CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1L’une des premières questions qui se pose au président élu en mai 2012 est celle du cadre dans lequel inscrire sa politique budgétaire. À l’été 2011, majorité et opposition ne se sont pas accordées sur la mise en place d’une règle budgétaire, comme l’avait proposée la commission présidée par Michel Camdessus. Depuis, la surveillance européenne s’est renforcée et s’est faite plus précise : le traité budgétaire signé fin mars 2012 par vingt-cinq chefs d’État et de gouvernement européens fixe les grandes lignes de la règle à appliquer et impose à chaque pays de la transposer dans sa législation, sous le contrôle de la Cour de justice européenne. Depuis un an, aussi, la pression des investisseurs s’est accrue : la crise européenne a gagné le cœur de la zone euro, et la France elle-même a connu de premières tensions sur le marché de sa dette publique.

2L’expérience montre cependant que l’essentiel n’est pas dans les contraintes européennes. Ce qui compte vraiment, pour la réussite d’un ajustement budgétaire, ce sont la volonté nationale de le mettre en œuvre et la qualité des décisions par lesquelles celle-ci se traduit. Un engagement de responsabilité budgétaire ancré dans les institutions et procédures de décision nationales est ainsi essentiel pour retrouver un sentier de dette soutenable, à un rythme qui préserve la croissance de court terme. Un ajustement sous la pression de marchés doutant de la sincérité des promesses faites aux partenaires européens serait nécessairement plus brutal, plus douloureux et plus coûteux en croissance.

3L’enjeu est particulièrement important pour la France qui souffre d’un considérable déficit de crédibilité budgétaire. Depuis que ceux-ci existent, elle s’est systématiquement abstenue de se conformer aux programmes triennaux de stabilité que le gouvernement transmet chaque année à la Commission européenne. Contrairement à bien d’autres pays, qui ont de longue date adopté des techniques de gouvernance faisant place à la règle et à la délégation à des organismes indépendants, la politique économique reste marquée par la prééminence du discrétionnaire [1].

4Nous proposons donc que la France ne se borne pas à transposer a minima dans son droit interne les dispositions fixées par le traité budgétaire, mais qu’elle saisisse l’occasion qui lui est donnée de réformer en profondeur ses institutions et procédures budgétaires. Nous pensons important d’agir en conformité avec les règles européennes, mais surtout de prendre appui sur le meilleur de nos pratiques de gestion des finances publiques.

5La première partie de cet article revient sur l’expérience passée en France et en Europe. La deuxième rappelle nos propositions antérieures (Boone et Pisani-Ferry, 2011). La troisième précise comment articuler engagement national et contraintes européennes.

Pour un engagement de responsabilité budgétaire

1991-2011 : vingt ans pour ne pas réussir

6C’est en 1991, il y a vingt ans, qu’a été signé le traité de Maastricht qui bannissait les « déficits publics excessifs » et instaurait des mécanismes de surveillance européens. C’est en 1996, il y a quinze ans, qu’a été négocié le Pacte de stabilité qui organisait le suivi des décisions budgétaires nationales et fixait les modalités de la sanction des comportements déviants. Ces disciplines étaient supposées garantir une gestion responsable des finances publiques. Dès avant la crise, leurs limites étaient visibles. Elles sont devenues évidentes.

7C’est particulièrement le cas en France. Le pays a constamment joué aux limites des seuils fixés par le Pacte, sans jamais se l’approprier, ni y substituer une autre conception de la discipline budgétaire. Le seuil de 3 % du PIB pour le déficit budgétaire semble avoir constitué une cible plutôt qu’une limite à ne pas franchir. Même si l’on fait abstraction de l’année 2009, le déficit public atteint en moyenne 2,75 % du PIB sur les dix dernières années. Dans ces conditions, des ralentissements conjoncturels d’ampleur modérée ont suffi à faire basculer le déficit au-delà des 3 %. Loin de demeurer en dessous du niveau requis de 60 % du PIB, la dette publique de la France est passée de 36 % du PIB en 1991 à 85,8 % en 2011. Le ratio n’a cessé d’augmenter, sauf entre 1999 et 2001.

