CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Définition et méthodes de mesure

1L’économie non observée ou « cachée » a plusieurs composantes : production souterraine, production illégale, production issue d’emplois ou d’entreprises informels, production des ménages. Qu’est-il pertinent de prendre en compte dans le Produit Intérieur Brut (PIB) ? D’après le Système de Comptabilité Nationale de 1993, toute activité de production pouvant contribuer au revenu national. C’est particulièrement important dans le cas des pays en développement ou émergents, pour lesquels le PIB est un élément central du calcul des aides internationales et de la détermination des conditions d’emprunt. Si 50 % de la production du pays est cachée et soustraite au calcul comptable, cela pose problème.

2La définition sur laquelle se basent les estimations de la Banque mondiale ci-dessous est la suivante : toute activité marchande légale de production de biens ou services délibérément cachée aux autorités (pour éviter l’impôt, les charges sociales, les standards, les lenteurs bureaucratiques…). Ne sont prises en compte ni les activités criminelles ni l’évasion fiscale.

3Il existe plusieurs méthodes d’estimation de l’emploi informel et de la contribution de l’économie non observée au revenu national. Les méthodes directes, telles que les enquêtes microéconomiques auprès des ménages et entreprises, donnent en général une estimation du secteur informel ou de l’emploi informel au sens du nombre de personnes travaillant de façon déclarée ou non, dans une entreprise déclarée ou non, dont la production est cachée. Les méthodes d’estimation indirectes, quant à elles, sont controversées car elles reposent sur des hypothèses fortes (par exemple, les transactions concernant la production cachée seraient en espèces) et une macromodélisation débouchant souvent sur une surestimation. Il s’agit des méthodes monétaires, qui postulent que la production non mesurée peut être modélisée en termes de stocks ou de flux monétaires, des méthodes d’estimation par un indicateur physique (consommation d’électricité) et des méthodes de la variable latente. Elles donnent une estimation macroéconomique de la contribution de l’informel au revenu national.

La méthode de variable latente (mimic)

4La méthode des indicateurs et causes multiples (« Multiple Indicators Multiple Causes »), utilisée dans le document de travail de la Banque mondiale (2011), dont sont issues les estimations ci-après, est basée sur un modèle d’équations structurelles. Dans cette méthode, la variable non observée, la part d’économie « cachée », est une variable latente. La modélisation se fait en fonction de deux groupes de variables, celui des variables causales, supposées déterminer la taille et la croissance de l’économie non mesurée – comme le taux d’imposition ou le niveau de régulation et de démarches administratives, et le groupe des indicateurs –, le taux de croissance, le taux de participation au marché du travail, etc., supposés porter la « trace » des activités manquantes et « révéler » la variable non observée.

5Cette méthode innovante a cependant de sérieuses limites. Il est difficile de distinguer clairement l’utilisation d’une variable comme cause ou comme indicateur, ce qui oblige à faire plusieurs spécifications où la variable est tantôt indicateur, tantôt causale, c’est le cas du taux de croissance. De plus, la méthode ne donne qu’une estimation de la taille relative de la variable latente, qu’il faut calibrer en fonction d’une autre valeur de référence, exogène au modèle, c’est-à-dire estimée autrement (ici la valeur de PIB total d’un pays à un instant t, estimée par méthode monétaire en 2000 par F. Schneider). Cette méthode de modélisation est, elle aussi, l’objet de fortes réserves de la part des comptables nationaux (cf. le Manuel de l’OCDE).

Estimations par régions du monde sur la période 1999-2007

6Malgré les limites de la méthode, certaines tendances apparaissent. Les pays en développement, les pays émergents et les pays anciennement en transition post-socialiste, sont marqués par un secteur informel très important comptant souvent pour plus d’un tiers de leur revenu ; les pays à haut revenu et particulièrement ceux de l’OCDE sont marqués par une informalité beaucoup plus faible comparativement, mais loin d’être négligeable.

