CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1L’un est d’être centré sur les problèmes d’équilibre financier global et de ne pas être suffisamment attentif à l’incidence concrète des réformes pour les niveaux et trajectoires de revenu des intéressés, mesurés individuellement. À ce reproche, une réponse est apportée soit par la simulation de cas-types, soit par le développement de modèles de microsimulation dynamiques présentés ailleurs dans ce dossier (S. Pennec, A.-G. Privat, 2003) ou les travaux de l’équipe Destinie (Bardaji, Sédillot, Walraët, 2002).

2L’autre reproche est de ne s’en tenir qu’à une vision comptable de ce problème des retraites, en équilibre partiel, en ne prenant en compte ni l’incidence des changements démographiques sur l’équilibre économique, ni les effets des choix retenus en matière de retraite sur ce même environnement économique, tels que l’incidence sur les marchés des capitaux ou sur le marché du travail de politiques d’encouragement à l’épargne ou de recul de l’âge de la retraite. Ce second reproche peut d’ailleurs être aussi bien formulé par ceux qui pensent que les projections d’équilibre partiel surestiment l’ampleur du problème des retraites (par exemple parce qu’elles ignoreraient la réduction du chômage qui pourrait résulter du retournement démographique de 2006) que par ceux qui considèrent qu’elles les sous-estiment (parce qu’elles ignorent les effets négatifs du vieillissement et de l’alourdissement des charges sur la croissance).

3Pour répondre à cette seconde critique, on dispose de trois voies principales :

  • les modèles macroéconométriques appliqués usuels : cette démarche mériterait d’être développée mais, à ce jour, elle a été peu ou pas explorée parce qu’on considère généralement que ces modèles, de facture keynésienne, rendent mal compte des mécanismes à l’œuvre sur le long terme qui est l’horizon auquel se posent les problèmes de retraite ;
  • l’analyse théorique : la problématique des retraites a conduit à un foisonnement considérable de travaux appartenant au courant des modèles dits « à générations imbriquées », modèles permettant d’étudier l’interaction entre croissance, accumulation du capital et transferts intergénérationnels. Ces modèles ont contribué à clarifier beaucoup d’aspects du débat sur la retraite, notamment le rapport entre performances de la retraite par capitalisation et par répartition et leur capacité de résistance aux chocs démographiques ou économiques [1]. Mais ils le font en général dans un cadre « à deux périodes », où le cycle de vie est stylisé par l’enchaînement d’une période d’activité et d’une période de retraite : ce cadre très simplifié exclut de les mobiliser pour des exercices de projection appliquée ;
  • les modèles appliqués de projection économique à long terme : ils s’appuient sur l’acquis théorique des modèles de croissance à générations imbriquées, mais essayent de traduire plus fidèlement le détail des perspectives démographiques, aussi correctement calés que possible sur les paramètres du fonctionnement courant de l’économie.

4De nombreux travaux de ce type émergent depuis quelques années, notamment le modèle Ingenue (Équipe Ingenue, 2002), qui adopte directement une perspective mondiale en partant du principe que l’incidence du vieillissement ne s’apprécie correctement qu’en prenant en compte l’interdépendance entre des économies dans lesquelles ce vieillissement ne progresse pas partout au même rythme. D’autres modélisations se centrent davantage sur le cas français (Hénin et al., 2001 ; Le Cacheux, Touzé, 2002).

5Par rapport à ces travaux, le présent exercice n’a qu’une ambition très limitée [2]. Elle est de recadrer quelques-uns des ordres de grandeur en jeu à l’aide d’une maquette très simplifiée des interactions possibles entre démographie, croissance et marché du travail [3]. La conclusion sera que ces mécanismes ne sont pas suffisamment forts pour remettre en cause les ordres de grandeur établis par l’approche comptable. Celle-ci s’en trouve donc confortée. L’exercice plaide néanmoins pour une plus grande attention à certains de ces mécanismes macroéconomiques : les plus importants concernent la réponse du marché du travail aux choix retenus pour gérer les retraites. Il s’agit clairement d’un domaine sur lequel les incertitudes dominent.

6L’article sera organisé comme suit. Tout d’abord, pour évaluer ce qui change lorsqu’on intègre des interactions entre démographie et scénarios macroéconomiques, il faut partir d’une projection où celles-ci sont ignorées. On partira donc d’un scénario d’évolution comptable de la charge des retraites, approximativement calé sur les perspectives démographiques françaises. Il donnera l’occasion de deux rappels. Le premier est qu’un facteur majeur de compensation du vieillissement démographique réside dans les progrès généraux de productivité, que les projections en équilibre partiel savent parfaitement prendre en compte. Le second, qui tempère le premier, c’est que cette croissance de la productivité n’évite celle des taux de cotisation pour la retraite que si les retraités sont partiellement exclus du partage de ses bénéfices.

7Dans le cas contraire, elle est neutre et son intérêt se limite à rendre la croissance du prélèvement retraite moins difficilement acceptable, mais sans en modifier l’ampleur.