8De nombreuses règles au caractère plus ou moins contraignant ont été mises en œuvre en France pour maîtriser les finances publiques. Les dépenses de l’État sont soumises à des plafonds de croissance (zéro progression en volume, zéro en valeur hors retraites et charges de la dette) ; les collectivités locales sont soumises à une règle d’or de non-endettement, sauf pour les dépenses d’investissement ; les dépenses de l’assurance maladie sont soumises à des plafonds annuels, 2,5 % de croissance pour 2012. Cependant, même lorsqu’elles ont été observées, ces règles n’ont pas contenu les déficits, faute d’empêcher les baisses d’impôts et les comportements pro-cycliques. La part de la dépense publique dans le PIB a elle-même sensiblement progressé, en raison notamment de la chute du dénominateur. Elle est passée de 52 % en 1990 à 56 % aujourd’hui, un record parmi les pays de l’OCDE.

Des avantages d’une règle budgétaire crédible

9L’objectif de la politique budgétaire n’est pas d’éradiquer la dette. L’endettement public se justifie à deux titres : lisser les fluctuations de l’activité et investir au bénéfice des générations futures. Cela suppose d’une part qu’en période de croissance les déficits soient réduits, pour pouvoir être accrus en période de récession, et d’autre part que le niveau d’endettement reste soutenable, au sens où la solvabilité de long terme de l’État peut être garantie, sans que cela implique de s’écarter de niveaux de dépense et de prélèvement économiquement et politiquement acceptables. Ces deux objectifs transcendent les débats partisans. Ils relèvent d’une gestion responsable des finances publiques qui peut s’accompagner de choix économiques et sociaux très différents les uns des autres.

10La crise de la zone euro a mis en exergue les dangers d’une dette trop élevée. Lorsque les créanciers s’inquiètent de la soutenabilité des finances d’un État, le taux que celui-ci doit servir à ses prêteurs s’élève, ce qui dégrade la situation des finances publiques et entraîne des ajustements budgétaires brutaux. Ceux-ci pèsent sur la croissance, aggravant du même coup la situation des finances publiques. Les banques, qui détiennent des titres publics et sont tributaires de l’État en cas de pertes, souffrent d’une dégradation de leurs conditions d’emprunt. Le tout peut, on l’a vu dans plusieurs cas, déboucher sur des difficultés de financement sur les marchés, voire sur un arrêt des financements privés.

11Investir dans des principes de politique budgétaire et dans la création d’institutions susceptibles de garantir que ces principes seront appliqués est, pour un gouvernement, le moyen de renforcer sa crédibilité. Cela lui permet d’éviter des ajustements précipités en cas de difficultés. Une règle crédible, qui convainc du caractère soutenable de la politique budgétaire, permet un ajustement moins brutal, moins pénalisant aussi pour la croissance. Pour la France, dont la crédibilité budgétaire est très faible, cet investissement s’impose tout particulièrement, indépendamment des disciplines fixées par les traités européens.

12Il est donc critique de se doter d’un dispositif national de responsabilité budgétaire, c’est-à-dire à la fois :

  • d’une définition de la discipline en matière de finances publiques. C’est l’objet de la règle budgétaire (ou d’un ensemble de règles applicables par exemple à différents sous-ensembles des finances publiques) ;
  • et de procédures de gouvernance destinées à assurer que les choix annuels sont conformes à la définition adoptée de la discipline budgétaire.

Les propriétés d’une bonne règle budgétaire

13La recherche économique a dégagé quelques principes pour le choix d’une règle budgétaire. Outre ses propriétés asymptotiques (assure-t-elle la soutenabilité ?) et conjoncturelles (permet-elle la stabilisation ?), un point important mis en évidence par Hallerberg, Strauch et von Hagen (2004) est que règles et gouvernance doivent être adaptées à la structure institutionnelle du pays. Plus un gouvernement est centralisé (c’est le cas dans les pays où la pratique de gouvernements unitaires est fréquente), plus le ministre des Finances est en position de force pour imposer au parlement la politique budgétaire de son choix. La question de la règle revient alors à celle des contraintes à fixer à l’exécutif. À l’inverse, dans les pays où les gouvernements de coalition sont fréquents (généralement en raison d’un système de représentation proportionnelle au parlement), la règle budgétaire participe de l’accord de coalition et l’évaluation externe est une garantie pour les partis qui y participent.

