CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Le vieillissement de la population dans les pays développés suscite de nombreuses interrogations, au-delà de la seule question du financement des systèmes de retraites. Ce bref aperçu de l’économie du vieillissement est l’occasion de souligner la diversité des échanges possibles sur ce sujet entre économie et démographie.

2Pour simplifier, on peut définir le vieillissement comme l’augmentation de la part des personnes de plus d’un certain âge, traditionnellement 60 ans. Deux processus peuvent être à l’origine de ce phénomène : l’augmentation du nombre de personnes considérées comme âgées – on parle alors de « vieillissement par le haut » –, et la diminution du reste de la population, principalement sous l’effet de la diminution du nombre de naissances – on parle alors de « vieillissement par le bas ».

3L’approche économique du vieillissement peut être considérée comme un retour aux origines de la discipline, l’économie partageant avec la démographie un père fondateur en la personne de Thomas R. Malthus. On doit d’ailleurs à l’un de ses correspondants, David Ricardo, l’idée que l’évolution de la taille de la population constitue un mécanisme central d’ajustement de l’économie (Principes de l’économie politique et de l’impôt, 1817) : la baisse des salaires réels provoquée par une surabondance de main d’œuvre conduit à une diminution du nombre de naissances et donc à terme à une diminution de la quantité de main-d’œuvre. Ce mécanisme assurerait sur le long terme un retour à l’équilibre tant économique que démographique. Ce cadre de pensée peut fournir un premier éclairage sur les conséquences économiques du vieillissement de la population.

Conséquences du vieillissement par le bas

4Appartenir à une société connaissant un vieillissement par le bas apparaît avantageux pour les actifs : ce phénomène pourrait favoriser la situation de ceux-ci sur le marché du travail, la raréfaction de la main-d’œuvre tendant à pousser à la hausse les salaires. À l’échelle d’une vie, certaines cohortes seraient donc susceptibles d’être avantagées ou au contraire défavorisées en fonction de la forme de la pyramide des âges. Cette idée a notamment été défendue par Richard A. Easterlin [1980]. Face à ce déséquilibre, l’ajustement démographique ne peut qu’être lent, du fait du délai entre une possible augmentation des naissances et l’arrivée sur le marché du travail de nouvelles cohortes plus nombreuses. En outre, rien ne garantit qu’un ajustement du nombre de naissances se produise réellement : un revenu plus élevé permet certes d’allouer plus d’argent aux enfants, mais il peut aussi être consacré à l’amélioration de la situation matérielle de chacun d’entre eux plutôt qu’à l’augmentation de leur nombre. Par conséquent, l’évolution du nombre de naissances ne paraît pas être totalement en mesure de jouer le rôle stabilisateur envisagé par Ricardo. L’absence de mécanisme automatique de rappel est encore plus manifeste pour le vieillissement par le haut.

Conséquences du vieillissement par le haut

5Le vieillissement par le haut actuel provient (i) de l’augmentation de l’espérance de vie des personnes âgées ; (ii) de l’arrivée à l’âge de la retraite des cohortes nombreuses nées durant le baby-boom. Son impact sur les dépenses de protection sociale constitue un enjeu important. L’estimation de son effet sur les dépenses médicales est cependant loin d’être évidente : la durée potentielle de prise en charge médicale tend à augmenter, mais le vieillissement s’effectue en meilleure santé. Ainsi le vieillissement s’accompagne-t-il en premier lieu d’une augmentation des dépenses non médicales (services à la personne, prise en charge en maison de retraite). Le vieillissement par le haut affecte également le marché du logement, notamment la demande de petits logements en centre-ville, prisés par les femmes âgées vivant seules. L’évolution de la structure de la population contribue ainsi à faire évoluer les demandes de consommation et l’orientation des dépenses tant privées que publiques.

Conséquences sur les choix de politiques publiques

6L’effet du vieillissement de la population sur les dépenses publiques ne se limite pas à une augmentation mécanique de certains postes de dépense : cette évolution est susceptible de réorienter les choix en matière de politiques publiques. La part des personnes âgées dans la population augmentant, leurs préférences pourraient avoir tendance à être favorisées, en raison de leur poids dans le corps électoral. On pourrait ainsi s’attendre à une réallocation des transferts publics en faveur des personnes âgées. Samuel H. Preston remarque ainsi que le vieillissement de la population aux États-Unis a été de pair avec le renversement de la structure de la pauvreté selon l’âge : alors que dans les années 1960 le niveau de pauvreté des plus âgés était supérieur à la moyenne, il a eu tendance à diminuer durant les vingt années suivantes tandis que celui des jeunes augmentait. Cette tendance semble s’être poursuivie depuis. L’impact du vieillissement sur les dépenses d’éducation est actuellement étudié par Adam Lenart, un doctorant du Max Planck Institut de Rostock. Ce sujet illustre bien la complexité de l’impact du vieillissement, car les personnes âgées bénéficient indirectement des dépenses d’éducation via l’effet de celles-ci sur les innovations médicales, la baisse de la délinquance, l’accroissement des pensions avec la hausse des salaires, etc. La détermination des nouveaux équilibres engendrés par le vieillissement est ainsi un exercice difficile tant les interdépendances sont nombreuses.

