CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Les comportements politiques désignent l’ensemble des pratiques sociales liées à la vie politique. Ils renvoient notamment aux comportements électoraux des individus, mais aussi de façon plus large à leur participation à des manifestations ou mouvements sociaux, implication dans un parti politique, etc. Les pratiques politiques individuelles sont toujours le fruit d’une interaction entre un contexte structurel et une histoire personnelle. L’analyse des déterminants structurels des pratiques politiques a fait l’objet de nombreuses études depuis le début du xxe siècle. Beaucoup d’entre elles ont porté sur la comparaison des comportements politiques au sein des diverses générations.

2Nous pouvons distinguer plusieurs dimensions de la notion de génération :

  • une dimension généalogique qui lie génération et filiation (génération familiale). On parle ainsi de la génération des enfants, des parents et des grands-parents ;
  • une dimension démographique qui renvoie en fait à un critère d’âge (génération par âge). On parle ainsi des jeunes, des adultes, des seniors et du quatrième âge ;
  • une dimension sociologique qui renvoie à l’existence d’un groupe dont les membres ont des comportements spécifiques qui les distinguent des autres, qu’ils en aient conscience ou non (génération sociale). On a ainsi pu parler de la génération 1968, de la génération du feu (les poilus de la guerre de 1914), etc.
En fonction de la définition de la génération retenue, l’analyse des pratiques politiques à l’aune de cette notion renvoie à des travaux très différents. La première définition implique d’analyser l’importance de la transmission des pratiques politiques au sein de la famille : dans quelle mesure les pratiques politiques des enfants sont-elles déterminées par celles de leurs parents ? La seconde définition nous conduit à nous pencher sur les liens existants entre âge et politique. Dans quelle mesure les pratiques politiques individuelles sont-elles différentes en fonction de l’âge ? Les jeunes ont-ils des pratiques spécifiques ? Si oui, on parlera alors dans ce cas de l’existence d’un effet d’âge. La troisième définition implique de se demander si le fait d’appartenir à une génération donnée a un impact sur les pratiques politiques. La génération 1968 se caractérise-t-elle par des comportements politiques spécifiques ? Si oui, on parlera alors de l’existence d’un effet de génération.
Nous présenterons ici successivement les résultats des travaux de sociologie politique en fonction de la définition de la génération retenue.

Quelle transmission des pratiques politiques au sein de la famille ?

3Les transmissions interfamiliales sont déterminantes dans la construction de l’identité politique. Les travaux d’Anne Muxel ont montré que ces transmissions ne portaient pas tant sur des pratiques politiques particulières (vote pour un parti spécifique, engagement militant, etc.) que sur des valeurs. Les choix partisans des enfants sont peu influencés par les choix des parents mais l’influence familiale est très forte au niveau du clivage gauche/droite qui renvoie bien à un clivage axiologique. 72 % des jeunes disent avoir la même appartenance idéologique que leurs parents (droite / gauche, ou ni de droite ni de gauche). Il existe ainsi une continuité générationnelle forte sans pour autant que les enfants votent de façon identique à leurs parents ou qu’ils aient le même rapport à la politique. Il ne s’agit donc pas d’une reproduction mécanique des comportements politiques des parents mais de la transmission d’un cadre idéologique qui structure de façon large les pratiques des enfants. Annick Percheron parle de la constitution d’un « fond de carte » lors de l’enfance sur lequel va se construire l’identité politique, celle-ci évoluant ensuite en fonction de l’évolution sociale des enfants et des événements politiques qu’ils sont amenés à connaître. Cette importance des transmissions interfamiliales, évoquée ici dans sa généralité, varie en fonction des configurations familiales et surtout en fonction de l’évolution du contexte social et politique dans lequel évoluent et grandissent les enfants.

4Anne Muxel explique le rôle déterminant joué par la transmission familiale par une socialisation politique très précoce fondée sur l’observation au quotidien du comportement des parents dans diverses situations. L’enfant se rend très vite compte du positionnement idéologique de ses parents, en observant leurs réactions à l’univers politique environnant. La sociologue explique aussi que la montée de l’individualisme, du libéralisme culturel et donc de la tolérance envers des choix différents, a conduit à un renforcement des processus d’identification au sein de la famille. En effet, les enfants étant plus libres de leurs choix, ils ressentent moins le besoin de s’opposer à leurs parents. Ce renforcement de l’identification n’a pourtant en rien rendu plus mécanique la transmission des pratiques politiques, bien au contraire : celle-ci fait toujours l’objet d’une négociation, entre héritage et affirmation de soi.