L’utilité d’un comité budgétaire indépendant

14Inscrire une règle dans la Constitution ou les lois nationales ne suffit pas à garantir sa capacité à assurer la soutenabilité des finances publiques. Il importe aussi d’assurer son application de manière transparente, prévisible et crédible. Pour cela, il est souhaitable que le pays soit doté d’institutions capables d’évaluer la mise en œuvre de la règle, les conséquences d’un dérapage, et les mesures nécessaires au retour à un sentier soutenable de la dette. C’est pourquoi la mise en place d’une règle budgétaire devrait être complétée par la création d’un comité budgétaire chargé, non pas de déterminer l’orientation de la politique budgétaire, mais de contribuer à la transparence des décisions et à l’objectivité des évaluations.

15Si les décisions en matière de finances publiques relèvent du choix démocratique et appartiennent donc au parlement, la fixation des perspectives économiques sur lesquelles se fondent les lois de finances, l’évaluation ex ante du coût des mesures fiscales et budgétaires, l’appréciation de la conformité des projets de lois de finances à la règle dont le pays s’est doté, et l’évaluation ex post des raisons pour lesquelles la trajectoire budgétaire peut avoir différé des prévisions ex ante relèvent du domaine technique et peuvent donc utilement être confiées à une structure indépendante du pouvoir politique. Cette division des tâches se retrouve dans beaucoup de réformes récentes, par exemple la réforme britannique qui a instauré une stricte distinction entre responsabilité politique sur la règle et contrôle indépendant sur sa mise en œuvre.

16Calmfors et Wren-Lewis (2011), se basant sur l’expérience de onze pays ayant mis en place des comités budgétaires, notent que la composition des comités, la nature de leur relation vis-à-vis du ministère des Finances, et leur degré d’indépendance varie d’un pays à l’autre mais que tous remplissent au moins les trois tâches suivantes : évaluation de la soutenabilité budgétaire, évaluation ex ante et évaluation ex post de la politique budgétaire (Tableau 1). Presque tous (sauf celui de la Belgique, où ce rôle appartient à un autre organisme semi-indépendant) ont également la responsabilité des prévisions macro-économiques. Certains sont aussi chargés d’évaluer la transparence budgétaire ou de faire des recommandations plus générales de politique économique.

Tableau 1

Statuts et rôles des comités budgétaires en place dans quelques pays

Tableau 1
Pays Nommé par Relation avec le ministère des Finances Prévisions macro-économiques Évaluation ex post, ex ante et de la soutenabilité Évaluation du coût des politiques nouvelles Recommandations normatives Aut Gouvernement Fournit employés et moyens Oui Oui Non Oui Bel Gouvernement Fournit employés et moyens Non Oui Non Oui Can Gouvernement et parlement Indépendant Oui Oui Oui Non Dan Gouvernement Indépendant Oui Oui Non Oui All Gouvernement Indépendant Oui Oui Non Oui Nld Ministère de l’économie Au sein du Ministère de l’économie Oui Oui Oui Non Slo Gouvernement Secrétariat général du gouvernement Oui Oui Non Non Suè Gouvernement Indépendant Oui Oui Non Oui RU Ministère des Finances Semi-indépendant Oui Oui Non Non EU Parlement Indépendant Oui Oui Oui Non

Statuts et rôles des comités budgétaires en place dans quelques pays

Source : Calmfors et Wren-Lewis (2011).

Une proposition

17À la suite de l’Allemagne, les signataires du TSCG (Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de mars 2012) ont retenu le principe d’une règle fixant des limites au solde structurel (c’est-à-dire le solde des finances publiques correspondant au PIB potentiel, hors effets de la conjoncture). L’idée est économiquement pertinente, parce qu’une telle règle laisse place au libre jeu des stabilisateurs automatiques, qui font normalement que le solde budgétaire se dégrade en période de faible conjoncture (moindres rentrées fiscales et dépenses publiques accrues) et s’améliore en phase de croissance. Elle est cependant empiriquement contestable, parce que le solde structurel n’est pas directement observable et que sa mesure est très imprécise. À la suite de ré-estimations du PIB potentiel, la crise financière s’est ainsi traduite par des révisions considérables des soldes structurels publiés par la Commission européenne. S’appuyer sur des mesures de ce type, c’est exposer la politique économique à des revirements violents justifiés par des réévaluations techniques [2]. Le solde structurel sera mesuré avec moins d’imprécision lorsque les économies seront retournées à un état d’équilibre, mais le sentier de ce retour sera long et les estimations seront toujours fragiles au moment des changements de conjoncture. Pour cette raison, nous préférons que la règle ne s’appuie pas explicitement sur le solde structurel. Cela n’interdit toutefois pas de vouloir reproduire les propriétés cycliques d’une règle établie en termes structurels.

