leur manque jamais est de 37,5 %, soit environ dix points de plus que chez l’ensemble des migrants non retraités (cf.tableau19). Il est probable qu’un effet de sélection contribue à créer ces écarts. Une fois la période de vie active terminée, une partie des migrants les plus nostalgiques a pu retourner dans son pays de naissance [5].
La nostalgie du pays d’origine selon le statut d’activité

La nostalgie du pays d’origine selon le statut d’activité
46En regroupant les réponses « très souvent » et « assez souvent » d’une part, « plutôt rarement » et « jamais » d’autre part, il apparaît que 70% des migrants retraités en France ne semblent pas éprouver de nostalgie.
47Afin d’examiner plus précisément le sentiment des migrants, nous avons réalisé des estimations économétriques des déterminants de cette nostalgie. Pour cela, nous utilisons une variable dichotomique indiquant la présence ou l’absence de nostalgie. Nous supposons que les personnes nostalgiques sont celles qui répondent « très souvent » ou « souvent » à la question « votre pays vous manque-t-il ?». Les deux autres réponses possibles, « rarement » et « jamais », sont considérées comme témoignant d’une absence de nostalgie. La probabilité d’être nostalgique peut ainsi être caractérisée à l’aide d’un modèle probit binomial estimé par maximisation de la vraisemblance. Deux régressions sont réalisées, l’une pour l’ensemble des migrants, le fait d’être retraité figurant alors parmi les variables explicatives, et l’autre pour les seuls retraités.
48Les résultats de l’estimation des déterminants de la nostalgie pour l’ensemble des migrants sont reportés dans la seconde colonne du tableau 20. Il apparaît que cette nostalgie décroît significativement avec le niveau d’éducation et le niveau de vie estimé subjectivement [6]. De même, posséder la nationalité française et résider en France depuis plus de trente ans sont des facteurs qui contribuent à réduire la probabilité d’éprouver de la nostalgie, l’impact de cette dernière variable augmentant sensiblement au-delà de quarante années de résidence. L’âge et le sexe quant à eux n’ont pas d’effets significatifs. À l’inverse, le sentiment de nostalgie est plus répandu parmi les couples, les migrants qui s’estiment victimes de discriminations au sein de la société d’accueil et ceux qui ont des parents proches résidant à l’étranger. À ces différents facteurs, il faut ajouter le pays d’origine des migrants qui exerce un impact significatif sur la probabilité de ressentir de la nostalgie. Ce sont les migrants originaires de pays européens, et tout particulièrement ceux d’Europe du Nord, qui se montrent les moins enclins à la nostalgie. Les estimations du tableau20 révèlent par ailleurs une influence positive du comportement de transmigration sur la fréquence du sentiment de nostalgie. Mais, sur ce point, la relation de causalité n’est pas évidente à déterminer. Il est possible que les migrants qui choisissent la transmigration le fassent précisément par nostalgie. Enfin, il apparaît que la condition de retraité ne joue pas de rôle significatif sur la probabilité d’exprimer de la nostalgie à l’égard du pays natal. En d’autres termes, lorsque l’on contrôle les effets des principales variables socio-économiques, les retraités ne semblent pas davantage en rupture avec leur pays d’origine que ne le sont les migrants en âge d’activité [7].
Les déterminants de la nostalgie du pays d’origine

Les déterminants de la nostalgie du pays d’origine
49La troisième colonne du tableau 20 (p. 37) présente les estimations concernant les déterminants de la nostalgie pour les seuls migrants retraités. Plusieurs changements apparaissent en comparaison avec la régression précédente. Dans le cas des retraités, le niveau de vie subjectif, la durée de la migration et le fait d’être en couple n’ont pas d’effet significatif sur la fréquence du sentiment de nostalgie [8]. De même, bien que certains niveaux d’éducation exercent un impact inférieur au seuil de 10%, les effets sont peu différenciés. Les principaux déterminants de la nostalgie des migrants retraités sont les discriminations en France et surtout la région d’émigration. Sur ce dernier aspect, on retrouve les résultats précédents, les migrants venant de pays d’Europe étant moins enclins à exprimer de la nostalgie que les émigrants d’autres régions du monde. Enfin, la durée de la migration n’a cette fois pas d’influence significative. Mais il est possible que cette absence d’effet résulte d’une répartition inégale des retraités en fonction des durées de migration puisque près de 90% d’entre eux résident en France depuis plus de trente ans.
