1Le manque de logements étudiants constitue une préoccupation des autorités, comme l’attestent les deux rapports sur ce sujet, réalisés par le député Anciaux en 2004 et 2008. Les pouvoirs publics n’ont pas oublié que les événements de mai 68 ont trouvé leurs prémices dans l’opposition d’étudiants aux règles de mixité des logements universitaires à Nanterre. Plus récemment, les mobilisations intervenues à Bologne et Pise contre la « studentification » de certains quartiers et les problèmes de voisinage que cela entraîne montrent que le logement des étudiants en ville, dans le parc privé, peut être source de tensions. Compte tenu de leurs bas revenus, de la pénurie des logements étudiants publics et de la hausse des prix de l’immobilier, il est de plus en plus difficile pour les étudiants de se loger dans des conditions qui leur permettent de mener au mieux leurs études.
Un besoin d’intervention publique
2Le parc public de logements étudiants est très limité : seuls 11 % des étudiants réussissent donc à avoir une place en résidences universitaires, foyers ou internats. Beaucoup d’étudiants (37 %) vivent dans un logement familial, mais les souhaits de décohabitation tendent à augmenter au fil des années d’études. Le reste des étudiants se loge dans le parc privé [1]. Mais les prix des logements et l’inadéquation entre les attentes des propriétaires et les caractéristiques des étudiants (revenus modérés, besoin d’un logement dix mois sur douze, changement fréquent d’une année sur l’autre) entraînent chaque année pour ces derniers des difficultés parfois importantes à trouver un toit.
3Or, ces difficultés ne sont pas insignifiantes. Même si les situations sont extrêmement variées d’un étudiant à un autre (étudiants en couple, plus ou moins soutenus par leur famille…), l’objectif d’équité impose que même les étudiants aux ressources modestes ou originaires de zones éloignées des lieux de formation puissent se loger dans de bonnes conditions, sans que cela porte préjudice à leurs études. En outre, la réussite individuelle souhaitable de chaque étudiant présente aussi un enjeu collectif : le niveau de qualification de la population. Enfin, dans un contexte de concurrence croissante, le logement est une composante importante de l’attractivité et de l’influence internationales des systèmes de formation. Il est donc nécessaire d’agir pour permettre aux étudiants d’avoir plus facilement accès à un logement. On se limitera ici à l’évocation de deux tendances observées actuellement dans le développement de l’offre publique de logement étudiant : le déplacement des campus et le financement de logements en partenariat avec des partenaires privés.
Une première piste : déplacer les campus à la campagne
4Les difficultés de logement des étudiants viennent notamment de la concentration des demandes sur un nombre limité de villes universitaires, qui exercent déjà une attraction sur le reste de la population, ce qui provoque des tensions supplémentaires alors que l’offre est déjà très contrainte. Deux solutions souvent complémentaires sont potentiellement envisageables : mener une politique de déconcentration en multipliant les lieux de formation sur l’ensemble du territoire, et, pour une ville donnée, délocaliser l’offre universitaire vers des espaces fonciers plus abordables.
5Le développement des premiers cycles dans des villes de taille moyenne répartit les flux de migrations étudiantes jusque-là orientées vers un seul grand centre universitaire, et permet ainsi notamment à davantage d’étudiants de pouvoir demeurer chez leurs parents : plutôt que d’obliger l’étudiant à quitter le domicile parental pour aller à l’université, c’est désormais l’université qui vient à l’étudiant. En outre, les prix de l’immobilier dans ces villes de taille moyenne sont souvent moins élevés, et celles-ci peuvent offrir des conditions plus favorables pour le développement d’une offre publique de logements étudiants. Le centre universitaire Jean-François Champollion propose ainsi des formations universitaires réparties dans les villes d’Albi, Figeac et Rodez tandis que la faculté de droit de Limoges dispense des formations de premier cycle à Brive. Certains de ces dispositifs paraissent favoriser le taux de réussite des étudiants en licence. La généralisation d’une telle stratégie peut cependant se révéler coûteuse pour les acteurs publics (aménagement et gestions de nouveaux bâtiments, frais d’organisation…), et son succès n’est pas forcément assuré. En effet, l’attractivité des grands pôles universitaires peut s’avérer plus forte que les contraintes de logement, d’autant plus que l’étudiant devra souvent rejoindre un plus grand centre universitaire au terme de sa formation de 1er cycle.