18Notre proposition, adaptée de Garnier et Pisani-Ferry (2010), est ainsi la suivante. Pour l’État[3] :

  1. Une loi de programmation quinquennale fixe, en début de chaque législature et pour l’ensemble de la législature, le plafond des dépenses de l’État en euros constants, le montant minimum des recettes non-fiscales et le montant minimum des mesures de prélèvement nouvelles (ou le montant maximum des baisses de prélèvement non compensées par de nouvelles mesures d’économies). Est aussi plafonnée en euros constants l’évolution de l’ensemble des concours de l’État au profit des collectivités territoriales, quelle que soit leur forme. Sont associées à cette loi, à titre indicatif, une prévision de taux de prélèvement de l’État et une prévision de solde, sous condition de scénario de croissance, d’inflation et de taux d’intérêt ;
  2. L’objectif de fin de législature retenu dans la loi de programmation est fixé en sorte de garantir la soutenabilité des finances publiques. Dans les conditions actuelles, celle-ci implique pour les législatures à venir une baisse importante et régulière du ratio de dette publique. L’objectif de ratio de dette à long terme (10-15 ans) est fixé sur la base des projections et des tests de stress effectués par le Conseil des finances publiques (cf. infra) en conformité avec nos objectifs européens ;
  3. La loi de finance annuelle est tenue de respecter les plafonds de dépense et l’enveloppe des mesures nouvelles de prélèvements inscrits dans la loi de programmation. Toute autre mesure (dépense supplémentaire, baisse de prélèvements additionnelle, dépenses fiscales) est intégralement gagée par des économies de dépense ou financée par des prélèvements additionnels ;
  4. En exécution, les dépenses au-delà du plafond fixé par la loi de programmation (et qu’est tenue de respecter la loi de finances) sont financées par tirage sur un compte de contrôle notionnel. Le compte de contrôle est alimenté par les écarts entre dépenses effectives et dépenses programmées et par des prélèvements en excédent des mesures programmées dans la loi quinquennale. Le total des tirages nets sur le compte de contrôle ne peut dépasser un pour cent du PIB sur l’ensemble de la législature, sauf clause de sauvegarde dans le cas de circonstances exceptionnelles (récession marquée, dommage environnemental ou sanitaire majeur, atteinte grave à la sécurité nationale) qui doit être adoptée par un vote à la majorité qualifiée [4]. Dans ce cas, le dérapage du compte de contrôle doit être corrigé dès le retour à une croissance positive et dans les trois ans maximum (ce qui permet de ne pas corriger en cas de récession prolongée). Un supplément de recettes dû à une conjoncture plus favorable alimenterait ce compte de contrôle, qui pourrait ainsi jouer le rôle de rainy-days fund ;
  5. La loi de programmation quinquennale ne peut être révisée ou remise en cause qu’à la suite d’une dissolution du parlement ou de circonstances exceptionnelles telles qu’indiquées au paragraphe précédent ;
  6. Le Conseil des finances publiques évalue la cohérence économique et financière de la loi de programmation. Pour la préparation de celle-ci, il fournit au gouvernement un jeu d’hypothèses économiques (prévisions de croissance). Il évalue le réalisme du chiffrage des dépenses et recettes dans le projet de loi de programmation au regard de ces hypothèses et les valide (ou ne les valide pas). Il fait publiquement rapport au parlement avant le vote de celle-ci. Il met à jour annuellement son évaluation avant le vote de chaque loi de finances ;
  7. Le Conseil des finances publiques vérifie la cohérence entre les projets de loi de finances annuels et la loi de programmation. Il fournit les hypothèses économiques des lois de finances et valide leur chiffrage budgétaire, de la même manière que pour la loi de programmation. Il examine en particulier le chiffrage des mesures fiscales nouvelles et les éventuelles mesures de débudgétisation de nature à affecter le niveau de la dépense. Son rapport est public et transmis au parlement en vue du vote de la loi de finances. Il procède régulièrement à des tests de stress pour évaluer l’impact sur les finances publiques de chocs de diverses natures (économiques, financiers, sociaux, etc..). Il s’assure que le profil d’évolution des variables de finances publiques est en ligne avec les objectifs européens ;
  8. Le Conseil des finances publiques contribue à l’évaluation par la Cour des comptes de l’adéquation ex post du budget exécuté à la loi de finances. En cas de dérapage par rapport aux objectifs, le Conseil des finances publiques évalue le montant des révisions nécessaires de dépenses ou de recettes. Le Conseil des finances publiques peut aussi évaluer l’évolution de la mise en œuvre du Budget annuel, tout au long de l’année afin de prévenir des dérapages excessifs non justifiés ;
  9. Le Conseil des finances publiques évalue les implications de la loi de programmation sur la soutenabilité des finances publiques au-delà de la législature. Il permet ainsi, dès le début d’une mandature, d’inscrire l’action publique dans un horizon de long terme, favorable à la réduction du ratio de dette et à la soutenabilité à long terme des finances publiques. Il permet également de valider l’évolution des finances en accord avec le processus budgétaire européen.
La logique de ce schéma est que le budget l’État respecte une contrainte de cohérence avec la programmation pluriannuelle fixée en début de quinquennat, et au-delà, afin de retrouver un niveau de dette soutenable dans le long terme. La programmation pluriannuelle sert ainsi de cadre pour la décision budgétaire annuelle, qui ne peut s’écarter de l’enveloppe fixée que dans une mesure très limitée. L’hypothèse est que cette contrainte de cohérence temporelle forcera le gouvernement à afficher et faire voter des normes et objectifs à moyen terme raisonnables. Il serait bien entendu possible pour le gouvernement de s’affranchir partiellement de cette contrainte de cohérence en adoptant des hypothèses de croissance trop favorables sur le moyen terme (c’est rarement le cas pour l’année en cours, mais plus fréquent pour le moyen terme), ou d’élasticités de recettes trop ambitieuses. C’est pour cette raison qu’il est proposé de confier l’élaboration de ces prévisions, et l’impact sur les prévisions de recettes, au Conseil des finances publiques.