50La nostalgie éprouvée par les migrants retraités varie donc selon leurs caractéristiques individuelles, les pays d’origine et les conditions de la migration. Elle est aussi un peu plus prononcée parmi ceux qui ont ressenti de la discrimination à leur égard.
? Rapports à la France
51Plusieurs questions de l’enquête permettent de caractériser le rapport des immigrés à la France. Il s’agit notamment de celles qui portent sur le sentiment d’être l’objet de discrimination, de se sentir bien dans le pays d’accueil, sur la participation électorale, la demande de citoyenneté et le sentiment d’identité. Nous les examinerons successivement en faisant ressortir les différences éventuelles entre les retraités et les non-retraités.
52Le tableau 21 révèle que le sentiment d’être l’objet de discrimination est diffus mais présent : 5,8% des migrants déclarent l’avoir souvent éprouvé, 15,1% de temps en temps et 12,4% rarement. Peu de différences apparaissent à ce sujet entre les actifs et les retraités. Mais il existe de fortes disparités selon le pays d’origine. Les plus exposés sont les Africains : 40,8% des hommes et 27,5% des femmes l’ont ressenti souvent ou de temps en temps. C’est aussi le cas de 31,6% d’Algériens et 23,8% d’Algériennes, de 21,4% de Tunisiens et 26,6% de Tunisiennes, de 22,4% de Marocains et 28,9% de Marocaines, de 15,3 % des hommes asiatiques (qui sont toutefois les plus nombreux à dire que cela leur arrive rarement : 23,8%), et 20,9% des femmes asiatiques, de 18 % d’Italiens et 23 % d’Italiennes, de 14,8 % d’Espagnols et 21% d’Espagnoles et enfin de 11,1% de Portugais et 12% de Portugaises. Bien plus répandue chez les non-Européens, surtout parmi les Africains, l’impression d’être injustement traité en raison de son origine est donc un risque que rencontrent tous les immigrés, à des degrés variables. Dans l’ensemble, les femmes semblent y être plus exposées que les hommes, bien que l’on observe un schéma inverse dans certains groupes ethniques (Africains et Algériens par exemple).
«Depuis que vous êtes en France, vous est-il arrivé de ressentir l’impression d’être mal accepté(e) ou injustement traité(e) en raison de votre origine?»

«Depuis que vous êtes en France, vous est-il arrivé de ressentir l’impression d’être mal accepté(e) ou injustement traité(e) en raison de votre origine?»
53Si le sentiment d’être ou d’avoir été l’objet de discrimination est relativement répandu, cela n’empêche pas la grande majorité des enquêtés de déclarer « se sentir bien en France » (cf. tableau 22). Au total, 93,4 % l’affirment et 6,1 % donnent une réponse mitigée (plus ou moins). Les immigrés qui affirment ne pas se sentir bien en France sont donc moins de 1 % et il n’y a sur ce point guère de différence entre retraités et actifs.
«En général, vous sentez-vous bien en France?»

«En général, vous sentez-vous bien en France?»
54L’observation des raisons qui ont poussé les migrants à choisir de venir en France plutôt que d’aller dans un autre pays révèle une certaine spécificité des retraités (cf. tableau 23). Ceux-ci invoquent, plus souvent que les non-retraités, des motifs tels qu’une attirance pour la France, sa proximité géographique, se sentir Français ou le fait de venir d’une ancienne colonie française. Cela confirme que la population des retraités est quelque peu différente de celle des non-retraités dans son rapport initial au pays d’installation, que ce soit dû à un effet de génération ou à un effet de sélection de ceux qui retournent au pays.