7Si les différentes régions du monde, d’après la typologie de la Banque mondiale, sont marquées par des tendances caractéristiques, les différences entre moyenne et médiane montrent bien que les situations en leur sein sont hétérogènes. Par exemple, dans l’OCDE, le taux d’informalité de la Suisse (8,1 % du PIB en 2007) et celui de l’Italie (26,8 %) diffèrent fortement ; en Europe post-socialiste, celui de la Slovaquie (16,8 %) et celui de la Russie (40,6 % en 2007) ne sont pas comparables, pas plus que ce dernier et celui de la Géorgie (62,1 %).

Tableau 1

Estimation de la contribution de l’informel au PIB par région

Tableau 1
Mesure de l’économie informelle en % de PIB Estimations non pondérées par le PIB total Estimations pondérées par le PIB total Régions du monde (selon la Banque mondiale) Moyenne Médiane Moyenne Médiane Asie orientale et Pacifique 32,3 32,5 17,5 12,7 Europe (hors-OCDE) et Asie centrale (anciennement en Transition) 38,5 35,8 36,5 32,8 Amérique latine et Caraïbes 41,2 38,7 34,7 33,7 Moyen-Orient et Afrique du Nord 28 32,7 27,3 32,7 Pays de l’OCDE à hauts revenus 16,8 16 13,5 11 Autres pays à hauts revenus 22,8 25 20,8 19,5 Asie du Sud 33,2 35,3 25,1 22,2 Afrique subsaharienne 40,8 40,5 38,4 34,1 Monde 33,1 33,5 17,2 13,4

Estimation de la contribution de l’informel au PIB par région

Source : Schneider, Buchn et Montenegro (2011).

8C’est pourquoi il est important de pondérer le taux d’informalité de chaque pays comme l’ont fait F. Schneider, A. Buehn et C. E. Montenegro dans Shadow Economies All over the World. La pondération qu’ils ont choisie permet de tenir compte de la contribution réelle de l’informel au revenu total de chaque pays et de la contribution relative de chaque pays au revenu total de la région. Ainsi, dans des régions, comme l’Asie orientale, où ce sont les petits pays qui sont les plus marqués par l’informalité, la moyenne pondérée de la part d’informel dans les revenus nationaux est inférieure à la moyenne non pondérée.

Où se situe la France dans ces estimations ?

9La moyenne française est inférieure à la moyenne mondiale et à la moyenne des pays à haut revenu (OCDE et hors OCDE). La France fait donc plutôt partie des pays où l’informel n’est pas trop élevé relativement au PIB.

Tableau 2

Évolution de l’économie informelle dans différents pays

Tableau 2
Pays 1999 2003 2007 États-Unis 8,8 8,7 8,4 Chine 13,2 12,8 11,9 Royaume-Uni 12,8 12,5 12,2 France 15,7 15 14,7 Allemagne 16,4 16,3 15,3 Inde 23,2 22,3 20,7 Afrique du Sud 28,4 27,8 25,2 Brésil 40,8 39,6 36,6 Russie 47 43,6 40,6

Évolution de l’économie informelle dans différents pays

Source : Schneider F., Buehn A. et Montenegro C. E. (2011).

10Cependant, le constat que fait la Banque mondiale est qu’y compris dans les pays développés, l’informel représente une part importante de la production et de la création de valeur. Notons que 15 % du PIB français de 2007 représente environ 270,2 milliards d’euros 2005 (d’après l’INSEE, le PIB de 2007 est évalué à 1801,1 milliards d’euros 2005). Dans les pays de l’OCDE comme ailleurs, l’économie informelle est estimée à un montant très élevé.

Bibliographie

  • OCDE (2003), Manuel sur la mesure de l’économie non observée, Paris.
  • Schneider F., (2002), « Size and Measurement of the Informal Economy in 110 Countries around the World ».
  • En ligneSchneider F., Buehn A. et Montenegro C. E., (2010), « Shadow Economies All over the World : New Estimates for 162 Countries from 1999 to 2007 », Policy Research Working Paper 5356, Banque mondiale, version révisée 2011.
Mis en ligne sur Cairn.info le 20/02/2014
https://doi.org/10.3917/rce.014.0103
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