19Un grand avantage de ce schéma est que les engagements pris par l’État ne sont pas soumis aux aléas de la conjoncture économique, et sont donc plus facilement contrôlables : ils portent en effet directement sur le plafond de la dépense et sur les mesures fiscales nouvelles, avec la flexibilité apportée par le compte de contrôle. Ceci dispense en particulier d’avoir à recourir à des techniques de correction de l’effet de la conjoncture sur le solde budgétaire qui, comme on l’a déjà souligné, soulèvent d’importants problèmes pratiques. Pour autant, ce dispositif ne conduit pas à une politique budgétaire procyclique : il permet de laisser jouer les stabilisateurs automatiques, tout en empêchant de dépenser plus (ou de baisser les taux de prélèvements) lorsque la conjoncture gonfle les rentrées fiscales (mieux, l’attribution des excédents de recettes à ce compte de contrôle permet également d’éviter tout débat sur « la cagnotte » provenant d’une conjoncture plus favorable).

20Un autre avantage par rapport à une règle budgétaire à l’allemande vient du fait que ce schéma tient compte de la position initiale des finances publiques, et définit le sentier de transition pour atteindre les objectifs retenus. L’un des principaux enseignements tirés des expériences étrangères et du passé est en effet qu’une règle budgétaire ne doit pas être de même nature selon qu’il s’agit de revenir au voisinage d’un certain niveau de solde (à partir d’une position initiale éloignée) ou selon qu’il s’agit de rester à proximité de ce dernier (à partir d’une position voisine).

21Pour les comptes sociaux, comme c’est déjà le cas pour la loi de programmation triennale des finances publiques, la sécurité sociale ferait partie de la nouvelle loi de programmation quinquennale. Les lois annuelles de financement de la sécurité sociale (LFSS) seraient donc soumises à la même contrainte de cohérence avec la loi quinquennale que dans le cas du budget de l’État [5]. De façon plus spécifique :