«Pourquoi avoir choisi la France métropolitaine plutôt qu’un autre pays?»*

«Pourquoi avoir choisi la France métropolitaine plutôt qu’un autre pays?»*
55Parallèlement à l’examen des raisons d’émigration en France, on peut s’intéresser aux motifs déclarés par les retraités pour être demeurés dans le pays d’accueil. Les résultats montrent qu’ils étaient très peu (seulement 6,7 %) à avoir envisagé la question du retour au pays au moment de la cessation d’activité. Pour la plupart, rester en France allait de soi, ce qu’ils « légitiment » par deux principales raisons : y avoir des enfants ou de la famille (39,8%) et « se sentir bien en France » (24,4%). Le petit nombre de retraités qui s’étaient interrogés sur une éventuelle migration de retour est certes relatif à une population sélectionnée par le fait même qu’elle réside en France. Néanmoins, les projets de retour sont également rares parmi les non-retraités, qui ne sont que 7% à déclarer une telle intention [9]. Malgré les écarts prévisibles entre les intentions et les actions, on peut en conclure que si la composition sociologique des retraités immigrés résulte d’une sélection, due aux migrations de retour, son effet est probablement modéré puisqu’une écrasante majorité reste en France.
Participation aux votes

Participation aux votes
56Poursuivons les comparaisons entre les retraités et les autres immigrés par l’analyse de comportements et d’attitudes en rapport avec la citoyenneté. Les résultats de l’enquête montrent un fort engagement citoyen des migrants retraités à travers une plus forte participation électorale, non seulement en France mais aussi dans le pays d’origine (cf.tableau 24). Par ailleurs, presque tous les immigrés, retraités ou non, estiment important que leurs enfants votent en France, respectivement 91 % et 88,5 %. Ils manifestent ainsi une adhésion à la nation française à travers leur descendance, qu’ils aient ou non la nationalité française. Et parmi ceux qui ne l’ont pas, on observe un taux équivalent de demande d’acquisition chez les retraités et les non-retraités (28,3% et 27,7%, respectivement (cf. tableau 25, p. 42). Parmi les retraités, les femmes ont plus souvent fait cette demande (35,4%) que les hommes (24,8%), ce qui laisse supposer de leur part un plus fort désir d’intégration et confirme, par ailleurs, le fait qu’elles envisagent moins souvent le retour au pays.
Demande de nationalité française

Demande de nationalité française
? La mobilité sociale subjective
57Le sentiment de mobilité sociale intergénérationnelle est largement répandu parmi les immigrés qui estiment dans l’ensemble avoir mieux réussi socialement que leurs parents. Il est encore plus massif parmi les retraités (75,6%), que parmi les actifs occupés (68,9%) [10]. Cette différence se vérifie au sein des différents groupes ethniques et elle est particulièrement marquée chez les immigrés maghrébins. Malgré le fort taux d’ascension sociale, qui s’élève à 73,9% parmi les actifs occupés, les retraités maghrébins attestent une mobilité ascendante quasiment généralisée, ressentie par 82,3% d’entre eux. Il ne semble pas qu’on puisse attribuer une telle différence aux seuls effets de sélection et il est probable qu’elle soit imputable au fait que la retraite contribue au sentiment de réussite sociale.
58Pour terminer sur le registre identitaire, observons les réponses données à la question du sentiment d’appartenance (cf. tableau 26). Certes, il peut y avoir des identités plurielles. C’est pourquoi il était demandé aux enquêtés d’exprimer ce qu’ils ressentent être « avant tout ». Les résultats sont fort probants. Les retraités sont plus nombreux à se sentir Français ou d’une région de France (52,6%) avec dix points d’écart par rapport aux non-retraités (42,3%) qui se disent un peu plus souvent Européens ou citoyens du monde, mais aussi du pays de leur naissance. Ce ressenti est sans doute le résultat d’une combinaison d’effets d’âge, de génération, de sélection et aussi de retraite. Mais quelles qu’en soient les raisons, il révèle que les immigrés qui restent vivre leur retraite en France s’y sentent à leur place, et même davantage que ceux qui y travaillent.
