CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La loi portant réforme des retraites est promulguée. Ce texte semble avoir été marqué par le diagnostic du Conseil d’orientation des retraites et les thèmes qu’il a jugés prioritaires. Qu’en pensez-vous ?

2Yannick Moreau – Le Conseil d’orientation des retraites s’est réuni depuis le vote de la loi mais les séances de travail n’ont pas eu pour objet une discussion sur ce texte. Je m’exprime donc à titre tout à fait personnel. D’une manière générale, il me semble que le diagnostic financier sous-jacent au projet est, en effet, convergent avec celui du rapport du Conseil. C’est, je crois, l’un des aspects utiles du travail que nous avons mené : avoir permis, avant même que débutent les échanges politiques entre les partenaires sociaux et l’État, d’établir un consensus sur les données techniques de base et la nécessité d’une réforme.

3Il me paraît clair également que la loi a été effectivement marquée par la réflexion du rapport et, notamment, par les orientations proposées. Cependant, je ferai à ce sujet deux observations.

4En premier lieu, le Conseil s’est volontairement abstenu de se prononcer sur des sujets dont il a estimé qu’ils relevaient d’un dialogue politique et qui sont traités par la loi. Par exemple, il a indiqué qu’il était important de donner aux Français des indications sur le niveau des retraites, mais il ne s’est pas prononcé sur ce que serait un niveau acceptable, en moyenne ou sur cas-types. De ce fait, il est vain de chercher, sur certains points importants, divergences et ressemblances.

5Par ailleurs, il est très probable que la manière dont les orientations proposées ont été reprises est diversement appréciée par les membres du Conseil. Ces deux réserves étant faites, la trace du travail effectué me paraît, à titre personnel, visible.

6Le Conseil d’orientation des retraites a porté une attention particulière à l’emploi des travailleurs âgés. Ce thème vous paraît-il avoir été suffisamment repris par la loi ? Ne pensez-vous pas que ce domaine relève davantage d’actions visant à faire évoluer les politiques et les comportements des entreprises que de la loi ?

7Yannick Moreau – Il est vrai que, très rapidement, le Conseil d’orientation des retraites a donné à la question de l’activité des plus de 50 ans une place très substantielle dans ses travaux [1]. Il lui est apparu, en effet, qu’aucune réforme ne serait efficace ni même possible si l’emploi des seniors n’était pas considéré autrement, si les rapports entre l’âge et le travail n’étaient pas fortement modifiés. La politique de l’emploi est absolument solidaire d’une politique de la retraite. En d’autres termes, on ne peut mener une réforme de la retraite sans traiter parallèlement le problème de l’emploi des salariés âgés de plus de 50 ans.

8Cette orientation est d’ailleurs confortée par un consensus de plus en plus marqué, qui s’exprime tant dans les publications universitaires que dans les orientations de l’Union européenne et les positions politiques.

9La loi a fait une place importante à cette préoccupation, par le biais de plusieurs dispositions substantielles : la soumission des préretraites aux cotisations sociales, leur réorientation vers les emplois pénibles, l’institution d’une surcote pour les personnes travaillant après 60 ans et ayant déjà atteint une durée de cotisation suffisante pour avoir le taux plein, l’allègement des restrictions au cumul entre un emploi et une retraite, la modification de l’âge auquel, en droit du travail, l’employeur peut décider de mettre un salarié à la retraite sont autant de mesures qui ont pour objectif de faciliter une remontée des taux d’activité. La réforme touche le Code du travail et pas seulement celui de la sécurité sociale, et cette liaison juridique est d’une grande importance concrète et symbolique.

10Il est cependant certain que les changements dans ce domaine ne peuvent résulter uniquement de mesures juridiques. Les entreprises, les partenaires sociaux, l’État employeur vont avoir un rôle déterminant. Mais, pour cet enjeu national, l’implication de l’État a une grande importance. Le ministre des affaires sociales et du travail a annoncé la décision de conduire prochainement avec les partenaires sociaux un chantier important sur ce sujet. Il est essentiel que, dans ce cadre, tout un ensemble d’actions soit mené, au-delà des mesures juridiques, par une action concertée de l’État et des partenaires sociaux conduite dans la durée.

11Il faut, en effet, une évolution en profondeur pour réaliser un changement de cap et inverser un consensus qui s’est noué au cours de plusieurs décennies autour du retrait anticipé d’activité. Cette évolution ne peut être que le fruit d’une mobilisation de l’ensemble des acteurs concernés autour d’un projet collectif qui porte aussi bien sur l’emploi que sur les conditions de travail, la prise en compte de la pénibilité de certains travaux, les formes d’organisation du travail et les modes de gestion des entreprises.