  1. Pour la sécurité sociale, la loi quinquennale doit obligatoirement présenter des comptes à l’équilibre sur l’ensemble de la législature. Elle fixe en particulier l’évolution de l’ONDAM (objectif national de dépenses d’assurance-maladie), les règles de revalorisation des pensions et des autres prestations, ainsi que les taux de cotisations et contributions sociales. Dans le cas où la situation en début de législature serait déséquilibrée, les mesures correctrices (tant du côté des prestations que des recettes) devraient être explicitées et détaillées. Le Conseil des finances publiques est chargé de vérifier que, sous les hypothèses économiques retenues, la loi quinquennale permet d’assurer l’équilibre des comptes sociaux.
  2. La loi annuelle de financement de la sécurité sociale est tenue constitutionnellement de respecter la loi quinquennale. Toute mesure nouvelle non prévue, tant du côté des prestations que des recettes, doit être gagée à 100 %.
  3. En exécution, sauf clause de sauvegarde dans le cas de circonstances exceptionnelles (adoptée par un vote à la majorité qualifiée), tout déficit de la LFSS est inscrit sur un compte de contrôle de la LFSS. Lorsque les déficits cumulés inscrits sur ce compte de contrôle excèdent 0,5 % du PIB, ils doivent être amortis sur une durée d’au plus trois années.
  4. La règle portant également sur le solde, l’intervention d’un comité budgétaire indépendant n’est pas nécessaire dans les mêmes conditions que pour l’État. Les hypothèses macro-économiques de croissance et d’inflation seront les mêmes que pour l’État. En outre, dès lors que les comptes peuvent être affectés par des réformes importantes (retraites, allocation dépendance), le Conseil des finances publiques est saisi d’une analyse de leur impact à moyen terme sur les comptes de la sécurité sociale.
Le schéma retenu pour la sécurité sociale obéit donc à la même logique que celui précédemment décrit pour l’État. Il y a néanmoins une différence importante à souligner : dans le cas de la sécurité sociale, la contrainte ne porte pas seulement sur les « instruments » (ONDAM, taux de cotisations, …) mais aussi sur le solde. Ceci tient au fait qu’il ne nous paraît pas justifié de recourir durablement à l’endettement pour financer les comptes sociaux.

22La question des collectivités territoriales se pose. Nous proposons de ne pas les inclure car elles sont soumises à une « règle d’or » : elles ne peuvent recourir à l’endettement que pour couvrir des investissements. Elles sont donc déjà couvertes par une règle et n’ont pas significativement contribué à la dérive des finances publiques. Mais la question de la gestion de la relation entre État et collectivités locales, qui vont au-delà de la règle budgétaire, devra faire l’objet d’une analyse économique a part entière.

Règle européenne et règle nationale

Ce que dit le Traité

23Le traité budgétaire de mars 2012 s’inspire de la règle allemande et fixe les éléments suivants :

  • les comptes des administrations publiques doivent être à l’équilibre ou en surplus. Opérationnellement, le déficit budgétaire structurel doit rester inférieur à 0,5 % du PIB ;
  • une règle traduisant cette exigence doit être introduite par chaque État dans sa législation nationale, de préférence au niveau constitutionnel ; cette transposition se fera sous le contrôle de la Cour de justice ;
  • les États membres doivent converger vers l’équilibre budgétaire dans le respect d’un calendrier proposé par la Commission. Les États membres en procédure de déficit excessif doivent soumettre à la Commission leurs plans de politique économique visant ce retour à l’équilibre ;
  • les gouvernements des pays dont la dette excède 60 % du PIB s’engagent à réduire de 1/20e par an l’écart entre le niveau de dette et la cible de 60 % du PIB.
Pour l’essentiel, ce cadre prend appui sur les dispositions existantes du Pacte de stabilité et de la législation « six-pack » adoptée en 2011.

Critiques et ajustements au cas français

24La règle européenne souffre, à nos yeux, de deux défauts principaux, mais offre une certaine marge de man œuvre dans son application : premièrement, elle repose sur des variables structurelles non-observées ; deuxièmement, elle porte sur le solde agrégé au sens de Maastricht, alors que les niveaux de décision pertinents sont, d’une part, la loi de finances et, d’autre part, la loi de financement de la Sécurité sociale. L’effectivité commande que la contrainte globale soit déclinée en objectifs et contraintes pour les niveaux pertinents d’administration. Troisièmement, la règle est suffisamment peu précise sur les modalités de la réduction de la dette au long du chemin d’ajustement pour nous permettre d’être plus précis sur les modalités de l’ajustement.