«En définitive, vous vous sentez avant tout?»*

«En définitive, vous vous sentez avant tout?»*
? Conclusion
59À la vue des résultats présentés et analysés dans cet article, l’enquête sur le vieillissement et le passage à la retraite des immigrés ne paraît pas conforter la thèse d’une vieillesse illégitime des migrants retraités. Elle apporte au contraire des éléments en faveur de l’idée d’une intégration par la retraite.
60Il convient de rappeler que les immigrés résidant en France constituent une population sélectionnée et que la cessation d’activité peut être un motif de retour au pays. Cela peut avoir une incidence sur les résultats de l’enquête. Néanmoins, il apparaît que, demeurés en France par choix ou par nécessité, les migrants retraités bénéficient d’une situation stable et rares sont ceux qui envisagent de repartir. Ils jouissent de la sécurité que donne le versement d’une retraite, même si celle-ci est parfois réduite au minimum vieillesse. En revanche, si la retraite est perçue positivement, il reste qu’un certain nombre ressentent de la discrimination à leur égard en France. Cela est surtout vrai des originaires des pays d’Afrique et du Maghreb et à un moindre degré des immigrés des autres régions du monde, y compris d’Europe. Cependant, souvent installés en France de longue date, ils ont eu le temps de s’intégrer, de s’acculturer. Leurs attitudes, tant à l’égard du pays d’origine que du pays d’adoption, en témoignent. Avec une plus forte adhésion à la France, moins de nostalgie du pays natal, ils semblent faire preuve d’une attitude plus « sereine » que les non-retraités face à leur double ancrage identitaire.
61Nos données soulignent que la retraite accentue le sentiment de réussite sociale. Ce résultat mérite réflexion. On peut y voir plusieurs causes. La perception d’une retraite est en soi un élément de progrès par rapport à la vieillesse des parents qui n’ont pas connu la protection sociale. Elle est aussi en quelque sorte la sanction d’une vie de travail, la manifestation de son accomplissement, son bilan concret et la preuve de sa réussite, si modeste soit-elle. Pour ceux qui occupaient des emplois peu qualifiés ou dévalués, l’identité que confère le statut de retraité est sans doute plus valorisante que celle de travailleur. De plus, « le repos » si souvent apprécié à la retraite résulte de la fin des contraintes professionnelles et de la fatigue qu’elles provoquaient (une grande partie des immigrés ont été des ouvriers affectés à des travaux pénibles qu’ils ne regrettent pas). L’absence de travail ne paraît pas « délégitimer », à leurs yeux, leur existence en terre d’immigration. Enfin, la retraite est la période pendant laquelle une stabilité économique définitive est atteinte, à condition bien sûr que la pension soit décente, ce qui est le cas pour la majorité des retraités, selon leur propre estimation. La pauvreté des retraités existe certes, mais dans les mêmes proportions que parmi les actifs employés.
62Ces résultats sans précédent [11] rejoignent, somme toute, dans les grandes lignes, les conclusions des études sur les retraités en France. Par exemple, les données récentes de l’Insee sur un échantillon de retraités confirment leur vision plutôt positive de la retraite et montrent que pour la majorité d’entre eux, être retraité constitue une identité en soi qui prend le pas sur la référence à son ancien métier (Crenner, 2004). Les spécificités tiennent surtout aux processus de passage à la retraite, les immigrés se caractérisant par une retraite plus tardive, un plus fort taux d’activité entre 55 et 65 ans et aussi une plus longue période de précarité avant la demande de retraite, en raison de carrières plus souvent incomplètes.