Incertitude sur les conséquences macroéconomiques

7Le fait que « le tout ne soit pas la somme des parties » est un phénomène de composition bien connu en sciences sociales. Ainsi Malthus soulignait-il dans ses Principes d’économie politique (1820) que l’augmentation de la part du revenu épargné au niveau individuel pouvait tout à fait se traduire par une diminution du montant d’épargne global. John Maynard Keynes a développé cette intuition dans ses travaux, et s’est essayé à l’appliquer à la question de la diminution de la population dans une conférence donnée en 1937. Tout en soulignant l’ampleur des incertitudes concernant ses conséquences, il met en garde contre son effet potentiellement négatif en matière d’emploi : la diminution du nombre de « concurrents » potentiels n’augmente pas forcément les chances d’obtenir un travail si dans le même temps le nombre total d’emplois diminue fortement, en raison de la baisse de la consommation et de l’investissement.

8Cet effet peut être accentué par le ralentissement de l’innovation qui est souvent associé au vieillissement. Alfred Sauvy, le statisticien-économiste fondateur de l’INED (Institut national d’études démographiques), utilise souvent l’image de l’enfant unique se contentant d’attendre l’héritage familial, en opposition à l’esprit des cadets de Gascogne, contraints d’aller chercher fortune par leurs propres moyens. Cette idée de « pression créatrice » a notamment été développée par Ester Boserup dans le cadre des sociétés agraires : les besoins engendrés par la croissance démographique seraient ainsi un moteur essentiel de l’innovation. On peut néanmoins se demander si, à l’inverse, la pénurie de main-d’œuvre n’est pas susceptible de stimuler l’innovation. L’amélioration des conditions de travail (automatisation, amélioration de l’ergonomie, etc.) et des techniques de production pourrait ainsi favoriser un prolongement de la durée d’activité à des âges plus élevés ainsi qu’une amélioration de la productivité. Ce sont également des manifestations possibles de l’augmentation de la quantité de capital disponible pour chaque travailleur (du fait de la diminution des effectifs). Enfin, il ne faut pas négliger les apports de la mobilisation associative et familiale des seniors.

Le vieillissement de la population, crépuscule des nations ?

9De l’idée du vieillissement d’une population à celle de sa disparition, il n’y a pourtant qu’un pas que certains franchissent parfois en analysant les conséquences de long terme du maintien des tendances démographiques actuelles. C’est un exercice périlleux : un des enseignements majeurs des évolutions passées est qu’il faut être prudent quand on envisage l’évolution future de la fécondité. La population française a ainsi connu un épisode de vieillissement particulièrement marqué durant l’entre deux guerres, le nombre de décès ayant même dépassé celui des naissances. Il n’en a pas moins été suivi d’une phase d’augmentation sensible du nombre de naissances après la Seconde guerre mondiale. Le phénomène de vieillissement est marqué à la fois par cette incertitude et par l’inertie propre aux phénomènes démographiques. La pyramide des âges « digère » progressivement les cohortes nombreuses qui font l’effet d’un « éléphant dans un boa ». Et ce n’est pas sans ironie que les cohortes du baby-boom, symboles de la jeunesse retrouvée de la France, contribuent désormais à accentuer son vieillissement.

10D’autre part, une société « trop jeune » peut aussi être synonyme de risque de désorganisation et de tensions. C’est d’ailleurs le même Sauvy qui notait de façon prémonitoire en 1959 que « si la France ne réussi[ssait] pas à accueillir ses jeunes, si ceux-ci trouv[aient] les portes fermées, si les emplois [étaient] rares […], cette éventualité lamentable s’accompagnerait de troubles politiques » (La montée des jeunes, 1959, p. 115). L’idée selon laquelle l’augmentation rapide de la population active par l’arrivée à l’âge adulte de cohortes nombreuses est susceptible de générer des frustrations et de favoriser le recours à la violence est développée de façon plus systématique dans les théories dites du « youth bulge », particulièrement en vogue dans certains milieux s’intéressant aux relations internationales. La promotion des cadets par les armes est illustrée dans la littérature française par les figures de d’Artagnan ou de Cyrano de Bergerac. Les tenants du « youth bulge » voient dans les « martyrs » des mouvements terroristes une incarnation contemporaine de ces figures.
La structure par âge de la population, avant d’être un atout ou un obstacle, est d’abord source de défis et d’opportunités. La vocation de l’économie est précisément d’éclairer les prises de décision en évaluant l’efficacité des solutions proposées, en mettant en lumière les nouvelles opportunités à saisir. La constitution d’un champ de recherche en l’économie sur le vieillissement représente en elle-même une première réponse.

Bibliographie

  • Beehner L. (2007), « The Effect of “Youth Bulge” on Civil Conflicts », Council of Foreign Relations, consultable sur : http://www.cfr.org/publication/13093/
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  • Easterlin R.A. (1980), Birth and Fortune. The Impact of Numbers on Personal Welfare. Basic Book, New York.
  • En ligneGobillon L. et Laferrère A. (2006), « Les choix de logement des personnes âgées : consommation et épargne », Revue française d’économie, n° 20, p. 115-151.
  • En ligneKeynes J.M. (1978), « Some Economic Consequences of a Declining Population », Population and Development Review, vol. 4, n °3, p. 517-523.
  • En lignePreston S.H. (1984), « Children and the Elderly: Divergent Paths for America’s Dependents », Demography, vol. 21, n °4, p. 435-457.
  • Sauvy A. (2000), La vieillesse des nations, Gallimard, Paris.
Mis en ligne sur Cairn.info le 17/05/2010
https://doi.org/10.3917/rce.007.0066
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