Une autre possibilité (qui peut être complémentaire) consiste donc à développer l’offre de formation sur un espace foncier et immobilier plus abordable, tout en en renforçant l’attractivité académique : c’est la stratégie de développement de grands campus. Deux projets de ce type sont en cours d’élaboration en région parisienne. Au sud, le plateau de Saclay devrait réunir une population de 30 000 étudiants autour de prestigieuses écoles d’ingénieurs et de commerce, des laboratoires de recherche de haut niveau et des pôles universitaires. Un campus « à la campagne » devrait ainsi sortir de terre. Au nord, le campus Condorcet va développer sur d’anciennes friches industrielles un espace dévolu aux sciences humaines et sociales qui devrait accueillir plus de 10 000 étudiants. Ces grands aménagements doivent s’accompagner d’un développement de logements spécifiquement destinés aux étudiants.
Les partenariats public-privé, une bonne réponse aux besoins d’investissements ?
6Indépendamment des questions de localisation territoriale, les pouvoirs publics sont généralement conscients de la nécessité d’augmenter le parc public de logements étudiants, mais les contraintes budgétaires limitent souvent ce type d’investissement.
7Le recours au secteur privé, via les partenariats public-privé (PPP), est une des voies explorées pour y pallier [2]. Les contrats de partenariats, créés en France en 2004, permettent en effet à l’État de confier à un partenaire privé unique la conception, la réalisation, le financement et la gestion d’un ouvrage ou d’un service concourant à une mission de service public. L’interlocuteur privé a ainsi un rôle moteur dans la réalisation de l’ouvrage et dans son financement. Selon le gouvernement et les acteurs privés, les PPP offriraient une meilleure garantie de tenue des délais de réalisation et de durabilité (le constructeur étant aussi chargé de l’entretien), et un coût global plus avantageux. Surtout, cette forme de contrat permet à l’État de payer un loyer étalé sur plusieurs années, qui n’est pas comptabilisé comme de la dette publique, éléments appréciables en période d’ajustements budgétaires. Or, si l’État assume clairement sa volonté de promouvoir ces contrats pour le logement étudiant (tous les programmes de l’opération campus [3] doivent être réalisés sous forme de PPP, outre un investissement de 3,5 milliards d’euros dans le logement étudiant, sous forme de PPP ; plus généralement, les conditions de recours aux PPP ont été élargies en juillet 2008 [4]), les PPP sont loin de faire l’unanimité.
8Le coût global d’un PPP serait en réalité supérieur à celui des autres formes de commande publique, en raison d’un coût de l’emprunt privé supérieur à celui de l’emprunt public, des frais irréductibles de procédure et de la marge nécessairement attendue par le secteur privé. En outre, les PPP favoriseraient les majors du bâtiment, capables de présenter une offre globale, au détriment des petits entrepreneurs ou architectes. Selon les syndicats et les associations de petits entrepreneurs, ils porteraient donc atteinte aux principes du bon usage des deniers publics et à l’égalité devant la commande publique, du moins pour les projets de faible taille. En définitive, les PPP sont accusés d’être promus non en raison de leurs avantages de coût, de qualité ou de délais, mais aux seules fins de « masquer » l’endettement de l’Etat, et alors que la preuve de leur efficacité par rapport aux autres types de contrat public n’est pas forcément faite.
Au-delà des positions idéologiques sur l’introduction du privé dans la sphère des infrastructures publiques, une vraie réflexion sur les avantages comparatifs des PPP avec les autres types de contrats publics, au regard de l’intérêt public, de la qualité du service sur le long terme et de la charge réellement supportée par l’État et par le contribuable semble donc nécessaire, et ce notamment pour le logement étudiant.
Notes
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[1]
Source : enquête de l’Observatoire de la vie étudiante, 2010.
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[2]
Le rapport Anciaux 2 préconisait, entre autres, de « dresser une analyse comparative de la « loi MOP » et du « contrat de partenariat » afin d’évaluer la pertinence de ce nouveau dispositif et lancer rapidement des expérimentations » et de « promouvoir les partenariats public-privé (PPP) […] pour élargir les modalités de réalisation de logements étudiants » (Le logement étudiant et les aides personnelles au logement, rapport de J.-P. Anciaux, 2008, p. 15-52).
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[3]
http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/pid20637/l-operation-campus.html Opération lancée en février 2008 par le gouvernement, qui vise à faire émerger des pôles d’enseignement d’excellence et a notamment pour objectif de « répondre à l’urgence de la situation immobilière » étudiante.
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[4]
Loi n° 2008-735 du 28 juillet 2008 relative aux contrats de partenariat.