8On intégrera ensuite la façon la plus simple de postuler un effet bénéfique du ralentissement ou de l’inversion de la croissance du nombre d’actifs. Elle est empruntée au modèle de croissance le plus usuel, le modèle de Solow, et joue sur la hausse du rapport capital/travail qui est induite par la moindre croissance du facteur travail, ce qui favorise l’évolution des salaires. Du point de vue des ressources des systèmes de répartition, on verra cependant que les bénéfices à en attendre restent très modérés, d’un ordre de grandeur comparable à l’incertitude qui existe sur la croissance exogène de la productivité générale. Et, comme pour ceux tirés des progrès techniques généraux, ces bénéfices sont neutres vis-à-vis de la croissance des taux de cotisation retraite, si l’on continue à viser le maintien de la parité de niveau de vie entre actifs et retraités.

9Ce cadre analytique, en revanche, conduit à prévoir des effets significatifs des changements démographiques sur le rendement du capital. On y trouvera donc une illustration, parmi d’autres, de ce que les fluctuations démographiques peuvent affecter de manière très parallèle les rendements de la capitalisation et de la répartition, même si cela ne suffit pas à conclure à l’équivalence parfaite des deux systèmes.

10Dans un dernier temps, on reviendra au seul système de répartition en examinant des scénarios d’« endogénéisation » du chômage. Si le retournement démographique se traduit par une baisse du chômage, il y a bien possibilité d’un allègement du prélèvement par actif. Mais la théorie – comme l’évidence empirique – s’avèrent très indécises quant à la façon dont ce chômage pourrait réagir au retournement démographique du siècle prochain, ce qui invite à une grande prudence.

? Une projection de référence à environnement économique exogène

11Les projections présentées dans cet article s’appuient sur les projections démographiques de l’Insee, telles qu’elles avaient été établies au milieu des années quatre-vingt-dix, sous l’hypothèse d’une fécondité égale à 1,8, la plus conforme aux tendances courantes. La prise en compte des projections plus récentes (Brutel, 2002) ne serait pas de nature à modifier le constat. On n’utilisera pas de projections fines de la population active ; on se contentera de supposer la fixité du taux moyen d’activité entre 20 et 60 ans pour les deux sexes. Enfin, on a ajouté un chômage exogène, initialement égal à 12 % de la population active, décroissant vers un niveau d’équilibre de 9 % en une dizaine d’années. Cela représente en début de projection une baisse moins rapide que celle qui a été observée depuis, mais conduit à un ordre de grandeur à long terme qui n’est pas incompatible avec le niveau auquel on s’est provisoirement stabilisé depuis 2001. On aurait pu envisager des scénarios plus favorables, tels que ceux considérés par le rapport du Conseil d’orientation des retraites (Cor, 2002). Mais, ici encore, ce type de variante ne remettrait pas radicalement en cause les enseignements pédagogiques qu’il s’agit de tirer du présent exercice, et pourrait même les obscurcir : l’objectif est de se concentrer au maximum sur les effets purs du retournement démographique ou du déplacement de l’âge de la retraite sur le chômage, toutes autres choses égales par ailleurs.

Tableau 1

Hypothèses résumées des différents scénarios

Tableau 1
Tableau 1 Hypothèses résumées des différents scénarios Scénario5 Modèleavec rigiditésalarialeet reportexantedes cotisationsretraite surlecoût dutravail Coefficient decapital Tauxd’épargneSansobjet25% Dépréciation ducapital Productivité –effetpériode–effetgénération–effetâge Chômaged’équilibreDécroissantde12%à9%surlesdixpremièresannées,stableà9%ensuite AjustementdessalairesImmédiatImmédiatImmédiatProgressifProgressifIndexationdesretraitesIndexationsurl’évolutiondessalairesnetsIncidenceexantedeshaussesdecotisationTotalementetdirectementprisesenchargeparlessalariésReportéessurlecoûtdutravail 25%25% Scénario4 Modèleavec rigiditésalariale, maissansreport descotisations retraitesurlecoût dutravail Productivitéapparentecroissantde1à2entre20et60ans(entransversal) Croissancede0,85%paran Croissancede0,85%pargénération Scénario1 Projectionà environnement économique exogèneScénario2 Modèlede croissance néoclassiqueà épargneconstanteScénario3 Modèlede croissance néoclassiqueavec augmentation transitoirede l’épargne 00,3 Croissantde25 à30%durantles dixpremières années,stableà 30%ensuite Sansobjet5%paran %

Hypothèses résumées des différents scénarios

12S’agissant des données économiques, l’évolution des prix n’est pas modélisée. Plus exactement, cela revient à des simulations avec indexation parfaite de toutes les grandeurs nominales sur les prix et dont les résultats sont fournis en valeur réelle.

13La productivité du travail et le salaire sont déterminés par trois facteurs :

  • un effet de période ;
  • un effet de génération ;
  • un effet d’expérience.

14Les deux premiers effets s’additionnent, en régime permanent, pour déterminer la croissance globale du salaire moyen, qu’on a fixée à 1,7 %. Les deux derniers se combinent également pour définir, à l’instant t, la répartition des salaires par âge : le salaire croît avec l’âge compte tenu de l’effet d’expérience, mais décroît avec l’âge à un instant donné, si les générations plus récentes bénéficient de salaires plus élevés associés à de meilleures qualifications. On a supposé que, au total, il en résultait un écart instantané de 1 à 2 entre salaire moyen des jeunes actifs et des vieux actifs (avec un profil parabolique). En projection, cet effet d’âge peut interagir avec l’évolution de la structure par âge de la population active pour modifier le niveau ou le taux de croissance du salaire moyen [4].