Âge et politique

5Distinguer les effets d’âge des effets de génération est particulièrement ardu. Comment savoir en effet si les écarts de pratiques constatés entre les jeunes et les plus âgés sont liés à leur position dans le cycle de vie (ce qui impliquerait qu’une fois plus âgés, les jeunes se comporteraient comme les plus vieux) ou s’ils sont liés à une modification profonde et durable des opinions ?

6Des sociologues se sont néanmoins attelés à la tâche. Les travaux portant sur les liens entre âge et politique montrent de façon très claire que l’âge joue fortement sur le type de pratiques politiques (conventionnelles ou non, abstention) mais pas sur l’orientation idéologique (choix partisan ou clivage gauche/droite). Ainsi, par exemple, l’âge influe fortement sur le fait de voter ou pas. Les jeunes et les personnes très âgées votent beaucoup moins que la moyenne (courbe de l’abstention en forme de U). Anne Muxel parle d’un « moratoire électoral de la jeunesse » lié notamment à une plus faible intégration sociale des jeunes majeurs. Les jeunes se montrent structurellement plus critiques à l’égard des institutions et du personnel politique et ne trouvent pas dans le vote un moyen d’expression adéquat de leurs opinions politiques. Pour autant, les jeunes ne sont pas moins politisés que les autres catégories de la population, ils ont simplement tendance à exprimer leurs opinions par des voies moins conventionnelles : manifestations, pétitions, etc.

7Ces comportements politiques des jeunes sont en partie à relier à un effet d’âge, mais ils sont aussi liés à une évolution plus globale de la société (montée de l’individualisme) ayant entraîné une modification du rapport au politique (notamment le refus d’appartenance à des organisations politiques traditionnelles très hiérarchisées) : ils témoignent donc ainsi de l’existence d’un effet de génération.

Des générations politiques ?

8Anne Muxel a montré que les effets de génération jouaient de façon très forte sur la structuration idéologique des individus. Elle note ainsi, suite à une étude de la génération des jeunes ayant participé aux mouvements lycéens-étudiants de 1986, que « les jeunes y ayant été actifs restent, dix ans plus tard, toujours plus disponibles pour s’engager dans une action collective. La conjoncture historique et politique a donc aussi un rôle actif dans la construction de l’identité politique ».

9Analyser les effets de génération suppose d’avoir au préalable défini ces générations. Anne Muxel note que « plusieurs travaux majeurs ont pointé le rôle et la place du changement des valeurs dans le renouvellement générationnel ». Une nouvelle génération au sens sociologique aurait ainsi vu le jour avec l’augmentation de la scolarisation, la montée de l’individualisme, la baisse de l’intégration religieuse, la modification des valeurs démocratiques (volonté d’une démocratie plus participative), etc.

10La relative importance de la participation politique non conventionnelle des jeunes d’aujourd’hui (notamment à travers des engagements associatifs) est ainsi en partie liée à un effet de génération. Elle se fonde sur un désir d’autonomie ainsi que sur une volonté de rester libre de ses choix et de pouvoir suivre ses convictions au plus près, sans compromis. Ce refus des étiquettes politiques et des pratiques politiques conventionnelles est le pendant de la montée de l’individualisme et du libéralisme culturel. Anne Muxel montre de plus que le brouillage de la frontière gauche/droite et l’échec de l’expérience Mitterrand ont aussi contribué à la perte de crédibilité des projets de transformation radicale de la société. Ainsi, si la moindre participation électorale des jeunes s’explique en partie par un effet d’âge, il y a de fortes raisons de penser que la jeune génération devenue adulte continuera à avoir un rapport plus distancié aux pratiques politiques conventionnelles du fait d’une part de l’évolution des valeurs qui structurent la société française, et d’autre part d’une certaine désillusion vis-à-vis du politique liée à des événements politiques particuliers.

Bibliographie

  • Grunberg G., Mayer N. et Sniderman P. (dir.) (2002), La démocratie à l’épreuve, Presses de Sciences-Po.
  • Muxel A. (2010), Avoir 20 ans en politique, Seuil.
  • En ligneMuxel A. (2003), « Les jeunes et la politique : entre héritage et renouvellement », Revue Empan, n° 50.
  • Muxel A. (2001), L’expérience politique des jeunes, Presses de Sciences-Po.
  • Percheron A. et Rémond R. (dir.) (1991), Âge et politique, Presses de Sciences-Po.
Mis en ligne sur Cairn.info le 17/05/2010
https://doi.org/10.3917/rce.007.0211
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