12Plusieurs pays proches du nôtre (la Finlande ou les Pays-Bas par exemple), ont engagé des politiques d’ensemble pour conduire ce changement. Leur expérience, ainsi que celles menées par certaines entreprises françaises, doivent constituer un point d’appui pour une action qui ne peut se réaliser que progressivement et qu’il est, par conséquent, urgent d’entreprendre.

13La question du financement a suscité de nombreux commentaires qui ont mis en exergue l’absence de bouclage financier. Quel regard portez-vous sur cet aspect de la réforme ?

14Yannick Moreau – Dans son rapport, le Conseil d’orientation des retraites a présenté les données relatives au financement du système de retraite à l’horizon 2040. Il a indiqué les ordres de grandeur qui seraient nécessaires pour financer le système, en matière d’augmentation des cotisations, d’allongement de la durée d’activité et de niveau des pensions. Cependant, il n’a pas pris position sur ce qui pourrait constituer un bon équilibre entre les différentes variables, ni quelles variables devraient être utilisées ou exclues pour assurer le financement.

15En ce qui concerne la réforme, les mesures prises couvrent, hors relèvement éventuel des cotisations, près de la moitié des besoins de financement.

16Le ministre des Affaires sociales s’est, à plusieurs reprises, engagé, notamment à l’Assemblée nationale, sur le fait que ce système soit équilibré par des hausses de cotisations vieillesse. Mais cet engagement ne figure pas dans la loi. C’est ce qui explique les interrogations. L’avenir dira.

17Autre thème important dans les travaux du Conseil d’orientation des retraites : l’égalité de traitement, entre régimes, entre catégories sociales. Pensez-vous que la nouvelle loi a contribué à renforcer ou pas l’égalité et dans quels domaines ?

18Yannick Moreau – Le Conseil d’orientation des retraites a fait de la recherche d’une plus grande égalité de traitement entre cotisants un thème important de sa réflexion. Vous savez qu’il a néanmoins exprimé un désaccord sur la manière dont l’égalité de traitement entre régimes doit être réalisée, certains membres souhaitant un retour à 37,5 ans de cotisation dans le secteur privé, d’autres estimant nécessaire l’allongement à 40 ans dans la fonction publique. Incontestablement, la réforme rapproche les situations des fonctionnaires et des non-fonctionnaires. J’ai, pour ma part, toujours indiqué qu’il me paraissait normal de réaliser l’égalité entre régimes à quarante annuités d’assurance, et que, d’autre part, l’égalité entre régimes ne devait pas nécessairement être millimétrique.

19Quant aux inégalités entre catégories socioprofessionnelles, elles sont d’abord dues à d’importants écarts d’espérance de vie. Cette problématique, très présente dans le débat français, l’est beaucoup moins à l’étranger, peut-être parce que l’assurance invalidité est plus « généreuse ». La réforme apporte des améliorations dans deux domaines.

20D’une part, elle prévoit que des négociations devront s’engager entre les partenaires sociaux sur la pénibilité du travail. L’objectif pourrait être d’ouvrir des droits anticipés à retraite pour les personnes ayant effectué des travaux pénibles ; cela nécessite naturellement de dégager des accords sur la définition de la pénibilité que l’on souhaite retenir et sur le financement d’un tel dispositif [2].

21D’autre part, un droit à retraite anticipé est ouvert pour des personnes ayant commencé à travailler très jeunes et ayant de longues durées de cotisation. Certes, des conditions restrictives sur les durées cotisées et les durées validées ont été apportées, limitant le dispositif par rapport à la revendication initiale de certains syndicats d’un départ après quarante ans d’assurance. Mais le coût de l’ouverture sans conditions serait très élevé (entre 10 et 15 Md€ ) ; avec les conditions mises, le coût de la mesure retenue sera probablement nettement supérieur à 1 Md€ dans les prochaines années. N’oublions pas, d’ailleurs, de signaler que cette mesure ne pourra entrer en vigueur qu’en cas d’accord identique dans les régimes complémentaires.

22Le Conseil d’orientation des retraites porte une grande attention à la question de l’information des assurés. Ne pensez-vous pas qu’une des raisons de la réticence et de l’inquiétude des assurés à l’égard de ce projet est à rechercher dans la sous-information, ou plus précisément dans la grande difficulté à obtenir une information personnalisée ? À cet égard, le projet actuel vous semble-t-il comporter des avancées ? Faudrait-il, selon vous, aller encore plus loin ?

23Yannick Moreau – En matière d’information personnalisée sur la retraite, les régimes de retraite ont largement développé ces dernières années les échanges avec les assurés. Mais ces efforts restent concentrés sur la période qui précède de peu l’âge légal de départ à la retraite et sont trop peu coordonnés entre les régimes. Il peut être difficile pour un assuré, en cours de carrière, d’estimer le montant futur de sa pension en fonction de l’âge de liquidation, notamment pour les futurs pluripensionnés, qui relèvent de plusieurs régimes aux règles différentes et qui ne délivrent pas d’information coordonnée.