15Seules les cotisations retraite sont prises en compte pour la transformation du salaire brut en salaire net. L’évolution des retraites a été modélisée de façon très simple. On suppose qu’on vise, à long terme, à maintenir le ratio actuel entre salaire net et retraite moyenne. Il s’agit donc d’un scénario normatif : le but est de voir les problèmes que soulèverait la réalisation de cet objectif normatif. On rappelle par ailleurs que cette première projection vise uniquement à servir d’hypothèse de référence afin de comparer les projections incorporant des interactions démographiques et économiques. C’est pourquoi on se limitera à en donner un commentaire rapide.

Scénario 1

16Intéressons-nous d’abord aux ressources des systèmes de retraite.

17Leur croissance est celle de la masse des salaires (masse cotisable). Elle résulte de cinq facteurs :

  1. la croissance de la population active ;
  2. la réduction du chômage ;
  3. les progrès de productivité liés à la période ;
  4. les progrès de productivité liés au renouvellement des générations ;
  5. l’interaction entre structure par âge de la population active et structure par âge des salaires.

18La première courbe du graphique 1 donne la résultante des effets (c), (d) et (e). La somme des effets (c) et (d) est fixe, par construction, et fournit 1,7 point de croissance annuelle. L’effet (e) explique les variations autour de cette tendance plate : la croissance du salaire brut moyen est très légèrement plus élevée que 1,7 % avant 2005 (de deux à trois dixièmes de point), elle y est quasiment égale après. L’effet de structure par âge, s’il existe, n’est donc pas considérable. Une justification en est fournie par l’évolution de l’âge moyen des actifs, donnée par le graphique 2 ( cf. p. 140). Un profil de salaire croissant avec l’âge implique que le salaire moyen reproduit, en les amortissant, les variations de l’âge moyen de la population active totale. Or, celui-ci ne s’accroît que d’environ 1,2 an entre 1998 et 2006, soit en tout 2,5 %, puis il se stabilise. Ce mouvement rend bien compte de la séquence de croissance du salaire moyen donnée par le graphique 1. La première phase correspond à une phase de vieillissement interne de la population active due au vieillissement, dans l’activité, des générations du baby-boom. La deuxième phase est une phase où il y a équilibre entre la poursuite de ce vieillissement interne et le fait que ces générations du baby-boom quittent progressivement l’activité.

19On ne retrouve donc pas, au niveau macroéconomique, les forts effets de structure par âge qui pourraient éventuellement apparaître, au niveau microéconomique, sur des entreprises ou secteurs à pyramides des âges ou structures salariales plus contrastées. L’essentiel des fluctuations du taux de croissance de la masse cotisable, dans ces conditions, est à relier aux variations de la croissance de l’emploi. Croissance des actifs potentiels et baisse du chômage se conjuguent pour porter la croissance totale vers 3 % par an jusqu’en 2005. Ensuite, le chômage est supposé se stabiliser. La légère décroissance de la population d’âge actif conduit alors à une croissance de la masse salariale légèrement inférieure à 1,7 % par an, soit 1,4-1,5 % en moyenne.

20Intéressons-nous ensuite aux niveaux de vie des actifs et des retraités. Le graphique 3 ( cf. p. 140) montre que le scénario proposé évite toute décroissance des niveaux de vie absolus des actifs comme des retraités. Ce résultat est bien connu : il suffit d’une croissance très modérée pour compenser les effets du vieillissement démographique. Le problème des retraites n’est donc pas là. Il se pose en termes relatifs : c’est un problème d’arbitrage entre taux de prélèvement sur les actifs et niveau de vie relatif des retraités.

21Cela est illustré par le graphique 4 ( cf. p. 141). Dans le scénario de maintien des parités de niveau de vie qui a été retenu, on est obligé de prélever sur les actifs d’une façon qui est directement déterminée par le ratio emploi-population retraitée. Le taux de cotisation d’équilibre se trouve donc multiplié par 1,6 en quarante ans. Une croissance plus faible de ce prélèvement ne serait obtenue qu’en faisant décrocher le niveau de vie relatif des retraités, soit par une baisse du taux de remplacement, soit par une sous-indexation prononcée des retraites après leur liquidation. Dans le cas extrême où tout l’effort d’ajustement porterait sur les retraites, on sait que ce niveau de vie relatif des retraités évoluerait comme l’inverse du ratio retraite/emploi, soit à peu près une division par deux en quarante ans.

Graphique 1

Évolution de la masse cotisable

Graphique 1
Graphique 1 Évolution de la masse cotisable Lecture : en 2004, la croissance du salaire brut moyen serait d’environ 1,8 %. La croissance de la masse salariale totale, compte tenu de la baisse du chômage et de la croissance du nombre d’actifs, serait de 2,5 %.

Évolution de la masse cotisable

Graphique 2

Évolution de l’âge moyen de la tranche d’âge 20-60 ans

Graphique 2
Graphique 2 Évolution de l’âge moyen de la tranche d’âge 20-60 ans Lecture : en 1998, l’âge moyen de la tranche d’âge 20-60 ans est de 38,9 ans. Il se stabilise autour de 40,2 ans après 2006.

Évolution de l’âge moyen de la tranche d’âge 20-60 ans

Graphique 3

Indicateurs de niveau de vie absolu

Graphique 3
Graphique 3 Indicateurs de niveau de vie absolu Lecture : sous l’hypothèse de productivité retenue, les niveaux de vie des retraités et des actifs croissent continûment sur toute la période de projection.