63Ce portrait des immigrés retraités permet pour la première fois de constater une certaine réussite de l’intégration des immigrés âgés, considérés avec le recul que donne une longue durée de séjour et l’arrivée à la dernière phase de l’existence, propice au bilan de vie. Face à ce constat, il faut s’interroger sur les raisons de la permanence d’une représentation pessimiste des vieux immigrés en France, dont témoignent les discours catastrophistes à leur sujet. La première raison est d’abord l’absence de connaissance de la réalité statistique les concernant, faute de données. Les enquêtes sur la vieillesse immigrée se sont concentrées sur les situations problématiques des immigrés vieillissant dans les foyers de travailleurs, en dehors de toute famille et dans des conditions souvent misérables traitées dans ce volume [12]. Il faut souligner que les résidants en foyer constituent environ 1,9% des immigrés de la tranche d’âge considérée ici. La très faible minorité qu’ils représentent ne diminue pas, pour autant, l’acuité de leurs problèmes et l’urgence de solutions à y apporter. Cela ne justifie cependant pas d’appliquer leur image à l’ensemble de la population immigrée âgée dont la plus grande partie jouit d’une retraite méritée, vécue comme une sorte d’achèvement.
Notes
-
[1]
Cette enquête, initiée par la Cnav et réalisée en collaboration avec l’Insee, sous la direction de Claudine Attias-Donfut, avec Rémi Gallou et Alain Rozenkier, a reçu le soutien financier du FAS, de l’Arrco-Agirc, de la MSA et de la Caisse des Mines. À l’Insee, Guy Desplanques, Daniel Verger et Catherine Borrel y ont notamment participé.
-
[2]
Rapport de la population active non retraitée, incluant les chômeurs, au nombre de personnes du même âge.
-
[3]
Rapport du nombre d’actifs occupés au nombre de personnes du même âge.
-
[4]
D’après les estimations du Haut Conseil à l’Intégration, en 2002, les retours au pays au moment de la retraite sont importants : plus de 90000 personnes ont quitté la France pour toucher une pension en Algérie dans les dix dernières années, soit un flux de retour d’environ 9100 personnes par an. Le flux annuel atteint 1400 départs pour le Maroc, 800 pour l’Espagne, 3800 pour le Portugal, 1300 pour l’Italie (HCI, 2002).
-
[5]
Mais la notion de nostalgie évoquée ici dépend aussi des possibilités que les migrants ont de se rendre dans leur pays d’origine, ces possibilités pouvant être liées à leur statut d’activité. Ainsi, si les retraités pratiquent plus le va-et-vient que les autres catégories de migrants, cela peut éventuellement contribuer à atténuer leur sentiment de nostalgie.
-
[6]
Rappelons que 7% des migrants déclarent bénéficier du minimum vieillesse, sachant que pour l’obtenir ils doivent, s’ils ne possèdent pas la nationalité française, apporter la preuve de la régularité de leur séjour en France. Parmi les migrants retraités, le sentiment de nostalgie touche 41,3 % de ceux qui perçoivent le minimum vieillesse et 29 % chez les autres.
-
[7]
Une régression, dont les résultats ne sont pas reportés ici, incluant une variable muette qui indique le fait d’être un actif occupé, montre que le statut d’activité n’a pas d’effet significatif sur la probabilité d’être nostalgique.
-
[8]
La variable « âge » a été exclue de la régression puisque nous considérons ici les seuls retraités qui, pour la grande majorité, ont plus de 60 ans.
-
[9]
Voir à ce sujet l’article de C. Attias-Donfut, F.-C. Wolff, « Transmigration et choix de vie à la retraite », dans ce numéro, p. 80-105.
-
[10]
Par comparaison, les proportions dans la population d’ensemble sont de l’ordre de 59% parmi les générations les plus mobiles, celles qui ont connu les « Trente glorieuses » (Attias-Donfut, Wolff, 2001).
-
[11]
Rappelons qu’aucune autre enquête statistique n’a jusqu’à ce jour porté spécifiquement sur le passage à la retraite et le vieillissement des immigrés retraités.
-
[12]
Voir à ce sujet l’article de R. Gallou, « Les immigrés isolés : la spécificité des résidants en foyer », dans ce numéro, p.108-147.