24L’amélioration de l’information des assurés était l’une des orientations proposées par le premier rapport du Conseil d’orientation des retraites. Elle est reprise par la nouvelle loi, qui précise que toute personne a le droit d’obtenir un relevé de sa situation individuelle au regard de l’ensemble des droits qu’elle s’est constituée dans les régimes obligatoires et, qu’à partir d’un certain âge, ainsi qu’aux étapes importantes de la vie active, chaque personne reçoit communication d’une estimation globale du montant des pensions de retraite auxquelles les durées d’assurance ou les points qu’elle totalise lui donnent droit, à la date à laquelle la liquidation pourra intervenir, eu égard aux dispositions législatives, réglementaires et conventionnelles en vigueur. Un groupement d’intérêt public, constitué de l’ensemble des régimes obligatoires et des services de l’État chargés de la liquidation des pensions des fonctionnaires, sera créé à cet effet.

25Si le texte de la loi marque une avancée, beaucoup reste à faire pour, concrètement, définir le contenu de l’information à délivrer, la circulation de cette information, la régulation du système. Deux groupes de travail réunis sous la présidence de M. Palach et de M. Peyroux ont fait des propositions concrètes que le Conseil a examinées mi-septembre. Il s’agit, en effet, d’un sujet majeur pour les Français, qui sera l’un des thèmes du prochain rapport du Cor prévu pour le premier trimestre 2004.

26Avec l’adoption de la réforme, comment envisagez-vous l’action future du Conseil d’orientation des retraites ?

27Yannick Moreau – La création du Conseil d’orientation des retraites, il y a maintenant un peu plus de trois ans, a procédé des « leçons » qui ont pu être tirées de la comparaison entre la façon dont notre pays a, pendant de nombreuses années, traité de la question des retraites, et des méthodes employées dans d’autres pays. La France disposait déjà d’analyses sérieuses, mais il devenait nécessaire de substituer à un mode de suivi du dossier « par à-coups » et, souvent, sans toute la concertation nécessaire, une méthode nouvelle de préparation des réformes, associant expertise concertée et continuité du processus.

28Cette méthode a porté ses fruits : le premier rapport du Conseil a, semble-t-il, utilement contribué à la concertation politique qui a accompagné l’adoption de la réforme, notamment en fournissant une expertise chiffrée non contestée, en proposant des orientations structurantes pour la négociation et en chiffrant les mesures possibles de rééquilibrage.

29Quelles que soient les appréciations des différents membres du Conseil sur la réforme, ils sont, je crois, convaincus de l’utilité du travail qui y a été fait.

30La pérennité d’une telle instance et l’utilité de sa contribution au débat public ne sont d’ailleurs contestées par personne ; son rôle est reconnu et élargi par la loi. Les travaux du Conseil seront utilisés notamment lors des rendez-vous quinquennaux prévus pour permettre les ajustements du système de retraite aux évolutions des données démographiques, économiques et sociales.

31Le Conseil n’a jamais interrompu ses travaux, que ce soit dans la période du débat politique, ou dans celle qui est en train de lui succéder. Si une étape très importante vient d’être franchie, le pilotage du système de retraite comportera de nouvelles et nombreuses échéances. Le rôle du Conseil d’orientation des retraites restera le même : étudier et proposer non des solutions « clé en mains » mais des orientations, en laissant à la concertation et à la décision politique la part essentielle qui leur revient. Le Conseil prépare d'ailleurs son deuxième rapport qui sera remis dans le courant du premier trimestre 2004.

32Ce rapport portera sur deux thèmes particuliers : les comparaisons internationales en matière de retraite et, comme je l'ai indiqué, le droit à l'information des assurés. Sur la base d'un programme de travail élaboré par ses membres en fin d'année dernière, il a tenu au mois de juillet une séance consacrée à l'analyse des positions des organisations internationales sur la question des retraites et s’est réuni en septembre sur le droit à l'information des usagers.

Notes

  • [1]
    Le colloque organisé par le Cor sur le thème « Âge et travail », en avril 2001, a mis en évidence qu’en Europe, les taux d’activité des personnes de plus de 50 ans sont trop faibles, notamment si l’on considère l’augmentation de l’espérance de vie, et que la France se trouve parmi les pays européens dans une situation particulièrement difficile sur ce poin (NDLR).
  • [2]
    Voir sur ce point le rapport Pénibilité et retraite, remis au Cor en avril 2003 par Yves Struillou et disponible sur www. cor-retraites. f r rubrique « Rapports d’experts soumis à la discussion du Conseil » (NDLR).
Yannick Moreau
présidente du Conseil d’orientation des retraites (Cor)
CLAUDINE ATTIAS-DONFUT
Cnav
ALAIN ROZENKIER
Cnav
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour La Documentation française © La Documentation française. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...