Indicateurs de niveau de vie absolu

Graphique 4

Évolution du taux de cotisation (base 100 en 1998)

Graphique 4
Graphique 4 Évolution du taux de cotisation (base 100 en 1998) Lecture : pour maintenir la parité actuelle de niveau de vie entre actifs et retraités, il faudrait, en 2020, un taux de cotisation 1,28 fois plus élevé que le taux actuel.

Évolution du taux de cotisation (base 100 en 1998)

? Effets potentiels du retournement démographique sur le ratio capital/travail et sur la rémunération des facteurs de production

Scénario 2

22La première projection a ignoré l’impact que le retournement démographique de la première décennie 2000 pourrait avoir sur le rythme de croissance du produit par tête. Comment réintroduire un tel effet ? Une façon de le faire peut être empruntée au plus courant des modèles de croissance économique, le modèle de Solow. Ce modèle permet de mesurer l’impact joint de l’évolution démographique, de l’accumulation du capital et du progrès technique sur le produit total, le produit par tête, et sa répartition entre les deux facteurs de production que sont le capital et le travail. La mécanique est la suivante : à un instant donné, les quantités de capital et de travail, jointes au niveau de la productivité, déterminent le produit total. Ce produit se répartit en parts allant au travail et au capital selon des règles de rémunération qu’on suppose concurrentielles (rémunération des facteurs à leur coût marginal). L’épargne est une fraction donnée du produit total : elle détermine le stock de capital de la période suivante. Connaissant, à cette période suivante, la nouvelle quantité de travail définie par l’évolution démographique et le taux de chômage, et le nouveau niveau de la productivité générale des facteurs, déterminé par un taux de progrès technique exogène, on peut itérer la démarche. On en déduit de proche en proche l’ensemble de la trajectoire de l’économie.

23Dans les simulations examinées ici, le taux d’épargne sera supposé fixe dans un premier temps (égal à 25 %). L’accumulation dépend aussi du taux de dépréciation de ce capital (égal à 5 % par an). La fonction de production qui sera utilisée sera de type Cobb-Douglas avec un coefficient de capital de 0,3. Le progrès technique est pris en compte sous la forme « augmentant le travail ». Sa trajectoire sera la même que dans le scénario 1. Le taux de chômage conservera, lui aussi, la même courbe que dans le scénario précédent. Ceci revient à supposer que les salaires s’adaptent instantanément pour que l’écart entre offre et demande de travail se fixe à ce taux de chômage exogène. Les autres détails techniques du modèle sont fournis en annexe.

24Ce modèle permet de chiffrer les effets possibles du retournement démographique sur les salaires, et donc le financement de la répartition, mais aussi sur le rendement du capital, ce qui donne une indication sur les performances possibles de la capitalisation.

?? Impact sur la rémunération du travail et l’équilibre des retraites par répartition

Scénario 3

25La différence entre ce scénario et le précédent résulte des écarts de dynamique transitoire entre capital et quantité de travail. La séquence est la suivante :

  • dans un premier temps, le retournement de tendance de la population active conduit à une augmentation du rapport capital/travail. Le ralentissement de la croissance totale est donc moins important que si le capital était resté inchangé ;
  • dans un deuxième temps, le ratio capital/travail se restabilise. Le modèle retrouve alors exactement le même rythme de croissance à long terme du produit et du salaire brut moyen que le scénario à ratio capital/travail constant.

26Les conséquences de cet enchaînement sur les salaires sont illustrées par le graphique 5 ( cf. p. 144). Il y a un surplus transitoire de croissance du salaire brut par tête, qui est significatif mais modéré, d’environ 0,4 point à son maximum (première courbe). Cela permet, à long terme, un gain cumulé sur le salaire brut d’environ 8 à 9 % (deuxième courbe). En annexe, un calcul rend compte de cet ordre de grandeur. Cet effet, quoique significatif, est peu discernable de la croissance globale liée au progrès technique. Au demeurant, il présente la même limite que les bénéfices du progrès technique général : si les retraites sont indexées sur le salaire moyen, ce gain est sans effet sur le taux de cotisation d’équilibre, ce que montre, pour mémoire, la dernière courbe du graphique (confondue avec l’axe horizontal).

?? Retournement démographique et rémunération du capital

27En revanche, cette même projection conduit à faire apparaître des effets non négligeables du rythme de croissance démographique sur la productivité marginale du capital, qui est l’un des facteurs déterminant le rendement de la retraite par capitalisation [5]. Les courbes haute et basse du graphique 6 ( cf. p. 144) donnent cette productivité marginale (nette de la dépréciation) et la croissance de la masse salariale, qui fournissent respectivement des indicateurs instantanés de rendement de la retraite par capitalisation et par répartition. On constate que les deux rendements sont affectés à peu près dans la même mesure par le retournement démographique. Cela étant, dans les hypothèses retenues ici, la productivité marginale du capital reste en permanence supérieure au taux de croissance. Ce résultat tient à l’hypothèse faite sur le taux d’épargne : on rappelle que ce n’est que pour une valeur très particulière de ce taux d’épargne (égale au coefficient de capital de la fonction de production) qu’on aurait identité du rendement du capital et de la croissance.