25C’est pourquoi nous avons proposé de retenir pour la France une procédure indépendante de la règle européenne et dont les modalités d’application sont différentes. La conformité de la politique budgétaire aux normes européennes relèvera donc des choix de programmation (hypothèses de croissance, norme de dépense, enveloppe de prélèvement) et des décisions d’exécution (correction des erreurs de trajectoire, révision en cas de modification du contexte économique). Reste seulement à déterminer qui appréciera cette conformité. Nous proposons que pour assurer la crédibilité des estimations structurelles, celles-ci soient effectuées par une entité indépendante. Tant le gouvernement (qui peut souhaiter limiter les efforts d’ajustement) que la Commission européenne (qui peut à l’inverse souhaiter limiter les risques de dérapage) sont en l’espèce juges et parties. C’est pourquoi nous proposons que le Conseil des finances publiques soit chargé de certifier ex ante la conformité du projet quinquennal et des lois de finances annuelles aux objectifs fixés par les traités ou la législation européens.

26Ainsi, plutôt qu’un objectif de solde chiffré, notre proposition s’appuie toujours sur des contraintes sur les dépenses (et recettes) plutôt que sur une contrainte de solde structurel, étant entendu que la programmation financière, les lois de finances et de financement de la Sécurité sociale, et les décisions d’exécution devront respecter la contrainte fixée par le TSCG.

Une proposition de règle française en conformité avec le cadre européen

27Le calendrier européen offre les marges de man œuvre nécessaire pour que l’ajustement soit mené par la proposition de cadre multi-annuel de finances publiques françaises. Le programme de stabilité, que chaque pays doit soumettre aux autorités européennes au mois d’avril, peut être défini en conformité aux principes européens par le gouvernement en exercice avant d’être soumis au Parlement début avril, puis à la commission européenne fin avril. Ce qui donne pour le budget annuel la procédure suivante :

  1. Le Conseil de finances publiques soumet au gouvernement ses prévisions de croissance et son estimation d’output gap (correspondant à la différence entre le PIB effectif et ce qu’il serait si l’économie fonctionnait à son plein potentiel), en conformité avec l’engagement d’ajustement sur les 5 ans du gouvernement, début mars ;
  2. Le gouvernement établit sa proposition de programme de stabilité en mars, en liaison avec le Conseil des finances publiques, pour soumettre celui-ci au parlement début avril ;
  3. Le Conseil des finances publiques s’assure, en particulier, que l’objectif de réduction d’au moins 0,5 point de PIB du solde structurel est respecté et que l’évolution de la dette est compatible avec la règle de réduction de 1/20e de l’écart entre dette cible et observée [6].
Ainsi, sans reproduire exactement la règle européenne, la procédure que nous proposons permet d’assurer sa cohérence avec les normes du Traité budgétaire. Notamment, le Conseil des finances publiques produit les estimations du solde structurel et de son évolution au cours du quinquennat ; il vérifie que le sentier de réduction de la dette est conforme à la règle de diminution d’un vingtième de l’écart à l’objectif par an, sur une période de référence de trois ans ; enfin, il évalue la progression vers la soutenabilité des finances publiques.

28L’indépendance du Conseil des finances publiques garantit le sérieux de l’engagement de redressement budgétaire et la conformité de la politique suivie aux normes européennes. En même temps, il permet au gouvernement et au parlement de préserver leur liberté de décision budgétaire et fiscale, dans le cadre d’une gestion prudente des finances publiques.

Conclusions

29Le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, qui fixe les grandes lignes de la règle budgétaire que les États signataires doivent suivre, et leur impose de transposer celle-ci dans leur législation, représente évidemment une contrainte. Mais, en même temps, il fournit l’opportunité d’ancrer la responsabilité budgétaire dans les institutions et procédures de décision nationales. La France, qui n’a pas su, depuis vingt ans, se doter d’une définition endogène de cette responsabilité, risque d’être tentée par une transposition a minima de la norme européenne. Nous pensons que ce serait une erreur. Au contraire, nous proposons de faire de cette transposition contrainte l’occasion d’une réforme ambitieuse.

30La règle européenne souffre, à nos yeux, de deux défauts principaux mais offre une certaine marge de man œuvre dans son application. Elle repose d’abord sur des variables structurelles non observées ; elle porte ensuite sur le solde agrégé au sens de Maastricht, alors que les niveaux de décision pertinents sont, d’une part, les finances de l’État et, d’autre part, celles de la Sécurité sociale. Mais elle laisse une liberté importante pour définir le chemin de retour à la soutenabilité.

