1Bien qu’en France l’État républicain et laïc ait un certain monopole sur l’éducation, l’enseignement privé est parvenu au cours des deux derniers siècles à se faire une place dans l’offre scolaire malgré des remises en causes régulières. Aujourd’hui les établissements privés représentent 14 % des établissements et environ 17 % des élèves du primaire et du secondaire y sont scolarisés. Le « privé sous contrat » est une forme de compromis, qui permet à des établissements non publics d’exister tout en homogénéisant l’offre éducative proposée par le biais des programmes imposés et de concours de recrutement similaires. En échange d’obligations de service public, l’État prend en charge tout ou une partie de leurs dépenses de fonctionnement. Cette forme d’enseignement privé sous contrat – simple ou d’association – connaît un certain succès puisque 97 % des élèves du privé y sont scolarisés. Différentes motivations peuvent pousser à inscrire ses enfants dans le privé : outre la motivation d’échapper à une offre scolaire publique perçue parfois comme inefficace ou simplement la volonté d’inscrire ses enfants dans l’établissement ayant la meilleure réputation du secteur, la motivation est aussi souvent religieuse. Ainsi un des enjeux historiques de l’enseignement privé était-il d’échapper aux restrictions laïques des écoles d’État.
Survol historique : la conquête de l’école « libre » dans un État jacobin et laïc ?
2La question de l’école privée surgit lorsque Napoléon décrète en 1808 le monopole de l’État sur l’enseignement après avoir créé l’Université. L’idée reprise sous la Troisième République est que tous les Français doivent avoir une éducation de base comparable. L’ensemble du corps enseignant doit suivre un même programme défini au niveau national. Cette décision suscite jusqu’à la fin du XXe siècle des débats entre partisans du monopole d’État (privilégiant l’égalitarisme) et les défenseurs d’un enseignement échappant au dogme étatique qui, eux, prônent la liberté d’expression et d’association. Les lois Guizot (1833) et Falloux (1850) instaurent la possibilité d’un enseignement privé dans le primaire puis le secondaire. Au tournant du XXe siècle, au terme de combats passionnés, l’État se laïcise. En 1882 est imposée la laïcité des programmes et des locaux des écoles publiques, puis en 1905 la séparation institutionnelle de l’Église et de l’État. À partir de là, les débats sur la laïcité vont se cristalliser autour de l’école et notamment autour de l’existence marginale ou non d’écoles privées.
3L’enjeu du débat n’est pas seulement la défense des libertés face aux principes de laïcité et d’égalitarisme, c’est aussi la question du financement public d’établissement privé auquel s’opposent les tenants du monopole et les défenseurs de la laïcité. La loi Debré (1959) accorde des subventions publiques aux établissements privés sous contrat, leur permettant ainsi de bénéficier d’un double financement, celui des parents d’élèves et les deniers publics. Lorsqu’Alain Savary tente en 1984 de revenir sur cette loi, les manifestations des défenseurs de l’école « libre » sont si fortes que le projet est retiré et le gouvernement Mauroy démis. C’est le dernier soubresaut du débat en date. Dans ce mouvement collectif il apparaît que le clivage entre tenants du monopole et défenseurs de l’école libre est loin de suivre un clivage gauche-droite. En outre les questions de laïcité se sont étendues aux autres confessions et les libertés de culte et d’association leur ont permis de créer également un enseignement en adéquation avec leur croyance (essentiellement des écoles juives et musulmanes privées hors contrat).
Statistiques comparatives
4Les établissements d’enseignement privé scolarisaient 2 033 000 élèves en 2010-2011 : 13,4 % des élèves dans le premier degré et 21,3 % dans le second degré. Le nombre d’écoles et établissements scolaires privés est de 8 970 en 2010-2011 : 9,9 % des écoles et 31,9 % des collèges et lycées sont privés. Les établissements privés sont plutôt plus petits, avec, en moyenne, des classes moins chargées dans les lycées, mais plus chargées dans les collèges et écoles élémentaires. Le personnel est à très forte proportion féminin : 90 % des enseignants du privé sont des femmes contre 60 % dans le public.
5Les familles qui recourent au privé peuvent avoir des motivations très variées comme la proximité géographique, l’affinité religieuse, culturelle ou sociale, la méthode pédagogique. Malgré cette diversité, cela se recoupe en partie et dessine quelques traits communs parmi les élèves du privé. Ils sont à plus fort pourcentage enfants d’indépendants (professions libérales) et de milieux sociaux plus favorisés. D’après le ministère de l’Éducation nationale, 35 % des élèves du premier cycle sont issus de milieux très favorisés (cadres, professions intermédiaires) dans le secteur privé contre 19 % dans le public, et seulement 20 % sont de milieux sociaux défavorisés (ouvriers, chômeurs et inactifs), contre 40 % dans le public. Le pourcentage de classe moyenne est à peu près équivalent. Enfin la diversité culturelle est moindre dans le secteur privé : 1,7 % des élèves sont étrangers dans le premier cycle privé contre 2,9 % dans le public.

(*) Section d’enseignement général et professionnel d’enseignement adapté.
6Pour conclure, la question de « l’efficacité » du privé par rapport au public sur les trajectoires des élèves se pose en ce qui concerne les inégalités sociales de réussites et non plus seulement les inégalités sociales d’accès. Si les écarts bruts de performance semblent à l’avantage du privé (70 % obtiennent un Bac général ou technologique contre 59 % des élèves du public), les écarts diminuent et se cantonnent au primaire lorsqu’on raisonne sur des élèves rendus comparables en contrôlant pour les caractéristiques individuelles grâce aux données de panel. En dépit des inégalités sociales de composition du privé, Langouët et Léger (1994) notent que le secteur privé a en son sein des écarts sociaux de réussite moindres, il laisserait donc moins augmenter les inégalités, entre élèves initialement moins inégaux…