Graphique 5

Impact des modifications du ratio capital/travail

Graphique 5
Graphique 5 Impact des modifications du ratio capital/travail Lecture : si le retournement de tendance de la population active se traduit par une augmentation mécanique du rapport capital/travail, cela apporterait 0,4 point de croissance supplémentaire des salaires vers 2007. À très long terme, les salaires se stabiliseraient 8,5 % plus haut que dans un scénario à capital par tête inchangé.

Impact des modifications du ratio capital/travail

Graphique 6

Croissance économique et productivité marginale du capital

Graphique 6
Graphique 6 Croissance économique et productivité marginale du capital Lecture : en 2010, la croissance économique serait de 1,8 %. La productivité marginale du capital serait de 4,3 % dans le scénario de référence 2, et de 3,7 % dans l’hypothèse 3 d’une augmentation de 5 points du taux d’épargne.

Croissance économique et productivité marginale du capital

28Évidemment, outre qu’il ne s’agit que d’un modèle particulier de détermination du rendement du capital (le capital n’est que du capital physique, on se place en économie fermée, les facteurs de risque ne sont pas pris en compte), cet avantage ne suffit pas à conclure à la supériorité de la capitalisation, pour deux raisons :

  • si la capitalisation se développe et si cela se traduit par une hausse de l’épargne et de l’intensité capitalistique, il en résultera une baisse de son propre rendement. Le scénario 3 illustre ce phénomène. Les deux courbes intermédiaires du graphique 6 montrent qu’une hausse de cinq points du taux d’épargne conduirait à une réduction presque complète à long terme de l’écart entre productivité marginale du capital et croissance de la masse salariale, croissance dont on note au passage l’accélération transitoire, durant la phase d’augmentation du capital par tête ;
  • le passage à une dose plus forte de capitalisation implique un effort d’épargne initial : le gain à long terme, au profit des générations futures, a donc un coût à court terme. Une bonne partie du débat répartition/capitalisation porte sur l’opportunité d’accepter ce coût de court terme. La référence à l’équité intergénérationnelle ne suffit pas forcément à le justifier, surtout dans un contexte de croissance.

? Modèle de croissance avec rigidité salariale

Scénarios 4 et 5

29Le modèle précédent a pris en compte la présence de chômage, mais il l’a traité comme une donnée exogène. Selon quelles pistes introduire un effet du retournement démographique sur ce chômage ?

30Une réflexion liminaire s’impose : l’évidence empirique ne suggère aucun résultat général quant à l’effet des variables démographiques sur l’emploi. En France, ce n’est que depuis le milieu des années soixante-dix que la croissance de la population active s’est accompagnée d’un chômage croissant. Il n’en a pas été de même auparavant. La comparaison internationale va dans le même sens. Il n’existe pas de relation nette entre chômage et croissance démographique examinés en coupe entre les différents pays développés. Évidemment, cette absence de relation empirique n’est pas suffisante pour conclure à la neutralité des variables démographiques vis-à-vis du chômage, mais elle vient au moins renverser la charge de la preuve. Elle interdit d’affirmer avec certitude que le ralentissement ou l’inversion de la croissance de cette population active va venir favoriser le repli de ce chômage.

31Dans ce contexte, plutôt qu’une prévision de chômage, le but des scénarios qui vont suivre est d’éclairer les raisons de cette ambiguïté du lien population/emploi. Pour ce faire, il serait souhaitable d’envisager successivement toutes les composantes du chômage. On pourrait, par exemple, s’interroger sur le lien entre évolution démographique et chômage structurel, lié à l’inadéquation entre les structures de l’offre et de la demande de travail ( mismatch ). Une thèse courante souligne que ce type de chômage est plus difficile à résoudre dans une population stationnaire ou décroissante que dans une population croissante, les réallocations de main-d’œuvre étant plus faciles lorsqu’elles se font par orientation des nouveaux entrants vers les secteurs déficitaires, que lorsqu’elles doivent se faire par reconversion de travailleurs déjà en place. On peut aussi s’interroger sur le lien entre démographie et chômage conjoncturel : ce lien est difficile à déterminer a priori. Il dépend notamment de la place jouée par les variables démographiques dans les variables d’anticipation de la demande.

32On ne va pas pouvoir approfondir ici ces aspects [6]. On va plutôt se restreindre à l’interaction entre équilibre du marché du travail et formation des salaires. Une telle interaction est assez facile à introduire dans le cadre du modèle précédent, et il s’agit d’un des mécanismes à travers lesquels le retournement démographique du siècle prochain pourrait effectivement générer une baisse du chômage. Le mécanisme est le suivant : si le ralentissement puis l’inversion de la croissance de la population active entraînent une hausse du salaire (comme vu avec la projection précédente), et s’il y a une certaine inertie du salaire demandé, il peut en résulter un écart entre salaire demandé et salaire d’équilibre qui est favorable à la réduction du chômage. Cela suppose toutefois une prise en charge totale des hausses de cotisations retraite par les salariés : il faut donc que les aspirations de ces salariés s’expriment en termes de salaire brut, c’est-à-dire qu’ils acceptent de considérer l’ensemble de leurs cotisations comme une forme de salaire différé. Si les actifs ont au contraire des objectifs de salaire net, le scénario peut être inverse et se traduire par une hausse du chômage. La hausse des cotisations retraite fait en effet croître les aspirations exprimées en salaire brut. Si cette croissance excède celle du salaire d’équilibre et si les entreprises y réagissent en réduisant leur demande de travail, alors il y a augmentation plutôt que diminution du chômage.