31C’est pourquoi nous proposons de retenir pour la France une procédure indépendante de la règle européenne, et dont les modalités d’application sont différentes, mais dont la conformité en pratique avec la règle européenne serait validée par un Conseil des finances publiques indépendant. D’autres pays ont fait, ou sont en train de faire, des choix similaires.

32La procédure que nous proposons définit des plafonds de dépenses, des planchers de recettes, et un système de compte notionnel en cas de sur- ou sous-performance, qui agit comme un coussin supplémentaire de sécurité en cas de dérapage en exécution. Elle prévoit aussi un ajustement automatique si les dérapages venaient à persister. Elle permet ainsi de modérer la pro-cyclicité inhérente aux normes de solde. Elle permet aussi d’assurer une décroissance de la dette dans le moyen terme, comme les procédures européennes le demandent. Elle comprend bien un mécanisme de correction automatique en cas de dérapage.

33Ce cadre étant donné, la conformité de la politique budgétaire aux normes européennes sera évaluée en continu par le Conseil des finances publiques. En cas de non-conformité, il reviendra au gouvernement et au parlement de voter des mesures supplémentaires, mais cette procédure restera exceptionnelle si la programmation est fondée sur des hypothèses prudentes et que les dérapages en exécution sont contrôlés.

34Ce système à deux niveaux est évidemment plus complexe, mais nous paraît largement préférable à une simple transposition de la norme européenne. Pour trois raisons : de légitimité démocratique – une norme nationale, délibérée et adoptée par le parlement, vaut mieux qu’une contrainte imposée de l’extérieur ; de propriétés économiques – une programmation explicite vaut mieux qu’un système assis sur une variable non observable ; et d’efficacité – un pilotage précis, en conformité avec les spécificités institutionnelles de la décision budgétaire, vaut mieux qu’une enveloppe globale et indiscriminée.

Notes

  • [1]
    Voir Pisani-Ferry (2008) pour une discussion des méthodes de la politique économique en France.
  • [2]
    Ainsi l’OCDE (Perspectives Économiques n° 85, Décembre 2009), a révisé de façon très importante ses estimations d’output gap, de l’ordre de 2 points de PIB, et montre les marges d’erreur très importantes dont sont empreintes ces estimations.
  • [3]
    Il conviendrait de modifier l’article 34 de la Constitution pour y faire apparaître la loi de programmation quinquennale et pour renvoyer à une loi organique apportant les précisions nécessaires.
  • [4]
    Une disposition de ce type s’appliquerait naturellement à une conjoncture similaire à celle de 2009.
  • [5]
    Du fait qu’en l’état actuel les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale ne sont pas de même nature, il faudrait apporter des révisions à la Constitution, notamment dans ses articles 34 et 47.
  • [6]
    Le critère de réduction de la dette est prévu sur une période de trois ans. Ainsi, une dette supérieure à 60 % du PIB est considérée comme diminuant suffisamment si la distance par rapport au 60 % de référence s’est réduite au cours des trois années précédentes à un rythme annuel de l’ordre de 1/20e.

Bibliographie

  • En ligneBoone L. et Pisani-Ferry J. (2011), « Politique budgétaire : pour une nouvelle approche », in Quelles réformes pour sauver l’État ?, Cahier du Cercle des économistes, sous la direction de Jean-Paul Betbèze et Benoît Coeuré, PUF/Descartes.
  • En ligneCalmfors L. et Wren-Lewis S. (2011), « What should fiscal councils do ? ».
  • Garnier O. et Pisani-Ferry J. (2010), « Pour une règle budgétaire organique », note préparée dans le cadre du Conseil d’analyse économique et soumise à la commission Camdessus.
  • En ligneHallerberg M. Strauch R. et von Hagen J. (2004), « The design of fiscal rules and form of governance in European union countries », ECB working paper N° 419.
  • En lignePisani-Ferry J. (2008) « Politique économique : avons-nous appris ? », Revue économique, mai.
Laurence Boone
Laurence Boone, chef économiste chez Bank of America Merrill Lynch
Jean Pisani-Ferry
Jean Pisani-Ferry, directeur du centre de recherches et de débat Bruegel (Bruxelles)
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 20/06/2012
https://doi.org/10.3917/rce.011.0088
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour La Découverte © La Découverte. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...