33Pour modéliser ces mécanismes, le modèle de la section précédente a été modifié en supposant que le salaire brut effectif, à chaque instant, est une moyenne pondérée entre :

  • le salaire brut qui assurerait le niveau de chômage d’équilibre tel que spécifié dans les scénarios précédents ;
  • le salaire brut demandé qui est le salaire brut de l’année précédente, augmenté de la croissance de la productivité du travail, et pouvant être ou non augmenté de la croissance des cotisations retraites (de l’année t-1), selon que l’on suppose que les aspirations salariales concernent le salaire brut (scénario 4)
    ou le salaire net (scénario 5).

34Ce modèle de formation du salaire s’apparente à une boucle prix/salaires traditionnelle, mais avec une force de rappel plus marquée vers le chômage et le salaire d’équilibre, destinée à éviter l’apparition de cycles du chômage dont la projection à long terme aurait peu de signification. C’est parce que l’exercice n’est qu’illustratif qu’on s’est limité à cette spécification sans explorer de piste alternative [7]. On a également croisé ces scénarios avec un scénario de décalage de l’âge de la retraite d’un trimestre par an entre 2000 et 2010, soit 2,5 ans en tout à long terme, soit les scénarios 4d et 5d.

35Le graphique 7 ( cf. p. 148) donne le résultat des scénarios 4 et 4d.

36Avec ce mode de formation des salaires, on constate bien une évolution du chômage plus favorable que dans le scénario de chômage exogène, que la remontée de l’âge de la retraite vient simplement retarder.

37Le graphique 8 ( cf. p. 148) dnne le résultat des scénarios 5 et 5d.

38Les évolutions initiales sont comparables : il y a décrue du chômage par rapport à son niveau d’équilibre. Mais cette décrue laisse ensuite place à une reprise, du fait de la réduction de la demande de travail par les entreprises induite par la tentative de report, vers ces entreprises, des hausses de cotisation retraite.

39Dans ce contexte, la remontée de l’âge de la retraite a pour effet paradoxal de limiter temporairement la hausse du chômage autour de 2010 en réduisant l’ampleur de ce transfert de charge des retraites.

Graphique 7

Évolution du chômage, premier mode de formation des salaires

Graphique 7
Graphique 7 Évolution du chômage, premier mode de formation des salaires Lecture : en 2007, le taux de chômage serait de 8,1 % sans remontée de l’âge de la retraite ; 0,9 point en dessous de sa valeur d’équilibre. Il serait de 8,8 points avec remontée de l’âge de la retraite.

Évolution du chômage, premier mode de formation des salaires

Graphique 8

Évolution du chômage, deuxième mode de formation des salaires

Graphique 8
Graphique 8 Évolution du chômage, deuxième mode de formation des salaires Lecture : en 2010, le taux de chômage serait de 9,3 % sans remontée de l’âge de la retraite ; 0,3 point au-dessus de sa valeur d’équilibre. Il serait de 8,7 points, inférieur à sa valeur d’équilibre, avec remontée de l’âge de la retraite.

Évolution du chômage, deuxième mode de formation des salaires

Graphique 9

Variation du taux de cotisation d’équilibre par rapport au scénario 1, selon hypothèses sur le mode de formation des salaires et l’âge de la retraite

Graphique 9
Graphique 9 Variation du taux de cotisation d’équilibre par rapport au scénario 1, selon hypothèses sur le mode de formation des salaires et l’âge de la retraite Lecture : avec le premier mode de formation des salaires, la réduction du chômage permettrait, en 2010, une économie d’environ 0,2 point de cotisation. Avec le recul de l’âge de la retraite, cette économie passerait à 1,5 point.

Variation du taux de cotisation d’équilibre par rapport au scénario 1, selon hypothèses sur le mode de formation des salaires et l’âge de la retraite

40Le graphique 9, pour finir, donne l’impact de ces scénarios de chômage et d’âge de la retraite sur le taux de cotisation d’équilibre du système de retraite, en variation par rapport à la trajectoire obtenue, pour ce même taux, dans le scénario 2. Quel que soit le mode de formation des salaires que l’on privilégie, les variations du taux de cotisation d’équilibre sont minimes en l’absence de remontée de l’âge de la retraite, de plus ou moins un à deux dixièmes de point. Elles sont plus sensibles pour les scénarios 4d et 5d mais reflètent essentiellement, dans ce cas, l’effet comptable du retard de l’âge de la retraite que prennent parfaitement en compte les projections en équilibre partiel.

? Conclusion

41Cet article s’est limité à une liste restreinte d’effets macroéconomiques du changement de contexte démographique du début de ce siècle. Il a raisonné en économie fermée, avec comportements d’épargne et progrès technique exogènes. Deux conclusions ressortent.

42Tout d’abord, la prise en compte des effets macroéconomiques qui ont été introduits ne suffit pas à modifier radicalement les résultats de perspectives établies en équilibre partiel. Ce résultat obtenu avec une modélisation particulière ne vaut pas démonstration, mais il est assez représentatif de ce que montre la littérature existante. Intégrer d’autres mécanismes d’équilibrage ou de bouclage macroéconomique est toujours possible, mais il n’y a pas de raison de supposer qu’ils joueront plus fortement dans le sens de la correction des déséquilibres démographiques.

43L’ouverture économique, citée en introduction, joue plutôt dans le sens d’une plus grande contrainte sur les salaires et la rémunération du capital, et nous rapproche donc davantage de modèles où ces facteurs sont exogènes, plutôt que l’inverse.

44Quant aux mécanismes de progrès technique endogène, il semble peu probable qu’ils puissent faire jouer au vieillissement de la population et au ralentissement de la croissance démographique un rôle dynamisant. Pour le problème des comportements d’épargne, le scénario 3 a montré qu’ils peuvent effectivement jouer un rôle significatif, mais qui affecte davantage le rendement de la capitalisation que l’évolution des systèmes de répartition.

45Discuter de ces comportements est donc surtout décisif pour l’analyse des coûts et avantages du recours à la capitalisation, un aspect du débat sur la retraite qui est maintenant devenu secondaire.

46L’interaction entre évolution démographique, gestion du système de retraite et équilibre du marché du travail, en revanche, appelle certainement approfondissement. Non pas parce que les variations du chômage seraient capables, à elles seules, de contribuer massivement à la résolution du déséquilibre démographique, mais parce que c’est de ces évolutions de chômage que dépend la faisabilité de politiques de remontée de taux d’activité aux âges élevés.

? Annexe technique

47Cette annexe rappelle les relations générales à long terme entre variables démographiques et agrégats économiques qui sont prévues par le modèle de croissance de Solow, puis elle fournit le détail du modèle utilisé dans le texte.

?? Effets des variables démographiques dans le modèle de croissance néoclassique

48On suppose une fonction de production dépendant du capital K, de l’emploi L, d’une technologie augmentant le travail G. Cette fonction est ici supposée du type Cobb-Douglas. On peut donc écrire :
Y=K? (GL)1-?
On se donne par ailleurs les équations d’évolution suivantes pour les trois facteurs K, L et G :
dK/dt=? Y-? K (épargne en proportion fixe du revenu moins dépréciation en proportion fixe du capital)
dL/dt=nL
dG/dt=? G

49Un tel système converge, à long terme, vers les trajectoires d’équilibre en k=K/L et y=Y/L suivantes :
k(t) = [? /(? +n+? )]1/(1-?) e?t (1)
y(t) = [? /(? +n+? )]?/(1-?) e?t

50On en déduit les rémunérations d’équilibre des facteurs :
w(t)=(1- ? )y(t) (2)
? (t)= ? y(t)/k(t)= ? (? +n+? )/? (3)
d’où
?net (t)= ? (t)-? = ? (n+? )/? +? (?/? -1)

51On en tire les résultats suivants concernant l’effet d’une modification du taux de croissance démographique n :

  • les taux de croissance à long terme du produit par tête ou du salaire, tous deux égaux à ?, sont indépendants de n ;
  • les variations de n impliquent, en revanche, des changements de niveau de y ou w, donc des accélérations ou décélérations transitoires de la croissance. L’ordre de grandeur de cet effet sur les niveaux peut-être évalué en calculant la sensibilité de log y(n, t) aux variations de n. On a :
    d(log y)/dn = -? /[(1-? )(? +n+? )]

52Autour de n=0, avec ? =1/3, ? =0,02 et ? =0,05, cela donne à peu près dy/y=-7dn, ce qui signifie par exemple qu’un point de baisse de la croissance démographique, à long terme, se traduit par une augmentation de 7 % du produit par tête. Cela correspond à peu près au résultat donné sur le graphique 5 ( cf. p. 144). Cela n’est pas négligeable mais, étalé sur les quelques décennies que prend la transition, ceci ne représente qu’un gain très modéré en taux de croissance.

53La relation, en revanche, est plus marquée entre croissance démographique et rendement net du capital. Une variation de 1 point de n se traduit par une variation de ? /? points de ?. Mais il n’y a pas d’identité nécessaire entre rendement net du capital et croissance démographique ou croissance économique globale.

54Cette identité ne s’obtient que dans le cas particulier où ? =?.

55Si ? <?, le rendement du capital sera supérieur au taux de croissance, et cela restera vrai quelle que soit la valeur de n.

?? Spécifications des modèles retenus dans la note

Modèle avec rémunérations concurrentielles des facteurs

56L’évolution de l’emploi L, au lieu de se faire à rythme constant, est calculée sur la base des projections démographiques, de l’évolution des taux d’activité, et d’une hypothèse exogène sur le taux de chômage (assimilable à un chômage d’équilibre). On décompose par ailleurs l’évolution de la productivité en trois facteurs :

  • un facteur dépendant du temps (croissance au taux ? ) ;
  • un facteur dépendant de la génération (croissant, d’une génération sur l’autre, au rythme ?) ;
  • un effet d’âge propre ? (a).

57Si p(a, t) est la population d’âge a à la date t, t act (t) et u eq (t) le taux d’activité et le taux de chômage d’équilibre à cette même date, l’emploi efficace GL se réécrit donc :
? a=20,60 p(a, t) t act (t) (1-u eq (t)) e?t e?(t-a) ? (a)

58Dans les conditions initiales, on suppose que le capital correspond au niveau d’équilibre pour le taux d’épargne initial et le taux de croissance initial de cet emploi efficace, c’est-à-dire au capital donné par l’équation (1). Cette hypothèse est faite pour permettre d’isoler l’effet pur du changement de rythme démographique de 2005 sur la croissance, sans interférence avec des mécanismes d’ajustement du capital qui résulteraient d’une situation de déséquilibre initial.

59Les rémunérations des facteurs sont données, à chaque date, par les équations 1 et 2. Les niveaux des retraites sont calculés en supposant que le ratio retraite moyenne/salaire net moyen reste inchangé tout au long de la projection. Chaque année, le taux de cotisation ?(t) au système de retraite est calculé comme ratio de la masse des retraites à la masse des salaires bruts. Les salaires nets en sont directement dérivés. Les autres cotisations et charges sociales n’ont pas été modélisées.

60Cette version du modèle est celle qui est utilisée pour les sections 1 et 2 du texte. Dans la section 1, on fixe simplement le coefficient ? à 0, ce qui neutralise le rôle du capital. Dans la section 2, ce coefficient est fixé à 0,3. Dans tous les cas, pour permettre leur comparabilité, tous les résultats en valeur sont divisés par le niveau de salaire brut moyen en 1998, qui sert donc d’unité de compte.

Modèle avec flexibilité partielle du salaire

61L’hypothèse de rigidité des salaires a été introduite de la manière suivante. On note, à la date t, w eq (t) le salaire qui conduirait au niveau de chômage d’équilibre courant u eq (t). Soit ? moy (t) l’efficacité moyenne du travail à la date t, compte tenu des effets de période, de génération, et d’âge définis plus haut. On note w dem (t) le salaire brut demandé à la date t, qu’on définit par :
w dem (t) = w bru (t-1) [? moy (t)/ ? moy (t-1)] [(1-?(t-2))/(1-?(t-1))]µ

62Il y a donc indexation du salaire désiré sur la productivité. Le paramètre µ mesure le degré auquel les salariés tentent de compenser les hausses de cotisations retraites (avec un retard d’un an) par des hausses de salaire brut. Si µ=1 (scénario 5), ils tentent un report intégral de cette charge, si µ=0 (scénario 4), ils assument cette charge totalement. Dans tous les cas, on suppose que le salaire brut négocié à la date t est une moyenne pondérée entre ce salaire brut demandé et le salaire d’équilibre, soit :
w bru(t) = (1-? ) w dem (t) + ? w eq (t)

63On a pris, dans les applications, ? =0,5. Une fois fixé w bru (t), l’emploi s’en déduit par inversion de l’équation de productivité marginale du travail. Les autres variables sont déterminées comme précédemment.

Notes

  • [1]
    Cette littérature est trop abondante pour tenter d’en lister les références. Un grand nombre d’apports de ces modèles sont explorés chez Artus et Legros (1999).
  • [2]
    Ce texte est une version révisée d’une note préparée en 1998 pour les travaux de la commission de concertation sur les retraites du Commissariat général du Plan. Les évolutions enregistrées depuis cette date ne remettent pas en cause l’ordre de grandeur des résultats des simulations proposées. Cet article n’engage ni l’Insee, ni le Commissariat général du Plan.
  • [3]
    Cf. Hamayon et Rouquès (1998) pour un outil d’esprit similaire.
  • [4]
    On fait ici l’hypothèse que ces écarts de salaires par âge traduisent des écarts de productivité effectifs. On pourrait aussi envisager l’hypothèse d’un écart salaire-productivité croissant avec l’âge (modèle de paiement différé), avec des implications intéressantes mais difficiles à intégrer dans les modélisations proposées ici.
  • [5]
    Plus exactement, elle détermine le rendement de la part de l’épargne retraite qui est investie en actions. L’interaction entre démographie et rendement des placements obligataires relèverait d’une modélisation différente.
  • [6]
    Une analyse plus détaillée est proposée dans Blanchet, 2001.
  • [7]
    L’avantage de cette spécification est de forcer le retour à long terme du niveau de chômage vers son niveau d’équilibre exogène. D’autres modèles explicitant plus en détail le mécanisme de négociation salariale (modèles dits WS/PS) peuvent conduire à des dérives endogènes de ce taux de chômage, mais la pertinence empirique de ces modèles reste sujette à débat.
Français

Cet article examine la prise en compte de quelques mécanismes macroéconomiques simples à long terme afin de voir si elle est susceptible d’altérer sensiblement les projections d’équilibre des retraites, généralement menées dans un cadre purement comptable. Les mécanismes pris en compte sont : l’impact du vieillissement interne de la population active sur les salaires, l’impact du ralentissement démographique sur le ratio capital/travail, les salaires et le rendement du capital, l’impact sur les mêmes grandeurs d’une hausse du taux d’épargne qui résulterait d’un développement de la retraite par capitalisation et l’effet sur le marché du travail des hausses de cotisations et/ou de l’âge de la retraite. Ces effets sont évalués dans le cadre d’une maquette très simple combinant projections démographiques, modèle de croissance néoclassique de Solow et hypothèse de déséquilibre du marché du travail. L’«endogénéisation» des variables économiques ne modifie que faiblement les conclusions habituelles quant au besoin de financement des systèmes par répartition. En revanche, elle affecte plus sensiblement l’évaluation de la performance potentielle de la capitalisation. Enfin, un point d’incertitude important concerne la réaction du chômage aux différents scénarios de cotisation ou d’âge de la retraite.

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Didier Blanchet
INSEE
Pour citer cet article
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